Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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December 12, 2017 3:44 AM
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Avec “Après la pluie”, la Comédie-Française plonge dans le monde de l'entreprise et ses absurdités

Avec “Après la pluie”, la Comédie-Française plonge dans le monde de l'entreprise et ses absurdités | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Patrick Sourd dans Les Inrocks



Quand les salariés se retrouvent en haut de la tour pour fumer, toutes les mesquineries éclatent au grand jour. Une comédie grinçante de Sergi Belbel que Lilo Baur tire vers un onirisme à la Buñuel.



Vision propre à provoquer le vertige, la sculpture qui couronne cette tour du quartier d’affaires représente la ville telle qu’on la découvre dans sa verticalité pour peu qu’on se penche à la rambarde bordant la terrasse du quarante-neuvième étage. Même si chaque employé est tenu de signer à son embauche un contrat qui l’engage à s’abstenir de fumer dans l’enceinte de l’entreprise, chacun transgresse l’interdit pour grimper sur cette plate-forme et s’en griller une, le nez au vent.


Avec Après la pluie (1993), l’auteur catalan Sergi Belbel anticipe sur l’ère de la prohibition tabagique pour se payer la tronche d’une tribu du tertiaire qui se pose en parangon du respect des règles et en championne du propre sur soi. Son organigramme décline le panel des secrétaires via un simple code couleur capillaire pour les désigner en brune, blonde, châtain et rousse.


Un Club des fumeurs planqués


Il se complète de deux représentants de l’exécutif, d’un programmateur et d’un coursier. Tous sont membres du Club des fumeurs planqués du dernier étage où, sous les effets conjugués de l’altitude et de la loi du marché, la parole se libère et la tige de huit se négocie à pas moins de 4,50 l’unité. 
Ici, on brasse de l’air vicié, Lilo Baur l’annonce avec humour dès le départ quand, en guise de trois coups, ce sont les pales d’un gros climatiseur installé sur la terrasse qui se mettent à tourner. En ce royaume des cimes, la vacuité des échanges n’a d’égal que la vulgarité crasse de leurs contenus. La pratique du harcèlement sexuel étant le ciment de cette fine équipe, pas besoin d’être chimiste pour analyser le carburant de cette comédie qui mêle à part égale la mesquinerie et l’insulte, la misogynie et l’homophobie.


Une troupe du Français au plaisir jubilatoire


Tandis que les actrices et acteurs de la troupe du Français prennent un malin plaisir à rendre leurs personnages tous plus détestables les uns que les autres, la metteure en scène travaille en finesse les enjeux d’un texte qui déborde le cadre boulevardier d’une critique pour faire rire. L’absence de pluie, le crash d’un hélicoptère à proximité sont autant de signes qui transforment la banalité de leur situation en menace d’un enfermement qui ne dirait pas son nom.


Faisant de cette terrasse un piège avec vues, elle nous rappelle l’énigme de cet autre huis clos qu’avait imaginé Luis Buñuel dans L’Ange exterminateur (1962). Quand la pluie tombe enfin et oblige ce petit monde à se replier dans le bâtiment, on les sait condamnés à un enfer dont ils ne pourront jamais sortir.



Après la pluie de Sergi Belbel, mise en scène Lilo Baur, avec Véronique Vella, Cécile Brune, Alexandre Pavloff, Clotilde de Bayser, Nâzim Boudjena, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Rebecca Marder, jusqu’au 7 janvier, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VIe

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December 3, 2017 5:23 PM
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« En France, le monde de la culture n’a pas eu son affaire Weinstein »

« En France, le monde de la culture n’a pas eu son affaire Weinstein » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Chronique de Michel Guerrin dans Le Monde. 


Le scandale Harvey Weinstein a explosé à la face du monde il y a près de deux mois, et – pour l’instant – la France culturelle n’est pas éclaboussée. Pas de vague. Aucun grand créateur dénoncé. Pas de Kevin Spacey, écarté de la série House of Cards et effacé du prochain film de Ridley Scott. Pas de John Lasseter, génial créateur de films d’animation, mis en congé par Disney. Pas de Louis C. K., star du stand-up, accusé par cinq femmes.

Pas d’équivalent non plus avec la Suède, où des milliers de musiciennes, de chanteuses d’opéra et de comédiennes ont dénoncé des agressions. Rien de similaire même avec ce qu’on a pu voir dans d’autres pays, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Espagne.

Lire aussi :   Enquête sur un système de violences sexistes au sein du syndicat étudiant UNEF  http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/11/28/a-l-unef-revelations-sur-un-systeme-de-predation-sexuelle-generalise_5221306_3224.html

En France, des actrices comme Léa Seydoux ou Juliette Binoche ont parlé, mais surtout dans le contexte Weinstein – pas de ce qui se passe en France. D’autres, comme Isabelle Adjani, ont livré leur témoignage, mais sans donner de noms. En France, les scandales concernent le syndicat étudiant UNEF, la politique, la télévision. Il y est surtout question d’un sexisme généralisé, comme le montre le hashtag #balancetonporc. Mais, dans la culture, rien ou presque n’est sorti.

Or il n’y a pas de raisons. Ou plutôt, il y a des raisons pour que ce secteur soit « l’essence même » du harcèlement et des abus sexuels. C’est la conviction de Julien Viteau, du cabinet Altidem, qui, depuis dix ans, accompagne institutions et entreprises culturelles dans leur lutte contre les discriminations. Ce dernier liste de multiples explications, liées aux us et coutumes des métiers culturels.

Lieux de proximité

Le fait est que la création s’invente dans des lieux de proximité physique, souvent confinés, comme un atelier, une loge, une salle de répétition ou de montage, un appartement, une école. Des lieux à l’opposé du bureau. Il n’y a pas dans la culture de ligne blanche entre travail et vie privée, ajoute Julien Viteau. On boit un verre tard le soir ou dans la nuit, après une répétition, un montage de film, l’accrochage d’une exposition. On travaille lors d’une fête, un dîner, un after.

Julien Viteau pointe encore le nombre important d’emplois fragiles – intermittentes, assistantes, stagiaires, étudiantes – souvent en concurrence, ce qui favorise la dépendance de la femme par rapport au décideur. Elle est souvent seule, avec rarement des syndicats pour la défendre.

Et, bien sûr, la culture, termine Julien Viteau, pose la question de la séduction. « Pour obtenir un rôle ou un poste, il faut susciter le désir, et c’est normal. Une jeune photographe, musicienne ou comédienne doit donner envie. Mais la frontière entre désir et abus est vite cassée, d’autant que le créateur, au nom de son art et de la transgression, se croit intouchable. »

Tous ces points sont exacerbés par un autre, explique Julien Viteau. Dans la culture, le pouvoir appartient de manière écrasante aux hommes, qui s’exerce sur beaucoup de femmes. « C’est le terrain de harcèlement idéal. Le créateur ou enseignant devient mentor, qui fait et défait les carrières. C’est vrai dans le cinéma, le théâtre, la musique, les écoles d’art, les jurys, partout… » Deux études récentes et croisées le confirment, celle du ministère de la culture, sous le titre « Observatoire de l’égalité entre hommes et femmes », et celle de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) qui présente un bilan 2012-2017 au titre limpide : « Où sont les femmes ? Toujours pas là. »

Discrimination

Les chiffres sont accablants. Il y a 52 % d’étudiantes dans le monde large du spectacle. Mais ensuite, 2 % de compositrices, 6 % de cheffes d’orchestre, 29 % de solistes instrumentistes, 27 % de metteuses en scène. Et puis seulement 12 % de femmes à la tête des théâtres nationaux, 18 % pour les centres chorégraphiques, 11 % des maisons d’opéra, 20 % des centres dramatiques, 28 % des scènes nationales. Les rares femmes sont nommées directrices dans les lieux culturels où la subvention est la plus faible (et sont moins payées que leurs homologues hommes). Les réalisatrices de films sortis en salles ? 14 % en 2015.

Cette discrimination est débattue depuis une bonne dizaine d’années – seul le secteur des arts plastiques va plutôt dans le bon sens. Deux anciennes ministres, Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin, ont utilisé l’arme de la nomination pour corriger le problème.

L’actuelle ministre, Françoise Nyssen, qui a incité des étudiantes en art à parler, se dit très concernée par la question. Mais la réalité, pour l’instant, est que les femmes sont dominantes pour apprendre dans une école artistique (avec souvent un homme face à elles), puis jugées inaptes à diriger. Pourquoi ? De vieux réflexes sont en jeu.


Paradoxe

Déjà, nombre d’acteurs culturels ne jugent pas la discrimination comme un délit mais comme la conséquence de choix fondés sur la compétence – un principe très ancré dans la culture. L’acteur Philippe Caubère, en 2013, a dit haut ce que beaucoup pensent tout bas : « La parité n’a plus aucun sens dès qu’il s’agit d’art. » Et puis l’homme culturel, plus que dans le reste de la société, est souvent choisi parce qu’il est une grande gueule bourrée de certitudes et d’autorité, qui a réponse à tout même quand il ne sait pas.

D’où ce paradoxe : la culture se veut tolérante, ouverte d’esprit, à l’avant-garde sur les questions de société, elle est pleine de bons sentiments dans les œuvres, mais dans son organisation sociale et ses lieux de décision, elle est plus macho qu’ailleurs.

Avec un tel paysage, on peut comprendre que beaucoup de jeunes comédiennes ou autres se taisent. Peur pour leur carrière. Peur de passer pour coincées dans un milieu qui passe pour ne pas l’être. Beaucoup disent aussi leur gêne à jeter des noms en pâture. Alors elles se « débrouillent », selon la formule de Christine Angot. Pour finir, un conseil : lisez ce post de blog d’Agathe Charnet, abrité par Le Monde.fr, et intitulé « Tu prends combien ? ». Vous aurez une idée du problème. http://sco.lt/6FSGW1



Michel Guerrin

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November 12, 2017 5:25 AM
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Marie‑Ève Milot dans Les barbelés d'Annick Lefebvre

Marie‑Ève Milot dans Les barbelés d'Annick Lefebvre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Vincent Bouquet dans Sceneweb

Performance coup-de-poing, Les Barbelés signe l’arrivée en force des Québécois à La Colline. Contre le mutisme généralisé, le seul en scène de Marie-Ève Milot fait d’intimes ravages.

A l’heure où la parole des femmes victimes de harcèlement sexuel tend à se libérer grâce au mouvement #balancetonporc, Les Barbelés voit plus loin. Dans une société où la discrétion est de mise, où ne pas faire de vagues ni de bruit est socialement exigé, il fait partie de ces spectacles qui dérangent, brouillent les certitudes, brisent les codes imperceptibles. Armée de sa plume franche et directe, Annick Lefebvre entend faire vaciller l’un des tabous les plus répandus, celui du silence coupable.

Contre l’adage populaire « La parole est d’argent et le silence est d’or », elle oppose un théâtre de l’urgence. Urgence d’écrire pour elle, mais surtout urgence de dire pour cette femme qui se sait condamnée, rongée par un mal auquel elle ne croyait pas, ou plutôt ne voulait pas croire. A l’intérieur de son corps, poussent des barbelés. A chaque fois qu’elle s’est tue pour des broutilles, par convention, devant l’inacceptable ou par héritage, ces fils de fer acérés ont progressé et étendu leur nid sournois. Aujourd’hui, sa gorge est prise. Il ne lui reste plus qu’une heure avant que sa bouche ne soit définitivement cousue.

Cette métaphore trash, la dramaturge québécoise la file au long d’une pièce coup-de-poing, où la parole de la condamnée se libère. Seule en scène, Marie-Ève Milot la transforme en claque théâtrale. Raide dans ses mots, raide dans son corps, elle échappe à l’écueil logorrhéique en occupant tout l’espace scénique, cette cuisine bien tenue qui va se transformer en champ de ruines. Pour partager son mal et étendre le domaine de la provocation, elle cherche les spectateurs jusqu’au fond des pupilles et ne laisse personne se défiler. En même temps que le quatrième mur, elle fait voler en éclats la bienséance et balance par-dessus bord cette société aseptisée, gangrenée par un mutisme généralisé. Jusqu’à ce que les barbelés enserrent le public, que les mots prononcés le prennent à la gorge.

La performance est d’autant plus percutante qu’elle met en scène une femme qui n’a apparemment rien à se reprocher. Bonne mère de famille, fière citoyenne, elle n’est coupable d’aucun crime, ce qui rend son calvaire encore plus universel et insupportable. Elle qui mange du chou kale, s’indigne sur Facebook, signe des pétitions en ligne, aide une famille syrienne à s’installer au Québec dresse en creux le portrait d’une société où les indignations sont éphémères, les engagements en demi-teinte, les rencontres de principe. Épaulée par la discrète mais efficace mise en scène d’Alexia Bürger, Marie-Ève Milot diffuse un climat anxiogène qui se borne à poser des questions sans proposer de solutions.

Sous le choc de la scène finale, on ressort des Barbelés intimement secoué, profondément interrogatif aussi. Impossible de ne pas se remémorer toutes ces fois où l’on s’est tu, tous ces moments où l’on a préféré le confort du silence à l’impertinence de la parole, tous ces instants où l’on s’est lancé dans des dénonciations sans conséquence. Et une question s’invite alors de manière obsédante : à quel point les barbelés ont-ils déjà grandi en nous ?

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Les barbelés
texte Annick Lefebvre
mise en scène Alexia Bürger
avec
Marie‑Ève Milot
dramaturgie
Sara Dion
assistanat à la mise en scène
Stéphanie Capistran-Lalonde
scénographie et costumes
Geneviève Lizotte assistée de Carol-Ann Bourgon Sicard
lumières
Martin Labrecque
musique
Nancy Tobin
conseils aux mouvements
Anne Thériault
effets spéciaux
Olivier Proulx
Durée: 1h15

création à La Colline
du 8 Novembre au 2 Décembre 2017
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
spectacle en québécois non surtitré en français
Petit Théâtre

photo Simon Gosselin

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October 29, 2017 5:20 AM
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Karin Viard : « J’ai passé ma jeunesse en maison de retraite »

Karin Viard : « J’ai passé ma jeunesse en maison de retraite » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Pascale Krémer dans Le Monde


L’actrice aux deux Césars occupe le premier rôle de « Jalouse », un film de David et Stéphane Foenkinos, en salle le 8 novembre. Elle s’est confiée à « La Matinale du Monde ».



Je ne serais pas arrivée là si…

… si je n’avais pas été élevée par mes grands-parents. J’ai été aimée mais peu éduquée. J’ai grandi un peu de façon sauvage. Cela m’a donné une incroyable liberté d’être moi-même, et un certain franc-parler. Je n’étais pas pourrie gâtée, parce que je vivais au quotidien avec eux, mais disons qu’ils n’avaient pas les mêmes rêves, les mêmes projections, les mêmes exigences que des parents envers leurs enfants. Il n’y avait pas non plus de tensions relationnelles. Ils étaient vieux, j’étais petite, il fallait bien qu’on trouve le moyen de fonctionner ensemble.

Comment vous retrouvez-vous confiée à eux ?

Je vivais à Oran avec mes parents et ma sœur aînée. Mon père travaillait sur une plate-forme pétrolière. Je me souviens des odeurs, des oranges dans les arbres dans la rue, de la mer, du ciel bleu, de la crasse aussi… Mais le couple explose, ma mère rentre chez ses parents, à Rouen, avec ses deux filles. Elle s’y morfond. Elle avait quitté tout ça, elle s’était mariée jeune, avait voyagé. A ce moment-là, elle subit une agression et ma grand-mère, qui avait une personnalité très forte, lui dit : « Va te requinquer un peu, moi je garde tes deux filles. »

Ma mère était une très belle femme, elle l’est toujours. Elle part travailler à la boutique du Club Med de Djerba. Elle redécouvre une source d’amusement, d’insouciance énorme. On est en 1971, j’ai 5 ans. Pour moi, tout ça est très déstabilisant. Avec mon père, ça ne marche pas, on n’a pas tricoté de liens. Et je vois qu’avec mes deux vieux, là, il y a un truc très solide, qui ne va pas péter tout de suite. C’est juste la mort qui pourrait nous séparer. D’ailleurs, j’ai toujours peur, je les vois super vieux, j’ai l’impression qu’ils peuvent mourir dans la seconde. Mais ils ont la gentillesse de mourir très vieux, à 96 et 102 ans. Alors je m’agrippe à cette stabilité. Et mes grands-parents y trouvent leur compte. J’ai quand même un peu été leur chien d’aveugle. Je leur ai redonné goût à la vie. C’était une situation provisoire qui est devenue définitive, mais dont personne ne parlait. On a passé sous silence des choses qu’aujourd’hui on expliquerait.

A quoi a ressemblé cette enfance auprès de personnes âgées ?

J’ai vécu en sous-rythme pendant toute ma jeunesse. Ma sœur était plus grande de huit ans, elle est vite partie en pension. Je suis restée seule avec eux. J’étais comme un lion en cage. C’était la maison de retraite. On habitait une résidence à Bois-Guillaume, à côté de Rouen, avec les vaches sous les fenêtres. On dînait à 18 heures, 18 h 45 l’été, on avait chacun notre place dans le salon pour regarder la télé – moi j’avais le canapé. Je voyais arriver le dimanche avec angoisse. J’ai regardé Jacques Martin pendant des années, du midi au soir. Pour quelqu’un comme moi, qui a une énergie folle, un voile d’hyperactivité, ce n’était pas fastoche. Mais on était liés par un amour assez extraordinaire. On s’est rencontrés tous les trois. Mes grands-parents sont mes parents.

Mais bon, je ne suis qu’avec des vieux, moi. Les voisins viennent pour un petit goûter, ça fait des soirées diapo, on regarde les opéras, les opérettes à la télé, Luis Mariano, Annie Cordy, les films de cape et d’épée, Maritie et Gilbert Carpentier. On va voir des opérettes à la jumelle au théâtre de la ville… C’est ça, ma culture. J’ai eu le téléphone à 14 ans. Sinon, ma mère appelait chez la voisine, on y était tel jour à telle heure. J’avais un bain et un lavage de cheveux par semaine, dans un fond d’eau, moi en premier, puis la grand-mère et le grand-père. Sinon, c’était toilette de chat au bidet. Dès que j’avais un pet de travers, j’avais droit aux purges, ventouses, cataplasmes, à la pâte de soufre au miel. Je coupais les ongles de ma grand-mère, qui se mettait toute nue devant moi. Pendant très longtemps, j’ai eu un rapport très utilitaire au corps.

Contrairement à votre sœur, vous ne vous êtes pas rebellée ?

Je ne savais même pas que c’était possible. En plus, je m’entendais hyper bien avec eux, je rigolais beaucoup, ils étaient très originaux. Lui avait été tapissier-décorateur. Je vivais dans un décor incroyable, kitchissime, entre loge de concierge et décor d’opérette. Déjà, sur le palier, au dernier étage, il avait mis un poster de bobby anglais grandeur nature qu’il avait entouré d’une guérite avec une hallebarde, et surmontée d’un aigle napoléonien doré. Pour entrer, on frappait avec un pommeau. L’entrée, c’était une tente napoléonienne ! Et ce décor de théâtre s’étendait à toutes les pièces. Mais je ne le voyais pas. Il a fallu le regard des amis venus à l’enterrement de ma grand-mère pour que je m’en rende compte.

L’école vous change d’ambiance ?

J’adore l’école parce que c’est l’endroit où il y a des gosses de mon âge. Je développe un truc de drôlerie. C’est une bonne façon de m’intégrer. J’ai un gros décalage, quand même ! Comme j’ai besoin de l’autre, je suis très sociable, populaire comme on dit aujourd’hui. En même temps, je suis un peu la « bolosse » parce que je suis habillée comme une fille de vieux, avec les cols Claudine, les pulls qui grattent… A l’adolescence, ce sont les copines qui font mon éducation, qui me montrent les films américains indépendants, me font connaître Truffaut.

C’est de là que vient l’idée de jouer la comédie ?

A l’adolescence, je dis que je veux faire du théâtre. Je vois comme un signe prémonitoire le fait que ma chambre soit tapissée avec les chutes de moquette rouge du théâtre de la ville, dans lequel mon grand-père a travaillé. Et puis j’ai un choc artistique en voyant Notre-Dame de Paris avec Anthony Quinn en bossu, à la télé. Quand il hurle sur les toits, avec cette apparence monstrueuse qui fait qu’il n’est pas regardé, il explose les murs de l’appartement ! Le ciel s’ouvre ! Evidemment, pendant ces années d’ennui, je m’inventais beaucoup d’histoires, mais lui enclenche la machine à fantasmes. Je veux faire comme lui, pas comme les jolies potiches des films. Je me reconnais dans cet homme, je veux donner cette émotion.

Ma voie est tracée. Je joue Agnès dans L’Ecole des femmes, au Club Med, quand je vais voir ma mère. Je suis prise sur dérogation au conservatoire de Rouen, avant l’âge. A 17 ans, juste après le bac, je débarque à Paris. Mes grands-parents m’ont acheté un petit studio pour que je sache où dormir. Je viens officiellement pour faire LEA (langues étrangères appliquées) à la fac. Je ne leur ai pas dit qu’il y avait la même chose à Rouen.

Vous suivez plusieurs cours de théâtre mais les débuts sont difficiles…

Oui, je tâtonne, ça ne démarre pas facilement. Mes grands-parents subviennent à mes besoins mais j’ai des petits boulots de tout ce que je peux. Je fais de la prospection téléphonique pour le RPR, des réunions de consommateurs, je teste des médicaments, je travaille au Burger King, je suis vendeuse aux Galeries Lafayette en petite maroquinerie. Qu’est-ce que je m’ennuie, là-bas ! Sauf à Noël. Avec ma collègue, on jette des paquets cadeaux vides aux pieds des gens pour observer leurs réactions. Certains poussent le cadeau du pied jusqu’à la sortie, on pleure de rire.

Finalement, il me faut sept ans entre l’arrivée à Paris et le premier film. Ce n’est pas tant que ça. Je suis quand même la godiche qui débarque à Paris, je n’ai pas le physique, pas le mode d’emploi, pas de relations. J’ai un rapport au corps uniquement organique. Aucune conscience de moi-même, de la féminité. Je suis une énergie folle, un bulldozer. Et j’ai des désordres alimentaires énormes, je suis boulimique. Comme je n’arrive pas à me faire vomir, je suis grosse. Pas simple quand on veut être comédienne…

Je vis des humiliations terribles. Je joue dans une pièce un peu underground. A un moment donné, je suis nue. Une critique écrit « Spectacle intéressant, on ne regrettera que la présence d’une jeune actrice, Karine Viard », et elle termine par : « La mise en scène devrait faire l’économie de la cellulite. » J’en pleure, c’est d’une violence ! Personne ne croit en moi. Ma grand-mère me dit : « Je t’en supplie, arrête, deviens institutrice, tu feras du théâtre pendant les vacances. » Mais moi je crois en moi-même. Et l’intermittence vient me soutenir. Je suis devenue l’actrice que je suis grâce à ce statut d’intermittent, dont personne n’a envie de profiter. Tout le monde préfère travailler tout le temps.

Comment sortez-vous de ces troubles alimentaires ?

Je rencontre celui qui a été mon compagnon pendant vingt-cinq ans. Il me conseille de consulter. Vu là d’où je viens, ce n’est pas évident… Et je suis sauvée par ma psy. Cette femme-là me fait naître une deuxième fois, me permet d’être en couple, d’avoir des enfants. Avec elle, je comprends que je tapisse de nourriture les émotions que je ne verbalise pas. Je me sens coupable de ressentir un vide, une carence affective. Mes grands-parents m’ont tellement aimée, de quoi je me plains ? J’ai si peu d’estime de moi que je ne me donne même pas le droit de me sentir abandonnée. Je trouve des circonstances atténuantes à mes parents. Reconnaître l’abandon m’a pris vingt ans.

En 1989, vous faites vos premières apparitions à l’écran aux côtés du commissaire Maigret…

J’ai le parcours de la jeune actrice, un second rôle dans un téléfilm, puis un autre. Finalement, ce qui me sort réellement les fesses des ronces, c’est qu’à deux mois d’intervalle, je tourne dans deux films sur lesquels il y a un coup de projecteur : Tatie Danielle et Delicatessen. A partir de là, je dois dire que je n’ai plus jamais ramé. C’est quand même un facteur chance énorme ! A 27 ans, j’ai un premier rôle dans La Nage indienne, de Xavier Durringer. C’est parti. Je ne suis pas spécialement jolie mais la nouvelle génération de réalisateurs peut se reconnaître en moi. Ils se servent de ma personnalité.

Vous recevez le César de la meilleure actrice en 2000, pour « Haut les cœurs ! » (de Solveig Anspach), puis celui du meilleur second rôle en 2003, pour « Embrassez qui vous voudrez » (de Michel Blanc). C’est une période d’euphorie ?

Ma grand-mère, qui est encore en vie, me dit : « Tu n’es quand même pas Christine Lemler… » C’est l’actrice de Sous le soleil, elle vient de la région, elle a des articles longs comme le bras dans Paris-Normandie. Ça me fait rire ! Mais ma grand-mère est quand même très contente de ma réussite.

Tout en même temps, je construis mon couple, je suis regardée et aimée par un homme, ce qui ne me paraissait pas forcément possible. Je deviens mère et c’est une espèce de révélation qui donne sens à ma vie. D’un coup, je me sens inscrite dans une lignée. Avec mes enfants, je peux retricoter mon enfance, qui n’a pas été que marrante.

Vous tournez à la fois dans le cinéma populaire et les films d’auteurs, vous incarnez des rôles dramatiques aussi bien que comiques… Que préférez-vous, en fait ?

Je suis tout ça à la fois. Je déteste les clans, les familles d’acteurs, le prêt-à-penser, la phrase « ça ne se fait pas », répondre à l’injonction d’un groupe… Je ne supporte pas bien la contrainte. Je ne peux pas obéir. J’aime surprendre, évoluer dans des univers différents, côtoyer des réalisateurs diamétralement opposés. Je me vis dans ce métier comme un électron libre.

Mon enfance m’a donné une liberté de penser que je rencontre rarement. Elle me pose aussi des problèmes. Je suis un peu sans filtre. J’apprends encore aujourd’hui à être plus polie… Si tout le monde était comme moi dans la société, ce serait très difficile. J’ai une grande sauvagerie en moi, même si je suis hypersociable.

Le cinéma était particulièrement adapté à ce tempérament ?

C’est le lieu de mon épanouissement absolu. Un travail qui me permet de m’interroger sur moi-même, de me modifier, m’améliorer. Et puis au cinéma, on est très chouchouté, on vous demande si vous avez faim, froid, soif… Moi qui aie été peu choyée pendant l’enfance, j’adore ça. Le travail reste âpre. On joue des choses difficiles qui nous grignotent de temps en temps. Parfois, je me lève le matin, je sais que toute la journée je vais tourner une scène d’amour, toute nue avec un partenaire que je n’aime pas… Ou que je dois pleurer à 8 h 30 alors que je me sens sèche à l’intérieur… Il faut avoir la grâce, la disponibilité, et on ne l’a pas toujours. Il faut donc faire avec, et être suffisamment indulgent envers soi-même.

La cinquantaine venue, une actrice se voit-elle proposer moins de rôles ?

Pour l’instant, je n’ai pas à me plaindre, même s’il n’y a pas longtemps encore, on m’a proposé un rôle de femme enceinte. Franchement, ça fait pitié, comme disent les gosses ! Je vis un moment particulier, les enfants prennent leur envol, je cherche à me réinventer. J’aime si profondément mon métier que j’ai peur de vivoter après avoir connu des plaisirs fous. J’ai peur de passer les dimanches de mon enfance, de jouer la mère du héros pendant trois jours sur un tournage.

Dans « Jalouse », de David et Stéphane Foenkinos, qui sort le 8 novembre, vous interprétez justement le rôle d’une quinquagénaire en plein désarroi, au point de devenir malveillante envers sa fille…

Le scénario est brillant. On la voit très perdue, pulsionnelle, elle ne comprend pas le monde qui l’entoure. Sous couvert de comédie, ce film raconte d’autres choses. Et moi j’aime y aller à fond, assumer et donner un corps à cette malveillance, jouer l’ambivalence, ce qui, pour le coup, est vraiment mon fonds de commerce. J’adore ce genre de personnages, audacieux, peu conventionnels. Sans filtre.

Quel regard portez-vous sur la libération de la parole en cours quant au harcèlement sexuel ? Avez-vous été confrontée à de tels agissements ?

Pas dans le cinéma. D’ailleurs, je ne peux pas laisser dire que ce milieu s’y prête particulièrement. Je connais beaucoup d’actrices qui n’y ont jamais été confrontées. Tous les milieux professionnels sont concernés, c’est une affaire de position de pouvoir, ça assoit un pouvoir. Mais si on me l’avait demandé, j’aurais fait comme les autres, je serais allée au rendez-vous à l’hôtel. C’est facile de dire : « Tu vas dans une chambre d’hôtel alors ne viens pas chialer si on te met une main au cul… ».

Les femmes ont cette petite voix qui leur dit de ne pas y aller, que ce n’est pas normal, mais le harceleur les rassure, c’est là que se passent tous ses rendez-vous, et son assistante confirme. C’est son fonctionnement, il place la femme dans une position qui la fragilise, qui la fige.

Jeune, j’ai beaucoup été harcelée dans la rue, en arrivant à Paris. C’était extrêmement pénible. je pensais que c’était normal. Cette libération de la parole est une bonne chose, même si je suis un peu gênée par la délation, les comptes qui se règlent sur Internet. Je pense qu’il y aura un avant et un après. Ça va permettre aux hommes de réaliser que leur attitude n’est pas perçue comme flatteuse par les femmes, et aux femmes de réaliser qu’elles méritent mieux. Maintenant, les hommes vont être aux côtés des femmes, j’en suis tout à fait sûre.

Propos recueillis par Pascale Krémer

« Jalouse » de David Foenkinos et Stéphane Foenkinos, sort le 8 novembre sur les écrans.

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August 12, 2015 2:31 PM
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La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes

La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes | Revue de presse théâtre | Scoop.it
La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes : La place des femmes dans l'art et la culture : le temps est venu de passer aux actes

 

C. LES AUDITIONS ONT MIS AU JOUR UNE PRATIQUE SCANDALEUSE APPAREMMENT GÉNÉRALISÉE : LA BANALISATION DES COMPORTEMENTS SEXISTES DANS LES ÉCOLES D'ART

Reine Prat, entendue par la délégation dès le début des travaux du présent rapport, nous avait alertés en ces termes : « dans les écoles d'art, pour le dire schématiquement, des générations de « Lolitas » travaillent sous l'égide de mentors qui sont le plus souvent des hommes, le plus souvent d'un certain âge ». Elle avait donc estimé légitime de se demander quel rapport cela engendre et quelles dérives portent ce genre de déséquilibres.

 

Les auditions ultérieures ont confirmé l'existence d'un véritable fléau, commun à l'ensemble des écoles d'art, et révélé un phénomène d'une ampleur apparemment généralisée et, ce qui apparaît plus grave aux yeux de la délégation, relativement banalisé dans le milieu.

 

Giovanna Zapperi15(*) précisait que l'éventail des comportements sexistes est large, allant de l'insulte sexiste ou homophobe jusqu'au harcèlement sexuel, véritable fléau qui sévit dans l'enseignement artistique.

 

Si, à l'heure actuelle, 60 % des étudiants en écoles d'art sont des femmes, la grande majorité des directeurs et des professeurs sont des hommes.

 

Ainsi, sur les 74 directeurs d'écoles supérieures d'art, de design, d'art dramatique, de cinéma et du patrimoine signataires de la tribune publiée dans Libération, intitulée « Les écoles d'art doivent garder leur singularité »16(*), on compte moins de 10 femmes...

 

Or, la proximité entre l'enseignant et l'étudiant peut déboucher sur une relation asymétrique dans laquelle l'étudiant est confronté à l'arbitraire de la part de l'enseignant.

 

Les étudiantes témoignent ainsi devoir constamment se battre contre des propos déplacés, des sous-entendus sexuels ou des comportements ambigus, tel celui d'un enseignant qui ferme la porte à clef pendant un entretien.

 

Quant aux relations sexuelles entre professeurs et étudiantes, elles sont banalisées et tolérées par l'institution quelle que soit la nature de cette relation, a précisé Giovanna Zapperi : recours au sexe comme monnaie d'échange, relation occasionnelle consentie ou relations d'ordre sentimental, celles-ci existant aussi...

 

Mais le plus grave aux yeux de la délégation est que le sujet reste tabou au sein de l'institution, rendant impossible toute discussion sereine sur ces comportements.

 

Pour Giovanna Zapperi, l'omerta sur le sujet résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : la sous-représentation des femmes dans le corps enseignant et aux postes de direction des établissements d'enseignement artistique ainsi que l'absence d'une réflexion approfondie sur la pédagogie.

 

Il ne reste donc aux étudiants d'autre alternative que de procéder à des interventions d'action directe pour « donner l'alerte » et faire cesser les agissements.

 

C'est ainsi qu'à l'École nationale supérieure d'Art de Bourges, les étudiants ont recouvert les couloirs de l'école de confettis roses comportant des insultes à caractère sexuel puis ont fait retentir l'alarme anti-incendie obligeant l'ensemble des personnes présentes dans l'établissement à rejoindre la cour pour y entendre une voix ambivalente proférer, par le truchement d'un haut-parleur, les mêmes insultes que celles qui étaient inscrites sur les confettis.

Il s'agissait, bien sûr, d'une intervention artistique et symbolique forte : dénoncer, donner l'alerte.

 

Par la suite, les étudiants s'en sont expliqué dans une lettre ouverte signifiant qu'ils voulaient réagir à une série de propos sexistes tenus par des enseignants à l'encontre de certains élèves et rendre public un malaise jusqu'alors caché. Ils ajoutaient qu'un problème latent existe dans les écoles d'art en France : la normalisation d'attitudes, remarques et propos sexistes et homophobes de la part de personnes auxquelles leur statut d'enseignant confère le pouvoir de briser ou de promouvoir la carrière de leurs étudiants.

 

Il a donc fallu ce choc salutaire au sein de l'établissement pour qu'émerge une véritable prise de conscience de l'existence de ces comportements sexistes et que les enseignants et la direction en débattent.

A l'École d'art d'Avignon, un an de conflit entre une partie des étudiants et le directeur a finalement abouti à la suspension de ce dernier le 18 septembre 2012, après qu'un syndicat ait relayé les accusations de harcèlement sexuel et moral portées contre lui.

 

Mais à côté de ces quelques cas, pour lesquels les étudiants ont trouvé le courage de sortir du silence et de procéder au blocage des enseignements, combien d'étudiants et d'étudiantes n'osent pas parler ? Une simple recherche sur les documents officiels et les sites internet des écoles d'art montre une volonté farouche d'ignorer le sujet.

La délégation estime cette situation inacceptable et considère qu'il est urgent d'agir pour faire cesser ces agissements.

 

Premièrement, la délégation demande aux services compétents du ministère d'engager une réflexion approfondie, avec l'ensemble des professionnels du secteur (directeurs des écoles, enseignants et représentants des étudiants) qui permette de faire remonter les problèmes, sans attendre une multiplication d'actions directes venant d'étudiants exaspérés et de proposer une charte de déontologie professionnelle sur ce sujet qui serait distribuée à tous les étudiants dès le début de leur scolarité.

Parallèlement, il est urgent de promouvoir une meilleure représentation des femmes au sein de la direction et du corps enseignant de ces établissements. Comme pour l'ensemble des autres institutions, la délégation demande de respecter l'objectif du tiers du sexe le moins représenté pour les nominations de directeurs et le recrutement des enseignants.

Pour faire cesser l'omerta, la délégation demande de généraliser dans toutes les écoles de formation (écoles de journalisme, écoles d'interprètes, écoles d'arts) des modules dédiés à la question du genre qui incluront une sensibilisation à la question du harcèlement sexuel et des comportements sexistes.

 

Enfin, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, la délégation a déjà formulé un certain nombre de recommandations visant à lutter contre les comportements et les pratiques de harcèlement dans l'enseignement supérieur en général, et dans les écoles supérieur d'art en particulier, tendant notamment à demander le « dépaysement » de l'examen en section disciplinaire des cas de harcèlement sexuel.

 

Nous les reprendrons ici, pour renforcer notre volonté de combattre efficacement ces comportements que nous jugeons inacceptables.

* 15 Giovanna Zapperi, professeure d'histoire et de théorie de l'art à l'École nationale supérieure d'Art de Bourges, chercheur associé au Centre d'histoire et de théorie des arts de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auditionnée par la délégation le 11 avril 2013.

* 16 Publiée le 24 janvier 2013.


 
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December 4, 2017 3:04 PM
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« Jamais il ne faut minimiser l’emprise d’un adulte sur un enfant »

« Jamais il ne faut minimiser l’emprise d’un adulte sur un enfant » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Charlotte Herzog dans Le Monde  -  04.12.2017


La comédienne et danseuse Andréa Bescond témoigne des viols qu’elle a subis enfant, et explique comment son spectacle l’aide dans son combat pour la reconnaissance de l’amnésie traumatique.


Andréa Bescond, comédienne et auteure de la pièce de théâtre Les Chatouilles ou la Danse de la colère, qui se joue depuis le début de 2016 et sera adaptée au cinéma pour la rentrée 2018, raconte les ravages des viols qu’elle a subis enfant. De l’amnésie traumatique à la descente aux enfers, elle a pourtant réussi à enclencher un processus de reconstruction, dont témoignent son spectacle et ses combats. Entretien.

Quelles violences avez-vous subies lorsque vous étiez enfant ?

Andréa Bescond : C’était un violeur de petites filles. A moi, il me disait : « Viens, on va dans la salle de bain », pendant que la fête entre amis avait lieu en bas. Il m’est arrivé aussi de partir en week-end avec sa famille, il me violait dans la même chambre que ses fils. Au petit matin. Ça devait être une poussée d’adrénaline pour lui, de faire ça alors qu’on n’était pas tout seuls.

Il l’a aussi fait l’année où mon frère était là. J’étais sidérée qu’il fasse ça devant lui. Je ne pouvais pas crier. Et je m’en voulais. C’est là où l’on minimise le pouvoir d’un adulte sur un enfant. Je regardais mon frère dormir, pendant qu’il me violait. J’avais 9 ans cette fois-ci. C’était pour le nouvel an 1988-1989.

C’était aussi un entraîneur de sport dans une association de la ville, et surtout un ami de la famille. Des années après le procès, mon père, terrorisé, est allé voir le président de l’association : « Il avait un comportement douteux mais on ne peut pas l’accuser à tort, on le surveillait… », lui avait-il répondu. Comment ne pas dénoncer aujourd’hui la culture de la complicité ? Moi je crois de toutes mes forces que dénoncer un adulte déviant est un devoir citoyen. Jamais il ne faut minimiser l’emprise d’un adulte sur un enfant. Jamais.

Dans votre pièce, Odette, le personnage qui incarne la petite fille que vous étiez, a occulté les faits pendant des années. A quel moment vos souvenirs ont-ils ressurgi ?

Mon parcours est spécial. J’ai amputé ces viols de ma mémoire. J’ai mis longtemps avant de savoir. Comme si je n’étais pas prête à écouter les signaux de mon corps. Comme si mon cerveau n’était pas prêt à se souvenir. Ma vie était particulière. J’étais danseuse, je bossais ailleurs et ne revenais pas souvent dans ma petite ville de province. J’avais un avenir, j’avais la danse qui me prenait toute la tête. Cette histoire, je n’en voulais pas.


Et puis un jour, j’avais 19 ans, je l’ai croisé dans la rue. Et j’ai su. J’ai eu des flashs de ces viols répétés avec ses mains. J’ai ressenti un froid glacial. Celui qui vous enivre, vous bloque et vous paralyse. Je ne pouvais plus bouger, plus parler. En plein mutisme. En pleine anesthésie. Comme quand on subit les actes d’un viol.

Mais cette histoire, je n’en voulais pas.

Comment fait-on pour escalader jusqu’à la lumière, pour s’en sortir ?

Jusqu’à mes 30 ans, c’était la descente aux enfers. J’étais dans le rejet. Je me sentais coupable d’avoir été complice de ça. Oui, complice, puisque je l’aidais en baissant ma culotte. En faisant vite quand il me disait qu’il fallait faire vite. En ne disant rien quand il me disait de ne rien dire. Je participais au mécanisme de plaisir. Le corps se mélangeait entre la douleur et le plaisir. C’est tellement bizarre que c’en est déconcertant. J’ai compris plus tard que c’était un mécanisme de surprotection, une espèce d’instinct de survie. Il était gentil avec moi. Il me donnait de l’amour, atroce, mais présent. Et moi, je ne savais pas trop. C’était terrible. Un tourbillon. Adulte, je m’en suis voulu et me le suis fait payer. Pour moi, j’étais une pute, je ne valais rien, mon corps ne valait rien, j’étais bête, méchante, vicieuse. Et je n’étais pas prête à me faire aider non plus. Je fumais quinze pétards par jour pour pouvoir m’éteindre. Je buvais de l’alcool pour pouvoir tomber. Je prenais des drogues pour pouvoir sortir de cette réalité qui était ma vie.

Et puis, à l’époque où j’avais 24 ans, j’ai appris qu’il était devenu grand-père de deux petites filles. J’ai décidé de porter plainte. Comme « il y avait eu pénétration », c’était un crime. Nous avons pu aller aux assises.

Au procès, j’avais 27 ans. Aujourd’hui, j’en ai 38. Je suis fière et heureuse d’avoir été reconnue en tant que victime, que mon agresseur ait été envoyé en prison et de l’avoir, en quelque sorte, empêché de violer ses deux petites filles. De nuire encore et encore. Elles sont sûrement plus équilibrées que s’il avait été là. Leur mère m’a remerciée, en pleurs, au procès. Tout ceci a participé à ma résilience. Porter plainte, ça aide à s’en sortir. Mais s’en sortir, c’est surtout apprendre à s’aimer à nouveau, à être indulgent envers soi-même. Et comme un agresseur est très souvent récidiviste, il faut aussi pouvoir porter plainte pour protéger les autres.

Comment avez-vous dépassé ces drames et réussi à y puiser votre force ?

Pour dépasser le drame, le plus dur, c’est de faire un travail sur soi : comment, en tant que victime, on réussit à se pardonner. Comment on parvient à ne plus rester silencieuse. Car, non, on ne se « débrouille pas », comme l’a dit Christine Angot, mais on partage sa douleur. Il le faut. Mon spectacle est tiré de ma vie de victime. Le fait d’avoir posé des mots sur les étapes de la souffrance et de la reconstruction pour écrire ce spectacle avec Eric Métayer m’a permis de rencontrer des gens qui m’ont dit : « L’histoire d’Odette, c’est la mienne. C’est ce que j’ai vécu. » Parce que la pédophilie est un fléau. On est beaucoup, des filles et des garçons, à avoir vécu la même chose. Pas de la même façon, pas le même nombre de fois, pas au même âge. Mais on partage la même souffrance. Un adulte a violé notre intégrité sexuelle. La destruction est considérable. C’est un bombardement. On est déshumanisé.

De ne pas me sentir seule et d’essayer d’être utile pour ce combat, ça a favorisé ma réparation. Parce qu’il y a des secrets qui rendent malheureux, il faut prendre, selon moi, le combat par la base. La base, c’est l’enfant. Il faut agir en matière de prévention pour que les adultes soient des adultes équilibrés. Et que cela fasse diminuer le harcèlement et les abus de pouvoir. Il faut apprendre aux enfants à défendre leur intégrité pour faire d’eux des adultes qui auront les armes pour combattre les atteintes qui pourraient être commises à leur encontre.

Quel impact le succès de votre pièce de théâtre a-t-il eu sur vous ? Et sur la lutte contre la pédophilie ?

Il est évident que, sans l’existence de ce spectacle, je n’aurais pas eu ce besoin de me battre pour faire évoluer les droits de nos enfants. Le succès du spectacle, la manière dont le public a reçu l’histoire d’Odette… Je me suis plongée corps et âme dans le combat de l’éveil des consciences autour de la pédophilie. En découvrant les lois, notamment celle sur le délai de prescription, qui m’a mise en colère, j’ai décidé de m’engager de manière militante. Aujourd’hui, je me bats aux côtés de nombreux activistes pour faire reconnaître l’amnésie traumatique dans la loi, ou encore pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur les enfants. Car violer un enfant est un crime contre l’humanité, selon moi, et relève donc de l’imprescriptibilité. Avec l’adaptation cinématographique, je me dis aussi que l’on va pouvoir faire passer notre message à une plus grande échelle, et c’est très important. J’attends d’ici là des avancées au niveau de la loi, mais la France est la spécialiste des toutes petites victoires, donc il y aura toujours à progresser, et notre devoir d’artiste, c’est aussi celui-là : faire bouger les consciences.

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November 17, 2017 3:27 PM
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«On reste dans l’ombre, de peur d’être immolée à la place de l’agresseur»

«On reste dans l’ombre, de peur d’être immolée à la place de l’agresseur» | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Anne Diatkine / Libération


Les affaires de violences sexuelles dénoncées dans le monde du cinéma ne trouvent pas le même écho en France. L’actrice Isabelle Adjani et l’avocate Léa Forestier reviennent sur les ressorts du harcèlement et sur les raisons des non-dits.



Quoi de neuf dans le milieu du cinéma français, un bon mois après l’affaire Weinstein et le mouvement «Balance ton porc» ? Quelles réflexions ? Quelles prises de conscience ? Force est de constater qu’à part Léa Seydoux, peu d’actrices ont dénoncé publiquement le sexisme qui y règne. Est-ce une bonne nouvelle ? Le signe que tout va bien ? Ou que dans un pays où la politique des auteurs règne - et c’est tant mieux -, l’omerta est plus lourde ici qu’ailleurs, et les révélations plus difficiles à assumer ? Retour avec Isabelle Adjani et Léa Forestier, avocate.

Peu d’actrices ont témoigné du sexisme dans le milieu du cinéma en France. Pourquoi ?


Isabelle Adjani : Les abus ne sont pas moins nombreux ici qu’ailleurs, mais à ma connaissance, il n’existe pas de producteur qui dispose d’un pouvoir tentaculaire analogue à celui d’Harvey Weinstein : il détenait toutes les clés du silence. En France, certaines actrices restent dans l’expectative prudente. Elles ne sont pas sûres que leur parole soit sans conséquence sur leur carrière si elles s’approchent d’un peu trop près de la révélation de tout ce que le milieu du cinéma refoule depuis tant d’années : on fait la lumière sur une partie des faits tout en restant dans l’ombre de peur d’être immolée… à la place de l’agresseur…

Pourquoi ne pas utiliser les tribunaux quand on veut que justice soit faite ?


Léa Forestier : Aujourd’hui, quand une femme porte plainte pour agression sexuelle, elle a toutes les chances que sa parole soit classée sans suite. C’est la plupart du temps parole contre parole et le doute profite toujours à l’accusé, ce qui est une bonne chose. Mais cela signifie tout de même qu’une fois sur deux, la plainte est vouée à l’échec. Et quand il y a une suite, il y a une marginalisation de fait dans le travail. Je suis en désaccord avec ma consœur Marie Dosé qui prône un exclusif recours à la loi en cas d’agression sexuelle, car à supposer qu’un tel recours aboutisse, quelle est la valeur d’une condamnation si elle ostracise la personne de son milieu professionnel ? J’ai eu une cliente violée par un personnage éminent. J’ai monté le dossier avec elle, mais j’ai dû la prévenir que la vérité médiatique allait être une déferlante qui annihilerait toute vérité judiciaire en lien avec son intimité. Et qu’elle allait se retrouver avec le scotch du capitaine Haddock qui l’empêcherait d’être autre chose que «la violée de mister big». Elle a décidé de ne pas poursuivre. Les autres femmes violées par cet homme étaient comme elle, sous une forme d’emprise : il y a une relation de confiance, puis un viol…

Comment démontre-t-on une agression sous emprise ? Léa Seydoux dans le Guardian évoque combien il est compliqué de se défaire de prédateurs sexuels avec lesquels on travaille et qu’on admire par ailleurs…


Léa Forestier : La prédation sexuelle s’accompagne d’une tentative de convaincre l’autre. Il s’agit rarement d’un homme dans une ruelle obscure qui vous saute dessus en vous disant «je veux te violer et si tu n’es pas d’accord je te viole quand même». Mais d’une relation où toutes les décisions auront des conséquences sur votre vie immédiate.

Dans ce cas, comment s’apprécie le consentement ?


Léa Forestier : Le droit considère qu’un rapport n’est pas consenti s’il n’est pas souhaité au moment de l’acte. Et il n’y a pas de droit de repentir. Or comment analyser le consentement au moment M, si la personne est sous une forme d’emprise ? Le consentement relève du sentiment. Il peut y avoir un jeu de séduction, et un viol à la suite d’un jeu de séduction.

Isabelle Adjani : Les femmes qui ont dit avoir des relations consenties avec Weinstein sont très courageuses. Je ne supporte pas la moralisation là-dessus. Chacun son mode de survie. Quiconque a eu un rôle dans un film important aux Etats Unis a croisé Weinstein. Je l’ai rencontré en 1989, lors de la campagne pour les oscars de Camille Claudel de Bruno Nuytten, j’étais nominée dans la catégorie «meilleure actrice», mais la distribution américaine était assurée par Sony Classic, pas par Miramax. Weinstein m’avait simplement dit : «Tu n’auras rien car ce n’est pas moi qui ai acheté le film. Si tu m’écoutes dans l’avenir, je t’aurai un oscar.» Son besoin de dominer s’exprimait constamment.

Est-ce uniquement la crainte d’être blacklisté qui muselle ? Pourriez-vous analyser comment fonctionne cette fameuse zone grise ?


Isabelle Adjani : Cela suscite effectivement beaucoup d’ambivalence quand, par exemple, on explique à une jeune actrice que le cinéaste a absolument besoin d’être amoureux d’elle, voire de coucher avec elle, pour savoir la filmer comme jamais. Et que d’ailleurs, pour favoriser le rapprochement, on s’empresse de lui donner une chambre d’hôtel adjacente à la sienne, quand le tournage est loin de tout. On retrouve cette injonction à entretenir la séduction dans les biographies d’actrices qu’on aime le plus au monde, de Marlene Dietrich à Isabella Rossellini, en passant par Louise Brooks. Ça fait partie de la mythologie du cinéma, à laquelle je suis évidemment très sensible. Mais sur ce fond-là, on va persuader la comédienne, pleine de gratitude, de ne pas dissiper l’ambiguïté. Parce que son refus pourrait stériliser le regard du metteur en scène ou l’intérêt du producteur. Avoir besoin de rêver sur cet obscur objet du désir qu’est l’actrice, ça voudrait dire «transgression open-bar» ? Comme tout le monde, il m’est arrivé de me retrouver dans des tournages où une violence sourde se manifestait, et il s’agissait de la contourner sans mot dire.

En quoi est-ce problématique ?


Isabelle Adjani : J’ai commencé très jeune à mal supporter cette injonction à séduire qui me plaçait en porte-à-faux et je me souviens de l’empressement d’un cinéaste, que par ailleurs j’admirais. Ce qui m’a aidée à ne pas succomber au charme de cet homme, qui incarnait tout de même ma fascination pour le cinéma, fut de savoir que d’autres comédiennes avaient fait une dépression après avoir été congédiées à la fin du tournage. En somme, elles n’avaient pas anticipé qu’elles ne seraient son fantasme que le temps d’un film, utile pour le grand œuvre, sans existence au-delà. Certes, il n’y a pas de harcèlement apparent, juste la manipulation classique d’un pur séducteur. Et pourtant, dans pareille situation, où une jeune actrice n’est pas libre d’opposer un refus frontal, le malaise existe car elle ne peut plus être elle-même. Une actrice au travail est à psyché ouverte, elle a besoin d’être préservée contre tous les petits crimes dont on dit que «ce n’est pas un crime». Evidemment, il n’y a pas de crime quand un comédien met sa langue dans votre bouche lors d’une prise, lorsque vous lui avez explicitement demandé de ne pas le faire. Et pourtant. Combien de fois les actrices qui ont été catégoriques sont estampillées difficiles, voire ingérables ? Toutes les comédiennes le savent. Donc elles essaient d’échapper subtilement au danger si elles en ressentent un. C’est un conditionnement.

Quelles sont les conséquences d’une résistance ?


Isabelle Adjani : On se fait insulter devant l’équipe, malmener, ce qu’on propose est dénigré. On vous demande des choses qui vous mettent en danger. En France, on a tendance à célébrer ceux qui ne savent pas diriger sans humilier. Ça remonte à loin. Sans le sadisme de Clouzot, aurait-on reconnu à Bardot un talent d’actrice ? Diriger une actrice ne devrait pas signifier la dominer. Vive les actrices qui réalisent des films, qui écrivent, qui coproduisent. Et qui contribuent à rendre les rapports dans le cinéma moins archaïques.

Qu’est-ce qui fait qu’un acte est traumatisant ou qu’il glisse sans atteindre ?


Isabelle Adjani : La relation qu’on a à l’abus est étroitement liée à notre éducation, au droit qu’on nous donne ou pas, enfant, d’exister. Des tas de moments de gênes et d’intrusion se sont accumulés, qui ont fait écho aux interdits de se défendre pour une fille, selon les préceptes de mon père. Il m’est arrivé de refuser des projets qui m’intéressaient à cause de gestes qui m’ont pétrifiée, alors qu’ils peuvent être bénins pour d’autres. J’ai encore en mémoire un déjeuner où un metteur en scène russe a attrapé ma main en la serrant si fort que je ne pouvais plus la retirer. Il a mis mon index dans sa bouche, en se mettant à le sucer, longuement. Je lui ai écrit un mot longtemps après : «Andreï, je voulais vous dire que si je n’ai pas fait la Mouette avec vous, c’était à cause de ce déjeuner et parce que vous avez mis mon doigt dans votre bouche.» Lui écrire noir sur blanc était nécessaire pour me faire justice. Oui, j’ai pu refuser de tourner avec des cinéastes hors pair parce que j’avais peur d’eux. Un producteur, qui à l’époque rayonnait, se comportait avec moi en dominateur machiste sur un film qu’il produisait. Il fallait fuir ses avances. Je lui ai refusé l’entrée d’une fête que j’organisais. Il m’a dit : «Ma petite, tu le payeras.» Et effectivement… Hervé Guibert avait écrit un scénario autour de cette histoire. Autre exemple : un cinéaste claquait des poppers sous mon nez après avoir dit moteur. Je ne pouvais pas ne pas respirer. C’était de l’ingestion de drogue contre mon gré, je sentais mon rythme cardiaque s’accélérer.

Dans toute autre profession, il est possible de porter plainte contre quelqu’un qui vous drogue. Que s’est-il passé ?


Isabelle Adjani : J’étais prise dans le tournage, je n’avais pas mon mot à dire. Il n’y a pas de recours dans des situations pareilles. Au théâtre, j’étais jeune, je me suis retrouvée face à un grand comédien devenu plus qu’harcelant pour tenir son rôle d’homme désiré et dont les agissements ont fini par me rendre malade pour de bon. Les représentations ont dû être arrêtées et je n’ai pas pu raconter pourquoi. J’ai laissé les rumeurs faire leurs basses besognes. Une actrice qui renonce et s’écroule, il n’y a rien de pire pour sa vie professionnelle.

Que pensez-vous de ces contrats de non-harcèlement que des studios hollywoodiens font signer avant les tournages ?


Léa Forestier : On voit que ça marche ! Cyniquement, les producteurs s’assurent ainsi que la responsabilité ne leur retombe pas dessus en cas de problème. Ça n’empêche pas le délit, mais ça évite les poursuites. Et c’est particulièrement hypocrite, car ce sont les mêmes gens qui font signer les contrats et qui sont susceptibles d’agressions sexuelles. Weinstein en a lui aussi très probablement fait signer. Les hommes de pouvoir aiment le pouvoir, aiment la transgression et plus encore l’impunité dans la transgression. De façon générale, les codes de conduite au travail posent un cadre, mais ne règlent rien. #BalanceTonPorc nous force à nous questionner sur la culture du machisme qui innerve encore le monde du travail. Si les femmes en sont majoritairement les victimes, force est de reconnaître qu’elles en sont aussi partiellement les gardiennes. La domination est moins une affaire de genre que d’idéalisation du pouvoir.

Que vous inspirent les manifestations contre la rétrospective de Polanski à la Cinémathèque ?


Léa Forestier : C’est confondre l’œuvre et la personne, et dénier aussi bien à l’accusé qu’à sa victime le droit à l’oubli pour une affaire qui date de quarante ans. J’adore l’œuvre de Céline mais l’homme me donne la nausée.

Isabelle Adjani : Je rejoins la démarche collective féministe, qui attend une reconnaissance du préjudice. Mais ces violences subies peuvent amener les victimes à être différentes dans leur façon de vivre «avec». Depuis des dizaines d’années, Samantha Geimer a expressément exigé l’arrêt des procédures aux Etats-Unis et répété que l’obsession d’un juge corrompu et la médiatisation du procès ont détruit sa vie. Cela a-t-il un sens de manifester contre cette rétrospective si ça ne procure aucune réparation, y compris symbolique, à la victime ? Cela ressemble à une double peine… Le droit à l’oubli doit exister pour l’accusé s’il a reconnu son délit et purgé sa peine (on oublie systématiquement de dire que Roman Polanski a fait de la prison aux Etats-Unis et en Suisse), parce que la victime, elle, même si elle pardonne, n’oublie pas.

Anne Diatkine


 photo Jérôme Bonnet pour Libération

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November 10, 2017 8:06 PM
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Noémie de Lattre : Vive le féminisme pour tous !

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Par Sandrine Blanchard dans son blog Scènes de rires


Revêtue d’une tenue ultra-sexy, elle porte une bouteille de bière à la bouche, tient dans la main une manette de PlayStation et pose l’une de ses chaussures à talons (très) hauts sur un ballon de football. Sur l’affiche de son nouveau spectacle, Noémie de Lattre plante le décor et a choisi un titre sans équivoque : « Féministe pour homme ».

A point nommé

C’est peu de dire que ce one-woman-show tombe à point nommé quelques semaines après le coup de tonnerre de l’affaire Weinstein qui a libéré la parole des femmes victimes de harcèlement sexuel. Jamais cette comédienne n’aurait pu imaginer, lorsqu’elle a créé ce spectacle, qu’il s’inscrirait autant dans l’actualité. Le hasard fait parfois bien les choses.

Féministe, Noémie de Lattre l’est depuis toujours, de par ses pièces de théâtre (« Femmes libérées »), ses chroniques sur France Inter (qui ce sont malheureusement interrompues en juin 2016), et son livre « Un homme sur deux est une femme » (éditions Flammarion, 187 pages). « Révoltée » par le discours de certaines filles de son entourage qui considèrent qu’être féministe c’est « être contre les hommes et contre la féminité », elle a choisi de mettre l’humour (qu’elle manie très bien) au service de ce sujet qui lui tient tant à cœur. Noémie de Lattre ne cherche pas à donner de leçon, simplement à expliquer le féminisme pour les nul(le)s, à ouvrir des pistes de réflexion sur la condition féminine et les stéréotypes (« vieilles filles aigries à aisselles velues ») dont on affuble les féministes, ce mot qui fait « fuir » certains et certaines, ce mot qui « gratte », qui « pique », comme elle le dit très justement.


(Crédit : Svend Andersen)
« On peut être féministe, féminine et épilée »

Quand les spectateurs s’installent sur les sièges de La Nouvelle Seine (cette jolie salle de spectacle nichée dans une péniche au pied de Notre-Dame à Paris), Noémie de Lattre se prépare. Elle a juste une serviette éponge autour de son corps et parfait son maquillage. « L’inégalité homme-femme commence dès le matin », s’amuse-t-elle. Belle et pétillante, elle revêt une tenue de danseuse de music-hall « preuve qu’on peut être féminine, féministe et épilée ! ». Elle le dit sans détour : « je suis là pour la cause et pour être aimée. Ce soir on révolutionne le féminisme, on se détend avec ce mot, on dédramatise, ce n’est pas une maladie vénérienne mais un humanisme comme un autre à l’image, par exemple, de l’anti-racisme ».

Pendant un peu plus d’une heure, la comédienne s’attaque, pêle-mêle, à notre vocabulaire (cette langue française où le masculin l’emporte sur le féminin), à l’incongruité de la persistance, au XXIe siècle, d’une journée du 8 mars pour les droits des femmes, au plaisir féminin dont tout le monde se fout (« parce qu’il n’est pas nécessaire à la reproduction »), aux clips de rap (« eldorado de la connerie genrée »), aux insultes à sens unique (« quelle est la version masculine de pute et fils de pute » ?), à la charge mentale des mères, à la place difficile de la femme dans l’espace public face aux « gros lourds »… « Je serais un mec bien, je serais dégoûté de voir ainsi salie la profession », résume-t-elle.

Noémie de Lattre aime les hommes, a écrit tout son spectacle en pensant à eux et croit en l’émergence d’une « espèce en voie d’apparition : l’homme féministe ». Dans la salle, certains lui rendent bien en l’encourageant, avec bienveillance, dans sa démarche. Loin d’opposer les sexes, elle considère qu’« on a tout à gagner à avancer main dans la main ».


Noémie de Lattre sur la scène de La Nouvelle Seine dans son spectacle « Féministe pour homme »
Tour à tour enjouée ou tourmentée, la comédienne se plaît à rythmer les séquences de son seule en scène par des danses sensuelles, des moments burlesques et d’autres d’émotion, comme ce cours de danse où une petite fille, pas assez délicate et gracieuse – donc forcément en échec – se fait maltraiter par un professeur. Où comme ce final dans lequel elle martèle « il ne faut pas que j’oublie » tous ces pays à travers le monde où les droits et la liberté des femmes sont bafoués.

Hors scène, Noémie de Lattre espère que l’affaire Weinstein « ne soit pas l’arbre qui cache la forêt. Le feu a été allumé par les artistes, pourvu que cela ne s’arrête pas là et s’ouvre sur le quotidien des femmes ordinaires ».

Voici l’une de ses anciennes chroniques qui prend une résonance particulière en ces temps de #balancetonporc :



Un texte bouleversant

A la fin de chaque représentation, la comédienne donne la parole à un(e) invité(e) (chaque soir différent) pour qu’il (elle) livre, en quelques minutes, son expérience de la féminité. Jeudi 2 novembre, le soir où nous avons assisté à ce one-woman-show, c’est Sandra Colombo – humoriste et coauteure, avec Nicole Ferroni, d’Améliore ta vie pourrie (Editions du Cherche Midi) – qui est montée sur scène pour raconter l’histoire de Julie. L’histoire terrible d’une jeune femme violée qui « n’arrive pas à écrire « me too » », un texte bouleversant et glaçant. Elle a accepté qu’il soit publié. Vous pouvez le lire ici.

Sandrine Blanchard

« Féministe pour homme », de et avec Noémie de Lattre, jusqu’au 28 décembre, tous les jeudis à 21h30 à La Nouvelle Seine, sur berge face au 3 quai de Montebello, 75005 Paris. 

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Scooped by Le spectateur de Belleville
October 26, 2017 11:53 AM
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"Je lui ai dit que je ne voulais pas. Il a continué" : enquête sur les Harvey Weinstein du cinéma français

"Je lui ai dit que je ne voulais pas. Il a continué" : enquête sur les Harvey Weinstein du cinéma français | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site de FranceTvinfo :


Enquête sur les Harvey Weinstein du cinéma français.
"Je lui ai dit que je ne voulais pas. Il a continué" : enquête sur les Harvey Weinstein du cinéma français



Lire sur le site d'origine : http://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/affaire-harvey-weinstein/je-lui-ai-dit-que-je-ne-voulais-pas-il-a-continue-enquete-sur-les-harvey-weinstein-du-cinema-francais_2426919.html


Des Harvey Weinstein, il y en a beaucoup en France." Claire Serre-Combe, copilote du collectif femmes-mixité de la CGT-Spectacle, est catégorique. Il y a quelques mois, elle a lancé L'Envers du décor, un site qui permet aux femmes et aux hommes harcelés dans le milieu artistique de témoigner. Car si Hollywood est secoué actuellement par les accusations de viols portées par des actrices contre l'ancien producteur-star, le cinéma français a lui aussi sa part sombre. Comme a pu le constater franceinfo en recueillant des dizaines de témoignages, des acteurs et actrices ont confirmé un phénomène de harcèlement et d'agressions sexuelles aussi présent dans le septième art français qu'outre-Atlantique. "Un phénomène endémique", comme le déplore Claire Serre-Combe, qui traverse toutes les strates du cinéma, de la production de films aux écoles d'acteurs.
Illustration d\'un rendez-vous entre une comédienne et un producteur. 

Des producteurs qui abusent de leur pouvoir

Il y a des rencontres qui marquent quand on est une jeune actrice ou réalisatrice. Celles avec des producteurs en font souvent partie. Elles sont déterminantes, peuvent bouleverser une carrière le temps d'un café ou d'une soirée. Mais parfois, elles marquent pour des raisons bien plus sombres. Ainsi, Claire*, jeune scénariste et réalisatrice, pensait parler de l'écriture d'un projet quand elle a accepté de déjeuner avec un producteur. L'homme a esquivé, préférant lui proposer de la rejoindre en vacances, quand son petit ami serait absent.

Isabelle Florido, comédienne, a été l'une des premières à témoigner de tels actes sur L'Envers du décor. Elle y a raconté sa rencontre avec un producteur pour "parler d'un scénario", à la fin des années 1990. L'homme lui a donné rendez-vous dans son bureau. Ils discutent, puis il lui demande de se lever, pour voir sa silhouette. Très vite, le producteur souhaite qu'elle soulève son tee-shirt. "Montre-moi tes seins", lui lance-t-il naturellement. "Ça semble dingue a posteriori, mais sur le coup, très peu sûre de moi, impressionnée par son statut et incapable de réfléchir après une telle demande, j'ai soulevé mon tee-shirt." C'était il y a près de vingt ans. Isabelle Florido avait 27 ans.

Un comportement du passé ? Les histoires que franceinfo a recueillies montrent le contraire. Il y a quatre ans, Joséphine* est entrée en contact avec un producteur, metteur en scène et réalisateur, reconnu dans le théâtre comme dans le cinéma. Elle avait 19 ans, lui plus du double. La jeune comédienne échange alors avec lui sur un projet autour du thème de Lolita. Lors d'une première rencontre dans son bureau, le quadragénaire lui demande d'exprimer des émotions précises, pour évaluer son jeu d'actrice. Au cours des semaines suivantes, il la rappelle.

Je sentais qu'il y avait dans sa voix un peu de séduction. Il me demandait si je portais une robe, me disait qu'une comédienne doit être féminine.
Joséphine

Très vite, le producteur et metteur en scène lui propose un deuxième rendez-vous. La jeune comédienne, les yeux et cheveux clairs, se retrouve dans ses bureaux de production. De nouveau, elle est seule avec lui. Le quadragénaire lui propose alors de se rendre dans une pièce voisine, close, afin de reprendre les mêmes exercices. Joséphine doit marcher tout en exprimant des émotions : la peur, la terreur, la joie. Il marche derrière elle et lui demande de jouer la sensualité, puis la sexualité.

Joséphine s'applique, investie dans un travail qui pourrait marquer un tournant dans sa carrière. "Je marchais mécaniquement. J'étais à fleur de peau, dans un état d'abandon", se souvient-elle, autour d'un café, la voix calme et discrète. Après quelque temps, il s'arrête derrière elle, face à un miroir, lui prend la main et la pose sur son sexe. Il baisse alors le pantalon de la comédienne et la pénètre digitalement, puis se masturbe. Joséphine est sous le choc. "Je me sens comme une marionnette", absente et manipulée. Après l'avoir violée, le producteur lui tape sur l'épaule. "C'est bien, tu auras le rôle", lui lance-t-il d'un ton calme, avant de repartir dans son bureau.

La jeune femme met plusieurs jours avant de mettre des mots sur ce qu'il s'est passé. Elle se sent salie, abusée et en même temps coupable. Jusqu'à ce qu'elle se rende dans un commissariat et qu'un policier lui dise qu'elle a été victime d'un viol. Joséphine se décide à porter plainte, puis préfère la retirer. De crainte d'une confrontation avec son agresseur, et surtout, qu'on remette en cause son histoire. "Je ne me sentais pas assez forte pour ça", confie-t-elle, les yeux légèrement rougis.

J'en ai parlé à un "ami" comédien et il a ri. Il m'a traitée de "petite coquine", m'a dit que je le voulais. Que je serais finie si je portais plainte. Et que tout le monde passait par là. Que c'était logique dans ce milieu.
Joséphine

"L'impression d'être un bout de viande pour les réalisateurs"

En tant que comédien, nous sommes à la merci du réalisateur. Et on sent vraiment ce plaisir à faire ce qu'ils veulent de nous", analyse Léa. Cette jeune actrice de 22 ans affirme subir "très souvent des remarques désagréables et sexistes" de leur part. "On a l'impression d'être un bout de viande pour eux." Alicia retient précisément la remarque de l'un d'entre eux lors d'une rencontre dans un café : "De toute façon, tu es trop intelligente pour réussir dans ce milieu. Si tu ne veux pas coucher, tu n'y arriveras pas."

Comédienne depuis près de dix ans, Léa Goguey-Cailac, 31 ans, n'oublie pas sa rencontre avec un réalisateur renommé, il y a environ trois ans. Elle était alors technicienne sur le tournage de son dernier film. L'homme venait de se fâcher avec une maquilleuse. Il s'est approché de l'équipe technique et a commencé à pointer la jeune femme brune du doigt. "Il m'affiche devant tout le monde en disant qu'on n'a pas besoin d'être maquillée pour être 'bonne', se souvient Léa Goguey-Cailac. J'avais l'impression d'être toute petite au milieu d'une énorme foule. Je n'existais pas. Je n'étais rien d'autre qu'un corps." Pendant plus d'un mois, la technicienne assure avoir dû faire face aux remarques "appuyées" sur ses vêtements, sur sa poitrine. Des commentaires qui venaient du réalisateur comme de ses collègues techniciens.

Le danger vient de tout le monde.
Léa Goguey-Cailac

Certains sont allés plus loin. L'affaire Weinstein a rappelé de vifs souvenirs à la comédienne Véronique Ataly, 60 ans. Des événements qui remontent à une trentaine d'années, lors du festival de Cannes. Un metteur en scène et réalisateur de renom lui propose un rendez-vous dans sa chambre d'hôtel pour parler d'une nouvelle pièce de théâtre. "C'était normal car nous n'étions pas à Paris", se remémore l'actrice d'un ton affirmé. Quand elle se rend sur place, l'homme qui l'accueille ne porte qu'une robe de chambre, ouverte.

"J'étais tétanisée. Il m'a demandé si nous pouvions coucher ensemble", poursuit Véronique Ataly. "Cette image m'a énormément choquée. Je n'avais ni l'énergie, ni la capacité de dire 'qu'est-ce que vous faites ?'", se souvient-elle d'une voix grave. La comédienne, alors âgée d'une trentaine d'années, ne sait pas quoi répondre et quitte l'hôtel. "Ça va, il ne t'a pas sauté dessus", minimisera plus tard une autre actrice, qui les avait mis en contact.

Mais le harcèlement ne s'arrête pas là, selon elle. "C'est devenu une agression morale", raconte cette actrice aux yeux verts, les cheveux en bataille. Engagée sur la pièce de théâtre que dirigeait ce réalisateur, Véronique Ataly raconte avoir subi "une violence morale" de sa part, "dès le début des répétitions". "C'était des critiques constantes. Il me disait que ce n'était pas possible, que je ne comprenais pas le personnage. Les répétitions étaient cauchemardesques." A dix jours de la première, Véronique Ataly finit par quitter le projet, complètement déstabilisée.

On est 24h/24 confrontées au désir masculin. Il faut en permanence dire non. Ce métier d'actrice, c'est quand même un corps qui est offert. Et les hommes se servent.
Véronique Ataly

Des acteurs qui profitent d'une "atmosphère de secret"

Outre le harcèlement sexuel et moral d'un réalisateur, Véronique Ataly dit aussi avoir vécu, à cette même période, "deux agressions sexuelles" : l'une par un célèbre metteur en scène ; l'autre par un comédien de renom, qui a reçu plusieurs récompenses. A chaque fois au cours de soirées. "J'avais bu et ils ont couché avec moi", confie péniblement l'actrice aujourd'hui.

Le souvenir de ces agressions lui échappe encore. "J'ai nettoyé ça de mon disque dur", explique calmement Véronique Ataly. La comédienne relate cependant un "état de sidération". Elle décrit des hommes "très puissants, moralement et physiquement". Face à eux, "on n'a pas la capacité", tente-t-elle d'analyser. Aujourd'hui, l'actrice sait qu'elle est une victime, mais ressent malgré tout "une part de responsabilité". Comme Joséphine, qui relate aussi qu'un jeune comédien a abusé d'elle, Véronique Ataly n'a pas porté plainte. "Comment expliquer cela ?" interroge-t-elle d'une voix résolue. "Il y a une telle mise en doute de la femme, de la victime de l'agression... Si je dis 'j'ai bu', c'est fini."

A l'instar de Véronique Ataly et de Joséphine, plusieurs femmes rapportent des comportements déplacés, des situations de harcèlement voire des agressions sexuelles de la part de comédiens. Pauline* a travaillé à ses débuts dans une agence artistique parisienne. Avec le travail de ses parents, elle baigne depuis son enfance dans le milieu du cinéma. Pendant plusieurs semaines, alors qu'elle n'a qu'une vingtaine d'années, une star du cinéma français insiste pour qu'ils dînent ensemble. La jeune femme finit par accepter. A la sortie du restaurant, le comédien, déjà nommé aux César, sort son sexe, relate-t-elle.

Il m'a lancé : "Je vais me masturber en pensant à toi ce soir." Puis, il est parti.


Pauline

Sophie*, jeune comédienne fraîchement sortie d'école, a déjà participé à plusieurs tournages, et aux soirées qui les accompagnent. "Il y a une grande confusion entre la vie professionnelle et la vie personnelle, analyse-t-elle. Les émotions de chacun deviennent publiques, ça se drague tout le temps. Et il y a une atmosphère de secret." Sophie répète une expression qu'actrices et acteurs entendent souvent : "Ce qui se passe en tournage reste en tournage."

"On connaît la réputation du milieu", lance Coralie*, 31 ans. Cette jeune femme, aux yeux noisette et longs cheveux châtains, raconte elle aussi avoir subi les avances puis le harcèlement d'un comédien. Ce dernier lui avait promis de rencontrer un humoriste lors d'une soirée, afin de lui présenter ses textes. Il n'y a jamais eu d'humoriste. A la place, le jeune comédien a proposé à Coralie de boire un verre chez lui. Une fois dans son appartement, "il s'est mis à me masser. Il me disait 'laisse-toi faire'", raconte-t-elle, en précisant être partie. Mais, selon elle, le jeune homme est revenu à la charge quelques semaines plus tard. Avec un ami, il a commencé à lui renvoyer des messages. A lui demander pourquoi elle ne répondait pas, pourquoi elle ne venait pas. "Ils se sont ligués contre moi", relève-t-elle.

Ces comportements se retrouvent même parfois sur les plateaux. Margaux*, directrice de production, a récemment assisté, effarée, aux agissements d'un célèbre acteur lors d'un tournage. "Il s'adresse à toutes les femmes en beuglant, en leur demandant comment va leur chatte, rapporte-t-elle. C'est fantasque, ça fait partie du personnage." Sur place, "aucun d'entre nous ne proteste, tout le monde rit". Personne n'ose dénoncer ces propos. Alors, il continue, "pelote sa stagiaire" et l'embrasse dans le cou à plusieurs reprises. Quand Margaux se retrouve seule avec lui dans l'ascenseur, le comédien lui demande si elle n'a pas "trop chaud à la chatte". "Je rigole avec aplomb en disant que ça va", poursuit-elle.

Remettre en question le comportement de cet acteur à ce moment-là, c'était foutre en l'air le film. Réduire à néant le travail de toute une équipe, faire perdre de l'argent aux producteurs, ruiner le travail d'une réalisatrice que j'apprécie énormément. On a tous fermé les yeux et on a bien ri...
Margaux

"Prises au piège" lors de castings

L'impression d'être "un bout de viande". C'est ce qu'a aussi ressenti Léa lors d'un casting. Elle raconte que l'équipe d'un film l'a appelée pour un deuxième essai, mais à une condition : être entièrement nue face caméra. "Je trouve cela inconcevable, réagit la jeune comédienne. Ils ont ensuite des images de nous complètement nues. On ne sait pas où elles vont."

Charlotte*, agent dans l'une des principales agences artistiques de Paris, abonde et confirme l'existence de ce problème. Il y a six mois, plusieurs des jeunes comédiennes qu'elle représente ont passé un premier essai pour des rôles de danseuses dénudées, auprès d'un directeur de casting bien implanté. "J'ai ensuite reçu un, puis deux, puis trois appels de ces actrices, assure-t-elle. Le directeur de casting leur avait demandé de se mettre en soutien-gorge ou seins nus pour les prendre en photo. Il ne nous avait même pas prévenus." En poste depuis trois ans, celui-ci est pourtant censé savoir qu'un premier tour de casting se joue sur le texte. En général, la question de la nudité ne se pose pas avant un deuxième voire un troisième essai. "Des actrices se sont senties obligées de le faire, elles se sont senties prises au piège. Ce n'est pas normal."

C’est assez symptomatique de la façon dont on considère les actrices en France. Dans la tête de beaucoup de personnes, elles sont des objets. Et très souvent, c’est un objet sexuel. Dans l'imaginaire collectif, ça fait partie du métier d’actrice de se mettre à poil.
Charlotte

Helen Juren, 41 ans, a multiplié les castings pendant des années. Elle les a arrêtés précisément pour cette raison. La comédienne, aujourd'hui spécialisée dans la chanson, a été particulièrement interpellée par un essai. "Je n'avais pas eu le texte en amont. Quand je suis arrivée sur place, il y avait des photos de femmes nues, dans des poses très suggestives", se souvient-elle. Une personne lui lit le scénario et lui annonce qu'il y aura des scènes de masturbation. Helen Juren refuse, convaincue qu'il s'agit d'un film pornographique. "On m'a répondu : 'Mais non ! Il n'y a pas de pénétration'."

Emilie* relate, elle, son échange avec un directeur de casting sur Facebook. Ce dernier lui envoie un message, et lui propose un premier essai pour un projet de film. Une chance pour la jeune femme, modèle photo depuis trois ans. Le casting se passe bien. Emilie et ce directeur restent donc en contact sur le réseau social. "Il a commencé à me mettre en confiance. Puis, c'est devenu une personne qui avait des soucis, explique-t-elle d'une voix frêle. Il essayait de m'émouvoir et ça fonctionnait bien. Je l'ai soutenu, j'ai essayé de lui apporter des solutions." Quelques mois plus tard, l'homme franchit un palier.

Alors qu'il n'est pas loin de son domicile, il lui propose de passer pour un café. "On a discuté. A un moment, il m'a embrassée", se rappelle péniblement Emilie, pesant chacun de ses mots. "Il m'a emmenée jusqu'au canapé. Je lui ai dit que non, que je ne voulais pas, je l'ai poussé. Il a continué." Au téléphone, la jeune femme marque une pause. "Il est allé jusqu'au bout", poursuit-elle difficilement. Emilie s'est sentie "sale", "bête" de lui avoir ouvert sa porte. Il l'avait mise en confiance. Elle aussi a refusé d'admettre qu'il s'agissait d'un viol et qu'elle en était la victime. Comme Joséphine, la jeune femme s'est rendue au commissariat, avant de renoncer à porter plainte. "J'avais peur qu'il s'en prenne à moi. Je me suis dit que j'étais déjà assez détruite comme ça."

Ce phénomène de violences et de harcèlement sexuel, largement subi par des femmes, est aussi vécu par certains hommes comédiens. Parfois, la menace semble même venir de leurs plus proches soutiens : leurs agents. C'est ce que soutient Olivier, 55 ans, en évoquant ses débuts en tant qu'acteur. A l'époque, le jeune homme souhaitait rencontrer un agent artistique très réputé. Les deux hommes font connaissance. L'agent l'emmène voir une pièce de théâtre, puis l'invite au restaurant. A la fin du dîner, il tente de l'embrasser. "J'ai refusé, je lui ai fait comprendre que je n'étais pas achetable", se remémore-t-il, encore remué par l'événement. "Le problème, c'est qu'il a voulu me griller." L'agent n'a plus voulu lui reparler alors qu'ils devaient travailler ensemble, raconte Olivier. "Il a usé, abusé de son pouvoir pour me dissuader de revenir dans le milieu", assure-t-il.

Julie* s'est récemment décidée à porter plainte, sept ans après avoir été violée par un agent. A l'époque, la jeune comédienne, après l'avoir rencontré dans une soirée, commence à discuter de castings avec lui. Au cours d'un deuxième rendez-vous dans le lobby d'un hôtel parisien, l'agent lui propose d'aller dans les toilettes. Il veut voir "à quoi elle ressemble" pour lui proposer des castings. "Il me disait de ne pas m'inquiéter. Il me mettait en confiance et me manipulait en même temps", relate encore Julie. Le quinquagénaire demande alors à la comédienne de se mettre en soutien-gorge avant de lui dire qu'elle doit perdre quelques kilos. Le rendez-vous ne va pas plus loin.

Peu de temps après, cet agent la rappelle pour lui parler d'un rôle important dans un long-métrage. Il souhaite la revoir en sous-vêtements, car "il y a des scènes de nu". Julie le retrouve une nouvelle fois dans le hall du même hôtel. Il la rassure, lui promet que ce ne sera pas long. Dans les toilettes, elle accepte de se mettre en sous-vêtements. L'homme insiste pour voir sa poitrine. Il commence à la toucher, à lui poser des questions intimes et à lui parler de masturbation. "Je me suis retrouvée assise à moitié allongée sur les toilettes", se rappelle la jeune femme. L'agent la pénètre digitalement pendant quelques minutes. Il recommencera quelques jours plus tard, prétextant un nouveau rôle pour l'actrice. Quand l'homme la pénètre une nouvelle fois avec ses doigts, "je sors de mon corps. Je n'ai plus la possibilité de parler, rien", raconte Julie, la voix émue. L'agent attrape alors la main de la jeune femme pour la poser sur son pénis. Elle parvient à l'arrêter à temps.

Je lui ai dit que j’allais le dénoncer. Il m’a répondu que je n'avais pas intérêt à en parler, que je serais grillée. Et que j’étais trop prude pour ce milieu.


Julie

Julie affirme que l'homme tentera à plusieurs reprises de la recontacter. Elle décrit, d'une voix blessée, une "descente aux enfers" de trois ans après ces viols. Elle aussi s'est sentie naïve, bête, sale. Et coupable. "Je me suis traitée de tous les noms, confie-t-elle. Je suis tombée en dépression, dans la boulimie, dans l'anorexie. Je n'ai pas compris que c'était un viol." C'est en parlant avec une amie qu'elle remonte la pente. "Elle ne m'a pas jugée. En fait, j'avais été victime, manipulée." Il y a quatre mois, la jeune actrice a finalement déposé une plainte, motivée par les témoignages d'autres femmes qui ont dénoncé des agressions sexuelles de la part du même homme. Julie l'a revu lors d'une confrontation au commissariat, mercredi.


Comment enrayer une réalité qui semble traverser toutes les couches du cinéma français ? Faut-il, comme pour les autres secteurs d'activité, s'attaquer au problème dès le stade de la formation ? La tâche s'annonce compliquée. Car dès les écoles de théâtre et de cinéma, le phénomène semble déjà présent.

Avant d'être scénariste et réalisatrice, Claire assure avoir alerté un intervenant sur un professeur d'une autre région, connu pour "ses comportements équivoques et lubriques" avec les jeunes femmes. Elle-même dit en avoir "fait les frais" quelques années plus tôt, en acceptant d'aller boire un verre avec lui pour parler d'un échange universitaire. Si elle souhaitait obtenir l'université de son choix, Claire devait passer "plusieurs soirées" avec lui. Elle a pu fuir, mais elle affirme que l'homme a embrassé de force une jeune femme et en a harcelé une autre. Cet été, elle a appris que ce professeur était toujours en poste. "Une professeure de cinéma m'a confié que ses étudiantes étaient tourmentées par cet éternel professeur lubrique, regrette-t-elle. A quoi ça sert de sonner l'alarme ?"

Yan Duffas, acteur et professeur au Cours Florent, sait que le cinéma est "un terrain propice à ce genre d'événements". "C'est une chose qu'on connaît. On travaille avec nos émotions, nos corps, avec notre séduction", observe-t-il posément. Lui aussi a dû faire face aux avances trop insistantes d'un financier, au cours du tournage d'un film, il y a vingt ans. Lui aussi a dû se battre pour lui dire non, tout en craignant pour son travail.

C'est un milieu assez sexiste, sensible de par toute la dimension de désir, de par le pouvoir qu'ont les personnes qui peuvent donner des opportunités.
Yan Duffas

Alors, depuis les débuts de son travail d'enseignant il y a trois ans, Yan Duffas tente de parler. D'alerter, avant que le problème ne prenne encore plus d'ampleur. "Je parle de cette fragilité, de cette position dans laquelle sont les jeunes actrices et acteurs, face à des personnes qui ont le pouvoir de réaliser leurs rêves. Il faut se dégager de cette dimension de séduction à tout prix. Ils ont le droit de dire non, martèle le professeur calmement. Le rêve a des limites."

*Pour protéger les témoins, tous ces prénoms ont été changés

Charlotte Durand, étudiante à l'école de journalisme de Sciences Po, a contribué au recueil d'un témoignage lors de cette enquête.

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