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December 14, 2024 9:32 AM
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La conscience est-elle une connaissance de soi ? (Problématique)
La conscience est un thème majeur de la philosophie, sans doute parce que cette dernière se définit elle-même comme une sorte de “conscience supérieure” ou de « conscience critique », un redoublement de la pensée ordinaire se voulant « réflexion ». Voici une définition des plus classiques, celle d'André Lalande dans son Dictionnaire de la langue philosophique : « La conscience est la connaissance plus ou moins claire qu’un sujet possède de ses états, de ses pensées et de lui-même. » Cette définition admet d’emblée que la conscience est une forme de connaissance, une connaissance de soi. Analysons chacun des termes. « Sujet » : au sens logique, « chose » (thème) dont on parle et à laquelle on attribue » des qualités ; au sens psychologique et moral, cela désigne l’être humain comme individu auquel on attribue des qualités : ici, le fait de posséder la conscience. « Etats » fait référence aux états psychologiques, nécessairement variés et changeants, d'un sujet. Les « pensée » apparaissent comme le contenu principal de la conscience. « Lui-même » renvoie à la notion l'identité : le « moi » perçu comme étant le même dans le temps, malgré les changements. La « connaissance » désigne, a priori, le savoir d’un sujet (une machine n’est pas censée connaître, même si elle calcule et traite des informations), donc la citation exprime finalement qu’un sujet dispose d’un savoir sur lui-même nommé précisément « conscience ». L’étymologie du mot semble confirmer cette hypothèse puisque cum-scientia en latin signifie « avec le savoir ». Il s’agirait donc d’une connaissance par rapport à soi-même : savoir qui l’on est, ce que l'on pense, ce que l'on fait. En outre, depuis ses origines, le projet de se connaître soi-même est l’ambition de la philosophie. Ainsi Socrate s’était-il approprié la formule inscrite au fronton du temple d’Apollon, à Delphes : « connais-toi toi-même » (Gnothi Seautón, en grec). C’est son « démon » personnel, sa voix intérieure (= sa conscience) qui le lui ordonne. Puis un philosophe comme Descartes répètera que rien ne se donne à connaître aussi aisément, aussi évidemment que sa propre pensée : pour lui, l’âme se connaît elle-même avant de connaître le monde. Cependant ce que ces philosophes visaient par « connaissance de soi » ne comportait pas de caractères psychologique ou personnel ; il s'agissait simplement de définir le propre de l’homme, son « essence », c'est-à-dire de prendre conscience que nous sommes avant tout un esprit, une âme raisonnable, et d’en tirer toutes les conséquences. Donc la "conscience" en jeu dans la démarche socratique se limite à une conscience "intellectuelle" impersonnelle, et encore n'est-elle jamais thématisée comme telle, seulement au titre d'une "prise de conscience"... de la vérité. Cette thèse de Socrate ou de Descartes répond ainsi à la question "qu'est-ce qu'un homme en général", mais elle ne répond pas à la question "qui suis-je en particulier" en tant qu'individu, en tant que sujet. Or lorsqu'on se demande : "la conscience est-elle une connaissance de soi» ? c'est bien de la conscience individuelle qu'il s'agit, de l'homme en tant qu'individu s'interrogeant naturellement sur ses qualités personnelles, ses sentiments intérieurs, le sens de son rapport avec les autres, son avenir, etc... Notre question est bien : qu'est-ce que cela signifie être conscient de soi, se connaître soi-même en tant qu’individu - la question porte sur l’identité (qui suis-je ?) et par extension sur la personnalité (la totalité de qui je suis), elle ne porte pas seulement sur l’essence de ce que je suis (qu’est-ce que je suis : un être raisonnable, un homme). Le problème est d’abord de fixer les conditions et les limites d’une connaissance de soi au demeurant sans doute partielle. La connaissance de soi, n'est-ce pas la quête (plutôt que le résultat) à jamais inachevée d'une vie ? Mais au-delà, il est possible de se demander si la connaissance de soi constitue vraiment la finalité d’une vie. Deux conceptions complètement différentes de la conscience semblent s’opposer. La conscience est-elle avant tout une forme de repli, de recentrement sur soi (réflexivité), en supposant qu’il y ait bien « à l’intérieur » quelque chose à connaître ? Ou bien la conscience est-elle plutôt une ouverture, une prise de contact avec le monde (ex-istence) ? Dans ce cas la finalité d’une vie ne serait pas de se connaître mais au contraire de s’ouvrir (se risquer) à l’inconnu, au monde et aux autres… Il y a peut-être une façon dialectique (progressive, et logique) de concilier ces deux conceptions. La manière dont un sujet prend conscience de lui-même est avant tout un processus, dont la réflexion et l’introspection ne constituent qu’une première étape. Tout le problème de la conscience tient dans ce vecteur, ce trajet (I) qui part du rapport « immédiat à soi-même qu’on peut appeler simplement « conscience de soi », (II) puis qui transite par une étape de « reconnaissance de soi » à travers l’action et la reconnaissance d’autrui, (III) et qui débouche finalement dans une sorte d'extériorisation de soi, de « conscience-hors-de-soi ». Cette dernière étape définit d’une part l’existence comme ouverture et engagement dans un monde où il s'agit moins pour le sujet de se connaître que d'être efficace, être heureux et se sentir libre, et d’autre part cela concerne des formes quasiment « objectives » de la conscience, sociales et collectives, qui déterminent au moins partiellement la conscience individuelle. Finalement, se connaître soi-même reviendrait surtout à connaître les facteurs extérieurs qui nous déterminent en nous laissant l'illusion d'être une conscience individuelle maîtresse d'elle-même. « Se connaître soi-même » reviendrait-il – comme avait ironisé Socrate – à « savoir qu’on ne sait rien » ? dm
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December 12, 2024 1:35 PM
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Intériorité et subjectivité. Trois références
Bien avant Kierkegaard et Pascal, mais après l’empereur écrivain Marc-Aurèle (auteur de “Pensées pour moi-même”), Saint Augustin affirme que la vérité se trouve à l’”intérieur” de l’homme : “in te ipsum redi, in interiore homine habitat veritas”. Augustin est l’auteur de Confessions où il explore pour lui-même les arcanes de la subjectivité, de la complexité humaines. L’”intérieur”, il lui apparaît par exemple dans la perception intime du temps, dans le fait que le temps consiste tout entier dans la conscience du présent, dans la faculté de se re-présenter le passé et l’avenir, et dans cette tension vers l’éternel qui caractérise l’être humain. — On doit à la philosophie médiévale la notion du “sensus interior,” ou “sens intime”, qui traduit le mot grec sunaisthesis signifiant à l’origine la synthèse des sensations dans l’imagination et dans la mémoire. Pour Pascal aussi il faut connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l’homme, cet intérieur que l’homme ne connaît presque jamais. La vérité c’est que l’être humain est psychologiquement faible et instable, désirant et tourmenté, laborieux et agité. Pascal a très bien vu l’extrême mobilité et diversité de la subjectivité : “il n’y a point d’homme plus différent d’un autre que de soi-même dans les divers temps.” Mais la vérité, c’est aussi que l’être humain peut s’élever jusqu’à Dieu et le connaître par le chemin intérieur du “cœur”, le cœur qui n’est pas seulement le siège du sentiment mais bien le centre mystique de l’homme. Rappelons d’abord que l’esprit orienté par le cœur est l’”esprit de finesse”, en lequel on peut voir une forme distinguée de subjectivité. Rappelons ensuite que le cœur doit aussi prendre la décision la plus importante, pour ou contre la foi. Il s’agit d’un pari, que personne ne peut prendre à ma place : là encore une subjectivité radicale. Évoquons enfin, tout aussi brièvement, une autre théorie de l’intériorité, de la subjectivité vécue comme intériorité, celle de Bergson. Bergson se présente comme le philosophe du vivant et de la durée : car la durée, au contraire de la séparation abstraite des choses, porte le flux continu de la vie elle-même. Or la durée n’est perceptible que par l’expérience intérieure, qui exprime la qualité pure et l’intensité des états de conscience. Seule l’intuition, concentration et engagement de l’âme tout entière, permet d’y accéder. Elle rencontre le phénomène capital de la mémoire qui n’est pas seulement une faculté de l’esprit mais sa réalité même, son contenu le plus pur. Il s’agit d’une mémoire purement subjective et intérieure, indépendante des automatismes du corps et de notre engagement physique dans l’action. dm
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December 10, 2024 12:56 PM
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Le sujet de la connaissance : trois repères historiques
Descartes A la suite de Montaigne, Descartes est un humaniste puisqu’il s’appuie sur la stabilité de l'"humaine nature" pour dégager le caractère premier et inaltérable de la pensée. Mais sa démarche, son point de départ est résolument solipsiste. Je pense, “cogito” constitue la première vérité, à partir de laquelle sera déduite toutes les autres, qu’elles soient métaphysiques, comme l’affirmation de l’existence de Dieu, ou scientifiques dans la connaissance réglée de la nature. La preuve (et l'épreuve) de mon existence s'effectue directement à partir du Je : “je pense donc je suis”, “cogito ergo sum”. Se penser soi-même, comme existant, c’est ce qu’on appellera plus tard la “conscience de soi”. Or ce Je, ce sujet, Descartes n'hésite pas à le définir comme une “chose qui pense”. Et il écrit : “Il est certain que la pensée ne peut pas être sans une chose qui pense, et en général aucun accident ou aucun acte ne peut être sans une substance de laquelle il soit l’acte”. Voila qui semble nous ramener à une conception substantialiste du sujet ! Il y aurait donc une "chose" pensante (res cogitans), cette chose ayant simplement la particularité d’être “spirituelle” ? On pourrait certes y retrouver le thème de l'âme immortelle, essentiellement théologique. Mais là n'est pas l'essentiel. Dans le “cogito”, éclate la subjectivité proprement dite, au sens moderne : c’est que le sujet qui pense est le seul à se sentir et à se connaître comme "lui-même", le seul capable de dire “Je”, “ego”, “ego sum”. A partir de là le sujet est gros d'expériences en première personne, probantes, communicables, universalisables, et toute la "modernité" (moralistes, poètes, philosophes...) de s"engouffrer dans cette brèche. Certes la voie de l'intériorité était ouverte depuis longtemps avec des auteurs comme Marc-Aurèle, Saint Augustin, Montaigne, les poètes de La Pléiade, etc., mais Descartes affirme - définitivement - le Je avec toute l'autorité de la raison, de l'évidence logique, de façon à la fois rigoureuse et épurée. Kant Avec le Criticisme, la philosophie de Kant, une révolution se produit : la subjectivité gagne la connaissance elle-même, au sens où elle en constitue la limite. Selon Kant n'y a pas d'objectivité absolue en matière de connaissance, et il faut notamment renoncer à toute connaissance métaphysique, qui outrepasse justement le sujet. Descartes affirmait bien la toute puissance de la pensée, mais la vérité dépendait quand même en dernière instance de Dieu qui “installait” les idées vraies en lui. En sorte que, dans la connaissance, l’esprit se réglait sur quelque chose d’extérieur à lui. Avec Kant au contraire, les objets à connaître ne peuvent que se régler sur l’esprit humain, qui justement se révèle imparfait (l'entendement qui conçoit et connait nécessite l'expérience sensible, par nature limitée). Rien ne peut s’offrir à l’esprit qui ne soit affecté d’éléments propres à l’esprit lui-même. Voila la subjectivité kantienne : elle signifie tout simplement les limites de l’esprit humain, sa finitude. Pourtant il y a bien une conception du sujet chez Kant, un sujet qui n’est certes pas une substance, mais une “forme” a priori qui assure “l’unité synthétique de nos représentations”. Ce sujet qu’il appelle “Je transcendantal” est donc la condition de toute expérience et de toute connaissance, c’est une pure fonction qu’il ne faut surtout pas confondre avec une substance. Il s’oppose à un autre sujet, le “moi empirique”, qui lui est le lieu de la subjectivité au sens de simple flux des pensées personnelles. Hegel C’est Hegel, et non Kant, qui a installé le sujet (moderne) sur un piédestal. Hegel est d’ailleurs l’un des premiers à utiliser le terme de sujet quasiment au sens de “subjectivité”. C’est dire que Hegel entend dépasser le stade premier de la “substance”, où le sujet existe “en soi” mais pas encore “pour soi”. “Pour soi” signifie faire l’épreuve de soi dans l'existence, ou encore tout simplement “vivre” en faisant alterner ce que Hegel appelle le médiat et l’immédiat, les relations avec le monde et les relations avec soi-même. Ce qui fait évoluer le sujet vers lui-même, vers sa réalisation (son devenir réel), c’est sa capacité à nier, à s’arracher aux déterminations. Mais il n’y a pas chez Hegel d’éclatement du sujet, d’extériorisation indéfinie. Le côté substance, dans toute sa rigidité pourrait-on dire, réapparaît en fin de parcours : ce qui attend le sujet dans sa course, c’est lui-même, le “Soi” que Hegel identifie au Concept (par opposition au simple discours) car on peut dire alors que le sujet se conçoit lui-même, non pas certes dans une sorte d’immobilité ou d’identité qui seraient celles de la substance, mais dans une réflexion supérieure et infinie menant – rien que ça – au Savoir absolu. dm
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December 8, 2024 11:57 AM
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Le cercle du sujet et de la subjectivité
Sujet et subjectivité : ces deux termes paraissent étroitement imbriqués. Le plus ancien et le plus englobant est celui de “sujet” ; tandis que le second, “subjectivité”, semble limité au domaine de la psychologie et apparaît beaucoup plus tard dans le langage philosophique. En réalité son périmètre à la fois sémantique et logique s'avère beaucoup plus large. Entre sujet et subjectivité se forme une relation complexe, quasi-circulaire, une sorte de structure en chiasme que nous dessinons ici brièvement, en commençant par l'origine du mot. Le sujet métaphysique Originellement, le terme “sujet” vient du grec “hupokeimenon” qui signifie littéralement “couché en dessous”. Traduit en latin par “subjectum”, participe passé de “subjicere” (jeter dessous) il est proche sémantiquement de “substantia”, dérivé de “substare” (se tenir dessous). Subjectum est tout simplement le substrat, le support, la chose dont on parle et à laquelle on attribue des qualités. Il est ce qu’il faut supposer en-dessous pour pouvoir dire quelque chose dessus, à son sujet. C’est le sens originel, métaphysique, du terme. Par ailleurs “substance” est un terme important de métaphysique, qui ne se confond pas exactement avec sujet, lequel va avoir une extension sémantique plus large ; le mot substance accentue l'idée de permanence, d'être stable ou autonome, "cause de soi" ; le contraire de la substance, c’est ce qu’en métaphysique on nomme les “accidents”, l’inessentiel, le passager, l’aléatoire. Par ailleurs il n'est pas bien loin dans la sémantique grecque du terme "essence" (ousia). Quant au sujet il est donc la substance en tant qu'elle est susceptible de supporter des qualités, des modifications, sans qu'elle-même ne soit l'une de ces qualités et ne puisse elle-même être modifiée. Ce n’est pas une qualité d’une chose : au contraire, les qualités, c’est tout le reste, tout ce que l’on peut en dire. Or c'est bien ce qu'écrit Aristote à propos du sujet dans sa Métaphysique : “Le sujet, c’est ce dont tout le reste est affirmé, et qui n’est plus lui-même affirmé d’autre chose”. Etonnamment ce sens ancien de substrat ou support, se retrouve dans certains usages modernes du mot sujet qui connotent l'idée d'une certaine passivité, voire d'une soumission. Quand je dis que je suis "sujet au vertige" ou sujet à la grippe, je me présente comme une sorte de base ou de réceptacle pour le virus, une pauvre chose et un être passif qui subit… Quand je parle des "sujets du Roi" ou de la Reine, j'évoque la servilité et l'obéissance, le fait d'appartenir à quelqu'un : tout le contraire de l'autonomie que semble conférer l'être-sujet ou la "subjectivité". Le sujet logique Le couple métaphysique substance-accident connaît son pendant exact en logique, ici le couple “sujet-prédicat”. La logique n’est plus la science de l’être mais la science du discours. Le sujet de la phrase y est cependant toujours défini comme support de qualités qu’on lui attribue : en logique, ce que l’on affirme d’un sujet s’appelle “prédicat”. Grammaticalement, le sujet se rapporte au verbe (le « sujet du verbe »), avec lequel il ne se confond pas. Le verbe, lui, peut désigner une action ou un état. Donc finalement le sens le plus général du sujet est de désigner le thème, la chose ou l'être dont on parle et à laquelle on attribue soit une action (agent), soit le fait de subir une action (patient), soit des qualités diverses dans le cadre d'une description. La logique de Port-Royal (abbaye célèbre et lieu de recherche intellectuelle au 17è s.) avait établi un modèle définitif de jugement où l’on retrouve le sujet en position principale : sujet / copule (est) / attribut. Par exemple, “Pierre parle” doit pouvoir se ramener à “Pierre est parlant”. Cela revient à faire du sujet, Pierre, le terme principal : tout jugement consiste d’abord à affirmer quelque chose d’un sujet, quelque chose qui est inhérent au sujet. On appelle cela un “rapport d’inhérence”. La logique moderne contestera ce schéma univoque. Progressivement, avec Russell et Frege, elle montre que la relation sujet-prédicat n’est qu’un cas particulier parmi beaucoup d’autres structures possibles, qu’elle appelle “fonctions propositionnelles à n arguments”. Sujet et subjectivité : le cercle La subjectivité, au sens psychologique, semble n’avoir que peu de rapport avec ce premier "sujet", métaphysique et logique. Ce n’est plus ce dont on parle, l’objet de nos pensées, mais cette parole ou cette pensée mêmes, en tant que vécues à la première personne. La subjectivité est donc l’expérience que le sujet fait de lui-même, le "rapport à soi" en général, ce qui implique autant unité que division. Unité d’abord parce que le sentiment d’ipséité (être soi) et d’unicité (être unique) sont constitutifs de la subjectivité. Mais division car lorsque je considère ce « moi » par la pensée ou le langage, je suis bien contraint de me diviser en un « je » et un « moi », en un pôle sujet et un pôle objet ; je puis et je dois dire « je » et « moi » dans la même phrase, en une seule pensée. Le sujet grammatical, ou pronom, est bien double : il y a "je" (dit "sujet" du verbe) et "moi" (dit "complément d'objet" du verbe). C’est l'unité paradoxale du sujet, la subjectivité comme division fondamentale, rapport à soi, ou réflexivité. La réflexion, la division ou la duplication de soi pour mieux se saisir soi-même "en entier", c'est le propre de la pensée en tant que conscience. En résumé, je ne suis un qu'en étant deux. Je ne suis sujet qu'en étant divisé. Sujet et subjectivité semblent ainsi s’opposer et se succéder alors qu’ils sont en fait indissociables. Revenons un instant au sens premier du mot sujet, la chose, le thème dont on parle. Si l'on dit que toute propriété est propriété de quelque chose, ce quelque chose qu'on appelle sujet pourrait-il exister "en soi" en dehors de toutes ses propriétés ? Il n'y a pas de sujet pur, mais d'emblée une dualité nécessaire sujet/attribut, et cette relation est déjà "grosse" de subjectivité. Inversement, la subjectivité où "je" fais l'expérience de "moi" ne fait-elle pas précisément de ce "moi" un sujet au sens de substrat ? quelque chose qui "réside là en-dessous" et qu'il m'est loisible par exemple d'examiner, d'étudier, de peindre ou de plaindre ? Pour reprendre l'expression "être sujet au vertige", on voit qu'elle révèle bien cette duplicité sujet/subjectivité : ce qui est "subjectif" c'est de faire l'expérience personnelle du vertige, mais je suis également "sujet" au sens de subjectum lorsque le vertige est chez moi une disposition permanente, de sorte que je lui sert passivement de terrain ou de support. Subjectivation et individualisation La philosophie contemporain a beaucoup critiqué et transformé le concept de sujet, mais l'on constate que le cercle sujet/subjectivité ne disparait pas pour autant. Nietzsche avait, le premier, critiqué le véritable fondement à la fois du sujet et de la subjectivité modernes, à savoir le “cogito” cartésien ou le “sujet de la pensée”. Le fait qu’il y ait du penser, dit Nietzsche, que “cela pense” (Es denkt) n’autorise pas à croire que quelque chose pense — encore moins que ce soit “l’antique et fameux Je” (Ich denke). Il faut même aller jusqu’à éliminer ce Es. “Penser” est un mouvement, une puissance comme une autre. Ce sont nos habitudes grammaticales qui nous font croire qu’il y a un sujet à chaque fois qu’une action se présente. — Deleuze renchérit : “il n’y a pas de sujet - il n’y a que des processus qui peuvent être d’unification, de subjectivation, de rationalisation, mais rien de plus.” Que faut-il entendre par “subjectivation” ? D’abord le processus de formation d’un sujet et l’occasion de son émergence ; le fait que ce n’est jamais un être (substance, pensée, conscience, moi, etc.) mais toujours un évènement. Bien plus : cela implique une relation à la société qui n'est plus seulement d'appartenance, mais qui peut être aussi bien d'opposition. Parce que le sujet contemporain ne se conçoit que comme singulier. L'homme d'aujourd'hui tient à se singulariser (même si paradoxalement notre époque est aussi celle de la massification). Or cela implique aussi un nouveau rapport avec le corps considéré comme sujet à part entière (seule l'âme était censée être sujet à l'époque classique). Les sujets contemporains veulent "vivre leur corps", ou bien "vivre leur sexualité", et de ce fait sont sujets avec leur corps et se singularisent par ce biais (voir par exemple la recrudescence d'une mode : le tatouage). Avec Michel Foucault, le processus de subjectivation, comme résistance au pouvoir, signifie précisément individualisation. Reprenant le thème à la sagesse antique, il tente de remettre à l’honneur le “souci de soi”, la singularité et l’individu face à toutes les normalisations, et évoque des « techniques de soi » pour y parvenir, notamment l’écriture. C’est aussi le point de vue de Roland Barthes, théoricien de la littérature, qui associe l’individu et le corps, le singulier et la jouissance, l’écriture et la subjectivation : "Alors peut-être revient le sujet, non comme illusion, mais comme fiction. Un certain plaisir est tiré d’une façon de s’imaginer comme individu, d’inventer une dernière fiction, des plus rares : le fictif de l’identité. Cette fiction n’est plus l’illusion d’une unité ; elle est au contraire le théâtre de société où nous faisons comparaître notre pluriel : notre plaisir est individuel — mais non personnel. - Chaque fois que j’essaye d’”analyser” un texte qui m’a donné du plaisir, ce n’est pas ma “subjectivité” que je retrouve, c’est mon “individu”, la donnée qui fait mon corps séparé des autres corps et lui approprie sa souffrance ou son plaisir : c’est mon corps de jouissance que je retrouve. Et ce corps de jouissance est aussi mon sujet historique ; car c’est au terme d’une combinatoire très fine d’éléments biographiques, historiques, sociologiques, névrotiques (...) que je règle le jeu contradictoire du plaisir (culturel) et de la jouissance (inculturelle), et que je m’écris comme un sujet actuellement mal placé, venu trop tard ou trop tôt (...) : sujet anachronique, en dérive.” (Roland Barthes, Le Plaisir du texte) Le sujet de la parole et de l’inconscient Ferdinand de Saussure est le fondateur de la science linguistique. Il a eu l’idée de considérer et d’étudier la langue comme un “système” de signes. Seulement une langue ne fonctionne que si elle dit, et elle ne dit que si quelqu’un est là pour lui faire dire quelque chose dans la parole. “Acte individuel de volonté et d’intelligence”, la parole manifeste “l’activité du sujet parlant” selon Saussure. — Plus tard, la “pragmatique” (variante de la linguistique) parlera plutôt de “sujet du discours” afin de mettre en valeur cet aspect du langage “en situation”, et pour distinguer celui qui parle, dit “sujet de l’énonciation”, de celui dont on parle : le “sujet de l’énoncé”. Or le sujet de l’inconscient, chez le psychanalyste français Jacques Lacan, n’est autre que le sujet de la parole et même précisément le sujet de l’énonciation. La preuve, c’est que le fait que l’on parle, quand on parle, reste inconscient. D’où la question : “qui” ou “qu’est-ce” qui parle en nous, et qu’est-ce qui nous fait donc parler ? Comme Freud, Lacan analyse les phénomènes où se manifeste une parole inconsciente : les rêves, les lapsus, les fantasmes, etc. — Mais Lacan a très fortement contribué au renouveau du terme de “sujet”. Toute sa doctrine se présente comme une “théorie du sujet” où celui-ci, littéralement, ne “sait pas ce qu’il dit” parce qu’il est le produit inconscient du langage. Ce qui ne veut pas dire qu’il dise n’importe quoi : simplement, quand il sait ce qu’il dit, ce n’est pas le vrai sujet qui parle mais le “moi” (son double imaginaire), et quand il ne sait pas ce qu’il dit, c’est là qu’il dit vraiment la vérité sur lui-même. Le sujet lacanien est un sujet paradoxal, on ne le rencontre vraiment jamais : il est aussi “fondamental”, “réel” et indispensable que l'"hypokeimenon"” aristotélicien, à ceci près que c’est un fondement qui n’existe pas, l’absence de fondement même : un non-être. Le plus intéressant, dans le cadre de la théorie de l'inconscient, est ceci : la duplicité sujet/subjectivité y est portée par une étonnante structuration quaternaire. Elle prend d'une part la forme de l'opposition du sujet et du moi. On ramène tout d'abord la subjectivité aux états de conscience et à leur classique circoncision dans le "moi", où Lacan ne voit que l'effet d'une capture imaginaire et une aliénation constante. Par rapport au "vrai" sujet, produit du symbolique, le moi est réifié et même réduit au rang d'objet. Ce qui ne l'empêche pas de se présenter sous les auspices civilisées et civilisatrices d'un pseudo sujet n'ayant rien de mieux à faire que d'objectiver le réel. Quant au sujet authentique il ne faut pas se contenter d'y voir une abstraction (encore moins, bien sûr, un Je transcendantal), car il parle, parfois de façon très inattendue, apparaît, disparaît, se déplace tel le furet : en réalité "il" (impersonnel) ne dépend que de l'Autre (symbolique). Mais ce qui compte, ce sont les relations croisées qui apparaissent (cf. le schéma L de Lacan) entre deux formes de communication : d'une part une relation intermoïque (a-a'), essentiellement imaginaire, et d'autre part une relation qu'on dirait intersubjective (entre le sujet Es et l'Autre) si seulement elle était possible, sans devoir se rabattre précisément sur la première, car toujours "le sujet est séparé des Autres, les vrais, par le mur du langage" (Lacan), langage où il s'aliène au signifiant. En sorte que nous n'obtenons pas seulement cette fameuse scission entre sujet et subjectivité (Es, moi), mais également une structure quaternaire fondamentale équivalente à la “subjectivité globale”, pourrait-on dire, qui caractérise structurellement le sujet parlant, le "parlêtre" ainsi que le nomme Lacan. dm
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December 6, 2024 4:46 AM
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Identité mémorielle et identité narrative
La conscience et l’identité mémorielle Nous savons que le temps est le facteur déterminant de notre identité, parce que la « mêmeté » du « moi » suppose des représentations successives justement identiques : je suis le même moi, non parce que j’aurais toujours les mêmes qualités, mais parce toujours je rapporte ces qualités à un même « sujet ». Et à chaque fois je suis conscient de cette relation. Or ces représentations de soi successives se gravent dans la mémoire, c’est ce qui va former l’« identité mémorielle ». Sans la mémoire (et sans la conscience de nos états passés) nous n’aurions aucune idée de notre identité. La mémoire se présente donc comme ce qui conditionne la cohésion de notre être, elle est l'artisane de notre identité personnelle. C’est ce que nous rappelle John Locke dans ce texte célèbre qui articule les deux processus de la conscience et de la mémoire pour déboucher sur l’identité. « Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes : et c'est par là que chacun est à lui-même ce qu'il appelle soi-même. [...] Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée, et que c'est là ce qui fait que chacun est ce qu'il nomme soi-même, et par où il se distingue de toute autre chose pensante : c'est aussi en cela seul que consiste l'identité personnelle, ou ce qui fait qu'un être raisonnable est toujours le même. Et aussi loin que cette conscience peut s'étendre sur les actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s'étend l'identité de cette personne : le soi est présentement le même qu'il était alors : et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l'esprit. » (J. Locke, Essai philosophique concernant l'Entendement Humain) La personnalité et l’identité narrative Le rôle de la mémoire est donc établi, mais il faut distinguer plusieurs sortes de mémoire. La mémoire dont on a parlé jusqu’ici n’est qu’une faculté qui assure la possibilité formelle d’une identité personnelle. Et certes nous rattachons consciemment à cette identité, à ce sujet, un certain nombre de traits, de caractères, de qualités que nous considérons comme fixes et permanents. Mais quid de la responsabilité de cette identité, au sens où être « responsable » (respondere en latin) revient non seulement à connaître mais à reconnaître cette identité, justement à travers le temps, à travers toute une vie. C’est ici que nous avons besoin d’un concept plus large d’identité que l’on nommera avec le philosophe français Paul Ricoeur (20è) « identité narrative ». Elle se définit comme la capacité de la personne de mettre en récit de manière concordante les événements de son existence. Un sujet ne se contente pas d’être « lui-même » formellement, il se doit d’entretenir cette identité, réellement, à travers le récit et l’interprétation qu’il donne de sa vie et des événements qui la composent. De ce fait il n’a pas seulement conscience de son identité mais, au-delà, de sa personnalité. Car, à strictement parler, la permanence dans le temps de ce que je suis, au sens de l’identité mémorielle, ne permet pas de répondre à la question « qui suis-je ? », selon Ricoeur, mais plutôt « que suis-je ? ». Cette « seconde mémoire » est donc aussi ce qui nous relie à autrui. C’est ce qu'illustre la figure emblématique de la promesse dans laquelle j'engage d'abord qui je suis, dans mon rapport à autrui… au futur, et non ce que je suis dans le strict rapport à moi-même au présent. La seule mémoire de « ce que je suis » ne me permettrait pas d’honorer une promesse, que bien souvent je ne pourrais honorer dans le présent, et donc c'est précisément au-delà de « ce que je suis » aujourd'hui que je m'engage à tenir parole, associant cette parole à « qui je suis ». Cette jeune femme disant à ce jeune homme : « je suis ta femme, et lorsque tu reviendras de voyage (ou de la maladie, de la guerre, etc.), nous serons unis », l’expression « je suis ta femme » affirme qui elle est au-delà de ce qu’elle est, car une promesse est une anticipation impliquant une mémoire narrative (l’histoire que l’on se raconte) ainsi que le respect d’une parole donnée. Donc la vraie identité personnelle se manifeste concrètement et activement par le maintien volontaire de soi devant autrui, par la manière qu'a une personne de se comporter devant autrui notamment, telle qu'« autrui peut compter sur elle » dit Ricoeur. La notion d’identité narrative repose sur l'idée que tout individu s'approprie « lui-même », voire se constitue, dans une narration de soi sans cesse renouvelée. Il ne s'agit pas d'une histoire objective, mais de celle que, scripteur et lecteur de ma propre vie, « je » me raconte sur moi-même. L'identité personnelle se constitue ainsi au fil des narrations qu'elle produit et de celles qu'elle intègre continuellement. Ce faisant, loin de se figer dans un noyau dur, le « je » se transforme à travers ses récits propres où le rapport avec autrui est déterminant. « En narrativisant la visée de la vraie vie, il lui donne les traits reconnaissables de personnages aimés ou respectés », écrit ainsi Ricœur (Soi-même comme un autre, 1990). L'identité n'est donc jamais parfaitement définitive, et de ce fait, elle permet d'enrichir la compréhension ordinaire de la personne désormais conçue comme un personnage qui lutte narrativement contre l'éparpillement de ses propres expériences vécues. Il est notable que ce récit peut prendre, dans une certaine mesure, la forme d’une fiction : jusqu’à quel point notre personnalité est-elle imaginaire ? Jusqu’au point, sans doute, où autrui valide ou invalide ce récit et nous force à le rectifier ! Approfondissements et débats Pour comprendre la pertinence du concept d’identité narrative, il faut le replacer dans le cadre d’un débat classique sur l’identité personnelle opposant deux traditions philosophiques. La première, « métaphysique », fait porter l’identité sur les notions de « sujet » et de « substance » ; la seconde, « empiriste », nie la notion de substance et ne retient que les différentes perceptions qui donnent une impression (plutôt fausse) de permanence et d’identité. Petit rappel. Aristote avait défini la substance (d’un être, d’une chose en général) comme étant ce qui demeure, par-delà tous les accidents et les changements qui peuvent survenir. L’identité se rapporte donc logiquement à la substance. Mais quel rapport entre la substance et le sujet ? Le mot « hypokeimenon » en grec désigne proprement le « sujet », ce qui se tient par-dessous, base et support de l’être, et c’est ce terme qui sera traduit par « subjectum » en latin et qui donnera le « sujet » en français. Or l’identité est rapportée généralement au « sujet », avec toujours cette idée d’un être doté d’une certaine permanence. De même qu’en grammaire, le « sujet » est ce terme (unique) dans la phrase auquel on va rapporter un nombre (variable) de qualités, ou d’actions. Puis au plan intellectuel et psychologique, ce sujet, cette subjectivité individuelle (ego) sera rapportée explicitement à la pensée (cogito) notamment par Descartes, qui n’hésitera pas à parler de « substance pensante » pour désigner l’âme. C’est justement cette idée de substance pensante que contestent les empiristes. Par exemple, le texte de John Locke cité plus haut relève de l’empirisme, car même s’il semble accepter la notion d’identité, c’est en la rapportant à ces facultés que sont la conscience et à la mémoire et non à l’âme en tant que substance. Un autre philosophe anglais et empiriste, tel que David Hume (18è), sera plus radical et critiquera même la notion d’identité : « Il y a certains philosophes [Hume vise les cartésiens], qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi; que nous sentons son existence et sa continuité d’existence; et que nous sommes certains, plus que par l’évidence d’une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. ». Si bien que le philosophe empiriste réduit la « permanence de soi-même » à une simple croyance, relayée par la mémoire et l’imagination. La notion d’identité narrative, promue par Ricoeur, vise à surmonter ce conflit entre métaphysiciens et empiristes ; elle cherche à établir une vraie permanence de l’identité personnelle fondée sur le récit de soi. Didier Moulinier
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December 4, 2024 5:54 AM
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Ethique et usage des plaisirs (une lecture de Foucault)
Comme l’a montré Michel Foucault dans L’usage des plaisirs, la finalité de la réflexion grecque sur le plaisir en général et l’acte sexuel en particulier n’est jamais purement interdictrice, ni même thérapeutique, mais avant tout “diététique”. Il s’agit de préconiser un certain usage ou une « jouissance » des plaisirs, fondé certes sur la prudence et la restriction, mais toujours dans l’optique d’un rapport à soi et à son propre corps qui relève moins de la morale que – selon Foucault – d’une « esthétique générale de l’existence ». L’on s’étonne alors de la connotation malgré tout négative de cette sagesse qui ne cesse de mettre en garde contre les dangers inhérents à la pratique sexuelle, et pas seulement à ses excès. Cette présence sous-jacente du “mal” réduit-elle le régime à une composante ou une application de la thérapeutique médicale, suite à un relâchement général (physique et moral), ainsi que le pensait Platon ? Ou bien comme la tradition hippocratique nous y invite, faut-il voir au contraire dans le régime une préoccupation première et autonome, et dans la médecine une diète secondaire réservée aux seuls malades ? Notons que l’hypothèse platonicienne ne conduit nullement à condamner le régime, sinon qu’elle lui attribue une cause et une justification extérieures : la nécessité bien réelle de retrouver un mode sain d’existence dès lors que le mal a fait son œuvre, l’homme ayant commis l’erreur ou la faute de s’être écarté de la norme naturelle. Dans tous les cas la diète serait bénéfique mais ordonnée à deux origines fort différentes du mal. Dans la tradition médicale ancienne le mal est inhérent aux conditions difficiles de la vie naturelle, à la sélection redoutable des forts et des faibles et à l’élimination de ces derniers ; de sorte que l’art diététique devient le style d’existence propre et parfaitement adapté à l’homme dans son combat pour la vie. Tandis que Platon situe le mal dans la pratique diététique elle-même quand elle se prend pour une norme (de même qu’il combat les us et coutumes amoureux dans le Banquet), et même s’il reconnaît l’utilité du régime il n’y voit pas une motivation suffisante et comparable à la quête philosophique de la vérité. Aux excès et à l’obsession du régime physique, Platon préfère une cure nettement plus métaphysique ; s’il dépasse la mesure, alors qu’il devrait être d’abord la résolution morale d’une conduite raisonnable, le régime perd toute justification. Un second motif d’étonnement serait la place — tout à fait secondaire — réservée au rapport sexuel dans la liste des activités soumises au régime. Il ne fait que s’ajouter aux principales d’entre elles que sont les exercices, la consommation des aliments et des boissons, le sommeil. La régulation des aphrodisia qui obéit à des motifs beaucoup plus physiques que moraux ne s’apparente en aucun cas à une règlementation binaire sur le modèle : bien/mal, permis/interdit, ni même à la limite un peu/beaucoup. Aucun critère fixe ou codifiant n’est retenu dès lors qu’il s’agit surtout de permettre un fonctionnement corporel globalement satisfaisant. En revanche l’on sera attentif aux modifications qualitatives que l’acte sexuel occasionne sur le jeu du chaud et du froid ou encore de l’humide et du sec, de sorte que le régime vise à maintenir l’équilibre de ces rapports essentiels et détermine, en fonction de la situation interne et externe de l’individu, les moments et la fréquence convenables pour accomplir cet acte. Le seul critère vraiment quantitatif se trouve d’ailleurs connoté négativement : il s’agit de la perte, c’est-à-dire de l’amaigrissement occasionné par l’éjection de la semence. L’idée persiste que, d’une façon générale, faire l’amour affaiblit, refroidit après-coup (si l’on peut dire) et de manière irrécupérable l’organisme… Au bout du compte, le sage n’a qu’un conseil à donner à qui veut conserver et mobiliser autrement son énergie : se restreindre, sinon s’abstenir. Le paradoxe est grand si l’on s’avise par ailleurs qu’aucune considération morale ne vient, dans ce contexte, bannir ou interdire l’acte sexuel et que, d’autre part, la déperdition de sperme si affolante est reconnue par tous comme naturelle et nécessaire. Selon M. Foucault, cette angoisse se nourrit de trois motifs caractérisant la perte et correspondant à trois enjeux essentiels de l’existence humaine : la forme même de l’acte où il y va de la maîtrise, le coût qu’il entraîne mettant en jeu la force du sujet, enfin la pente mortelle qui est la sienne mettant en danger la vie même de l’individu. Premièrement, donc, l’acte éjaculatoire est perçu comme violent, dans une représentation essentiellement virile du sexe (qui vaut d’ailleurs pour les hommes comme pour les femmes, bien qu’elle assure la domination des premiers sur les secondes). Ensuite l’on déplore la soustraction précieuse d’une matière qui, selon certains auteurs, serait l’émanation commune de l’âme et du corps, tout au moins le produit d’un long travail du corps que l’âme s’apprêterait à recueillir et à faire fructifier. Enfin la procréation même, le bénéfice biologique le plus patent de l’acte sexuel ne fait évidemment qu’annoncer et peut-être même précipiter la mort de l’individu. Bien entendu, les anciens Grecs ne vont jamais jusqu’à décourager et à condamner sans reste une activité sexuelle (pas plus d’ailleurs que les autres plaisirs) qu’ils ne jugent dangereuse que dans ses formes excessives, même s’il convient de s’en méfier dans sa forme même. Ces trois thèmes — violence, dépense et mort — sont investis dans une réflexion positive visant à établir, selon l’expression de M. Foucault, une « technique de vie » réservant la part des plaisirs. M. Foucault a cherché à faire sienne cette technique visant l’autonomie, en y puisant l’idée d’une esthétique existentielle et individuelle, jusqu’à la possibilité d’une authentique sculpture de soi. Ces diètes antiques tour à tour raisonnées et fantaisistes, à la fois mesurées et inquiètes quant aux dangers de la sexualité, que pouvons-nous en faire ? Car la question, pour nous contemporains, ne relève plus seulement de la pratique mais bien d'une pragmatique, nous consommons aussi des idées et nombre d'idéologies en la matière. Foucault aura été un découvreur, un archéologue des éthiques anciennes, et aussi il aura été leur logicien, leur dialecticien : il nous les a données à comprendre. Nous pouvons maintenant nous donner l’a priori de la diète définie plus haut comme limite au déséquilibre et à la jouissance débridée, et faisant en quelque sorte jouer le plaisir contre la jouissance (comme le faisait très subtilement un autre contemporain de Foucault, Roland Barthes, dans "Le plaisir du texte"), nous pouvons en faire l'usage que nous entendons, pas seulement des plaisirs mais de la diète elle-même - car il ne suffit pas de prétendre "retrouver" ou "imiter" la pratique des anciens, comme c'est devenu la mode aujourd'hui pour une certaine philosophie managériale, usurpant sans vergogne les concepts de "souci de soi", d'éthique ou de pratique.
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December 3, 2024 9:00 AM
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Le temps qui passe et le passé
Le temps comme changement et passage v.s. l’éternité de l’âme selon Platon Pour Platon le temps revêt une connotation plutôt négative. D’un côté c’est l’existence de l’homme dans le temps, c’est-à-dire la souffrance, l’inquiétude, l’ignorance, etc. qui engage à philosopher (les dieux éternels ne philosophent pas), d’un autre côté le temps est refusé, nié, puisqu’il s’agit de se libérer du temps, à la recherche d’une forme d’éternité que le philosophe trouve dans les « Idées ». D’ailleurs pour lui le temps n’existe pas vraiment. Le temps n’”est” pas car « en vérité, l’expression “est” ne s’applique qu’à la substance éternelle » écrit Platon. La substance, c’est la nature propre d’une chose, son être essentiel et permanent. Le contraire de la substance, l’inessentiel provisoire, c’est l’accident : le temps règne sur le monde de l’accidentel. Donc – pour Platon – le temps n’est pas vraiment car il est essentiellement changement, ou encore devenir. Le temps qui passe contredit ce qui demeure, ce qui est éternel. Seulement, tout en contredisant l’éternité, le temps est conçu par Platon comme une « certaine imitation » de l’éternité. C’est-à-dire que le temps ne se déroule pas de manière linéaire (comme nous l’enseigne pourtant la physique moderne), mais au contraire de façon cyclique : c’est l’image de « la roue du temps » qui tourne, symbole commun aux philosophies orientales. De sorte que le temps fait une boucle, revient sans cesse, effectivement comme une sorte d’éternité. Sauf que la vraie éternité doit être conçue comme immobile, alors que, avec le temps « l’auteur du monde s’est préoccupé de fabriquer une certaine imitation mobile de l’éternité » (Platon). On trouve une illustration de cette théorie dans un texte du Banquet où Platon se demande justement dans quelle mesure nous changeons, nous, en traversant le temps : « Quand on dit de chaque être vivant qu'il vit et qu'il reste le même - par exemple, on dit qu'il reste le même de l'enfance à la vieillesse -, cet être en vérité n'a jamais en lui les mêmes choses. Même si l'on dit qu'il reste le même, il ne cesse pourtant, tout en subissant certaines pertes, de devenir nouveau, par ses cheveux, par sa chair, par ses os, par son sang, c'est-à-dire par tout son corps. Et cela est vrai non seulement de son corps, mais aussi de son âme. Dispositions, caractères, opinions, désirs, plaisirs, chagrins, craintes, aucune de ces choses n'est jamais identique en chacun de nous ; bien au contraire, il en est qui naissent, alors que d'autres meurent. C'est en effet de cette façon que se trouve assurée la sauvegarde de tout ce qui est mortel ; non pas parce que cet être reste toujours exactement le même à l'instar de ce qui est divin, mais parce que ce qui s'en va et qui vieillit laisse place à un être nouveau, qui ressemble à ce qu'il était. Voilà par quel moyen, Socrate, ce qui est mortel participe de l'immortalité, tant le corps que tout le reste. » Platon explique clairement que, dans le temps, nous changeons, corps et âme, jusqu’à la mort, tout en continuant à « ressembler » à ce que nous étions à la naissance. Plus généralement il dit que c’est le propre de la vie naturelle (contrairement à la vie divine) de chercher une forme de permanence en produisant du nouveau à partir même de ce qu’elle détruit (comme le fait d’engendrer, qui compense notre mort), mais un nouveau « ressemblant ». C’est cette ressemblance qui assure une forme de permanence… à l’image de la vraie permanence, réservée à l’éternité. Nous changeons donc dans le temps. Mais cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas le même… en-dehors du temps, au regard de l’éternité. Car pour Platon l’âme participe à la fois de la temporalité et de l’éternité. L’âme est censée être immortelle et doit subir la dure épreuve des réincarnations successives, jusqu’à ce qu’elle retourne dans le « paradis » des purs esprits. L’âme a donc bien une identité éternelle, qui subsiste même dans son état incarné – puisque c’est bien la même âme qui s’incarne et se réincarne, malgré tous les changements qu’elle peut subir. La version de l’identité qui nous est proposée ici est de type métaphysique : l’identité serait spirituelle, éternelle, au-delà du temps. Cette théorie platonicienne n’a bien sûr de justification que religieuse (Platon semble avoir été influencé par les doctrines orientales à cet égard), la plupart des métaphysiciens n’adoptent pas cette théorie de la réincarnation, même s’ils défendent l’immortalité de l’âme (les philosophes d’obédience chrétienne recyclent la thèse du « salut éternel », bien différente). Et tous ne la défendent pas : est méta-physique simplement toute théorie défendant la thèse d’une réalité et d’une identité de l’âme au-delà des conditions physiques d’existence. L’irréversibilité du temps et la contingence des êtres naturels La vérité c’est que le temps qui passe, le temps qui s’écoule, est un temps linéaire : il se définit comme irréversible. L’irréversibilité est le principal caractère du temps. Héraclite, philosophe présocratique, disait déjà : « Ceux qui descendent dans le même fleuve, se baignent dans le courant d’une eau toujours nouvelle ». Cela signifie donc que ce qui passe ne revient jamais, ou qu’on ne peut y revenir : le passé est ce qui n’existe plus, ce qui est révolu. En un sens la vraie dimension du temps apparaît donc bien ici comme celle du passé : l’effet de « ce qui passe » est tout naturellement le « passé ». C’est ce qu’indique l’expression populaire : “dans le temps” (= autrefois). Si le temps est irréversible, nous dirons que l’homme vivant dans le temps est un être limité, fini, ou contingent. C’est même ce qui fait son caractère tragique. En tant qu’être naturel et temporel, l’homme peut être ou ne pas être, vivre longtemps ou pas, être heureux ou malheureux : son existence n’a aucune nécessité, elle est purement accidentelle. Il est soumis au temps comme l’esclave à son maître. Pour l’homme, le temps a une direction, celle de l’avenir, mais c’est en réalité vers le passé qu’il lui fait signe, vers ce temps où il n’était pas encore, vers l’éternité du non-être. En effet le temps désigne à l’homme sa propre mort. Le désir d’éternité et ses avatars Pour éviter cette fuite en avant (vivre, c’est perdre peu à peu la vie), l’on peut être tenté de revenir en arrière comme à une source éternelle. On comprend mieux pourquoi la mentalité antique est tout entière tournée vers le passé. C’est comme s’il y avait un temps “d’avant le temps” — c’est-à-dire l’éternité — qu’il fallait retrouver. Mais justement ce n’est que le passé qu’on retrouve, pas l’éternité, car bien sûr l’expression “avant le temps” est un contresens. Pourtant les hommes n’ont cessé de regretter, rêver, chercher l’éternité. Pour beaucoup de religieux ou de traditionnalistes, les hommes seraient, en quelque sorte, “tombés dans le temps”. Soit en raison de Lois cosmiques inéluctables, soit par de cruelles décisions divines, soit en raison du péché des hommes (judéo-christianisme). Mais quelle sera la voie du nostalgique qui décide de « remonter le temps » vers l’éternité, de quitter le devenir pour l’être? D’abord la “Tradition”, au sens large, est le moyen pour une société de rester en contact avec le passé, et même avec une sorte d’éternité. Pour un traditionnaliste, qui est souvent un nostalgique, la Tradition, c’est “ce qui s’est toujours fait”, et par là-même c’est “ce qui est vraiment”, le modèle éternel de ce qui est, et de ce qui devrait être. Selon la Tradition, tout doit revenir : les saisons, l’âge d’or, les Rois, l’Amour, et même les morts ! Tout obéit à la loi des cycles. (cf. Mircea Eliade, Le mythe de l’Eternel retour). Individuellement, on peut aussi essayer de défier le temps. En l’annulant, en l’étirant ou bien au contraire en le contractant au maximum. La passion, la gloire sont des simulacres ou des illusions d’éternité. Combien de savants qui rêvent de vaincre le temps, ou plutôt la mort, confondant en ceci éternité et immortalité ? Combien d’alchimistes croyant découvrir l’« élixir de longue vie », de Lancelot partis en quête du Saint Graal, de “savants fous” (aujourd’hui « transhumanistes ») promettant la vie immortelle ? Le plus grand rêve reste sans doute de “voyager dans le temps” (cf. le célèbre roman de Wells), comme si l’on pouvait braver la direction naturelle du temps. Mais un voyage hypothétique dans le temps nous donnerait-il les moyens de modifier le cours du temps (irréversibilité) ? Evoquons pour finir quelques traits psychologiques marquant cette obsession pour ce temps d’avant… le temps. Le pessimiste est une personne ayant un sens aigu de la contingence (le fait d’être mortel, écrasé par le temps) et qui en souffre. Est pessimiste celui qui voit les choses et les êtres du côté de leur être périssable, mais qui ne l’accepte pas vraiment. Est pessimiste celui pour qui tout va mal et ne saurait aller que de plus en plus mal, et cela le rend amer. Implicitement il considère le présent ou l’avenir 1° comme une dégradation (corruption) du passé (“c’était bien mieux avant”), 2° comme destinés à revenir au passé, c’est-à-dire à mourir, à ne plus être. Le pessimiste est un « passimiste », parfois « réactionnaire » (celui qui veut faire réagir le passé). Notons cette forme pathologique de « pessimisme » qu’est la mélancolie : le mélancolique est un sujet que tout ennuie, que tout déprime, car jamais les êtres et les évènements ne sont à la hauteur de ce qui est censé avoir été, et qui est censé avoir été perdu. Mais dans son cas, le monde perdu, ou l’objet particulier de son amour, qu’il croit perdu, est bien plutôt imaginaire et inexistant, d’où l’aspect pathologique de cette disposition qui confine à la psychose. dm
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December 2, 2024 3:28 AM
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Le temps, « forme du sens interne » (selon Kant) et condition de notre identité
Le temps est nombre ou mesure du mouvement, disait déjà Aristote ; il est donc un produit, voire une condition, de l’esprit humain : c’est ce qu’a explicité Emmanuel Kant. Kant fait du temps mais aussi de l’espace des capacités spécifiques de l’esprit (on dirait aujourd’hui du « cerveau »), de la subjectivité, et de la perception. « Le temps n’est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux choses comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste, si l’on fait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition [perception] » (Critique de la raison pure). D’abord l’espace est ce qui nous permet de penser et de percevoir la juxtaposition des choses : deux choses différentes peuvent nous apparaître en même temps, sans occuper la même place. Ceci est le phénomène de l’espace. Ensuite le temps est ce qui nous permet de penser et de percevoir la succession des choses : deux choses peuvent occuper exactement la même place, mais pas au même moment. Ceci est le phénomène du temps. Dans la mesure où toutes nos représentations sont synthétisées dans l’esprit (à partir de l’intuition sensible), y compris nos perceptions spatiales, c’est bien l’esprit qui « gère » toutes ces représentations, et il faut voir dans cette faculté de nous re-présenter quelque chose la marque spécifique du temps (on le perçoit bien dans le “re-” qui marque une scansion, un écart). C’est ce qui permet à Kant d’avancer « le temps est une condition a priori de tous les phénomènes en général » (id.), donc la condition pour que quelque chose nous apparaisse. Ce que veut dire Kant c’est que, 1) sans l’esprit, nulle juxtaposition (espace), nulle succession (temps) ne seraient perceptibles, donc sans l’esprit nous n’aurions aucune représentation de ce genre, mais 2) n’oublions pas qu’une re-représentation dans l’esprit, en général, appartient au domaine du temps. C’est une « forme », une sorte de configuration innée de notre esprit, qui bien sûr implique aussi la mémoire (cf. billet à part). Mais cela va au-delà d’une capacité de percevoir le monde. Le temps nous permet aussi de nous représenter nous-même, notre « moi », notre vie intérieure. « Le temps n’est autre chose que la forme du sens interne, c’est-à-dire de l’intuition de nous-même et de notre état intérieur » (id.) dit Kant. Le temps est une dimension essentielle de notre conscience. Or, à ce titre, le temps ne nous permet pas seulement de percevoir les choses dans leur succession. La conscience est bien une série d’états successifs, mais “conscience” signifie précisément qu’on les perçoit aussi dans leur simultanéité, tous en même temps, dans une sorte de présent. La conscience reste une unité, et c’est précisément le temps qui représente cette possibilité de synthèse des éléments successifs et divers. Grâce à lui, la conscience peut se représenter, littéralement rendre présent tout ce qui la constitue. Cette perception en simultanéité que nous avons de nous-mêmes et de nos pensées, c’est la conscience. Ce que nous pouvons en rassembler, avec plus ou moins de netteté et de facilité, c’est notre moi, notre personnalité. Mais le fait même que nous percevions à chaque fois le même individu, la même personne, avec ce même sentiment d’unicité, c’est ce que nous appelons l’ipséité et plus simplement l’identité. Cette identité – cette durée d’un même être - est donc bien rendue possible par le temps. Le temps est donc bien la condition de notre identité. Didier Moulinier
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November 30, 2024 11:34 AM
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Position du problème Il faut abandonner l’idée illusoire qu’il existerait un temps absolu, indépendant des choses, de leur mouvement, et de leur perception, un temps qui serait une sorte de cadre ou de milieu où chacun circulerait à sa guise. Cela n’est pas plus vrai du temps que de l’espace. Le temps et l’espace en soi, nous ne les rencontrons jamais. En fait cela reviendrait à confondre le temps avec la « Nature » en général, l’homme ne serait pas partie prenante du temps mais simplement « dans » le temps, passivement, comme toutes choses existantes. Le temps a bien une certaine "objectivité", comme propriété du monde physique (cosmos), "découverte" par la science, il est le même pour tous. Par ailleurs il est aussi une propriété du monde humain, "inventé" par les sociétés et leurs usages. Mais dans les deux cas le temps reste "relatif" à l'esprit humain capable de le concevoir, il n'est pas un être "en soi" ou une substance. Le temps est relatif à l'espace Le temps est un problème et une réalité pour la science, en particulier pour la physique, qui fait du temps une sorte de 4è dimension dans le référentiel espace-temps. On ne va pas ici développer le théorie de la relativité, qu'elle soit générale ou restreinte ! Disons simplement que pour la physique, il n’est pas possible de séparer le temps de l’espace. En effet la notion de temps dépend d’abord de celle de mouvement, et donc d’espace. La montre compte des unités de temps qui sont en réalité des espaces parcourus par un mobile, à des rythmes réguliers. Aristote affirmait déjà : « Le temps est nombre [c’est-à-dire la mesure] du mouvement, selon l’antérieur et le postérieur ». Là où il n’y a pas de mouvement, il n’y a pas de temps (de même que là où il n’y a pas de corps, il n’y a pas d’espace). Donc le temps est un rapport entre un espace donné et le mouvement d’un objet dans cet espace, selon diverses variations qui tiennent aux propriétés de cet objet (forme, masse, etc.) ainsi qu’à des facteurs extérieurs (forces, énergies), et qui déterminent une certaine vitesse elle-même mesurable. Le temps est donc relatif à l’espace, il dépend des propriétés géométriques mêmes de l’espace auquel il se rapporte, il n’est pas pareil partout dans l’univers. Le temps est relatif à sa mesure Il n'est pas contradictoire de soutenir que si le temps est relatif à l'espace, il n'en est pas moins relatif à l'homme, qui le mesure. Déjà Aristote posait la question embarrassante de savoir si, sans l’homme, le temps existerait ou non ; « car s’il ne peut y avoir rien qui nombre, il n’y a rien de nombrable ». Dans ce cas, il faudrait soutenir qu’il n’y a pas de temps extérieur, en tout cas pas de temps extérieur indépendant de l’homme et de la perception qu’il en a. Certes sans l’être humain l’univers existerait sans doute, ainsi que le mouvement, et donc un certain « temps objectif » fonction des forces physiques, etc. Mais le temps comme mesure du mouvement reste relatif à l’homme, comme le disait Aristote, puisque même la science physique mesure le temps à l’échelle de l’intelligence humaine et des instruments dont elle dispose. De son côté le chat a sans doute une certaine perception du temps, de l’antérieur et du postérieur : il peut constater que sa gamelle qui tout à l’heure étaient remplie de croquettes est maintenant remplie de lait, il peut constater l’existence d’un changement, mais il n’est évidemment pas capable de mesurer ce laps de temps. Le temps est relatif au travail humain Comment les hommes ont-ils inventé le temps, ou plutôt pourquoi ont-ils éprouvé le besoin de mesurer le changement avec de plus en plus de précision? L’on suppose que la Nature accueillant le genre humain lui donna (ou lui imposa) l’idée d’organiser primitivement son existence sur le modèle cyclique qui est celui de la vie biologique. Ainsi sont nés les premiers calendriers, faits pour rythmer la vie sociale : en fonction de la terre (facteurs agronomiques), mais surtout en fonction du ciel (facteurs astronomiques). Mais la raison profonde réside dans les nécessités de l’existence et du travail communs. Comment vivre collectivement sans s’entendre un minimum sur des “heures”, des “rendez-vous”, des pauses, des célébrations, etc.? On peut dire que la nécessité de mesurer et de partager le temps est liée à l’expansion de l’espace humain et à l’organisation de la vie sociale. Le temps est relatif à l'évolution des sociétés Le temps social semble objectif, partagé par tous, mais toutes les sociétés n’ont pas adopté la même mesure du temps, c’est-à-dire le même calendrier. Elles n’ont pas toutes le même rythme de vie, or l’on sait que le temps est la mesure du mouvement. La perception du temps dépend donc des époques et des modes de vie. Avec la « vie moderne » nous assistons à une sorte d’« accélération » du temps, nous avons une perception de plus en plus stressée et obsessionnelle du temps, imposée par un mode de vie productiviste, la multiplication des échanges, la concentration urbaine, etc. Alors même que nos journées sont probablement plus longues et plus remplies que celles de nos ancêtres néandertaliens, elles nous paraissent trop courtes, le temps nous « manque », et parfois l’« on ne voit pas le temps passer ». Ce qui n’est qu’une façon métaphorique de dire que l’on ne jouit pas de la vie comme on le souhaiterait. Là encore on ne parle pas du temps lui-même mais plutôt de notre façon de vivre. Le temps est relatif à l'évolution des individus Au sein d’une société la perception du temps est elle-même relative, et même subjective, elle n’est pas la même pour tous les individus. Le temps d’un octogénaire (surtout résidant en ehpad !) semble lent en apparence (surtout pour le visiteur !), il ne se passe rien, les jours se ressemblent et tout semble immobile, mais là où il n’y a pas de mouvement il n’y a pas non plus de durée (le temps implique le mouvement), et pour l’octogénaire paradoxalement le temps passe vite. Inversement, on dit souvent que l’enfance passe vite : c’est vrai rétrospectivement, depuis le regard d’adulte qui s’en effraie ; mais le temps de l’enfance est vécu comme long, voire interminable, et quand on est enfant, l’on est toujours pressé de grandir… D’une façon générale, plus l’individu vieillit et s’approche de la mort… plus le temps semble s’accélérer ! On voit bien que cette impression reste subjective et relative, dictée par la perspective de la mort, et ne correspond à rien d’objectif. Donc le temps objectif, qu'il soit cosmique ou social, est loin d'épuiser la réalité humaine du temps, qui reste largement un phénomène subjectif (ce que nous développons ailleurs). Didier Moulinier
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November 28, 2024 7:27 PM
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L’objet de la connaissance philosophique
a) Le désir de savoir et la connaissance désintéressée (Aristote) « Ce fut l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, ce furent les difficultés les plus apparentes qui les frappèrent, puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils cherchèrent à résoudre des problèmes plus importants, tels les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’univers. (...) Ainsi donc, si ce fut pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, il est clair qu’ils poursuivaient la science en vue de connaître et non pour une fin utilitaire. Ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve : presque tous les arts qui s’appliquent aux nécessités, et ceux qui s’intéressent au bien-être et à l’agrément de la vie, étaient déjà connus, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Il est donc évident que nous n’avons en vue, dans la Philosophie, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons homme libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit libre, car seule elle est à elle-même sa propre fin. » Aristote (disciple de Platon) fait état d’un véritable désir de savoir chez l’homme. L’origine de la réflexion philosophique serait l’étonnement, la pure curiosité. Aussi, la philosophie peut se définir comme une connaissance “libre”, désintéressée, ne poursuivant aucune autre fin qu’elle-même. Elle consiste à s’interroger sur les choses de l’existence sans que cela réponde à une nécessité vitale ou à une utilité pratique, seulement dans le but de chercher du sens à ce que l’on vit. En réalité, il ne s’agit pas non plus d’une activité de l’esprit « pour rien », mais d’une activité « pour soi », ce qui est la définition même de la liberté. Mais Aristote sait bien que cette activité pour-soi est aussi une activité pour les autres, et même pour tous, ce qui est la définition d’une pensée collective et rationnelle. Il y a donc bien une connaissance philosophique selon Aristote, qui par ailleurs était un grand savant. b) Y a-t-il des vérités philosophiques ? La vérité devient l’obsession du philosophe, à partir de Socrate et Platon, or selon ce dernier la vérité se formule au moyen de l’« Idée », c’est-à-dire une définition précise de l’essence des choses (qu’est-ce que ceci ou cela ? quelle est sa valeur pour les hommes ?). Sous cet aspect la philosophie se présente donc comme une recherche théorique. Mais par ailleurs il ne s’agit pas d’un exercice gratuit de la pensée. Il faut formuler des Idées qui sont autant de solutions proposées pour résoudre des problèmes réels, qui se posent quotidiennement aux hommes (le bonheur, la justice, le beau, etc.). Il y a un problème en général lorsqu'un savoir nous manque, lorsqu'une vérité nous échappe, lorsque qu'une difficulté intellectuelle ou existentielle se présente et que cela nous perturbe. Mais qu'est-ce qu'un problème philosophique à proprement parler ? Comparons avec 3 autres types de problèmes différents, appartenant à la psychologie, à la science, à la religion (cf. image de couverture).
L’objet de la philosophie, ce sont donc les problèmes de l’existence. Cela signifie que : - la dimension théorique ou abstraite de la philosophie est inséparable d’une dimension pratique et concrète (la vie, le quotidien) ; - la réflexion philosophique doit être à la fois absolument personnelle (personne ne peut penser ou réfléchir à notre place) et nécessairement universelle : elle tend vers la vérité, une vérité qui puisse valoir pour tous ; Certes les questions philosophiques se posent à tous, mais la démarche philosophique consiste à se poser des questions, individuellement. Le grand philosophe allemand Edmund Husserl (20è) en fait une “affaire personnelle” : « Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra "une fois dans sa vie" se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire. La philosophie - la sagesse - est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse, son savoir qui, bien qu'il tende vers l'universel, soit acquis par lui et qu'il doit pouvoir justifier dès l'origine et à chacune de ses étapes, en s'appuyant sur ses intuitions absolues. » - les réponses, les vérités philosophiques existent - ce sont les thèses ou idées qui paraissent les plus justes et les plus rationnelles -, mais elles ne sont jamais indiscutables. Par définition, une thèse philosophique, cela se discute ; L’existence humaine étant « historique » (les hommes ont évolué, changé), les idées philosophiques ont-elles-mêmes une histoire, il y a une histoire de la philosophie : bien que l’on ne puisse affirmer absolument que les philosophes modernes ont “progressé” dans leur recherche de la vérité par rapport aux anciens, c’est un fait que certaines idées sont “nouvelles” et sont liées à un contexte historique particulier (les “Droits de l’homme” par ex.). Il y a donc bien des vérités philosophiques, mais d’une autre nature que les vérités scientifiques, puisque l’objet de cette recherche s’avère à la fois plus large et plus indéterminé (l’”existence”). Le savoir philosophique ne porte pas sur toute chose, mais sur les principes généraux, et c’est pourquoi connaître ces principes s'avère essentiels selon Descartes (17è), qui reprécise au passage la vraie nature de ladite “sagesse” : “Il n’y a véritablement que Dieu seul qui soit parfaitement sage, c’est-à-dire qui ait l’entière connaissance de la vérité de toutes choses ; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse à raison de ce qu’ils ont plus ou moins de connaissance des vérités plus importantes.” (Descartes, Les principes de la philosophie) dm
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November 27, 2024 3:58 AM
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Méthodologie de l'explication de texte philosophique (version longue)
- Ce qui est demandé : “Expliquez le texte suivant. La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.” - "Le problème dont il est question". - En réalité, l'explication (ou "commentaire") de texte n'est pas un exercice différent, dans l'esprit, de la dissertation, et même assez peu dans la forme. Et effet, comme avec le sujet-question, vous devez traiter un problème philosophique. Simplement l'occasion, ou le document de référence n'est plus une phrase interrogative seule, c'est un texte... Un texte qui développe une thèse, une "idée", au moyen d'arguments agencés selon une certaine logique, et qui a été écrit pour répondre à un problème que se posait l'auteur. Le texte comprend donc toujours un problème sous-jacent (exactement comme la question comprenait, dans le sujet-dissertation, un problème à découvrir). Vous aurez à dégager, notamment dans l'introduction, le thème (de quoi il s'agit dans le texte), la thèse (ce que l'auteur en dit), et le problème qui lui correspond (que fallait-il démontrer, quelle difficulté ou quelle contradiction fallait-il résoudre ?). Qui dit problème dit également problématique, c'est-à-dire l'ensemble des problèmes secondaires qu'il va falloir formuler, dans un certain ordre, pour solutionner le problème principal. Dans le texte, cet ordre correspond en général à la suite des arguments avancés par l'auteur, qui sont autant de réponses à ces différentes questions : le texte a donc un "plan", c'est-à-dire des parties avec des articulations qu'il faut mettre en évidence. - "La compréhension précise du texte". - Mais pour "rendre compte du problème" on exige explicitement une "compréhension précise du texte" : c'est bien en quoi il s'agit avant tout d'une "explication". Vous devez donc impérativement étudier le texte et rien que le texte... ce qui ne veut pas dire "coller" au texte au point de le répéter de mille manières (paraphrase). Inversement vous ne devez pas plaquer une dissertation ayant le même thème que votre texte, sans vous soucier de celui-ci ! On exigera de vous une référence constante du texte. Il existe encore un autre risque, celui de s’éloigner du texte en exposant l’ensemble de la doctrine de l’auteur : ce qu’il faut éviter à tout prix - Avant tout chose... Commencez par lire attentivement, et plusieurs fois, le texte : c’est essentiel ! Puis soulignez les mots qui vous paraissent importants. Repérez le thème, puis la thèse, puis les parties du texte, et enfin commencez à réfléchir à l'énoncé du problème (ce n'est pas évident, car le problème n'est presque jamais énoncé tel quel dans le texte). Vous pouvez ensuite noter au brouillon les différents enjeux, les aspects qui vont se prêter à une discussion, les références que vous souhaitez utiliser en fonction de vos connaissances... - L'introduction, en 3 paragraphes. 1° On commence par énoncer le thème du texte (de quoi il est question : un mot ou un groupe de mots), et par la même occasion on rappelle le nom de l’auteur, sans s'attarder sur sa vie, son oeuvre ou sa doctrine. On peut en revanche, si on en est capable, situer le passage dans son contexte, c'est-à-dire l'oeuvre dont il est extrait (facultatif). On énonce ensuite la thèse du texte (ce qu'en dit l'auteur : une proposition ou une phrase), que l'on aura découvert vraisemblablement au début ou tout à la fin du texte (mais pas toujours) : soit l'auteur l'énonce avant de la démontrer, soit il argumente d'abord et énonce la thèse en guise de conclusion. De toute façon, il s'agit de la phrase qui vous paraît la plus importante du texte ! Mais il peut aussi bien être nécessaire de regrouper deux phrases du texte pour obtenir la thèse, si elle est complexe... 2° On énonce ensuite le problème implicite dont il est question dans le texte, et auquel la thèse répond explicitement. Demandez-vous toujours : quel problème s'est posé l'auteur, quelle difficulté voulait-il résoudre, ou encore à quelle discussion voulait-il se mêler lorsqu'il écrivit ce texte ? Attention : il ne suffit pas, pour trouver le problème, d'énoncer la thèse sous une forme interrogative. Par exemple, si la thèse du texte est que "une révolte contre l'Etat est parfois justifiée", le problème n'est pas simplement : "peut-on justifier une révolte contre l'Etat?", mais quelque chose de plus complexe (après réflexion et recherche) comme : "est-il toujours contradictoire de se révolter contre l'Etat de Droit, au risque de causer sa ruine, ou bien au contraire certains événements (injustice, tyrannie, guerre) nous contraignent-il parfois à remettre en cause, provisoirement, l'autorité de l'Etat ?" Dans le développement, il faudra alors réfléchir en profondeur sur la nature de l'Etat et sur la définition de la Justice, puis déplier l'alternative contenue dans l'énoncé du problème, en l'occurrence confronter la thèse du texte avec la thèse opposée... 3° On énonce le plan du développement qui est aussi le plan du texte. On n'hésite pas à signaler les limites, dans le texte, de ces parties (de telle ligne à telle ligne, etc.). Il s’agit de repérer les principales phases de l’argumentation : elles correspondent parfois aux paragraphes du texte, lorsqu'il y en a, mais pas toujours. Ici deux problèmes classiques se posent. 1° Et si je ne parviens pas isoler des étapes distinctes, si le texte se présente sous une forme volontairement répétitive, et tout d'un bloc ? Réponse : même dans ce cas, il y a plusieurs idées distinctes dans le texte, à vous de les étudier l'une après l'autre, en recomposant un ordre qui vous paraîtra logique. D'ailleurs, si vous remarquez qu'une idée est exprimée deux fois dans un texte, vous les regroupez évidemment dans la même partie du devoir. Votre explication suivra la plupart du temps l'ordre linéaire du texte, mais vous pouvez très bien procéder autrement dès lors que vous expliquez tout le texte. Lorsque la thèse est exprimée en début de texte, il paraît d'ailleurs plus logique de réserver son explication détaillée pour la fin... 2° Combien de parties ? Les textes à étudier étant relativement courts, vous n'aurez pratiquement jamais d'explication au-delà de 2 ou 3 parties. Mêmes règles que pour la dissertation : dans le développement, une partie sera introduite par une courte question, à laquelle on n'oubliera pas de réponse (d'après le texte) en fin de partie. Développement Faire 2 ou 3 parties, comme on vient de le dire. Dans les parties, on veillera également à distinguer des paragraphes. Il y a deux manières de le faire. La première consiste à isoler linéairement les principaux arguments ou les principales notions qui composent une partie du texte, pour leur consacrer à chacun et successivement un paragraphe. C'est la méthode la plus simple et finalement la plus recommandable. Cependant les textes étant courts, les parties du textes étant déjà très réduites (parfois 2 ou 3 lignes !), il est parfois impossible de distinguer en leur sein différents arguments. La solution consiste alors, au niveau de chaque partie, à séparer deux des trois opérations fondamentales qui constituent la méthode même du commentaire de texte, de manière à former 2 paragraphes ou deux sous-parties au sein de chaque partie. En effet étudier un texte suppose trois types d'opération : citer, expliquer, discuter. Citer étant juste un procédé récurrent, cela ne peut constituer une étape en soi : on peut donc commencer par expliquer (tout en citant), et ensuite discuter... 1) CITER le texte : n'hésitez pas à reproduire des propositions entières avant de les expliquer. 2) EXPLIQUER, ce qui signifie : approfondir + clarifier - Trois niveaux d'explication, à nouveau, se présentent, qu'il faut parcourir quasi-simultanément : 1° Analyser les concepts qui sont utilisés par l'auteur, c'est-à-dire tous les mots ayant un intérêt ou un sens philosophique. Vous dites le sens qu'ils possèdent dans le texte, éventuellement vous comparez avec le sens courant s'il vous paraît différent. Il s'agit de savoir de quoi l'on parle, lorsqu'un auteur emploie, par exemple, le mot "désir". 2° Expliquer les arguments du texte, c'est-à-dire les propositions ou les phrases. C'est le coeur de l'explication : il ne faut pas se contenter de citer le texte, il faut développer ce qu'affirme l'auteur, en vous basant bien entendu sur vos connaissances (cours, textes lus, etc.) et pas seulement sur votre compréhension immédiate du texte. Le piège de toute explication, à ce niveau, est le contre-sens (contradiction avec le texte), ou le faux-sens (inexactitude). Si votre erreur porte sur la nature même du problème, c'est un "hors-sujet" ! 3° Dégagez et expliquer la structure (le plan, les articulations) du texte, comprendre et rendre compte de sa construction. Les arguments s'enchaînent sous la forme d'un raisonnement : ayez toujours soin de rappeler cette "logique" du texte, car elle débouche sur l'énoncé de la thèse. Cet aspect du travail se matérialise notamment dans les transitions entre les parties de votre devoir. 2) DISCUTER enfin les arguments et la thèse du texte. En effet, il ne suffit pas d'expliquer de façon objective et neutre. Comme tout problème philosophique, celui du texte se prête à discussion. D'ailleurs un texte philosophique a pour vocation de défendre une thèse... contre d'éventuelles critiques, et il le fait en critiquant implicitement d'autres thèses. En soulevant le problème, vous ne pouvez pas faire autrement que de rendre compte également des différents points de vue qu'il suscite. Après avoir expliqué un aspect du texte, vous pouvez donc, et même vous devez chercher les points sur lesquels on peut discuter. Cela ne sera possible que si une alternative à la thèse, ou à tel argument secondaire, est présente à votre esprit (cf. le cours). Pour vous le but n'est pas de "critiquer" l'auteur, et encore moins de lancer : "personnellement je ne suis pas d'accord avec l'auteur" ; ce que vous devez faire, c'est rendre compte des arguments opposés, soit pour les réfuter au bénéfice de la thèse du texte, soit pour relativiser celle-ci. Restez mesuré en toutes circonstances ! -- Important : "discuter" pourra vous sembler parfois une tâche hors de portée, soit parce que votre culture philosophique ne vous le permet pas encore, soit parce que la thèse du texte vous semble tellement évidente... ! Vous ne connaissez pas d'objections philosophiques, vous êtes juste capable de comprendre et d'expliquer... Dans ce cas il reste une solution : c'est l'usage des exemples, puisés dans la réalité, ou bien encore les références culturelles ou littéraires, qui ont pour effet d'appuyer la véracité des arguments ou de la thèse de l'auteur. Vous contribuer ainsi à la discussion, même si ce n'est que de manière unilatérale (prenant parti d'un seul côté). La conclusion. - rappelez le problème soulevé par le texte ainsi que la thèse de l’auteur - résumez en deux ou trois phrases l’essentiel de votre commentaire concernant l’intérêt du texte, les points discutés - il est possible de s'arrêter là, sinon vous reprenez un aspect assez précis du problème en montrant que, malgré le texte et malgré votre explication, certains points restent encore à discuter
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November 26, 2024 5:38 AM
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Méthodologie de la dissertation philosophique (version longue)
L'esprit de la dissertation - Qu’est-ce que “disserter” ? "La dissertation est l’étude méthodique et progressive des diverses dimensions d’une question donnée" (Bulletin officiel). Il faut bien comprendre et appliquer la loi du genre. La dissertation n’est pas un “exposé” simplement documenté sur une question ; à l’inverse ce n’est pas non plus un “essai” libre où chacun se laisserait aller à exprimer ses opinions et sentiments personnels. La dissertation occupe un juste milieu face à ces deux extrêmes : il s’agit de soutenir un discours à la fois personnel, rationnel, et si possible philosophiquement informé. Personnel : c’est vous qui écrivez, vous qui assumez la thèse finale ; rationnel : votre souci est constamment d’expliquer, d'argumenter, de justifier vos idées, c’est-à-dire de les rendre universellement acceptables (pas question d’affirmer à la légère ou d’en rester au “quant-à-soi” : “moi personnellement je pense que”, etc.) ; informé : vous êtes censés connaître un minimum d'auteurs et de textes philosophiques, à vous par conséquent de les utiliser (sans "étaler" inutilement votre culture). - Concrètement, on vous pose une question et vous devez y répondre en traitant le ou les problèmes philosophiques que cette question implique, et ceci dans un certain ordre. L'objectif est surtout de solutionner le problème que vous avez repéré dans cette question et que vous avez développé. Pour cela vous devez en quelque sorte simuler une discussion, en examinant les différents aspects d'une question, tout en exposant les différents points de vue possibles (parfois contradictoires, parfois simplement complémentaires) dans le but naturellement de défendre le meilleur. Rapport entre les différents "aspects" et les différents "points de vue" : dans une discussion, en général, on adopte un point de vue (une thèse) d'autant plus contestable que l'aspect (le domaine) sous lequel on examine la question paraît limité. Vous essaierez de montrer comment une vision trop étriquée d'une notion, ou d'un problème, conduit à des thèses critiquables. Etant donné que votre travail de dissertation consiste à déployer progressivement tous les aspects nécessaires d'une question, jusqu'à parvenir à une vision suffisamment globale, la thèse que vous défendrez finalement apparaîtra nécessairement la meilleure. Plus vous aurez étudié, analysé, comparé, etc., plus vous vous rapprocherez d'une solution intéressante voire originale (sinon "vraie" dans l'absolu !). Il vous faudra pour cela plusieurs qualités : un minimum de culture philosophique, une bonne dose de réflexion et de sens critique, de la logique, et aussi moralement pas mal de modestie (pour éviter de vous fermer sur vos opinions ou vos impressions de départ), à ne pas confondre avec de la tiédeur... - Une dissertation, comme toute réflexion, ou même toute discussion bien menée, s'effectue toujours en 3 temps : introduction, développement, conclusion. Introduire... parce que les questions philosophiques ne "tombent pas du ciel", elles "se" posent, et pour cela il faut montrer pourquoi et comment. Développer... parce qu'il faut bien démontrer et ordonner en différentes parties son propos. Conclure... parce qu'il ne faut pas oublier en chemin la question posée au départ, et parce qu'on se doit de proposer une solution au problème étudié. C'est l'esprit même de la philosophie qui est en jeu : les questions philosophiques ont des réponses (ou alors elles ne sont pas philosophiques), non définitives, non certaines et toujours discutables certes, mais il faut bien se résoudre à répondre parce qu'elles sont ancrées dans le Réel. Donc, rien n'est pire qu'un devoir sans introduction ou dont l'introduction est bâclée, et/ou un devoir dont le développement se réduit à une bouillie sans parties ni paragraphes, et/ou un devoir sans conclusion ou sans réponse à la question posée. 1) L’introduction Introduire revient à montrer au lecteur l’intérêt philosophique du sujet en question. Il faut successivement en une vingtaine de lignes : a) Amener le sujet : qu'est-ce qui nous amène à poser cette question ? Il faut éviter que la question posée ne paraisse arbitraire ou imposée, qu'elle nous fasse violence, donc il ne faut jamais commencer l'introduction par la question elle-même. Il faut l'amener "en douceur", à partir d'une constatation, d'une remarque décrivant une situation : les questions philosophiques ne se posent pas dans le vide, sans que quelque chose dans la réalité ne "cloche" sérieusement… Or, ce qu'on appelle l'"opinion commune" ou la "doxa" (en grec) propose toujours quelques solutions toutes faites, le plus souvent sous forme de préjugés, pour rendre compte de ces difficultés. C'est précisément parce que ces préjugés vous semblent contestables que vous allez poser une question (celle du sujet, en l'occurrence) : c'est vous qui posez la question, dès le départ, ne dites pas qu'"on vous pose" une question ! Par exemple, vous constatez que les personnes font mine de se "connaître" sous prétexte qu'elles possèdent une conscience, qu'elles acceptent difficilement de se remettre en cause… Cela justifie bien que vous (vous) posiez la question suivante (c'est un sujet possible) : "la conscience de soi équivaut-elle à une connaissance de soi ?". De ce fait, vous posez comme légitime la question du sujet, que vous réécrivez maintenant intégralement. D'autre part le sens commun (ou la proximité des deux termes) laisse croire effectivement que c'est la même chose : c'est ce qu'on appelle le "présupposé" de la question. Mais vous êtes là justement pour dépasser le stade de la croyance et du préjugé ; donc, vous devez faire sentir que la "doxa" se trompe peut-être, que rien n'est évident et qu'il est nécessaire d'engager une réflexion. b) Analyser le sujet : que signifie cette question ? Vous allez maintenant définir très brièvement les notions principales, les 2 ou 3 mots-clefs, y compris le verbe de la phrase. Le but de cette étape est : préciser "de quoi l'on parle". Vérifier les différentes significations des mots utilisés, et voir si chaque signification retenue n'implique pas déjà un certain point de vue sur la question. C'est parce que les termes philosophiques (ou ayant un sens philosophique), comme le mot "existence" par exemple, ont plusieurs sens que différents problèmes philosophiques se posent. Plus vous fouillerez le sens des mots, plus vous soulèverez de questions... Vous pouvez, si cela présente un intérêt (et dans ce cas seulement), consulter l'étymologie d'un terme, en vous souvenant que l'étymologie ne fournit pas le véritable sens (donc la réponse à votre question !) mais le premier usage connu d'un mot. - Outre le sens des mots, vous devez aussi analyser la forme de la question posée, c'est indispensable pour bien la comprendre : vérifiez par exemple si elle ne comporte pas un piège, une ambiguïté, pensez à analyser le verbe. Vous pouvez alors reformuler la question de façon plus complète et plus riche. c) Construire une problématique : comment traiter la question ? Rappelez-vous qu'une question d'apparence philosophique ne le devient vraiment que si l'on peut identifier, à son propos, un ou plusieurs problèmes précis pouvant donner lieu à une discussion. Maintenant que vous avez étudié le sens des mots du sujet, vous savez qu'il y a problème, d'abord parce que vous avez soulevé des évidences qui n'en sont peut-être pas (1è partie de l'intro), ensuite parce que ces mots peuvent s'entendre différemment (2è partie). Mais les problèmes n'apparaissent pas tout seuls, il faut les identifier, puis décider dans quel ordre il convient de les traiter. D'où l'expression "construire" une problématique : c'est vous qui allez la construire, et pas nécessairement de la même manière qu'une autre personne. Il n'y a pas deux manières identiques de traiter un sujet. En réalité, sous le mot "problématique", se cachent deux choses complémentaires. 1) D'abord cela désigne le problème principal que vous avez repéré "dans" ou "à propos" de la question - et ceci précisément parce que vous avez pris la peine d'analyser le sujet. Le "noyau" d'un problème, en général, résulte d'une contradiction constatée. Vous avez déjà repéré une ou plusieurs contradictions au niveau de la signification même des mots, et ces contradictions ne manquent pas d'engendrer un conflit de conceptions à propos de la nature même des choses concernées (ex. : « qu’est-ce que la liberté ? », « quelle est la fonction de l’Etat ?»). Ceci est le cœur du problème, le lieu d’une décision et d’une division initiale dans la pensée. Cette division entraîne ensuite un conflit de positions concernant les relations entre les choses (« l’Etat est-il à même de garantir la liberté ? »). Vous reformulez donc la question sous la forme d'un problème, en faisant apparaître ses contradictions internes, 2) Ensuite se pose la question de savoir comment résoudre ce problème : en un second sens, donc, la problématique désigne l'ensemble des questions, ou plutôt des problèmes (secondaires) que vous devrez traiter pour solutionner le problème principal... et donc répondre à la question. Autrement dit, la problématique en tant que développée est aussi votre plan. C'est pourquoi énoncer une problématique, après que le problème principal ait été formulé, revient toujours en même temps à annoncer le plan du développement. Vous devriez donc annoncer les différentes parties du devoir sous forme de questions, et non d'affirmations (d'autant plus que vous ne devez pas dévoiler votre réponse finale dès l'introduction !). Il s'agira, dans le développement, d'examiner toutes les solutions possibles en exposant les différentes thèses en présence qui, bien souvent, s'opposent. C'est la question du plan – et du type de plan – qui est posée. La première alternative est bien souvent celle qu'emporte avec lui le présupposé de la question (le point de vue le plus simple et le plus immédiat), et la seconde le point de vue immédiatement inverse : l'objection. Mais attention, ce n'est pas parce que le problème se présente sous la forme d'une alternative (2 options) que la forme de votre devoir doit être bipartite ! Au contraire, l'objection risque bien de paraître elle-même excessive ou étriquée, en conséquence il vaudrait mieux trouver un (3è) point de vue supérieur capable de mettre tout le monde d'accord ! 2) Le développement a) Rappel : les trois opérations principales de la réflexion philosophique (qu'est-ce qu'on attend de vous, sur le "fond" ?) Que vous vous en aperceviez ou non, votre réflexion philosophique ne peut exister qu'au moyen de trois opérations intellectuelles menées simultanément, tout le long de votre développement. En effet un discours philosophique (oral ou écrit) comprend des notions à conceptualiser, à analyser ; ces notions s’intègrent dans des propositions c’est-à-dire des phrases à problématiser, à interroger ; lesquelles à leur tour s’enchaînent sous forme de raisonnements à l’issue desquels sont produits des arguments : c'est l’argumentation, qui permet donc, au final, de justifier une thèse. Donc conceptualiser, problématiser, argumenter. La partie la plus visible de ce travail est la dernière car elle aboutit concrètement à des "arguments" (des "propositions" ou des "idées"). Précisions. 1° conceptualiser une notion : a) analyser, c’est-à-dire définir en profondeur, examiner les nuances de sens, comparer avec des notions proches ; b) réutiliser, c’est-à-dire être capable d’une certaine abstraction, en utilisant soi-même ces notions. Cela définit le niveau "théorique" de votre devoir, votre capacité à "décoller" du sens courant des mots. 2° problématiser une question : a) déceler à propos d’un thème (ex. : “la mort”) et plus précisément d’une question (ex. : "peut-on penser sa mort ?") les problèmes qui se posent (ex.: est-ce une impossibilité logique ? une difficulté affective et existentielle ? etc.); b) savoir “cibler” et organiser une problématique (ne pas poser toutes les questions en même temps, les organiser, et uniquement dans le but de répondre à la question posée). Cela montre la qualité de votre sens critique. 3° argumenter une thèse : a) formuler des arguments de façon claire et cohérente, b) les justifier par le raisonnement, et notamment être capable d'exposer des idées contraires sans donner l'impression de se contredire soi-même, donc toujours sortir d'une contradiction par un nouvel argument plus pertinent... ; c) convaincre, en utilisant tous les moyens du discours, mais sans excès de style, sans emphase (rester concis et sobre). b) Modalités de l'argumentation : expliquer, illustrer, citer
1° EXPLIQUER - Concrètement, on argumente en expliquant une pensée au moyen du langage ordinaire (parsemé de quelques rares termes "techniques") c'est-à-dire en essayant à la fois d'approfondir et de clarifier. Oubliez que vous serez lu par un professeur de philosophie, essayez de vous faire comprendre par tout un chacun mais sans simplifier ni sacrifier votre pensée. 2° ILLUSTRER - Il existe un procédé annexe mais nécessaire pour convaincre le lecteur : les exemples. Ils ont pour fonction de montrer la réalité tangible de ce que vous avancez, bien qu'ils n'aient jamais valeur de preuve. Mais attention, de nombreux mauvais devoirs se réduisent à une suite ininterrompue d'exemples : ils ne remplacent évidemment pas l'analyse philosophique. 3° CITER - Les citations d'auteurs (philosophes de préférence) sont utiles pour montrer qu'un argument a déjà été utilisé avec succès. Mais attention, n'utilisez jamais une citation comme "argument d'autorité" (A est vrai parce que X ou Y l'a dit...) et elle ne doit jamais se substituer à un raisonnement ou à une explication de votre part. On peut citer soit en reproduisant une phrase, à condition de ne pas "tronquer" le texte et en mettant des guillemets, soit encore “en substance” (untel pense que, comme le pense untel…). Enfin, il ne faut pas que votre devoir se présente sous la forme, par exemple : 1) selon Descartes, 2) selon Spinoza, 3) enfin selon Sartre : il ne faut ni juxtaposer des citations ni réduire le devoir à un catalogue historique sur une question. c) Le contenu de l’argumentation : où "trouver" les idées ?
1° - Une bonne part viendra tout simplement de votre "bon sens", de votre capacité à réfléchir par vous-même, en vous appuyant sur votre expérience et surtout votre culture personnelle (la formation scolaire : littéraire, historique, scientifique). Mais cela ne suffit pas... sinon, à quoi servirait l'année de philosophie ? 2° - Puisez dans le cours : à condition de l'avoir étudié, bien entendu. Vous pouvez utiliser des passages du cours à condition qu'ils soient en rapport avec le problème, avec l'aspect de la question que vous traitez. Evitez de "réciter", recomposer des phrases en fonction du contexte. Faites donc un effort de mémoire, mais ne vous cantonnez pas au cours sur Autrui, par exemple, pour traiter une question sur Autrui : il est probable et même certain que cette notion a été rencontrée lors de différentes leçons (la conscience, par exemple) : "ratissez large" ! 3° - Scrutez (de mémoire) les textes qui accompagnent le cours : textes d'illustrations, textes de TD, textes proposés aux précédents devoirs, les oeuvres mises au programme de l'oral, les lectures personnelles... - Et bien entendu, souvenez-vous des différents corrigés de devoirs ! d) Le plan ou le cadre formel de l’argumentation - Le plan représente le schéma général de l’argumentation ; il est le garant de la cohérence. - Ses différentes parties (2 ou 3, en principe), équilibrées si possible, développent des points de vue et en même temps des aspects différents du problème. Elles s’articulent entre elles, parfois en se complétant, le plus souvent en se contredisant partiellement, pour parvenir à une solution acceptable au problème posé. - Le déroulement d’une argumentation présente toujours une certaine “feinte” : l’on commence par exposer les points de vue les plus partiels ou critiquables, et l’on termine évidemment par le meilleur ou celui que l’on tient pour vrai. Ne faites pas l'inverse, ce serait absurde et surtout peu convainquant ! . - Ménager des transitions entre les parties qui annoncent leur contenu et prouvent que l’auteur “sait où il va”. Dans l'idéal, chaque partie comprend une mini introduction et une mini-conclusion : chaque partie traite en effet un "sous-problème" ou un "aspect" particulier du problème, donc chaque partie propose sa propre thèse dans sa propre conclusion. Comme la 2è partie va s'attacher à critiquer ou à relativiser, implicitement ou explicitement, les arguments de la première, le lecteur doit toujours entendre (deviner s'il ne le lit pas...) un "mais" ou un "cependant". - A l’intérieur des parties, les paragraphes développent des arguments différents mais complémentaires, allant globalement dans le même sens (le point de vue adopté dans la partie). Ne jamais rédiger une partie de votre développement sans ménager au moins 2 ou 3 paragraphes (bloc "monolithique" à proscrire !). e) Les types de sujets et de plans possibles
- Les sujets-notions (du style “l’existence”) et les sujets-citations ne se rencontrent plus au bac. Subsistent donc les sujets-questions. - A la question “qu’est-ce que…?”, question de définition, l’on peut répondre par un plan progressif (deux ou trois parties) visant à cerner une notion où un problème (en confrontant différents points de vue) : le “problème” étant proprement de trouver la définition juste. — On peut y adjoindre les circonstancielles débutant par “comment (admettre)”, “quand (faut-il dire)”, etc. Mais les sujets de ce type restent très rares. - La plupart des sujets se présentent sous la forme de questions en “est-ce que” (question d’attribution). On y répond "idéalement" par un plan dialectique en 3 parties : thèse (affirmation de quelque chose), antithèse (objection), synthèse (dépassement). Attention, la synthèse est un dépassement des points de vue antérieurs, une autre et une meilleure idée ! Ce n'est pas la somme des deux points de vue précédents, et encore moins une conciliation tiède ou “neutre”. Elle contient donc des arguments nouveaux et décisifs. — Relèvent de ce type de plan toutes les questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non : “faut-il dire que”, “existe-t-il”, “peut-on”, etc. - La question “pourquoi” engage la recherche d’une explication causale, ou d’une justification conférant un sens à quelque chose : il faut faire un plan permettant de retracer la genèse d’un phénomène, de ses origines à sa manifestation. Type de sujets très rare. - La question “en quel sens”, à mi-chemin entre “qu’est-ce que” et “est-ce que”, appelle une précision sémantique et donc une analyse des différentes dimensions (psychologique, morale, métaphysique, etc.) d’un problème : autant de parties possibles. - Remarque 1 : on distingue souvent les "plans progressifs" où l'on traite différents aspects de la question, jusqu'à parvenir à une solution acceptable, et les plans "dialectiques" où l'on traite différents points de vue contraires puis leur solution dans une synthèse. Cette distinction est artificielle, comme nous l'avons déjà montré, puisqu'un point de vue correspond toujours, précisément, à un aspect partiel... mais qui s'ignore comme tel et qui se prend pour le Tout. - Remarque 2 : il ne faut pas se "forcer" à faire un plan dialectique en 3 parties. Il ne faut pas que la 3è partie soit une redite plus ou moins nuancée de la 2è partie, il ne faut pas non plus qu'elle anticipe et finalement se substitue à la conclusion. Dans le cas où vous n'auriez pas suffisamment d'arguments pour cette 3è partie, deux parties peuvent suffire, mais la conclusion revêtira alors une importance décisive. - Remarque 3 : dans tous les cas, la thèse du devoir (solution du problème principal) telle qu'elle est formulée dans la conclusion sera sensiblement différente de la conclusion de la dernière partie : même si elle s'"approche" de la solution finale, celle-ci n'en reste pas moins partielle puisqu'elle ne répond qu'au problème précis de la 3è partie... et non à celui (non moins précis) formulé dans l'introduction. 3) Conclusion (15/20 lignes) - Dresser le bilan de ce qui précède : reformuler une nouvelle fois la question posée, résumer en une phrase la conclusion de chaque partie. - Donner votre réponse finale au problème. La réponse à la question-sujet en découle, mais vous ne devez jamais commettre la maladresse de répondre par un Oui ou un Non franc et direct à la question : si vous avez réfléchi et écrit pendant 4 heures, c'est que les choses étaient quand même plus complexes ! Donc il faut répondre, mais de manière à la fois ferme et nuancée. - Enfin vous pouvez "ouvrir", mais uniquement sur un autre problème lié à celui-ci, et non sur des généralités ; ou bien indiquer une ou plusieurs thèses que la réponse présente pourrait justifier par anticipation ; mieux encore, trouver un dernier exemple qui illustre dans le réel la véracité de votre thèse.
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November 24, 2024 12:48 PM
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Socrate et « l'amour de la sagesse »
a) Le commencement de la philosophie avec Socrate (470-399 av. J.-C.) La philosophie n'a pas toujours existé ; elle est historique en ce sens qu'elle a eu un commencement. S’opposant aux mythes et aux simples préjugés culturels, la philosophie repose sur la décision de conférer à la seule pensée rationnelle la détermination du vrai - la raison universelle, présente en chaque homme. Or cette décision historique revient aux Grecs à partir des VIè et Vè siècle avant J.-C. Certes il y avait bien des spéculations abstraites en Chine ou en Inde à la même époque, mais elles n’étaient pas vraiment coupées de leur base culturelle mythologique ou religieuse. Par ailleurs il est évident que l'invention de la démocratie par les Athéniens, en matière de politique, n'est pas étrangère à ce choix en faveur de la discussion rationnelle. D’autres facteurs historiques ont pu être déterminants, comme l’essor des mathématiques en Grèce (donc le goût pour l’abstraction), l’intérêt pour la physique et l’astronomie, et parallèlement le déclin de la religion païenne (polythéiste) tournant de plus en plus en folklore ridicule. Socrate est le père véritable de la philosophie telle que nous la connaissons - à quoi il faut ajouter les spéculations de son disciple Platon qui a rapporté les paroles du maître. Avant Socrate il y avait bien des penseurs (dits “pré-socratiques” justement : Empédocle, Héraclite...), mais ceux-là étaient surtout des physiciens. Socrate est le premier à avoir pris pour cible exclusive de sa réflexion le sujet humain, et en particulier sa capacité à tenir un discours vrai. Mais l’enseignement de Socrate, basé la critique rationnelle et la réflexion autonome, a été perçu comme subversif par ses concitoyens, et Socrate a finalement été condamné à mort (accusé d’impiété et de corrompre de la jeunesse !). b) L’amour de la sagesse Conformément à l’étymologie grecque, Philo-sophia est l’Amour de la sagesse (du verbe philein, aimer, et de sophia, sagesse). Philo-sophos s’oppose ainsi, par exemple, à philo-somatos (amour du corps), ou bien à philo-edenos (amour des plaisirs). Cet amour est synonyme de « désir », ou encore de recherche, et donc de manque. Celui qui désire la sagesse ne la possède pas. Dans le contexte grec, seul le Dieu est Sophos, sage. Pour l’humain cela implique donc un parcours d’apprentissage, une étude. Le philosophe n’est pas le « vieux sage » africain, possesseur des secrets de la nature et rempli d’expérience. Ce n’est pas non plus un “maître” accompli comme le sage oriental, un demi-dieu comme le Bouddha… Dans son ouvrage le Banquet, Platon met en scène Socrate racontant comment une mystérieuse Diotime lui aurait enseigné la véritable identité du demi-dieu Eros (Amour) et par-là même la vraie nature de la philosophie, car selon Diotime Eros – par son imperfection même – est le seul parmi les dieux à être philosophe. « DIOTIME. — Comme fils de Poros et de Pénia, voici quel fut le partage de l'Amour : d'abord il est toujours pauvre, et, loin d'être beau et délicat, comme on le pense généralement, il est maigre, malpropre, sans chaussures, sans domicile, sans autre lit que la terre, sans couverture, couchant à la belle étoile auprès des portes et dans les rues; enfin, comme sa mère, toujours dans le besoin. Mais, d'autre part, selon le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon; il est mâle, hardi, persévérant, chasseur habile, toujours machinant quelque artifice, désireux de savoir et apprenant avec facilité, philosophant sans cesse, enchanteur, magicien, sophiste. De sa nature, il n'est ni mortel ni immortel. Mais, dans le même jour, il est florissant et plein de vie, tant qu'il est dans l'abondance, puis il s'éteint, pour revivre encore par l'effet de la nature paternelle. Tout ce qu'il acquiert lui échappe sans cesse, en sorte qu'il n'est jamais ni riche ni pauvre. Il tient aussi le milieu entre la sagesse et l'ignorance, car aucun dieu ne philosophe ni ne désire devenir sage, puisque la sagesse est le propre de la nature divine; et, en général, quiconque est sage ne philosophe pas. Il en est de même des ignorants : aucun d'eux ne philosophe ni ne désire devenir sage, car l'ignorance a précisément le fâcheux effet de persuader ceux qui ne sont ni beaux, ni bons, ni sages, qu'ils possèdent ces qualités ; or nul ne désire les choses dont il ne se croit point dépourvu. SOCRATE. — Mais, Diotime, qui sont donc ceux qui philosophent, si ce ne sont ni les sages ni les ignorants. DIOTIME. — Il est évident, même pour un enfant, dit-elle, que ce sont ceux qui tiennent le milieu entre les ignorants et les sages, et l'Amour est de ce nombre. La sagesse est une des plus belles choses du monde ; or l'Amour aime ce qui est beau ; en sorte qu'il faut conclure que l'Amour est amant de la sagesse, c'est-à-dire philosophe, et, comme tel, il tient le milieu entre le sage et l'ignorant. »
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December 13, 2024 5:19 AM
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Le sujet de la phénoménologie. Conscience et existence
Husserl est le père de la doctrine “phénoménologique” qui définit un sujet qualifié précisément de “transcendantal et phénoménologique”. De quoi s’agit-il ? Rien de plus et rien de moins qu’un retour au sujet défini comme “conscience”, au fond un retour à un certain “cogito” cartésien. Pour Husserl, le “cogito” reposait sur un principe excellent, celui de l’expérience du “doute” ou ce qu’il appelle lui-même la “réduction”. Je doute de tout, sauf du fait que je pense, disait Descartes ; j’évacue le monde et j’évacue aussi mon moi humain et ma vie psychique, pour ne garder que le sujet capable de décrire ces derniers, ajoute Husserl, radicalisant ainsi le geste de Descartes. Le reste de l’opération, c’est ce sujet pur “transcendantal” (et phénoménologique” dans la mesure où il se contente d’appréhender les “phénomènes”, les choses telles qu’elles se présentent) : non une forme a priori comme chez Kant, non le moi avec toutes ses pensées et ses sentiments, mais cette tension de tout mon être qui en vérité est conscience pure, pur “vécu” saisissant le monde et permettant après coup (mais seulement après coup) de l’objectiviser c’est-à-dire d’en faire un objet de connaissance. Il faut dire qu’à travers les phénomènes, ce sont les “essences” que vise la conscience phénoménologique : c’est-à-dire les choses elles-mêmes, les choses dans leur vérité, et les choses dans leur vérité ce sont les choses telles qu’elles se révèlent exactement pour moi : avec du sens. L’essence est à rechercher dans le sens et réciproquement. — Avec Husserl, il faut néanmoins parler de subjectivité plutôt que de sujet, car ce qu’il décrit c’est la vie même de la conscience, certes une conscience ramenée et réduite à une fonction de description des phénomènes (voire d’elle-même), mais néanmoins une conscience active et non passive comme le serait un substrat de type aristotélicien. Reprenant largement les idées de Husserl, Sartre développe la phénoménologie dans le sens de l’« existentialisme » : pour lui l’activité de la conscience reste prépondérante, mais cette activité se tourne résolument vers l’existence plutôt que vers les essences. La conscience est pure extériorité, ou extériorisation : elle ne peut se viser elle-même et n’y a aucun intérêt. Car sa vie est dehors, là bas, au loin, dans le monde. L’homme conscient se définit comme ek-sistence, ou encore “transcendance”, toujours allant “vers” le monde et situé “au-delà” de “lui-même”, excédant sa propre conscience de soi, en somme comme le dit Sartre, “une façon de ne plus être sa propre coïncidence.” La conscience est avant tout une relation, une direction vers-. Le “soi” de la conscience doit être paradoxalement pensé comme “hors-de-soi”, ou plus exactement comme un rapport avec un objet qui n’est pas soi. La conscience n’est même pas exactement “en rapport”, elle “est” ce rapport. Ce rapport dit de “transcendance”, c’est-à-dire cet écart obligé entre le sujet et l’objet, sans absorption possible de l’un par l’autre, c’est bien ce que Husserl a nommé l’intentionnalité (au sens que l’esprit vise toujours quelque objet, et non pas au sens courant de « avoir l’intention de faire » ceci ou cela). En somme on a beaucoup exagéré l'aspect "réflexif" de la conscience, comme si le fait de "se penser" avait un sens. Non, il faut se souvenir que l'on pense toujours à quelque chose d'autre. La conscience est toujours conscience de quelque chose, elle "vise" ou elle "pose" un objet : comme le dit Jean-Paul Sartre "la conscience est positionnelle d'objet", mais elle est "non-positionnelle de soi". Elle est intentionnelle au sens où elle se tourne vers quelque chose, elle est ce mouvement, cette ouverture vers le monde. En conséquence, la conscience n’est pas un intérieur clos et ne peut l’être. « Connaître, c'est « s'éclater vers», s'arracher à la moite intimité gastrique pour filer, là-bas, par-delà soi, vers ce qui n'est pas soi, là-bas, près de l'arbre et cependant hors de lui, car il m'échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu'il ne se peut diluer en moi: hors de lui, hors de moi. (…) Du même coup, la conscience s'est purifiée, elle est claire comme un grand vent, il n'y a plus rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi ; si, par impossible, vous entriez « dans» une conscience, vous seriez saisi par un tourbillon et rejeté au dehors, près de l'arbre, en pleine poussière, car la conscience n'a pas de « dedans»; elle n'est rien que le dehors d'elle-même et c'est cette fuite absolue, ce refus d'être substance qui la constituent comme une conscience. » J.-P. Sartre, Situations I, « Sur une idée fondamentale de Husserl : l’intentionnalité ». La conscience est donc une projection dans le monde, un “éclatement”. Or cela définit aussi bien l'"existence" selon les philosophes existentialistes : l’existence humaine (ek-sistence) est une extériorisation, elle s’oppose à l’être inerte des choses. Les choses se contentent d'être "ce qu'elles sont" ; un être humain existe c'est-à-dire qu'il tend aussi vers ce qu'il n'est pas encore (il n’est pas seulement un sujet mais un pro-jet), avec cette particularité de pouvoir nier ce qui est pour transformer le monde, voire de nier ce qu’il est pour affirmer sa liberté fondamentale et se créer lui-même. En ce sens, la conscience produit du néant, elle est un pouvoir néantisateur et libérateur. Vivre dans le monde, s’extirper hors de soi n'est pas seulement le fait de la conscience, la condition propre de l'homme, cela devient même un devoir, une règle de vie. “Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes.” (Sartre) C’est ainsi qu’apparaît dans la philosophie de Sartre le thème de l’"engagement". Engagement dans l’histoire, la politique (une cause, un parti), l'écriture, une relation amoureuse, etc. La conscience est plus que jamais activité et non passivité, exigence envers soi et non jouissance de soi, résistance et non soumission, fidélité aux autres et aux événements vécus en commun. Enfin l’approche phénoménologique de Merleau-Ponty, contemporain et ami de Sartre, s’avère particulièrement actuelle. Ce qui l’intéresse, ce sont aussi les rapports du sujet avec le monde, principalement à travers le phénomène — éminemment subjectif — de la perception Mais il reproche à ses prédécesseurs d’avoir négligé le rôle du corps ou plutôt d’avoir manqué la description réciproque du corps et du monde. Au profit en général du seul sujet, c’est-à-dire en réalité un seul des deux pôles concernés. Il s’agit de décrire une expérience qui est à chaque fois un “rapport d’être”, un échange et une expérience réunissant un corps et son environnement, ou un corps et un autre corps. La philosophie de Merleau-Ponty serait moins éloignée que celle de Sartre des conceptions psychanalytiques, celle de Lacan notamment, qui vont définir la subjectivité à la fois comme "signifiance" et "jouissance", mettant la sexualité au coeur de la vie psychique. dm
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December 11, 2024 4:05 AM
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Le sujet moral et politique. Quelques repères
Politiquement, le terme de sujet apparaît d’abord proche de celui d’esclave ou de “soumis”, par exemple dans l’expression “sujet du Roi”. Cela s’applique à un individu considéré comme assujetti à un souverain, c’est-à-dire dépendant de lui. En retour, il faut préciser quand même que ce souverain ne serait rien sans ses sujets qui jouent ici le rôle de support de la fonction royale : pas de roi sans sujets, pas de gouvernant sans gouvernés, par d’Etat sans population. Rousseau vient donner une tout autre définition de l’assujettissement politique du sujet. Rappelons qu’il est le théoricien du Contrat social, contrat qui selon lui assujettit ceux qui s‘obligent ainsi librement à respecter une loi qui leur confère des droits mais aussi des devoirs : on parle à ce propos de “sujet de droit”. Le même homme ainsi, selon Rousseau, doit être appelé citoyen comme participant à l’autorité souveraine (du moins en République), et sujet comme soumis aux lois de l’Etat. L’on se souvient que Kant distinguait deux sujets, un sujet transcendantal pur et un sujet empirique (psychologique) constitué par son vécu quotidien. Par cette distinction, l’on retrouve les deux sujets de Rousseau : en effet le sujet empirique n’est rien d’autre qu’assujetti au premier, le vrai sujet de la morale (dit encore sujet “pratique”), auteur des lois et des préceptes qu’il se donne à lui-même (dans un souci d’universalité, cependant). La subjectivité inconstante et faible du second est donc ainsi réglée, dominée par la subjectivité forte et auto-nome du second. Ces deux sujets sont en réalité un seul et même sujet (Subject) du devoir, auteur de ses actes et sommé d’y répondre : ce sujet responsable, on l’appelle une personne. “Une personne est ce sujet, dont les actions sont susceptibles d’imputation” (Kant). Imputer à quelqu’un l’acte qu’il a commis, c’est lui attribuer cet acte comme à un sujet qui en serait la cause. La position de Kierkeggard est à la fois plus religieuse et plus individualiste que celle de Kant. Elle s’appuie surtout, théoriquement, sur une critique de l’assimilation faite par Hegel entre “être” et “penser”. Pour lui, le sujet, mais au sens de la subjectivité la plus radicale, la plus moïque, la plus individuelle, ne se définit pas par ce qu’il pense mais par ce qu’il garde “en lui” comme un secret : le sujet a un secret (il est ce secret) à tout jamais incommunicable, qui le condamne à une solitude éternelle. Le fond de ce secret est religieux puisqu’il s’appelle tout simplement : le péché. Le péché n’est pas un mauvais acte commis, c’est une faute originelle, définissant la condition humaine, mais reconnaissable seulement au plus profond du moi dans la plus grande des solitudes. Dans ce fond, il ne reste plus que la croyance, non plus en soi, non plus en l’homme, mais en une Solitude et une Subjectivité suprêmes qui s’appelle Dieu. Lévinas, de son côté, situe le sujet à partir de l’Autre (homme) considéré comme un absolu : c’est ce qu’il repère dans le “Visage” d’autrui où le sujet, le moi, dit Lévinas, se voit ou plutôt se trouve “mis en question”. Il ne s’agit pas d’un sujet moral comme chez Kant puisqu’il n’a pas à obéir à un commandement ou à une loi, mais à répondre à un appel. L’appel de l’Autre. “L’unicité du moi, écrit Lévinas, c’est le fait que personne ne peut répondre à sa place”. Ici, à cette limite, la différence entre sujet et subjectivité se brouille… dm
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December 9, 2024 3:39 AM
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La subjectivité comme sagesse, de l'Antiquité à la Renaissance
Même si le sujet ancien – aristotélicien, logico-métaphysique – semble fort éloigné des préoccupations « subjectivistes » des modernes, une forme de subjectivité a bien tenté de s’affirmer dès l'antiquité. Comme elle a pour nom “sagesse”, pour inventeur et défenseur principal Socrate, autant dire qu’elle est contemporaine de la naissance même de la philosophie. Que demande Socrate ? Que l’on s’affranchisse des croyances, des préjugés et des fausses opinions. Il proclame l’autonomie, non pas encore de l’homme (comme le fait Protagoras : “l”homme est la mesure de toute chose”), mais de la raison et du discours. C’est une forme assez haute et particulièrement exigeante de subjectivité et de responsabilité : il faut faire attention à ce que l’on dit ! La question philosophique est de savoir à quel genre et à quel degré de savoir l’on peut prétendre. “Connais-toi toi-même” est une exhortation à la sagesse, mais quel est ce “soi-même” et quelle est cette “sagesse” ? Cette sagesse est-elle suffisamment forte, autonome et, en ce sens, “subjective”, pour être “la science d’elle-même et des autres sciences” comme il est dit dans le Charmide (dialogue de Platon mettant en scène Socrate) ? Pour certains, la sagesse consisterait à savoir à la fois ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. Pour Socrate ceci est une contradiction dans les termes, et un piège : toute connaissance nécessite un objet réel. Quant au sage, s’il veut se connaître lui-même il doit en passer par l’autre, par ce qu’il y a de plus universel en l’autre, c’est-à-dire l’âme raisonnable. Ainsi il pourra s’appréhender lui-même, mais en tant qu’âme. Il s’agit fondamentalement de distinguer ce qui est à soi (accessoire), de l’ordre de l’avoir, et ce qui est soi (essentiel), de l’ordre de l’être (cf. Alcibiade). Ce que redoute par dessus tout Socrate, c’est la prétention, la suffisance de ceux qui affirment la subjectivité de leur savoir et le font passer pour vrai. Défendant une position apparemment contraire, Aristote et Plotin conçoivent sans difficulté une “Pensée qui se pense elle-même” (Métaphysique, A, 9). Seulement la contradiction n’est qu’apparente, car ce n’est pas n’importe quelle pensée, mais la plus haute de toutes : la pensée divine à laquelle l’homme peut chercher à participer. Une pensée subjective, mais dans un sens absolu. Toute connaissance de soi qui viserait par exemple les sentiments ou l’expérience personnelle serait évidemment une supercherie. Il faut aussi prendre en considération la notion stoïcienne de la vertu du sage, qualité tout intérieure définie comme “l’accord avec soi”. Le sage stoïcien recherche son propre bonheur, acquis par l’exercice de la vertu. On peut certes parler de “subjectivité” dans la mesure où il y a “souci de soi”, mais par ailleurs le sujet stoïcien ne vise rien d’autre que l’”accord de soi avec la nature” sans quoi il ne peut y avoir d’”accord avec soi”. C’est donc davantage un universalisme qu’un subjectivisme. Cette sagesse consistant à mettre en accord la nature profonde de l'homme avec la nature reste l'objectif des penseurs de la Renaissance, juste avant la révolution cartésienne qui va placer l'ego au centre de toute démarche épistémique, et même métaphysique. Mais tandis que le stoïcien antique tente de fondre l’homme dans la nature, l’humaniste moderne, l’expression l’indique, tente de fonder la nature en l’homme (c'est-à-dire l'"humaine nature"). L’homme contient et récapitule en lui toute la nature, il en est l’expression parfaite. Il ne faut donc pas hésiter à rencontrer le monde pour se connaître en tant qu’homme. Cela est possible, car comme le dit Ramus : “l’homme a en soi naturellement la puissance de connaître toutes choses”. Montaigne est le vrai découvreur du moi et de la subjectivité humaine. Il ne s’intéresse pas seulement à l’homme, mais à lui-même comme individu. Ses Essais défendent et illustrent une conception à la fois de la singularité du moi et de l’essence de l’homme, car “chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition”. Se connaître soi-même c’est donc connaître l’humanité entière. Et certes l’”humaine condition” relève finalement, comme tout le reste, de la Nature, à laquelle il faut “consentir”. Mais Montaigne — c’est là la nouveauté — se dépeint d’abord lui-même pour aller ensuite vers la nature. dm
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December 7, 2024 6:14 AM
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Peut-on douter de son identité ? Les troubles de l’identité personnelle
Position du problème Il n’est pas question ici du débat théorique sur l’identité, par exemples des doutes empiristes sur le concept même d’identité personnelle, mais concrètement des doutes ou des troubles qui peuvent assaillir certains sujets, dans certaines circonstances, concernant leur propre identité personnelle. Attention cependant, douter n’est pas changer ! L’identité est un fait, le doute concerne seulement notre perception de ce fait. Y a-t-il des changements, des évènements, voire des décisions, de nature à briser le fil continu de l’identité mémorielle et narrative ? Une personne qui décide de disparaître (cela se produit) aux yeux de son entourage, purement et simplement, décidé à tourner la page définitivement, pour vivre une « autre vie » dans un autre pays, va-t-il changer de personnalité ? Oui, sans doute, peut-être. Mais changera-t-il d’identité ? Aux yeux de l’état civil, sans doute, peut-être, mais à ses propres yeux il ne semble pas car une page ou le chapitre d’un livre – même manquant – reste une partie du même livre ! L’on voit que l’identité reste un cordon pas si facile à rompre avec soi-même ! Les pertes de mémoire. Le cas de l’amnésie traumatique Il est bien certain que l'unité de la conscience à travers les changements, qui forme a priori notre identité, voire notre personnalité, cette belle cohésion ne peut être absolue et sans faille. Cela ne veut pas dire que notre mémoire devrait être parfaite ou « intégrale ». D’abord, comme le rappelle Nietzsche, nous ne pourrions tout simplement pas progresser dans la vie sans la capacité d’oublier, à la limite la mémoire elle-même, pour fonctionner a besoin de faire un tri et ne garder que le « meilleur ». Mais que se passerait-il si des fragments de notre mémoire subsistaient en formant des îlots autonomes qui, ne communiquant plus, ne seraient plus intégrés à la trame autobiographique du récit personnel (mémoire narrative) ? Seraient-il purement et simplement oubliés ? Ne risqueraient-ils pas de venir nous tourmenter, à notre insu ? Si je « perds la tête », ou la mémoire (amnésie), serai-je toujours la même personne ? Nous entrons par-là dans le domaine de la pathologie, ce qui se produit dans les cas d’amnésie dite « traumatique ». Exemple de Valérie, 43 ans, victime d'amnésie traumatique à la suite d‘un viol. L’importance du corps dans l’identité personnelle Les sujets « aujourd’hui » veulent « vivre leur corps », ou bien « vivre leur sexualité », et de ce fait sont sujets avec leur corps et se singularisent par ce biais (voir par exemple la recrudescence d'une mode : le tatouage). Dans quelle mesure cherchons-nous à nous singulariser au moyen du corps, et dans quelle mesure sommes-nous identifiés à ce corps (extérieurement par les autres, intérieurement par nous-mêmes) ? La peau participe de notre image extérieure mais elle est aussi un élément majeur de la sensibilité. La peau n’est-elle pas une interface entre soi et les autres ? De la même façon, le tatouage ne serait-il pas une sorte d’interface entre la subjectivité (il renvoie une image de soi) et la culture (puisqu’il s’agit toujours d’images symboliques, déjà reçues) ? Plus radicalement... Si je perds la vue, ou si je perds mes deux jambes, ou si je perds l’usage de tous les sens, est-ce que je reste la même personne ? Suis-je encore une personne ? Que devient ma conscience et donc mon identité privées de mon corps et de ses sensations ? Mon corps, est-ce moi ? « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » disait Nietzsche. Je peux donc changer et me surpasser…mais je peux aussi être détruit …ou pire encore, végéter dans une sorte de no man’s land de la conscience où j’assisterais à la lente décomposition de mon être. Cas effrayant que décrit le film "Johnny got his gun" : « Voici un film de Dalton Trumbo datant de 1971 qui va permettre d’illustrer l’idée de conscience en philosophie et sa dualité car la conscience est non seulement la distance qui existe entre moi et moi-même mais aussi entre moi et le monde : « Johnny got his gun » c’est l’histoire de Joe Bonham, jeune victime du premier conflit mondial littéralement déchiquetée par un obus lors d’un bombardement. Reprenant ses esprits, il s’aperçoit avec effroi qu’il a non seulement perdu l’usage de ses membres (il n’a plus ni bras ni jambes) mais aussi celui de ses sens (son visage est réduit à un trou béant). La seule perception qui lui reste est le sens tactile et encore dans sa version passive. C’est un homme réduit à un cerveau en état de fonctionnement, un homme réduit à rien puisque privé de toute velléité d’action mais un homme (malheureusement) conscient de lui-même, de sa misérable condition et qui tente désespérément d’entrer en contact avec le monde extérieur pour trouver une issue à son cauchemar. » > lire la suite Il en résulte, pour seule certitude, qu'un "trognon" de corps ne peut faire cohabiter - et encore provisoirement - qu'un "ersatz" de conscience, sauvé in extremis (dans l'exemple du film) par la bienveillance d'autrui. Peut-on douter de l’unité de la personne ? L’identité face à l’inconscient Nous avons vu que l’identité pouvait être perturbée, détériorée, voire oubliée, avec le temps, Question corollaire, quoique inverse, un sujet peut-il avoir plusieurs identités en même temps ? Sommes-nous plusieurs à l’intérieur ? L’unicité (l’une des conditions de l’identité) de la personne est-elle si évidente, en général ? Y a-t-il des cas, pathologiques ou non, de double personnalité, permanentes ou passagères ? La singularité, c’est l’unicité objective, vue de l’extérieur : on ne peut pas me confondre avec un autre. Sauf évidemment si un double de moi-même ou un clone existe dans le monde… ! L’unicité vue de l’intérieur, c’est la subjectivité proprement dite. Je suis bien sûr d’être le seul à penser ce que je pense. Sauf si j’apprends, comme le « réplicant » dans le film Blade runner (1982) que mes souvenirs sont artificiels et ont été implantés en série… ! Certes l’unicité et l’unité sont les conditions de l’identité, mais cela n’empêche pas que cette unité apparente puisse être divisée (sans être double). Ne suis-je pas structurellement divisé entre un Je et un Moi (je pense …à moi : je suis à la fois sujet et objet dans ma conscience), entre une volonté et des désirs, entre une conscience et un inconscient, entre une âme et un corps ? Dans ce cas, si l’une des « faces » prend le dessus, puis-je toujours m'appréhender moi-même, avec certitude, comme une seule et unique personne ? Il est bien difficile d’imaginer deux identités psychiques greffées sur un même corps ! Plus généralement, posséder « deux identités » représente une contradiction dans les termes, une impossibilité logique. Mais à partir d’une même identité (même corps, même conscience), deux personnalités différentes peuvent-elles se dessiner et cohabiter dans le même temps, ou alternativement ? Comme dans l’histoire du Docteur Jekyll et Mister Hyde ? Des symptômes de « double personnalité » peuvent exister, même s’ils sont plutôt rares ; qu’ils soient d’origine psychotique ou non, dans tous les cas ils ne correspondent pas à ce que les psychiatres ont appelé la « schizophrénie » (malgré « schize » évoquant la division). Par ailleurs le thème du « double » est également un grand classique de la littérature fantastique, mais ne renvoie à aucune réalité attestée ! Ces exemples ou ces « cas » plus ou moins pittoresques, parfois criminogènes, ne remettent pas en cause fondamentalement l’identité du sujet. Leur intérêt est ailleurs. En pointant une certaine division du sujet, ils renvoient vers la théorie freudienne de l’inconscient. La philosophie classique avait tout misé sur la conscience, lui attribuant essentiellement le fait de l’identité personnelle. Or la théorie freudienne a semé le doute. Est-ce que mon identité vraie, ma subjectivité profonde, la plus intime, ne serait pas plutôt liée à mon inconscient ? La conscience ne représente-t-elle pas au contraire ma personnalité la plus superficielle (thèse déjà avancée par Nietzsche) ? Or qu’est-ce que l’inconscient ? Il ne se réduit pas à une zone obscure de mon psychisme, agitée de pulsions désordonnées, à l’intérieur de moi-même. L’inconscient est constitué des marques psychiques qu’Autrui a imprimé en moi, depuis ma naissance, à mon insu… « L’inconscient est le discours de l’Autre » disait Jacques Lacan. Dans cette hypothèse, on comprend mieux que d’autres “voix” puissent s’exprimer en moi – parfois sous des formes psychotiques et hallucinatoires, mais pas toujours – tout en se faisant passer pour moi… Cela ne veut pas dire qu’il y ait réellement un « autre moi », ou un « autre en moi », ou que nous soyons plusieurs à l’intérieur. Mais cela prouve que l’altérité (autrui) contribue, pour une large part, à fabriquer mon identité… Que le sujet humain, existant dans le temps, est un mélange d’identité et d’altérité. dm
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December 5, 2024 8:25 AM
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La conscience comme intentionnalité et avenir
La notion d’"avenir" est davantage psychologique que celle de "futur", qu’emploie plutôt la science, ou la science-fiction. C’est que l’avenir est subjectif. Je dis “mon” avenir, quand je dis “le” futur. Notre avenir est ce dont nous disposons, soit parce que nous pouvons le créer librement, soit parce que nous pouvons l’accepter et l’assumer dignement. Le futur, objectivement, est le simple contraire du passé. Tandis que l’avenir représente l’intégralité subjective du temps : dans mon avenir je projette aussi bien mon passé que mon présent. Notons encore que “mon” avenir a une connotation positive, presque optimiste. On peut parler du futur même s’il nous paraît sombre (il l’est toujours, en un sens, dès lors qu’on projette au plan cosmique le devenir humain, l’humain ne peut que s’y dissoudre), mais il y aura toujours, objectivement, du futur. Mais si je dis que “j’ai un avenir” cela signifie implicitement que j’ai un bel avenir : je vais faire quelque chose de ma vie. A l’inverse il y a ceux dont on dit qu’ils n’ont pas d’avenir : ils sont “foutus”... Or quand bien même reconnait-on la subjectivité du temps, singulièrement la dimension du présent comme intériorité, l'on ne peut pas se contenter d'affirmer que le temps existe “dans” la conscience, dans l’intériorité. Pour Husserl, la conscience est temps. La conscience n’est pas une intériorité fermée sur elle-même mais elle se définit comme intentionnalité, c’est-à-dire comme rapport (tension) avec le monde. La conscience n’est rien d’autre que les diverses formes de mon rapport avec le monde. Le monde se présente comme un réservoir d’objets visés par ma conscience, mais en même temps le monde demeure toujours comme un “horizon” derrière chaque objet. Le monde est toujours au-delà, par-devant, et la conscience est toujours en train de viser le monde, de s’extérioriser, de prospecter, de s’éclater (comme dit Sartre). Donc, si la conscience “est” le temps, « Le temps n’est pas une ligne, mais un réseau d’intentionnalités » (Husserl) c'est-à-dire de relations entre ma conscience et le monde. De plus, l’extériorisation de la conscience implique une direction, une tension vers l’avenir qui caractérise le temps. Dans le langage des philosophes « existentialistes », héritiers de Husserl, je suis une ek-sistance ek-statique. Sartre : « Tachez de saisir votre conscience et sondez-la, vous verrez qu’elle est creuse, vous n’y trouverez que de l’avenir ». Je ne suis pas un ob-jet, mais un pro-jet ; je ne suis pas seulement ce que je suis, mais encore ce que je vais être, ce que je veux avoir été (futur antérieur). Mon temps est synonyme de mon avenir, de ma liberté, et bien sûr, en bout de course, de la mort symbole de ma finitude. Le temps, sous le masque risible et/ou tragique de la mort, est proprement ce qui (nous) at-tend... Selon cette philosophie existentialiste, qui met en avant une conscience dynamique, l’identité est bien reconnue mais pas comme une base stable qui définirait le sujet, seulement comme l’index d’une liberté en mouvement, et d’une responsabilité. La version de l’identité qui nous est proposée ici est de type existentielle, non plus intérieure mais plutôt relationnelle, dépendant en particulier de mes expériences avec autrui. De plus l’identité est contingente et fragile. Mon identité ne pré-existe pas à mes actes, elle leur co-existe, et elle peut très bien s’évanouir subitement dans le trouble d’une action absurde, dépourvue de sens, où je deviendrais en quelque sorte étranger à moi-même (cf. le roman l’Etranger d’Albert Camus). dm
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December 4, 2024 4:38 AM
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Le temps intérieur ou le présent
Les attitudes " passéistes" ou nostalgiques correspondent, généralement, à une sorte de négation du temps, une terreur face au temps et aussi face à la mort. En effet, avec le temps, peuvent survenir des évènements qui perturbent l’ordre prévisible des choses, la soi-disant destinée par exemple. Il en va du temps comme de la mort, la plupart des philosophes antiques – pas seulement Platon - tentent de la nier en prétendant qu’elle n’est rien… au moins dans l’instant. En effet, prétendent-ils, si le temps est la décomposition de toute chose en un passé, un présent et un avenir, on peut dire que ceux-ci ne “sont” pas vraiment puisque littéralement le passé n’est plus, le futur n’est pas encore, et le présent est insaisissable entre les deux ! Mais ce raisonnement apparemment logique est surtout purement formel, comme si nous nous n’avions pas, intérieurement, une sensation très concrète du temps, que cela soit par le biais de la mémoire (tournée vers le passé) parfois tourmentée, ou bien l’attente parfois fiévreuse de l’avenir, ou bien l’ennui qui parfois nous rend insupportable le présent. Le temps est bien une réalité intérieure qu’il nous faut décrire. Les trois temps du présent selon Saint Augustin Le temps est compliqué à comprendre, mais il existe bien. Dans ses fameuses Confessions, Saint Augustin répond à tous ceux qui prétendent que le temps serait insaisissable et ne pourrait pas être, logiquement, comme présent. Il va montrer au contraire que si le temps est une réalité saisissable et compréhensible, c’est uniquement, et justement, dans le présent, et sous ses trois dimensions ! Saint Augustin fait d’abord remarquer que lorsque l’on évoque le passé, par exemple avec des mots, il est évident que ces mots, ces récits de souvenirs sont présents. De même nous préméditons nos actions futures et cette préméditation est présente. « Il est dès lors évident et clair que ni l’avenir ni le passé ne sont et qu’il est impropre de dire : il y a trois temps, le passé, le présent, l’avenir, mais qu’il serait plus exact de dire (...) Il y a en effet dans l’âme ces trois instances, et je ne les vois pas ailleurs : un présent relatif au passé, la mémoire, un présent relatif au présent, la perception [Augustin dit parfois : l’attention], un présent relatif à l’avenir, l’attente ». Il faut bien remarquer que si le présent réunit les trois temps, “dont” lui-même en quelque sorte, c’est qu’il s’agit d’un présent spécialement subjectif, fondé sur la vie intérieure. Ainsi apparaît, dans l’esprit, la solution au problème du temps. Saint Augustin répond à tous ceux qui affirmaient avant lui l’inexistence du temps : « L’avenir n’est pas encore, qui le nie ? Mais il y a déjà dans l’esprit l’attente de l’avenir. Et le passé n’est plus rien, qui le nie ? Mais il y a encore dans l’esprit le souvenir du passé. Et le présent, privé d’étendue, n’est qu’un point fugitif, qui le nie ? Mais elle dure pourtant, l’attention à travers laquelle ce qui advient s’achemine à sa disparition. » La « durée vécue » selon Henri Bergson Nous avons déjà vu, avec Kant définissant le temps comme « forme du sens interne », que le temps est constitutif de nos facultés de percevoir, de penser, de nous représenter nous-même (conscience). Cette analyse est exacte mais elle ne rend pas correctement compte de notre sensation personnelle, de notre ressenti intime face au temps. Bergson définit le temps comme durée vécue, voulant dire par-là que le temps n’est pas seulement une forme, une capacité de notre esprit, mais sa réalité et son contenu même. Pour lui aussi le présent domine la vie intérieure, parce que d’une certaine façon notre esprit mémorise et contient l’intégralité de notre vie, présente en nous. Notre identité, notre personnalité est là, tout entière disponible, sous une forme « fluide » sans contours précis, sans que nous en ayons vraiment conscience. C’est pourquoi Bergson lui donnera finalement le nom de « subconscient ». En première lecture l'on pourrait être tenté d'assimiler cette durée vécue, ce subconscient, avec un simple "passé" stocké dans notre mémoire, ainsi toujours disponible. Mais cette appartenance du subconscient au passé n'est qu'une vue extérieure de l'esprit, une illusion ; ce n'est pas plus exact pour le subconscient bergsonien que pour l'inconscient freudien (bien présent dans ses diverses manifestations symptomatiques). Donc la durée n’est qu’ « une succession de changements qualitatifs qui se fondent, se pénètrent sans contours précis, sans aucune tendance à s’extérioriser les uns par rapport aux autres, sans aucune parenté avec le nombre » (Bergson). Alors le temps n’est plus le « nombre du mouvement » (Aristote) mais bien davantage la réalité d’un « flux » intérieur non mesurable. Si la « durée » intérieure représente une sorte de présent, ce n’est pas au sens de l’instant, bien au contraire elle est un étirement du temps aussi bien vers le passé que vers le futur. Ceci dit, Bergson distingue d’une part un “temps spatialisé” qui est celui de l’action ordinaire, avec toutes ses divisions et ses quadrillages plus ou moins nécessaires, et donc d’autre part ce temps plus intérieur et plus fluide, indivisible, échappant aux nécessités de l’action, qu’il appelle proprement “la durée”. Il prétend que le premier est directement sous le contrôle du cerveau, tandis que le second correspondrait à une extension « spirituelle » du cerveau, non matérielle. Il s’agit d’une théorie spiritualiste. Notons que la version de l’identité qui nous est proposée ici est purement psychologique, l’identité se confond avec la subjectivité et l’intériorité, l’ensemble des perceptions que nous avons de nous-mêmes dans une sorte de « présence à soi », dont même le subconscient évoqué plus haut participe : la conscience. dm
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December 3, 2024 7:59 AM
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UNE SALE NOTE EN PHILO ? Relativisons grâce à Otis
... Mais vous savez je ne crois pas qu'il y ait de "bonnes" ou de "mauvaises" copies. Moi, si je devais résumer ma vie de prof aujourd'hui avec vous, je dirais que lire des copies, c'est d'abord, euh… euh… des rencontres… Et c'est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une pensée parce que, quand on a le goût de la chose, qu'on a le goût de la belle copie, le beau discours, parfois on ne trouve pas l'interlocuteur en face. Alors ce n'est pas mon cas… euh… comme je disais là, puisque moi, au contraire, j'ai pu, et je dis merci à la philo, je lui dis merci, je chante la philo, je danse la philo. Je ne suis que beau discours... Et finalement quand beaucoup de gens aujourd'hui me disent mais comment fais-tu pour avoir cette humanité, cette intelligence, et bien je leur réponds très simplement, je leur dis, c'est ce goût du beau discours... ce goût, donc, qui m'a poussé aujourd'hui à entreprendre d'écrire un livre mais demain, qui sait, peut-être simplement à me mettre au service des élèves et à faire le don… euh… le don de …de soi.
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December 1, 2024 11:05 AM
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On appelle « dimensions » du temps le passé, le présent et l’avenir (ou le futur). Notons que ce terme de "dimension" confirme la nature essentiellement humaine et subjective du temps. En effet on ne peut pas dire “dimension du temps” comme on dit “dimension d’une boite” : la hauteur, la largeur, la profondeur sont bien celles de la boite, mais on ne peut pas parler du passé, du présent ou de l’avenir du temps. Cela ne s’applique pas au temps lui-même, mais à un sujet humain : c’est toujours le passé, le présent ou l’avenir d’un sujet. La rivière en elle-même n’a pas de passé, de présent ou d’avenir : ces notions sont celles d’une conscience qui observe le passage de l’eau… Il y a différentes dimensions du temps et il y a différents points de vue possibles sur le temps, différentes façons de décrire cette réalité. Il y a aussi une histoire de ces points de vue, et donc différentes versions proposées, à la fois du temps et de la subjectivité. Chacun met l'accent en particulier sur l’une ou l’autre des trois dimensions : la philosophie ancienne, définissant uniquement le temps comme “ce qui passe”, réduit en fait le temps au passé ; la philosophie moderne cherche surtout à capter le présent (dans l'intériorité, le « cogito ») ; tandis que la philosophie contemporaine, surtout existentialiste, souligne l'intentionnalité de la conscience tournée vers l'avenir. De plus le temps a une direction : il est censé partir du passé, traverser le présent, et filer vers l’avenir… De plus cette direction est linéaire, les choses ne sont pas censées se répéter. Mais là encore, on voit bien que cela ne concerne pas le temps lui-même mais la représentation que l’on s’en fait, depuis le schéma bien tracé d’une vie humaine partant de la naissance, traversant les épreuves de la vie, et allant vers un futur qui n’est autre que… la mort.
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November 29, 2024 7:40 AM
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Un individu reste-t-il le même avec le temps ?
De l’individualité à l’identité Individu vient du latin « individuum », qui ne peut pas être divisé, donc en premier lieu cela désigne l’unité indivisible d’un être. Unité organique si l’on se place au plan biologique (c’est le corps qui assure cette fonction), unité psychique si l’on se place au plan psychologique (c’est la pensée qui assure cette fonction). Par ailleurs le concept d’individualité implique l’idée d’unicité : par définition chaque individu est unique, quand bien même deux individus seraient très ressemblants (comme des jumeaux), ils ne seraient pas pour autant identiques. De cette idée l’on tire donc le concept d’identité (que désigne l’expression : « le même »), qui a deux faces. La première identité est sociale, extérieure, dans le rapport en quelque sorte spatial aux autres. Elle fait l’objet d’une reconnaissance sociale, familiale, juridique : c’est ce qui est écrit sur notre carte d’identité (nom, âge, sexe…). La seconde face de l’identité est intérieure : on parlera d’ipséité (de « ipse » : « soi ») pour désigner le fait d’être tout simplement soi-même, au sens psychologique (et corporel), dans le pur rapport temporel à soi-même (je suis le même, tout le temps). Le temps fait l'identité On voit bien d’emblée le rapport entre l’identité et le temps : je ne suis moi-même « le même » que dans le temps, grâce au temps, parce que je peux me comparer par exemple entre hier et aujourd’hui, et constater que je reste le même (à quelques détails près) ; si je perds la notion du temps, je perds aussi mon identité ou la conscience de mon identité, je ne suis probablement plus personne à mes propres yeux. L’identité n’existe pas seulement « dans » le temps mais d’abord « grâce » au temps, comme un rapport temporel à soi-même. La « mêmeté » implique logiquement le temps, donc le temps est bien la condition de l’identité. De ce point de vue l’identité d’un individu ne peut être remise en cause, pour un individu ce serait nier cette réalité temporelle qui le constitue. Cette identité temporelle peut être interprétée comme une sorte de substance éternelle (l’âme selon Platon et les métaphysiciens, toujours appelée à revenir d’où elle vient), ou simplement comme une « présence à soi » psychologique, voire comme une faculté de se projeter dans l’avenir : ce sont les trois dimensions du temps et ce que nous pouvons appeler les différentes versions de l’identité. C’est plus particulièrement la conscience et la mémoire qui assurent cette identité, et la conservent, à condition de distinguer plusieurs mémoires. L’identité n’est pas seulement constitutive de l’esprit, elle n’existe qu’en étant entretenue (notamment à travers la mémoire narrative : nous y consacré un billet à part). Temps et altération de l'identité Mais nous savons aussi que le temps, par nature, est changement, altération, voire destruction… peut-être changement, altération et destruction de mon identité elle-même ? Mais jusqu’à quel point ? En tout cas, la question se pose : est-ce bien vrai que l’on reste toujours le même avec le temps ? Est-ce que précisément l’on ne change pas avec le temps… alors même (paradoxe) que c’est grâce au temps que notre identité existe et se constitue (à travers la mémoire notamment) ? Le temps est-il le gardien ou au contraire le destructeur de notre identité ? C’est pourquoi les troubles de l’identité, en particulier ceux liés aux troubles de la mémoire, peuvent prendre des formes dramatiques. « Douter de son identité » n’est pas si rare, mais cela ne signifie pas que l’identité n’existe plus. L’identité n’est pas forcément synonyme de conscience claire, comme le montre la théorie de l’inconscient. Identité et altérité Donc un individu peut changer de personnalité avec le temps, tout en conservant la même identité – puisqu’aussi bien celle-ci ne dépend pas entièrement de lui. En effet même si je prétendais être une autre personne, complètement différente, qu’est-ce que cela changerait du point de vue de l’Autre, tous ces autres qui ont fait de moi non pas exactement « ce que je suis » mais « qui je suis »… ? Qu’est-ce qui pourrait les obliger à me croire ? Même au fond du gouffre de l’amnésie, il y aura toujours quelqu’un pour me dire : tu es untel, tu es mon mari, je n’en doute pas, et je t’aime. Quelqu’un qui ne m’aura pas oublié, pour me rappeler qui je suis. Dans le film Matrix, comment Néo peut-il savoir qu’il est l’élu ? Il n’en a pas le pouvoir par lui-même, Morpheus a la foi mais ne sait rien, même l’oracle qui en principe sait n’a pas la réponse, seule Trinity le sait et peut le lui révéler… Même le noyau temporel de la « mêmeté », cœur de l’identité, dépend de l’Autre. Jamais je n’aurais ces perceptions successivement identiques de moi-même, si inlassablement je n’étais pas capable aussi de percevoir Autrui comme un Même. Certes, dans un monde dépeuplé, les choses seraient différentes – il n’y aurait plus de conscience du tout ! Didier Moulinier
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November 27, 2024 4:00 AM
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Méthodologie de l'explication de texte philosophique (version courte)
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November 26, 2024 5:46 AM
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Méthodologie de la dissertation philosophique (version courte)
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November 25, 2024 3:44 AM
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Aux "Belles âmes", de la part de Georg Wilhelm Friedrich HEGEL
(extrait de la Phénoménologie de l’esprit, trad. Hyppolite, pp. 188-189) : « Clarifiée jusqu’à cette pureté transparente, la conscience est dans sa figure la plus pauvre, et la pauvreté qui constitue son unique possession est elle-même un mouvement de disparition ; cette certitude absolue dans laquelle la substance s’est résolue est l’absolue non-vérité qui s’écroule en soi-même ; c’est la conscience de soi absolue dans laquelle la conscience s’engloutit. (…) C’est l’échange de la conscience malheureuse avec soi-même, mais qui, cette fois, se passe consciemment à l’intérieur d’elle-même, et qui est conscient d’être ce concept même de la raison que la conscience malheureuse est seulement en soi. La certitude absolue de soi-même se change donc immédiatement pour elle comme conscience en un écho mourant, en l’objectivité de son être-pour-soi ; mais le monde ainsi créé est son discours qu’elle a entendu également immédiatement et dont l’écho ne fait que lui parvenir. (…) Il lui manque la force pour s’aliéner, la force de se faire soi-même une chose et de supporter l’être. La conscience vit dans l’angoisse de souiller la splendeur de son intériorité par l’action et l’être-là, et pour préserver la pureté de son cœur elle fuit le contact de l’effectivité et persiste dans l’impuissance entêtée, impuissante à renoncer à son Soi affiné jusqu’au suprême degré d’abstraction, à se donner la substantialité, à transformer sa pensée en être et à se confier à la différence absolue. (...) Dans cette pureté transparente de ses moments elle devient une malheureuse belle âme, comme on la nomme, sa lumière s’éteint peu à peu en elle-même, et elle s’évanouit comme une vapeur sans forme qui se dissout dans l’air. » (Quand on pense que certains - parmi eux des profs de philo, surtout tendance "analytique" ! - jugent Hegel abstrait, confus et dispensable, quel manque d'acuité, quelle insensibilité, quelle impardonnable... GOUJATERIE ...à l'égard de cette pauvre belle âme, et aussi bien de Hegel, "le plus sublime des hystériques" !)
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