Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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Scooped by Le spectateur de Belleville
October 3, 2023 8:48 AM
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Le Théâtre du Soleil présente son prochain spectacle NOTRE VIE DANS L'ART, mise en scène Richard Nelson, traduction Ariane Mnouchkine

Le Théâtre du Soleil présente son prochain spectacle NOTRE VIE DANS L'ART, mise en scène Richard Nelson, traduction Ariane Mnouchkine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Paris, Le 3 octobre 2023

 

Chers amis, cher public

Le Théâtre du Soleil est heureux et fier de vous annoncer son prochain spectacle : NOTRE VIE DANS L'ART de Richard Nelson.

 

Je relis la lettre que je vous avais écrite pour annoncer Kanata, mis en scène par Robert Lepage, en octobre 2018. C’était avant la Peste. C’était avant la guerre. Comme elle nous paraît lointaine maintenant la “crise” de Kanata. Comment pourrait-on, aujourd’hui, passer du temps à se quereller sur “A-t-on le droit de jouer l’Autre” alors que nous en sommes à hurler : “Arrêtez d’assassiner l’Autre” et que cet Autre, ce soi-disant Autre, nous crie : Ne comprendrez-vous donc jamais que je suis vous !

 

Je voudrais dire ici toute l’admiration que j’éprouve depuis longtemps pour l’œuvre de Richard Nelson, dramaturge américain reconnu aux États-Unis, dont la notoriété en France est encore naissante mais dont le travail étonnant ne saurait rester confidentiel plus longtemps chez nous, ni par sa forme vraie et populaire ni par son contenu chaque fois plus bouleversant. Certains d’entre vous auront déjà fait le lien entre le titre de la pièce et celui du célébrissime livre de Constantin Stanislavski : Ma Vie dans l’Art. Et en effet, le spectacle, mis en scène par Richard Nelson lui-même, raconte un dimanche très particulier de la vie de la troupe du Théâtre d’Art de Moscou lors de sa tournée aux États-Unis en 1923. Oui, alors que la Russie patauge dans le sang des Ukrainiens et de ses propres soldats et qu’elle jette dans ses cachots le meilleur d’elle-même, Richard Nelson invoque un groupe inoubliable, insurpassable, d’artistes, d’êtres humains, dont, il y a maintenant un siècle, la vie fut irrémédiablement tordue, ruinée, ravagée, par un système dont on avait espéré qu’il ferait le bonheur de l’humanité. Et qui, en quelques mois, avait transformé une immense respiration populaire en un laboratoire de poisons, de contentions et d’assassinats.

 

Ce message, vous vous en doutez, est, plus que jamais, un appel à agir vite. À venir vite.

 

En effet, depuis toujours, vous êtes nos hérauts. Aucune affiche, aucune publicité onéreuse, aucune critique journalistique n’a la même légitimité ni efficacité que ce qu’on appelle le bouche à oreille. C’est-à-dire vous.

 

Donc, une fois signalé, avec reconnaissance, le soutien constant et sans faille du Festival d’Automne à Paris, c’est bien grâce à ceux d’entre vous qui viennent en éclaireurs dès le premier mois, dès la première semaine de représentations et qui, jusqu’à présent, aiment nos spectacles et le font immédiatement et puissamment savoir que le Soleil réussit à faire ce qui nous est absolument vital : jouer, dès le premier jour, devant une salle pleine.

 

Cette fois-ci, nous avons besoin de nos hérauts. Comme toujours, nous direz-vous. Oui, comme toujours et, chaque fois, de plus en plus.

 

Oui, nous vous appelons à être, dès le début, nos témoins. Des témoins de bonne foi, exigeants et sincères, qui pourront dire si, en ce monde chaotique et grimaçant que des peuples désespérés confient aux pires démagogues, notre spectacle ajoute de la division à la division, du mensonge au mensonge, de la haine à la haine, ou s’il respecte, comme c’est notre devoir, les lois essentielles, écrites ou non écrites, de l’amour de l’Humanité tout entière.

 

Nous vous attendons, nous vous espérons.
À très vite,

Ariane Mnouchkine

P.S. : Notre location téléphonique vous ouvre grand ses portes dès le lundi 9 octobre, au 01 43 74 24 08, tous les jours de 11h à 18h. Quant à nos amis professeurs et autres responsables de groupes, vous pouvez d'ores et déjà prendre vos options en nous appelant au 01 43 74 88 50, du lundi au vendredi de 11h à 18h

 

 

NOTRE VIE DANS L'ART
Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou
pendant leur tournée à Chicago, en 1923
du 6 décembre 2023 au 3 mars 2024
Écriture et mise en scène Richard Nelson
Traduction Ariane Mnouchkine
Avec les comédiens du Théâtre du Soleil :
Shaghayegh Beheshti, Duccio Bellugi-Vannuccini, Georges Bigot, Hélène Cinque, Maurice Durozier, Clémence Fougea, Judit Jancso, Agustin Letelier, Nirupama Nityanandan, Tomaz Nogueira, Arman Saribekyan


Dans le cadre du Festival d'Automne 2023

Représentations
du mercredi au vendredi à 19h30
le samedi à 15h
le dimanche à 13h30
Relâches exceptionnelles
les 24 et 31 décembre & les 3 et 4 janvier

Durée estimée
2h15
Prix des places
35 € (Individuels)
25 € (Collectivités, demandeurs d’emploi)
15 € (Étudiants - de 26 ans et scolaires)
Location
Individuels
dès le lundi 9 octobre
01 43 74 24 08, tous les jours de 11h à 18h
Collectivités & groupes d'amis (10 personnes et +)
01 43 74 88 50, du lundi au vendredi de 11h à 18h
En ligne
Théâtre Online

 

Plus d'informations sur notre site internet  en suivant ce lien

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November 8, 2021 5:23 AM
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Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil célèbrent le Japon

Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil célèbrent le Japon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Stéphane Capron pour France Inter - 3 nov 2021

 

Trois ans après "Kanata", la troupe du Théâtre du Soleil retrouve les planches avec "L'Île d'Or", une création collective en harmonie avec Hélène Cixous et dirigée par Ariane Mnouchkine. Repoussée à cause de la Covid-19, la pièce est l'un des évènements de cette rentrée automnale.

 

Ariane Mnouchkine accueille les spectateurs à la Cartoucherie de Vincennes © Radio France / Vincent Josse

"L'Île d'Or", spectacle retardé d'un an, est un grande fresque comme la metteuse en scène a l'habitude d'en créer avec sa troupe. Un spectacle qui s'est créé dans le plus grand secret. De cette Île d'Or, ce que l'on peut juste vous dire, c'est qu'Ariane Mnouchkine et son autrice Hélène Cixous, sont allées puiser l'écriture dans la tradition du théâtre japonais. "C'est une île, elle existe et elle est aussi imaginaire", explique la metteuse en scène. "Elle se situe quelque part dans les mers japonaises. Où est-ce que l'on va emmener les spectateurs ? On va les emmener là où nous nous sommes transportés nous-mêmes : dans un cauchemar, une insomnie, un rêve. Quelque chose qui est de l'ordre à la fois du désir et de l'effroi et qui nous permet de réaliser des voyages nécessaires et impossibles, si impossibles dans la réalité. Il n'y a que le théâtre qui permet ces voyages profonds."

"La pandémie n'a rien inventé"

Cette Île d'Or est une création très attendue, parce qu'elle aurait dû voir le jour l'année dernière. Et la pandémie a tout bousculé dans l'organisation du théâtre du Soleil. Quand le confinement a été décrété le 17 mars 2020, la troupe allait commencer à répéter. "Cela a été compliqué mais pas vraiment une catastrophe. Car maintenant, on joue. Mais ça a bousculé tout le monde, pas seulement nous."

 

Quand on a commencé à imaginer ce spectacle de voyage autour du Japon, on ne savait pas du tout qu'un monstre allait déferler sur la terre et éclairer beaucoup de choses d'une lumière différente des choses qui existaient déjà. La pandémie n'a rien inventé, elle a juste éclairé des choses qui étaient tapis dans l'ombre et que nous laissions dans l'ombre parce qu'elles sont peut être trop terribles à considérer. La pandémie a été comme une espèce de fusée éclairante. Le spectacle a été ébranlé et secoué par ce qui se passait, pas seulement par la pandémie, d'ailleurs. Peut-être par d'autres monstres ?"

"Je crois à la force thérapeutique du théâtre"

A 82 ans, et après la pandémie, Ariane Mnouchkine n'a rien perdu de son "appétit pour le théâtre" poursuit la créatrice du Théâtre du Soleil. "Nous avons été atteints par cette pandémie mais il faut prendre sur soi pour en sortir et ne pas céder à cette crainte qu'on nous a inculqué et qui parfois était légitime. J'admire les gens qui, au lieu de rester devant leur télé, recommencent à sortir pour reprendre contact avec l'art, la musique, le théâtre, le cinéma. C'est à ce prix que la vie reprendra."

"Je crois en la force thérapeutique du théâtre. Je pense que ça doit faire du bien. Le théâtre, ça doit donner des forces, même au prix d'une lucidité parfois cruelle. Je pense que la catharsis, ça existe et que le public doit sortir du théâtre en se sentant mieux que lorsqu'il y entre. Il doit se sentir plus plus fort, plus confiant, bouleversé, ému. Quand on a cette chance d'aimer son métier comme nous l'aimons, le désespoir serait coupable. On n'est pas payé pour désespérer !"

Un retour aux sources pour Ariane Mnouchkine

Chaque création du Théâtre du Soleil est un évènement, attendu par le public avec une grande impatience. Des dizaines de billets ont déjà été vendus. 80 personnes ont travaillé pendant 3 ans sur ce spectacle qui est comme un retour aux sources pour Ariane Mnouchkine qui avait découvert la tradition du théâtre japonais au début de sa carrière.

 

Cette Île d'Or est un hommage à tout. A tous les âges de la vie, à tous les gens qui nous ont enseigné quelque chose. C'est un hommage à tous nos maîtres japonais, indiens, ou occidentaux. Parfois, je regarde le spectacle, je me dis que c'est comme un rêve. Toutes les fées se sont penchées sur nos berceaux, toutes les fées, toutes les muses. On a beaucoup appelé nos muses.

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December 1, 2019 7:19 AM
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Ariane Mnouchkine : « C’est en Asie que j’ai appris à célébrer les moments de bonheur »

Ariane Mnouchkine : « C’est en Asie que j’ai appris à célébrer les moments de bonheur » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

ENTRETIEN 

Propos recueillis par Nathaniel Herzberg dans Le Monde 01/12/2019

 

Je ne serais pas arrivée là si... « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. Cette semaine, la célèbre metteuse en scène revient sur sa relation privilégiée avec son père, sa plongée dans le théâtre, ses engagements.

Ce dimanche 24 novembre, Ariane Mnouchkine est heureuse. Tout juste de retour de trois mois au Japon, où elle vient de recevoir le prestigieux Prix Kyoto pour l’ensemble de son œuvre, la plus emblématique des metteurs en scène français, connue dans le monde entier, accuse, certes, un peu le décalage horaire. Mais elle a retrouvé sa chère Cartoucherie, dans le bois de Vincennes, son havre depuis bientôt cinquante ans. Et, à 80 ans, elle frissonne toujours, à trois jours de la reprise de sa pièce Une chambre en Inde. Tandis que sur scène les comédiens ont commencé la répétition du matin, elle nous reçoit dans la cantine du Théâtre du Soleil.

Je ne serais pas arrivée là si…


Sans un événement ou une rencontre que je n’ai en réalité pas encore décelé. On se souvient des traumatismes ou des illuminations. Mais il y a des révélations secrètes qu’on ne range pas sur l’étagère des événements importants. Pourquoi petite fille, avant même de quitter Bordeaux, en 1946, donc avant l’âge de 7 ans, rêvais-je de faire un grand voyage en Chine ? Etait-ce une image dans un conte pour enfant ? Une musique que j’avais entendue ? Une histoire qu’on m’avait racontée ? Aujourd’hui encore je ne sais pas. Mais il y a dû y avoir quelque chose puisque pendant toute mon enfance et mon adolescence, ça a été présent. Et je n’y suis jamais allée, car la Chine n’a pas voulu de moi, en me refusant un visa ; puis je n’ai plus voulu de la Chine, en raison de l’occupation du Tibet. Mais le voyage en Asie, autour de la Chine, donc, que j’ai fait à 20 ans a été essentiel. J’ai l’habitude aussi de dire tout ce que je dois à mon père. Je ne serais pas arrivé là sans l’amour et la confiance qu’il avait pour moi, c’est indéniable.


C’est lui qui vous a transmis votre passion artistique ?
Je n’en sais rien. Est-ce lui ou ma mère [l’actrice britannique Jane Hannen] ? Je suis souvent injuste avec elle, en raison des relations conflictuelles, très conflictuelles, que nous avons eues. Dans sa folie, elle a sans doute aussi provoqué des visions poétiques et des chocs fertiles, y compris dans la résistance qu’elle a élevée en moi. Donc je dois avouer que j’ignore qui m’a transmis cette passion. Si on veut être sincère, on doit se dire que certains événements fondateurs nous échappent. J’allais au théâtre, comme toute jeune fille de bonne famille. J’y ai éprouvé des émotions intenses, vertigineuses même. Mais je ne pensais pas faire du théâtre. Ça, c’est arrivé à Oxford.

Que faisiez-vous à Oxford ?
J’apprenais l’anglais. J’avais 18 ans, je venais d’avoir le bac. J’avais des cours d’anglais mais je ne pouvais pas faire que ça… J’ai dû voir une affichette de l’Oxford University Dramatic Society et je me suis inscrite. Je faisais les accessoires, je réglais les duels, plein de petits trucs. Il y avait là Ken Loach, John McGrath… Et puis un jour, après une répétition de Coriolan, mis en scène par Anthony Page, où je faisais de la figuration, je suis montée dans l’autobus… et c’est arrivé ! J’ai su que je ferais ça toute ma vie. Actrice, metteuse en scène, accessoiriste, je ne savais pas, mais je ferais du théâtre… Voilà un événement fondateur !

Mais pour qu’il advienne, il a fallu des esprits bienveillants qui ne m’ont pas dit : allez, tu dois bosser ! Il a fallu que mon père puisse m’entretenir – en rouspétant, mais qu’il me soutienne. Il a fallu que j’aie du temps, ce temps que la société nous accorde de moins en moins, dont on veut nous faire croire qu’on ne peut pas se l’offrir alors qu’il est si important. Même lorsque nous avons fondé le Théâtre du Soleil, que les autres travaillaient le jour et que l’on répétait le soir, moi, grâce à mon père, je pouvais consacrer toute la journée au théâtre.


Encore votre père. Votre passion pour le cinéma aussi, c’est à lui, le producteur Alexandre Mnouchkine, que vous la devez ?
Ça, c’est certain. Mon père m’amenait sur les plateaux pendant les vacances. Le tournage de Fanfan la tulipe, c’était enchanteur. J’avais demandé au metteur en scène, Christian-Jaque, ce qu’il fallait pour être réalisateur. Il m’avait répondu : « Beaucoup d’autorité, Ariane ! » Je m’étais dit que ça ne suffisait pas, ça ne m’avait pas convaincue… Mon père m’accordait aussi beaucoup de liberté et de confiance. Il me laissait aller seule tous les jeudis au Studio Obligado, avenue de la Grande-Armée, à Paris. Il y avait deux salles, j’avais l’argent pour deux billets, pour ma sœur et moi. Je la prenais sur mes genoux, comme ça, je pouvais voir les deux films.

La confiance ne l’a pas empêché de vous cacher quelques détails de son histoire…
Je vois à quoi vous faites allusion… Oui, nous déjeunions un jour avec Philippe de Broca, dont il produisait les films [elle-même sera coscénariste de L’Homme de Rio, avec Jean-Paul Belmondo]. J’avais 20 ans. On parlait de choses et d’autres. Et Philippe lui dit : « Mais au fond, toi tu es juif ? » Et lui répond : « Oui. » Moi j’avale, je ne dis rien. Et quand Philippe s’en va, je lui demande : « Dis donc, tu n’as pas oublié de me dire quelque chose ? – Quoi ? – Tu ne m’as jamais dit que tu étais juif ! » Et là, il me répond, avec son accent russe : « Mais c’était pas important. » Je vois bien ce qu’il voulait dire. On n’était pas religieux, pas dans la communauté… Mais être juif, ce n’est pas que ça. Ses parents étaient morts d’être juifs. Sans doute voulait-il nous épargner le poids de cette histoire.

Cela dit, il y a un autre mystère : comment moi, j’ai pu être aussi aveugle ? La déportation de mes grands-parents, je la savais. Qu’est-ce que je me suis raconté ? Sans doute qu’ils avaient été déportés parce qu’ils étaient russes. Mais je n’ai pas beaucoup gratté. Un déni face à un non-dit. C’est d’autant plus étrange qu’au lycée, avec mon meilleur ami, Tiennot Grumbach [célèbre avocat social], on se battait contre les antisémites… En tout cas, ça m’a donné une totale liberté face à tout esprit d’appartenance autre qu’à la communauté humaine, enfin française, européenne, mondiale quand même.

Revenons au choc du théâtre. L’année à Oxford s’achève, que faites-vous ?
Je rentre à Paris. Je m’inscris en psycho pour faire plaisir à mon père, mais je ne fais que du théâtre. Je crée l’Association théâtrale des étudiants de Paris. J’y rencontre les principaux futurs fondateurs du Théâtre du Soleil, Philippe Léotard, Jean-Claude Penchenat, Jean-Pierre Tailhade… On monte une pièce, Gengis Khan, d’Henry Bauchau. Mais j’ai l’intuition que si je veux faire mon fameux grand voyage en Asie, c’est maintenant. Eux devaient finir leurs études ou leur service militaire. On avait un an devant nous. Et je suis partie. Dix-huit mois.

Un voyage essentiel ?
A tout point de vue. Du point de vue humain évidemment, d’abord. De tout ce que j’ai traversé, tout ce que j’ai vu. Pas beaucoup de théâtre, en vérité. Mais le théâtre était partout : les métaphores, la beauté, le langage du corps. J’ai appris à regarder ce qu’il y a derrière chaque moment de la vie. Or le théâtre, c’est ça : le lieu par excellence où tu dois voir derrière ce que tu vois. Sinon, tu es aveugle. Dans la vie aussi, d’ailleurs. C’est là que j’ai appris à célébrer les moments de bonheur : « Ariane, rappelle-toi de ce moment parce que tu es heureuse ! » Souvent, les gens ne voient pas que le bonheur s’est posé sur la rambarde. Ces petites choses souvent fugaces : un doux après-midi, faire des crêpes avec un enfant… Là, j’ai fixé ces moments. Une miche de pain, découpée à la lumière d’une lanterne, après une marche interminable au Népal… Mes pieds nus, sur la banquette en bois, dans le train, en Thaïlande, qui me menait à la frontière cambodgienne…

Ou un comédien dans un petit théâtre de Tokyo ?
Ça, c’est plus qu’un petit moment. Une illumination. Il pleuvait depuis deux mois au Japon, j’étais désespérée. Et je me traîne dans ce quartier d’Asakusa où s’alignaient les petits théâtres. J’entends un tambour. J’entre. Sur scène se trouvait un jeune acteur qui semblait découvrir un péril. D’abord seul. Puis il a pris un gros tambour pour alerter du danger. Dans la salle, il y avait des vieilles dames et quelques vieux messieurs, et sur cette scène minuscule, j’ai vu devant moi ce que devaient être le théâtre et l’acteur. Par ses yeux, je voyais ce qu’il voyait. C’était shakespearien.

Je n’ai jamais su son nom. Je n’ai pas eu le réflexe de demander, de noter. Ce jeune homme à qui je dois une grande partie de ma compréhension du rapport entre un acteur et une salle, je ne peux pas le nommer. Je me sens ingrate. D’autant que cette histoire que j’ai souvent racontée s’est encore enrichie.

Ce théâtre, je l’avais toujours appelé du « petit kabuki ». Et lors de mon dernier voyage, cet automne, une assistante me conseille une pièce dans la banlieue de Tokyo, mais sans garantie, me fait-elle comprendre. J’y vais avec Maurice Durozier, compagnon du Soleil depuis trente-cinq ans. Une sorte de salle de patronage, éclairage moche, sono terrible. Et deux acteurs qui parlent, je ne comprends évidemment rien. Et tout d’un coup, un acteur entre sur ce décor misérable, et là, le choc : exactement le même style, les mêmes yeux, le tambour… Cette fois, j’ai demandé comment s’appelait ce style : taishu engeki. Ce qui veut dire « théâtre pour le peuple ». Ce que j’ai voulu faire toute ma vie.

Et que vous avez commencé dès votre retour d’Asie ?
Tout de suite, en mai 1964, c’était prévu avant mon départ. Au retour, on créait notre troupe.

Pourquoi une troupe ?
C’est l’aventure, un navire, le capitaine Fracasse. Et Molière, bien sûr. C’est ce qui a fondé le théâtre occidental. Je n’avais pas le choix. Je savais que je ne pourrais pas survivre dans un théâtre institutionnel, qu’on m’empêcherait de faire ce que je voulais faire. Avec le temps, j’ai fini par comprendre que la permanence de certaines institutions publiques était précieuse. Mais j’interroge toujours leur hospitalité. Elles devraient être protectrices des petites plantes qui veulent pousser, elles ne le font pas toujours.

En quoi consiste ce théâtre populaire, que vous vouliez déjà faire vivre ?
On avait la chance d’être de gauche, mais pas encartés ni sectaires. On contestait Jean Vilar, mais pas comme il l’a été en 1968, sottement. Ces « Vilar, Salazar… » hurlés à Avignon. Notre contestation était formelle, il fallait faire mieux. Faire quelque chose de très beau, de très exigeant, et d’accessible. Le théâtre populaire ne devait pas être comme la soupe du même nom. Antoine Vitez a dit : « Le théâtre élitaire pour tous » – ça me va très bien. La crème de la crème. Le plus beau, le plus nourrissant, le plus plaisant aussi. L’émotion est un véhicule pour la pensée dans un art. Plaire à l’œil, à l’oreille, à la peau.

Un théâtre réaliste ?

Pas pour moi. Mais je ne vais pas commencer à donner la recette du théâtre populaire. Cela relève d’esthétiques très différentes. Et il ne faut pas le borner. Le théâtre populaire, c’est un théâtre qui éclaire, qui nourrit, qui unit aussi, sans embrigader. De l’art, pas seulement des concepts. Je fuis le réalisme psychologique pas parce que ce n’est pas populaire, mais parce que ça me semble être un paravent qui écarte du théâtre. Ce n’est pas facile de trouver le théâtre. Le matin, je commence souvent par : « Je nous souhaite une bonne répétition, et j’espère que le théâtre va être là. » Mais il y a des journées entières sans théâtre. Du texte, pas de théâtre.

Pourquoi passer par ces masques, ces maquillages, ces décors souvent puisés à la culture asiatique ?


Et pourquoi Ravel a-t-il eu besoin de s’inspirer de la musique balinaise qui l’avait ébloui lors d’une Exposition universelle ? Et pourquoi Picasso a-t-il eu besoin de l’art nègre ? Parce qu’on a besoin de sources, d’influences, de chemins, d’émotions. De maîtres. Ces formes sont mes maîtres. De Dullin ou de Copeau, j’ai les livres. Dans certains endroits du monde, il reste les formes qui expriment le théâtre tel qu’il se rêve, des offrandes à Dieu souvent, d’une simplicité originaire et d’une sophistication formelle extraordinaire. Ce sont mes professeurs.

Quand tu as un grand prof, tu ne fais pas exactement ce qu’il te dit, mais il te donne des instruments, de la liberté, du courage, de l’audace. Et des lois. Ces formes japonaises, quelques formes indiennes, le topeng à Bali m’ont donné des lois. Et si tu les regardes bien, ce sont les mêmes, avec des esthétiques, des musicalités différentes. J’ai besoin de ces lois pour tenir les comédiens au-dessus du plateau. Et le public aussi.

Votre théâtre est-il politique ?


Oui, de fait. Mais pas militant. Pas simplificateur. Ce qui ne nous a pas empêchés de tomber dans ce travers de temps en temps. Mais involontairement. L’humanité ne sera pas sauvée « par une illumination soudaine », disait Jaurès, mais « par une lente série d’aurores incertaines ». Mais oui, bien sûr, le grand théâtre est presque toujours historique et politique. Historique, donc politique. Même quand ce n’est pas Richard II ou Henri IV. Tartuffe est historique, la pièce s’inscrit dans un moment de l’histoire, et elle reste d’actualité. Le danger bigot nous guette toujours : dans le sud des Etats-Unis, en Tunisie, en Arabie saoudite, en Espagne… Même Tchekhov, ce que l’on sent derrière, le monde qui gronde, c’est l’histoire…


La politique, vous l’avez aussi inscrite dans les règles de la troupe. Un partage de toutes les tâches, un salaire unique (aujourd’hui 2 000 euros par mois), y compris pour la directrice. Une utopie égalitariste ?


Non, égalitaire. On tient compte des âges, des expériences. Je ne décharge plus les camions, parce que je ne peux plus. Il y a des différences, il serait absurde de le nier. Entre Maurice qui est là depuis trente-cinq ans et un jeune arrivé récemment, il y a des différences. Mais du moment que chacun est aussi productif, ou plutôt qu’il donne tout ce qu’il peut, il n’y a pas de raison qu’elles se traduisent par une distinction financière.

Des différences de statut, oui. Maurice, on lui trouvera toujours une chaise. Chacun n’a pas non plus le même pouvoir d’influence, sa voix ne porte pas de la même façon, mais au moment du vote, une voix est une voix. Alors, est-ce une utopie ? Peut-être. Mais une utopie n’est pas impossible.

Disons que le Théâtre du Soleil est en expérience d’utopie tous les jours. En interrogation perpétuelle, aussi. Comment trouver la justesse ? Comment atténuer telle déception ? Notre troupe, c’est soixante-dix personnes qui s’interrogent mais qui ont toutes envie de créer, de s’exprimer, de vivre. Avec de bonnes et de mauvaises surprises. Quelqu’un qui n’avait pas été très inspiré au précédent spectacle se transforme en locomotive. Et l’inverse, un des plus grands qui se retrouve sec : c’est rare mais ça arrive, et c’est cruel.

Même le capitaine doute ?


Tout le temps. Pas de l’équipage, je sais faire confiance, j’ai cette qualité. Mais de moi-même, oui, à chaque instant, chaque décision. Mes décisions n’ont pas l’importance de celles d’un capitaine des pompiers, j’ai cette chance, celle aussi de pouvoir prendre le temps. Car le temps se venge toujours de ce qu’on fait sans lui. Ne pas traîner. Mais donner le temps à un comédien de progresser, à un plat de cuire, à la poussière de retomber.

Le capitaine n’a jamais été contesté ?


Au début si, avec de grosses crises. Dès le premier spectacle, on avait pris deux comédiens à l’extérieur, car nous ne connaissions rien. Pas très bons, en fait. J’ai dû le leur signifier un peu brutalement. Ils m’ont dit que je n’étais pas metteur en scène. Et comme c’était vrai, j’ai douté. Et là, Philippe Léotard leur a dit que le metteur en scène c’était moi. « Alors barrez-vous ! » Ça a été souverain. Plus tard, il y a eu des crises, violentes parfois. Souvent après de gros succès. Le succès est plus difficile à gérer que l’échec. Il peut griser certains, c’est humain.

Dans les grandes rencontres qui ont forgé le Théâtre du Soleil, vous parlez souvent du musicien Jean-Jacques Lemêtre et de l’écrivaine Hélène Cixous. Comment ont-ils croisé votre chemin ?


Hélène, ce fut par l’intermédiaire de Michel Foucault. Il nous avait demandé une pièce courte, pour le Groupe d’information sur les prisons, à jouer devant la prison de la Santé. Elle ne devait pas faire plus de deux minutes trente, le temps que la police intervienne. Et on fait une scène dont la réplique centrale était : « Qui vole un œuf va en prison, qui vole un million va au Palais-Bourbon. » Très subtil. Ça durait deux minutes dix-neuf. Foucault vient nous voir, accompagné d’Hélène Cixous. On joue notre truc, et au moment de la fameuse phrase, Hélène se lève, superbe, et crie : « C’est magnifique ! » Puis on a commencé à travailler ensemble. Et elle a écrit L’Histoire tragique mais inachevée de Norodom Sihanouk. Une grande pièce, je l’ai relue récemment. Elle ne nous a plus quittés.

Jean-Jacques, c’était pour Mephisto, en 1979. Je voulais un petit orchestre, donc je cherchais quelqu’un pour enseigner la musique aux comédiens. Françoise Berge, notre prof de diction, me parle d’un gars sympathique qui apprend la musique aux enfants handicapés. Je l’appelle, on se donne rendez-vous à la sortie du métro Etoile. Et pour vous reconnaître ? « Je suis splendide ! Une grande barbe, des longs cheveux noirs. Très beau, vraiment. » Tout était vrai. Surtout un grand musicien qui a fait la musique de tous nos spectacles depuis.

Des arrivées remarquables, donc, mais aussi des départs marquants, notamment de piliers : Philippe Léotard, Philippe Caubère, Georges Bigot, Simon Abkarian. N’est-ce pas douloureux ?


Chaque histoire est différente. J’ai parfois manqué de sagesse, de compréhension. Pas toujours admis que les comédiens puissent avoir besoin d’aller ailleurs. Mais oui, quand il y a de tels amours, le divorce ne peut être que douloureux. Et il est normal que je réagisse comme quelqu’un de quitté. Je suis quittée, d’ailleurs. J’ai appris à le comprendre, mais ça n’enlève pas le chagrin. Même quand le départ se passe dans de bonnes conditions, et c’est le cas la plupart du temps.

Le théâtre populaire que vous revendiquez vous impose-t-il des devoirs ?


Bien sûr. Je travaille avec des fonds publics. Je comprends que quelqu’un veuille faire des spectacles de recherche, ou même très intellectuels, pour trente spectateurs par soir. Ça doit être possible, pouvoir être subventionné, en rapport avec le public à qui ça s’adresse. Moi, mes goûts ne me portent pas vers ça. Je fais du théâtre populaire car j’aime ça. Et je veux toucher tout le monde, du collégien au professeur de philosophie, les riches – pas les prédateurs, je précise – et les pauvres.

Des gens se saignent pour venir. C’est cette femme, venue avec sa petite fille, qui a demandé le prix des places les moins chères. Après qu’on lui a répondu, elle s’est tournée vers son enfant : « Alors, on prend sur la cantine ? » Elle a eu deux invitations, bien sûr. Mais que dans notre pays si riche il faille choisir entre la cantine et le théâtre, ce n’est évidemment pas normal. Ça donne quelques responsabilités.

Quels fléaux combattez-vous depuis toutes ces années, notamment avec ces pièces inspirées de tranches cruelles de l’histoire ?


Combattre, je ne sais pas. Nous faisons des gestes de bonne volonté. Avant de faire entrer les spectateurs, je dis toujours aux comédiens : « Attention, notre théâtre va ouvrir. » Quand je suis en forme : « Notre beau théâtre va ouvrir. » Et parfois, quand je suis angoissée, et Dieu sait qu’à Paris nous avons vécu des événements angoissants ces dernières années, j’ajoute : « N’oublions pas que nous avons charge d’âme. » Entre le spectacle, le temps avant, le ou les entractes, le temps après, les gens sont souvent chez nous cinq ou six heures. Pendant ce temps-là, leur fait-on vraiment du bien ? Leur redonne t-on un peu le sens de l’accueil, de la gentillesse, d’un regard attentif ? En résumé, leur redonne t-on un peu confiance en l’être humain ? Notre charge, c’est ça : qu’ils repartent avec une âme un peu plus forte. Peut-être alors plus aptes à changer la société en bien.

Cette « charge d’âme » a débordé vos pièces, pour s’imposer dans la vie de la Cartoucherie. Vous y avez accueilli des artistes pourchassés, conduit une longue grève de la faim contre l’abandon de la Bosnie, abrité 400 sans-papiers pendant plusieurs semaines. Récemment, pourtant, vous avez subi des attaques venues de votre propre camp, la gauche : qualifiée de « laïcarde » et d’« islamophobe » parce que vous dénonciez l’emprise des islamistes ; coupable d’« appropriation culturelle » parce que votre troupe jouait « Kanata », une pièce de Robert Lepage sur les autochtones canadiens. Cela vous a blessée ?
La gauche est déchirée, entre ceux qui conservent un bon sens laïque et ceux qui délirent et voient des lois liberticides partout. Ça m’attriste, ça me met en colère, mais ça n’ébranle pas mes convictions. Laïcarde, je suis. Et je ne me laisserai pas contaminer par le délire indigéniste. Sans laïcité, ce sont toujours les femmes qui perdront, première chair à canon ou à lapidation. Je refuse cette entreprise de bâillonnement qui veut nous interdire de critiquer les religions, quelles qu’elles soient, et qui laissent les musulmans laïques nus face à leurs tortionnaires. Kanata et l’appropriation culturelle, c’est encore autre chose, et je préfère ne plus en parler. J’espère guérir les blessures, réconcilier un jour les points de vue, du moins avec les autochtones.


Cinquante-cinq ans après la création du Théâtre du Soleil, qu’est-ce qui a changé ?


Je pourrais répondre que je ressens désormais la fatigue alors que j’étais infatigable. Je n’ai plus toutes mes forces, je ne peux plus travailler quinze heures de suite. Un changement avec lequel il faut traiter, qui m’a obligée à m’écouter un peu plus, et peut-être à mieux écouter les autres. C’est donc aussi un progrès. Mais plus fondamentalement, quand nous sommes nés, en 1964, nous pensions que le monde ne pouvait que s’améliorer. La pente a changé. En ce moment, nous voyons plutôt s’accumuler les nuages. Les démons sont à l’œuvre.

Trump, Johnson, Bolsonaro, Erdogan, Nétanyahou, Poutine, Abe au Japon, Modi en Inde. Et Xi Jinping en Chine. J’en oublie. Qu’est-ce qui peut sortir de bon de tout ça ? Comment avons-nous mis ces gens au pouvoir, dans la majeure partie de la planète ? Car, à part en Chine, tous ont été élus. Au Théâtre du Soleil, nous vivions avec la perspective d’un ciel bleu. Nous vivons désormais avec un ciel d’orage. Cela rend plus indispensable encore de saisir chaque instant d’humanité, de bonheur.

Songez-vous à passer la main ?


Bien sûr. Je le prépare même. Toute une partie de la direction est déjà prise en charge par Charles-Henri Bradier. Et nous commençons à avoir une petite idée pour la partie artistique. Mais c’est comme pour nos spectacles : nous n’en parlons jamais à l’avance.

« Une chambre en Inde », création du Théâtre du Soleil. Cartoucherie-Théâtre du Soleil, route du Champ-de-Manœuvre, Paris 12e. Jusqu’au 31 décembre, en alternance avec « Notre petit Mahabharata ».

 

 


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April 7, 2019 6:58 AM
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Les nouvelles censures au théâtre

Les nouvelles censures au théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

L'émission revient sur l’annulation de la pièce Les Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne, alors que la mise en scène est accusée de blackface.

Lundi 25 mars, la pièce d'Eschyle, LesSuppliantes montée par la compagnie Démodocos et programmée  dans l'amphithéâtre Richelieu, à la Sorbonne, a été empêchée de jouer par une cinquantaine de militants de la Ligue de défense noire africaine (LDNA), de la Brigade anti-négrophobie, et du Conseil représentatif des associations noires (Cran), accusant la mise en scène de racisme. Motif : la pièce met en scène le peuple des Danaïdes venu d’Egypte et de Lybie demander asile aux Grecs de la ville d’Argos, les acteurs ont couvert leur visage d’un maquillage par-dessus lequel ils se sont couverts de masques cuivrés et non pas noirs, comme cela se faisait dans la Grèce antique. Cela a suffi pour que les militants crient au « blackface », du nom de ce genre de maquillage théâtral américain du 19ème siècle ou des acteurs blancs se maquillaient pour caricaturer les noirs, et décident d’agir.

« C'est un procès d'intention et un contresens total», a aussitôt dénoncé la présidence de l'université. « Une partie de la troupe a été séquestrée par des excités venus là pour en découdre », a accusé, de son côté, le metteur en scène et directeur de la compagnie Philippe Brunet, qui dénonce par ailleurs des pressions physiques de la part des militants de la Ligue de défense noire et du Cran sur des actrices en larmes et envisage de porter plainte. Neuf mois après les débats provoqués notamment dans cette émission par les attaques contre la pièce du Canadien Robert Lepage Kanata accusée de racisme, voici que la polémique fait retour sur un nouveau cas de censure et de violence au théâtre.  

Programmation sonore:

Communiqué "Stop au blackface en France " de La ligue de défense noire africaine 

Angélique Ionatos : "O Adonis"

 


Les Sept contre Thèbes, mise en scène de Philippe Brunet• Crédits : Philippe Brunet / festival Les Dionysies

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December 25, 2018 3:24 AM
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Kanata- Episode 1 - La Controverse, mise en scène de Robert Lepage

Kanata- Episode 1 - La Controverse, mise en scène de Robert Lepage | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mireille Davidovici dans Théâtre du blog 24.12.2018

 

Kanata- Episode 1-La Controverse,mise en scène de Robert Lepage

 «Il y a tellement de vents contraires», dit Miranda. La jeune artiste française, installée à Vancouver prépare une exposition:  des portraits de femmes autochtones assassinées par un tueur en série canadien. Son projet aura-t-il lieu ?  Prise en étau entre son désir de témoigner au nom de ces victimes, et l’opposition d’associations autochtones, une non native peut-elle légitimement s’exprimer en nom et place des Premières Nations ?

 Ces vents contraires, Robert Lepage, les a subis, quand, à l’invitation d’Ariane Mnouchkine, il a voulu créer Kanata (ce nom en huron-iroquois signifie village et serait à l’origine du nom Canada). Le metteur en scène québécois  se proposait d’explorer l’histoire des premières nations de son pays avec les comédiens du Théâtre du Soleil. Sa pièce fut interdite au Canada, les associations d’artistes et intellectuels autochtones dénonçant une appropriation culturelle et l’absence sur scène de d’acteurs de leurs communautés. Contre vents et marées, Ariane Mnouchkine et  Robert Lepage ont maintenu leur projet, quitte à perdre des financements et une tournée outre-Atlantique. Et  le metteur en scène, pour lever toute ambigüité, a eu l’intelligence d’intégrer cette polémique à son spectacle.

La pièce s’est construite avec les comédiens du Théâtre du Soleil. « Ils sont venus au Québec. » (…)  « Nous avons passé du temps dans l’Ouest canadien, pas uniquement sur les territoires des tribus, mais aussi dans les centres urbains, pour essayer de comprendre cette problématique en milieu citadin.  A l’issue de ces explorations et d’improvisations, aidé par l’éditorialiste Michel Nadeau, Robert Lepage a tissé les fils d’une saga de deux heures trente, faite de nombreux tableaux. D’Ottawa à la Colombie britannique, des quartiers populaires de Vancouver à une porcherie sordide, des personnages se croisent, des itinéraires s’imbriquent : histoires d’amour, d’amitiés, crimes, vies gâchées et retrouvailles funèbres…

Sur le plateau, Leyla, conservatrice du musée d’Ottawa, commente pour  son homologue du musée du Quai Branly à Paris, le portrait d’un mystérieuse Indienne, Josephte Ourné, peinte par Joseph Légaré (1795 -1855) peintre québécois… D’origine indienne, elle a été adoptée par une couple iranien. On assiste ensuite au massacre à la tronçonneuse d’une belle forêt, pour se retrouver plus tard dans les bas-quartiers de Vancouver, empire de la drogue, voué à la gentrification par des promoteurs, issus de l’immigration chinoise… Un couple français, Miranda et son compagnon, apprenti-comédien, s’installent  là où  dealers et prostituées, font leurs petits trafics pour survivre. Des femmes disparaissent. Toutes autochtones dont Tanya, une jeune héroïnomane qui s’est liée d’amitié avec Miranda…

 Les décors défilent, vite installés, vite escamotés. Un peu trop nombreux, parfois inutiles, et d’une esthétique peu recherchée. Les séquences sont jouées par une trentaine de comédiens dynamiques et inventifs de toutes les nationalités, avec des dialogues, parfois un peu bavards et relâchés, et des personnages touchants auxquels on ne peut rester indifférent. Leur destin tragique évoque le sort de ces peuples démembrés, et victimes de l’ethnocide des blancs : colons, soldats et prêtres qui ont volés leur terres, les ont  parqués dans des réserves inhospitalières,  les ont abandonnés à l’alcool et au chômage, et ont enlevés leurs fillettes pour les élever dans des orphelinats. Ils ont aussi éradiqué les langues et coutumes des Premières Nations. Constat terrible qu’il était urgent d’établir.

Merci à Ariane Mnouchkine d’avoir tenu bon face à «une intimidation inimaginable dans un pays démocratique », exercée en grande partie sur les réseaux sociaux. Bravo à Robert Lepage d’avoir donné un réponse artistique à ces  tentatives de censure. On peut comprendre la colère de ces peuples, et leurs revendications mais ce spectacle ne trahit en aucun cas leur cause et ouvre un important débat. Et Ariane Mnouchkine a mis sur pied des rencontres et envisage un festival de théâtre autochtone à la Cartoucherie. Il faut aller voir ce spectacle. On peut aussi se restaurer sur place, les mets sont bon marché, délicieux, l’ambiance toujours aussi chaleureuse, et les livres en vente à la librairie,  susceptibles de combler nos lacunes sur les questions indigènes.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 17 février, Théâtre du  Soleil, route du Champ de manœuvre, Paris 12  T. :01 43 74 88 50

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December 20, 2018 6:59 PM
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«Kanata», ou le dialogue de sourds des cultures 

«Kanata», ou le dialogue de sourds des cultures  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet dans Libération - 20.12.2018

 

Cristallisant le débat sur l’appropriation culturelle, la pièce de Robert Lepage avec les comédiens d’Ariane Mnouchkine a finalement éclos à la Cartoucherie de Vincennes, sans éteindre la controverse.

L’actrice iranienne Shaghayegh Beheshti. Photo Michèle Laurent
«Il faut une autorisation, maintenant, pour exprimer sa solidarité et sa compassion ? Il faut être juif pour peindre un Juif, un Noir pour peindre un Noir ?» Sur le plateau du Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, le personnage de Miranda, peintre française installée à Vancouver, est atterré. Elle voulait monter une exposition de portraits de femmes autochtones, faire circuler les visages de ces nombreuses disparues, au centre d’un fait divers réel. Mais la jeune artiste aurait certainement dû préalablement demander l’accord des familles, puisque la voici désormais accusée de récupérer la souffrance indigène pour son propre prestige. Elle entendait «parler pour», et non «à la place de». Elle offrait un hommage, on lui renvoie son «pillage». «On nous a volé nos terres, nos enfants, on ne va pas nous voler nos larmes», rétorque sur scène une femme autochtone, introduisant ainsi, aux trois quarts de Kanata, la mise en abyme d’une polémique transatlantique dont la pièce est l’objet depuis juillet dernier.

Polarisation
En effet, ce soupçon de «soft-colonialisme», cet anathème jeté sur Miranda dans la fiction, est aussi celui qui frappe les créateurs de Kanata. Envisagé comme une fresque retraçant l’histoire récente des Premières Nations, le spectacle n’intègre aucun membre des communautés autochtones dont il conte l’histoire, ni au scénario, ni dans la distribution. Si bien qu’on pouvait lire dans une lettre ouverte publiée en juillet dernier dans le quotidien canadien le Devoir : «L’un des grands problèmes que nous avons au Canada, c’est d’arriver à nous faire respecter au quotidien par la majorité. […] Notre invisibilité dans l’espace public, sur la scène, ne nous aide pas. Peut-être sommes-nous saturés d’entendre les autres raconter notre histoire. Nous ne sommes pas invisibles et nous ne nous tairons pas», dénonçait un collectif d’une vingtaine de personnalités issues des minorités autochtones, déclenchant une tempête médiatique dont le retentissement a convaincu un financeur nord-américain de retirer son soutien à la pièce, provoquant son annulation au Canada. Que le metteur en scène québécois Robert Lepage soit un des rares artistes à défendre le sort des autochtones n’y a rien fait. Pas plus que la mission clairement justicière et émancipatrice de son projet. Il en faut plus, désormais, selon les détracteurs, pour se prémunir de toute «appropriation culturelle» - outil conceptuel autant qu’arme militante né dans le sillage des post-colonial studies dans les années 80 et qui désigne la récupération par une culture dite «dominante» d’éléments appartenant à une culture minoritaire.

Cette polarisation entre oppresseurs et oppressés a pu faire pouffer de consternation qui connaît un peu la nature du casting de Kanata, puisque Robert Lepage n’a pas sciemment invisibilisé les acteurs autochtones au profit de comédiens descendants ostensiblement d’ancêtres «colonisateurs» (qui, selon une fâcheuse idéologie, seraient donc illégitimes à jouer), mais a travaillé avec la troupe du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, connue pour son idéal humaniste, réunissant des artistes de vingt-six pays, des Afghans, des Iraniens, des Irakiens, des Syriens - quelques-uns réfugiés, d’autres ayant choisi l’exil -, une équipe connue pour voyager de par le monde en collaborant souvent avec les artistes rencontrés sur place. Pas la cible idéale, donc.

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L’argument du cosmopolitisme de la troupe de Mnouchkine a en tout cas donné de la voix aux gardiens de l’universalisme, outrés de voir ainsi peser sur la distribution d’une pièce des injonctions identitaires, déplorant, selon les termes de Mathieu Bock-Côté, sociologue québécois invité cet été de France Culture, le «recloisonnement culturel» et «l’exportation de l’idéologie racialiste d’extrême gauche très présent dans les universités américaines». Aujourd’hui que la pièce a pu finalement voir le jour en France, ovationnée dans le cadre du Festival d’Automne à Paris en dépit de quelques huées le premier soir, l’actrice iranienne Shaghayegh Beheshti, qui joue un des rôles d’autochtones, commente : «A aucun moment les revendications de ces minorités ne m’ont déplacée : c’est le principe même de l’acteur que de "parler à la place des autres" ! Ce qui est déplacé, c’est de faire un tel scandale sans même connaître la troupe ni le projet. En même temps, ça témoigne d’une grande souffrance…» Comme l’ensemble de la troupe du Soleil, elle dit néanmoins avoir lu avec attention une autre lettre ouverte du même collectif, publiée samedi dernier à nouveau dans le Devoir, à l’adresse des comédiens de Kanata : «Nous savons tout l’investissement humain que vous avez mis pour raconter nos histoires. Nous sommes honorés par cette intention et saluons votre travail. Nous aurions tant aimé faire ce chemin en votre compagnie, pour pouvoir enrichir nos processus créatifs respectifs de manière à créer une réelle collaboration artistique et humaine.»

Réciproque
Deux des signataires de cette lettre, Maya Cousineau-Mollen et Kim O’Bomsawin, étaient accueillies en France pour assister à la première de Kanata, à l’invitation du collectif Décoloniser les Arts qui organisait ce lundi une rencontre avec elles (à laquelle n’était pas conviée l’équipe du spectacle). Déçues par une pièce dont elles condamnent «les clichés», les deux artistes autochtones se désolaient également que le Théâtre du Soleil ait plaidé par communiqué son droit à la créer. «Ce n’est pas une question de justice, c’est une question de morale !» A l’issue de la soirée, la politologue Françoise Vergès, membre du collectif, tenait à repréciser : «Nous n’avons jamais demandé l’annulation ou la censure, que ce soit clair.» Plutôt un débat éthique élargi sur la quasi-absence des minorités visibles dans le milieu des arts. On rêverait bien sûr que, s’agissant du théâtre, soit défendu l’idéal du «tout le monde peut jouer tout le monde» plutôt que celui de Bernard-Marie Koltès, lequel - en opposition à Patrice Chéreau - exigeait que seuls des Noirs et des Arabes puissent jouer des Noirs et des Arabes. Seulement la réciproque - seuls des Blancs dans les rôles de Blancs - est tout aussi inquiétante et plus répandue, a fortiori en France où la couleur de peau est dramaturgiquement neutre (colorblind, disent les Anglo-saxons) de préférence lorsqu’on est Blanc (sinon pourquoi a t-on accueilli, cette année encore, comme un incroyable événement le fait que l’acteur noir Adama Diop joue Macbeth dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig ?) Tant que ce déséquilibre flagrant ne gênera pas davantage les milieux artistiques, l’idéal universaliste de «circulation culturelle» sonnera comme une hypocrisie, laquelle n’est pas sans lien avec le genre d’attaques désordonnées et dommageables dont Kanata fut la victime.

Ève Beauvallet

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December 17, 2018 5:42 AM
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La première de Kanata fait salle comble à Paris

La première de Kanata fait salle comble à Paris | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE Publié le 16 décembre 2018 dans La Presse.ca (Montréal)



(PARIS) Une ruelle trash de Vancouver. Un loft d'artistes. Une travailleuse sociale. Des junkies autochtones. Un tueur en série. Un drame réaliste avec des pointes d'onirisme. Ainsi va Kanata, dont la première avait lieu samedi, à la Cartoucherie de Paris.

La salle de 540 places est archicomble pour cette représentation. Personne ne veut manquer l'événement. Certains parce qu'il s'agit d'une nouvelle proposition du Théâtre du Soleil, véritable institution française. D'autres à cause de la polémique sur l'appropriation culturelle qui a fait rage l'été dernier au Québec et n'a sûrement pas fini de faire des vagues.

« Je ne serais pas venu dès la première s'il n'y avait pas eu cette histoire », admet Wes Williams, professeur de littérature française à Oxford, parti d'Angleterre le matin même.

Fait inusité : tous les spectateurs qui ont acheté leur billet sont remboursés. La patronne de la troupe, Arianne Mnouchkine, estime que le spectacle n'est pas encore au point et nous demande de le prendre comme une répétition générale.

Fidèle à la tradition, Mme Mnouchkine se tient à la porte pour déchirer les billets et accueillir les visiteurs. On lui demande si elle appréhende la critique des quelques autochtones qui sont venus du Québec pour juger de la pièce.

« Je n'appréhende qu'une chose, c'est que le résultat ne soit pas à la hauteur », dit-elle, avant d'envoyer gentiment paître le journaliste.

Présences québécoises et autochtones dans la salle

Dans la salle, on aperçoit Sophie Faucher. La comédienne québécoise est ici pour soutenir son ami Robert Lepage, qui signe la mise en scène de la pièce à titre d'artiste invité, un précédent dans le cas du Théâtre du Soleil.

Mme Faucher est de ceux qui croient à la liberté de création. La controverse Kanata l'a « rendue malade » l'été dernier, d'autant que « personne n'avait vu la pièce ».

Elle ne nie pas la souffrance des Premières Nations, mais croit qu'on a « tiré sur le messager » en attaquant Lepage et Mnouchkine.

Un peu plus loin, Guy Sioui Durand nuance un peu. Cet artiste wendat (huron) dit préférer le scandale à la censure. Il trouve cependant que Lepage et Mnouchkine sont « braves » d'être allés au bout de ce projet explosif.

« À mon avis, c'est une erreur stratégique de ne pas avoir eu au moins un cometteur en scène autochtone, dit-il. Cela dit, il faut mettre les choses en perspective. C'est du théâtre, ce n'est pas la guerre. On est loin d'un attentat à Strasbourg. »

Un spectacle qui suggère moins qu'il n'impose

Sur scène, une peinture de Cornelius Krieghoff représentant un Huron-Wendat. C'est la première image de Kanata, qui n'en manque d'ailleurs pas : pendant deux heures et demie, sans entracte, les tableaux se succèdent et se multiplient, comme les épisodes d'une télésérie.

À Vancouver, des junkies se piquent. Des prostituées amérindiennes disparaissent. La police se tourne les pouces. Dans le quartier de la rue Hastings, réputée pour ses marginaux, un couple d'artistes français cherche le bonheur dans son loft.

Ferdinand veut faire du cinéma, Miranda veut peindre. Il repart pour la France. Elle se lie d'amitié avec Tanya, jeune autochtone à la dérive.

Lorsque cette dernière est retrouvée assassinée, Miranda trouve enfin l'inspiration : par solidarité, elle peindra les 49 femmes autochtones qui ont été tuées par un éleveur de cochons, référence sans équivoque à Robert Pickton, tueur en série qui avait fait les manchettes au tournant des années 2000.

Mais Miranda a-t-elle le droit de s'approprier des larmes qui ne sont pas les siennes ? That is the question...

On ne rouvrira pas ici le dossier de l'appropriation culturelle. Mais visiblement, Lepage et Mnouchkine n'ont pu s'empêcher de revenir sur ce débat houleux, parfois même lourdement, comme poussés par le désir de se justifier ou d'avoir le fin mot de toute cette histoire.

Dans un style direct, Kanata suggère moins qu'il n'impose. La facture est réaliste, proche du docudrame. Cela n'empêche pas toutefois quelques moments de grâce, dont deux sublimes scènes de rêve en canot, qui transcendent littéralement une pièce par ailleurs plutôt sage côté mise en scène.

Des avis partagés

À la sortie, commentaires mitigés.

Assise derrière nous, Lily, la soixantaine, déplore « l'accumulation de clichés » et le pathos d'un récit qui « veut se donner bonne conscience ».

« On devrait pleurer, mais ça ne m'a pas touchée du tout », tranche cette habituée de la Cartoucherie, qui semble en avoir gros sur le coeur.

Trois rangées plus haut, Angélique, jeune comédienne, n'est pas du même avis. Elle a aimé le « visuel cinématographique » et trouve le sujet pertinent, voire éclairant. « La marginalité de ces gens : ça nous raconte un truc qu'en France on ne sait pas trop... ou qu'on ne sait pas assez », dit-elle.

Idem pour Jeannine, inconditionnelle d'Arianne Mnouchkine depuis les années 70. « Cette pièce me donne envie de vivre », dit-elle, en prenant des photos du décor.

Chez les autochtones, en revanche, la déception se mêle à l'optimisme.

Abordée à l'extérieur de la salle, Maya Cousineau Mollen hésite d'abord à donner son avis, avant de s'ouvrir un peu.

Si elle dit « comprendre » la démarche d'Arianne Mnouchkine, elle croit encore qu'il est trop tôt pour que d'autres s'expriment sur le drame vécu par les Premières Nations.

« Si on nous avait mieux consultés, ça aurait sans doute mieux passé », lance l'écrivaine innue, invitée à Paris par une association antiraciste (Décoloniser les arts).

Mme Cousineau Mollen croit néanmoins que la polémique Kanata a fait avancer les choses. « Il faut apprendre de ça pour ce qui s'en vient », dit-elle, à la fois résignée et philosophe.

Y aura-t-il donc un avant- et un après-Kanata ? Guy Sioui Durand en est convaincu. Le débat s'est fait dans la douleur, dit-il. Mais au moins, il y a eu prise de conscience.

« Maintenant, on ne pourra plus parler de nous sans nous. »

Kanata est présentée au théâtre de la Cartoucherie jusqu'au 17 février 2019

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December 16, 2018 4:55 PM
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Kanata - Épisode I - La Controverse de Robert Lepage avec la troupe du Théâtre du Soleil


Par Vincent Bouquet dans Sceneweb - 16 décembre 2018

Photo Michèle Laurent

Pour la première fois depuis sa création, la troupe du Théâtre du Soleil se voit confier à un autre metteur en scène qu’Ariane Mnouchkine. La rencontre alchimique entre ses comédiens cosmopolites et le maître québécois façonne le joyau théâtral de cette fin d’année.

Kanata revient de loin. Annoncée comme l’un des événements du Festival d’automne à Paris, la rencontre entre Robert Lepage et la troupe du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, a bien failli ne pas avoir lieu. En cause, une polémique, née cet été au Canada, autour du sujet que le maître québécois entendait aborder, celui du « génocide culturel » des Premières Nations. Après la controverse provoquée par son spectacle SLĀV, il s’est cette fois vu accuser « d’appropriation culturelle » par des personnalités autochtones, inquiètes de voir leur histoire caricaturée dans un spectacle « stéréotypé » et indignées par l’absence d’acteur indigène dans la distribution. Annulé l’espace de quelques semaines, ce travail long de plusieurs années a finalement pu poursuivre sa route et permet à Robert Lepage de répondre à ses détracteurs de la plus belle des manières, par un théâtre de la réconciliation.

Conscient de l’aspect épineux de la thématique, le metteur en scène a préféré ne pas l’aborder de front. Sous-titré Episode I – La Controverse, Kanata utilise le chemin de la fiction pour arriver à ses fins et s’interroger, en toile de fond, sur la place laissée aux descendants des Premières Nations dans le Canada contemporain. Bien avant d’être un spectacle politique, il édifie une magnifique Tour de Babel où les langues – français, anglais, persan, autochtones – et les cultures – des comédiens comme des personnages – se mêlent pour ne faire plus qu’un. A la manière du Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, Robert Lepage, épaulé par le dramaturge Michel Nadeau, construit un enchevêtrement de destins autour de Hastings Street, cette artère de Vancouver où la misère et la drogue sont reines.

Alors que Leyla Farrozhad, restauratrice au musée des Beaux-Arts du Canada, et Jacques Pelletier, commissaire d’exposition, nouent une histoire d’amour devant des tableaux de Joseph Légaré, Ferdinand et Miranda, comédien et artiste peintre français, s’installent à Vancouver pour s’offrir une nouvelle chance professionnelle. Sous l’œil de Tobie, un descendant de Hurons qui réalise un documentaire sur Hastings Street et plus généralement sur les populations autochtones, la jeune femme fait la rencontre de Tanya, une prostituée qui erre dans le quartier à la recherche d’argent pour payer sa drogue. Protégée par Rosa, une travailleuse sociale du centre d’injections tout proche, elle vit sous la menace d’un tueur en série qui a déjà fait disparaître plusieurs dizaines de ses semblables, sans que la police, désintéressée du sort de ces laissées pour compte, ne fasse rien.

Carrefour des âmes errantes, Kanata est aussi le point de rencontres des identités dans un Canada qui a longtemps mis sa diversité sous le boisseau. Du comédien français qui cherche à perdre son accent, voire sa culture hexagonale, pour essayer de réussir à cette artiste peintre qui se voit reprocher sa soudaine inspiration provoquée par le malheur de ces femmes autochtones, Robert Lepage donne le change à ses contempteurs et questionne les ravages de l’acculturation. En filigrane, il dénonce cette politique de l’Etat canadien qui, pendant plusieurs dizaines d’années, a forcé les enfants des descendants des Premières Nations à être scolarisés dans des pensionnats, ou à être placés dans des familles d’accueil, quitte à consumer leurs racines, détruire leur identité et compromettre leur avenir.

Tout en subtilité, construite tel un patchwork qui ne trouve sa cohérence qu’à mesure qu’il se construit, sa proposition est propulsée par le cosmopolitisme de la troupe du Théâtre du Soleil. Venus des quatre coins du monde, les comédiens empoignent le texte originel à la lumière de leur propre vécu, personnel ou scénique, et haussent leur niveau de jeu. Apparemment aux antipodes, les galaxies théâtrales de Lepage, féru de magie technique, et de Mnouchkine, adepte du théâtre artisanal, s’enchevêtrent jusqu’à l’alchimie la plus totale. Avec plus de moyens qu’à l’accoutumée, accompagnée par un dispositif vidéo qui magnifie les passages de lieu en lieu, la troupe est prise dans un mouvement perpétuel, provoqué par des changements de décor incessants, qui donne au spectacle un rythme naturel. Émerge, alors, ce lien qui unit les univers de ces deux maîtres théâtraux, celui qui place, toujours, l’humain au centre de tout. Avec une simplicité rare et une force tranquille, Kanata étreint et bouleverse jusque dans ses ultimes instants. Pour cette dernière « répétition », comme est traditionnellement appelée la première représentation d’un spectacle du Théâtre du Soleil, l’accueil fut triomphal.

 

 

 


Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr

Kanata – Épisode I – La Controverse
Mise en scène, Robert Lepage
Avec les comédiens du Théâtre du Soleil, c’est-à-dire, par ordre d’entrée en scène : Shaghayegh Beheshti, Vincent Mangado, Martial Jacques, Man Waï Fok, Dominique Jambert, Sébastien Brottet-Michel, Eve Doe Bruce, Frédérique Voruz, Sylvain Jailloux, Astrid Grant, Duccio Bellugi-Vannuccini, Owid Rawendah, Taher Baig, Aref Bahunar, Jean-Sébastien Merle, Shafiq Kohi, Saboor Dilawar, Maurice Durozier, Sayed Ahmad Hashimi, Seear Kohi, Miguel Nogueira, Ghulam Reza Rajabi, Alice Milléquant, Arman Saribekyan, Nirupama Nityanandan, Andrea Marchant, Agustin Letelier, Camille Grandville, Ana Dosse, Aline Borsari, Wazhma Tota Khil, Aref Bahunar, Samir Abdul Jabbar Saed
Dramaturgie, Michel Nadeau
Direction artistique, Steve Blanchet
Scénographie et accessoires, Ariane Sauvé avec Benjamin Bottinelli, David Buizard, Pascal Gallepe, Kaveh Kishipour, Etienne Lemasson, Martin Claude et l’aide de Judit Jancsó, Thomas Verhaag, Clément Vernerey, Roland Zimmermann
Peintures et patines, Elena Antsiferova, Xevi Ribas, avec l’aide de Sylvie Le Vessier, Lola Seiler, Mylène Meignier
Lumières, Lucie Bazzo, avec Geoffroy Adragna, Lila Meynard
Musique, Ludovic Bonnier
Son, Yann Lemêtre, Thérèse Spirli, Marie-Jasmine Cocito
Images et projection, Pedro Pires, avec Etienne Frayssinet, Antoine J. Chami, Vincent Sanjivy, Thomas Lampis, Gilles Quatreboeuf
Surtitrage, Suzana Thomaz
Costumes, Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran
Coiffures et perruques, Jean-Sébastien Merle
Souffleuse et professeure de diction, Françoise Berge
Assistante à la mise en scène, Lucile Cocito

Production Théâtre du Soleil (Paris), avec le Festival d’Automne à Paris
Coproduction Printemps des Comédiens (Montpellier) ; Napoli Teatro Festival Italia
Coréalisation Théâtre du Soleil ; Festival d’automne à Paris

Le développement du projet a bénéficié de l’apport d’Ex Machina ; à ce titre, ont aussi participé à la création : David Leclerc (vidéo), Olivier Bourque et Mateo Thébaudeau (direction technique), Benoît Brunet-Poirier (régie vidéo), Gabrielle Doucet (réalisation du tableau), Virginie Leclerc (accessoires), Viviane Paradis (production).
Avec le soutien des programmes de résidence du Centre des Arts de Banff, Alberta (Canada) et de l’action culturelle de l’Université Simon Fraser Woodward, Vancouver (Canada).

Remerciements aux élèves de 4e et 5e année de l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs et à leurs professeures Elise Capdenat et Annabel Vergne, aux élèves du diplôme de technicien des métiers du spectacle du Lycée Léonard de Vinci (Paris) et à leurs professeurs Anne Bottard et Franck Vallet, ainsi qu’à Mordjane Djaouchi (conseil en acrobatie).

Durée : 2h30

Théâtre du Soleil, dans le cadre du Festival d’automne à Paris
du 15 décembre 2018 au 17 février 2019

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December 14, 2018 8:30 PM
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Macbeth est noir, et alors ?

Macbeth est noir, et alors ? | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 

Par Fabienne Darge dans Le Monde 13.11.2018

 

Longtemps absents des plateaux, les comédiens noirs incarnent désormais des rôles du répertoire classique. Une manière de rendre le théâtre moins prisonnier  de l’illustration, du naturalisme et des clichés.

 

 

Visage blanc, masque noir ? Visage noir, masque blanc ? Que voit-on, que donne-t-on à voir, aujourd’hui en France, quand on voit des comédiens ou comédiennes noirs sur les plateaux de théâtre ? Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont enfin visibles, après des années de « blanchiment » généralisé sur nos scènes.

 

Et visibles notamment dans des rôles du ­répertoire classique, et dans des mises en scène prestigieuses de grandes institutions : Adama Diop a joué le rôle-titre dans Macbeth, de Shakespeare, Assane Timbo est actuellement Chrysalde dans L’Ecole des femmes, de Molière, deux mises en scène de Stéphane Braunschweig, le directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe.

Gaël Kamilindi, engagé dans la trou­pe de la Comédie-Française en 2017, y joue Hugo, Molière ou Wedekind, sous la direction de Denis Podalydès ou de Clément Hervieu-Léger. Océane Cairaty fait partie de la distribution de La Dame aux camélias, mise en scène par Arthur Nauzyciel, Alison Valence figurait dans celle de Macbeth.

 

Dans tous ces spectacles, la couleur de peau de ces comédiens ou comédiennes a cessé de revêtir un sens particulier : ils ne sont pas là pour incarner des Noirs, mais pour figurer les personnages d’un patrimoine universel. C’est ce que recouvre la notion de colorblind, qui commence à être utilisée en France – et l’emploi du terme anglo-saxon, l’incapacité à nommer cette notion en français, ne sont pas anodins. Cela n’a peut-être l’air de rien, mais il a fallu une longue bataille, qui n’est pas terminée, pour en arriver là, à travers une forêt de représentations aussi épaisse et fantasmatique que celle de Macbeth.

 

Il y avait urgence : la France est longtemps apparue comme très en retard par rapport aux pays anglo-saxons, où les comédiens noirs – ou indo-pakistanais – jouent depuis longtemps les grands et petits rôles du répertoire, shakespearien notamment.

Le théâtre, par essence cet art où l’homme se représente, ne reflète pas « la pluralité des corps et des voix que l’on croise dans l’espace urbain et qui constitue aujour­d’hui la nation française », note l’universitaire Sylvie Chalaye, anthropologue des représentations coloniales et historienne des arts du spectacle, qui a notamment dirigé le numéro Culture(s) noire(s) en France : la scène et les images, de la revue Africultures (n° 9293, L’Harmattan, 2013).

« Distribution libre »

Pourtant, au fil de ses recherches, Sylvie Chalaye a rappelé qu’au sortir de la colonisation les artistes afro-descendants étaient présents sur la scène française, et qu’ils n’étaient pas perçus comme étrangers. Daniel Sorano (1920-1962), Franco-Sénégalais, est un des piliers de la troupe du Théâtre national populaire de Jean Vilar ; le metteur en scène Jean-Marie Serreau (1915-1973) « revendique le brassage des corps et des voix de toutes les couleurs, et distribue des acteurs de toutes origines dans toutes sortes de pièces du répertoire contemporain, de Brecht à Genet, de Claudel à Ionesco, en passant par Samuel Beckett », observe-t-elle dans un article de la revue Alternatives théâtrales, en juillet 2017, titré « Quelle diversité sur les scènes européennes ? ». Jean-Louis Barrault travaille avec des acteurs noirs, comme Robert Liensol et Georges Aminel, qui entrera à la Comédie-Française en 1967. Antoine Vitez engage Akonio Dolo et pratique la « distribution libre », autrement dit sans a priori racial, au Théâtre des Quartiers d’Ivry…

« C’est à la fin des années 1970, après le choc ­pétrolier, l’arrivée du chômage et l’entrée de l’immigration dans le discours politique qu’un changement se fait sentir, résume Sylvie Chalaye. Les médias montrent systématiquement des Noirs pour évoquer l’immigration et l’acteur ethnicisé devient l’image même de l’étranger, du travailleur immigré. L’acteur noir incarne l’altérité, l’immigré, l’étranger, et il commence à faire signe dans les distributions. Bientôt les figures noires emblématiques de la scène des années 1980 tels Sidiki Bakaba, Isaach de Bankolé, Alex Descas, Pascal Nzonzi, Félicité Wouassi, Sotigui Kouyaté, Bakary Sangaré, Lisette Malidor, Firmine Richard… se retrouvent ethnicisés et sont renvoyés, Africains comme Antillais, à une identité d’assignation. »

 

Peter Brook, Britannique installé à Paris, au Théâtre des Bouffes du Nord, fait figure d’exception, avec son approche esthétique qui s’appuie sur la multiculturalité, et ses distributions où figurent systématiquement des acteurs noirs, qu’ils soient africains, et porteurs de leur culture, comme Sotigui Kouyaté, qui interprète Prospero dans La Tempête de Shakespeare, en 1990, ou britanniques, comme le jeune Adrian Lester, qui, en 2000, sera un Hamlet tout à fait colorblind. Mais, peut-être Peter Brook est-il, dans ces années-là, de même que la fondatrice du Théâtre du Soleil Ariane Mnouchkine, dont les acteurs viennent du monde entier, l’exception qui confirme la règle et qui, sans que le maître des Bouffes du Nord n’y soit pour rien, sert d’alibi au théâtre français.

 

Vent de fraîcheur

Pourtant, l’action de Peter Brook, en mêlant de manière indissoluble politique et esthétique, ouvrira dans le théâtre français une brèche qui ne se refermera pas et se rouvre aujourd’hui de manière plus large, notamment sur cette question de savoir si la couleur de peau doit ou non faire sens au théâtre. L’universitaire Georges Banu, dans un article justement intitulé « La couleur fait-elle sens ? » de son livre Peter Brook. Vers un théâtre premier (Seuil, 2005), note qu’une bascule s’est opérée avec Les Iks, un spectacle signé par Brook en 1975.

 

« Sans considération de race, les acteurs, qu’ils soient japonais, anglais ou canadiens jouaient indistinctement les Noirs d’une tribu menacée. Le“principe de la traduction généralisée” [cher à Antoine Vitez] permet au plateau d’intervertir les sexes, d’être libre à l’égard de tout déterminisme préalable (…). Plus tard, dans une farce, L’Os, le même principe régissait la distribution : rien n’est interdit à personne, et Yoshi Oida, Bruce Myers ou Mireille Maalouf pouvaient jouer sans réticence des villageois africains, de même que dans Ubu aux Bouffes c’est un acteur blanc et une comédienne noire qui constituaient le couple infernal. Il y a donc une réciprocité qui garantit toutes les permutations car ici les Blancs jouent les Noirs, de même que des acteurs noirs peuvent être distribués dans des rôles ­shakespeariens sans la moindre réticence. »

 

« Le théâtre français est resté longtemps attaché aux “emplois” : une femme 
est une femme, un Noir un Noir. 
Mais c’est en train de changer » 
Arnaud Meunier, directeur de la Comédie de Saint-Etienne

 

 

Ce n’est évidemment pas un hasard si l’ouverture est venue de metteurs en scène britan­niques – outre Brook, il y a eu aussi Declan Donnellan qui, en 1998, a monté Le Cid, de Corneille, au Festival d’Avignon, avec un acteur noir et français, William Nadylam, dans le rôle de Rodrigue. « Dans les pays anglo-saxons, d’obédience shakespearienne, les spectateurs acceptent beaucoup mieux la convention théâtrale, et la couleur de peau arrête de faire sens, analyse Arnaud Meunier, le directeur de la ­Comédie de Saint-Etienne, qui est à l’origine d’un dispositif original pour faire entrer dans les écoles d’acteurs des jeunes issus de la diversité. Le théâtre français, de par sa nature, est resté longtemps attaché à la fabrication de signes, aux “emplois” : une femme est une femme, un Noir un Noir, etc. Mais depuis quelques mois, on voit que c’est en train de changer, nettement. On a franchi une étape. Je l’ai observé quand les jeunes gens de notre classe préparatoire intégrée ont monté Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce. C’est un théâtre intime, une histoire de famille française, ils étaient mélangés entre acteurs noirs et blancs, mais on ne voyait plus la couleur : on voyait la fable. »

 

Cette évolution n’a pas que des vertus politiques, morales et sociales : elle fait aussi souffler un vent de fraîcheur sur le théâtre français, un théâtre moins prisonnier de l’illustration, du naturalisme et des clichés, qui ne touchent pas que les acteurs noirs – pourquoi une jeune première devrait-elle forcément être blonde aux yeux bleus, et filiforme ? Suliane Brahim, la belle actrice d’origine marocaine de la trou­pe de la Comédie-Française, l’a amplement démontré, en étant une magnifique Juliette dans le Roméo et Juliette de Shakespeare monté par Eric Ruf, en 2016.

« Quand serons-nous banales ? »

Ces clichés ont encore la vie dure, comme le montrent les seize actrices qui, dans Noire n’est pas mon métier (Seuil, 128 p., 17 euros), témoignent de manière drôle, rageuse et très concrète du regard qui est encore porté sur les femmes noires, et de l’essentialisation qui les enferme largement dans les rôles de « panthères noires » sexy ou d’employées de maison.

« Quand serons-nous banales ? », s’y demande notamment Eye Haïdara, qui, en 2017, jouait dans Le Sens de la fête, le film d’Eric Toledano et Olivier Nakache où, pour la première fois sans doute dans un film français grand public, elle endosse un rôle « normal », sans connotation racialisée.

 

Si le théâtre progresse dans la voie du colorblind, si l’on sort de l’essentialisation, pourquoi, alors, demandera-t-on, de telles polémiques sont-elles apparues, ces dernières années, quand il s’est agi de faire jouer un rôle de Noir par un acteur blanc, ou quand un metteur en scène blanc s’attaque à un sujet qui concerne l’histoire des Noirs ?

 

Polémique qui a fait rage, en 2015, quand Luc Bondy, alors directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, a annoncé vouloir monter Othello avec Philippe Torreton dans le rôle-titre – Othello étant bien un personnage explicitement noir dans la pièce, et non un Maure blanc. Ou encore, en 2014, quand le metteur en scène sud-africain et blanc Brett Bailey a présenté en Europe Exhibit B, une installation-spectacle reproduisant (pour mieux le dénoncer), avec des figurants noirs, le dispositif des zoos humains du temps de la colonisation.

« Position paternaliste »

Tout simplement, répond Sylvie Chalaye, parce qu’« on est dans un moment historique particulier, où les frustrations et les souffrances, issues de discriminations réelles, explosent et osent enfin se dire. Et parce qu’à partir d’un certain moment, on ne peut pas raconter ces histoires-là, celle des Noirs, de l’Afrique, de la colonisation, mais aussi celle des Amérindiens, comme dans le spectacle de Robert Lepage ­Kanata [visible au Théâtre du Soleil, à Paris, du 15 décembre au 17 février 2019], sans prendre en compte le point de vue de l’autre. On ne peut pas se soustraire au fait d’entendre l’autre, sauf à reproduire une position paternaliste. »

 

Dans la génération d’acteurs et d’actrices noirs, qui sont nombreux à sortir des écoles de théâtre depuis deux ou trois ans, un certain optimisme, un point de vue plus lumineux se fait jour, à l’image de celui d’Océane Cairaty. La jeune femme, Réunionnaise, a d’abord été footballeuse professionnelle (défenseuse centrale à l’Olympique lyonnais de 2005 à 2010), avant de se tourner vers le théâtre et d’intégrer l’école du Théâtre national de Strasbourg, en 2016.

Elle constate qu’« au foot, pour avoir le poste, il fallait juste être bonne », alors qu’« au théâtre, c’est une autre histoire ». Elle note que, concrètement, les deux rôles qui lui ont été offerts jusque-là (par Stéphane Braunschweig dans Soudain l’été dernier, de Tennessee Williams, et par Arthur Nauzyciel dans La Dame aux camélias) sont « des rôles de gouvernante ». Mais elle nuance : « Il me semble que parler de cliché ne serait pas juste, dans la mesure où je commence et où je n’ai pas beaucoup d’expérience. J’ai donc de petites partitions, ce qui n’a rien d’absurde. » « L’art peut demander la fin de ses maux anciens, et commencer par instituer une mémoire partagée, s’exclame-t-elle. Par la diversité des récits et des acteurs, il doit attaquer les insuffisances d’imagination, tous ceux qui n’imaginent pas beaucoup et pas très loin ! »

Océane Cairaty enregistre aussi, comme toutes ses consœurs, la « double peine » que subissent les actrices noires, par rapport à leurs camarades hommes. Mais il n’y a pas là de quoi l’empêcher d’aller de l’avant et d’enfoncer les buts adverses : « Mon désir de transcender la vie par l’art théâtral est plus fort, plus beau que tout le reste. Il est de mon devoir d’être forte, et de continuer ma route avec joie et impertinence. J’entends bien jouer Nina [La Mouette, de Tchekhov], Alceste [Le Misanthrope, de Molière], Rosalinde [Comme il vous plaira, de Shakespeare] ou Dom Juan. Qui m’aime me suive ! »

 

Fabienne Darge

 

Lire aussi Assane Timbo : « Le corps noir charrie tout un tas de clichés et présupposés »

 

 
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October 23, 2018 11:08 AM
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Théâtre du Soleil & Robert Lepage / Kanata - Épisode I - La Controverse

Théâtre du Soleil & Robert Lepage / Kanata - Épisode I - La Controverse | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Texte d'Ariane Mnouchkine publié sur le site du Théâtre du Soleil 23.10.2018

Paris, le 22 octobre 2018


L’Histoire d’une admiration

Il fut un temps où les peintres, les sculpteurs, les écrivains, les chefs de troupes de théâtre se parlaient, s’estimaient et, sans s’aimer forcément, se comprenaient. Ils échangeaient leurs doutes et leurs tremblements. Leurs illuminations aussi, parfois. Et même, autour d’un verre ou de plusieurs, quelques tuyaux et secrets de fabrication. La rivalité n’excluait pas le compagnonnage. L’admiration provoquait une jalousie lucide et stimulante.
Kanata – Épisode I – La Controverse est issu d’une telle admiration. De cette parenté depuis longtemps constatée, puis aujourd’hui choisie, entre Robert Lepage et moi, Ariane.
Ce fut simple, au début. En 2014, une invitation enthousiasmée à travailler avec les acteurs et les techniciens du Soleil est acceptée avec tout autant d’enthousiasme et voilà que, pour la première fois de l’histoire du Théâtre du Soleil, le spectacle principal, le "vaisseau amiral" allait être dirigé par un autre metteur en scène que moi qui, depuis sa fondation, avais eu l’honneur, la fièvre et la joie de diriger les quelque trente spectacles de notre troupe (et qui, puisqu’on me pose la question, et si les dieux du théâtre m’en donnent les forces, ai bien l’intention de continuer à le faire quelques courtes années encore).
Kanata, donc, le spectacle, pas la polémique. Polémique, dont certains d’entre vous ont peut-être entendu parler, qui a, depuis, tout confondu et dont nous serons certainement amenés à débattre, mais qui n’est pas le propos de ce message. Ce message, même s’il est de tonalité différente, est, comme toutes les lettres précédentes à notre public, peut-être même plus que nos lettres précédentes, un appel à agir vite.
En effet, depuis toujours, vous êtes nos hérauts. Aucune affiche, aucune publicité onéreuse, aucune critique journalistique n’a la même légitimité ni efficacité que ce qu’on appelle le bouche à oreille. C’est-à-dire vous.


Oui, c’est bien grâce à ceux d’entre vous qui viennent en éclaireurs dès le premier mois, dès la première semaine de représentations et qui, jusqu’à présent, aiment nos spectacles et le font immédiatement et puissamment savoir que le Soleil réussit à faire ce qui est pour lui absolument vital : jouer, dès le premier jour, devant une salle pleine.


Plus que jamais, cette fois-ci, nous avons besoin de nos hérauts. En effet, les conditions dans lesquelles le Soleil est amené à produire Kanata sont, c’est le moins que l’on puisse dire, risquées, pour ne pas dire périlleuses. Comme toujours, nous direz-vous. Oui, comme toujours, mais... encore beaucoup plus. Nous aurons aussi besoin de sou... non, pas de soutiens, mais de témoins. De témoins de bonne foi, honnêtes et sincères, qui pourront dire si, oui ou non, le spectacle l’est aussi. Si, oui ou non, il respecte les lois essentielles, écrites ou non écrites, de l’amour de l’Humanité tout entière. Si, oui ou non, il se fait l’avocat de la réconciliation ou si, en ce monde chaotique et grimaçant que, peu à peu, des peuples désespérés confient aveuglément aux pires démagogues, il ajoute de la division à la division, de la haine à la haine, du mensonge au mensonge.


Je relis mon message et lui trouve un ton de tocsin qui pourrait paraître exagéré à certains.


Comment terminer sur une note plus lumineuse et plus fidèle à notre sentiment le plus profond c’est-à-dire à une confiance inébranlable en l’être humain et un amour inextinguible pour notre art, le théâtre ?


Eh bien, une fois signalé le soutien loyal et sans faille du Festival d’Automne à Paris, je crois que je vais laisser la parole à notre "compagnonne" de toujours :

Il existe une Transespèce humaine, ou plutôt humanimale, une population composée d’êtres qui sont de nature hospitalière, des vivants d’une étoffe que je trouve merveilleuse, toujours encore en tissage et en métissage. Leur nature échappe aux définitions territoriales, nationales, identitaires. S’ils ont pris leur source dans différentes clôtures, géopolitiques, s’ils sont « nés » afghans, chinois, miq maq, français, togolais, norvégiens, mapuches, féroïens, khmers, uruguayens, éthiopiens (à suivre…) ils ont par la suite transporté leur cours à travers pays et continents. En rencontrant bien d’autres et frottant leurs cervelles à ta cervelle, en s’exposant toujours, joyeusement, à bien d’autres, ouverts au risque de la surprise, ils sont ouverts, larges, et toujours en métamorphose, passant d’un âge à l’autre sexe, octogénaires de trente ans, génies curieux, aventuriers des temps, résistant dans la pratique aux tentations paresseuses de l’Appartenance et du Propre.
Ce ne sont pas des fantômes, ni des habitants des rêves. Ils ont des papiers. Ils obtiennent des visas. Mais naturellement, ils ne se prennent pas pour leurs papiers. Plutôt pour des poèmes, et toujours en traduction. Ils écoutent, ils ont l’oreille gourmande et la langue enchantée. Ces amis de l’amour plutôt que de la haine, vous les aurez reconnus, n’est-ce pas ?
Ce sont les Acteurs.


Donc, une fois lu ce texte d’Hélène Cixous, si vous tenez à nous, comme nous tenons à vous, vous trouverez ci-dessous tous les renseignements dont vous avez besoin.

Ariane Mnouchkine



 

P.S. : Ah ! Il est fort possible qu’Une Chambre en Inde fasse une ultime apparition à la Cartoucherie accompagnée de notre version du Mahabharata. Un petit baroud d’honneur indien, en quelque sorte. Mais de tout cela nous vous reparlerons bientôt. Aujourd’hui, il s’agit de Kanata, rien que de


Kanata
Épisode I
La Controverse

À partir du 15 décembre 2018
du mercredi au vendredi à 19h30
le samedi à 15h, et à partir du 5 janvier, à 15h et à 20h
le dimanche à 13h30
Durée
2h30 environ, entracte inclus
Prix des places
40 € / 30 € / 20 €
Location
Individuels 01 43 74 24 08, tous les jours de 11h à 18h
Collectivités 01 43 74 88 50, du mardi au vendredi de 11h à 18h
Ou par internet
sur le site du Festival d’Automne à Paris
et sur Théâtre Online ou Fnac

 

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September 7, 2018 3:40 PM
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Le jour de la marmotte, opinion d'Isabelle Picard

Le jour de la marmotte, opinion d'Isabelle Picard | Revue de presse théâtre | Scoop.it



OPINION : ISABELLE PICARD
LE JOUR DE LA MARMOTTE
ISABELLE PICARD
ETHNOLOGUE

 


Nous y revoilà ! Mercredi matin, Ex-Machina et le Théâtre du Soleil ont annoncé, contre toute attente, que la pièce Kanata verra finalement le jour à Paris en décembre 2018. Seulement, elle s’appellera désormais Kanata – Épisode 1 – La controverse. Je reviendrai sur le titre digne de la série Star Wars.

Le communiqué de presse diffusé par le Théâtre du Soleil utilise des mots qui me semblent très forts pour la situation : « … et encore moins de céder aux tentatives d’intimidation idéologique en forme d’articles culpabilisants ou d’imprécations accusatrices… » et plus loin « … la déclare [l’œuvre] nocive, culturellement blasphématoire, dépossédante, captieuse, vandalisante, politiquement pathologique, vorace, avant même qu’elle ne soit née ».

Vraiment ? Je ne me souviens pas d’avoir lu de telles accusations dans la lettre signée par des dizaines d’autochtones et de non-autochtones et publiée par Le Devoir. Je ne me souviens pas avoir utilisé de tels mots non plus dans mon texte intitulé : « Laissez-moi dormir, Robert ! », ni lors de mon entrevue à l’émission Le beau dimanche, et Dieu seul sait que je me suis contenue, justement au nom de cette liberté, sans doute trop.

Je ne me souviens pas avoir entendu les André Dudemaine, Kim O’Bomsawin et autres porte-parole des signataires de la lettre, respectivement fondateur et directeur de Terres en vue et réalisatrice autochtone, employer de tels propos en entrevue. J’en ai peut-être manqué une ou deux, mais il me semble que le ton était plutôt au dialogue, à l’ouverture, à la collaboration, à une discussion entre adultes.

Il apparaît évident que le Théâtre du Soleil n’a pas besoin de nous pour allumer des feux.

Maintenant le titre : Kanata – Épisode 1 – La controverse. On table sur ce qui s’est passé cet été pour mousser la vente de billets ? J’ai toujours dit que je trouvais dommage que la pièce ne voie pas le jour, que c’était une belle occasion d’enrichissement mutuel manquée, que ce n’est pas ce qui était voulu. Là, avec un tel titre, je suis moins convaincue. Peut-être n’est-ce qu’une tactique pour faire salle comble. J’espère que l’opportunisme annoncé n'est qu’un faux-semblant. J’en resterai là.

Au Québec, Jean-François Lisée crie victoire. « Il y a des gens qui sont allés manifester et qui ont dit que Robert Lepage n’a pas le droit de raconter sa version de cette histoire-là… mais interdire à un créateur de créer parce qu’il n’a pas la bonne couleur, la bonne histoire, pas le bon âge, pour moi, c’est inacceptable. » Qui est allé manifester pour Kanata ? Où ça ? Qui a voulu interdire la pièce ?

M. Lisée, ne me dites pas, vous qui savez ce que c’est que d’être en situation de minorité dans un Canada anglais, qui vous battez pour la reconnaissance de votre culture, de votre vision du monde et de votre version de l’histoire, que vous pouvez être aussi insensible aux doléances de membres des premiers peuples qui trouvent le courage de s’affirmer enfin (par une lettre et une rencontre, je vous le rappelle). Ne me dites pas que vous faites de tels raccourcis sans nuances et sans distinction dans votre lecture des choses. Ce qui est bon pour l’un ne l’est pas pour l’autre ? Vous m’en voyez grandement déçue.

Certains signataires de la lettre en question m’ont confié être découragés, ne plus désirer se battre pour se faire entendre.

Parce que oui, sans tomber dans la victimisation, c’est souvent ce qu’il faut faire, se battre pour des causes dont on connaît malheureusement l’issue avant que le premier mot soit dit ou que l’encre ne soit sèche. Parce que même quand la démarche se veut la plus inclusive et la plus pacifique possible, cela ne mène à rien. Parce qu’ils sont fatigués de tant de combats pour faire entendre leurs voix. Parce que le message, le vrai message, n’est pas entendu. Parce qu’on ne veut pas l’entendre.

D’autres parleront encore, avec des mots, des idées, des mains tendues et des échanges. Je suis de ceux-là. Je refuse de me taire. Je refuse de baisser les bras. Je crois encore qu’un dialogue est possible, nécessaire et qu’il saura enrichir notre société, nous faire grandir en tant qu’êtres humains. Demain, je vous écrirai sur un autre sujet, comme au jour de la marmotte. Peut-être que certains entendront…

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September 5, 2018 3:05 PM
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La pièce «Kanata» de Robert Lepage sera finalement présentée - Le Soleil - Québec

La pièce «Kanata» de Robert Lepage sera finalement présentée - Le Soleil - Québec | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié dans Le Soleil, journal québécois, le 5 septembre 2018

 

MONTRÉAL - La controversée pièce «Kanata», de Robert Lepage, sera finalement présentée plus tard cette année par le Théâtre du Soleil, à Paris.

 

Par communiqué, le théâtre a indiqué mercredi qu’en accord avec Robert Lepage, il a décidé «de poursuivre avec lui la création (du) spectacle et de le présenter au public aux dates prévues, sous le titre «Kanata - Épisode I - La Controverse».»

 

Ex Machina, la compagnie de production de Robert Lepage, avait annoncé plus tôt cet été l’annulation du spectacle, faute de moyens, puisque les coproducteurs nord-américains avaient retiré leurs billes du projet dans la foulée d’une controverse.

 

Plusieurs groupes autochtones avaient en effet dénoncé la pièce, qui traite de la relation entre les Blancs et les Autochtones, étant donné qu’elle n’incluait aucun artisan des Premières Nations.

Robert Lepage et la femme de théâtre Ariane Mnouchkine, qui produisait le spectacle, avaient eu une rencontre avec les intervenants, mais la grogne ne s’était pas calmée.

 

La troupe de théâtre avait alors annoncé qu’elle réfléchirait à l’avenir du spectacle.

 

«Après avoir (...) pris le temps de réfléchir, d’analyser, d’interroger et de s’interroger, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil sont finalement arrivés à la conclusion que «Kanata», le spectacle en cours de répétition (...) n’appelle ni à la haine, ni au sexisme, ni au racisme ni à l’antisémitisme; qu’il ne fait l’apologie d’aucun crime de guerre ni ne conteste aucun crime contre l’humanité; qu’il ne contient aucune expression outrageante, ni terme de mépris ni invective envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée», indique le théâtre d’entrée de jeu.

 

Le troupe a ajouté qu’elle n’avait pas l’obligation de «céder aux tentatives d’intimidation idéologique en forme d’articles culpabilisants, ou d’imprécations accusatrices, le plus souvent anonymes, sur les réseaux sociaux».

 

Les artisans de la pièce souhaitent maintenant donner aux spectateurs l’occasion de voir le spectacle et de se faire eux-mêmes une opinion.

 

«Une fois le spectacle visible et jugeable, libre alors à ses détracteurs de le critiquer âprement et d’appeler à la sanction suprême, c’est-à-dire à la désertification de la salle. Tous les artistes savent qu’ils sont faillibles et que leurs insuffisances artistiques seront toujours sévèrement notées. Ils l’acceptent depuis des millénaires», indique-t-on.

 

«Victoire de la liberté artistique»

 

La décision d’annuler la pièce avait suscité différentes réactions. Certains, comme l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, avaient indiqué que les événements offraient une bonne occasion de réfléchir.

 

Le gouvernement libéral, le Parti québécois et la Coalition avenir Québec avaient de leur côté dénoncé la décision d’annuler le spectacle, jugeant qu’il était important de protéger la liberté d’expression.

 

Appelé à commenter, mercredi, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a d’ailleurs salué la décision du Théâtre du Soleil, qu’il voit comme une «victoire de la liberté artistique».

«On va pouvoir voir, juger, détester ou aimer «Kanata». C’est une victoire de la liberté artistique sur les censeurs et sur les producteurs qui n’ont pas de force morale. Bravo Ariane Mnouchkine, bravo Robert Lepage», a-t-il lancé.

Appelé à préciser qui il pointait en parlant de «censeurs», il a indiqué qu’il parlait de «tous ceux qui disent que si tu n’as pas participé à l’événement, si tu n’as pas la bonne couleur, si t’es pas de la bonne religion, tu ne peux pas parler de ça».

 

«Je pense que la liberté artistique, c’est l’artiste qui peut se saisir de n’importe quel aspect de la grande richesse humaine, le retravailler, l’interpréter en faire une création qui sera soumise à la critique», a-t-il avancé.

«L’art émeut, éclaire, dérange et parfois choque, alors elle émouvra, elle éclairera ou elle choquera, c’est le rôle de l’art dans notre société de faire ça.»

 

L’annulation de «Kanata» était survenue après celle de «SLAV», un autre spectacle de Robert Lepage qui n’avait eu que quelques représentations au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal, sous les cris des manifestants, avant d’être annulé. Les créateurs avaient été accusés d’exploiter l’histoire des Afro-Américains, dont le triste héritage de l’esclavage, sans leur faire de place dans la production.

 

«Kanata» doit prendre l’affiche à compter du 15 décembre.

 
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September 5, 2018 10:41 AM
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La création du Théâtre du Soleil, Kanata, maintenue

La création du Théâtre du Soleil, Kanata, maintenue | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Théâtre du Soleil Cartoucherie – 75012 Paris


Communiqué de presse
Le ressaisissement


Après avoir, comme ils l'avaient annoncé dans leur communiqué du 27 juillet, pris le temps de réfléchir, d'analyser, d'interroger et de s'interroger, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil sont finalement arrivés à la conclusion que Kanata, le spectacle en cours de répétition, ne violait ni la loi du 29 juillet 1881 ni celle du 13 juillet 1990 ni les articles du Code pénal qui en découlent, en cela qu'il n'appelle ni à la haine, ni au sexisme, ni au racisme ni à l'antisémitisme ; qu'il ne fait l'apologie d'aucun crime de guerre ni ne conteste aucun crime contre l'humanité ; qu'il ne contient aucune expression outrageante, ni terme de mépris ni invective envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée.


Ne s'estimant assujetti qu'aux seules lois de la République votées par les représentants élus du peuple français et n'ayant pas, en l'occurrence, de raison de contester ces lois ou de revendiquer leur modification, n'étant donc pas obligé juridiquement ni surtout moralement de se soumettre à d'autres injonctions, même sincères, et encore moins de céder aux tentatives d'intimidation idéologique en forme d'articles culpabilisants, ou d'imprécations accusatrices, le plus souvent anonymes, sur les réseaux sociaux, le Théâtre du Soleil a décidé, en accord avec Robert Lepage, de poursuivre avec lui la création de leur spectacle et de le présenter au public aux dates prévues, sous le titre Kanata – Épisode I — La Controverse.


Une fois le spectacle visible et jugeable, libre alors à ses détracteurs de le critiquer âprement et d'appeler à la sanction suprême, c'est-à-dire à la désertification de la salle. Tous les artistes savent qu'ils sont faillibles et que leurs insuffisances artistiques seront toujours sévèrement notées. Ils l'acceptent depuis des millénaires.


Mais après un déluge de procès d'intention tous plus insultants les uns que les autres, ils ne peuvent ni ne doivent accepter de se plier au verdict d'un jury multitudineux et autoproclamé qui, refusant obstinément d'examiner la seule et unique pièce à conviction qui compte c'est-à-dire l'oeuvre elle-même, la déclare nocive, culturellement blasphématoire, dépossédante, captieuse, vandalisante, vorace, politiquement pathologique, avant même qu'elle soit née.


Cela dit, et sans renoncer à la liberté de création, principe inaliénable, le Théâtre du Soleil s'emploiera sans relâche à tenter de tisser les liens indispensables de la confiance et de l'estime réciproques avec les représentants des artistes autochtones, d'où qu'ils soient, déjà rencontrés ou pas encore.


Artistes à qui nous adressons ici notre plus respectueux et espérant salut.


Le Théâtre du Soleil 5 septembre 2018

 

http://www.lefigaro.fr/theatre/2018/09/05/03003-20180905ARTFIG00203-ariane-mnouchkine-et-robert-lepage-le-spectacle-controverse-kanata-aura-bien-lieu.php

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December 7, 2022 3:44 AM
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Annulation de la pièce “Pour un temps sois peu” : faut-il être trans pour jouer un personnage trans ?

Annulation de la pièce “Pour un temps sois peu” : faut-il être trans pour jouer un personnage trans ? | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Télérama - 7/12/2022

 

Sous la pression d’associations, le Théâtre 13, à Paris, a déprogrammé la pièce mise en scène par Lena Paugam, adaptée d’un récit de Laurène Marx. Triste affaire dont personne ne sort gagnant : ni le lieu ni les personnes trans, dont la mobilisation s’achève par une censure.

 

Peut-on incarner une personne trans lorsqu’on n’est pas trans soi-même ? La réponse vient de tomber : c’est non. Déprogrammées par Lucas Bonnifait, directeur du Théâtre 13 à Paris, les représentations de Pour un temps sois peu, un récit autobiographique de l’autrice trans Laurène Marx mis en scène par Lena Paugam, n’auront pas lieu comme prévu du 4 au 19 janvier. La raison ? L’actrice n’est pas trans.

 

Joué près de vingt fois en France depuis 2021, ce spectacle incarné par Hélène Rencurel n’avait jusque-là jamais posé problème. Mais sa venue à Toulouse, en novembre 2022, s’est heurtée aux contestations d’associations locales très remontées qui menaçaient de venir manifester chaque soir à Paris. Face à cette levée de boucliers, la comédienne et l’équipe du Théâtre 13 ont préféré, elles aussi, jeter l’éponge. « Je ne suis pas là pour lutter contre les trans. Je comprends et j’accompagne leur combat. L’invisibilisation de leurs corps est un problème de société. Si jouer signifie les invisibiliser encore plus, alors cela ne m’est plus possible », avoue Hélène Rencurel. Triste affaire dont personne ne sort gagnant : ni le lieu, contraint de renoncer à un projet de qualité, ni les personnes trans, dont la mobilisation s’achève par une censure. Ni l’art, à qui sont déniés son droit et sa capacité à représenter l’altérité.

Un dialogue tendu

Comment en est-on arrivé là ? En 2019, le collectif rennais Lyncéus passe commande à Laurène Marx. Sa pièce sera interprétée par Hélène Rencurel et mise en scène par Lena Paugam. Cette dernière se souvient des mots de l’écrivaine : « Elle m’a dit : je veux que tu montes ce spectacle mais, attention, je ne veux pas que ce soit un spectacle trans pour les trans. » Une consigne qui semble avoir évolué avec le temps. À l’hiver 2020, Laurène Marx manifeste le désir de jouer elle-même son propre rôle. Ce qu’elle fait, dans une mise en scène de Fanny Sintès, en novembre 2022, au Théâtre de Belleville, à Paris. Proche du stand-up, sa performance n’a rien à voir avec le travail, plus théâtral, déployé par Hélène Rencurel.

Pourquoi ces deux spectacles, qui ne se faisaient pourtant pas d’ombre, ne pouvaient-ils coexister ? Loin de calmer la colère des associations trans, Laurène Marx se méfie à leurs côtés d’un projet perçu comme le bras armé de l’oppression : « La première fois que j’ai vu le travail de Lena et Hélène, j’ai été émue. Mais ça n’a pas duré. Je ne veux pas qu’on fantasme mon vécu. Je n’en peux plus d’entendre les gens de théâtre dire qu’on peut tout performer. C’est une façon de coloniser les arts. » Des paroles radicales qui évacuent l’ADN esthétique au profit d’une bataille politique dont l’enjeu est si crucial que l’autrice en accepte le coût : avec l’annulation, elle perdra environ 3 000 euros de droits d’auteur.

“Dans le fond, je suis en accord avec les demandes légitimes des personnes trans concernées par le texte de Laurène Marx.”

Pour Lena Paugam, à qui deux semaines d’exposition dans la capitale sont donc interdites, le constat est amer : « Je peux comprendre la crainte du théâtre face à la menace de manifestations. Mais il est terrible d’en arriver là alors que notre démarche a justement pour sens de dénoncer l’exclusion, la discrimination, la transphobie. Ceux dont nous défendons les idées sont ceux qui nous rejettent. Nous subissons des positionnements de principe qui remettent en question l’acte même du théâtre. » Entre l’autrice et la metteuse en scène, le dialogue est tendu. Victimes collatérales du conflit : les spectateurs. À Toulouse, au Théâtre Sorano, un échange public a été organisé. Une discussion contre-productive, pour le directeur Sébastien Bournac : « Une cinquantaine de personnes trans nous ont reproché de ne pas être assez représentées sur les plateaux. Chacun est resté campé sur ses positions. » Le lieu a beau être respecté pour ses saisons inclusives, cela n’a pas suffi à apaiser les esprits : « Le débat identitaire recouvre les questionnements artistiques que nous défendons. On nous a demandé si nous n’avions pas honte de programmer le spectacle de Lena. Bien sûr que non ! S’il devait être annulé, ce serait le théâtre tout entier qui y perdrait. »

Procès en appropriation culturelle

À quoi ressemblerait un théâtre amputé de sa part imaginaire et métaphorique ? Le propre des acteurs est de pouvoir tout jouer : ce qu’ils sont comme ce qu’ils ne sont pas. Mais ce n’est pas la première fois que la scène fait les frais de l’activisme militant. Depuis quelques années, les créateurs s’attirent les foudres de communautés qui défendent leur droit à se représenter elles-mêmes. En 2018, le Canadien Robert Lepage, concepteur de Kanata, avait ainsi affronté des Amérindiens furieux de voir leurs rôles pris en charge par des acteurs non autochtones. La multiplication des procès en appropriation culturelle empoisonne le monde du spectacle vivant pris en otage entre ses principes humanistes et ses aspirations artistiques.

 

 

Lire aussi : Pourquoi nous ne verrons pas “Kanata”, le nouveau spectacle de Robert Lepage 

« On est à peu près d’accord sur le fait qu’une Blanche ne peut pas jouer une Noire mais pas au point qu’une femme cis ne puisse pas jouer une femme trans », soutient Laurène Marx, qui pointe la difficulté d’accès aux écoles pour sa communauté. Le chemin qui mène à la professionnalisation de comédiens issus de minorités est ardu. Leur précarité les expédie dans les recoins de la société. L’institution tente de lever peu à peu les obstacles. Dans les écoles de jeu, les élèves LGBTQ + ne sont plus l’exception. Leur intégration est en cours. Fallait-il réellement sacrifier un spectacle pour accélérer ce processus de cooptation ? La déprogrammation de Pour un temps sois peu en dit long sur le malaise de professionnels soumis à des revendications qu’ils cautionnent mais qui les placent en porte-à-faux. Lucas Bonnifait, directeur du Théâtre 13, affirme ne pas avoir agi « sous la contrainte de pressions ». Et ajoute : « Dans le fond, je suis en accord avec les demandes légitimes des personnes trans concernées par le texte de Laurène Marx. Maintenir le spectacle de Lena Paugam, ce serait m’inscrire aux antipodes de ce que je pense intimement.»

 

 

 L’argument se défend. Mais il n’est pas de bon augure. Entre la prise de conscience salutaire et une culpabilité de mauvais aloi, il n’y a qu’un pas. Un autre pas, et la censure devient autocensure. Ces pas viennent d’être franchis. Il y a de quoi s’inquiéter pour l’indépendance future du théâtre.

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Joëlle Gayot

 

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Autre article publié dans Libération : 

 

 
 
Récit intime d’une femme trans, la pièce de Laurène Marx «Pour un temps sois peu», mise en scène par Léna Paugam et jouée par une actrice cisgenre, a suscité de vifs débats sur la visibilité des personnes trans. Prévue à Paris début janvier, elle a été déprogrammée.
 

 

par Anne Diatkine / Libération 

publié le 13 décembre 2022 à 7h52
 

Finalement, ils ne sont pas si nombreux, les metteurs en scène, directeurs de lieu, artistes, qui acceptent de s’exprimer sur la décision pourtant exceptionnelle de déprogrammer les deux semaines de représentations parisiennes de Pour un temps sois peu, au Théâtre 13 après que des personnes trans ont exprimé en novembre, lors de deux représentations à Toulouse, leur souffrance de voir ce texte porté par une actrice cis. Peur de prendre des balles sur les réseaux sociaux ? De rajouter un peu d’huile bouillante dans une marmite déjà en surchauffe ? Il faut reconnaître que les données sont complexes et explosives. Ou peut-être trop simples. Complexe, cette histoire qui voit une autrice trans prendre au fil des mois conscience de sa force en tant que porte-parole, et de la portée de son texte autobiographique. Complexe également car l’histoire suppose qu’on étudie les non-dits, les micromouvements de chacun des protagonistes. Mais également trop simple, car c’est «un fait divers» comme nous a dit l’une de nos interlocutrices trans, peu suspecte de transphobie, dont le chien écrasé se nommerait théâtre. «Un fait divers» constitué aussi de rivalités mal placées et de réseaux sociaux stimulés.

Mise en distance

Pour un temps sois peu est un monologue écrit par Laurène Marx, elle-même trans, qui relate son trajet. Récit intime tissé d’injonctions à la deuxième personne, il est une commande du dynamique collectif Lyncéus qui offre aux écrivains dont ils retiennent les projets une résidence et une bourse, une publication, et la possibilité d’être mis en scène par l’un des membres du collectif. Qui dit mieux ?

 

Au début, en effet, tout se passe bien. En 2019, Laurène Marx choisit de confier son texte à Léna Paugam, qui fait partie du collectif. Preuve de sa confiance, elle suggère à cette dernière d’en être également l’interprète. Que Léna Paugam soit cisgenre n’est alors pas un obstacle. Mais Léna juge qu’elle n’est pas assez intime avec les problématiques du texte pour endosser la double casquette d’actrice et de metteuse en scène. Surtout, elle perçoit que son apport sur le monologue, la révélation de sa théâtralité, passent par une mise en distance. Avec l’accord de Laurène Marx, le rôle est alors proposé à Hélène Rencurel, comédienne engagée, et également membre de Lyncéus. L’autrice et l’interprète se rencontrent à plusieurs reprises avant les répétitions pour explorer le texte ensemble. Un an après que son projet a été sélectionné, Laurène Marx fait part de son désir de jouer son texte. En février 2021, elle est conviée à rejoindre Léna Paugam et Hélène Rencurel pour réfléchir à une version du monologue avec deux comédiennes, dont elle-même. Un drame survient qui empêche Laurène de se déplacer et évacue l’option de travailler à trois.

«Je ne me pose alors absolument pas la question»

La pièce est créée au Lyncéus festival, en juin 2021, à Binic (Côtes-d’Armor). Pendant un an, elle circule sous forme de maquette dans de nombreux festivals afin de trouver les financements. L’accueil est excellent, comme en témoigne Laurence de Magalhaes, codirectrice du Rond-Point et du festival Paris l’Eté. Elle se souvient de son «choc» et de sa décision immédiate de programmer : «Je ne me pose alors absolument pas la question de savoir si c’est un problème qu’Hélène ne soit pas trans puisqu’elle ne fait en rien semblant de l’être.»

 

En avril 2022, Laurène annonce qu’elle présentera sa propre version scénique de son écrit-manifeste au théâtre de Belleville. Léna Paugam : «J’ai dit à Laurène combien j’étais contente. Le collectif a bien sûr envie que les textes issus du festival soient repris sous de multiples formes et circulent.» En juillet, la mise en scène de Léna Paugam est présentée avec succès, d’abord au festival Paris l’Eté, puis au festival du Théâtre national de Bretagne (TNB) tout récemment en novembre. Comme Laurence de Magalhaes, Arthur Nauzyciel, à la tête du festival du TNB, reçoit de très bons retours. Pas la moindre anicroche à signaler. Quant à Laurène Marx, elle a joué sa pièce sous forme de stand-up percutant tout le mois de novembre au théâtre de Belleville – sa version, mise en scène par Fanny Sintès, promet d’être l’un des événements dans le off d’Avignon en 2023.

«Prise de conscience soudaine»

Pourquoi aujourd’hui la direction du Théâtre 13 a-t-elle décidé d’annuler toutes les représentations de la mise en scène de Léna Paugam ? A part quand la mort survient, ou que la sécurité n’est pas assurée, il n’y a pas d’autres exemples de suppression d’un projet porté et désiré par ceux-là mêmes qui optent pour la déprogrammation. Joint au téléphone, le directeur du Théâtre 13, Lucas Bonnifait, affirme qu’il n’a ni agi sous la pression, ni n’a été saisi d’une impulsion solitaire. Selon lui, il s’agit au contraire d’une décision mûrement réfléchie, prise avec l’équipe artistique et les diffuseurs du projet. Léna Paugam apporte une nuance de taille sur l’aspect collectif de la décision : «Si le directeur ne peut plus défendre ce projet parce qu’il doute de la légitimité politique de notre travail, alors nous ne pouvons pas jouer. Je respecte sa décision même si je trouve dommage de ne pas pouvoir présenter notre travail au public.»

 

Lors des deux représentations à Toulouse, Lucas Bonnifait explique qu’il a été saisi d’«une prise de conscience soudaine» de la douleur des trans qui reprochent à la performance portée par une actrice cis de s’accaparer leur «vécu» pour en faire du théâtre, alors que les plateaux leur sont rarement ouverts. Durant les débats, une jeune femme trans va jusqu’à promettre : «Si j’étais comédienne, je refuserais les rôles de femmes cis.» L’accusation d’appropriation culturelle apparaît à Lucas Bonnifait suffisamment fondée pour remettre en question une proposition théâtrale qu’il a pourtant déjà vue deux fois auparavant et qui n’existerait pas sans son soutien – il codirige en effet La Loge, organisme dédié aux projets émergents. «La nature même du texte de Laurène qui parle du corps trans rend problématique qu’une actrice cis le représente», explique-t-il aujourd’hui à Libération.

 

Un choix déchirant partagé par l’actrice Hélène Rencurel, qui estime elle aussi qu’il ne lui est plus possible de monter sur le plateau : «A Toulouse, on s’est cogné au réel. On ne peut pas s’emparer du texte de Laurène Marx comme si c’était Tartuffe ou n’importe quel texte du répertoire. Sa contemporanéité est aussi la mienne. Je ne peux pas supporter que par ma seule présence sur le plateau, j’engendre de la souffrance.» La comédienne reconnaît que cette cristallisation a été suscitée par un tout petit nombre de femmes, pas forcément représentatives de toutes les trans : «Lorsqu’on jouait à Rennes, l’actrice Alice Needle nous a écrit pour exprimer son désaccord qu’une femme cis s’empare du vécu d’une trans. A Toulouse, le premier jour, elles étaient cinq, et durant la deuxième, elles lisaient le texte de Laurène à l’extérieur devant une cinquantaine de personnes.»

«Offrir aux spectateurs un espace imaginaire»

Le directeur du TNB Arthur Nauzyciel, qui a programmé le spectacle de Léna Paugam à Rennes, s’inquiète que les protestations d’un si petit nombre puissent suffire aujourd’hui à faire annuler un spectacle : «A Rennes, il y avait aussi des trans parmi les spectateurs que le travail de Léna et Hélène rendent heureux.» Il poursuit : «Et il y a des trans qui n’ont pas du tout envie d’être assigné(e)s à cette place. Ou des trans et des cis qui ont besoin de voir la mise en scène de Léna Paugam avant de savoir quoi en penser. Si on se mettait à annuler des spectacles à chaque fois que des spectateurs les considèrent illégitimes, on ne pourrait plus rien programmer.»

 

Pour lui, la décision de supprimer ces quinze représentations parisiennes, plutôt que de les accompagner de débats et d’assumer les risques de débordements et de polémiques, est «gravissime» : «C’est nier au théâtre toute capacité à offrir aux spectateurs un espace imaginaire dans lequel ils peuvent penser ce qui leur est raconté.» Il remarque : «Aujourd’hui, de plus en plus souvent, le plateau devient l’endroit où des personnes racontent leurs histoires véridiques et ne sont légitimes à prendre la parole qu’en raison de leur appartenance à un groupe. Le peu de visibilité sur le plateau de certaines minorités peut-il être résolu en interdisant à des acteurs et des metteurs en scène qui n’en font pas partie de s’y intéresser ?» Léna Paugam met en tout cas en garde contre les condamnations de principe sans avoir vu son travail. «Car précisément, Hélène ne “joue” pas le “rôle” d’une personne trans mais “porte les mots” d’une femme trans dont on raconte l’histoire… Dans cette forme de théâtre-récit, le travail de l’interprète n’est pas d’incarner un rôle ou un personnage, mais de permettre par le biais du texte de suivre une histoire racontée.»

«Nous n’avons ni souhaité ni œuvré à cette annulation»

Laurène Marx souhaitait-elle cette annulation, alors qu’en juillet, soit il n’y a même pas six mois, elle avait cédé les droits de son texte à Léna Paugam, en lui accordant l’autorisation des représentations partout en France à l’exception d’Avignon – où la mise en scène de Léna Paugam aurait été présentée au théâtre du Train bleu en juillet 2023 – et dans les pays de la Loire – car la compagnie Je t’accapare que Laurène Marx et Fanny Sintès viennent de fonder est basée à Nantes ? L’autrice n’a pas donné suite à nos demandes. Pour comprendre son point de vue, il est utile de regarder sa prise de parole après sa première lecture de son texte, à la Mousson d’été, fin août 2021. Avec une force incontestable, l’autrice y explique combien ce premier texte publié lui est consubstantiel, indissociable de sa voix, ses intonations, ses saccades. L’entendre, c’est «entrer dans mon crâne», dit-elle. Le statut du texte – fiction, document, témoignage, manifeste – n’est pas questionné. Dans cet entretien, Laurène Marx indique avoir proposé «timidement» de porter elle-même son récit d’emblée.

 

Un an et demi plus tard, ses posts sur son compte Facebook sont sans ambiguïté : la semaine où le spectacle de Léna Paugam joue à Rennes, elle écrit : «Réfléchis à ça : si je ne pourrais jamais jouer une meuf cis, pourquoi toi tu pourrais jouer une meuf trans ? Si tu as des droits que d’autres n’ont pas, il faut soit que tu te battes pour qu’on ait les mêmes droits, soit que tu renonces à tes droits.» Outre que des trans jouent parfois des «meufs cis» – Marie France chez André Téchiné par exemple – on peut s’étonner que Laurène Marx et son agent n’aient pas songé à intimer, comme l’ont fait en leur temps Beckett ou Koltès, par quel type d’interprètes Pour un temps sois peu devait être joué.

Peut-on jouer un texte contre le désir de son auteur, lorsque celui-ci se manifeste de manière impérieuse, avec des arguments politiques et non esthétiques ? Et réciproquement, un auteur peut-il clamer haut et fort qu’il se désolidarise des représentations alors qu’il vient d’accorder les droits de son texte ? Jeudi 8 décembre, Fanny Sintès nous envoie un texto : «Nous n’avons ni souhaité ni œuvré à cette annulation. De la même façon, aucun droit n’a été retiré pour Avignon puisque rien n’avait été acté ni signé.» Hélène Rencurel, interloquée, demande à ce qu’on lui relise l’énoncé. «Qu’on joue ou non, on aurait eu tort quoi qu’on fasse.»

 
 
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October 25, 2021 2:13 PM
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"Wajdi Mouawad a raison de refuser de déprogrammer Bertrand Cantat", une tribune de Sabine Prokhoris

"Wajdi Mouawad a raison de refuser de déprogrammer Bertrand Cantat", une tribune de Sabine Prokhoris | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Une tribune de Sabine Prokhoris publiée dans Marianne 23/10/21

 

 

Le refus de Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline, de déprogrammer Bertrand Cantat et Jean-Pierre Baro a créé une polémique dans certains milieux féministes. Sabine Prokhoris, philosophe, psychanalyste et auteur de plusieurs ouvrages, dont le récent « Le Mirage #MeToo » (Le Cherche midi), explique pourquoi il a raison de ne pas céder.

 

 

Sous l’étendard de #MeToo théâtre, dernier avatar du mouvement planétaire né il y a quatre ans dans le sillage de l’affaire Weinstein, les attaques bruyantes et les pressions venues de tout bord se multiplient à l’encontre de l’auteur/metteur en scène et actuel directeur du Théâtre de la Colline Wajid Mouawad – y compris de la part de la ministre de la Culture, qui a cru bon sur France Inter d’exprimer sa réprobation.

Le péché de Wajid Mouawad ? Il est double : avoir proposé à Bertrand Cantat, qui a purgé la peine de prison à laquelle il a été condamné pour le meurtre de Marie Trintignant (sous la qualification de violences ayant entraîné la mort), d’écrire la musique de sa prochaine pièce ; programmer une création du metteur en scène Jean-Pierre Baro, objet en 2019 d’une plainte pour viol, classée sans suite au terme d’une procédure judiciaire régulière qui l’a innocenté.

DICTATURE DE #METOO

De la façon la plus ferme Wajid Mouawad, refusant de se laisser intimider, a fait savoir qu’il ne céderait pas à ces injonctions de censure, qui en rappellent d’autres, comme celles qui visèrent il y a quelques années Kanata, la pièce de Robert Lepage programmée par Ariane Mnouchkine avec le Théâtre du Soleil, et Les Suppliantes d’Eschyle mises en scène par Philippe Brunet. « Appropriation culturelle » scandaleuse avaient vociféré les activistes – docilement obéis par la quasi-totalité des producteurs de Kanata qui se retirèrent du projet. « Racisme » au motif d’un supposé « blackface » des acteurs pour Les Suppliantes, dont la représentation eut finalement lieu – sous protection policière – quelques mois après avoir été empêchée par la force.

 
 

Cette fois, c’est la redoutable dictature de #MeToo, sûre de sa légitimité absolue confortée par nombre de commentateurs – et, plus inquiétant, par la démission intellectuelle et politique des institutions et des plus hautes autorités de l’État –, qui veut s’exercer. Et au nom du hashtag désormais sacré, voici que renaissent, sans aucun frein, les chasses aux sorcières anciennes, ou plus récentes (maccarthysme, épurations politiques en régimes non démocratiques).

« C’est l’homme de théâtre qui donne ici à tous une impeccable leçon de droit »

Dans un communiqué aux termes soigneusement pesés, Wajid Mouawad indique notamment ceci : « Si j'adhère sans réserve aux combats pour l'égalité entre les femmes et les hommes et à celui contre les violences et le harcèlement sexuel, je ne peux en aucun cas appuyer ni partager le sacrifice que certains font, aux dépens de la justice, de notre État de droit. »

C’est l’homme de théâtre qui donne ici à tous une impeccable leçon de droit : la juste cause des violences faites aux femmes ne saurait justifier qu’un activisme militant dopé par les réseaux (a)sociaux impose ses diktats délétères à l’État de droit, selon des méthodes justicières dignes des procès d’Inquisition.

Bertrand Cantat a payé sa dette à la société, qui l’a jugé selon les règles de la procédure pénale. Il est quitte. Sauf à envisager la peine comme une vengeance éternelle que nulle expiation ne saurait jamais assouvir – « Ni oubli, ni pardon » proclame un slogan du collectif Les Colleuses – il a le droit d’exercer son métier. Jean-Pierre Baro a été reconnu innocent par la justice. Pour autant, sous la pression des personnels du Théâtre des quartiers d’Ivry qu’il dirigeait, et des associations militantes, il s’est trouvé contraint à la démission, sans pouvoir compter sur le moindre soutien du ministère de la Culture. Aujourd’hui, les équipes de la Colline indignées ne veulent pas avoir à le croiser, non plus que Bertrand Cantat.

DÉFENDRE L'ÉTAT DE DROIT

Les propos de Wajid Mouawad, d’une parfaite clarté, viennent faire pièce à la confusion et à la violence croissantes entretenues par la communion fanatique dans la religion #MeToo.

Car non, une accusation ne vaut pas preuve. Non, des dénonciations en foule sous influence de slogans simplistes ivres de pseudo-concepts – « culture du viol », « emprise », « oppression systémique »,… –,  ne sont pas des « révélations », jusqu’à ce que la justice ait établi les faits, selon les règles de la procédure pénale.

Non, la présomption d’innocence n’est pas une insulte faite aux plaignantes.

Non, la condamnation à la mort sociale à l’égard d'un coupable ayant accompli sa peine, marque d’infamie imprimée au fer rouge qui s’abat aussi sur quiconque aura été décrété « porc », ne saurait faire partie des sanctions prévues dans l’arsenal juridique d’une nation civilisée.

Ces rappels salutaires, que l’on aurait aimé entendre dans la bouche de Madame Bachelot, ont cependant suscité d’étranges commentaires.

Nous en retiendrons ici quelques-uns, emblématiques.

« Ces remontrances au nom du Bien et de la Cause des victimes appellent quelques remarques »

Wajdi Mouawad, accusé de « créer la controverse », ou encore de « balancer du kérosène dans la grande vague de contestation #MeToo théâtre », en choisissant des « invités infréquentables »   (sic), « brandit comme un manifeste » les principes de l’État de droit, a-t-on pu lire.

D’autre part, il lui a été reproché de n’avoir pas cherché à pondérer ces principes (assurément contraignants, et aux yeux des activistes expression d’un droit « patriarcal ») par un « positionnement moral » qui aurait dû le conduire à davantage de « retenue ».

 

 

Ces remontrances au nom du Bien et de la Cause des victimes – reconnues ou autoproclamées, c’est tout un pour #MeToo – appellent quelques remarques.

En premier lieu, ceci : qui « crée la controverse » ? Wajid Mouawad ? Ou les activistes et groupes de pression de #Metoo théâtre, au mépris de l’État de droit et, au passage, de la liberté de création ?

« Que les principes de l’État de droit se voient ainsi ravalés au rang d’outils de propagande, voilà la distorsion »

D’autre part, peut-on sérieusement écrire que rappeler les principes fondamentaux de l’État de droit équivaut à les « brandir comme un manifeste » ? Ces principes vaudraient-ils donc en l’occurrence comme de simples slogans ?

Nous nous trouvons là face à deux des fonctionnements caractéristiques du mouvement : l’inversion, et la distorsion.

Que les principes de l’État de droit, garantissant l’égalité de tous devant la justice, se voient ainsi ravalés au rang d’outils de propagande – une énormité tranquillement assenée –, voilà la distorsion.

L’inversion ensuite : selon cette logique parfaitement perverse, le fautif, c’est Wajdi Mouawad, au motif qu’il entend respecter le droit, et le fait savoir. Le monde à l’envers, mais telle est la nouvelle normalité à l’ère de MeToo.

Enfin, on observera que ces indignations destructrices du contrat démocratique opèrent en jouant la morale contre le droit. Là encore un des leitmotive du discours de MeToo, destiné à assurer son hégémonie incontestable : ainsi la philosophe Manon Garcia soutient-elle que certes il y a une définition pénale du viol, mais qu’il faut y ajouter une « définition morale » (plus « vraie » sans doute).

À quand un ministère de la Promotion de la Vertu de Prévention du Vice, où pourraient harmonieusement fusionner le ministère de la Culture et celui de la Justice, sous la férule de #MeToo ?

Relisons, en guise d’antidote contre l'aveugle tentation de jours si sombres, La (trop actuelle) Lettre écarlate, de Nathaniel Hawthorne.

 

 

Par Sabine Prokhoris

 

 

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Le point de vue de Gérard Watkins (auteur, metteur en scène, acteur)

 

Vu ce que j’ai lu hier soir sur le portail du Théâtre de la Colline, je voudrais ici juste réaffirmer mon soutien total à #metoothéâtre, et répondre ainsi à l’injonction de non seulement soutenir, mais aussi faire de la voix. Ce que je n’ai pas trop l’habitude de faire.
C’est une chose de rappeler à l’ordre une idée de la Justice, et son importance, (sans rappeler au passage une inefficacité historique dans ce domaine), c’en est une autre d’humilier celles qui donnent de la voix, et les victimes qui dénoncent ce qu’elles ont subi, rassemblées ici en un mouvement. Je trouve insoutenable de lire cet amalgame entre le “catholicisme rance” et des femmes qui ont le courage de dénoncer ce qu’elles ont subies comme violences.
 
Insoutenable cette dramaturgie qui les lie à l’inquisition
(Elles n’ont physiquement torturé personne, elles)
Et au lynchage
(Elles n’ont jamais sorti de couteaux, elles)
#metoothéâtre est là pour mettre un terme aux violences. Quelles qu’elles soient. Il y a autant de formes de violences dans le théâtre que dans les violences conjugales. Violences sexuelles, psychologiques, physiques, économiques, administratives. Auxquelles on pourrait rajouter artistiques, dramaturgiques, etc… Une longue liste. Ce qu’il y a de formidablement positif dans tout ce que j’ai pu lire, dans les textes-soutiens du mouvement, c’est cette volonté de mettre une fin à tout ça, et tout ce qui en découle. Jusqu’au harcèlement moral que peuvent aussi subir des hommes, les rapports de pouvoir qui n’ont pas lieu d’être. Tout ça. Violence comme antichambre de l’injustice. Leur apport, et ce que cela va entrainer, est un bienfait. Une bénédiction.
Exprimer un regret de non-dialogue par une insulte est pour le moins curieux, et destiné à la clash-culture, et laisser libre cours au « Backlash » comme j’ai pu lire en lire sur les réseaux.
 
Un déferlement « d’empathie pour le bourreau », qui est un phénomène en soi, une forme de mécanisme de déni à l’œuvre, que j’ai pas mal rencontré dans mes recherches sur les violences conjugales
 
(Un directeur de théâtre sur trois à qui je parlais du projet en 2015 me disait « mais les femmes aussi frappent les hommes »)
Clash-culture donc.
Pour infos je ne participe pas au débat sur Facebook.
Ni à la clash culture.
Je ne répondrais pas aux commentaires.
J’écris ces mots dans l’espoir d’un contre poison.
Mettre un terme au backlash et son apparente fatalité.
Pour reprendre cette merveilleuse réplique que j’ai entendu dans le fabuleux 7 minutes de Stephano Massini mis en scène par Maëlle Poésy, dans la bouche de l’hallucinante Véronique Vella, « Est-ce qu’on peut me dire pourquoi, dans ce putain de bordel de monde, à chaque fois qu’il y a quelqu’un qui s’oppose, on dit qu’c’est lui qui a un problème ? »
 
( remerciements à Véronique au passage pour la citation exacte.)
Et je trouve enfin délirant de lire ces mots de fin
« Dommage »
Pour reprendre la parole de Sarah Kane quand on la traitait de « sick », elle avait répondu « Sick ? Who are you calling sick ? »
Là on pourrait dire « Dommage ? Mais qu’est-ce que tu appelles « Dommage ? » »
 
Publié par Gérard Watkins sur Facebook, 20 octobre 2021

 

 

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May 6, 2019 7:03 PM
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«Blackface» ou le théâtre de la question raciale - Libération

«Blackface» ou le théâtre de la question raciale - Libération | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Par Eric Fassin, sociologue, université Paris-VIII Vincennes-Saint-Denis — 6 mai 2019 à 17:16
Le monde de l’art n’est pas épargné : si nul ou presque n’y est raciste, alors que tout le monde ou presque y est blanc, ne faut-il pas se poser, avec les personnes qui en sont exclues, la question du racisme ?
«Blackface» ou le théâtre de la question raciale
Tribune. Provoquer l’annulation d’un spectacle, fût-il sexiste, homophobe ou raciste, finit toujours par se retourner contre les minorités. Boycotter est parfois de bonne politique, interdire jamais. La preuve : la mauvaise querelle de la censure, autour du blackface ou «déguisement racial», fait écran aux justes questions que soulèvent la représentation des minorités au théâtre et leur sous-représentation. Tout se passe en effet comme s’il fallait choisir entre liberté de création et engagement antiraciste.

Finissons-en avec cette fausse alternative. La politique n’est pas extérieure à l’esthétique ; le nier est coûteux politiquement, mais aussi esthétiquement. Songeons à Kanata, pièce de Robert Lepage invité par le Théâtre du Soleil : monter un spectacle sur l’exclusion des populations autochtones dans la société canadienne, mais refuser de les entendre lorsqu’elles interpellent sur leur absence au théâtre, expose un grand metteur en scène à produire une œuvre dénuée d’intérêt. Le monde de la culture, s’il réclame une autonomie radicale pour faire abstraction des enjeux politiques de la création, risque de payer d’insignifiance cette liberté.

Que penser de la controverse sur les Suppliantes d’Eschyle, dont la représentation, boycottée par le Cran, a été empêchée à la Sorbonne par une autre action militante contre le «blackface» ? Cette tragédie grecque de l’hospitalité résonne avec la tragédie des exilés qui traversent aujourd’hui la Méditerranée. Quant au metteur en scène, il n’est pas suspect de racisme. Où est donc le problème ? Lisons la réponse de Philippe Brunet : sa compagnie «assume et revendique la liberté d’user d’un tel maquillage qui ne vise nullement à caricaturer ni à dénigrer, tout comme celle de distribuer ou de ne pas distribuer des non-Noirs dans les rôles des Egyptiens». C’est faire le rapprochement entre le maquillage et la couleur des interprètes, quitte à récuser tout lien entre la représentation et l’incarnation ; mais l’accusation de blackface est écartée au nom de l’intention artistique. La signification du spectacle appartiendrait au seul metteur en scène, fidèle traducteur de l’auteur. Ni l’un ni l’autre n’étant raciste, «brunir» les comédiennes ne pourrait l’être.

Pourtant, cette conception de l’autorité créatrice qui fixe le sens de l’œuvre n’a-t-elle pas été remise en cause par la théorie littéraire depuis cinquante ans ? En 1968, Roland Barthes s’attaque à la critique qui «se donne pour tâche importante de découvrir l’Auteur (ou ses hypostases : la société, l’histoire, la psyché, la liberté) sous l’œuvre» ; il lui oppose l’écriture. Et de conclure : «La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur.» L’année suivante, Michel Foucault prolongera cette analyse de la «fonction-auteur», qui «est la figure idéologique par laquelle on conjure la prolifération du sens».

Pour trancher les conflits d’interprétation, on revient aujourd’hui à l’autorité du metteur en scène, relais de l’auteur. Pourquoi ce retour porte-t-il sur la question raciale ? C’est en réaction à l’évolution de nos conceptions du racisme et de l’antiracisme. Dans les années 80, la montée du FN pouvait s’interpréter selon une définition idéologique du racisme. Mais, à partir des années 90, la prise de conscience des discriminations systémiques amène à penser un racisme structurel. Il n’est plus possible de réduire le racisme à la seule intention ; à partir de ses conséquences, on appréhende le racisme en effet.

Dès lors, la question n’est plus uniquement de savoir si tel ou telle, au fond, est raciste ; on considère les choses du point de vue des personnes dites «racisées», car assignées à leur couleur ou leur origine par des logiques de racialisation qui dépassent les intentions et idéologies, bonnes ou mauvaises. Pour combattre les violences de genre, on a fini par l’accepter, mieux vaut se placer dans la perspective des victimes. On commence à le comprendre, il en va de même du racisme : l’intention n’est pas tout.

Le monde de l’art n’est pas épargné : si nul ou presque n’y est raciste, alors que tout le monde ou presque y est blanc, ne faut-il pas se poser, avec les personnes qui en sont exclues, la question du racisme en effet ? La controverse autour d’Exhibit B l’a révélé en 2014. Cette installation en forme de zoo humain revendiquait un propos antiraciste ; des activistes noirs la jugeaient pourtant raciste. Or, comme beaucoup étaient noirs, le monde du spectacle ne voyait que leur couleur, oubliant au passage leur appartenance fréquente aux métiers de la culture. Les taxer d’inculture, c’était redoubler un déni de reconnaissance…

Pourquoi les différends raciaux actuels se jouent-ils si souvent au théâtre ? C’est qu’il en va de la scène comme de la race : tout passe d’abord par les corps. Encore faut-il distinguer : il y a les corps absents de l’auteur et du metteur en scène, et les corps présents des comédiens et du public. Le paradoxe de la polémique actuelle, c’est que l’autorité des premiers prétend évacuer la réalité des seconds : qu’importe la couleur des interprètes, ou celle des spectateurs, seule compterait l’intention créatrice ! La culture cultivée échapperait ainsi à la racialisation de la société - voire : elle serait le moyen, pour la figure auctoriale, de s’y soustraire.

Le théâtre est-il condamné à cet aveuglement volontaire, envers de sa liberté artistique ? Il n’en a pas toujours été ainsi. En 1959, à la veille des indépendances africaines, Roger Blin crée à Paris les Nègres de Jean Genet. Cette «clownerie» donne à voir des personnages noirs qui jouent et rejouent un spectacle racial : le meurtre de la femme blanche, et le procès des Noirs par un tribunal blanc. Si «chaque acteur en sera un Noir masqué», la couleur du public est aussi posée d’emblée : «Vous êtes blancs. Et spectateurs. Ce soir, nous jouerons pour vous.»

Genet s’explique en exergue : «Un soir, un comédien me demanda d’écrire une pièce qui serait jouée par des Noirs.» Or, la «non-mixité» redouble : «Cette pièce, je le répète, écrite par un Blanc, est destinée à un public de Blancs. Mais si, par improbable, elle était jouée un soir devant un public de Noirs, il faudrait qu’à chaque représentation un Blanc fût invité.» La «ligne de couleur» traverse les protagonistes : l’auteur et le metteur en scène, comme les interprètes et le public. Il ne suffit donc pas de plaider la bonne volonté antiraciste pour s’en affranchir : «que je le veuille ou non», expliquera la préface de Genet, «j’appartiens à la communauté blanche». Cette lucidité est la condition d’un dispositif scénique en noir et blanc, esthétique explicitement politique où la couleur est pensée, plutôt que déniée. Art incarné, le théâtre ne saurait se dérober à la question raciale.

Eric Fassin sociologue, université Paris-VIII Vincennes-Saint-Denis
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January 6, 2019 8:58 AM
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Au Théâtre du Soleil, on sirote mollement un Kanata dry

Au Théâtre du Soleil, on sirote mollement un Kanata dry | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan 05.01.2019

 


Pour la première fois, la troupe du Théâtre du Soleil est confiée par Ariane Mnouchkine à un autre metteur en scène, choisi par elle : Robert Lepage. Il a voulu parler des autochtones de son pays, le Canada. Une histoire compliquée. Voici « Kanata-Episode I - La controverse ».

Cela avait mal commencé. Il y avait eu toute cette histoire – que le mot de polémique ne résume pas – qui avait fait parler d’elle en juillet au Canada puis avait gagné la France pendant l’été. Des déclarations péremptoires exprimant de vieilles blessures, des lettres ouvertes, des protestations de bonne foi et puis finalement un projet de spectacle annulé par Robert Lepage bientôt remis sur le tapis par Ariane Mnouchkine. On peut suivre les épisodes de cet imbroglio sur le net, par exemple sur le site d’Alain Neddam (https://www.scoop.it/t/revue-de-presse-theatre?q=Kanata).

Les peuples du Grand Nord

L’intérêt du projet en soi n’était pas mince : pour la première fois de son histoire vieille de trente spectacles, la troupe du Soleil allait être dirigée pour le spectacle « vaisseau amiral » de la saison, par une autre personne que la maîtresse des lieux, Ariane Mnouchkine et à l’invitation de cette dernière. Le choix était d’autant plus surprenant et intéressant que l’heureux élu, le Canadien Robert Lepage, pratique un art du théâtre avant tout visuel, très éloigné du théâtre de jeu et de troupe qui a toujours fait les beaux soirs du Théâtre du Soleil.

A travers son projet Kanata, Lepage souhaitait traiter des premiers peuples indiens et amérindiens de son pays qui, là comme en Russie et ailleurs, furent les victimes de ceux qui vinrent occuper leurs terres, via une assimilation forcée et une négation de leur culture au demeurant très diversifiée. Enfants arrachés à leur mère et expédiés dans des pensionnats tenus par des curés, langues et coutumes interdites, dérives dans l’alcool et la drogue, le grand nord canadien n’a rien à envier au grand nord russe en la matière. A cela s’ajoute, au Canada, la disparition d’un nombre conséquent de femmes autochtones à la fin du XXe siècle.

Depuis 2012, la commission « vérité et réconciliation » a commencé à panser quelques plaies. Mais le sujet reste hypersensible au Canada. On pouvait s’en rendre compte au dernier Festival TransAmériques (lire ici). « Le Montréal où je vis confortablement est le Montréal d’un territoire dérobé au XVIIe siècle aux nombreux peuples autochtones installés ici depuis toujours et dont nous avons gardé, avec toute l’arrogance dont nous sommes capables, la trop grande part », écrivait Martin Faucheur, directeur du FTA depuis quatre ans. Rien d’étonnant donc à ce qu’on lise dans le programme détaillé mis à la disposition des spectateurs du festival, ces lignes sur la page qui détaille les lieux de représentation : « Nous reconnaissons que nous sommes sur un territoire autochtone millénaire, lieu de rencontres et de diplomatie entre les peuples. Ce territoire, jamais cédé, est celui du traité de la grande paix signée en 1701 entre 40 nations de différentes origines, à la fois d’Amérique et d’Europe. Nous remercions la nation Kanien’keha:ka (Mohawk) de son hospitalité sur ce territoire. »

Question d’invisibilité

Il ne faut donc pas s’étonner, dans ce contexte, que le projet d’un spectacle sur les peuples autochtones sans que ces derniers en soient peu ou prou partie prenante ait suscité une vive réaction collective d’autochtones (universitaires, artistes, écrivains) dans une tribune publiée par le journal Le Devoir : « Notre invisibilité dans l’espace public, sur la scène, ne nous aide pas. Et cette invisibilité, madame Mnouchkine et monsieur Lepage ne semblent pas en tenir compte, car aucun membre de nos nations ne ferait partie de la pièce. »

Propos irrecevable pour Ariane Mnouchkine, une artiste dont la troupe est on ne peut plus cosmopolite et dont le dernier spectacle s’est fait en lien avec une troupe de théâtre de l’Inde du Sud auprès de laquelle celle du Soleil a longuement travaillé. S’il avait existé une tradition de théâtre amérindien, les choses se seraient peut-être présentées autrement. Lepage, Mnouchkine et la troupe du Soleil sont allés en Alberta dans les rocheuses « rencontrer les Grands Chefs », ils ont séjourné dans les territoires des tribus et dans un centre urbain comme Vancouver. Tout cela devrait donner naissance à un futur spectacle. Pour l’heure, Kanata-Episode I-La controverse revient sur cette histoire mouvementée via une fiction.

Le soir de la première, un peu avant Noël, Ariane Mnouchkine a fait rembourser les spectateurs payants : le spectacle n’était pas prêt. Mieux valait donc attendre, laisser passer les fêtes. Alors que Paris bruissait de la sortie, ce jour-là, du livre de Houellebecq, je suis allé à la Cartoucherie. Comme à son habitude, Ariane Mnouchkine était à la porte du Soleil pour déchirer les billets. La polémique semblait loin, le hall toujours aussi chaleureux malgré l’absence ce soir-là du fameux et rituel jus de gingembre. La salle était pleine, le spectacle n’a pas connu de dysfonctionnements notoires pendant la représentation, les rouages étaient bien huilés, ça tournait, ça tournait. Mais souvent à vide.

Les habits ne font pas le moine

Kanata-Episode I-La controverse me fait penser à ce slogan publicitaire qui vantait l’excellence du Canada dry : « C’est doré comme de l’alcool, son nom sonne comme un nom d’alcool, mais ce n’est pas de l’alcool. » Non, Kanata-Episode I-La controverse, ce n’est pas de l’alcool maison. Cela manque de tonus, d’élan, de finesse. C’est du Kanata dry. Lepage a beau enfiler les habits des spectacles de Mnouchkine – ses changements de décors éclairs par toute la troupe, son art des saynètes –, cela ne fonctionne pas bien. Les changements de décors, multiples, finissent par peser. La troupe est nombreuse mais on ne s’en aperçoit vraiment qu’au salut. Lepage ne sait pas mettre en mouvement un nombre important d’acteurs, sauf pour une leçon de gymnastique chinoise, ce qui est presque un gag. Le metteur en scène canadien est plus à l’aise dans les scènes à deux ou trois mais là c’est la faiblesse de l’écriture qui nous plombe, d’autant que les personnages sont le plus souvent réduits à un ou deux signes récurrents. On se croirait dans un mauvais téléfilm.

La fable ? Elle s’étire en longueur, peine à articuler ses ramifications et à s’enfoncer dans les méandres de la controverse annoncée par le titre. Un peu tarabiscotés sont les points de départ : d’un côté, Leyla, directrice de musée d’origine autochtone élevée par un couple d’Iraniens immigrés (comme l’est l’actrice qui interprète le rôle) qui a perdu la trace de sa fille Tanya ; et de l’autre, un couple palot de Français chargés de nous conduire vers le lieu de la controverse. Elle, Miranda, fille à papa, vivant aux frais du lointain paternel, cherche sa voie dans la peinture en venant à Vancouver où son compagnon, comédien débutant, espère faire carrière. Ils trouvent un logement au-dessus d’une poissonnerie dans le quartier chinois proche d’une rue à drogués et dealers. C’est là que Miranda tombe sur Tanya, une junkie amérindienne dont elle comprendra qu’elle fait la pute pour avoir sa dose. Miranda la prend en amitié. La junkie qui n’a plus de rapports avec sa mère (Leyla) que téléphoniques sera tuée par un porc qui élève des porcs et plus généralement tue les putes amérindiennes quasiment par plaisir ; c’est la quarante-neuvième. La police le met sous les verrous.

Miranda décide de peindre les portraits des quarante-neuf. C’est là qu’intervient enfin la controverse en écho à celle déclenchée par le projet initial de Lepage et Mnouchkine. Les autochtones ne comprennent pas comment Miranda, une étrangère, a pu peindre les visages des ces femmes assassinées sans avoir demandé leur avis aux familles. Miranda dit avoir voulu bien faire, croyant servir la cause des autochtones et que d’ailleurs l’argent de la vente des tableaux lors de l’exposition reviendrait aux familles. Mais l’exposition aura-t-elle lieu ? Un autre personnage dira : faut-il être juif pour parler des juifs, noir pour parler des noirs ? Pas si simple, répondent, par exemple, les écrits d’une jeune poète innue de Pessamit (née en 1991 à Baie-Comeau), slameuse et comédienne, Natasha Kanapé Fontaine. Dans son dernier recueil Bleuets et Abricots, on lit des choses comme : « Montréal / lève la tête / souviens-toi de ton nom / Hochelaga ». Dans une fin onirique sans mots, Lepage renoue avec ce qu’il sait faire : de la belle image. Un peu court pour une lourde controverse. Suite et fin au deuxième épisode de Kanata ?

Cartoucherie de Vincennes, Théâtre du Soleil, jusqu’au 17 février, dans le cadre du Festival d’Automne.

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December 21, 2018 5:57 AM
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«Kanata» : un projet desservi par son écriture

«Kanata» : un projet desservi par son écriture | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Ève Beauvallet dans Libération — 20 décembre 2018

 


Si «Kanata» a le mérite de prendre à bras le corps la polémique qui l’entoure, la pièce souffre d’une réalisation peu inspirée.

Est-il réellement problématique que la condition actuelle des autochtones au Canada soit racontée «encore une fois à travers le regard d’une petite Blanche», comme le déplore cette jeune indianiste courroucée au sortir de la pièce ? Kanata, en effet, évoque notamment la violence assimilationniste des pensionnats autochtones, où, de la fin du XIXe siècle à 1996, 150 000 enfants furent placés après avoir été arrachés à leurs parents, et le traumatisme laissé par cette politique sur les générations futures. Mais Kanata est aussi l’histoire d’une jeune peintre, Miranda, en quête de réalisation personnelle et artistique, qui trouvera finalement à s’épanouir à Vancouver au contact de la communauté autochtone. Docudrame autant que récit initiatique, la pièce fait cheminer cette Candide boboïsante dans les rues dévastées par la drogue et la prostitution du quartier de Downtown Eastside. Elle traite donc autant d’une communauté blessée et largement invisibilisée que des délicates conditions de rencontre avec celle-ci lorsqu’on est une étrangère fraîchement débarquée. Miranda est donc sur scène la déléguée du spectateur occidental, mais aussi le porte-voix des créateurs du spectacle - au moins à ce titre sont-ils prémunis contre les accusations d’appropriation : ils parlent principalement ici depuis leur point de vue, et non «à la place des autres».

Ce n’est donc pas le parti pris narratif qui est problématique. Ce qui l’est, c’est la qualité de la narration qui le sert. Qualité qui n’est malheureusement pas celle du théâtre contemporain quand il est à son meilleur, mais celle du téléfilm américain quand il est à peine passable. Car, force est de l’admettre et à regret, ce Kanata de Robert Lepage n’a pas l’ampleur dramatique suffisante pour rivaliser avec les grandes fresques historico-politiques déployées par Ariane Mnouchkine dans ces mêmes murs du Théâtre du Soleil. Et entre le sound design mélo pas toujours finaud, le survol de thématiques pourtant passionnantes, l’acharnement à rivaliser avec le réalisme télévisuel plutôt qu’à chercher des formes théâtrales un peu inventives, on accueille presque comme un trait de génie cette jolie scène de trip sous opium mêlant passé et présent, qui sublime la fin. Pas de quoi cependant faire de Kanata autre chose qu’un feuilleton socio-historique pour dimanche pluvieux.


Ève Beauvallet

Kanata - Episode 1 : la controverse mise en scène Robert Lepage avec les comédiens du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine. Jusqu’au 17 février à la Cartoucherie de Vincennes dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

 

 

Lire aussi : criitique oarue dans La Presse.ca (Montréal) : https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/201812/19/01-5208625-des-autochtones-decus-du-kanata-de-robert-lepage.php

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December 17, 2018 6:50 AM
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Robert Lepage : « Artistes, qu’avons-nous le droit de faire ? »

Robert Lepage : « Artistes, qu’avons-nous le droit de faire ? » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Brigitte Salino  dans le Monde 17/12/2018

 

Le Québécois, qui monte « Kanata » au Théâtre du Soleil, a été accusé d’« appropriation culturelle ». Il s’explique.


Répétitions de « Kanata », de Robert Lepage au Théâtre du Soleil, en novembre 2018, avec Ghulam Reza Rajabi, Alice Milléquant, Martial Jacques et Saboor Sahak.


A l’invitation d’Ariane Mnouchkine, qui, pour la première fois dans l’histoire de son Théâtre du Soleil, à Paris, confie sa troupe à un autre metteur en scène qu’elle, le Québécois Robert Lepage s’est lancé, il y a deux ans, dans la préparation d’un spectacle sur l’histoire du Canada – sous le titre de Kanata, soit « village », le nom ancien du pays. En juillet, une tribune dans le quotidien de ­Montréal Le Devoir a mis le feu aux poudres en reprochant au metteur en scène l’absence d’acteurs autochtones.


Ariane Mnouchkine s’est rendue avec Robert Lepage à Québec, pour discuter avec des représentants de communautés des premières nations, sans parvenir à éteindre la controverse. Le spectacle, que Robert Lepage a pensé annuler, a finalement lieu, dans le cadre du Festival d’automne, mais seul le premier des trois épisodes prévus est présenté, depuis le 15 décembre, à la Cartoucherie de Vincennes. Avec, en toile de fond, la question de l’appropriation culturelle. Robert Lepage s’en explique.

 


« Kanata » porte en sous-titre : « Episode 1 ­ – La Controverse ». Pourquoi ?

Parce que, dans cet épisode, il y a une controverse qui fait écho à celle qu’Ariane Mnouchkine et moi avons dû affronter cet été. Mais ce n’est pas une réponse : elle était dans le projet du spectacle depuis le début du travail. Son point de départ repose sur une histoire terrible : au tournant des années 2000, dans l’Ouest canadien, un homme a tué quarante-neuf femmes, principalement des autochtones démunies qui vivaient dans la rue, droguées ou prostituées. Une peintre de Vancouver, qui n’est pas autochtone, a décidé de faire le portrait de ces femmes. Cela a suscité une énorme controverse, parce que des membres des communautés autochtones ont dit : « Nous n’avons pas eu le temps de faire notre deuil, l’enquête n’est pas terminée, et vous utilisez nos filles, nos femmes, nos mères pour acquérir un capital de sympathie. »


Ce n’était pas du tout dans l’intention de la peintre, qui de plus voulait vendre les portraits pour récolter de l’argent pour les centres de femmes à la rue. Son geste a été mal interprété, et depuis, le débat ne s’est pas éteint. Il pose une question qui m’intéresse depuis longtemps : en tant qu’artistes, qu’avons-nous le droit de dire ? De faire ? Peut-on parler, et comment parler d’une chose qui nous touche ? A partir de quel moment la question de l’appropriation culturelle devient-elle la continuation de la colonisation, ou au contraire, une façon d’universaliser une histoire ? Dès nos premiers échanges avec la troupe du Soleil, nous nous sommes dit qu’il fallait parler de ces questions, dont je ne pensais pas qu’elles allaient nous mettre au milieu d’une telle tempête.
Lire la tribune d’Eric Fassin : « L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination »


Pourquoi cette tempête a-t-elle été si vive, d’après vous ?

Parce que la question de l’appropriation culturelle, qui est fondamentale aujourd’hui, et concerne tous les domaines artistiques, se pose au théâtre d’une manière particulièrement forte : elle se traduit dans la chair même, puisque les acteurs incarnent. Ceux qui se sont opposés au projet de Kanata ont malheureusement mal compris ce que l’on voulait faire. Ils ont interprété notre approche comme étant celle d’un emprunt à la vie des autochtones, alors que cet épisode 1 de Kanata ne parle pas de la réalité autochtone, ni directement de la femme qui a peint les portraits. Nous reprenons des éléments de l’histoire pour montrer, à travers un jeune couple d’artistes français qui s’installe à Vancouver, comment, à un moment donné, des Européens blancs croisent sur leur chemin la réalité autochtone.


Avez-vous rencontré des autochtones quand vous prépariez « Kanata » ?

Bien sûr. On a emmené la troupe du Soleil au Canada, d’abord au Québec, puis dans l’Ouest canadien, où on a rencontré des gens qui ont été chassés de leurs réserves et se retrouvent à Vancouver, dans la rue. Puis on est allés à Banff, en Alberta, où se trouve un centre consacré à la culture autochtone. On a fait des work­shops, on a recueilli des témoignages, on est aussi allés dans la nature, parce que la terre, pour les premières nations, ce n’est pas seulement celle qu’on leur a volée, c’est une continuité de leur être. On a vu des chamans et des chefs spirituels, et aussi des spécialistes des pensionnats autochtones qui représentent une page horrible de l’histoire canadienne : jusqu’en 1996, on y a mis les autochtones pour les « éduquer », et « tuer l’Indien dans l’Indien ».
 

Après coup, je pense que l’incompréhension vient du fait que des gens pensaient qu’on venait engager des acteurs autochtones. C’est vrai que c’est devenu la coutume au Canada. Et c’est idiot de ne pas le faire, parce qu’il y a plein de bons acteurs autochtones. Je comprends leur point de vue, « Nothing about us without us » (« rien sur nous sans nous »), parce que leur culture a été trop longtemps filtrée par une vision colonisatrice qui ne leur laissait aucune place. Mais pour Kanata, le contexte est différent : on est en France, je travaille avec les acteurs du Théâtre du Soleil, dont je sens que ce qui les intéresse le plus, dans l’histoire du Canada, c’est la question autochtone. Ils s’y identifient, parce que, sur les trente-deux acteurs de la troupe, vingt-quatre ne viennent pas de France, beaucoup ont vécu des histoires de déracinement.
Vous n’avez donc pas pensé que « Kanata » poserait des problèmes ici…

C’est peut-être un peu naïf, mais je me sentais autorisé à faire le spectacle, parce que j’ai souvent travaillé avec les communautés autochtones. J’aurais peut-être dû être plus prévoyant, parce que les communautés autochtones ne sont pas homogènes au Canada. J’admets mon erreur, et, après la polémique, qui nous a fait perdre le coproducteur principal, j’ai envisagé de renoncer. Ariane Mnouchkine a insisté pour que le spectacle se fasse. Et j’ai reçu une très belle lettre du porte-parole de deux grands chefs autochtones qui me disent : nous n’avons pas envie que le spectacle soit annulé, parce que nous pensons que vous êtes un agent du changement. Peu importe ce que vous allez faire. Même si vous ne travaillez pas, comme on aimerait, avec des acteurs autochtones, vous ferez avancer la cause plus que si vous renoncez. Il faut faire le spectacle.

Brigitte Salino

 

 

Liens :

Lire la critique de « Kanata » : A la Cartoucherie, un Canada malade de son passé colonial

 

Lire le récit : Malgré la polémique, Ariane Mnouchkine et Robert Lepage maintiennent leur spectacle « Kanata »

 

 

Lire le factuel : Robert Lepage annule « Kanata »

 

Lire le factuel : A Montréal, une pièce sur l’esclavage divise

 

Lire le portrait : Natasha Kanapé Fontaine, Innue et rien d’autre

 

Lire la tribune d’Eric Fassin : « L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination »

 

Légende photo : Répétitions de « Kanata », de Robert Lepage au Théâtre du Soleil, en novembre 2018, avec Ghulam Reza Rajabi, Alice Milléquant, Martial Jacques et Saboor Sahak. MICHÈLE LAURENT 

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December 16, 2018 5:29 PM
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Natasha Kanapé Fontaine, Innue et rien d’autre

Natasha Kanapé Fontaine, Innue et rien d’autre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marc-Olivier Bherer publié dans Le Monde  16.12.2018

 

 

Membre d’un peuple autochtone  du Québec, la poète et actrice milite pour la reconnaissance culturelle  des Premières Nations canadiennes. Selon elle, les artistes amérindiens doivent être associés aux projets  qui s’inspirent de leur histoire.




« L’été a été très difficile », confesse Natasha Kanapé Fontaine, poète, actrice, peintre, militante – mais surtout et avant tout innue. « Pas inuite », souffle-t-elle, un peu ­lassée que l’on confonde les deux peuples. ­Innue et rien d’autre – pas même québécoise, même si elle habite Montréal et qu’elle est née en 1991 au Québec, dans la petite ville deBaie-Comeau, avant de grandir dans une communauté autochtone, à Pessamit. D’une voix calme et assurée, elle répète une vérité que beaucoup oublient : « Il est important de se dire Innu, parce que c’est une subversion de l’histoire : il y avait un projet qui consistait à nous effacer. »

Si l’été a été difficile, c’est parce qu’en juin et juillet s’est rejoué, sur le plan symbolique, le drame de la colonisation et de la relégation des Premières Nations. Une controverse a en effet mis le Québec en ébullition : Robert ­Lepage, un metteur en scène internationalement connu, a été accusé de se livrer, dans deux productions théâtrales, à une forme de pillage en s’appropriant l’histoire et la culture de peuples opprimés – les descendants d’esclaves et les peuples autochtones.

« Sentiment de déjà-vu »
La première production, la pièce Slav, devait être présentée aux mois de juin et de juillet au Festival international de jazz de Montréal. Cette « odyssée théâtrale à travers les chants traditionnels afro-américains » entendait ­rendre « hommage à la musique comme outil de résilience et d’émancipation ». Mais une ­tribune publiée dans un journal québécois, Le Devoir, a déclenché l’été survolté qu’a connu la province : dans ce texte, le rappeur et historien Webster s’indignait du fait que la distribution ne comptait que deux artistes noires. La pièce a rapidement été annulée – même si elle revient à l’affiche en janvier 2019.

Le 14 juillet, une nouvelle polémique enflammait le Québec : une tribune publiée dans Le Devoir visait cette fois Kanata, un spectacle consacré aux peuples premiers du Canada, créé par Robert Lepage. Dans ce texte, un ­collectif d’artistes autochtones regrettait qu’aucun artiste issu des Premières Nations ne fasse partie du casting. « Mme Mnouchkine ­[dont le Théâtre du Soleil produit le spectacle] a exploré nos territoires, elle n’a plus besoin de nos services. Exit ! Elle aime nos histoires, mais n’aime pas nos voix. Il nous semble que c’est une répétition de l’histoire et de tels agissements nous laissent un certain sentiment de déjà-vu. » Annulée au Québec, ­Kanata sera finalement présenté dans le théâtre d’Ariane Mnouchkine, à la Cartoucherie de Vincennes, du 15 décembre au 17 février.

Oppression historique
A la veille du lever du rideau parisien, Natasha Kanapé Fontaine semble ne pas savoir quelle attitude adopter. Elle ne veut pas relancer la bataille québécoise, mais ce débat la ­déchire. Au Québec, elle est un peu l’exception qui confirme la règle : peu d’artistes autochtones y jouissent d’une telle notoriété. Elle doit cette reconnaissance à sa participation à la très populaire série télé Unité 9, dans laquelle elle incarne une jeune criminelle d’origine autochtone. Ce rôle fut une chance pour cette jeune artiste qui, avant de l’accepter, traversait un moment difficile : usée par son engagement politique au sein du mouvement féministe autochtone Idle no More (« Jamais plus l’inaction »), elle avait basculé dans l’alcoolisme.

Aujourd’hui sobre, Natasha Kanapé Fontaine rappelle que l’addiction est un phénomène bien connu des peuples dépossédés. Et qu’elle n’oublie pas les blessures liées à son enfance et à l’oppression historique vécue par les ­Innus. Ecrit pendant son sevrage, son dernier recueil de poésie s’intitule d’ailleurs Nanimissuat. Ile-tonnerre (Mémoire d’encrier, 124 pages, 12 euros) : dans de nombreux mythes autochtones, ce bruit retentissant est associé à un apaisement. « J’ai voulu écouter mes ­orages intérieurs et j’y ai trouvé une libération », confie-t-elle.

Avant d’en venir à la poésie, cette jeune ­artiste a débuté par le slam et la peinture. Elle a choisi l’écriture pour montrer aux Québécois que, contrairement à un préjugé répandu, les peuples premiers parlent français – certaines des onze nations autochtones du Québec ­parlent l’anglais, ce qui ajoute à l’incompréhension avec la majorité francophone. Aujourd’hui, sa plume est essentiellement guidée par le désir de favoriser les retrouvailles entre les jeunes autochtones et leur culture.

L’attention à la reconstruction des « dominés » doit également prévaloir lorsque l’on aborde la question de la restitution des œuvres et des objets accaparés par les colonisateurs

Les artistes autochtones doivent, selon elle, être associés aux projets qui s’inspirent de leurs cultures, sans quoi ils risquent d’aggraver le traumatisme de ces communautés qui souffrent déjà de la perte de leurs territoires et de l’assimilation forcée. « L’échange et la rencontre entre peuples doivent être à la base du dialogue entre les cultures. Sinon on perpétue le rapport de force. » L’attention à la reconstruction des « dominés » doit également prévaloir lorsque l’on aborde la question de la restitution des œuvres et des objets accaparés par les colonisateurs. Amie de l’écrivain et chercheur sénégalais Felwine Sarr, auteur, avec Bénédicte Savoy, d’un rapport sur le patrimoine africain de l’Hexagone, Natasha Kanapé Fontaine ­estime que les artefacts provenant des peuples autochtones qui sont conservés en France ­depuis la colonisation de l’Amérique, au XVIe siècle, devraient être restitués afin de les aider à se reconstruire.

C’est armée de ce discours sur la guérison qu’elle a participé, à la fin du mois de juillet, à la rencontre entre Robert Lepage, Ariane Mnouchkine et une délégation d’environ 50 artistes et écrivains autochtones. Si les auteurs de la tribune publiée dans Le Devoir ne demandaient pas l’annulation du spectacle Kanata, cette position concernait, selon elle, une faible minorité des membres de la délégation. Natasha Kanapé Fontaine espérait, pour sa part, que les producteurs accepteraient de créer des espaces de discussion en marge de la pièce. « La discussion a duré près de cinq ­heures. Et j’ai été frappée par le manque d’écoute », regrette-t-elle.

Cette amertume s’explique peut-être par l’expérience négative que les autochtones ont des consultations. « Les compagnies minières et forestières, attirées par les ressources qui se trouvent sur notre territoire, font toutes des consultations pour nous convaincre de leur bienveillance, remarque Natasha Kanapé Fontaine – sans toutefois prêter au duo Mnouchkine-Lepage une pareille mauvaise foi. Ça ne débouche généralement sur rien et les projets vont de l’avant sans notre assentiment. » Natasha ­Kanapé Fontaine se réjouit cependant que, ­depuis l’été, de nouvelles collaborations entre artistes autochtones et québécois aient vu le jour et que ses confrères soient davantage présents à la télé, à la radio et sur scène. L’hiver sera peut-être plus doux que l’été.

Marc-Olivier Bherer

 

Illustration : JEAN-MARC PAU

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December 15, 2018 5:21 PM
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À propos de «Kanata, épisode 1, la controverse»

À propos de «Kanata, épisode 1, la controverse» | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune par un groupe de signataires Autochtones et leurs alliés, publiée dans Le Devoir.ca (Montréal)

 

Aux artistes qui créeront Kanata,

Alors que vous vous préparez à monter sur scène, notre première pensée va à vous, artistes de la production Kanata, épisode 1, la controverse. Dans ce contexte difficile où nous nous retrouvons maintenant, nous désirons vous exprimer notre amitié et notre soutien. Nous savons que plusieurs d’entre vous ont, dans leurs propres vies, connu l’humiliation d’un pouvoir oppressif ou colonisateur qui les a enlevés à leur pays, à leur communauté, à leur famille, à eux-mêmes… Nous savons tout l’investissement humain que vous avez mis pour raconter nos histoires. Nous sommes honorés par cette intention et saluons votre travail. Nous aurions tant aimé faire ce chemin en votre compagnie, pour pouvoir enrichir nos processus créatifs respectifs de manière à créer une réelle collaboration artistique et humaine.

Nous sommes des artistes et des intervenants culturels issus des Premiers Peuples de l’Amérique du Nord. Nos nations ont une longue tradition d’échanges et d’alliances les unes avec les autres depuis des lustres, puis, plus récemment, avec les populations d’autres continents. Un principe de réciprocité a toujours présidé chez nous aux ententes faites de nation à nation. Ces principes, que le colonialisme a malmenés, sont en voie d’être peu à peu rétablis ; c’est pourquoi le processus mis en place dans la création de la présente oeuvre nous déçoit tant. Raconter notre histoire, faire émerger à nouveau notre imaginaire dont les expressions ont été au pire interdites et réprimées, au mieux ignorées et marginalisées, c’est là pour nous un important chemin de rétablissement et de guérison, une façon d’avancer vers une vie meilleure, celle que nous souhaitons léguer aux générations futures.

Nous sommes toujours heureux d’accueillir dans nos rangs, ou même de servir la vision, des créateurs allochtones qui voient notre histoire comme une épopée humaine incontournable. Il y a au Canada et au Québec, chez les nations autochtones, un important bassin d’artistes, de talents et de compétences variés dans le domaine des arts de la scène capables de relever les défis artistiques les plus exigeants, sans compter un besoin de formation et d’expériences pour les jeunes qui font leurs premiers pas dans les métiers de la création. Nous nous étonnons qu’aujourd’hui encore les uns comme les autres soient ignorés, quand on dit vouloir revisiter l’histoire récente des Premières Nations dans leurs relations avec les États coloniaux.

Aujourd’hui, le vent tourne, de plus en plus de gens remettent en question les schémas de pensée coloniaux qui ont trop longtemps servi de prétextes pour brimer notre droit de parole. Certains organismes de financement des arts ont mis en place des politiques d’attribution pour nous permettre de cesser d’être considérés comme de simples objets de curiosité, sans plus. Néanmoins, encore trop souvent, nous sommes tenus en marge des grandes institutions, notre voix étant parfois trop, parfois pas assez, exotique pour les attentes de la majorité culturelle. Pourtant, l’authenticité dont nous sommes porteurs est notre plus grand atout et nous l’opposerons, parce que là est bien notre responsabilité, aux contrefaçons esthétiques et folkloriques dont nos peuples ont été, et sont encore, les jouets.

Pour toutes ces raisons, nous conservons, devant Kanata, le sentiment d’un rendez-vous manqué, que le spectacle soit réussi ou non.

À la veille de la première de la pièce, nous lançons donc le mot de Cambronne.

Chacun y trouvera son compte.

* Signataires autochtones et leurs alliés : Charles Bender, Wendat, acteur; Jimmy Blais, Cri des Plaines, acteur; Carole Charbonneau, Atikamekw, muséologue spécialisée en patrimoine immatériel autochtone; Maya Cousineau Mollen, écrivaine Innue-Québécoise, conseillère en développement communautaire Inuit et Premières Nations; Yvon Dubé, Atikamekw, acteur et communicateur indigène; André Dudemaine, Innu, directeur artistique du Festival Présence autochtone et directeur des activités culturelles de Terres en vues, société pour la diffusion de la culture autochtone; Dave Jeniss, métis Malécite, acteur et directeur artistique de la troupe de théâtre Ondinnok; Odile Joanette, Innue, directrice générale de Wapikoni Mobile; Maïtée Labrecque-Saganash, Eeyou (Crie), chroniqueuse et activiste; Alexandra Lorange, Atikamekw, juriste et étudiante à la maîtrise en droit UQAM; Louis-Philippe Lorange, Atikamekw, cinéaste; Yvette Mollen, Innue, spécialiste en langue innue; Nakuset, Crie, directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal; Caroline Nepton-Hotte, Innue, doctorante en sciences des religions UQAM; Kim O’Bomsawin, Abénakise, réalisatrice et scénariste; Isabelle Picard, Wendat, ethnologue; Stephen Agluvak Puskas, Inuk, cinéaste et artiste; Sylvain Rivard alias Vainvard, métis Abénakis, artiste et spécialiste en arts et cultures des Premières Nations; Sonia Roberston, Innue, artiste multidisciplinaire; Guy Sioui Durand, Wendat, sociologue et critique d'art; Heather White-McGregor, Mohawk, actrice Organismes autochtones signataires : Femmes Autochtones du Québec; Wapikoni Mobile Alliés cosignataires : Manon Barbeau, fondatrice du Wapikoni Mobile; Séna Houndjahoué Lahaye, juriste; Alain Fournier, architecte; Xavier Huard, acteur et metteur en scène; Éric Moutquin, architecte; Gabrielle Piché, directrice administrative de Terres en vues, société pour la diffusion de la culture autochtone; Allison Reid, coordonnatrice du RÉSEAU pour la stratégie urbaine de la communauté autochtone de Montréal et étudiante à la maîtrise en développement communautaire University of Victoria; Johanne Roussy, artiste; Mario Saint-Amand, acteur; Isabelle St-Pierre, poète

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December 12, 2018 6:27 PM
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Kanata – Épisode I – La Controverse - Théâtre du Soleil

Kanata – Épisode I – La Controverse - Théâtre du Soleil | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Agnès Santi dans La Terrasse 26.11.2018


Robert Lepage et la troupe du théâtre du Soleil créent une vaste épopée autour de l’histoire méconnue des Autochtones du Canada. A ne pas manquer ! 

Qui connaît l’histoire des Premières Nations du Canada, pays qui doit son nom au mot iroquoien « Kanata » signifiant « village » ? Quelques spécialistes tout au plus… Merci donc à Robert Lepage de donner vie à une fresque théâtrale qui nous éclaire, et merci à Ariane Mnouchkine de lui avoir confié la troupe du Théâtre du Soleil pour une traversée scénique d’une histoire douloureuse et méconnue, marquée par la spoliation, l’exclusion et l’assimilation forcée des enfants dans des pensionnats dirigés pour la plupart par des missionnaires, dont le dernier a fermé en 1996. Suite à une longue phase préparatoire de rencontres et d’immersion auprès d’Autochtones, pour la plupart Amérindiens, l’épopée théâtrale a été construite en trois périodes à partir du XIXème siècle, associée chacune à un medium différent : la peinture, puis la photographie, et enfin le cinéma. Elle parcourt environ deux siècles et un immense territoire d’Ottawa à la Colombie Britannique jusqu’à Vancouver, et nous en découvrons l’épisode 1.

A la découverte de l’autre

Au-delà de l’aspect documentaire, en soi très intéressant, c’est librement et en toute subjectivité le regard des artistes qui structure et imagine cette vaste traversée où s’expriment les pouvoirs d’un théâtre moderne, humaniste, fabriqué avec ténacité et minutie par des artistes témoins de leur temps. En quelque cinquante ans d’histoire du Théâtre du Soleil, c’est la première fois qu’Ariane Mnouchkine confie sa troupe à un metteur en scène invité – le québécois Robert Lepage. Leurs œuvres célèbrent chacune à leur manière le partage, la beauté, la curiosité, l’ouverture et l’humain universel riche de multiples singularités. Quelques mots enfin sur la polémique provoquée en juillet dernier par une tribune publiée par la presse canadienne, qui dénonçait l’absence de comédiens autochtones dans le spectacle, et provoqua dans un premier temps l’annulation du spectacle, malgré une longue réunion avec Ariane Mnouchkine, Robert Lepage et des artistes autochtones à Montréal, qui sembla mener vers davantage de compréhension. Nous avions alors parcouru les réseaux sociaux et constaté la violence et l’ineptie fascisantes des attaques. Un comble pour une troupe composée depuis ses débuts de comédiens de multiples origines, nourrie de compagnonnages ancrés en Inde et autres terres lointaines. L’annulation confirmait deux tendances lourdes des sociétés humaines : celui qui crie le plus fort triomphe, et les fake news, avatar moderne de la rumeur, distillent un poison que la raison ne peut contrer. Le Théâtre du Soleil et Robert Lepage ont heureusement trouvé assez de force pour que vive leur art merveilleux. A vos agendas !

Agnès Santi

A PROPOS DE L'ÉVÉNEMENT
Kanata - Épisode I - La Controverse
du Samedi 15 décembre 2018 au Dimanche 17 février 2019
Théâtre du Soleil
route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris
du mercredi au vendredi à 19h30, le samedi à 15h et 20h, le dimanche à 13h30. Relâche exceptionnelle mercredi 2 janvier. Tél : 01 43 74 24 08. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Durée estimée du spectacle : 2h30, entracte inclus.

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September 18, 2018 6:12 PM
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Ariane Mnouchkine : “Les cultures ne sont les propriétés de personne” 

Ariane Mnouchkine : “Les cultures ne sont les propriétés de personne”  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joelle Gayot  dans Télérama Publié le 18/09/2018. 


Une pièce traitant de l’histoire dramatique des autochtones du Canada peut-elle être montée sans leurs représentants ? C’est à cette question devenue polémique que se sont heurtés Robert Lepage, metteur en scène, et Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil, à Paris. Celle-ci rappelle que l’histoire de l’humanité appartient à tout le monde.

En juillet, alors que le metteur en scène canadien Robert Lepage prépare son spectacle Kanata, une lettre, signée par dix-huit artistes et intellectuels autochtones et douze de leurs alliés, non autochtones, déclenche une vive polémique. Le spectacle, joué par les acteurs du Théâtre du Soleil, que dirige Ariane Mnouchkine, doit traverser l’histoire du Canada en abordant les oppressions subies par les autochtones. Face à l’absence sur scène d’acteurs issus de leurs communautés, ces derniers dénoncent une « appropriation culturelle ». Dans la foulée, un coproducteur financier se retire du projet, poussant le metteur en scène à annuler la création de Kanata au Théâtre du ­Soleil, à Paris. C’était sans compter la ténacité de Robert Lepage et la détermination d’Ariane Mnouchkine. Fondatrice et directrice depuis 1964 du mythique Théâtre du ­Soleil, installé à la Cartoucherie de Vincennes, Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, auteur, propose depuis toujours un théâtre généreux et populaire qui place l’humain au centre des représentations. Incarnées par une troupe cosmopolite — ses acteurs sont afghans, brésiliens, français, irakiens, syriens… —, ses créations prennent à bras-le-corps les tragédies, que celles-ci soient grecques ou shakespeariennes, antiques ou contemporaines. L’exil et les migrants, l’intégrisme et l’émancipation des femmes, la montée des dictatures et la résistance des peuples sont autant de sujets déployés au Théâtre du Soleil.


Qu’évoquent pour vous les termes « appropriation culturelle » ?

Ces termes n’évoquent rien pour moi car il ne peut y avoir appropriation de ce qui n’est pas et n’a jamais été une propriété physique ou intellectuelle. Or les cultures ne sont les propriétés de personne. Aucune borne ne les limite, car, justement, elles n’ont pas de limites connues dans l’espace géographique ni, surtout, dans le temps. Elles ne sont pas isolées, elles s’ensemencent depuis l’aube des civilisations. Pas plus qu’un paysan ne peut empêcher le vent de souffler sur son champ les embruns des semailles saines ou nocives que pratique son voisin, aucun peuple, même le plus insulaire, ne peut prétendre à la pureté définitive de sa culture. Les histoires des groupes, des hordes, des clans, des tribus, des ethnies, des peuples, des nations enfin, ne peuvent être brevetées, comme le prétendent certains, car elles appartiennent toutes à la grande histoire de l’humanité. C’est cette grande histoire qui est le territoire des artistes. Les cultures, toutes les cultures, sont nos sources et, d’une certaine manière, elles sont toutes sacrées. Nous devons y boire studieusement, avec respect et reconnaissance, mais nous ne pouvons accepter que l’on nous en interdise l’approche car nous serions alors repoussés dans le désert. Ce serait une régression intellectuelle, artistique, politique ­effrayante. Le théâtre a des portes et des fenêtres. Il dit le monde tout entier.

On est en train d’ériger des enclos, à l’intérieur desquels on voudrait séparer les identités réduites à elles seules.“
Que s’est-il passé dans l’histoire des autochtones qui puisse expliquer cette polémique ?

Je ne suis pas une historienne de la colonisation du Canada, mais relisons l’histoire. Une spoliation insidieuse, puis violente. Des trahisons sans fin. Des promesses jamais tenues. Des traités jamais respectés. Et, en 1867, au moment de ­l’indépendance, un traitement génocidaire des Premières Nations. Une exclusion, puis une marginalisation systématique. Et — ce qui a laissé, peut- être, les traces les plus profondes — un véritable assaut de l’Eglise catholique et de l’Etat canadien contre la culture autochtone, en éliminant la participation des parents et de la collectivité au développement intellectuel, culturel et spirituel de leurs enfants au moyen du système de ces tristement célèbres pensionnats où l’on pratiquait, sur les enfants enfermés, une assimilation forcée, imbécile, sadique, abusive, violeuse, inimaginable. Comparable à ce qui s’est passé en Australie avec les enfants aborigènes. Système qui, au Canada, a duré jusqu’en 1996, c’est-à-dire hier. Donc beaucoup de choses effroya­bles qui, malgré des efforts indéniables ces dernières années, ne se réparent pas d’un claquement de doigts. Les revendications légitimes des autochtones sont légion et dépassent largement cette polémique, qui n’est pas due seulement à un groupe de leurs artistes — qui, d’ailleurs, et je tiens à le redire, ne visait pas l’annulation de Kanata, mais aussi, et sinon plus, à un mouvement de pensée vindicatif prônant le « retour du bâton » plutôt que, après celui de la réparation, le long et difficile chemin de la réconciliation que la majorité des autochtones parcourent avec détermination et exigence.

Etes-vous inquiète de la tournure prise par les événements ?

Un peu, je l’avoue. On est en train d’ériger des enclos, à l’intérieur desquels on voudrait séparer les identités réduites à elles seules. Pour mieux les classer ? A l’infini ? Le 22 septembre 1933, à l’initiative de Joseph Goebbels et via la création de la Chambre de la culture du Reich, les artistes juifs sont exclus du monde culturel et ne peuvent plus se produire que dans des manifestations destinées à des publics juifs. Pas de panique, je ne traite personne de nazi, en l’occurrence, mais lorsqu’on examine ma troupe selon des critères ethniques, je rappelle ce qu’ont fait les nazis. Je sonne un petit tocsin. Attention à certains voisinages de pensée ou de méthode. Même involontaires.

Nous ne sommes pas ‘que’ français ou ‘que’ blancs. Ou ‘que’ autochtones.”

 


Comment les artistes peuvent-ils réagir ? Appelez-vous à une mobilisation ?

La première des censures est notre peur. Etre accusé de racisme fait très peur, nos accusateurs le savent. Ils en jouent. Mais une fois que nous savons, en conscience, que nous ne le sommes pas et que notre travail, la composition du groupe au sein duquel nous créons des œuvres depuis tant d’années, bref, que toute notre vie le prouve, nous devons refuser qu’à la seule lumière de la composition ethnique de la distribution, avant même d’avoir vu nos spectacles, on nous dise qu’ils sont spoliateurs et racistes, donc criminels. Nous avons tous des yeux, des oreilles, des mémoires, des légendes, donc tous des parentés multiples. Nous ne sommes pas « que » français ou « que » blancs. Ou « que » autochtones. Devons-nous nous résigner à une malédiction atavique, de dimension biblique, qui courrait de génération en génération ? Sommes-nous, pour toujours, dans les siècles des siècles, des racistes et des colonialistes, ou sommes-nous des êtres humains, porteurs d’univer­salité, tout comme les Noirs, les Juifs, les Arabes, les Khmers, les Indiens, les Afghans, les Amérindiens, dont nous voulons parfois raconter les épopées et qui, comme nous, bien avant leurs particularités culturelles, portent en eux cet universel humain ? Et puis, qui a ­intérêt à déchirer la société, justement de cette façon-là ? En quoi cette tribalisation générale va-t-elle affaiblir le capitalisme sauvage qui ruine notre planète ? En quoi va-t-elle freiner la gloutonnerie des multinationales ? A quoi sert-elle ? En quoi va-t-elle nous redonner le sens et l’amour du bien commun ? Pourquoi certains idéologues tentent-ils de duper notre jeunesse en profitant négativement de son idéalisme, de sa générosité et de sa soif de solidarité et ­d’humanité ?

Qui sont ces idéologues ?

Je n’ai pas à les nommer. Par leurs réponses et leurs attaques, je le crains, ils montreront qu’ils se sont reconnus.

Ne s’agit-il pas d’un dialogue de sourds ?

C’est pis qu’un dialogue de sourds. C’est un procès, où chaque mot de la défense est retourné et ajouté au réquisitoire de procureurs autodésignés. Il faudrait slalomer en permanence entre des mots interdits, de plus en plus nombreux. Comment parler sincèrement, avec confiance, si chaque mot peut devenir, au gré de l’interlocuteur, un indice incriminant, révélateur de notre ignominie ? Sous la surveillance de tels commissaires, comment échapper à la langue de bois, aux clichés, puis à l’hypocrisie et finalement au mensonge obligatoire ?

“Je ne peux pas bâtir sur le destin de mes aïeux une amertume et une haine éternelles.”

 


Est-il possible de se soustraire à la culpabilisation ?

Une fois que tous les chemins de réparations matérielles, législatives, symboliques auront été parcourus et que ces réparations, toujours imparfaites et insuffisantes, auront été définitivement obtenues, il nous faudra bien encore reconnaître que nous sommes coupables de beaucoup de choses, mais pas de tout, pas tout le temps et pas pour toujours. Le chemin est identique pour ceux qui sont, ou se pensent, victimes, car il peut y avoir de l’indécence à faire sienne, à trop s’approprier, la souffrance d’un aïeul. Les petits-­enfants de déportés, dont je suis, n’ont pas souffert ce qu’ont souffert leurs grands-parents ou arrière-arrière-grands-parents. Je ne peux pas bâtir sur le destin de mes aïeux une amertume et une haine éternelles, haine et amertume que mes grands-parents morts à Auschwitz n’auraient pas voulu me léguer — ils m’aimaient trop, j’en suis sûre, pour vouloir m’infliger la douleur de haïr. Je ne peux pas me targuer de leur héritage pour rendre coupable la terre entière et interdire à une jeune actrice, allemande, innocente de ce qu’a pu commettre son arrière-grand-père à l’égard du mien, de jouer Anne Frank, du moment qu’elle a du talent et la force morale de le faire.

Quel est votre état d’esprit, aujourd’hui ?

Lors d’une réunion à Montréal, en juillet, nous avons cherché, Robert et moi, à nous faire entendre des artistes autochtones qui avaient fait part de leur incompréhension, pour ne pas dire de leur désapprobation, devant l’absence d’acteurs et d’actrices autochtones dans la distribution de Kanata. Il nous a fallu rappeler encore et encore que ce spectacle était répété et produit en France, avec des acteurs d’origines très diverses, réfugiés d’abord, puis résidents en France, puis devenus français, pour la plupart, ces dernières années. Bon nombre d’artistes qui nous recevaient ce soir-là avaient entendu vaguement parler du Soleil mais ignoraient tout de son fonctionnement et de ses principes. La réunion s’est déroulée dans une atmosphère respectueuse, de part et d’autre, et je pense que nous avancions sur le chemin difficile de la compréhension et de la réconciliation. Cette rencontre, dont je me souviendrai toute ma vie avec une émotion très spéciale, dura plus de cinq heures et demie, mais il nous aurait fallu, il nous faudra, plus de temps encore. Nous le prendrons, ce temps. Nous l’avons promis. Mais le lendemain matin, attaquèrent et frappèrent tous ceux qui ne voulaient surtout pas que cette réunion, à laquelle ils n’avaient pas assisté, aboutisse à une entente. Et, je l’admets aujourd’hui, Robert et moi avons été en proie à la sidération face à la puissance d’intimidation et de désinformation de certaines tribunes ou blogs et aussi des accusations de toutes sortes qui jaillissaient sur les réseaux sociaux, où sévissent une multitude d’anonymes. Après l’annonce de l’annulation, beaucoup des artistes autochtones rencontrés ce soir-là ne cachèrent pas leur désappointement et même leur désapprobation devant une issue qu’ils n’avaient jamais demandée. Nous nous sommes donc ressaisis et avons décidé que la meilleure réponse serait le premier épisode du spectacle lui-même.

Cosignerez-vous avec Robert Lepage cet épisode du spectacle ?

Non. Mais je cosigne le manifeste que représente le fait de jouer ce spectacle.

 

À voir
Kanata – Episode I – La Controverse,
un spectacle du Théâtre du Soleil et de Robert Lepage, du 15 décembre au 17 février, dans le cadre du Festival d’automne, La Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e.

 

 

Photo : Léa Crespi pour Télérama

 

 

Communiqué Malgré la polémique, “Kanata” sera bien joué par le Théâtre du Soleil

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September 6, 2018 10:32 AM
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Ariane Mnouchkine et Robert Lepage présenteront bien « Kanata » à la Cartoucherie de Vincennes

Ariane Mnouchkine et Robert Lepage présenteront bien « Kanata » à la Cartoucherie de Vincennes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié dans Le Monde | 06.09.2018
La pièce avait été annulée en juillet sous la pression de minorités autochtones canadiennes.



Après avoir décidé, le 27 juillet, sous la pression de minorités autochtones canadiennes, d’annuler les représentations prévues de la pièce Kanata, qui devait être donnée cet automne à la Cartoucherie de Vincennes, Ariane Mnouchchkine, directrice de la troupe du Théâtre du Soleil, et Robert Lepage, metteur en scène québécois de la pièce, ont fait le choix de maintenir leur spectacle, qui sera présenté en décembre.

Lire le récit :   Robert Lepage annule « Kanata »

Dans un communiqué publié le 5 septembre et titré « Le ressaisissement », les deux artistes disent « ne pas vouloir céder aux tentatives d’intimidations idéologiques ». La pièce évoque les persécutions subies par les Indiens et les Amérindiens, victimes d’un déni de leur culture. « Notre invisibilité dans l’espace public, sur la scène, ne nous aide pas. Et cette invisibilité, Madame Mnouchkine et Monsieur Lepage ne semblent pas en tenir compte, car aucun membre de nos nations ne fera partie de la pièce », avaient dénoncé, dans une tribune publiée le 14 juillet dans Le Devoir, un collectif d’artistes et d’intellectuels canadiens.

Ariane Mnouchkine et Robert Lepage ont changé le nom de la pièce pour sa présentation dans le cadre du Festival d’automne. Ils l’ont renommée Kanata – Episode I – La Controverse. Le Théâtre du Soleil n’a pas précisé si, comme prévu initialement, la pièce serait aussi présentée plus tard au Canada.

Sur le Web : www.theatre-du-soleil.fr

Communiqué publié mercredi 5 septembre par le Théâtre du Soleil
« Le ressaisissement »

« Après avoir, comme ils l’avaient annoncé dans leur communiqué du 27 juillet, pris le temps de réfléchir, d’analyser, d’interroger et de s’interroger, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil sont finalement arrivés à la conclusion que Kanata, le spectacle en cours de répétition, ne violait ni la loi du 29 juillet 1881 ni celle du 13 juillet 1990 ni les articles du Code pénal qui en découlent, en cela qu’il n’appelle ni à la haine, ni au sexisme, ni au racisme ni à l’antisémitisme ; qu’il ne fait l’apologie d’aucun crime de guerre ni ne conteste aucun crime contre l’humanité ; qu’il ne contient aucune expression outrageante, ni terme de mépris ni invective envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée.
Ne s’estimant assujetti qu’aux seules lois de la République votées par les représentants élus du peuple français et n’ayant pas, en l’occurrence, de raison de contester ces lois ou de revendiquer leur modification, n’étant donc pas obligé juridiquement ni surtout moralement de se soumettre à d’autres injonctions, même sincères, et encore moins de céder aux tentatives d’intimidation idéologique en forme d’articles culpabilisants, ou d’imprécations accusatrices, le plus souvent anonymes, sur les réseaux sociaux, le Théâtre du Soleil a décidé, en accord avec Robert Lepage, de poursuivre avec lui la création de leur spectacle et de le présenter au public aux dates prévues, sous le titre Kanata – Episode I — La Controverse.


Une fois le spectacle visible et jugeable, libre alors à ses détracteurs de le critiquer âprement et d’appeler à la sanction suprême, c’est-à-dire à la désertification de la salle. Tous les artistes savent qu’ils sont faillibles et que leurs insuffisances artistiques seront toujours sévèrement notées. Ils l’acceptent depuis des millénaires. Mais après un déluge de procès d’intention tous plus insultants les uns que les autres, ils ne peuvent ni ne doivent accepter de se plier au verdict d’un jury multitudineux et autoproclamé qui, refusant obstinément d’examiner la seule et unique pièce à conviction qui compte c’est-à-dire l’oeuvre elle-même, la déclare nocive, culturellement blasphématoire, dépossédante, captieuse, vandalisante, vorace, politiquement pathologique, avant même qu’elle soit née. Cela dit, et sans renoncer à la liberté de création, principe inaliénable, le Théâtre du Soleil s’emploiera sans relâche à tenter de tisser les liens indispensables de la confiance et de l’estime réciproques avec les représentants des artistes autochtones, d’où qu’ils soient, déjà rencontrés ou pas encore.


Artistes à qui nous adressons ici notre plus respectueux et espérant salut. »

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September 5, 2018 12:42 PM
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Malgré la polémique, “Kanata” sera bien joué par le Théâtre du Soleil

Malgré la polémique, “Kanata” sera bien joué par le Théâtre du Soleil | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Télérama -  05.09.2018

 

 

Dans un communiqué, Ariane Mnouchkine et sa troupe fustigent le procès d’intention fait au spectacle de Robert Lepage sur les peuples autochtones, accusé d’appropriation culturelle. Et explique sa décision de le jouer malgré tout.

Annulé en juillet par son metteur en scène, le Québécois Robert Lepage, le spectacle Kanata interprété par la troupe du Théâtre du Soleil sera finalement bien présenté à la Cartoucherie de Vincennes dans quelques mois. Dans un premier temps, la polémique avait eu raison du projet théatral de l’artiste : raconter l’histoire du Canada en évoquant l’oppression subie par les indiens et amérindiens peuplant le continent. Aucun acteur autochtone n’étant dans sa distribution, des intellectuels et artistes issus des Peuples Premiers du pays avaient alors vivement fustigé ce qui, pour eux, relève d’une « appropriation culturelle ».

Après quelques semaines d’une intense réflexion, la directrice du théâtre du Soleil et sa troupe viennent de faire une mise au point claire, nette et déterminée. Dans un communiqué que nous présentons ci-dessous dans son intégralité, Ariane Mnouckhine en appelle, rien de moins, aux lois de la République. Pas question, pour elle et les comédiens, qui ne sont coupables de rien sinon de faire leur travail d’artistes, de céder à l’intimidation et de se plier aux interdictions. Kanata, épisode I, la Controverse, spectacle modifié suite aux évènements récents apportera, sur la scène du théâtre, sa réponse au débat. Il se jouera à la Cartoucherie de Vincennes dans le cadre du Festival d’Automne, du 15 décembre au 17 février.

 

 

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Télérama reviendra en longueur sur ce dossier et sur la notion d’“appropriation culturelle” dans une édition prochaine. Voici le communiqué intégral du Théâtre du Soleil :

LE RESSAISISSEMENT

Après avoir, comme ils l'avaient annoncé dans leur communiqué du 27 juillet, pris le temps de réfléchir, d'analyser, d'interroger et de s'interroger, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil sont finalement arrivés à la conclusion que Kanata, le spectacle en cours de répétition, ne violait ni la loi du 29 juillet 1881 ni celle du 13 juillet 1990 ni les articles du Code pénal qui en découlent, en cela qu'il n'appelle ni à la haine, ni au sexisme, ni au racisme ni à l'antisémitisme ; qu'il ne fait l'apologie d'aucun crime de guerre ni ne conteste aucun crime contre l'humanité ; qu'il ne contient aucune expression outrageante, ni terme de mépris ni invective envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée.

Ne s'estimant assujetti qu'aux seules lois de la République votées par les représentants élus du peuple français et n'ayant pas, en l'occurrence, de raison de contester ces lois ou de revendiquer leur modification, n'étant donc pas obligé juridiquement ni surtout moralement de se soumettre à d'autres injonctions, même sincères, et encore moins de céder aux tentatives d'intimidation idéologique en forme d'articles culpabilisants, ou d'imprécations accusatrices, le plus souvent anonymes, sur les réseaux sociaux, le Théâtre du Soleil a décidé, en accord avec Robert Lepage, de poursuivre avec lui la création de leur spectacle et de le présenter au public aux dates prévues, sous le titre Kanata – Episode I — La Controverse.

Une fois le spectacle visible et jugeable, libre alors à ses détracteurs de le critiquer âprement et d'appeler à la sanction suprême, c'est-à-dire à la désertification de la salle. Tous les artistes savent qu'ils sont faillibles et que leurs insuffisances artistiques seront toujours sévèrement notées. Ils l'acceptent depuis des millénaires.

Mais après un déluge de procès d'intention tous plus insultants les uns que les autres, ils ne peuvent ni ne doivent accepter de se plier au verdict d'un jury multitudineux et autoproclamé qui, refusant obstinément d'examiner la seule et unique pièce à conviction qui compte c'est-à-dire l'œuvre elle-même, la déclare nocive, culturellement blasphématoire, dépossédante, captieuse, vandalisante, vorace, politiquement pathologique, avant même qu'elle soit née.

Cela dit, et sans renoncer à la liberté de création, principe inaliénable, le Théâtre du Soleil s'emploiera sans relâche à tenter de tisser les liens indispensables de la confiance et de l'estime réciproques avec les représentants des artistes autochtones, d'où qu'ils soient, déjà rencontrés ou pas encore. Artistes à qui nous adressons ici notre plus respectueux et espérant salut.

Le Théâtre du Soleil

 

 

Légende photo : 

Sébastien Brottet-Michel, Dominique Jambert et Robert-Lepage pendant les répétitions de Kanata.

Cartoucherie © Michèle Laurent

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