De l’Antiquité jusqu’au milieu du XXe siècle, la Garonne fut une voie fluviale majeure, bien en amont de Toulouse. Fin de notre série, aujourd’hui, avec une association d’archéologues et de plongeurs qui ressuscite ce très riche passé tombé dans l’oubli et l’indifférence…
Versailles. Ah, Versailles… Et la splendeur de ses marbres des Pyrénées ! Le «vert» de Campan, ou le «mélangé» relevé de rouge pour les colonnes du Grand Trianon, la Galerie des Glaces, sans oublier le Saint-Béat pour la statuaire… Eh bien sans la Garonne, rien de cela n’aurait été. Car c’est bien par la Garonne que descendaient les blocs de marbre de Louis XIV, destinés à faire briller le Roi Soleil en son palais.
«Personne ne l’imagine aujourd’hui, mais le cours supérieur du fleuve, en amont de Toulouse, était une véritable autoroute pour le transport des matériaux, pierres ou bois des Pyrénées, pour les voyageurs aussi», rappelle l’archéologue Jean-Michel Lassure. «Et les berges comme le fond de la Garonne en ont conservé de multiples vestiges, des milliers d’objets piégés dans le lit qui nous révèlent aujourd’hui un fleuve que l’homme avait considérablement aménagé, avec quantité d’ouvrages ingénieux», enchaîne Jean-Pierre Claria, passionné d’archéologie et de plongée.
Jean-Michel Lassure et Jean-Pierre Claria ? Avec Gérard Villeval, conservateur adjoint du musée du Vieux Toulouse, ils ont créé l’Association de recherches archéologique et historique du cours supérieur de la Garonne et de ses affluents, (ARAHCSGA) «une équipe pluridisciplinaire d’une quinzaine de plongeurs et scientifiques», souligne l’archéologue, membre associé au laboratoire TRACES-TERRAE du Mirail et chercheur au CNRS.
Lui ? Il ne plonge pas… Mais par ses prospections sur les berges, il dresse le portrait plus large d’une Garonne mise au service de l’homme, bien connue des historiens, mais qui, jusque-là n’avait été que très peu fouillée.
Flottable du Val d’Aran à Cazères, navigable au-delà, il la fait alors surgir de cet assemblage de poutres et de galets à Marquefave, d’un canal oublié, d’une épave mangée par la végétation. Cet alignement de pieux «fossilisés», au Fauga, que traverse désormais le courant ? «C’était la digue du «moulin à nef», explique-t-il. «Oui, un moulin pour la farine, mais sur l’eau. On sait qu’il y en avait beaucoup. Muret avait le sien et on en a compté jusqu’à 16 à Toulouse. C’était un bateau à deux coques entre lesquelles une roue à aubes faisait tourner une meule. L’avantage de ce moulin flottant, c’était sa mobilité sur le fleuve. L’inconvénient, c’est qu’il gênait souvent la navigation», précise le chercheur.
Saint Martory, Martres Tolosane, Cazères, Carbonne, Muret… Avant qu’en 1852, le chemin de fer ne scelle le destin des bateliers, des dizaines de radeaux y en effet croisent les «mioles», LE bateau garonnais, notamment celles des «pêcheurs de sable» qui viennent vendre aux maçons toulousains leurs matériaux de base, sur le quai de Tounis. «J’ai connu les derniers il y a une cinquantaine d’années», se souvient Jean-Pierre Claria. Bref, «c’est tout ce qui constituait ce bassin navigable que notre association tente aujourd’hui de retrouver», précisent les deux hommes.
à la surface, elle cartographie ainsi les vestiges des digues et canaux d’amenée des moulins disparus auxquels souvent étaient attachées des pêcheries, retourne sur les ports devenus fantômes, les barrages effondrés qui permettaient aussi de garantir un bon niveau d’eau à la navigation. Et refuse enfin l’oubli aux chantiers de Cazères, où l’on construisait aussi le bateau du pêcheur… sétois. Et puis elle travaille sous l’eau, conduisant depuis l’an dernier des prospections, à Toulouse, pour y évaluer le potentiel archéologique du fleuve…
«En 2012, soutenus par le Service régional de l’archéologie, nous avons effectué sept plongées, entre le pont Saint-Michel et l’ancien gué du Bazacle, notamment avec les plongeurs pompiers de la Haute-Garonne, profitant de leurs techniques pour localiser victimes ou matériels sous l’eau. Cela nous a permis d’aller sur l’aqueduc antique et les ponts médiévaux disparus, comme le pont de Comminges, le pont de Clary», reprend Jean-Pierre Claria, qui sait qu’entre les épaves oubliées et les objets perdus, il reste des tonnes de choses à découvrir pour raconter l’histoire de Toulouse et de ses ports à l’amont.
Le buste d'Auguste…
«Lorsque dans les années 70, les abords de la chaussée du Bazacle ont été fouillés, on a ainsi retrouvé 46 000 objets, datant pour certains de l’âge du bronze. Des boucles, des étriers perdus par ceux qui passaient à gué ou des pièces de monnaie qu’ils jetaient à l’eau pour «acheter» la bienveillance du fleuve au moment de le passer».
Leur rêve à présent ? «Remonter un jour le buste d’Auguste, fondateur de Toulouse, comme nos collègues arlésiens ont remonté du Rhône celui de César», plaisante Jean-Michel Lassure, qui, plus sérieusement, en profite pour lancer un appel : «un topographe pour l’association. Vous n’imaginez pas ce que ça représente de relever 600 pieux d’une digue, à la main, sur une feuille…»
Pierre Challier