«J'aime TSE»... La photo prise après l'annonce du Nobel a fait le tour du monde. Jean Tirole est entouré de ses étudiants, souvent étrangers, qui l'ont ovationné./
Lundi dernier, Jean Tirole s'est vu décerner le «prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel.» Une distinction qui lui confère une autorité morale incontestable. Retour sur la semaine la plus trépidante dans la vie du fondateur de la Toulouse School of Economics.
Depuis lundi, Jean Tirole multiplie les interviews dans les journaux, sur les chaînes françaises et étrangères, répétant inlassablement les conditions dans lesquelles il a appris la nouvelle de sa «nobélisation».
Lundi 13 octobre, 12 h 15. Dans son bureau de la Toulouse School of Economics, allée de Brienne, Jean Tirole étudie une demande de bourse avec un de ses profs lorsque son téléphone vibre : «J'ai mis du temps à réaliser qu'on essayait de m'appeler. En regardant de plus près, je me suis rendu compte que le numéro qui s'affichait commençait par le 46, l'indicatif pour la Suède ; j'ai commencé à m'étonner un petit peu…» En fait, c'était l'Académie royale des sciences de Suède qui cherchait à le joindre. Alors, tout a basculé subitement : «J'étais tellement étonné que je n'ai pas crié de joie. J'ai fini par comprendre que ce n'était pas un gag. On a l'air bête dans ces moments…»
Lui qui fuyait la presse se retrouve dans un «tourbillon médiatique». Jean Tirole appelle son épouse Nathalie, annonce la nouvelle à sa mère de 90 ans, et se laisse avaler par les micros et caméras. Jean Tirole sait alors qu'il doit se préparer à un marathon. Après la médaille Fields (l'équivalent du Nobel pour les mathématiques) attribuée en août au Franco-Brésilien Artur Avila, après le Nobel de littérature décerné à Patrick Modiano, Jean Tirole est, à 61 ans, le porte-voix d'une France économiquement malade, mais que la désespérance ne doit pas atteindre. Le jury suédois porte un coup fatal au French bashing et semble s'en amuser.
Ce lundi, les journalistes prévenus fondent comme un essaim sur l'ancienne manufacture des Tabacs, entre canal de Brienne et Garonne, siège de l'école de Toulouse, où s'improvise une conférence de presse. Jean Tirole, remis de ses émotions, réalise qu'il va devoir prendre sur lui, braver sa timidité, mais aussi se justifier face à une doxa qui ne voit en lui qu'un chantre du libéralisme. A l'image des grands groupes industriels qui participent au financement de sa fondation Jean-Jacques Laffont.
Puis, Tirole enfile un T-shirt aux couleurs de la «TSE» et rejoint ses étudiants enthousiastes.
La journée du 14 octobre démarre tôt. Jean-Pierre Elkabbach est à Toulouse pour Europe 1. Dans la foulée, Tirole enchaîne les interviews. «ça téléphonait de tous les coins du monde», rappelle Jenny Stephenson qui gère sa communication. Mais le Nobélisé veut rester maître de son emploi du temps. Dans l'après-midi, il dispense son cours à ses doctorants et étudiants de licence, avant d'être le héros attendu d'une petite réception avec le préfet et les représentants de l'université.
Jean Tirole est à Paris pour honorer des rendez-vous pris depuis longtemps sur des programmes de recherche. Et toujours des plateaux télé et des micros qui se tendent. La longue journée s'achève sur l'émission «C à vous» de France5. Jean Tirole est plus détendu. Il arrive sur le plateau d'Anne-Sophie Lapix avec un petit sac qui contient un sweat et un T-shirt imprimé du grand cœur rouge comme une déclaration d'amour à la Toulouse School of Economics. Virole se prête au jeu et répond à ses détracteurs qui ne voient en lui qu'un représentant, un de plus, de cette école de Chicago trop libérale et trop souvent récompensée par le Nobel. «Non, je suis un antilibéral partisan d'une économie de marché bien régulée… La preuve, j'ai accueilli pendant une semaine à Toulouse, mon ami Joseph Stiglitz , prix Nobel d'économie en 2001», prend soin de préciser l'invité. Comme lui, Tirole s'est intéressé aux conséquences des inégalités, à la persistance du chômage et à la fréquence des crises financières.
La semaine s'achève au même rythme, mais avec une présence plus assidue à TSE, avant un week-end de repos et la promesse de retrouver un bonheur paisible en famille avec Nathalie. Mais le chercheur prépare déjà une succession de voyages aux États-Unis. Des séjours qui précéderont les cérémonies du Nobel à Stockholm. Ce sera le 10 décembre. La route du prix Nobel est encore loin d'être achevée.
Il recevra son prix le 10 décembreJean Tirole entamera début décembre un autre marathon : conférences de presse à Stockolm, allocution lors d'une grande conférence publique qui suivra la remise officielle du prix prévue le 10 décembre. Ce sera aussi l'heure de recevoir la récompense de 8 millions de couronnes suédoises (environ 878 000 €).