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Le spectateur de Belleville
September 3, 2024 11:27 AM
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Par Catherine Robert dans La Terrasse - 28 août 2024 Dans une nouvelle distribution, Pauline Bayle reprend son adaptation de la deuxième partie d’Illusions perdues, qu’elle dirige avec une maestria époustouflante. Un chef-d’œuvre, à voir absolument ! En octobre 1917, Proust disait, dans une lettre à René Boylesve, son « admiration infinie » pour Illusions perdues. Un siècle plus tard, Pauline Bayle signe une version théâtrale de ce roman qui provoque le même enthousiasme ! Après avoir déjà très largement prouvé son intelligence de l’adaptation et sa maîtrise de la mise en scène en portant la geste homérique au plateau, Pauline Bayle a récidivé avec le récit de l’ascension, du triomphe et des déboires de Lucien de Rubempré. Elle réussit un spectacle d’une force, d’une beauté, d’une tenue et d’une qualité dramaturgique exceptionnelles. Voilà une pièce qui réussit à lier une insolente audace artistique à une accessibilité totale. L’excellence à la portée de tous : peu d’artistes méritent une telle estampille ! Sur le plateau nu, il suffit de quelques chaises pour faire surgir la conférence de rédaction de Finot, et d’une petite estrade pour faire renaître la scène du Panorama-Dramatique où Coralie séduit Lucien. Le meilleur de Balzac, et plus encore ! Le théâtre, « trône de l’illusion », disait Balzac : rarement plus brillants princes l’ont occupé que les cinq complices de cette exploration des heurs et malheurs d’un poète de province monté à Paris pour y conquérir la gloire et se brûler les ailes… « Balzac, grand, terrible, complexe aussi, figure le monstre d’une civilisation et toutes ses luttes, ses ambitions et ses fureurs. » disait Baudelaire. L’ascension et la chute de Rubempré se passe sous la Restauration. Serait-ce parce que cette période se termina par les Trois Glorieuses ou seulement parce qu’elle se caractérisa par le règne des petits esprits, étriqués, mesquins, égoïstes et médiocres : toujours est-il que ce que décrit Balzac résonne étonnamment à notre époque. Gabegie politique et mise à l’encan de la culture : l’actualité du propos est stupéfiante et le choix des costumes, du phrasé et de la gestuelle contemporaines renforcent cette évidence. « C’est l’œuvre capitale dans l’œuvre » disait Balzac à Madame Hanska à propos d’Illusions perdues. De cette œuvre capitale, Pauline Bayle et les siens font un chef-d’œuvre ! Catherine Robert / LA TERRASSE Illusions perdues du samedi 7 septembre 2024 au dimanche 6 octobre 2024 Théâtre de l’Atelier 1 place Charles Dullin, 75018 Paris du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h. Tél : 01 46 06 49 24. Durée : 2h30. Spectacle vu à l’Espace 1789 de Saint-Ouen.
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Le spectateur de Belleville
October 12, 2021 6:48 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 12 oct. 2021 Photo Simon Gosselin Le spectacle vif et percutant, enthousiaste et enlevé, de Pauline Bayle s’inspire des Illusions perdues (1937-1843) d’Honoré de Balzac, de la toute fin du premier volet, du deuxième et du début du troisième – Un grand homme de province à Paris et Les Souffrances de l’inventeur. Illusions perdues est la chronique cruelle et virtuose d’une presse que l’on pourrait dire corrompue. Lucien Chardon, poète, acquiert un renom littéraire dans les cercles mondains d’Angoulême où il se laisse séduire par Mme de Bargeton : il s’enfuit à Paris avec elle. Lucien de Rubempré (du nom de sa mère) fait l’apprentissage de Paris, et des milieux de la littérature et de la presse. D’abord partagé entre le cercle de Daniel d’Arthez, que caractérise la pureté de l’esprit et de l’âme, et le journalisme, où l’introduit Lousteau – le journalisme et la « librairie », où règnent la corruption, l’envie et l’arrivisme, Lucien finit par se prêter au jeu en éreintant le dernier livre de Nathan, le protégé du tout-puissant libraire Dauriat qui est réduit du coup à accepter un manuscrit de Lucien. Connaissant ainsi le succès, Lucien est sollicité et adulé, sur une voie entachée de périls qu’il ne maîtrise pas. Après la gloire, il tombe dans la misère, suivant le cours d’une chute jalonnée d’une suite de péripéties. Il regagne Angoulême comme un vagabond en songeant à se donner la mort. Or, David Séchard, son ami d’Angoulême, poète et imprimeur, a été emprisonné pour dettes – conséquence d’une indélicatesse de Lucien, qui se perd en remords et volonté d’en finir. C’est alors qu’il rencontre un étrange prêtre espagnol, Carlos Herrera – qui n’est autre que Vautrin. Celui-ci s’engage à sauver Lucien et même à faire sa fortune. Lucien accepte de se livrer à lui… Vautrin est une personnification pré-nietzschéenne des idées de Balzac sur la puissance. Balzac se met lui-même en scène dans sa Comédie humaine, sous divers déguisements, entre autres celui de d’Arthez, l’écrivain parfait dans Illusions perdues, type qu’il voulait devenir lui-même. Lucien de Rubempré dessine un profil pris entre le choc de vivre violemment et peu, ou vieux et replié sur soi. La meilleure illustration de ce thème est offerte par la propre vie de Balzac, qui se consume au feu où l’oeuvre se forge – il conquiert la célébrité à travers une abondante production journalistique, séduisant nombre de maîtresses alors qu’il noue une relation épistolaire avec Mme Hanska, qu’il n’épouse qu’en 1850; il perd beaucoup d’argent et se couvre de dettes avant de « se refaire » peu à peu. (Dictionnaire de Littérature française, Henri Lemaître, Bordas) Pour la metteuse en scène Pauline Bayle, Illusions perdues dresse la trajectoire d’un jeune garçon projeté dans un univers dont il n’a pas les codes – initiation et apprentissage du succès. Lucien Chardon est un jeune ambitieux attiré par la gloire, l’amour et l’argent, hésitant entre la jouissance et la gloire littéraire, entre la facilité – tentation de profiter – et l’exigence supérieure de la création. Des personnages foncièrement théâtraux, bourrés de contradictions, d’hésitations, d’humanité. Soit le récit ancré dans le réel d’un Paris de toujours, entre rêves dorés de pacotille et sentiment de solitude, sans nulle possibilité de consolation – un apprentissage et un désenchantement. Dans la scénographie de Pauline Bayle et Fanny Laplane, une installation scénique quadri-frontale, les spectateurs se voient dans les yeux les uns des autres, partageant une situation identique, isolés et ensemble à l’intérieur du théâtre, comme au coeur de la ville parisienne tentaculaire, depuis le XIX è siècle jusqu’aux deux premières décennies du XXI è siècle. Sentiment d’Isolement dans le brassage de la foule, d’anonymat et de renoncement à soi dans la perception précipitée d’un empressement général, au rythme effréné des rues urbaines : aller à tel rendez-vous professionnel dans la hantise de ne pas réussir l’entretien ou bien rencontrer l’aimé/e. Ils sont cinq sur le plateau nu qu’un rideau initial face public principal cache d’abord pour la présentation du héros par lui-même du roman balzacien, Lucien de Rubempré, qui s’explique librement. Le rôle est porté par Jenna Thiam – innocence d’une jeune fille/garçon très impliquée. Et Charlotte Van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja et la participation de Viktoria Kozlova en alternance avec Pauline Bayle, interprètent une vingtaine de personnages avec fougue et emportement, l’élan de celui ou de celle qui se sait à sa place et se bat pour la sauvegarder ou conserver, revêtant telle veste, retirant tels escarpins ou telle écharpe. Ils s’épanouissent pleinement sur la scène, dégageant des bras levés en l’air, se tournant, arpentant la circularité du plateau, courant parfois ou bien se figeant pour se rétracter, comme si le corps imposait sa voix et sa loi – incarnation physique et sportive du vivant sur la scène théâtrale. Quand deux personnages s’expriment dans l’échange d’arguments, les autres se tiennent aux quatre coins du plateau, assis avec le public, attendant leur heure pour intervenir judicieusement. Les grands journaux, les partis politiques – les Libéraux et les Royalistes -, les théâtres et les maisons d’édition, les milieux les plus troublés et troublants emportent le public dans un tournis. Dans les moments furtifs de liesse juvénile partagée qui fêtent l’apparence de la réussite et du succès, les cinq comédiens s’en donnent à coeur joie, dansant et tapant du pied sur des musiques évocatrices de notre temps, chantant leur désir d’en découdre et de parvenir enfin aux objectifs qu’ils se sont donnés. Or, le narrateur fait état de l’incandescence d’instants fulgurants vite gâchés. Le spectacle de Pauline Bayle, de plus, offre des moments de théâtre dans le théâtre – Charlotte Van Bervesselès incarne la comédienne Coralie, amante de Julien et maîtresse d’homme fortuné, livrant les points de vue littéraires et balzaciens sur l’existence, la mort et la puissance de l’amour. Une fête théâtrale, une rencontre conviviale, un bonheur de partage entre la scène et la salle. Véronique Hotte Jusqu’au 16 octobre 2021 à 21h, relâche le dimanche, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette 75011- Paris. Tél : 01 43 57 42 14, www.theatre-bastille.com. Le 9 novembre, 3 Pierrots – Saint-Cloud. Le 16 novembre, Salmanazar – Epernay. Le 23 novembre, Tangram- Evreux. Le 26 novembre, Le Rayon Vert – Saint-Valéry-en-Caux. Le 7 décembre, Carré Belle-Feuille – Boulogne. Les 21 et 22 janvier 2022, La Ferme du Buisson – Noisiel. Du 1er au 4 mars, La Coursive – La Rochelle. Le 8 mars, Théâtre de la Madeleine – Troyes. Le 11 mars, Théâtre Jean Vilar – Vitry. Le 15 mars, L’Hectare – Vendôme. Le 19 mars, Théâtre et Cinéma Georges Simenon – Rosny-sous-Bois. Du 22 au 24 mars, Théâtre d’Angoulême – Scène nationale. Le 2 avril, Théâtre Louis Aragon – Tremblay-en-France. Le 5 avril, Théâtre des 4 saisons – Gradignan. Les 8 et 9 avril, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN. Le 22 avril, Espace Lino Ventura – Garges-les-Gonesse. Du 26 avril au 6 mai – relâche le dimanche -, Le Quai – Angers. Le 9 mai, Théâtre d’Aurillac. Le 12 mai, Théâtre Romain Rolland – Villejuif. Les 17 et 18 mai, Le Cratère- Alès. Les 14 et 15 juin, Anthea – Antibes.
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Le spectateur de Belleville
March 17, 2020 10:17 AM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde - 11mars 2020 La metteuse en scène Pauline Bayle et ses cinq comédiens proposent une version « dégenrée » de l’œuvre de Balzac, très réussie et enthousiasmante.
Chaque génération a ses Illusions perdues. Le Théâtre de la Bastille présente celles de trentenaires qui n’ont pas froid aux yeux : ils se jettent dans le roman d’Honoré de Balzac (1799-1850) comme on se jette sur un ring, avec la volonté d’en découdre, d’expérimenter et de comprendre ce qu’il en est de l’ambition dans une France tiraillée entre la province et Paris, aimantée par l’argent et la réussite.
Cette France, qui relie celle de 1820 à la nôtre, Pauline Bayle et ses comédiens l’abordent d’une manière simple, directe, frontale. Et c’est aussi enthousiasmant que Iliade/Odyssée, d’après Homère, qui leur a valu un franc succès et les a lancés, en 2017.
Lire la critique d’« Iliade/Odyssée » (en janvier 2018) : Le retour d’Ulysse en héros d’aujourd’hui Pauline Bayle aime travailler les grands textes littéraires. En les portant à la scène, elle se sent libre d’inventer son théâtre, et laisse en retour les spectateurs libres de s’inventer leurs images. Tout repose sur les mots qui claquent sur le plateau nu où les comédiens ne sont pas costumés : ils portent des vêtements de ville, et il suffit d’un rien pour qu’on les identifie.
Au début, Lucien Chardon est vêtu d’un pantalon trop court et un haut noir qu’il troque contre une chemise blanche quand il devient journaliste. Quand il prend de l’assurance, il dénoue ses cheveux. De longs cheveux auburn de femme. Car Lucien est joué par une comédienne (Jenna Thiam), dans ce spectacle naturellement « dégenré » où le sexe importe moins que l’incarnation, et où la ronde des personnages ressemble à une valse intranquille.
Ils sont cinq en tout, à se partager dix-huit rôles, dont celui du Narrateur, qu’ils endossent chacun à leur tour
Ils sont cinq en tout, à se partager dix-huit rôles, dont celui du Narrateur, qu’ils endossent chacun à leur tour. Seul Lucien reste Lucien, sans devenir Eve, Madame d’Espard, Coralie, Camusot, Dauriat, Madame de Bargeton, Raoul Nathan…, soigneusement choisis par Pauline Bayle pour donner aux Illusions perdues l’élan d’un récit accessible à tous, et à Paris les contours d’une ville qui broie ceux qu’elle n’encense pas, selon l’humeur du moment et avec la complicité de la presse. On sait tout le mal qu’Honoré de Balzac pensait des journaux. « Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. »
Une lucidité ravageuse On ne s’étonnera pas que Balzac fasse un tabac avec cette charge qui réactive la défiance actuelle envers la presse. Mais Pauline Bayle et son équipe n’en tirent pas un argument démagogique. Ils mettent au jour une mécanique essentielle dans l’ascension puis la chute de Lucien, parti de son Angoulême natal avec le rêve de s’imposer comme écrivain à Paris.
A ce Lucien fébrile, trop faible pour devenir un Rastignac, le spectacle donne les couleurs d’un oiseau de l’art de notre siècle qui cherche sa place, veut réussir et se demande comment satisfaire son ambition sans se compromettre. Les allusions trop datées sont écartées au profit des lignes de crête qui relient hier à aujourd’hui, l’argent, le pouvoir, l’amour, l’amitié et la trahison.
Paris est un théâtre, dans cette société française où Lucien navigue entre l’aristocratie et les cercles artistiques : sa belle apparence policée devient sale et hostile, comme quand on passe de l’avant à l’arrière d’un décor. Et, de même qu’« on peut être brillant à Angoulême, mais insignifiant à Paris », il faut savoir que « la confiance est un bâton dont on se sert pour battre ses voisins », dans cette hydre de la capitale où le chemin, pour publier un livre, peut devenir un chemin de croix, et où il vaut mieux « attendre d’être riche avant de faire des vers ». Quitte, pour y arriver, à passer par le journalisme, soit à devenir « un acrobate » jonglant entre les intérêts des uns et des autres pour faire avancer les siens.
Pauline Bayle et ses comédiens savent entraîner le public avec eux, ils tiennent le parti pris d’un jeu sans apprêts, formidablement efficace, et ils ne lâchent pas
La règle du jeu est cruelle, et l’illusion, mortelle. Dans le spectacle, nous les voyons, en direct, prendre Lucien dans leurs rets. Il n’y a nul romantisme ni cynisme chez Pauline Bayle et ses comédiens. Mais une énergie vibrante et une lucidité ravageuse. Ils savent entraîner le public avec eux, ils tiennent le parti pris d’un jeu sans apprêts, formidablement efficace, et ils ne lâchent pas. A certains moments-clés, ils créent des images d’une beauté folle, comme l’apparition de Coralie sur un podium : elle parle de « la ville tentaculaire » – un des plus grands passages du roman de Balzac –, Lucien l’écoute et aussitôt l’aime.
On verra, vers la fin, la même Coralie recevoir des œufs pourris. La comédienne rêvait son amant en roi de Paris, et le voilà jouant leurs derniers francs, gagnant puis perdant tout. Il est loin alors le temps où, adoubé par les journalistes en vue, Lucien entrait dans une sarabande en forme de sabbat, une danse d’initiation, éclatante, délurée, flamboyante, que les comédiens poussent à son acmé.
Formés pour la plupart au Conservatoire, ces trois filles et ces deux garçons sont excellents. Citons-les : Charlotte Van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja, Jenna Thiam. Totalement engagés dans le projet de Pauline Bayle, ils sondent le cœur glacial et brûlant des Illusions perdues.
« Illusions perdues », d’après Honoré de Balzac. Adaptation et mise en scène : Pauline Bayle. Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, Paris 11e. Jusqu’au 10 avril. De 15 € à 25 €. Dates et lieux de la tournée sur le site de la Compagnie A Tire-d’Aile. (représentations interrompues le 13 mars après l'annonce gouvernementale)
Brigitte Salino Légende photo : Charlotte Van Bervesselès et Jenna Thiam dans « Illusions perdues », d’après Honoré de Balzac, à Albi, le 7 janvier. SIMON GOSSELIN
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Le spectateur de Belleville
October 18, 2018 6:37 PM
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Par Anne Diatkine Dans Libération — 18 octobre 2018 à 19:06 Dans le monologue «Clouée au sol», la comédienne incarne une pilote de l’air dépressive car déclassée et affectée au maniement de drones.
Sur scène, la comédienne et metteure en scène Pauline Bayle n’est pas clouée au sol mais bien plantée, ses pieds ne se déplacent quasiment pas, et c’est son souffle, sa respiration abdominale, la manière dont elle s’empare physiquement du texte, dont elle accélère, dont tout son corps s’émeut, qui sont la base de ce spectacle minimaliste, où une femme lutte contre la dépression par le survoltage, l’emballement du langage, et la minutie. Le sommeil cesse évidemment quand les mots se mettent en boucle sans possibilité d’appuyer sur la touche stop. Et c’est cette excitation de la pensée, ces ruptures de rythmes, l’enthousiasme désespéré de celle qui ne va pas tarder à chuter, que Pauline Bayle réussit particulièrement à transmettre, sans exagération. La crise maniaque peut ne pas être spectaculaire.
Minimaliste ? Une actrice, un éclairage quasi unique, quelques bruitages imperceptibles dont on note la présence lorsqu’ils se calment à la manière d’un réfrigérateur qui cesse de ronronner : la mise en scène de Gilles David, sociétaire de la Comédie-Française, a besoin de peu pour faire entendre ce drôle de monologue de George Brant, dramaturge américain inédit en France, qui nous exhorte à nous intéresser aux drones et au stress post-traumatique des militaires chargés de les surveiller. La déflagration psychique est d’autant plus importante que le geste du militaire est déconnecté de sa conséquence. Autrement dit, c’est par un mouvement de manette effectuée dans une base à Las Vegas qu’il tue en Irak, en Afghanistan, ou ailleurs, dès lors qu’un «ennemi» bouge. Les mots de George Brant nous immergent donc dans la voix d’une des très rares femmes pilotes au sein de l’US Air Force, obligée de renoncer à son rêve «de ciel bleu» pour cause d’amour et d’enfantement, car elle est ensuite déclassée, enfermée toute la journée «dans une caravane climatisée», aux commandes d’un drone, le regard constamment fixé à l’ordinateur, qui montre «le gris du sol», à la place «du bleu du ciel». Si la femme est chargée d’abattre des humains à la manière d’un jeu vidéo, c’est sans armes égales avec l’ennemi, qui ne peut pas riposter. De là à se prendre pour «l’œil de Dieu», il n’y a qu’un pas, que la militaire renvoyée à son rôle de mère de famille franchit, tout en s’occupant de sa fille qu’elle embarque dans les grandes surfaces ultra filmées, et de son mari, vigile dans un casino. La manière dont les caméras de surveillance envahissent tout l’espace du couple est paradoxalement bien rendue par l’absence de vidéo dans la mise en scène. La facilité aurait été de projeter des images de drones ou de caméra de surveillance.
Pauline Bayle, 30 ans, fait partie des metteures en scène à l’ascension rapide. Elle s’était attaquée à l’épopée d’Homère au Théâtre de la Bastille à Paris, il y a un an, spectacle que Libération n’avait apprécié qu’avec modération. C’est cependant avec la même économie de moyens qu’elle l’avait conçu. On la retrouvera en 2019 à la Comédie-Française, au Studio-Théâtre, où elle adaptera le best-seller et prix Goncourt de Leïla Slimani, Chanson douce.
Anne Diatkine Clouée au sol de George Brant m.s. Gilles David. Les Déchargeurs, 75001. Jusqu’au 3 novembre. Légende photo : Pauline Bayle en femme pilote dans «Clouée au sol». Photo iFou pour Le Polle Media
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Le spectateur de Belleville
July 9, 2023 5:30 PM
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Par Emmanuelle Bouchez dans Télérama - 8 juillet 2023 Après avoir adapté Leïla Slimani ou Balzac, la jeune metteuse en scène, directrice du Théâtre Public de Montreuil, puise dans l’œuvre de Virginia Woolf et en livre une lumineuse relecture.
x Le théâtre ne cesse donc de se renouveler. Même âge que Julien Gosselin, Pauline Bayle prend elle aussi ses quartiers avignonnais, au cloître des Carmes. « Une grande joie ! », dit en souriant cette femme pétillante de 37 ans, qui dirige depuis janvier 2022 le Théâtre Public de Montreuil, centre dramatique national. Écrire sa vie sera son premier spectacle au festival depuis sa nomination. La récompense d’un parcours rapide. Car Pauline Bayle, par ailleurs diplômée de Science po Paris où elle a pratiqué le théâtre – sa passion depuis l’enfance – avant d’intégrer le Conservatoire national supérieur d’art dramatique à 23 ans, s’est imposée dans le paysage théâtral en sept années et cinq spectacles, dont Chanson douce, d’après le roman de Leïla Slimani, au Studio de la Comédie-Française en 2019. Mais son talent de metteuse en scène s’était annoncé dès cette Iliade avec laquelle elle débarquait dans le Off d’Avignon en 2016, alors que le spectacle était tout juste primé par les lycéens au festival Impatience du théâtre émergent. À coups de Scotch au sol et de faux sang, elle y racontait l’épopée homérique avec ses compères du conservatoire. Elle se souvient avec émotion d’être allée voir alors, dans le In, le Karamazov monté par Jean Bellorini, 41 ans aujourd’hui et directeur du TNP, à Villeurbanne. « Premier modèle d’une véritable énergie collective, il a désinhibé toute ma génération, à peine plus jeune. » Mais l’incroyable ferveur de sa Compagnie à Tire-d’aile à s’emparer de la grande littérature éclate surtout à l’automne 2021, dans l’adaptation des Illusions perdues de Balzac. Au début du travail, acteurs et actrices ont d’abord joué tous les rôles car mêler les âges et les genres – bien au-delà des questions actuelles – lui permet de déceler « le point de contact humain entre les caractéristiques du personnage et le profil de l’interprète » et de trouver « des combinaisons inattendues ». Émancipée du roman L’ex-comédienne affirme diriger de manière horizontale : en répétitions, tous les métiers de la scène sont invités à croiser leurs « sensations ». Même si elle « tranche » à la fin. Pour tisser, dans Écrire sa vie, une même intimité avec l’œuvre de la romancière anglaise Virginia Woolf (1882-1941), elle a convié ses habituels complices autour des Vagues, le récit de 1931, qui structure le spectacle. Celui-ci ressasse en effet, au fil des saisons, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, la vie rythmée d’attentes et de déceptions d’un groupe d’amis. Comme si l’univers woolfien avait focalisé le désir de création de Pauline Bayle et de sa bande. En renommant les personnages, la metteuse en scène dit s’être émancipée du roman. Elle trame aussi l’histoire de dialogues, au lieu des monologues successifs ; la nourrit d’autres récits (La Chambre de Jacob, ou l’essai Trois guinées) et de l’énorme journal intime, où lui est apparue une artiste dans son époque. « Virginia Woolf a la conscience aiguisée par les guerres européennes dont elle a été témoin à deux reprises. Avant de se tuer, en 1941, elle confiait : “Comment écrire quand le futur n’existe pas ?” » Écrire sa vie, d’après Virginia Woolf, mise en scène Pauline Bayle, Festival d’Avignon, cloître des Carmes, du 8 au 16 juillet à 22 h, relâche le 11. Légende photo : Avec « Écrire sa vie », Pauline Bayle livre une vision toute personnelle de l’œuvre de Virginia Woolf. Photo Julien Pebrel / MYOP
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September 10, 2021 7:16 AM
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Par Philippe Chevilley dans Les Echos -10 septembre 2021 Légende photo : « Illusions perdues », une comédie humaine haletante mise en scène par Pauline Bayle. (© Simon Gosselin/Théâtre de la Bastille) La jeune metteuse en scène Pauline Bayle offre une adaptation lumineuse du roman monstre de Balzac racontant l'ascension et la chute d'un jeune poète ambitieux dans le Paris des années 1820. Du théâtre à cru, cinglant, qui conjugue la grande littérature au présent. Joué une seule fois au théâtre de la Bastille à la veille du premier confinement, le spectacle est repris pour un mois à la mi-septembre 2021. Pauline Bayle a joué de malchance. Après avoir brillamment adapté pour la scène « L'Iliade » et « L'Odyssée » d'Homère, elle s'attaquait en mars 2020, avec la même intelligence, au roman phare de la « Comédie humaine » de Balzac : « Illusions perdues ». Las, à cause du Covid, le spectacle n'a pu être joué qu'un seul soir au théâtre de la Bastille, à la veille du premier confinement. On en gardait un souvenir ébloui et on guettait avec impatience sa reprise. Cadeau de cette rentrée, la fresque balzacienne en 2 h 30 chrono revient à l'affiche pour un mois dans son lieu de création. Riche de 700 pages et de plus de 70 personnages, « Illusions perdues » fut publié en trois parties, de 1837 à 1843. A travers l'ascension et la chute du jeune poète-journaliste Lucien Chardon dans le Paris des années 1820, c'est toute une société bourgeoise ivre d'ambition que décrypte l'écrivain. Ce qui impressionne chez Pauline Bayle, c'est sa capacité à tailler dans le vif : moyennant des coupes judicieuses, elle se concentre sur la deuxième partie du roman, « Un grand homme de province à Paris », et réduit des deux tiers le nombre de personnages. Son texte a l'allure d'un précipité : les dialogues claquent, l'action s'emballe, toujours fluide. Le Paris intellectuel et « arty » d'hier résonne avec celui d'aujourd'hui. La satire sociale (règne des apparences, coups tordus, corruption) est d'une savoureuse acuité. Match à cinq Comme pour son projet « homérique », la metteuse en scène a réuni une troupe resserrée : trois filles et deux garçons surdoués, capables de changer de rôle (et de genre) en un instant. Pas de décor ou presque, mais des effets simples et frappants… Les acteurs jouent leur comédie humaine sur un carré de bois aux allures de ring. Le « match » à cinq est haletant et beau. Avec ses intermèdes chocs, telle cette danse sauvage quand Lucien (irrésistible Jenna Thiam) est « sacré » journaliste par ses pairs… Plus dure, plus poignante sera la chute. Et à la fin, le diable en personne (incarné par Pauline Bayle, en alternance avec Viktoria Kozlova) vient ramasser le jeune homme en morceaux. Un « deus ex machina » qui appelle une suite… A quand « Splendeurs et misères des courtisanes » en 2 h 30 chrono ? Ph. C. Paris, théâtre de la Bastille, du 13 septembre au 16 octobre. www.theatre-bastille.com
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2020 8:50 AM
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Par Catherine Robert dans La Terrasse, n° 284, le 3 février 2020 Pauline Bayle adapte et met en scène la deuxième partie d’Illusions perdues avec une maestria époustouflante, qui l’installe définitivement parmi les meilleurs. Un chef d’œuvre, à voir absolument ! En octobre 1917, Proust disait, dans une lettre à René Boylesve, son « admiration infinie » pour Illusions perdues. Un siècle plus tard, Pauline Bayle signe une version théâtrale de ce roman qui provoque le même enthousiasme ! Après avoir déjà très largement prouvé son intelligence de l’adaptation et sa maîtrise de la mise en scène en portant la geste homérique au plateau, Pauline Bayle récidive avec le récit de l’ascension, du triomphe et des déboires de Lucien de Rubempré. Elle réussit un spectacle d’une force, d’une beauté, d’une tenue et d’une qualité dramaturgique exceptionnelles. Voilà une pièce qui mériterait des spectateurs très nombreux tant elle réussit à lier une insolente audace artistique à une accessibilité totale. L’excellence à la portée de tous : peu d’artistes méritent une telle estampille ! Charlotte Van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano et Alex Fondja se partagent les seconds rôles autour de Jenna Thiam, qui joue Lucien, sur un vaste plateau nu où il suffit de quelques chaises pour faire surgir la conférence de rédaction de Finot, et d’une petite estrade pour faire renaître la scène du Panorama-Dramatique où Coralie séduit Lucien. Le meilleur de Balzac, et plus encore ! Le théâtre, « trône de l’illusion », disait Balzac : rarement plus brillants princes l’ont occupé que les cinq complices de cette exploration des heurs et malheurs d’un poète de province monté à Paris pour y conquérir la gloire et se brûler les ailes… Alex Fondja, poignant dans la vertu adamantine de Daniel d’Arthez, Guillaume Compiano, bouleversant et inquiétant en Camusot blessé, Charlotte Van Bervesselès, déchirante dans la scène où Coralie tombe sous les quolibets, Hélène Chevallier, géniale en Bargeton prétentieuse, sont tous également éblouissants dans le passage d’un rôle à l’autre, pendant que Jenna Thiam, en marathonienne de l’émotion, campe un Lucien dont la naïveté oscille entre veulerie et sensualité, hardiesse et arrogance. « Balzac, grand, terrible, complexé aussi, figure le monstre d’une civilisation et toutes ses luttes, ses ambitions et ses fureurs. » disait Baudelaire. L’ascension et la chute de Rubempré se passe sous la Restauration. Serait-ce parce que cette période se termina par les Trois Glorieuses ou seulement parce qu’elle se caractérisa par le règne des petits esprits, étriqués, mesquins, égoïstes et médiocres : toujours est-il que ce que décrit Balzac résonne étonnamment à notre époque. Compromission de la presse, règne des courtisanes, gabegie politique et mise à l’encan de la culture : l’actualité du propos est stupéfiante et le choix des costumes, du phrasé et de la gestuelle contemporaines renforcent cette évidence. « C’est l’œuvre capitale dans l’œuvre » disait Balzac à Madame Hanska à propos d’Illusions perdues. De cette œuvre capitale, Pauline Bayle et les siens font un chef-d’œuvre ! Catherine Robert
A propos de l'événement Illusions perdues du Mercredi 11 mars 2020 au Samedi 4 avril 2020 Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette, 75011 Paris. Du 11 mars au 4 avril à 21h et du 6 au 10 avril à 20h ; relâche le dimanche et les 27 et 28 mars. Spectacle vu à l’Espace 1789 de Saint-Ouen. Durée : 2h30. A voir aussi les 11 et 12 février au Tandem Douai et le 28 février à la Scène Watteau.
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