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Le spectateur de Belleville
February 23, 2024 5:44 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 23 février 2024 Au théâtre Jean-Claude-Carrière, le metteur en scène italien Romeo Castellucci propose une adaptation dépouillée de Racine, portée par une comédienne irradiante. «Libération» a assisté aux ultimes répétitions. Le grand metteur en scène Claude Régy disait qu’il travaillait au fil du temps à rendre son théâtre de plus en plus rétif à toute photographie. On entrait dans un rêve, on le quittait à pas retenus, pour retourner dans une dimension quotidienne, celle où, la plupart du temps, ni les mots, ni les objets, ni les gestes, ni les usages, ne se dérobent. Bérénice, imaginée par Roméo Castellucci et portée par Isabelle Huppert, irradiante et solitaire, baigne elle aussi dans un crépuscule dont la matière ne se laisse pas saisir par une photo, une image, résumer par une formule. Dans le luxurieux domaine d’O, le centre d’art qui produit le spectacle, on se glisse dans la salle du théâtre Jean-Claude Carrière à Montpellier, on pénètre dans une intériorité, songe, cauchemar, esprit, cela se précisera plus tard. La scène est dénudée, bordée de lourds rideaux anthracite. Aride ? Non, pas vraiment. Mais en tout cas, au grand jamais illustratif. A une poignée de jours des premières représentations, on sait bien qu’on dérange durant ces heures si précieuses où le temps ne fait que manquer. Pourtant, Romeo Castellucci tout comme Isabelle Huppert, en baskets et survêtement, sont d’un calme royal, bien que cette Bérénice évoque moins une reine, que tout un chacun abandonné, privé non de l’amour, mais de son existence charnelle, la présence de Titus. L’actrice et le metteur en scène forent. Ils creusent le cauchemar de l’absence, qui se matérialise par une stridence, une amplification de la voix jusqu’au déraillement, la sensation d’une fraiseuse sur la dent. Puis soudainement, le calme. La voix est pure, la langue surgit comme privée de l’armature de l’alexandrin, étoile filante si naturelle qu’on l’utilise immédiatement dans un texto : «Mais de mon amitié, le silence est un gage.» Ombre chinoise Attention, ne pas se méprendre. Ici, les mots sont bien ceux de Racine, mais cousus en monologue sans les répliques de Titus et d’Anthiotus. L’effet est celui d’une scène intérieure. Du coup, la référence à Régy et 4.48 Psychose de Sarah Kane qu’incarnait Isabelle Huppert il y a deux décennies se superpose dans la mémoire. Parfois, des répliques des autres personnages raciniens surgissent projetées par bribes en hauteur et différentes strates se mêlent comme lorsque l’œil peine à accommoder. Des mots se nichent dans les plis de tissus grèges. A propos des alexandrins, et la difficulté de les faire entendre comme lavée de leur musicalité, ou sortis de leur «cage» comme le dit Castellucci, le metteur en scène nous livre : «La langue de Racine, cache autant qu’elle dit. Il y a une obscurité dissimulée par la perfection de la forme. C’est une trappe, un piège. La beauté cache l’abîme, Bérénice marche sur un voile de glaçons.» Au loin, dissimulés par des rideaux, derrière Bérénice, un groupe d’hommes, les sénateurs, menaçants, devise en ombre chinoise. Bérénice n’en paraît que plus vulnérable. Repli du coude et du poing gauche quand des phrases s’échappent, comme si l’actrice boxait avec ou contre elle. D’elle, le metteur en scène italien dit sans détour : «Il faut une actrice radicale comme Isabelle pour aborder l’un des textes les plus radicaux de l’histoire occidentale. La radicalité, au sens propre du terme, que je n’ai pas peur d’utiliser, est un point d’entrée dans la pièce. Avec Isabelle Huppert, feu central du théâtre, pour incarner Bérénice, l’enjeu est d’exprimer avec elle l’hardcore du théâtre.» A une poignée de jours du début des représentations, quand rien n’est encore tout à fait fixé et encore moins rodé, la mise en scène et l’actrice laissent voir cette recherche du plus grand dépouillement, écrin à l’immense solitude sans issue ni subterfuge d’une Bérénice-Isabelle, dans une pièce dépourvue de péripéties ou d’anecdotes : «Il ne s’y passe presque rien, c’est quasi déjà du Beckett. Il y a trois personnages, mais le texte est un monument à la solitude, causé par la parole. Plus les personnages parlent, plus ils s’éloignent l’un de l’autre. C’est une invention dramaturgique extraordinaire : «Je l’aime et je le fuis. Il m’aime, il m’abandonne»», analyse le metteur en scène. Intemporalité Souplement et sans courir, il monte sur le plateau. Défait un mouvement, en propose un autre, suggère un déplacement de la tête, dans l’épaisseur ouatée de cette nuit intérieure. Peu d’indications directes sur le texte, et pourtant, tout mouvement du corps en réveille le sens. «C’est très beau, Isabelle, lorsque tu dis ce mot tourné vers le miroir, devant le radiateur.» Ou encore : «Là, il faut absolument que tu prennes un temps.» Au fil de la répétition, ce qui frappe n’est pas tant l’intemporalité du chef-d’œuvre, ce qui est la moindre des choses, que les strates temporelles qu’il projette, autant vers le futur qu’en direction des temps les plus anciens. Cette femme seule, dont on ne sait complètement à qui elle s’adresse, ni où, ce pourrait aussi être une actrice qui revoit sa vie, imagine Isabelle Huppert que l’on croise pendant une courte pause, où il s’agit d’essayer en même temps une couronne translucide. L’actrice poursuit comme pour elle-même : «C’est pas mal de prendre le théâtre non pour ce qu’il n’est pas quand il est une machine à faire croire, que pour ce qu’il est.» La comédienne a gardé l’image d’un bébé seul sur scène, pendant plusieurs minutes, sans aucune protection, récurrente dans plusieurs mises en scène de Castellucci. «Sur ce plateau, je peux me sentir aussi dépouillée que ce bébé. Castellucci nous fait toucher du doigt ce qu’est être réduit à sa présence pure, sans rien d’autre.» Du 23 au 25 février au Domaine d’O, théâtre Jean-Claude-Carrière à Montpellier, puis du 5 au 28 mars au théâtre de la Ville à Paris.
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Le spectateur de Belleville
June 2, 2021 4:38 PM
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Par Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale) dans Le Monde 2 juin 2021 La reine Monime (Jutta Johanna Weiss) et Xipharès (Thomas Jolly) dans « Mithridate », de Racine, mis en scène par Eric Vigner au TNS, à Strasbourg, en novembre 2020. JEAN-LOUIS FERNANDEZ Mise en scène de manière stylisée par Eric Vigner, la tragédie crépusculaire de Racine est présentée pour la réouverture du TNS, à Strasbourg.
Du théâtre. La voix nue des acteurs, leur présence, un grand texte, une respiration commune entre la scène et le public. Le calme d’un rituel consenti, hors l’agitation du monde. Quelle joie de les retrouver, lundi 31 mai, lors de la réouverture du Théâtre national de Strasbourg (TNS), après les longs mois d’arrêt dus au Covid-19, avec la première représentation de Mithridate, de Racine, mis en scène par Eric Vigner. Une réouverture qui a eu lieu sans encombre : le collectif qui occupait le théâtre depuis trois mois, composé d’étudiants de l’école du TNS, a lu un texte dénonçant l’« iniquité » de la réforme de l’assurance-chômage, et s’est réjoui de « laisser la place au spectacle ». Ces retrouvailles avec le théâtre sont ici d’autant plus saisissantes que Mithridate est un spectacle qui, dans cette année particulière, a été vu d’abord dans sa version filmée, réalisée par Stéphane Pinot et diffusée sur France 5 en mars. Les qualités de la mise en scène d’Eric Vigner et de l’interprétation étaient déjà patentes à la vision de cette captation réalisée avec les moyens technologiques les plus pointus, mais elles se déploient d’autant mieux dans l’espace et le présent du théâtre. Lire aussi : « Mithridate », sur France 5, une captation de plateau inventive et innovante Pour être moins connue que Phèdre ou Bérénice, Mithridate n’en est pas moins une tragédie tout aussi belle. Ecrite en 1672, juste après Bajazet, dans la période orientale de Racine, donc, il se dit d’ailleurs qu’elle était la préférée de Louis XIV. Le conflit tragique s’y noue avec autant de pureté, d’humanité et de grandeur que dans les autres chefs-d’œuvre du maître, et la pièce offre un rôle féminin magnifique, et une vision magistrale des liens entre passions privées et passions politiques. Racine s’inspire pour l’écrire de la vie de Mithridate VI, qui régna jusqu’en 63 av. J.-C. sur le royaume du Pont – l’actuelle Turquie, la Crimée et de nombreuses régions au bord de la mer Noire –, et reste célèbre pour avoir résisté à l’expansionnisme romain, mais aussi pour avoir accoutumé son corps à s’immuniser contre les poisons : c’est la fameuse mithridatisation. Le dramaturge situe l’action au dernier jour de sa vie : alors qu’il est déclaré mort, Mithridate revient en son palais pour voir ses deux fils, Xipharès et Pharnace, se déchirer pour la conquête du royaume et celle de la reine, la belle Monime. Un superbe écrin nocturne Amour, trahison, rivalité entre les fils et le père, jalousie fratricide, soumission des femmes, utilisées comme monnaie d’échange entre royaumes. Mithridate est une tragédie crépusculaire, qui voit un homme tout perdre sauf son âme, et assister impuissant à l’effondrement de son monde, de sa culture et de sa civilisation. Eric Vigner l’inscrit dans un superbe écrin nocturne, dans lequel brillent l’éclat d’un feu, la moirure du satin rouge des costumes de Mithridate et de Monime, et plus encore la somptuosité d’un rideau de perles scintillantes, qui évoque à la fois la couronne royale et les larmes versées. Les correspondances ne sont jamais appuyées, dans cette mise en scène stylisée et discrètement japonisante, qui fuit autant le réalisme qu’un formalisme trop empesé. Les corps s’effleurent, les passions sont brûlantes mais sublimées par les alexandrins raciniens, des alexandrins que les comédiens et comédiennes, magnifiques, font ruisseler comme des rivières de diamants. La mise en scène ciselée met en valeur une distribution de haut vol, où chacun et chacune brille à sa façon C’est elle, d’abord, la langue de Racine, que l’on redécouvre avec un plaisir fou. Etre baigné dans cette langue, à l’heure du langage dégradé des réseaux sociaux et de la technocratie, c’est un véritable bain de jouvence. Il permet d’apprécier à sa juste valeur la manière dont Eric Vigner décline le thème du poison dans Mithridate, qu’il voit comme une tragédie des corps empoisonnés et des âmes souffrantes. A chacun de tisser ses propres liens avec notre aujourd’hui. Cette mise en scène ciselée met en valeur une distribution de haut vol, où chacun et chacune brille à sa façon. Thomas Jolly est un Xipharès pétri d’émotions, à fleur de peau, déchiré entre sa fidélité filiale et son amour pour Monime. Stanislas Nordey sculpte chaque mot avec une précision et une clarté remarquables, pour figurer un Mithridate hanté par la fin d’un monde et par la jalousie, mais qui fera in fine le choix de la générosité et de la transmission. Mais c’est surtout Jutta Johanna Weiss qui étonne ici. Cette actrice d’origine autrichienne, qui s’est formée à New York et auprès de metteurs en scène venus d’Europe de l’Est, développe depuis quelques années un jeu singulier. Elle joue Monime à la manière des onnagatas japonais, ces acteurs de kabuki ou de nô qui incarnent des femmes, et travaillent sur l’expression corporelle de la féminité. Ce double décalage n’est pas seulement passionnant : il donne lieu à des moments d’une beauté et d’une douceur rares. Vidéo de présentation de Mithridate par Eric Vigner Mithridate, de Jean Racine. Mise en scène : Eric Vigner. Théâtre national de Strasbourg (TNS), 1, avenue de la Marseillaise, Strasbourg. Tél. : 03-88-24-88-00. Les 2, 4, 7 et 8 juin à 18 heures. Puis à la Comédie de Reims, du 22 au 25 juin, et en tournée sur la saison 2021-2022. Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale)
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Le spectateur de Belleville
May 15, 2016 6:41 AM
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Par AFP, publié sur RTBF.be
La Comédie-Française donne jusqu'au 23 juillet un "Britannicus" très actuel, dont les intrigues politiques n'ont rien à envier aux séries télévisées d'aujourd'hui, selon son metteur en scène Stéphane Braunschweig.
"Quand on lit Britannicus, au début, on se dit: qu'est-ce que c'est que cette histoire en toges? Et puis très vite, on comprend que ça parle des coulisses du pouvoir, des stratégies de communication: est-ce qu'un empereur ou un président doit plaire à l'opinion publique ou se faire craindre ? Ce sont des questions qui sont vraiment celles du pouvoir encore aujourd'hui", explique-t-il.
Lorsque les comédiens lui ont demandé ce qu'ils devaient lire pour préparer la pièce, il leur a plutôt conseillé "de regarder House of Cards ou Borgen".
Une grande salle de réunion, des portes derrière lesquelles se manigancent de sombres desseins, des comédiens en costumes sombres comme à la Maison Blanche: le cadre froid est celui d'un lieu de commandement aujourd'hui.
"Stéphane Braunschweig voulait le décor d'un haut lieu de pouvoir, ça pouvait être la Maison Blanche, l'Elysée ou bien Moscou, chez Poutine", raconte la comédienne Dominique Blanc, qui a intégré en mars dernier la Comédie-Française pour incarner Agrippine.
Si la pièce écrite par Racine en 1669 s'appelle "Britannicus", ce dernier n'est qu'un des pions de la sombre machination montée par Agrippine. "Ma tragédie n'est pas moins la disgrâce d'Agrippine que la mort de Britannicus", écrivait Racine dans sa préface.
Agrippine, mère de Néron, a oeuvré sans relâche pour placer son fils sur le trône, mais celui-ci l'écarte et suit ses propres penchants. On est à un tournant du règne de celui qui restera un des pires tyrans de Rome dans la postérité.
Vaincre ou périr
Dominique Blanc campe une formidable Agrippine, une femme puissante, qui lui rappelle la marquise de Merteuil qu'elle vient de jouer dans "Les Liaisons dangereuses".
"Cette Agrippine est une guerrière et tout comme la marquise de Merteuil, ce qui l'intéresse, c'est vaincre ou périr", lance-t-elle. "On méconnait totalement cette femme, c'était un grand génie politique, un fin stratège", explique-t-elle.
Stéphane Braunschweig a voulu une Agrippine "loin des clichés habituels". "On a pas ce cliché d'Agrippine en fureur, sa couleur dominante est sa détermination, sa vitalité aussi."
Le front haut et le verbe incisif, Dominique Blanc est impériale. Tour à tour autoritaire et enjôleuse, elle tente en vain de contrer la soudaine autonomie de Néron qui, après deux ans de règne vertueux, s'affranchit pour le pire de l'autorité de sa mère et de ses conseillers.
Dans le rôle de Néron, Laurent Stocker campe toute l'ambiguïté du personnage, entre fils falot et empereur cruel. Le jeune Britannicus de Stéphane Varupenne est tout en candeur et innocence. Les conseillers, le sage Burrhus (Hervé Pierre) et le fourbe Narcisse (Benjamin Lavernhe) sont d'une grande justesse.
Dans la bouche des comédiens du Français, les alexandrins coulent avec une telle fluidité qu'on n'y prend pas garde.
Le pouvoir, le sexe, le poison: tous les ressorts des séries sont là. Néron est le jouet de sa passion soudaine pour Junie mais celle-ci aime Britannicus, et il ira jusqu'à empoisonner son rival.
"Il n'y a pas de raison pour que les hommes politiques soient des machines, ils sont comme tout un chacun pris dans des affects. Ce dont parle Racine, c'est l'intrication des affects et du politique et ça a quelque chose d'assez effrayant évidemment", remarque Stéphane Braunschweig.
Un thème qui trouve une résonance dans l'intrusion de la vie privée dans le politique aujourd'hui.
"On a voulu raconter cette histoire non pas comme une pièce de musée du 17e siècle français mais comme une pièce qui nous raconterait une part du monde d'aujourd'hui à travers une part du monde d'hier."
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Le spectateur de Belleville
November 29, 2013 11:39 AM
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Jean-Louis Martinelli porte la tragédie de Racine à l'incandescence au Théâtre Nanterre-Amandiers. Anne Suarez est une Phèdre capiteuse, irrésistible.
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September 25, 2012 3:09 PM
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Jean-Louis Martinelli, qui explore avec fermeté le répertoire contemporain, et pas le plus facile, aime revenir régulièrement au grand répertoire classique. Il a monté par deux fois Andromaque et, il y a quelques années il avait donné à Marie-Sophie Ferdane l'un de ses plus beaux rôles, Bérénice. Il met cette fois en scène Britannicus. Il le fait avec encore plus de simplicité, s'intéressant à ce qui se dit et appuyant son travail sur une distribution forte. Sept interprètes qui sont de très grandes personnalités pour les amateurs de théâtre. Ce qui séduit le plus ici, par-delà l'exactitude de la distribution, c'est l'entente, l'harmonie qui unit les interprètes : il ont en partage un sens uni de la langue. Elle est dite subtilement, sans démonstration, mais avec un respect musical profond des vers et du sens. Armelle Héliot pour son blog "Le Grand Théâtre du Monde" CLIQUER SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE Autre critique : Stéphane Capron pour sceneweb.com : http://www.sceneweb.fr/2012/09/britannicus-l%E2%80%99aridite-au-service-du-texte-de-racine/ Theatre du blog : http://theatredublog.unblog.fr/2012/09/25/britannicus-2/ Jusqu'au 27 octobre Nanterre-Amandiers, à 20h30 du mardi au samedi, sauf jeudi, à 19h30 et en matinée à 15h30 le dimanche. Durée : 2h10 sans entracte (01 46 14 70 00). www.nanterre-amandiers.com
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Le spectateur de Belleville
November 22, 2023 8:33 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 22 nov. 2023 Le metteur en scène signe une adaptation rigoureuse de l’œuvre, appuyant sur l’inéluctabilité de la tragique destinée de ses personnages.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/11/21/andromaque-a-l-odeon-theatre-de-l-europe-stephane-braunschweig-ancre-la-piece-de-racine-dans-une-virilite-dont-il-fait-le-proces_6201538_3246.html
« Bien mal acquis ne profite jamais », affirme le dicton. Lorsque, après des tours, des détours, des ruses, des chantages, des menaces, des promesses, des massacres, des suicides, un mariage, Andromaque obtient tout de ce qu’elle voulait – la survie de son fils Astyanax – et de ce qu’elle ne voulait pas – la couronne grecque déposée par le roi Pyrrhus sur sa tête –, elle se fige, son enfant dans ses bras, ses pieds dans une mare rouge. A quoi pense, à cet instant précis, la veuve du Troyen Hector, dont le peuple a péri sous les épées des Grecs ? Dans le regard incrédule de la comédienne Bénédicte Cerutti, un cauchemar semble se rejouer en accéléré. Une heure cinquante et cinq actes plus tôt : une mare rouge, une scène noire, une table et quatre chaises blanches. Trois couleurs enserrent la pièce de Jean Racine à l’intérieur de signes éloquents : le sang (des luttes), le deuil (de l’héroïne), la virginité (de l’enfant). Stéphane Braunschweig aménage, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, une architecture visuelle explicite qui glace le drame dans l’éternel conflit entre passion et raison. Il signe une mise en scène classique dont le parti pris rigoureux n’émeut pas, et tant mieux : aucun sentiment parasite ne vient entraver le déroulé d’une logique mathématique dont l’issue est inéluctable. Les enfants de Ménélas, Hélène, Achille et Agamemnon sont les jouets d’une histoire qui s’écrira en dépit d’eux. On a beau le savoir, on s’en étonne plus que jamais devant cette représentation. Les alexandrins de Racine forent jusqu’à l’os les états d’âme des personnages. La parole est traîtresse : dernier rempart avant la sauvagerie, elle est aussi l’instrument qui arme le coup à venir. Proférée avec efficacité par les comédiens, elle ne trébuche pas trop (sauf en de rares occasions) sur les pièges de la psychologie mais se soumet à une géographie stratégique. Au cœur du dispositif, la table des négociations où Oreste et Pyrrhus discutent en chefs de guerre du sort des prisonniers troyens. Amours mal ajustées Aux marges de la mare de sang, les trajectoires suivies par les protagonistes cartographient une guerre de territoire. Montre au poignet, Oreste (Pierric Plathier) grimpe en scène. Emissaire des Grecs, il vient réclamer la tête de l’enfant troyen. Et tenter de récupérer, au passage, Hermione (Chloé Réjon), laquelle emprunte une diagonale pour quitter des coulisses où Pyrrhus (qui ne l’aime plus) aimerait l’oublier. Pyrrhus, donc (Alexandre Pallu), en treillis militaire, foule le sol à grandes enjambées. Il est partout chez lui dans l’Epire (Grèce) mais n’est plus maître de son cœur puisque fou d’Andromaque, sa captive, victime et future reine devant qui les portes en fond de plateau s’ouvrent en grand. Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime Hector, qui est mort : la ritournelle a retenu de la légende l’entrelacs fatidique d’amours mal ajustées. Parce que les mots ne sont pas vaporisés par les comédiens mais éjectés (parfois trop) en force de leurs corps, ils strient l’espace. Les costumes sont unanimement masculins. Le spectacle s’ancre dans une virilité dont il fait le procès, étirant la brutalité des hommes jusqu’aux rivages contemporains. « Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir ? », reproche Pyrrhus à Andromaque. Impossible, alors, de ne pas penser aux coupables de féminicides qui imputent à leurs victimes la responsabilité de leur crime ; de ne pas noter le « non-consentement » maintes fois réitéré de la prisonnière à son bourreau ; de ne pas constater le masculinisme croissant d’Hermione à mesure qu’elle se réduit à son désir de vengeance. La mise en scène dépose sur ces héros pulsionnels un éclairage dur mais lucide. Une lumière crue qui ne s’adoucit qu’avec Céphise (formidable Boutaïna El Fekkak), la confidente d’Andromaque, seule à plaider pour moins de radicalité et plus de nuance, moins d’absolutisme et plus d’intelligence. Ni Racine ni Braunschweig ne prennent à la légère ce qui se passe dans l’antichambre du pouvoir. « Andromaque », de Jean Racine. Mise en scène : Stéphane Braunschweig. Avec Jean-Baptiste Anoumon, Bénédicte Cerutti, Boutaïna El Fekkak, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, Clémentine Vignais. Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris 6e). Jusqu’au 22 décembre. Joëlle Gayot /Le Monde
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September 26, 2020 6:51 PM
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Par Armelle HÉLIOT dans son blog - 26 septembre 2020
Stéphane Braunschweig signe la mise en scène de la tragédie de Racine dans une scénographie marquée par la distanciation. Cela donne une sévérité certaine à la représentation portée par un ensemble de comédiens sensibles répartis en formations changeantes. Si l’on en croit les photographies du livret de salle remis aux spectateurs des Ateliers Berthier, il n’y a pas seulement deux comédiens en alternance pour chaque rôle dans ce travail, mais une combinaison très changeante, mouvante comme l’est discrètement la mer immense qui sert de double toile de fond à la représentation d’Iphigénie. L’entrée dans l’immense espace impressionne. Un podium central recouvert de noir, comme l’ensemble de cette halle. Avec simplement deux chaises. De chaque côté, sur le sol, sont installées les mêmes chaises, blanches, deux par deux. Les murs, à l’arrière de chaque ensemble de sièges, portent d’immenses écrans sur lesquels seront continûment diffusées des images de la mer, la mer à l’infini et le ciel parfois déchiré du vol d’un oiseau. L’une des extrémités de l’estrade centrale s’ouvre sur les corridors de la salle, l’autre est fermée par une paroi et une porte. Une fontaine à eau flanque l’un des côtés. Stéphane Braunschweig l’explique, il a commencé à travailler avec les comédiens au printemps dernier et a pensé cet espace, cette scénographie qu’il signe, dans la perspective de la pandémie et de la distanciation. Curieusement, la mort hante le lieu, évoquant les froids et monumentaux funérariums de certains pays. Mais Iphigénie ne peut s’inscrire autrement que dans un monde que hante la mort. Mort à venir, et mort du monde même puisque les vents sont tombés et aucun souffle ne semble vouloir jamais reprendre. Le dispositif impose aux protagonistes un éloignement certain, mais parfois les personnages se retrouvent, se rapprochent, s’agrippent les uns aux autres et alors, il faut l’avouer, l’émotion touche plus. Un léger défaut affecte la sonorisation : cela peut se corriger. Mais le soir où nous avons vu Iphigénie, le si talentueux Claude Duparfait, Agamemnon, donnait le sentiment de faire exploser les syllabes, effet dommageable et amendable, qui s’est d’ailleurs estompé au fil du jeu. La blonde et délicieuse Cécile Coustillac, jolie personne de la troupe informelle de Stéphane Braunschweig, possède la lumière, la candeur, la grâce, la voix superbe d’une idéale Iphigénie. Elle connaît d’ailleurs l’œuvre pour l’avoir fréquentée il y a des années. Mais, attention, le podium ne pardonne rien et on voit trop cette merveilleuse jeune fille parler en tendant l’index pour appuyer ses propos. C’est tellement difficile d’être debout sur ce plateau, un pantalon et un petit chemisier, comme si elle revenait de la plage, regardée de tous les côtés en légère contre plongée. Ils ont du cran, tous ces interprètes, qui n’ont aucun appui, n’étaient parfois quelques chaises sur lesquelles ils s’asseyent. Mais ils ont la langue, ils ont Racine, ils servent un chef-d’oeuvre. Peu monté. On n’oublie pas une bouleversante Iphigénie, à la Comédie-Française, il y a trente ans, par Yannis Kokkos, avec Valérie Dréville dans le rôle-titre. On oublie une version laborieuse, il y a quelques étés. La pièce est difficile. De l’intime aux manoeuvres politiques, de l’amour aux nécessités de la guerre, Racine plonge au plus profond des atermoiements des êtres. Le mythe, la grande histoire, mais l’humanité aussi, palpitent en une oeuvre construite magistralement et audacieuse. Rien d’encalminé, ici. Sauf les navires. Claude Duparfait, comédien d’exception, laisse sourdre les flottements du grand Agamemnon, jusqu’à sa lâcheté. Mais il laisse apparaître aussi le débat, la déchirure. D’une manière de se mouvoir, de ployer, d’avoir des fêlures dans la voix : « Vous y serez ma fille », répond-il à Iphigénie, lorsqu’elle demande si son « heureuse famille », sera présente lors du sacrifice que doit accomplir Calchas. Achille, ce soir-là, était joué, parfaitement, par un Pierric Plathier vulnérable, perturbé par ce qu’il devine des menaces. Face à eux, Ulysse, Sharif Andoura, Ulysse sans état d’âme, au début. Pas le choix. Pas de question à se poser. Mais il acceptera le dénouement… Arcas, Thierry Paret, tient parfaitement sa partition, comme le font Astrid Bayiha, Doris, Aegine, Clémentine Vignais, Eurybate, Glenn Marausse. Anne Cantineau est une Clytemnestre fermement dessinée, avec ce qu’il faut d’autorité au personnage, sans amoindrir la passion maternelle. Brune et dorée, d’essence tragique est l’Eriphile de Chloé Réjon, aussi séduisante que déterminée. Théâtre de l’Odéon aux Ateliers Berthier, du mardi au samedi à 20h00, le dimanche à 15h00. Relâches les 27 septembre, 11, 25, 31 octobre et 1er novembre. Durée : 2h15 sans entracte. Tél : 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu Légende photo : Cécile Coustillac, Iphigénie, Pierric Plathier, Achille. Photographie de Simon Gosselin. DR.
Une « Phèdre » baroque Par Léna Martinelli Les Trois Coups.com Quand la passion…
Via marsupilamima
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Le spectateur de Belleville
October 16, 2012 7:34 PM
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Troisième tragédie de Racine que Jean-Louis Martinelli monte à Nanterre en dix ans, Britannicus est sans doute la plus réussie de ces mises en scène. Une grande sobriété dans la mise en espace et la direction d’acteurs produit ici un spectacle de haute tenue, un rien corseté dans son respect du vers et du hiératisme classiques, mais parfaitement pertinent, intelligible et nuancé. La distribution prend le parti d’une différenciation des rôles selon leur genre (des personnages féminins centrés, des figures masculines instables) pour explorer au mieux la complexité des liens de l’amour et du pouvoir. David Larre pour le blog "Au poulailler"
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