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Le spectateur de Belleville
September 25, 2024 8:14 AM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 20 sept. 2024 Comment aller à la rencontre d’un public divers, sans renoncer à proposer des pièces exigeantes ? Depuis des années, nombre de directions et d’artistes s’efforcent de rendre plus accessible l’expérience «irremplaçable» du spectacle vivant. C’est une question entêtante qui revient avec une acuité renouvelée et rallume, à chacun de ses surgissements, des joutes verbales d’une violence qui n’a rien de factice. C’est quoi, le théâtre populaire ? A quoi le reconnaît-on ? Les directions de lieux et artistes ont-ils le droit d’y renoncer ? Pourquoi est-ce un enjeu capital pour les arts vivants, qui traverse de manière bien moindre les autres disciplines, y compris lorsque pour exister elles dépendent de subsides publics ? Et le théâtre populaire, s’il existe, se confond-il avec la nécessité de plaire au plus grand nombre au risque de devenir, ô dévoiement, noyade dans une eau tiède, consensualité ? Cette année, c’est Ariane Mnouchkine qui a rallumé le brasier au moment de la dissolution de l’Assemblée par le président Macron, en évoquant la rupture éventuelle des artistes et du peuple, dans une tribune parue dans Libération. «Je n’ai jamais abandonné l’idée d’un théâtre populaire», nous confiait par ailleurs la metteuse en scène qui répète en ce moment son prochain spectacle, Ici sont les dragons, présenté sur le site du théâtre du Soleil comme «un grand spectacle populaire». L’épithète a ricoché tout au long de la dernière édition du Festival d’Avignon, où elle a été utilisée pour louer en particulier Lacrima, la nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen singulièrement rassembleuse, mais aussi certaines propositions frontales en langue hispanique. De son côté, le directeur du Festival d’Avignon Tiago Rodrigues n’a eu de cesse, toujours en regard de la menace tangible d’une victoire du Rassemblement national, de relier le festival «service public» à l’héritage de son fondateur Jean Vilar, qui écrivait que «l’art populaire du théâtre est comme la santé des hommes, toujours menacé». Et menacé par quoi, selon Vilar ? Par le conformisme, la répétition des mêmes formes, l’incapacité de montrer les tracas et remous du monde, disait-il en substance, et surtout par le poison mortel de l’entre-soi. Contre l’idée courante, Vilar estimait qu’aucun rival ne pouvait atteindre l’art de la scène, pas même les mots croisés dans les années 50 et les combats de gladiateurs au temps des Romains, mais qu’il pouvait mourir, «malgré des salles pleines», s’il perdait contact «avec ceux qui travaillent». Des flèches percutant des préoccupations partagées Pourquoi appeler à la rescousse Vilar aujourd’hui alors même qu’on ne vit plus dans le même monde et que les questions devraient en principe se poser de manière complètement différente ? «Si être dans la tradition de Vilar, c’est monter des classiques sur des tréteaux, je ne suis pas du tout dans cette filiation, explique l’autrice et metteuse en scène Clara Le Picard, qui vit et travaille à Marseille. Mais si cela consiste à inventer des dramaturgies et un langage théâtral qui soit au cœur de nos tourments et réfléchir à leur adresse, alors, oui, je m’inscris dans une démarche vilarienne.» Populaire, le travail de Clara Le Picard le serait donc non en raison d’une diffusion large ou d’une notoriété qu’il n’aura jamais, mais par la structure même de ses projets, conçus comme des flèches ici et maintenant venant percuter des préoccupations partagées. Petite forme, petite jauge où acteurs et spectateurs partagent la même lumière, respirent le même air, et bouleversement maximal : sa dernière création Changer le cadre n’a pas pour vocation de sortir des classes en lycée pro ou général dans lequel il se donne, ce qui réduit drastiquement son public. En premier lieu parce que cette fiction théâtrale sur l’empowerment et les violences sexistes et sexuelles, et dans laquelle les élèves interviennent durant la représentation et infléchissent ainsi le déroulement de la courte pièce, suppose un groupe déjà en confiance. Mais aussi car la metteuse en scène souhaite toucher un public qui pourrait être rebuté par la solennité du bâtiment et «surtout la concentration exigée». Ce que permet cette histoire d’agression lambda qui fait à chaque fois pousser aux adolescents des cris d’effroi alors qu’ils sont habitués à des scènes bien plus violentes via leurs écrans, c’est d’être confrontés ensemble au même moment à une question qui taraude filles et garçons. Trente-deux minutes de représentation, vingt minutes de discussion, la proposition aux effets didactiques n’a cependant rien à voir avec une conférence qui place les élèves dans une situation qu’ils connaissent bien : celle du cours. Clara Le Picard précise : «Je ne dis pas qu’ils se précipiteront le lendemain voir l’intégrale du Soulier de satin. Mais dans leur univers ultra connecté et très solitaire, c’est une expérience du commun qu’ils n’ont plus l’occasion de vivre, et cependant irremplaçable.» Irremplaçable : le mot est lâché qui justifie les tentatives d’hyperdécentralisation que mènent nombre de scènes subventionnées dans leur combat pour multiplier les publics – comme, celles très réussies, à la Comédie de Valence dans la Drôme, notamment. Mais cette foi dans le caractère irremplaçable du théâtre exige que la proposition scénique soit réellement remarquable. On garde le souvenir cuisant dans le Nord de la France d’une représentation devant des résidents en Ehpad dans un village, dont le but inavoué semblait surtout de faire faire des économies à la Sécurité sociale tant les spectateurs s’écroulaient un à un, assassinés par l’ennui. De plus, l’extrême segmentation des publics s’oppose à la définition du populaire, tel que le concevait Jean Vilar et le pensent encore nombre de directions de scènes et d’artistes : atteindre non pas telle ou telle catégorie ou communauté mais à l’inverse qu’elles se rejoignent et transcendent, le temps de la représentation, leurs différences. Vaine utopie alors que, comme le rappelle la sociologue Marjorie Glas (1), les classes populaires ne représentent plus qu’un pourcentage infime des spectateurs y compris dans les salles les plus emblématiques de la décentralisation ? Accepter d’éprouver l’effroi de l’incertitude Pour la metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen, à la tête du Théâtre national de Strasbourg (TNS) depuis un an, on ne peut pas décemment s’intéresser à la composition d’une salle, si on ne se questionne pas sur la diversité sur le plateau et dans les écoles de théâtre. «J’ai besoin de corps, de visages, de trajectoires de vie très différents. Les tout premiers moments de répétitions sont rarement fluides car il nous faut construire cet objet commun qu’est la pièce, alors même que les membres du groupe ne se seraient jamais rencontrés sans elle.» C’est l’ancrage précis et singulier de ses récits qui assurent leur portée «populaire». A ses débuts, il y a une quinzaine d’années, se souvient-elle, «la notion de théâtre populaire était entachée de suspicion, tout comme de s’interroger sur l’adresse des spectacles». Aujourd’hui, c’est une question qu’elle pose d’emblée aux artistes : «Qui souhaiteriez-vous voir absolument dans la salle ?» Quitte à aller chercher la part de ce public manquant, non pas en autobus comme le faisait Vilar à la sortie des usines dans les années 50, mais partout dans la ville, afin, et c’est la grande différence avec l’époque vilarienne, qu’il enrichisse aussi de son expérience ce qui est montré. Hatice Ozer, qui a créé au TNS le Chant du père avec son propre père immigré turc ouvrier et chanteur, a ainsi fait le tour des kebabs à Strasbourg pour qu’il y ait des personnes qui parlent turc dans la salle. L’une des pistes de la directrice du TNS afin que chacun puisse se sentir à sa place «dans l’établissement public à visée républicaine qu’est le théâtre», est notamment «qu’on puisse parler sur scène le turc, le kurde, le vietnamien, l’arabe». Encore faut-il disposer du budget pour sous-titrer les spectacles. Un autre levier est la durée des séries. «C’est l’une des raisons qui m’ont fait postuler au TNS : les spectacles y sont joués longtemps. Les salles bougent beaucoup dès lors qu’un bouche à oreille peut s’instaurer.» On le voit, pour les artistes et les directions, le théâtre populaire n’est pas une forme dégradée ou moins exigeante à laquelle s’opposerait «la Culture». A l’inverse, des formes dites populaires comme le stand-up se théâtralisent à vitesse grand V. En témoigne Cécile, mise en scène de Marion Duval avec Cécile Laporte, performance inclassable de trois heures, invitée par le Festival d’automne et largement diffusée dans le circuit des scènes publiques cette saison. Le montrent aussi nombre de bals menés par des artistes et sur des thématiques spécifiques qui allient savoirs traditionnels et invitations chorégraphiques. Evidemment, plus le lieu du bal s’inscrit dans la mémoire des habitants, plus le bal a des chances d’être ouvert à tous et le théâtre de devenir réellement un lieu populaire. C’est le cas à Clermont-Ferrand où une partie du bâtiment du théâtre a été érigée juste après le confinement à la place de l’ancienne gare routière, ô combien fréquentée. Sous l’égide de Céline Bréant, la programmation POP, acronyme de «Projet ouvert aux populations», peut donc espérer s’incarner et revendiquer un caractère véritablement «populaire» sans pour autant multiplier les têtes d’affiche. A la tête de l’emblématique MC93 à Bobigny, Hortense Archambault, elle aussi, distingue la popularité de la notoriété. «Si être populaire, c’est être connu, le théâtre ne peut l’être, il n’est pas un art de masse. Si on estime que cela signifie travailler à rendre le théâtre accessible en pratiquant des prix très bas, en assurant des médiations, en mettant le public à l’aise, en proposant des sujets contemporains, alors la MC93 l’est.» Aujourd’hui, le public de la MC93 est constitué à 60% d’habitants de Bobigny. Hortense Archambault parle également d’irremplaçable pour qualifier ce que permet le théâtre. Encore faut-il avoir envie de se déplacer pour voir ce qu’on ne connaît pas déjà, et accepter d’éprouver l’effroi de l’incertitude. Serait-ce la raison pour laquelle les femmes et hommes politiques sont si rares à se rendre au théâtre ? Ça n’aurait aucune espère d’importance, si comme nous le disait le comédien Nicolas Bouchaud, ils ne perdaient toute idée de l’utilité du théâtre «service public». Anne Diatkine / Libération (1) Quand l’art chasse le populaire. Sociohistoire du théâtre public depuis 1945 (Agone, «L’Ordre des choses», 2023). Légende photo : «Lacrima» de Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre national de Strasbourg. (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)
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Le spectateur de Belleville
March 24, 2023 11:09 AM
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Par Emmanuelle Bouchez dans Télérama 23/03/2023 Pour la future directrice du Théâtre national de Strasbourg, il est vital que l’humanité dans sa diversité soit incarnée sur scène. Un leitmotiv qui la guide et qu’elle compte porter au cœur de l’école qui l’a formée. Entretien et retour sur son parcours. C‘était en juillet 2017. Le public du Festival d’Avignon découvrait, bouleversé, Saïgon, un spectacle d’une originalité décapante, mêlant l’intimité d’exilés vietnamiens au désastre de l’histoire coloniale française en Indochine. L’autrice et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen, adoubée pour l’occasion, n’en était pas à son premier coup d’éclat avec sa compagnie Les Hommes approximatifs, fondée en 2009, un an après sa sortie de l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Elle y avait rencontré tous ses alliés artistiques et créé avec eux une dizaine de spectacles, sensibles, tissés au cœur des questions sociales – de l’endettement à l’adoption internationale –, souvent inscrits dans des lieux réalistes. Tel ce centre social où elle a campé Fraternité, un « conte fantastique » évoquant la disparition de l’humanité, créé en 2021, cette fois encore à Avignon. À 41 ans, cette grande jeune femme brune à la parole réfléchie, également réalisatrice et épisodiquement actrice (vue récemment dans l’attachant Youssef Salem a du succès, de Baya Kasmi), est l’une des rares dramaturges françaises à tourner dans le monde entier, de l’Europe à la Chine en passant par l’Australie. En septembre prochain, elle posera ses valises au TNS qui l’a formée pour en prendre la direction, remplaçant ainsi le metteur en scène Stanislas Nordey, après neuf ans d’un dynamique mandat. D’où lui vient cette passion du théâtre ? Caroline Guiela Nguyen se raconte. Quelle impression vous fait ce retour au Théâtre national de Strasbourg ? J’y reconnais tout ! Les murs, les studios, les ateliers de couture ou de construction. Au début des années 2000, ce fut le lieu de mes plus grandes joies et de rencontres extraordinaires, avec le metteur en scène polonais Krystian Lupa ou Joël Pommerat, par exemple. J’y ai aussi été saisie par le doute. Car une question restait sans réponse : pourquoi le théâtre restait-il si vide des visages métissés qui ont peuplé mon enfance ? Celle-ci n’était débattue ni sur nos scènes, ni au sein de l’école où nous n’étions que deux étudiantes non blanches. À lire aussi : Caroline Guiela Nguyen officiellement nommée au Théâtre national de Strasbourg Pour autant, je n’incrimine pas le TNS, car Stéphane Braunschweig, qui le dirigeait, comme Dominique Lecoyer, la directrice des études, m’ont toujours poussée à aller loin : ils croyaient en moi. L’époque le voulait ainsi, le sujet n’avait pas encore « troué » le paysage théâtral. Aujourd’hui, le changement est flagrant. Dans les classes de jeu des écoles supérieures de théâtre, se croisent des jeunes issus de l’immigration et de tous les milieux sociaux. Et plus seulement ceux de la classe moyenne ou de la bourgeoisie éduquées. Il reste du travail à faire dans les filières mise en scène, régie ou scénographie. Il me fallait être nourrie d’expériences pour apporter quelque chose à cette grande maison. Vous avez longtemps refusé de postuler à la direction du TNS, pourquoi ? Il me fallait être nourrie d’expériences pour apporter quelque chose à cette grande maison. Les quinze dernières années m’ont permis de définir mon geste théâtral. Certains artistes s’affirment vite – il faut leur confier des théâtres. Mon chemin fut plus lent. Être la seule femme depuis dix ans à diriger un théâtre national, est-ce un symbole lourd à porter ? Je ne serai pas une « femme-étendard » car il y en a plein d’autres capables de diriger le TNS. La preuve : à la tête des centres dramatiques nationaux, la parité est désormais presque acquise. Je suis avant tout une autrice-metteuse en scène qui veut défendre un projet de direction. Lequel ? Faire du TNS le lieu où théâtre et audiovisuel puissent s’accorder dans un même mouvement. Grâce à un partenariat avec la chaîne européenne Arte dont le siège est à Strasbourg, notamment. Parce qu’aujourd’hui les arts ne sont plus cloisonnés. Beaucoup de mises en scène – comme celles du Français Julien Gosselin, du Suisse Milo Rau ou de la Belge Anne-Cécile Vandalem par exemple – empruntent à l’écriture de scénarios, de séries ou au documentaire audiovisuel. Cette porosité ne se réduit plus du tout au seul usage de la vidéo sur scène. Des chefs opérateurs peuvent apporter de nouveaux cadrages aux éclairagistes de théâtre. Moi-même et Antoine Richard, mon collaborateur artistique, on discute « bande-son » comme au cinéma. Dans le cadre de l’école, il y aura également un partenariat avec la CinéFabrique de Lyon, qui forme aux métiers de l’audiovisuel. Un pôle « récit », pensé comme un espace commun de réflexion, sera ouvert à tous ceux qui travaillent au TNS, étudiants ou professionnels. Il sera développé sous le regard complice de Raphaël Chevènement, le coscénariste de la série Baron noir, des documentaristes Mai Hua, à qui l’on doit Les Rivières, et Hassen Ferhani, qui a réalisé Dans ma tête un rond-point. Ou encore d’auteurs-metteurs en scène comme Gurshad Shaheman ou Tiphaine Raffier, eux aussi inspirés par l’écriture cinématographique. Comme d’habitude, les étudiants du TNS vont se nourrir du théâtre qui s’y crée. À lire aussi : Ecoles de théâtre : des ascenseurs pour les tréteaux Mais certains jeunes interprètes sortant d’écoles supérieures n’ont jamais travaillé l’alexandrin. N’est-ce pas un problème ? Je vais le découvrir chemin faisant. Si des étudiants en éprouvent la nécessité ou si un metteur en scène invité souhaite mener un atelier en vers classiques, on trouvera le moyen de former les élèves en amont. Mais pour moi, l’alexandrin de Racine – auteur que j’adore ! – raconte d’abord une histoire. Et ce n’est pas l’étude de la technique que je privilégierais en le travaillant. Pourquoi est-ce toujours à moi que l’on pose cette question du répertoire et de l’alexandrin ? Parce que ce registre ne correspond pas à votre propre théâtre. La même question aurait été posée à Joël Pommerat… Rassurez-vous, les élèves auront plein d’outils différents à leur disposition : ils ne deviendront pas les artistes d’une seule manière de faire. Mais la spécificité du TNS est d’être une école où les élèves de plusieurs sections – interprétariat, dramaturgie, scénographie, régie, mise en scène – se mélangent pour créer des projets. Grâce à cette immersion, certains apprentis metteurs en scène peuvent révéler ce qu’ils ont dans les tripes et impulser une nouvelle façon d’écrire. Voilà le spectacle vivant que je souhaite faire émerger, plus encore que de valoriser le patrimoine. Sur les violences sexistes et sexuelles, on proposera des formations aux jeunes hommes qui peuvent être parfois des harceleurs qui s’ignorent. La question du genre agite les étudiants des écoles d’art. Comment l’abordez-vous ? Au taquet sur le thème de la mixité sociale et de la diversité des origines. Sur le terrain du genre, en revanche, j’avance humblement. Je m’informe, j’écoute. Faire attention à ce que l’on dit, quand on est pédagogue, me semble la moindre des choses. Et, lors de mes derniers stages, au Théâtre national de Bretagne, je ne m’en suis pas sentie paralysée. Pour ne pas que cela devienne inflammable, il faut privilégier le dialogue : accompagner les étudiants tout en maintenant nos exigences. Les jeunes sont également soucieux du climat de travail. Si la création est un lieu d’exploration possible de la violence, le chemin pour y parvenir ne doit pas passer par cette extrémité. Les tranquilliser à cet endroit comme sur le thème des violences sexistes et sexuelles est primordial. Une charte à destination des intervenants extérieurs va être rédigée. On proposera des formations aux jeunes hommes qui peuvent être parfois des harceleurs qui s’ignorent. Vous dites que le cinéma vous a sauvée. Avez-vous vraiment voulu arrêter le théâtre ? À la fin de l’école, j’étais paumée, en pleine dépression… J’avais passé ma dernière année à monter Macbeth, et le résultat était mauvais. Cet échec a été une chance, sinon j’aurais persévéré avec les textes d’auteurs, alors qu’une seule question m’obsédait : comment fabriquer un spectacle sans cette posture de « surplomb » qui souvent empêche le théâtre de s’adresser à tout le monde ? Alors, oui, La Graine et le Mulet, film d’Abdellatif Kechiche, sorti en 2007 pendant mes études au TNS, fut un appel d’air immense. Y entendre tous les accents possibles, voir les paroles fuser lors de grandes tablées, y reconnaître enfin le réel dans lequel j’avais baigné dans un village du Haut-Var a déclenché le désir de réunir des gens avec qui représenter un tel monde sur scène. D’où la volonté de travailler avec des amateurs ? C’est arrivé plus tard, en 2012, lors de la première version, participative, de mon spectacle Elle brûle, inspiré de Madame Bovary de Flaubert : Le Bal d’Emma. Le personnage – incarné par l’actrice Boutaïna El Fekkak, ma camarade du TNS – y était devenu une jeune femme venue du Maroc, prise dans l’engrenage des crédits à la consommation. Nous l’avons imaginé dans une salle des fêtes à côté de Valence. J’avais convié des amateurs à y participer : d’un côté, la bourgeoisie terrienne, de l’autre, des agriculteurs. La force de ce mélange, de cette rencontre entre comédiens et amateurs, était incroyable. Lors de cette première aventure, une autre expérience a été tout aussi révélatrice. Après les représentations, le public me demandait systématiquement pourquoi Emma parlait parfois arabe, mais jamais pour quelle raison la vieille dame interprétant la belle-mère s’exprimait en allemand ! Pourquoi une langue est-elle soudain évidente alors que l’autre réclame une note d’intention ? De là est née l’impérieuse nécessité d’inviter sur scène l’humanité dans sa diversité. Chaque langue contient une histoire en soi – « une patrie », précisait la philosophe allemande Hannah Arendt. Les familles d’exilés, comme la mienne, n’ont d’autre choix que d’inventer des récits. Cette habitude m’a été transmise en intraveineuse. Pourquoi la fiction compte-t-elle tant ? Elle est liée à ma biographie. Mes deux parents ont vécu l’exil : ma mère, fille d’une Indienne de Pondichéry et d’un Vietnamien de Saïgon, est arrivée en France à l’âge de 13 ans, en 1956, après la défaite de Diên Biên Phu, avec sa mère et ses huit frères et sœurs. Mon père, d’origine italienne par son père et judéo-espagnole par sa mère, est un pied-noir d’Alger. La famille, dans ces cas-là, n’a d’autre choix que d’inventer des récits : la seule solution pour entretenir un lien avec un pays qu’elle ne verra plus. Cette habitude m’a été transmise en intraveineuse… Toute petite, je réinventais les conversations en vietnamien de ma mère avec ses frères et sœurs, moi qui ne parlais pas sa langue. Les histoires furent l’espace commun entre mes parents et moi. Il n’y a rien de mieux pour être dans le partage. Au théâtre, c’est pareil. Ces écoles de théâtre qui veulent mettre plus de diversité sur scène Quels artistes ont été vos modèles ? On cite toujours à mon propos des artistes dont j’aime la relation avec la fiction : Joël Pommerat, Wajdi Mouawad ou Ariane Mnouchkine. Je suis bien encadrée ! En 1964, cette dernière, qui a fondé le Théâtre du Soleil, a été une grande pionnière en invitant sur scène d’autres corps et d’autres voix que ceux qu’on y voyait habituellement. Elle les recrute encore dans le monde entier, alors que moi, je les trouve aux quatre coins de la France. Voilà la grande différence. Dans mon théâtre, une grande variété de personnes qui peuple l’Hexagone vient nous raconter, à sa manière, notre histoire française. Fille de Viet kieu, ces Vietnamiens de la diaspora, je n’ai pas prétendu raconter l’histoire du Vietnam dans le spectacle Saïgon, mais plutôt celle des exilés installés en France. Comment en avez-vous choisi les acteurs ? Certaines scènes ont lieu avant la défaite des Français, alors trois interprètes ont été recrutés au Vietnam. Je les ai beaucoup écoutés pendant les répétitions. Grâce à des annonces diffusées dans tout Paris, j’ai aussi rencontré Hiep et Anh Tran Nghia, qui jouent respectivement l’homme exilé et Marie-Antoinette, qui tient le restaurant où se joue la pièce. On entend donc sur scène plusieurs langues vietnamiennes : celle de l’exil et celle du pays d’origine. Un tel mélange y charrie le poids de l’Histoire. Lorsque le personnage joué par Hiep revient quarante ans plus tard au pays, il découvre que la femme aimée ne parle plus la même langue que la sienne, restée figée. Si je n’avais pas été si exigeante sur la cohérence linguistique, cette scène d’une profondeur vertigineuse n’aurait pas existé. Or comprendre ce que l’Histoire a fait aux gens était la finalité du spectacle – ce que la colonisation a fait à ma propre mère, en l’occurrence. À lire aussi : “Saïgon” : Caroline Guiela Nguyen, et le théâtre de l’exil Pourquoi vos spectacles s’inscrivent-ils toujours dans des lieux de vie très précis ? De tels univers m’ouvrent mille possibilités théâtrales. Ils me donnent parfois l’impulsion de la fiction, bien plus encore que le choix du sujet. Car recruter une équipe en annonçant d’emblée vouloir travailler la question postcoloniale me dérangerait. J’aurais l’impression de « clouer » d’avance les comédiens dans une réalité sociale ou géographique dont ils ne pourraient pas s’échapper. Dans le restaurant vietnamien, carrefour ouvert à toutes les inter-prétations, la question coloniale apparaît naturellement, mais aussi celles du départ, de l’exil, de l’amour perdu. Mon prochain projet, Lacrima, qui sera créé à Strasbourg en mai 2024 et traversé par le destin de plusieurs femmes, se déroulera dans des ateliers de couture et de broderie. À partir de 2025, on formera dans les collèges et lycées de quartiers très différents des binômes entre professeurs et metteurs en scène reconnus. Quelle a été votre première rencontre avec le théâtre ? C’était à l’adolescence, pendant le Mai théâtral – un festival de théâtre scolaire entre Villecroze et Draguignan. J’ai joué dans Knock, de Jules Romains, et ça m’a marquée ! Les premiers ambassadeurs du théâtre sont toujours les profs qui en parlent très bien et aiment sortir les enfants du cadre scolaire. Je vais d’ailleurs favoriser de telles pratiques au TNS. La chorégraphe Kaori Ito vient d’être nommée au Théâtre jeune public-Centre dramatique de Strasbourg et je rêve de l’embarquer dans mon projet de grand festival interscolaire. Auquel deux marraines seront associées : la documentariste Lina Soualem et la productrice de radio Aurélie Charon. À partir de 2025, on formera dans les collèges et lycées de quartiers très différents des binômes entre professeurs et metteurs en scène reconnus. Qu’est-ce qui vous a décidée à faire du théâtre votre métier ? Le hasard. Je voulais être avocate. La fac de droit fut un échec. En sociologie à Nîmes, j’ai trouvé un cursus « ethno-scénologie », dédié à la science de la mise en scène, qui a fait l’affaire. Un stage de trois mois chez Ariane Mnouchkine, alors qu’elle préparait Le Dernier Caravansérail, m’a fait bouger. Pourtant, l’année que j’ai passée ensuite au conservatoire d’Avignon ne m’a pas convaincue de devenir comédienne. On m’y a alors encouragée à passer le concours de la section mise en scène du TNS. Et j’ai été prise. Je n’avais jamais lu Tchekhov ! J’ai travaillé comme une bête pour combler mes lacunes. Me prenant soudain à rêver d’habiter le Quartier latin à Paris, je me suis détachée de mes propres goûts et de mon accent du Sud. Le plaisir éprouvé à l’occasion des sorties avec ma mère dans les centres commerciaux, le samedi après-midi, n’a jamais été avoué à mes camarades de promo. Pire, je mentais. En disant que je parlais vietnamien, que ma mère avait fait Mai 68 — alors que rien n’est plus faux : elle voulait tellement s’intégrer ! —, qu’elle était bouddhiste, ce qui passait mieux que la catholique qu’elle était. Même mon premier « choc théâtral » — la mise en scène de Phèdre par Patrice Chéreau en 2003 — fut une invention : je l’avais « rattrapée » en VHS ! Quand l’équipe du TNS a compris la gravité de la situation, elle m’a envoyée faire un stage chez le metteur en scène Guy Alloucherie, dans le Nord, à Loos-en-Gohelle. Il m’a fait lire Annie Ernaux… J’ai assumé d’où je venais et c’est devenu le nerf de mon théâtre. Une réconciliation. Pourquoi avez-vous titré votre récent livre d’entretiens Un théâtre cardiaque ? À la sortie de Fraternité, conte fantastique, un ami metteur en scène m’a envoyé un joli texto : « Ton théâtre cardiaque forever… » En effet, pour moi, il n’y a pas de théâtre sans émotion. Ni sans cœur. Ni sans la pulsation de la vie. À lire aussi : Avignon : “Fraternité, conte fantastique”, la fable post-catastrophe de Caroline Guiela Nguyen CAROLINE GUIELA NGUYEN EN QUELQUES DATES 1981 Naissance à Poissy. 2005-2008 École du Théâtre national de Strasbourg. 2009 Fondation de la compagnie Les Hommes approximatifs. 2017 Saïgon, au Festival d’Avignon. 2022 Nomination à la direction du TNS. À voir - Fraternité, conte fantastique, les 27 et 28 avril, Théâtres de la Ville de Luxembourg.
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Le spectateur de Belleville
November 23, 2020 10:15 AM
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Sur la page de l'émission d'Aurélie Charon "Tous en scène" sur France Culture, le 21 novembre 2020 L'auteure et metteure en scène Caroline Guiela Nguyen initie un cycle de création sur 4 années, autour d'un seul mot : Fraternité. Il y aura plusieurs "Contes fantastiques", dont un court-métrage tourné à la Maison centrale d'Arles avec des détenus. Et une pièce de théâtre en cours de création.
Ecouter l'émission en ligne (1h) Des nouvelles du théâtre dans le monde : à Lisbonne, Tiago Rodrigues, auteur, metteur en scène, comédien, directeur du Teatro Nacional Dona Maria II. Après Pékin, Beyrouth, Princeton USA, Tel Aviv, Ouagadougou, Madrid, Athènes, Lima, Rio, Taipei, Tokyo, Mexico, Kigali, Helsinki, Milan, Zagreb, ces villes où l'émission prend des nouvelles de leurs théâtres depuis cette rentrée particulière, Tiago Rodrigues nous parle de la situation théâtrale au Portugal. Caroline Guiela Nguyen, auteure, metteure en scène. Avec sa compagnie Les Hommes Approximatifs, elle initie un cycle de créations sur quatre années (2019-2022) autour d’un seul mot qui donne son nom à l'aventure : "Fraternité" (contes fantastiques). Pour cela, la compagnie imagine plusieurs contes fantastiques qui projetteront notre Europe sur les 60 prochaines années. Depuis cette future humanité, sont posées ces questions : Qu’auront-ils à réparer ? Quelle mémoire sommes-nous déjà pour eux ? Des comédiens non professionnels et d'autres métiers participent à ce projet au long cours, mené entre Arles, Paris, Berlin, Londres... Jean Ruimi, comédien détenu à la Maison Centrale d'Arles : Jean témoigne de sa participation au film tourné avec Caroline Guiela Nguyen l'été dernier. Le film est un des chapitres du cycle "Fraternité", et l'un des fruits du travail que la compagnie mène depuis maintenant 4 ans à la Maison Centrale d’Arles. Ce film ne sera pas un film documentaire, il ne sera pas non plus un sujet de plus sur la prison. Ce film sera puissamment une fiction. "Ces hommes ne nous parlent que d’une seule chose : du temps" dit Caroline Guiela Nguyen. Youssouf Gueye, 16 ans, comédien du cycle Fraternité : depuis son domicile, le jeune homme témoigne témoigne de sa participation à "Fraternité", pour l'une des futures pièces, créée à l'été 2021 et présentée à l'Odéon - Théâtre de l'Europe (Paris) à l'automne 2021. Il avait participé aux larges auditions organisées par la compagnie. C'est sa première fois au théâtre. Maria Vittoria Carlin, dite “Mavi”, psychiatre au Centre Minkowska : elle est intervenue dans la résidence de la compagnie à Reims pour donner une formation aux comédiens et à l’équipe artistique, sur la compétence culturelle dans les pratiques cliniques et sociales, afin de mieux faire appréhender aux acteurs la compréhension et la gestion de la relation soignant/soigné, aidant/aidé en contexte transculturel, leur apporter des situations concrètes de prise en charge, les confronter à l’importance du cadre, de la posture et du nécessaire “décentrage” dans la relation d’aide et de soin. Légende photo : Caroline Guiela Nguyen, répétitions à la Centrale d'Arles • Crédits : Jean-Louis Fernandez
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Le spectateur de Belleville
July 20, 2019 7:38 PM
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Propos recueillis par Fabienne Darge dans Le Monde - le 05 juin 2019 L’auteure-metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen revient sur le succès international rencontré par son spectacle « Saïgon ». Depuis sa création au Festival d’Avignon, le 8 juillet 2017, Saïgon, la pièce de Caroline Guiela Nguyen, a connu un succès comme on en voit peu, tournant en France et à l’étranger – partout en Europe, d’Athènes à Moscou, en Chine, au Vietnam et en Australie – pendant deux ans. Ce spectacle magnifique, qui aborde les blessures de la colonisation et de l’histoire franco-vietnamienne par le biais de l’intime, est repris aux Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris (6e), avant de repartir en tournée. Parallèlement, Caroline Guiela Nguyen présente un spectacle en appartement, Mon grand amour. Entretien avec l’auteure-metteuse en scène qui, à 38 ans, fait figure de nouvelle étoile du théâtre français, non sans évoquer une Ariane Mnouchkine d’aujourd’hui.
Avez-vous été surprise par le succès de « Saïgon » ? En quoi est-il révélateur, selon vous ? On ne s’attendait pas à rencontrer un tel enthousiasme de la part du public, non, avec un spectacle joué en partie en vietnamien, avec des acteurs amateurs… Mais je pense que c’est justement ce qui a fait le succès de Saïgon : on y raconte une histoire qui n’avait pas été racontée, avec des êtres humains que l’on n’a pas l’habitude de voir sur les plateaux. Apparemment, cette histoire avait manqué à beaucoup de monde, et pas seulement en France et au Vietnam.
Comment expliquez-vous l’écho que « Saïgon » a eu à l’international ? Jamais je ne me suis dit, pendant la création, qu’on allait raconter une histoire universelle. Je n’aime pas ce mot, je trouve qu’il est aujourd’hui totalement perverti. Au contraire, on est partis d’une histoire singulière, celle de cette femme qui tient un petit restaurant vietnamien à Paris. Ce qui a été infiniment émouvant, c’est de voir à quel point cette histoire précise renvoyait des échos que ce soit en Chine, en Suède ou en Hollande : on a vu que l’histoire venait se loger en plein cœur chez beaucoup de spectateurs. En Europe, je pense que la pièce résonne fortement par rapport aux histoires coloniales, mais aussi sur la question actuelle de l’exil. En dehors des frontières de l’Europe, j’ai senti que Saïgon réveillait des interrogations sur la manière dont l’histoire de l’Europe s’est construite.
Comment se sont passées les représentations à Ho Chi Minh-Ville, ex-Saïgon ? Très bien. Nous avons pu jouer le spectacle dans son intégrité, sans censure. Les représentations ont été très chargées en émotions. Pour les comédiens viets kieu [Vietnamiens de la diaspora], qui n’étaient jamais retournés au pays, notamment. Les Vietnamiens se posent énormément de questions sur le sort de ces derniers. C’était comme s’ils avaient devant eux la part manquante de leur histoire, en une sorte de négatif des représentations françaises. Le spectacle, qui peut agir comme une forme de réconciliation entre le Vietnam et la France, a eu ici la valeur d’une réconciliation entre les Vietnamiens et les Viets kieu. On a senti que les enjeux étaient très forts.
Pensez-vous faire un théâtre politique ? J’ai été très étonnée du débat qui a eu lieu en France sur la question de savoir si notre théâtre est politique ou non. On l’a soupçonné de ne pas l’être : parce qu’on part d’histoires intimes, que l’on n’a pas peur de l’émotion, que l’on passe une chanson de Sylvie Vartan dans le spectacle ? Partout hors de France, la dimension politique est apparue comme évidente. Dans un monde où les mots se vident de leur sens, Saïgon montre que, derrière chaque personnage, il y a une histoire : qu’est-ce qu’être en exil, ne pas se sentir chez soi, perdre sa langue maternelle, vivre dans une autre culture ? Le spectacle redonne un visage aux acteurs de cette histoire.
D’où part votre réflexion sur les « récits manquants », les visages, les corps manquants dans le théâtre français ? De mes années à l’école du Théâtre national de Strasbourg. L’exercice même de l’école veut que l’on soit avec des jeunes de notre âge, de milieu plus ou moins homogène. Je sentais que mon imaginaire était en panne dans ce contexte. Je suis allée faire une pièce avec des dames en maison de retraite, et tout s’est débloqué chez moi. Là, j’avais un autre grain de voix, d’autres histoires, d’autres visages, un autre lieu, un autre rythme. Cette expérience m’a ouverte sur ce que je voulais faire : rencontrer des gens qui allaient venir peupler mes récits. Mes spectacles ne partent jamais de « sujets », je ne me dis jamais : « Je vais faire un spectacle sur la colonisation ou sur le deuil » – cela, c’est totalement abstrait, pour moi. En revanche, je rencontre des personnes, des lieux – un restaurant, un appartement –, et je me dis : « J’ai envie de raconter des histoires avec eux. » C’est très concret : la rencontre m’amène vers un sujet, que je déplie ensuite.
Pourquoi cet attachement au récit, aux personnages, et ne pas aller vers une forme documentaire ? Quel est le rôle de la fiction dans votre théâtre ? Parce que l’imaginaire est le lieu même du politique, contrairement à ce que l’on croit souvent. J’aime beaucoup cette expression du langage courant : « Je n’arrive pas à m’imaginer » – par exemple : « Je n’arrive pas à m’imaginer ce que c’est que de prendre un bateau et de quitter son pays. » Eh bien justement, le théâtre – ou le cinéma, en tout cas la puissance du récit – nous permet de continuer à imaginer l’humain. Quand on parle de migrants, d’intégration, d’identité, on a l’impression que, derrière ces mots-là, il n’y a personne. L’endroit qui peut être profondément politique, c’est de refaire apparaître des gens, de créer de l’imaginaire : remettre des êtres, des visages, des corps, derrière des mots abstraits. C’est quand on n’arrive plus à imaginer l’humain que l’on tombe dans les pires dérives. L’imaginaire me paraît être l’outil le plus urgent à remettre en marche aujourd’hui.
Que pensez-vous de la crispation actuelle autour des débats sur les questions postcoloniales ou décoloniales, comme lors de l’affaire de l’interdiction des « Suppliantes », d’Eschyle, à la Sorbonne ? On a fait appel à moi pour signer la lettre-tribune intitulée « Pour Eschyle » [publiée dans Le Monde du 11 avril, et signée notamment par Ariane Mnouchkine et Wajdi Mouawad]. Et je n’ai pas signé. Parce que je pense que cette lettre est d’une naïveté incroyable. Ce qui me gêne terriblement, c’est qu’en en faisant uniquement un débat de censure, on annule le débat réel, qui me semble capital pour la France d’aujourd’hui, sur la représentation des diversités. Je suis la première à m’élever contre les interdictions. Il faut que les spectacles se jouent. Mais il faut aussi entendre ce qui se joue dans des événements comme celui-ci : ce que cela remue, ce que cela crée comme violence, comme peine, comme incompréhension. Si on étouffe ce dialogue-là, on va dans le mur. Franchement, je crois qu’il y a autre chose à faire que d’écrire des lettres pour Eschyle. Il y a à écrire des lettres, des récits pour nous, pour les générations et le théâtre à venir.
Saïgon, de et par Caroline Guiela Nguyen. Les Ateliers Berthier-Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris 17e, du 5 au 22 juin. Puis tournée jusqu’en mai 2020, en France et à l’étranger. Mon grand amour, dans un appartement du 13e arrondissement de Paris, du 16 juillet au 3 août, dans le cadre du festival Paris l’été.
Légende photo : Caroline Guiela Nguyen, auteure-metteuse en scène, Paris, le 4 juin. Frédéric STUCIN / PASCO / POUR LE MONDE
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Le spectateur de Belleville
June 23, 2015 6:22 PM
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N°3 Le Chagrin, de Caroline Guiela Nguyen, adapté pour la radio dans le cadre de l'Atelier Fiction de France Culture Pour l'écouter : http://www.franceculture.fr/emission-l-atelier-fiction-radiodrama-33-le-chagrin-2015-06-23 De la Cie des Hommes approximatifs Coréalisation Caroline Guiela Nguyen, Alexandre Plank et Antoine Richard Un frère et une sœur se retrouvent quelques jours après le décès de leur père. Il est resté dans leur village natal, tandis qu'elle est partie vivre à Paris. Pour tenter de se comprendre, malgré les kilomètres, les non-dits, les différences qui les séparent, ils vont choisir le terrain de jeu, la régression, et parvenir peut-être à explorer les secrets familiaux, s'alléger du poids de leur histoire familiale, un passé colonial qui ne passe pas... "Le Chagrin" est un voyage vers l’origine à travers un paysage théâtral fait d’affects, d’objets, de matières, de sensations. Une histoire de solitudes – mais aussi une histoire de communauté : pour ces jeunes artistes, engagés depuis quatre ans dans une démarche d’écriture de plateau, il est essentiel de faire surgir d’un geste collectif la singularité des êtres. Avec : Dan Artus : Vincent Chloé Catrin : Julie « Radiodrama » est une nouvelle manière de faire de la fiction et faire vivre les écritures contemporaines, proposée par le réalisateur Alexandre Plank en complicité avec Aurélie Charon, productrice des Ateliers de la Nuit, et Céline Geoffroy, conseillère littéraire aux fictions de France Culture. Une manière généreuse d’ouvrir la radio et d’accueillir dans nos studios des artistes que nous choisissons. Il s’agit d’inviter ces jeunes metteurs en scène, accompagnés de leurs équipes, à partager et explorer l’espace radiophonique de l’Atelier fiction. Nous les avons conviés à mettre en ondes des pièces qu’ils avaient déjà mises en scène et/ou jouées. A réinventer et reformuler, à brouiller les pistes, à enjamber les cadres. Avec eux, nous avons cherché à mêler pratiques théâtrales actuelles et création radiophonique. Pour imaginer des ponts, nouer de liens, improviser des échanges. « Radiodrama » Nous avons voulu créer sur France Culture un festival « On air » qui, en croisant des univers, des esthétiques et des outils, fasse de nos studios un espace ouvert aux bricolages, aux partages et aux tentatives. Un atelier dans lequel se cherchent et se dévoilent des manières inhabituelles de raconter le monde. Pour cette troisième édition du Festival « Radiodrama », ces trois artistes seront accompagnés par deux réalisateurs de leur génération, Alexandre Plank et Cédric Aussir pour trois créations radiophoniques.
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Le spectateur de Belleville
May 10, 2015 12:56 PM
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Publié par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog de Mediapart : On se croirait dans une chambre d’enfant : il y a plein de poupées, des bribes de château fort, des tas de niches à fétiches, porte-bonheur et autres bidules, de la pâte à modeler, même le four de la cuisinière est bourré de jouets, le tout étant nappé dans un bleu layette mâtiné de nuit. Ou bien, on a l’impression d’être devant un autel quelque part du côté de l’Inde ou de Bali, voire du Mexique au moment de la fête des morts, pour je ne sais quelle divinité ou ancêtre comme semblent le prouver les têtes de morts que l’on repère ici et là. Ou bien encore, pourquoi pas, dans une installation au Palais de Tokyo pour quelque rituel contemporain comme peuvent l’attester à leur manière les petites bougies qui vont s’allumer tout au long de la représentation. Bref on ne sait pas précisément où on est.
Piqués au vif de notre intimité
On ne sait pas trop non plus qui sont ceux qui évoluent sur la scène: des enfants, des enfants attardés, des adultes ? On comprend vite que les quatre-là qui sont en train de bricoler, chacun dans son coin, trompant leur chagrin, ont en commun le deuil d’un homme, mari pour celle qui n’en finit pas de faire des bouquets de fleurs artificielles, père pour la fille et le garçon. Ce dont on est sûr, c’est que cela s’appelle «Le chagrin », c’est écrit dans le programme et c’est tagué à l’entrée du théâtre. Un titre irréfutable. > Lire l'article entier de Jean-Pierre Thibaudat sur son blog : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-thibaudat/040515/le-chagrin-un-spectacle-troublant-denfance-par-la-compagnie-les-hommes-approximatifs Théâtre de la Colline, mar 19h, du mer au sam à 21h,, dim 16h, du 6 mai au 6 juin, 01 44 62 52 52
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November 27, 2013 7:00 PM
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La jeune Caroline Guiela Nguyen met en scène, avec brio, une Emma Bovary d'aujourd'hui. Qui est-elle, cette Emma ? Une femme d'aujourd'hui, dans la province française. Mariée, mère, et seule. Elle se consume de l'intérieur, sans que son entourage ne s'en rende compte. Téléphone en parlant à voix basse, en arabe, par moments. Invente qu'elle va au travail, alors qu'elle reste chez elle, prend des amants et dépense beaucoup d'argent. Oui, c'est bien une Emma Bovary. Non, ce n'est pas l'Emma Bovary de Flaubert. Elle vit ici et maintenant, et le portrait qu'en donne Elle brûle, au Théâtre national de la Colline, ne cherche pas à porter le roman à la scène. Il s'en inspire d'une manière magnifique, qui permet de découvrir un collectif avec un de ses tout premiers spectacles. Ce collectif s'appelle Les Hommes approximatifs, en référence au titre du poème de Tristan Tzara, L'Homme approximatif. Il a été fondé en 2009 par Caroline Guiela Nguyen, une jeune femme (32 ans) qui a étudié la sociologie avant d'intégrer la section mise en scène de l'Ecole du Théâtre national de Strasbourg. Elle n'a jamais eu envie de jouer. (...) Cela tient aussi au talent de Caroline Guiela Nguyen. Cela tient enfin au jeu remarquable des comédiens, qui laissent transparaître, au meilleur sens du terme, ce que les personnages sont : des hommes approximatifs. Comme chacun d'entre nous, dont Elle brûle, qu'on ne saurait trop conseiller d'aller voir, renvoie un miroir, avec une grâce inquiétante. Ou, au choix, une inquiétude gracieuse. Brigitte Salino pour Le Monde CLIQUER SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE Et aussi : la critique de Jean-Pierre Thibaudat pour son blog "Théâtre et Baagan" sur Rue 89 : http://blogs.rue89.com/balagan/2013/12/02/la-compagnie-des-hommes-approximatifs-au-chevet-dune-femme-emma-la-mal-aimee-231824 Elle brûle, par Les Hommes approximatifs. Avec Boutaïna El Fekkak, Margaux Fabre, Alexandre Michel, Ruth Nüesch, Jean-Claude Oudoui, Pierric Plathier. Théâtre national de la Colline, 15, rue Malte-Brun, Paris 20e. Tél. : 01-44-62-52-52. Mardi à 19 heures ; du mercredi au samedi à 21 heures ; dimanche à 16 heures. De 14 à 29 €. Durée : 2 h 30. Jusqu'au 14 décembre.
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September 18, 2023 3:02 PM
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Propos recueillis par Alizée Chebboub-Courtin pour Rue89 Strasbourg - 14 sept. 2023 Caroline Guiela Nguyen veut « de la diversité » sur ses plateaux et dans ses salles. Guidée par son amour du récit, la directrice du TNS compte faire de l’institution un lieu de rencontres et d’échanges. Troupes amateurs dans les quartiers, discussions philosophiques nocturnes, comédiens de toutes origines et création d’un espace convivial dans le hall du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Telles sont les propositions de sa nouvelle directrice Caroline Guiela Nguyen, pour la saison 2023 / 2024 et pour les cinq années, au moins, à venir. Entre une composition de la programmation à quatre mains et le désir d’en bouleverser ses codes, rencontre avec celle qui veut mettre en scène la diversité à tous les niveaux. Rue89 Strasbourg : Comment se passe cette arrivée à Strasbourg ? Caroline Guiela Nguyen : Je suis très honorée, et en même temps c’est très concret. Je viens à mon bureau – c’est la première fois que j’en ai un ! – j’écris, je rencontre des gens, j’élabore mon projet avec les équipes… Le TNS est une très belle maison, avec des gens amoureux du théâtre et de son histoire. L’énergie y est donc très forte. Pareil pour l’école. J’ai déjà pu recruter la nouvelle promotion. Ça a été un moment particulièrement émouvant. Caroline Guiela Nguyen a une longue histoire avec le TNS, puisqu’elle y a fait ses études de mise en scène, dont elle est sortie diplômée en 2008. (Photo Jean-Louis Fernandez / doc remis) De l’école à la direction Vous avez travaillé en collaboration avec beaucoup de théâtres mais n’en avez jamais dirigé. Qu’est-ce qui vous a amené à ce poste, au TNS, au sein duquel vous avez fait vos études de mise en scène ? Pendant longtemps, je n’ai pas envisagé de diriger une maison. On me l’a souvent proposé, mais j’étais très bien avec ma compagnie. Pour le TNS, c’est différent. L’histoire que j’ai avec ce lieu et la ville m’a donné envie d’y revenir et d’y développer un projet. J’aime énormément Strasbourg, parce que c’est une ville frontalière dans laquelle j’entends parler plein de langues… Une diversité qu’on retrouve au cœur de mon travail. J’ai adoré le TNS en tant qu’élève, mais j’ai aussi dû me battre contre lui. Vous avez souvent déploré le manque de diversité au TNS. Fille d’une Vietnamienne et d’un pied-noir, vous étiez l’une des seules élèves non-blanche de l’école. Qu’est-ce qui a changé ? C’était un théâtre extrêmement blanc. Je ne voyais ni dans le public, ni sur scène, ni dans l’école des personnes qui me ressemblaient, qui appartenaient à mon histoire, à mon enfance. Et le pire, c’était que je trouvais ça complètement normal… J’essayais de coller à ce schéma. De la diversité sur scène et en salles Le fait de revenir ici et de voir tout ce qui a bougé en si peu de temps, de rencontrer toute une nouvelle génération de jeunes personnes qui ont décidé que les choses devaient absolument changer me réjouit. Aujourd’hui, j’espère que si on voyait toute une promotion sans diversité, cela choquerait. En travaillant avec des comédiens professionnels et amateurs, en allant les chercher parfois à l’autre bout du monde, comme au Vietnam avec votre spectacle Saigon, vous participez à renforcer cette diversité. Quelle incidence cela a-t-il sur le public ? Ce qui est génial aujourd’hui, c’est que beaucoup d’artistes se posent la question de l’adresse, ils se demandent à qui ils parlent. Il y a encore dix ans, c’était parfois vu comme de mauvaises questions, qui pouvaient détourner l’artiste de son art. Personnellement, j’ai toujours eu un souci du public. Une de mes principales préoccupations est ce qui se passe dans la salle, pas tant qui il y a sur le plateau. Je me suis dit qu’en étant au TNS, je ferai en sorte que tout le monde sente qu’il y a des propositions qui lui sont adressées. Cet espace doit être le plus accueillant possible. C’est pour cela que je tiens à montrer des récits, des visages, des langues et des corps auxquels on n’a souvent pas laissé de place. Plus précisément, quelles sont les nouveautés que l’on pourra découvrir au TNS ? Nous allons penser notre communication en fonction de zones géographiques de Strasbourg. J’aimerais que dans chacune de ces zones, de ces territoires, une troupe amateure bénéficie de l’accompagnement de metteurs en scène invités par le TNS, toute l’année. Ces créations seront présentées lors de « Galas du TNS », en fin de saison. Ce sera également l’occasion d’inviter des projets différents, comme un spectacle porté par un centre socio-culturel qui nous a marqués. Discussions philosophiques au petit matin De manière générale, j’imagine un théâtre plus ouvert. Je veux que le hall Koltès devienne un lieu de vie en dehors des représentations, qu’on ait envie de s’y installer, d’échanger autour d’un verre, qu’il puisse accueillir des événements, comme l’enregistrement d’émissions de radio dans la journée. Je réfléchis aussi à un format qui s’intitulerait « envisager la nuit » et qui serait un espace de débat pour aborder des questions de société complexes vers 4 heures du matin. Et du côté de l’école ? Je souhaite renforcer les liens entre théâtre et cinéma. Les élèves compléteront leur formation avec la Cinéfabrique de Lyon, pour qu’ils puissent échanger avec des décorateurs, des réalisateurs de bande-son… De quoi penser ces deux arts ensemble, et non côte à côte. Je vais poursuivre les efforts de mon prédécesseur (Stanislas Nordey, NDLR), pour travailler la diversité dans l’école, pas uniquement chez les comédiens, mais aussi dans les chargés de projets comme les metteurs en scène ou les scénographes. À cause du délai de votre nomination, la programmation de la saison 2023/2024 s’est faite à quatre mains, avec six premiers spectacles proposés par Stanislas Nordey d’ici décembre. Comment avez-vous vécu cet exercice ? C’était un exercice intéressant, notamment avec Stanislas Nordey. Il y a une cohérence et une complémentarité dans nos choix. Il a programmé Radio Live – la relève, que j’avais également repéré. Et j’ouvre ma programmation avec Le Iench, d’Eva Doumbia, qui a remporté le prix Bernard-Marie Koltès du TNS l’année dernière. (L’oeuvre suit le quotidien d’un jeune garçon originaire du Mali, qui rêve d’avoir la vie que lui vend la télévision, mais qui se heurte au racisme et aux assignations sociales, NDLR) C’est une autrice qui m’est chère, car elle parle réellement d’aujourd’hui. « Décoloniser les arts » Quand j’étais jeune metteuse en scène, Eva avait déjà cette préoccupation importante de décoloniser les arts… Moi, je n’étais pas encore arrivée à ces questions-là. Elle fait partie des artistes qui m’ont donné de la force et qui m’ont offert la possibilité de dire, 14 ans plus tard : « Il faut que les choses changent. » Il y a-t-il un fil rouge qui lie ces premiers choix ? Non, je déteste qu’on dise que j’ai une thématique, que je choisis les artistes parce qu’ils parlent de l’exil par exemple. Ce n’est pas ça du tout. Je choisis des artistes parce qu’ils sont importants à mes yeux. Parce que j’aime leur travail. Ils racontent le monde à travers un regard que j’ai envie de voir dans le théâtre aujourd’hui. Ils se soucient de la question des récits, de l’adresse… Une préoccupation qui se retrouve dans vos propres œuvres, comme Saigon qui sera rejoué au TNS du 19 au 26 mars ou Lacrima, du 14 au 18 mai ? J’ai toujours voulu que mes spectacles soient le plus ouverts possibles. J’adore travailler avec des acteurs qui n’en sont pas et des acteurs qui en sont. Cela fait venir des gens qui ne seraient jamais allés au théâtre et qui se retrouvent soudainement sur un plateau. Poursuivre une démarche de diversification En devenant directrice, je peux aller encore plus loin dans ma démarche. Par une architecture, un lieu, un dialogue avec le public, l’écriture de programme de salle, en invitant d’autres artistes… Il se passe des choses qui sont importantes, des personnes se battent pour accorder une place à tous, et cela me stimule. Pour moi, le théâtre se porte de mieux en mieux. Vous défendez un théâtre actuel, qui part du réel et a un effet concret. Pour vous, à quoi doit servir le théâtre en 2023 ? Je ne répondrai jamais que le théâtre peut changer le monde. On voit bien comment il peut être désarmé parfois… Mais j’ai toujours en tête qu’avant de vouloir changer le monde, il faut qu’on regarde autour de nous, avec les gens qui sont là, ce que ça change pour eux. Par exemple, avec qui on décide de passer trois mois en répétition, qui on fait venir sur un plateau. Si on réussit à changer les possibilités de rencontre, de partage et d’accueil, si on amène d’autres récits, d’autres langues et d’autres accents… il se passe déjà quelque chose d’important. Moi, je fais du théâtre parce que j’ai besoin de raconter des histoires, de me réapproprier le récit. Et j’ai hâte de pouvoir partager cette passion et ce projet avec les Strasbourgeois Trois jours pour fêter la rentrée Du 15 au 17 septembre, en parallèle des visites traditionnellement proposées pour les Journées du patrimoine (au TNS et dans les ateliers de décors à Illkirch), des événements festifs seront organisés dans le théâtre, ouvert à la libre déambulation pour ces trois jours. La nouvelle directrice présentera son projet au public le vendredi 15 à 20h, le samedi 16 à 18h30 et le dimanche 17 à 11h30. L’occasion d’écouter des concerts gratuits et de s’installer autour d’une table pour mettre le théâtre à l’honneur avec un banquet organisé par le Cafoutche et l’association Stamtish samedi à 19h30, ou lors du barbecue du dimanche midi. Un premier essai pour proposer au public d’habiter le théâtre autrement. Propos recueillis par Alizée Chebboub-Courtin / Rue89 Strasbourg ALLER PLUS LOIN Teaser vidéo saison 23/24 du TNS Teaser création "Lacrima" par Caroline Guiela Nguyen Légende photo :Caroline Guiela Nguyen a une longue histoire avec le TNS, puisqu’elle y a fait ses études de mise en scène, dont elle est sortie diplômée en 2008. (Photo Jean-Louis Fernandez / doc remis)
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Le spectateur de Belleville
January 30, 2023 5:11 PM
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Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 30 janvier 2023 Un théâtre cardiaque de Caroline Guiela Nguyen, en complicité avec Aurélie Charon, éditions Actes Sud, 2023. Un théâtre intense et acharné en quête de voix et de récits manquants, un théâtre d’émotion qui s’affirme comme tel, un théâtre populaire qui se doit de représenter des pans entiers du monde absents des plateaux, ainsi le théâtre cardiaque de Caroline Guiela Nguyen, où s’intriquent parcours intime et poids historique, deuil et fraternité, amour et exil, fiction et réel. Fille d’une Vietnamienne et d’un pied-noir, Caroline Guiela Nguyen fait le pari de régénérer le théâtre, et signe, avec ce livre, son manifeste artistique. Avec la complicité d’Aurélie Charon et en donnant la parole à ses équipes artistiques, l’auteure fait entendre avec force les pulsations qui font battre ses mises en scène et son écriture ancrée dans la réalité d’un présent habité par l’Histoire. Ses pièces, Kindheitsarchive, pièce sur l’adoption internationale, FRATERNITE, Conte fantastique, SAIGON …sont jouées dans plus de quinze pays dans le monde. Caroline Guiela Nguyen est auteure, metteuse en scène et réalisatrice. D’abord étudiante en sociologie, elle intègre l’école du Théâtre National de Strasbourg et à sa sortie en 2009 fonde la compagnie Les Hommes Approximatifs. Soucieuse de mettre au plateau des visages et des corps habituellement absents – oubliés ou marginalisés -, d’imaginer avec eux de grands récits de fiction, la compagnie Les Hommes Approximatifs part longuement en recherche de ses comédiens, professionnels comme amateurs. Convaincue de la puissance de la fiction, attentive à raconter le monde tel qu’il se présente. Caroline Guiela Nguyen écrit toujours en amont, en immersion dans des lieux qui captent les problématiques de notre époque, au contact de celles et ceux qu’elle nomme « experts de nos réels ». Le 19 décembre 2022, elle est nommée directrice du Théâtre National de Strasbourg et prendra ses fonctions en septembre 2023. « Caroline Guiela Nguyen invente un nouveau monde avec des univers, des langues, des grammaires, des futurs qui ne se ressemblent pas. Sur le plateau de FRATERNITE, Conte fantastique, treize comédiens parlent le bambara, le tamoul, l’arabe, le vietnamien, l’anglais ou le français. Certains jouent sur un plateau de théâtre pour la première fois. (…) Caroline Guiela Nguyen, dans ses spectacles, occupe des espaces: une chambre dans Se souvenir de Violetta, un appartement dans Mon Grand Amour, une salle des fêtes dans Le Bal d’Emma, un restaurant dans SAÏGON, un centre de soins et de consolation dans FRATERNITE, Conte fantastique. Le lieu fait parler, puis écrire. (…) » Et à chaque fois, il y a beaucoup à dire. De son côté, Aurélie Charon est animatrice radio depuis 2011. Elle a collaboré avec Vincent Josse sur France Inter et a présenté L’Atelier intérieur et Une vie d’artiste sur France-Culture. En 2013, elle crée RADIO LIVE, une nouvelle génération au micro, une expérience radiophonique et documentaire sur scène. Depuis 2017, elle anime et produit Tous en scène, sur la même station. Son premier livre, C’était pas mieux avant, ce sera mieux après, a paru aux éditions de l’iconoclaste, en 2019. Journaux et carnets de travail, lettres et entretiens avec partenaires, comédiens et interprètes, le regard de Caroline Guiela Nguyen s’inscrit pleinement dans l’immédiat d’un monde en mutation. Véronique Hotte Un théâtre cardiaque de Caroline Guiela Nguyen, en complicité avec Aurélie Charon, éditions Actes Sud, 2023. https://www.actes-sud.fr/catalogue/theatre-arts-du-spectacle/un-theatre-cardiaque Caroline Guiela Nguyen présente le livre (vidéo)
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Le spectateur de Belleville
February 18, 2020 4:58 AM
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Publié dans Sceneweb le 18 février 2020 L’année 2020 démarre sous les meilleurs auspices pour Caroline Guiela Nguyen. La metteuse en scène est devenue artiste associée de la Schaubühne à Berlin et prépare une création en mars. Elle débute aussi un nouveau projet intitulé FRATERNITÉ, un cycle de trois Contes Fantastiques (deux spectacles et un film) qui projettera l’Europe sur les soixante prochaines années. Caroline Guiela Nguyen entame un cycle de quatre années, 2019-2022, autour d’un seul mot qui ne cesse de résonner : FRATERNITÉ. Elle a imaginé “plusieurs contes fantastiques qui projetteront notre Europe sur les 60 prochaines années. Et depuis cette future humanité, nous nous posons ces questions : Qu’auront-ils à réparer ? Quelle mémoire sommes-nous déjà pour eux ?” Ce cycle Fraternité, Contes Fantastiques se déclinera jusqu’en 2022 en trois opus : —Arles : un film tourné et réalisé en 2020 à la Maison Centrale d’Arles. Il est produit par Sylvie Pialat et Benoit Quainon – Les Films du Worso. Avec des détenus de la centrale d’Arles avec lesquels Caroline Guiela Nguyen et les Hommes Approximatifs travaillent depuis 4 ans et des comédiens professionnels. —Paris : une pièce de théâtre créée en 2021 avec une quinzaine de comédiens provenant de différentes villes européennes. Produite en partenariat avec des structures européennes et internationales dont l’Odéon – Théâtre de l’Europe à Paris. — Berlin : une pièce de théâtre créée en 2022 avec des interprètes de l’Ensemble de la Schaubühne de Berlin et des comédiens non professionnels.
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Le spectateur de Belleville
January 16, 2018 6:34 PM
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Par Ève Beauvallet photo Manuel Braun pour Libération — 16 janvier 2018
Fille d’une Vietnamienne et d’un pied-noir algérien, cette auteure de théâtre évoque avec succès l’exil à travers la cuisine, la langue et la chanson.
A cet instant, on regrette presque de ne pas l’avoir mise en colère. Ç’aurait été pour nous la seule occasion, sans doute, d’entendre la façon dont peut sonner un accent vietnamo-pied-noir sauce provençale. A 36 ans, Caroline Guiela Nguyen a perdu toute trace de sa voix d’antan mais, sous le coup de l’émotion, les fantômes peuvent débouler inopinément du placard. Il y a quelque temps, elle est retournée dans le village de l’arrière-pays varois où elle a grandi, Villecroze, 1 400 habitants, et a retrouvé dans sa maison d’enfance des enregistrements sonores de sa voix de jeunesse. «J’avais un accent assez prononcé, en fait. C’est fou comme, d’un seul coup, ça a été une façon de "mesurer l’écart" avec celle que j’ai été.» Le genre de document que cette auteure-metteure en scène doit conserver précieusement, elle qui commence toujours une création à partir «de choses ludiques et naïves». Par exemple, si elle creuse un jour du côté de l’histoire de son père, celle des pieds-noirs, elle partirait sûrement de l’accent. En revanche, pour visiter l’héritage maternel dans Saigon, grande fresque cinégénique sur l’exil des Vietnamiens en France, elle est partie de la cuisine. Peut-être parce que les noms de plats sont les seuls mots qu’elle connaît dans la langue d’origine. Aussi parce que «les viet-kieû ["la diaspora", ndlr] s’engueulent tout le temps sur la "bonne" façon de préparer un pho. Comme s’ils cherchaient la vérité de ce qu’avait été "chez eux" dans une simple soupe».
Cet été, au Festival in d’Avignon, Saigon a rencontré un succès monstre. Sans doute parce que Caroline Guiela Nguyen est effrontée. La preuve, elle a créé un grand mélo. Une pièce fleuve où l’on pleure en écoutant un viet-kieû âgé chanter Aline de Christophe en karaoké. Où l’on entend l’histoire d’une immigration moins connue, moins narrée que d’autres. Où l’on «mesure l’écart» entre trois générations, depuis 1956 - année où le corps expéditionnaire français quitte Saigon - jusqu’en 1996 - année de la levée de l’embargo, lorsque des milliers d’exilés, dont la mère de Caroline, ont pu retourner pour la première fois au Vietnam. Aux Ateliers Berthier, à Paris, Théâtre de l’Odéon auquel elle est associée, une partie de la diaspora viendra écouter une frange de son histoire, mais aussi entendre sa langue et voir des corps qu’on ne voit jamais sur les scènes de théâtre. Sa mère assiste toujours à ses pièces «avec beaucoup de pudeur, comme si elle ne se sentait pas légitime à dire quoi que ce soit de la création».
Saigon serait en quelque sorte la pièce de la «réconciliation». Grâce à l’histoire qui y est racontée, peut-être, mais aussi à la nature originale du spectacle, à fort capital empathique, lequel fut fabriqué au gré de voyages dans le Vietnam d’aujourd’hui comme dans le XIIIe arrondissement de Paris, et créé avec une distribution franco-vietnamienne, transgénérationnelle, mixte entre acteurs et non-professionnels. «J’ai un immense plaisir à voir se croiser lors d’une création des gens que rien ne poussait à se rencontrer, comme Anh Tran Nghia, qui est cuisinière dans la vie, les jeunes comédiens vietnamiens et ceux de ma compagnie. C’est pas humaniste, hein, précise-t-elle, comme préoccupée qu’on la décrive angélique. C’est l’écriture qui a amené ça.» Saigon n’a pas été créée pour la communauté vietnamienne, «c’est une histoire de la France». Elle n’a pas travaillé sur la «quête des origines» : «Je travaille sur le présent, sur la mémoire, pas sur l’histoire.» Elle milite plus volontiers pour une diversité sociale qu’ethnique sur les scènes de théâtre, et s’agace de ceux qui dénient le droit à certaines histoires d’être sublimées. «On a reproché, par exemple, au film Bande de filles de Céline Sciamma de trop esthétiser la banlieue. Comme si ces quartiers-là, ces milieux-là, il fallait toujours les filmer caméra à l’épaule. Comme s’ils n’avaient pas droit à l’imaginaire et à la fiction.»
Justement, en ce moment, quand elle n’est pas à Tours, où elle réside avec son conjoint le metteur en scène Alexis Armengol, ni à Arles, où elle travaille avec des détenus de la maison centraleau côté du metteur en scène Joël Pommerat, elle rencontre pour un prochain projet du personnel hospitalier spécialisé dans les burn-out et surmenages des forces de l’ordre. Une population qu’on appréhende trop souvent, selon elle, via «des récits grossiers». D’une manière générale, tout ce qui relève du récit manquant et de l’histoire trouée la travaille.
Elle a grandi avec une mère vendeuse à domicile, exilée vietnamienne donc, et un père parti d’Algérie qui fut successivement libérateur de Colmar, représentant de littérature érotique, puis restaurateur. De ce village du Var, elle dit qu’elle n’est pas sortie avec «un très grand capital culturel» et que la séparation symbolique a eu lieu en entrant dans la section «mise en scène» du Théâtre national de Strasbourg, formation très sélective. Là-bas, elle mesure le «décalage culturel». Elle perd peu à peu son accent. Elle se sépare de ses goûts et en essaie d’autres, comme on essaie un costume de scène. Elle tente de se persuader qu’elle aussi aime les dramaturges Jon Fosse et Claude Régy. Elle joue à la metteure en scène de théâtre contemporain. Jusqu’à ce que ses professeurs aient la judicieuse intuition de l’envoyer en stage chez le metteur en scène Guy Alloucherie, connu pour créer en interaction directe avec ce bassin ch’ti où il a grandi. «Alors là, vraiment, au début je n’ai pas compris, je me retrouvais à travailler avec d’anciens mineurs.» C’est lui qui offre à la jeune femme la Place, d’Annie Ernaux, qui deviendra son livre de chevet, et la romancière son auteure boussole. «Guy m’a dit que j’avais quelque chose à réconcilier et que ce serait sûrement là ma force artistique.» Donc, Loos-en-Gohelle, Annie Ernaux, puis la scène du couscous dans la Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche «où l’on entend ces Marocains parler avec l’accent de Sète» (on y revient toujours : cuisine et sonorités étrangères). Des déclics qui lui font, entre autres, assumer aujourd’hui joyeusement ses goûts musicaux les plus refoulés. Comment on l’appelle, d’ailleurs, cette émotion particulière ? Ce mélange d’adhésion et de distance, qui n’a pas la naïveté du regard au premier degré, ni tout à fait le surplomb ironique du second ? Cette sensation coincée entre deux étages, qui fait qu’on adore pleurer sur Sylvie Vartan tout en sachant que c’est quand même Sylvie Vartan ? Qui fait que Caroline Guiela Nguyen aime sincèrement se balader dans les centres commerciaux, écouter France Gall, et regarder des galas de fin d’année avec des petites filles qui dansent sur la musique de Yann Tiersen ? C’est une sorte de tendresse amusée qui n’est pas de la condescendance… Le «premier degré et demi» peut-être ? Consciencieuse, elle nous aide à chercher. Jusqu’à retomber toujours sur ce mot : «Réconciliée.»
1981 Naissance à Villecroze (Var). 1996 Premier voyage au Vietnam. 2009 Création de sa compagnie les Hommes approximatifs.
Jusqu’au 10 février Saigon, aux Ateliers Berthier (Paris).
Ève Beauvallet photo Manuel Braun pour Libération
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Le spectateur de Belleville
May 12, 2015 5:14 PM
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Le Chagrin, mise en scène de Caroline Guiela Nguyen
Publié par Joëlle Gayot : Il y a dans "Le Chagrin", que met en scène Caroline Guiela Nguyen un art du détour et du contour qui, à force de sinuosités, endort votre vigilance quand soudain, alors que vous ne vous y attendiez plus, jaillit une lame de rasoir (au sens évidemment métaphorique du terme) qui déchire le voile cotonneux qui vous enveloppait doucement. Caroline Guiela Nguyen n'a pas la main qui tremble quand il s'agit de manipuler son public. ô la magicienne que voila ! elle sait parfaitement comment détendre puis tordre brutalement les états qu'elle a suscités chez son spectateur. (je dis "son" spectateur parce que ce genre de représentation fait totalement "sien" le public, un phénomène suffisamment inouï pour être souligné). On croit voir arriver le loup et c'est un tigre qui surgit. Ce spectacle, c'est la bête dans la jungle, et la jungle, elle nous est cruellement familière. On se croit dans une chambre d'enfants, non non, vous n'y êtes pas, en vrai, c'est l'antichambre de la mort. Toujours dilaté, ce foutu réel nous échappe insensiblement. on s'écartèle l'inconscient entre les rires hystériques, les larmes qui coulent, les malaises sournois et ce qui apparait, implacable et impérial dans son avancée somme toute triomphante : le chagrin. Cotonneux, ouais, mon oeil ! c'est du lourd ce qu'envoie cette jeune artiste qui n'a pas peur d'aller fouiller dans les tréfonds, sait vous balancer l'indicible sur la scène et qui qui qui... qui sera dimanche l'invitée de Changement de Décor sur la bienaimée France Culture (à 20h30) on vous le dit tout de suite, on vous le redira d'ici là car on est content content de l'avoir au micro avec nous. "Le Chagrin" c'est à la Colline jusqu'au 6 juin.
La page de Changement de décor, l'émission de Joëlle Gayot http://www.franceculture.fr/emission-changement-de-decor-caroline-guiela-n-guyen-2015-05-17
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Le spectateur de Belleville
April 16, 2015 11:07 AM
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Publiée par Fabienne Darge, pour Le Monde : Première impression de Caroline Guiela Nguyen : une jeune femme – ravissante – déboule, en minijupe, bonnet sur la tête, vous claque la bise et entame la discussion, avec son accent du Sud. Une rugbywoman dans une enveloppe délicate, se dit-on ce soir-là. On est à Valence, à la Fabrique, un lieu qui a tout de la friche artistique, mais dépend du Centre dramatique national. C’est là, dans ces bâtiments couverts de tags colorés, en lisière d’un parc, que Caroline Guiela Nguyen, le 31 mars, a créé avec sa compagnie, Les Hommes approximatifs, son nouveau spectacle, Le Chagrin.
Quelques jours plus tard, on croise de nouveau la route de Caroline, à Paris et à Reims, et on se dit que c’était l’inverse, en fait : une femme délicate dans une enveloppe de fonceuse. On n’a pas l’habitude d’une telle spontanéité, d’une telle fraîcheur, dans le théâtre français.
On voit bien que Caroline Guiela Nguyen tranche, dans ce milieu. D’abord c’est une jeune femme – elle est née en 1981. De par ses origines familiales, elle a des liens avec le Vietnam, l’Inde et l’Algérie, et avec l’histoire coloniale et postcoloniale de la France. Et c’est lestée de ce bagage qu’elle amène quelque chose de tout à fait neuf, et réinvestit des territoires oubliés, au fil de ses spectacles : Se souvenir de Violetta (2011), Le Bal d’Emma (2012), Elle brûle (2013), qui ne cesse de tourner, et ce Chagrin qui, après Valence, va poser quelques soirs à Tours, puis au Théâtre de la Colline, à Paris, sa bulle de réalisme magique.
Deux rencontres fondamentales
Dans le petit village de Provence où Caroline Guiela Nguyen a passé son enfance, les gens appelaient sa mère « la Chinoise ». « Ma mère est vietnamienne, sa mère était indienne, née à Pondichéry, raconte la jeune femme. Elles sont arrivées en France en 1956, après la défaite de Dien Bien Phu, comme de nombreux Vietnamiens restés du côté de la France. Et, plus tard, elle a rencontré mon père, qui était pied-noir, et séfarade, mais ne parlait jamais de cette histoire… »
Caroline Guiela Nguyen va au Vietnam régulièrement, mais n’est jamais allée en Algérie. Elle dit que cette histoire familiale complexe et « remplie de non-dits » a « façonné un rapport au monde particulier », qu’elle n’a de cesse d’élucider et de creuser à travers le théâtre.
Quand elle est entrée à l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS), après des études de sociologie et d’ethnoscénologie, elle a rencontré deux artistes qui ont été fondamentaux pour son éclosion artistique. Le Polonais Krystian Lupa d’abord, pour « sa façon de travailler avec les comédiens : l’acteur chez lui n’est pas quelqu’un qui va dire un texte, mais une personne qui va témoigner d’une forme de présence, être traversé par tout un paysage intérieur, imaginaire ».
LA JEUNE FEMME A DES LIENS AVEC LE VIETNAM, L’INDE ET L’ALGÉRIE, ET AVEC L’HISTOIRE COLONIALE ET POSTCOLONIALE DE LA FRANCE Ensuite, il y a eu le « choc » provoqué par Les Marchands, de Joël Pommerat, qui a « ouvert de nombreuses portes » à la jeune metteure en scène : « Dans le fait de composer une troupe avec des visages, des corps, des origines différentes : une “diversité”, comme on dit maintenant, qui me semble fondamentale pour raconter les histoires dont nous avons besoin aujourd’hui. Et puis Pommerat montrait que l’on pouvait s’emparer des questions sociales, souvent considérées comme impures, voire vulgaires, dans le théâtre français. Moi, je ne peux pas faire sans cette question-là, sinon il y a une partie de mon rapport au monde qui n’est plus là. »
Caroline Guiela Nguyen avait une idée assez claire de ce qu’elle voulait faire, quand elle a fondé la compagnie Les Hommes approximatifs – dont le nom, tiré d’un poème de Tristan Tzara, dit bien le projet –, en 2007, avec plusieurs camarades de l’école du TNS : la scénographe Alice Duchange, l’auteure Mariette Navarro…
Il s’agissait d’abord de créer un vrai collectif, pour de vraies créations collectives. Caroline et ses compagnons ont su très vite que pour raconter leurs histoires, il leur fallait écrire à partir du plateau, des acteurs – de la vraie vie. Réinvestir des terrains abandonnés du théâtre français : l’intime, le social, des histoires ordinaires traversées, comme toutes le sont, par la grande Histoire. Comme dans Elle brûle, qui soulève, avec un hyperréalisme saisissant, les couches de non-dits d’une famille et la douleur d’une femme d’aujourd’hui qui s’appelle Emma, comme chez Flaubert.
Pour cela, il fallait casser le moule, réintégrer dans la représentation de nos vies ce qui en fait la matière même, sa fragilité et sa complexité. Alors tous les spectacles des Hommes approximatifs mêlent comédiens professionnels et amateurs, de tous âges et d’origines différentes.
Comme une Atlantide engloutie
Ainsi en va-t-il dans Le Chagrin qui, au milieu de l’étonnant décor imaginé par Alice Duchange, inspiré par l’art brut, raconte une histoire banale et universelle. Un frère et une sœur, après la mort du père. La sœur est partie à Paris, des années auparavant, pour devenir danseuse, vivre dans un autre univers. Le frère est resté là, au pays, et maintenant ils se retrouvent, alors que le père n’est plus là, et que remontent les souvenirs.
Tout ici est dans la façon si émouvante qu’a Caroline Guiela Nguyen de convoquer l’enfance, cette enfance inscrite en chaque être humain comme une Atlantide engloutie, toujours prête à refaire surface. Ou d’évoquer la mort de manière un peu vaudoue, en instaurant sur le plateau un fascinant jeu avec la matière, les objets, les poupées, les bricolages divers et variés que chacun s’invente pour recréer du vivant, encore et encore.
Caroline Guiela Nguyen aime Mike Leigh, les frères Dardenne, Maurice Pialat ou Abdellatif Kechiche, les cinéastes qui serrent le réel au plus près, et son travail s’inscrit dans cette lignée. Mais avec Le Chagrin, elle est allée plus loin, sur des territoires encore nouveaux, qui intègrent la présence dans la vie d’une forme de « pensée magique », sans laquelle l’homme ne peut pas affronter la mort.
Alors évidemment, en voyant son parcours, en l’écoutant, on ne peut s’empêcher de penser à Ariane Mnouchkine, que Caroline Guiela Nguyen admire. La jeune metteure en scène aimerait bien, un jour, créer un lieu semblable à la Cartoucherie de Vincennes, « une fabrique de théâtre où l’on installerait notre univers, où l’on ferait à manger, où l’on accueillerait le public », rêve-t-elle. Son prochain spectacle devrait d’ailleurs recréer la vie d’un restaurant vietnamien – tiens, tiens, là encore, on pense à Mnouchkine, à un des premiers spectacles du Soleil, La Cuisine, d’après Wesker. Caroline, c’est l’as de trèfle qui pique le cœur du théâtre français.
Le Chagrin, par Les Hommes approximatifs. Mise en scène : Caroline Guiela Nguyen. Centre dramatique régional de Tours, du 21 au 24 avril. Tél. : 02-47-64-50-50. Théâtre national de la Colline, du 6 mai au 6 juin. Tél. : 01-44-62-52-52. Elle brûle. Jusqu’au 17 avril, à la Comédie de Reims, 3, chaussée Bocquaine, Reims (51). Tél. : 03-26 48-49-10. Puis le 21 avril à Aubusson, Scène nationale d’Aubusson, Théâtre Jean-Lurçat, avenue des Lissiers, Aubusson (23). Tél. : 05-55-83-09-09. Du 27 au 29 mai au Théâtre national de Nice, promenade des Arts, Nice (06). Tél. : 04-93-13-90-90.
Fabienne Darge Journaliste au Monde
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Le spectateur de Belleville
November 18, 2013 6:21 PM
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Elle brûle ! écriture de la compagnie Les Hommes approximatifs, textes de Mariette Navarro, mise en scène de Caroline Guiela Nguyen. Après avoir traversé un petit musée d’objets du quotidien : porte-clefs, bouchons de champagne, colifichets, armoire à pharmacie, robe de princesse dans une penderie…tels qu’on en trouve chez tout un chacun, le public va s’asseoir face à un appartement petit-bourgeois en coupe : papiers peints et cuisine américaine, plantes vertes et ambiance familiale. Il pourrait y faire bon vivre, mais les longs silences embarrassés des protagonistes qui s’y trouvent rassemblés laissent entendre qu’un drame a eu lieu. Le spectateur reste dans l’expectative et le doute, quand, soudain, la porte de la chambre parentale s’ouvre sur une jeune femme gisant sur son lit de mort. Emma.Nous comprenons vite que nous ne sommes pas convoqués à une veillée funèbre mais par une série de flash- back, à la reconstitution des faits qui ont conduit Emma au suicide. Cela semble aller bien chez les Bauchain. Emma a tout pour être heureuse : Charles, médecin, est un gentil mari, et Camille, une gamine effrontée et un peu tyrannique. Pourtant, elle, qui aspire à travailler, ne réussit pas à quitter le foyer et, insidieusement, le quotidien dérape : elle perd la notion du temps, adopte des conduites inexplicables qui l’entraînent dans une vie parallèle. Mireille Davidovici pour le blog "théâtre du blog" CLIQUER SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE Théâtre de la Colline T: 01 44 62 52 52 jusqu’au 14 décembre. www.colline.fr et du 18 au 20 décembre au Théâtre Dijon-Bourgogne et du 7 au 10 janvier à la Comédie de Saint-Etienne
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