Comment l’univers des sitcoms infiltre-t-il insidieusement la vraie vie -et vice-versa ? Cela pourrait être l’un des sous-titres de la pièce que Marc-Antoine Cyr a écrite à la demande du metteur en scène Renaud-Marie Leblanc. Après la découverte du livre du philosophe et sociologue Maxime Coulombe Petite philosophie du zombie ou comment penser par l’horreur (PUF 2013) et interpellé par la place occupée par les zombies dans les jeux vidéo pratiqués par les adolescents, il a eu envie de faire de l’un d’entre eux le personnage central d’une histoire ; ou plutôt l’élément déclencheur d’une série d’événements qui vont bouleverser l’ordre apparent.
Premier tableau : une chambre d’hôpital sous une lumière crue. Scène caricaturale d’un service d’urgence comme dans certaines séries télévisées. La femme souffre, le médecin doit la soulager, la mort guette. Un grand écran affiche le texte même qui est dit. On se met à douter. Brutalement on découvre que les trois personnages sont en fait des comédiens qui essaient de gagner leur vie en tournant des fictions minables. Nell (Roxane Borgna) est loin de son rêve de rejouer les grands rôles du théâtre comme celui de Nina dans Tchekhov… Au lieu de cela, les directeurs de la production décident d’introduire un nouveau personnage, un vrai zombi. Soudain il est là, présence immobile, inquiétante. Il va falloir faire avec, sous son regard. Appartient-il à l’espèce humaine cet être (Nicolas Guimbard) qui ne sait que proférer toujours la même syllabe, une sorte de rugissement effrayant ? Hippolyte (Christophe Grégoire) s’adresse à lui comme à un animal qu’il voudrait dresser et l’appelle Chose, tandis que Colin (Charles-Éric Petit) tente le dialogue et que Nell contre toute attente va lui trouver un certain charme. Obstiné et imperturbable, comme le personnage de Théorème de Pasolini, il est celui par qui tout arrive, qui observe et sert de miroir. Sa présence déstabilise les autres et la situation bascule. Chose devient étrangement le personnage le plus attachant des quatre. À cause de son authenticité brute, mais aussi parce qu’il nous renvoie à ceux que l’on croise dans les rues de nos villes ou qui s’embarquent aveuglément pour des voyages à l’issue incertaine. Il nous met face à nos peurs et nos doutes sans sombrer dans le pathos. On rit beaucoup, on s’amuse des effets musicaux qui passent de Wagner à de la musique sirupeuse pseudo-romantique. On apprécie les belles images projetées de Thomas Fourneau. Un spectacle qui ne laisse pas indifférent, ancré à la fois dans la tradition de la fable et dans la réalité la plus triviale.
CHRIS BOURGUE
Novembre 2015
Doe (Cette chose-là) se joue au Théâtre Joliette-Minoterie jusqu’au 10 novembre
Photo : Doe -c- Agnès Mellon
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Le spectateur de Belleville
November 10, 2015 8:51 AM
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