Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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Scooped by Le spectateur de Belleville
April 27, 2018 2:35 PM
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"L'éveil du Printemps" de Wedekind à la Comédie-Française : un tabou nommé désir - YouTube

Reportage sur TV5MONDE, présentation du spectacle par Jean-Benoît Urbain,  extraits du spectacle et entretiens avec Clément Hervieu-Léger et Georgia Scalliet (5'20")
Ajoutée le 21 avr. 2018

Il n'avait jamais été joué à la Comédie-Française à Paris : le dramaturge allemand Frank Wedekind fait une entrée fracassante au Français avec "L'éveil du Printemps", sa plus célèbre pièce, écrite en 1890, sur l'adolescence, la naissance du désir dans une société allemande corsetée par la morale de l'époque.


La mise en scène, signée Clément Hervieu-Léger, tout juste nommé Ssociétaire, sollicite plus du tiers de la troupe : 24 actrices et acteurs parmi lesquels l'incandescente Georgia Scalliet. Dans des beaux décors monochromes signés Richard Peduzzi - qui a collaboré avec Patrice Chéreau - faits de cubes qui, quand ils se déplacent, modifient l'espace, les acteurs donnent vie à ce texte avant-gardiste, qui anticipe Freud et la psychanalyse.
"L'éveil du Printemps" de Wedekind à la Comédie-Française à découvrir dans la chronique culture de Jean-Baptiste Urbain dans "64' le monde en français" sur TV5MONDE.

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April 21, 2018 6:41 AM
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L'Eveil du printemps de Wedekind fait son entrée au Répertoire de la Comédie-Française dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger

L'Eveil du printemps de Wedekind fait son entrée au Répertoire de la Comédie-Française dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Stéphane Capron dans Scenneweb

L’Éveil du Printemps de Frank Wedekind entre au répertoire de la Comédie-Française, dans sa version intégrale. Écrite en 1890, la pièce raconte le malaise de l’adolescence, thème immuable toujours d’actualité. La mise en chorale de Clément Hervieu-Léger est formidablement bien orchestrée. Et pour la première fois, Richard Peduzzi signe une scénographie dans la salle Richelieu.

Une petite ritournelle jouée par une boîte à musique retentit dans le décor majestueux, teinté de bleu, imaginé par Richard Peduzzi ; une boîte aux murs hauts comme un jeu de construction en bois pour enfants. Cette musiquette marque la fin de l’enfance pour les personnages de la pièce entrés dans l’adolescence sans bien comprendre tous les contours de cette vie nouvelle. C’est l’éclosion des désirs sexuels, Ils cherchent entre eux les réponses, à défaut de les trouver chez leurs parents ou chez leurs professeurs.

Les garçons jouent au football, les filles ricanent, mais déjà pointent les interrogations. Wendla (Georgia Scalliet) et Melchior (Sébastien Poudreroux) se livrent à des jeux érotiques sado-maso dans la forêt, Hans (Julien Frison) et Ernst (Gaël Kamilindi) parlent des filles mais s’échangent des baisers. Frank Wedekind brise les tabous, et nous sommes en 1890. L’Éveil du printemps est une grande pièce sociologique, d’ailleurs Sigmund Freud la cite dans certains de ses travaux.


Christophe Montenez photo Brigitte Enguerrand

Clément Hervieu-Léger réussit le tour de force de monter le texte dans son intégralité – avec les 40 personnages – en moins de 3 heures sans que la tension ne faiblisse sur le plateau. On est happé par l’histoire de ces adolescents, on ne peut s’empêcher de puiser dans nos propres souvenirs, et on est tenu en haleine par le jeu des comédiens et notamment par le trio central de la pièce : Wendla, Melchior et Moritz. Georgia Scalliet Sébastien Poudreroux et Christophe Montenez sont les trois piliers solides de cette saga. Christophe Montenez est particulièrement remarquable dans le rôle de Moritz, ado suicidaire, tourmenté, dernier de la classe, incapable de remonter la pente malgré l’aide de son fidèle compagnon Melchior. Il incarne avec brio ce personnage introverti, on lit le malaise sur son visage.

Là où d’autres metteurs en scène choisissent la luminosité et la rêverie (on se souvient de la version techno-scintillante de Guillaume Vincent en 2010), Clément Hervieu-Léger opte pour la noirceur. Cela renforce la profondeur du texte de Frank Wedekind. Pour cette production, il s’est entouré de l’équipe de Patrice Chéreau. Cela permet au grand Richard Peduzzi de réaliser enfin sa première scénographie à la Comédie-Française. Il y a aussi Caroline de Vivaise pour les costumes et Bertrand Couderc à la lumière. Un peu de l’esprit du grand maître plane sur cet Éveil du Printemps.

Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr

L’Eveil du printemps de Wedekind
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Traduction : François Regnault
Scénographie : Richard Peduzzi
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumière : Bertrand Couderc
Musique originale : Pascal Sangla
Son : Jean-Luc Ristord
Maquillages et coiffures : David Carvalho Nunes
Collaboration artistique : Frédérique Plain
Assistanat à la scénographie : Laure Montagné

La troupe
Michel Favory
Legrappin et le pasteur Kahlbauch

Cécile Brune
Mme Bergmann

Éric Génovèse
M. Gabor et l’Homme masqué

Alain Lenglet
le professeur Fliegentod et le rentier Stiefel

Clotilde de Bayser
Mme Gabor

Christian Gonon
le professeur Hungergurt et le docteur Von Brausepulver

Julie Sicard
Ilse

Serge Bagdassarian
le recteur Sonnenstich

Bakary Sangaré
le professeur Knüppeldick, Ziegenmelker et le Serrurier

Nicolas Lormeau
le professeur Zungenschlag, l’oncle Probst et le docteur Procuste

Georgia Scalliet
Wendla Bergmann

Sébastien Pouderoux
Melchior Gabor

Christophe Montenez
Moritz Stiefel

Rebecca Marder
Thea

Pauline Clément
Martha Bessel

Julien Frison
Hans Rilow

Gaël Kamilindi
Ernst Röbel

Jean Chevalier
Otto et Ruprecht

Matthieu Astre
Helmuth

Robin Goupil
Robert et Reinhold

Aude Rouanet
La mère Schmidt

Juliette Damy
Ina Müller

Alexandre Schorderet
Diethelm

Durée
2h50 (sans entracte)

Salle Richelieu
Du 14 avr 2018  au 08 juil 2018

 

photo Brigitte Enguerand

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April 20, 2018 4:40 PM
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« L'Eveil du printemps » au Français : sur les ailes du désir

« L'Eveil du printemps » au Français : sur les ailes du désir | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 Par Philippe Chevilley  dans Les Echos  20/04/2018 

 



La pièce sulfureuse de Frank Wedekind fait une entrée fracassante à la Comédie-Française, dans la mise en scène sombre et ardente de Clément Hervieu-Léger. Le désir adolescent est montré dans tous ses éclats par une troupe dopée à l'élixir de jouvence.
Clément Hervieu-Léger a vu Wedekind en grand. Pour monter « L'Eveil du printemps » dans son intégralité à la Comédie-Française, il a réuni le tiers de la troupe (23 comédiens pour 40 rôles) et fait appel à la star Richard Peduzzi pour concevoir un impressionnant décor. Parfois on regrette que les textes foisonnants du passé ne soient pas allégés. Pas de coupes ici - et c'est tant mieux : la pièce de l'auteur allemand, qui fait son entrée au répertoire du Français, déploie sa furie adolescente, en révélant toutes ses dimensions : poétique, psychanalytique, sociologique, politique.

C'est dans une boîte à jouets géante, un jeu de construction en perpétuel mouvement, que se joue cette chronique du désir et de la souffrance adolescente, confrontés à la tyrannie des parents et à un système éducatif répressif. Tour à tour intérieur oppressant, école, rue, forêt et cimetière nimbé de brume, ces murs et blocs mouvants distillent un froid mystère, qui tranche avec l'explosion des sens portée par les acteurs.

Le jeune sociétaire du Français n'oublie pas les leçons de Patrice Chéreau, dont il a été l'assistant. Sa mise en scène exalte les corps, négocie avec justesse les changements d'humeur des personnages, sans jamais baisser de rythme ; elle nous fait oublier que les rôles de gamins de quatorze ans sont joués par des acteurs qui ont deux fois leur âge. Sadomasochisme, masturbation, homosexualité (évoquée de façon dionysiaque) : toutes les scènes incroyablement crues de cette oeuvre de 1891 sont suggérées franchement, mais sans lourdeur.

CHARISMATIQUE GEORGIA SCALLIET
Clément Hervieu-Léger manie aussi bien l'humour (des délires adolescents) que le drame (quand l'élève Moritz se suicide ou que la jeune Wendla se fait avorter), alterne avec bonheur le feu et la glace. On saluera une nouvelle fois la performance des comédiens-français - et notamment le trio magique formé par Georgia Scalliet, ardente et charismatique Wendla, Christophe Montenez, boule de nerfs et de tourments dans le rôle de Moritz, ainsi que Sébastien Pouderoux, digne et émouvant Melchior... Les « parents » ne sont pas en reste : Cécile Brune, bouleversante en mère déboussolée (de Wendla), Eric Génovèse et Clotilde de Bayser, remarquables d'intensité dans le rôle du couple Gabor se déchirant au sujet de leur fils Melchior, font merveille.

On se souviendra longtemps de cette partie de foot dans la pénombre, de ces jeux d'amour et de mort dans la forêt... de cette ode désespérée à la fureur de vivre magistralement orchestrée. Avec un pareil « Eveil », la Comédie-Française n'est pas près de s'endormir.


L'EVEIL DU PRINTEMPS
de Frank Wedekind

Mise en scène de Clément Hervieu-Léger

Comédie-Française (01 44 58 15 15)

du 14 avril au 8 juillet, 2 h 45.

 

Légende photo : L'enterrement de l'élève Moritz,  une des images fortes de « L'Eveil du printemps » au Français. @ Pascal Victor/ArtComPress

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April 19, 2018 6:54 PM
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Théâtre : « L’Eveil du printemps » brisé entre les murailles

Théâtre : « L’Eveil du printemps » brisé entre les murailles | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde  -  le 19.04.2018


Plus d’un siècle après avoir été écrite, la pièce de Frank Wedekind entre enfin au répertoire de la Comédie-Française.


Les fleurs du printemps donnent parfois des fruits bien amers. Les jeunes héros de Frank Wedekind vont en faire l’expérience douloureuse, dans cette pièce si belle qu’est L’Eveil du printemps et qui, plus d’un siècle après avoir été écrite par son auteur, entre enfin au répertoire de la Comédie-Française. Ce spectacle mis en scène par Clément Hervieu-Léger offre une autre première, puisque Richard Peduzzi, le scénographe historique de Patrice Chéreau, qui n’avait jamais été invité dans la Maison de Molière, en signe le décor.

Peu de pièces ont su parler avec tant d’acuité de ce que l’on n’appelait pas encore, à la fin du XIXe siècle, l’adolescence – ses élans, ses courses folles, son intranquille et lyrique découverte de la sensation d’être au monde. Et son initiation à ce mystère suprême qu’est le sexe, dont Frank Wedekind (1864-1918), qui était fils de gynécologue, fait le point central de sa pièce, en précurseur de Freud.


Melchior, Wendla, Moritz, Ilse, Martha, Hans, Thea et Ernst sont les héros de cette « tragédie enfantine » qui les saisit, en une succession de tableaux, dans l’éveil de leurs désirs, en butte à l’éducation répressive et cadenassée en vigueur dans la Prusse de la fin du XIXe siècle. Melchior et Wendla s’approchent et se rapprochent, dans la forêt et au fond d’un grenier à foin. Hans, qui rêve d’être millionnaire, et Ernst, qui s’imagine pasteur, avec femme et enfants, s’embrassent dans la beauté d’un soir, au soleil couchant. Melchior se fait professeur d’éducation sexuelle pour son ami Moritz, qui avoue son ignorance face aux « mystères de la vie »…

Entre lumière et ombre


Les histoires d’amour et d’amitié finiront mal, mais pour autant l’auteur de Lulu ne livre aucunement une pièce à thèse. C’est en poète qu’il observe l’éveil brisé de ces jeunes gens, dans ce texte où la tragédie et le pathétique sont sans cesse mêlés d’humour et de légèreté. « Pendant dix ans, de 1891 jusqu’à 1901 environ, la pièce en général […] a passé pour une insensée cochonnerie. Depuis 1901, surtout depuis que Max Reinhardt l’a portée à la scène, on ne la tient plus que pour une tragédie très méchante, d’un sérieux de pierre, pour une pièce à thèse, pour un manifeste au service de l’Aufklärung sexuelle, ou encore de je ne sais quel slogan de la pédanterie petite-bourgeoise. Je serais étonné si je vois le jour où on prendra enfin cette œuvre comme je l’ai écrite voici vingt ans, pour une peinture ensoleillée de la vie, dans laquelle j’ai cherché à fournir à chaque scène séparée autant d’humour insouciant qu’on en pouvait faire », écrivait l’auteur.

C’est bien ce dosage, extrêmement délicat, entre la légèreté et la gravité, entre la lumière et l’ombre, qui est au cœur du soupçon de déception que l’on peut éprouver face à un spectacle par ailleurs plein de qualités, et qui fait (re)découvrir la pièce dans son intégrité. Clément Hervieu-Léger, fort des possibilités offertes par la troupe du Français, a en effet choisi de garder la totalité des personnages, ce qui est rarement le cas dans les mises en scène de la pièce.

Le rapport entre les différents groupes – les enfants et les parents, les élèves et les professeurs, les garçons et les filles – y devient alors beaucoup plus clair, dans ce spectacle qui par ailleurs met en jeu une belle poétique des corps. Ces corps qui sont justement ceux du délit, ces corps contraints, niés, effacés, ces corps qui exultent et se libèrent lors de superbes scènes collectives.

Une architecture plus qu’un décor


Et cet Eveil est merveilleusement joué, notamment par la jeune garde de la troupe du Français, qui n’a aucun mal à incarner des adolescents d’une quinzaine d’années avec une crédibilité incontestable. Georgia Scalliet est, une fois de plus, d’une poésie folle dans le rôle de Wendla, Christophe Montenez d’une sensibilité magnifique dans celui de Moritz, Julie Sicard affirme un beau tempérament expressionniste en grisette décavée. Du côté des adultes, Clotilde de Bayser est infiniment émouvante dans le rôle de la mère de Melchior.

Tout semble donc réuni pour envoyer cet Eveil vers les sommets, s’il n’y avait… le décor. C’est une architecture plus qu’un décor, d’ailleurs, qu’a conçue Richard Peduzzi, un espace de hautes murailles grises et mouvantes, impressionnant en soi, mais qui semble plus fait pour les scènes et les salles immenses de l’opéra que pour le théâtre. Ce décor d’un « sérieux de pierre », en sur-signifiant l’enfermement des jeunes gens de L’Eveil, plombe la représentation. En tant que spectateurs, on y est prisonniers, tout autant que les héros de Wedekind.

L’Eveil du printemps, de Frank Wedekind (traduit de l’allemand par François Regnault, Gallimard, « Le Manteau d’Arlequin »). Mise en scène : Clément Hervieu-Léger. Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette, Paris 1er. Tél. : 01-44-58-15-15. A 14 heures ou 20 h 30, en alternance, jusqu’au 8 juillet. De 7 € à 43 €. Durée : 3 heures.
www.comedie-francaise.fr

 

 

Lire le portrait :   Clément Hervieu-Léger, l’héritier affranchi http://www.lemonde.fr/scenes/article/2018/04/12/clement-hervieu-leger-le-chevalier-affranchi_5284211_1654999.html

 

 

Lire la critique :   Richard Peduzzi et Patrice Chéreau, une aventure de quarante ans :  http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/10/29/richard-peduzzi-et-patrice-chereau-une-aventure-de-quarante-ans_4514099_3260.html

 

 

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April 19, 2018 5:38 AM
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Clément Hervieu-Léger: "Cette question de l’adolescence qui reste centrale demeure encore aujourd’hui un mystère"

Clément Hervieu-Léger: "Cette question de l’adolescence qui reste centrale demeure encore aujourd’hui un mystère" | Revue de presse théâtre | Scoop.it



Par Fabienne Arvers et Patrick Sourd 17/04/18 

Qualifiée de pornographique, cette chronique de l’adolescence en crise entre au répertoire de la Comédie française. Rencontre avec Clément Hervieu-Léger pour "L’Eveil du Printemps" de Frank Wedekind.

A l’occasion de votre mise en scène de L’Eveil du printemps de Frank Wedekind à la Comédie Française, vous vous entourez de l’équipe artistique qui fut celle de Patrice Chéreau. Comment l’aviez vous rencontré ?

Clément Hervieu-Léger – En 2003, j'étais venu voir sa mise en scène de Phèdre à l’Odéon et il était là. On a parlé et la discussion commencée ce jour-là a finalement duré dix ans et dure encore pour moi. Peut-être a-t-il vu dans le jeune homme que j'étais un écho possible. En tout cas, il m'a emmené à l'opéra, au théâtre et au cinéma. J'ai commencé comme acteur dans son film Gabrielle. Ensuite, il m'a demandé d’être son assistant sur l'opéra Cosi fan tutte de Mozart puis sur Tristan et Ysolde de Wagner. On a collaboré les dix dernières années de sa vie. Je crois qu'il était à un moment de son existence où il se posait la question de la transmission.

Aujourd’hui, vous réunissez autour de vous la famille d’artistes qui l’entourait.

Depuis mes premiers spectacles, une partie de l’équipe artistique réunie par Patrice m’accompagne, Caroline de Vivaise aux costumes et Bertrand Couderc aux lumières. Ce qui change effectivement la donne, c’est l’arrivée de Richard Peduzzi au décor. Il se trouve qu’après la mort de Patrice Chéreau et celle de Luc Bondy, Richard pensait qu’il n’aurait plus de raisons de revenir travailler au théâtre, avec le sentiment de vivre la fin d’une histoire. Le moment où Eric Ruf m’a proposé de monter L’Eveil du printemps a coïncidé avec celui où Richard m’a fait part de son désir de travailler avec moi. J’en fus très touché, d’autant plus qu’il avait travaillé pour l’opéra avec Patrice sur Lulu de Berg d’après la pièce de Wedekind. Se retrouver à nouveau tous ensemble est extrêmement émouvant. Évidemment, cette réunion fait que Patrice est très présent. Comment pourrait-il en être autrement ? On a l’impression de poursuivre un chemin. Oui, il nous manque chaque jour. On partage tous ce sentiment. Et d’un autre côté, la chose la plus forte que je puisse faire pour qu’il continue d’exister en moi, c’est du théâtre. Alors, il est entre les lignes et dans les silences. Il est à nos côtés plus que jamais, il nous porte joyeusement. Travailler avec Patrice donnait le sentiment d’appartenir à une famille. Il avait une méthode que j’ai faite mienne, de demander à l’équipe artistique d’être présente chaque jour tout au long des répétitions. La force de travailler avec une équipe constituée depuis longtemps, c’est qu’on peut penser ensemble le décor, la musique, la lumière, les costumes.


Pourquoi monter L’Eveil du Printemps de Frank Wedekind?

C’est une pièce que j’aime énormément, je l’ai dans mes bagages depuis le Conservatoire. Tous les jeunes comédiens la connaissent. Quand on commence à travailler sur des textes, on cherche toujours des personnages qui correspondent à notre âge. Mais aujourd’hui, je réalise en la montant que distribuer les rôles à des acteurs débutants aurait été une fausse bonne idée. Le propre de l’adolescence, c’est aussi d’avoir la possibilité de passer dans la minute du rire aux larmes, d’un sentiment à un autre avec la plus grande sincérité. Et à part les adolescents, je ne connais qu’une catégorie de personnes capables d’une telle versatilité, ce sont les comédiens. Qu’importe que les acteurs aient dix ans de plus que leurs personnages, tout est question de conventions. Il ne s’agit pas de jouer aux adolescents ou de chercher à se rajeunir, il suffit de rendre compte au premier degré des émotions des personnages. Ce moment choisi pour faire entrer la pièce au répertoire de la Comédie française est idéal tant la troupe réunit aujourd’hui de jeunes acteurs admirables. Au-delà de ça, il n’y a qu’au Français qu’on peut monter une telle pièce avec autant de personnages. Wedekind porte un regard d’ensemble sur la société, réduire la pièce aux personnages des adolescents comme on le fait habituellement est très dommageable, car on se prive de sa dimension sociologique. Au final, je me retrouve avec 23 comédiens sur le plateau et l’on sait qu’ailleurs, il serait impossible de réunir une telle troupe.

C’est une pièce du XIXe siècle, où réside sa modernité ?

Je ne connais pas d’autre pièce du répertoire qui nous parle d’une manière aussi crue de l’adolescence. Et cette question de l’adolescence qui reste centrale demeure encore aujourd’hui un mystère. C’est une idée très neuve. Wedekind écrit cette pièce en 1890, à une époque où la notion même d’adolescence n’est pas encore reconnue. Son surtitre Tragédie enfantine est éloquent, il s’agit d’un monde où ne sont reconnus que les enfants et les adultes. Il faut attendre 1962 aux États-Unis pour que soit édité un premier ouvrage de psychanalyse consacré à l’adolescence. C’est le fameux complexe du homard dont parle Françoise Dolto. Tout à coup, il faut enlever une carapace, l’autre n’est pas faite et il y a ce temps où, effectivement, on est vulnérable parce qu’on est nu.
La pièce est d’autant plus forte que Wedekind considère ses personnages dans leur singularité et les enjeux de chacun de ses personnages sont très divers. Au-delà du fait qu’il donne à chacun une réelle individualité, il les représente comme formant un groupe. C’est cette entité plurielle qu’il oppose aux autres groupes que représentent les parents et les éducateurs. Se questionner sur ces adolescents n’a de sens qu’à partir du moment où ils sont inscrits dans le contexte de la société. Ce qui est formidable, c’est qu’il se place du point de vue des adolescents, les adultes étant réduits à leurs fonctions sociales. Quand on lit les grandes pièces du répertoire, on les trouve passionnantes, mais le propre d’une grande œuvre de théâtre, c’est qu’elle ne se révèle véritablement qu’au contact du plateau. Cette pièce m’était très chère, mais je n’imaginais pas après deux mois de travail qu’elle serait chaque jour aussi passionnante à monter.

En son temps la pièce fit scandale.

La pièce a été d’emblée interdite pour pornographie. " Ma pièce est défigurée " dira Wedekind qui jouait le rôle de l’Homme masqué quand elle fut finalement montée avec de nombreuses coupes en 1906. Pour éviter la censure, le metteur en scène Max Reinhard avait enlevé la scène de masturbation collective, celles d’auto érotisme, d’homosexualité. L’accusation de pornographie est évidemment outrancière, mais la crudité de Wedekind réside dans le fait qu’il ne s’embarrasse pas de faire des tours et des détours pour raconter l’adolescence.

Quel décor pour cette pièce ?

Le théâtre, c’est l’art de mettre en place une convention. Pas plus que pour la distribution, le réalisme ne me semblait de mise pour le décor, d’autant plus que l’on change de lieu à chaque scène. Avec Richard, on a souhaité un décor monochrome. Pour que les fameuses lumières climatiques des indications de Wedekind puissent exister et on a choisi le bleu parce qu’il peut aussi bien représenter le petit matin, la nuit ou rien. On peut tout faire avec du bleu. La couleur est prise en charge par les costumes, notamment chez les jeunes, tandis que les adultes sont comme une sorte de mur contre lequel ils se cognent. Nous avons imaginé un espace qui puisse se modeler au gré des scènes et des émotions des jeunes gens. L’adolescence est un enfermement où l’on a toujours l’impression de vivre sous un plafond trop bas avec l’envie permanente de repousser les murs. On est parti de l’idée d’une boite fermée qui à la manière d’un jeu de construction d’enfant pourrait se transformer et bouger avec eux. Cet âge n’est pas fait pour durer, c’est un moment de transition.
(c) Brigitte Enguérand

A quelle époque situez-vous l’action ?

On a choisi une période entre la fin des années 50 et le début des années 60 parce que je ne voulais pas monter la pièce dans le style de la fin du XIXe siècle allemand. Je voulais la rapprocher de nous, mais en restant avant la période de la révolution sexuelle, avant mai 68. A cette époque, on ne connaissait pas encore la mixité dans le système éducatif, l’avortement se faisait toujours de manière illégale et l’homosexualité n’était toujours pas dépénalisée. Pour les costumes, on s’est aussi intéressés à la mode des banlieues anglaises avec ces mélanges de vestes d’uniformes et de baskets. D’autant que l’apparence physique a beaucoup d’importance chez les ados.

D’ailleurs, si on se souvient de ces années-là, c’est surtout sur le thème de l’adolescence. Les années 60 sont celles d’une mutation de société.

Absolument ! Je pense aussi au film de Diane Kurys, Diabolo Menthe. On en revient à notre question : pourquoi prendre des acteurs adultes pour jouer des adolescents ? Icône absolue de l’adolescence, James Dean a 24 ans au moment du tournage de La Fureur de Vivre et Jean-Luc Anglade en avait 30 quand il a joué dans L’homme blessé, le film de Patrice Chéreau, et cela n’a posé de questions à personne. La fureur de vivre, il y a de ça chez les adolescents de Wedekind, y compris quand ils pensent au suicide. Je trouve très belle la façon dont Wedekind aborde cette question avec le personnage de Moritz et des profs qui en parlent entre eux et se disent : " Il faut qu’on évite l’épidémie de suicides. " Moritz ne dit pas qu’il veut mourir, mais qu’il aurait aimé ne pas naître. Ce n’est pas du tout la même chose.

Wedekind aimait et fréquentait le ballet, le cabaret, le cirque. Allez-vous faire référence à ces formes ?

En fait, elles nous sont presque imposées par la liberté de construction qu’il prend par rapport aux scènes. Son découpage met en forme une suite de séquences. De ce point de vue et dans leur juxtaposition, il y a une chose non dite qui rapproche cet enchainement des numéros du music-hall ou du cirque. Par exemple, c’est très frappant dans l’acte III. On passe d’une scène de groupe, l’enterrement de Moritz, à une scène intimiste avec deux parents à propos de la maison de correction, la seule dont Wedekind dit qu’elle ne contient aucun humour. C’est une vraie scène tragique, et on enchaîne avec Wendla, juste avant l’avortement. Entre sa mort et la grande scène de la fin dans le cimetière, on a une scène merveilleuse entre deux garçons. Il s’agit de la prise de conscience de ce que c’est qu’aimer d’amour et Wedekind le fait jouer entre deux garçons. C’est la seule scène d’amour apaisé où un garçon dit à l’autre : je t’aime, avec tout ce que ça signifie pour un adolescent de dire pour la première fois " je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne ". Autre exemple pour la dernière grande scène dans le cimetière où Melchior est pris entre le fantôme de Moritz qui revient, mort, et l’Homme masqué qui lui dit de le suivre et l’appelle à la vie. Là, on remarque que pour l’appel à la vie, Wedekind n’a pas choisi la vision métaphorique d’une jeune fille sublime mais celle d’un clochard qui dit : " Tu ne sauras qui je suis que si tu acceptes de me suivre ". Savoir ce qu’est la vie ne peut se comprendre qu’à partir du moment où on accepte de la vivre. Et là encore, on est presque dans le registre du clown blanc et de l’Auguste.

Quel lien faites-vous entre la pièce de Wedekind, l’adolescence d’aujourd’hui et son enfermement dans les réseaux sociaux ?

Je trouve qu’il est très fort et c’en est même absolument stupéfiant. Aujourd’hui, les adolescents se construisent par rapport au groupe. On se dit qu’avec les réseaux sociaux, ils peuvent voir des films pornographiques sur internet, mais Wedekind nous montre des garçons et des filles qui ont une vie sexuelle très avancée alors qu’ils sont encore très jeunes. Par exemple, la question de la réussite scolaire est très présente dans L’Eveil du Printemps, elle reste une question patente pour les adolescents dans les rapports qu’ils entretiennent avec les adultes. Si l’on parle d’une jeunesse en rupture avec le système éducatif, le personnage d’Ilse a quitté sa famille, elle gagne sa vie comme modèle en posant pour des peintres priapiques ! C’est très contemporain aussi.

Propos recueillis par Fabienne Arvers et Patrick Sourd

L’Éveil du Printemps, de Frank Wedekind, mise en scène Clément Hervieu-Léger, avec la troupe de la Comédie-Française. Salle Richelieu, en alternance, du 14 avril au 8 juillet.

 

Photo (c) Brigitte Enguérand  

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April 17, 2018 5:29 PM
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“L’Eveil du printemps”: Clément Hervieu-Léger porte l’héritage de Patrice Chéreau à la Comédie-Française

“L’Eveil du printemps”: Clément Hervieu-Léger porte l’héritage de Patrice Chéreau à la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Arvers et Patrick Sourd dans Les Inrocks - 17/04/18

 

“L’Eveil du printemps”: Clément Hervieu-Léger porte l’héritage de Patrice Chéreau à la Comédie-Française
 
Proche dans sa jeunesse de Patrice Chéreau, Clément Hervieu‑Léger réunit autour de lui l’équipe artistique de son mentor pour mettre en scène L’Eveil du printemps de Wedekind avec la troupe de la Comédie-Française.


Bleu ardoise du sol au plafond. Pousser la porte de la Salle Richelieu de la Comédie-Française, pour assister à une répétition de L’Eveil du Printemps de Frank Wedekind par Clément Hervieu-Léger, commence par le choc esthétique de la découverte de la boîte à jouer conçue comme un monochrome en trois dimensions par le scénographe Richard Peduzzi. L’entrée de la pièce scandaleuse de Wedekind au répertoire se double ainsi d’un autre événement, celui de la première commande d’un décor créé par le scénographe de Patrice Chéreau dans la maison de Molière.

Acteur et metteur en scène, Clément Hervieu-Léger est pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2005. C’est en 2003 qu’il rencontre Patrice Chéreau : “J’étais venu voir sa mise en scène de Phèdre à l’Odéon et il était là. On a parlé et la discussion qui a commencé ce jour-là a finalement duré dix ans et dure encore pour moi. Peut-être a-t-il vu dans le jeune homme que j’étais un écho possible. En tout cas, il m’a emmené à l’opéra, au théâtre et au cinéma. J’ai commencé comme acteur dans son film Gabrielle. Ensuite, il m’a demandé de travailler avec lui comme assistant sur l’opéra Così fan tutte de Mozart puis sur Tristan et Isolde de Wagner. On a collaboré pendant les dix dernières années de sa vie. Une décennie de compagnonnage ; je crois qu’il était à un moment de son existence où lui-même se posait la question de la transmission.”

“On a l’impression de poursuivre un chemin”

Tous ceux qui ont travaillé avec Patrice Chéreau ont eu le sentiment d’appartenir à une même famille. “Depuis mes premiers spectacles, une partie de l’équipe artistique réunie par Patrice m’accompagne, Caroline de Vivaise aux costumes et Bertrand Couderc aux lumières. Ce qui change effectivement la donne, c’est l’arrivée de Richard Peduzzi au décor. Il se trouve qu’après la mort de Patrice Chéreau et celle de Luc Bondy, Richard pensait qu’il n’aurait plus de raisons de revenir travailler au théâtre, avec le sentiment de vivre la fin d’une histoire.

Le moment où Eric Ruf m’a proposé de monter L’Eveil du printemps a coïncidé avec celui où Richard m’a fait part de son désir de travailler avec moi. J’en fus très touché, d’autant plus qu’il avait travaillé pour l’opéra avec Patrice sur Lulu de Berg d’après la pièce de Wedekind. Se retrouver à nouveau tous ensemble est extrêmement émouvant. Evidemment, cette réunion fait que Patrice est très présent. Comment pourrait-il en être autrement ? On a l’impression de poursuivre un chemin. Oui, il nous manque chaque jour. On partage tous ce sentiment. Et d’un autre côté, la chose la plus forte que je puisse faire pour qu’il continue d’exister en moi, c’est du théâtre. Alors, il est entre les lignes et dans les silences. Il est à nos côtés plus que jamais, il nous porte joyeusement.”

“L’accusation de pornographie est évidemment outrancière mais la crudité réside surtout dans le fait que Wedekind ne s’embarrasse pas de faire des tours et des détours pour raconter l’adolescence”

Chronique des bleus à l’âme d’une bande d’adolescents en quête d’identité et confrontés à leurs désirs, L’Eveil du printemps de Frank Wedekind réunit tous les sujets qui fâchent quand on parle de la jeunesse, de la masturbation à l’avortement, de la prostitution à l’homosexualité et au suicide. Ecrite en 1891, la pièce est d’emblée interdite pour pornographie. “Ma pièce est défigurée”, dira Wedekind, qui jouait le rôle de l’Homme masqué quand elle fut finalement montée avec de nombreuses coupes en 1906 par Max Reinhardt.

“Pour éviter la censure, rappelle Clément Hervieu-Léger, Reinhardt avait enlevé la scène de masturbation collective, celles d’auto-érotisme et d’homosexualité. L’accusation de pornographie est évidemment outrancière mais la crudité réside surtout dans le fait que Wedekind ne s’embarrasse pas de faire des tours et des détours pour raconter l’adolescence.”

Les comédiens, versatiles comme les adolescents

L’œuvre sulfureuse accompagne depuis toujours le parcours de Clément Hervieu-Léger : “C’est une pièce que j’aime énormément, je l’ai dans mes bagages depuis le Conservatoire. Tous les jeunes comédiens la connaissent. Quand on commence à travailler sur des textes, on cherche toujours des rôles qui correspondent à notre âge. Mais aujourd’hui, je réalise en la montant que distribuer les rôles à des acteurs débutants aurait été une fausse bonne idée.

Le propre de l’adolescence, c’est aussi d’avoir la possibilité de passer dans la minute du rire aux larmes, d’un sentiment à un autre avec la plus grande sincérité. Et à part les adolescents, je ne connais qu’une catégorie de personnes capables d’une telle versatilité, ce sont les comédiens. Qu’importe que les acteurs aient dix ans de plus que leurs personnages, tout est question de conventions. Il ne s’agit pas de jouer aux adolescents ou de chercher à se rajeunir, il suffit de rendre compte au premier degré des émotions des personnages.”

Avec Julie Sicard (Ilse), Georgia Scalliet (Wendla), Sébastien Pouderoux (Melchior), Christophe Montenez (Moritz), Rebecca Marder (Théa), Julien Frison (Hans) et Gaël Kamilindi (Ernst), ce groupe figurant les jeunes gens multiplie les talents pour croiser le fer avec des professeurs et un monde des adultes qui les empêche de vivre. “Je situe l’action dans les années 1950-60. Je voulais la rendre plus proche de nous, tout en restant avant la période de la révolution sexuelle, avant Mai 68. A cette époque, on ne connaissait pas la mixité dans le système éducatif, l’avortement se faisait encore de manière illégale et l’homosexualité n’était pas encore dépénalisée.”

Parler de l'adolescence avant l'invention de l'adolescence

Faut-il rappeler que Wedekind écrit cette pièce en 1890, à une époque où la notion même d’adolescence n’est pas encore reconnue. “C’est une idée très neuve. Son surtitre ‘Tragédie enfantine’ est éloquent, il s’agit d’un monde où ne sont reconnus que les enfants et les adultes. Il faut attendre 1962 aux Etats-Unis pour que soit édité un premier ouvrage de psychanalyse consacré à l’adolescence. Se questionner sur ces adolescents n’a de sens qu’à partir du moment où ils sont inscrits dans le contexte de la société. L’un des privilèges de travailler à la Comédie-Française est justement de pouvoir incarner tous les rôles et de rendre justice à la dimension sociologique de la pièce.”

L’adolescence n’est pas faite pour qu’on s’y arrête. C’est un moment, une transition. “C’est le fameux complexe du homard dont parle Dolto. Tout à coup, il faut enlever une carapace, l’autre n’est pas faite et il y a ce temps où, effectivement, on est vulnérable parce qu’on est nu.” 

“Un garçon dit à l’autre ‘je t’aime’ avec tout ce que ça signifie pour un adolescent de dire pour la première fois ‘je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne’”

Tel un jeu de cubes et de quilles, l’espace transformiste de Richard Peduzzi s’anime et se recompose à la reprise de la répétition pour cadrer le grenier de l’acte II, scène 4. Ses mouvements dignes d’une chorégraphie s’accordent à la ritournelle mécanique des boîtes à musique d’une bande-son inspirée par les Scènes d’enfants de Robert Schumann. Hommage rendu à Wedekind qui aimait autant le théâtre que le ballet et le cabaret, la mise en scène de Clément Hervieu-Léger enchaîne les séquences avec la fluidité d’un montage cinématographique.

“C’est parce que les scènes sont courtes que l’on est saisi. Je trouve que ça relève plus du music-hall et du cirque. Ce qui est très frappant dans l’acte III, c’est qu’une scène d’amour entre deux garçons soit inscrite entre l’enfermement dans la maison de correction et le drame d’un avortement. C’est la seule scène d’amour apaisé. Un garçon dit à l’autre ‘je t’aime’ avec tout ce que ça signifie pour un adolescent de dire pour la première fois ‘je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne’.” Merci à Clément Hervieu-Léger de rendre ainsi justice à la modernité de Frank Wedekind en nous offrant enfin sa pièce à découvrir brute de décoffrage et dans son intégralité.

L’Eveil du printemps de Frank Wedekind, mise en scène Clément Hervieu-Léger, avec la troupe de la Comédie-Française. Salle Richelieu, en alternance, du 14 avril au 8 juillet

Légende photo : Clément Hervieu-Léger (au centre) échange avec ses comédiens Sébastien Pouderoux et Christophe Montenez lors d’une répétition au Français, le 5 avril 2018. © Brigitte Enguérand/coll. Comédie-Française

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April 12, 2018 7:16 PM
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Clément Hervieu-Léger, l’héritier affranchi

Clément Hervieu-Léger, l’héritier affranchi | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde le 12.04.2018
L’homme de théâtre marqué par Chéreau met en scène « L’Eveil du printemps », de Wedekind, à la Comédie-Française.


Un visage, un corps, un regard, des mots. Eléments d’un portrait. Le visage, chez Clément Hervieu-Léger, est à la fois masculin et féminin. Le corps, gracieux, plus athlétique qu’il n’y paraît. Le regard, brûlant et clair. Les mots, précis et fiévreux, viennent à la fois de la tête et du cœur.

A 40 ans et toujours un air d’enfance accroché comme une ombre, il s’est taillé un joli chemin à la Comédie-Française, où il est entré en 2005 comme pensionnaire. Rapidement, il signe des spectacles remarqués et devient sociétaire le 1er janvier.

Aujourd’hui, il fait entrer dans la vénérable maison un invité sulfureux, qui jusque-là n’avait pas eu droit à cet honneur : l’Allemand Frank Wedekind (1864-1918), son monde de désirs incandescents et réprimés, et cette pièce magnifique qu’est L’Eveil du printemps. Ce classique de la modernité va bien à Clément Hervieu-Léger, qui semble toujours tenir l’équilibre entre deux pôles. Il ne se destinait pas au théâtre, lui le fils de deux sociologues, Bertrand Hervieu, spécialiste du monde agricole, et Danièle Hervieu-Léger, labourant le champ religieux et spécifiquement celui du catholicisme, et dont la voix, forte et précise, s’est plusieurs fois exprimée, dans les colonnes du Monde notamment, pour démonter les approximations anthropologiques des adversaires du mariage pour tous.

« Bon élève »
« Je me voyais plutôt faire Sciences Po ou l’ENA et devenir fonctionnaire : la notion de service public m’a été inculquée de naissance, et m’a toujours importé, note-t-il. Mais l’univers de la scène n’a jamais été loin : ma grand-mère, professeure de lettres et passionnée de théâtre, m’y a beaucoup emmené, ma mère a fait l’école du Théâtre national populaire (TNP) en même temps que Sciences Po, et j’ai fait de la danse classique dès l’âge de 6 ans. » Le théâtre l’a attrapé à peine son bac en poche. Le « bon élève » n’a même pas eu le temps de suivre une formation de comédien. « Mais j’ai eu la chance inouïe d’avoir une autre école », sourit-il.

Un soir de l’hiver 2003, alors qu’il vient juste de terminer les représentations d’Antoine et Cléopâtre, sous la direction de Daniel Mesguich, il prend un billet pour aller voir Phèdre, de Racine, mis en scène par Patrice Chéreau aux Ateliers Berthier. « Je n’avais jamais vu de spectacle de Chéreau, il avait ­arrêté le théâtre pendant plusieurs années. Ce soir-là, il était là. Après la représentation, je suis resté discuter avec des amis, Patrice ­Chéreau s’est joint à nous, et nous avons entamé une conversation qui ne s’est jamais interrompue. »

Le décès du metteur en scène, en 2013, n’interrompt pas cette ­relation, précise le comédien : « Le travail est pour moi une manière de prolonger ce dialogue avec lui. » Clément Hervieu-Léger joue dans Gabrielle, un film que Chéreau signe en 2005, et assiste le metteur en scène-réalisateur au théâtre et à l’opéra, sur Cosi fan Tutte, Tristan, De la Maison des morts, de Janacek, ou Rêve d’automne, de Jon Fosse. Il collabore avec lui à l’écriture de deux livres, J’y arriverai un jour (Actes Sud) et Les Visages et les Corps (L’Harmattan).

Leurs mots, notre vie
Jeune chevalier adoubé par le seigneur, le risque était grand pour lui de subir l’influence trop forte du maître. « Mais j’ai eu la chance, là aussi, d’être appelé par Marcel Bozonnet, alors administrateur, pour entrer à la Comédie-Française en 2005, se souvient Clément Hervieu-Léger. En tant qu’acteur du Français, on joue beaucoup et on est sans cesse confronté à des esthétiques ­différentes, ce qui m’a permis de me construire, y compris a contrario d’ailleurs. J’ai adoré jouer dans Les Fables de La Fontaine montées par Bob Wilson et j’ai adoré ­certains de ses spectacles en tant que spectateur. Mais ce n’est pas du tout le théâtre que j’ai envie de faire comme metteur en scène. »

Clément Hervieu-Léger reste profondément marqué par Chéreau, avec qui il partage « un goût du répertoire et des textes et une même obsession du rapport entre le corps et le mot, de l’incarnation, de ­l’engagement des corps ». Mais il a su trouver sa propre identité de metteur en scène, au fil de spectacles toujours raffinés et profonds, signés à la Comédie-Française ou ailleurs : La Critique de l’école des femmes et Le Misanthrope, de Molière, L’Epreuve et Le Petit-Maître corrigé, de Marivaux, Le Pays lointain, de Jean-Luc Lagarce, créé au Théâtre national de Strasbourg à l’automne 2017 et programmé au Théâtre de l’Odéon la saison prochaine. Mais aussi, dans le registre du théâtre musical et de l’opéra, Monsieur de Pourceaugnac, de Molière et Lully, La Didone, de ­Cavalli, avec William Christie, et Mitridate, re di Ponto, de Mozart, avec Emmanuelle Haïm.

« CELA VOUS OBLIGE À METTRE DE VOTRE PROPRE VIE DANS LE SPECTACLE QUE VOUS MONTEZ. EN TANT QU’ARTISTE, VOUS NE POUVEZ PAS FAIRE L’ÉCONOMIE DE VOUS-MÊME »

 


Qui a dit que le répertoire était une chose poussiéreuse ? Clément Hervieu-Léger sait qu’il n’en est rien et qu’on peut dire autant – voire plus – sur aujourd’hui avec une œuvre du XVIIe siècle qu’avec un texte écrit hier. « En tant que comédien comme en tant que metteur en scène, j’ai la même obsession : trouver l’équilibre entre la manière dont l’œuvre ou le personnage se rapproche de moi et la manière dont je me rapproche d’eux, analyse-t-il. Si vous vous ­intéressez à la vie de Molière ou de Jean-Luc Lagarce, ce n’est pas pour faire leur biographie sur scène. C’est parce que cela vous oblige à mettre de votre propre vie dans le spectacle que vous montez. En tant qu’artiste, vous ne pouvez pas faire l’économie de vous-même. »

Un fil ténu mais tenu, avec autant de constance que de discrétion, court donc tout au long des spectacles de Clément Hervieu-Léger, et notamment à travers les trois personnages d’Alceste (Molière), de Florimond (Marivaux) et de Louis (Lagarce), tous trois interprétés par Loïc Corbery, son ami, son double, son alter ego de ­théâtre. Un fil tendu sur la difficulté de dire le désir homosexuel ou « anormal », de l’assumer auprès de sa famille et de la société, et sur la solitude qui s’ensuit.

Chéreau toujours
Cette question du désir est également au cœur de L’Eveil du printemps. Wedekind y met en scène une bande de jeunes gens travaillés par des appétits sexuels en butte à une société et à des adultes dressés sur leurs certitudes. « La pièce a été écrite en 1890, mais elle est d’une modernité et d’une crudité inouïes, observe-t-il. Cette “insensée cochonnerie”, comme l’appelait Wedekind avec dérision, a d’ailleurs été rapidement censurée, après sa création au début du siècle. Elle a inspiré à Freud ses Essais sur la théorie sexuelle, et à Lacan un texte célèbre. Avec elle, c’est la première fois que la sexualité des jeunes est le sujet d’une œuvre dramatique. Wedekind y aborde, sans tabous ni enjolivements, le masochisme, l’autoérotisme, la masturbation collective, l’homosexualité, le suicide et l’avortement, menant au passage une charge implacable contre les principes éducatifs en cours à son époque. »

Pour cet Eveil, Clément Hervieu-Léger travaille pour la première fois avec Richard Peduzzi, le scénographe historique de Patrice Chéreau. « Avant, cela serait venu trop tôt, tant son univers est fort », constate-t-il. Chéreau, encore et toujours, jamais très loin, comme en profil perdu. Souvent, les psychanalystes disent qu’il ne faut pas seulement savoir transmettre, dans la vie, mais aussi savoir ­hériter. De toute évidence, ­Clément Hervieu-Léger a su.

« L’Eveil du printemps », de Frank Wedekind. Mise en scène : Clément Hervieu-Léger. Comédie-Française, salle Richelieu, du 14 avril au 8 juillet. www.comedie-francaise.fr


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April 2, 2018 2:56 PM
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Phèdre, rebelle au coeur nu. Mise en scène de Louise Vignaud au Studio-théâtre de la Comédie-Française

Phèdre, rebelle au coeur nu. Mise en scène de Louise Vignaud au Studio-théâtre de la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Hélène Kuttner dans Artistik Rézo



Délaissant Racine pour Sénèque, une toute jeune artiste, Louise Vignaud, monte Phèdre avec quatre comédiens de la Comédie Française au Studio. Texte dépouillé et direct, mise en scène en forme de combat de boxe, ce court spectacle révèle la puissance d’un auteur et la brutalité des passions.

L’aquarium des passions

On connaît la passion transgressive de Phèdre, belle-mère d’Hyppolite qui, éloignée de son époux Thésée durant quatre ans, se prend de passion pour son beau-fils. Au début de la pièce, Hippolyte, qu’incarne Nazim Boudjenah, est un gamin belliqueux et sauvage qui ne cesse d’exhorter la déesse Diane chasseresse de l’épauler dans ses furieux combats. La scène est dépouillée avec juste un rideau blanc qui figure un ailleurs, tandis que nous sommes dans un palais glacial. Quand apparaît Phèdre dans sa robe scintillante d’or, le corps ployé de souffrance dans l’aveu de son amour adultère, face à une nourrice incrédule et horrifiée, le spectateur comprend que les personnages seront désormais seuls face à eux-mêmes, débarrassés des dieux et des mythes, prisonniers de leur condition et prêts à tout pour y échapper.

Un texte puissant


Dans la belle traduction, très moderne, de Florence Dupont, le texte de Sénèque brûle d’une actualité mordante. Que ce soit dans les tirades de la Nourrice, merveilleusement interprétée par Claude Mathieu, critiquant les puissants de perdre leur temps avec des problèmes insolubles, alors que les pauvres se préoccupent de leur bol de soupe, ou dans celle de Phèdre, que joue la frémissante Jennifer Decker, abandonnée dans sa solitude d’otage d’un époux volage et guerrier, Sénèque fait parler des êtres hurlant seuls leur souffrance sans communiquer les uns avec les autres. Et la manière dont les personnages s’expriment, dans une langue directe, sans précaution ni préciosité, est saisissante.

Acteurs 


L’inceste, ce désir qui brûle Phèdre et la rend monstrueuse aux yeux de tous, c’est bien à Hyppolite qu’elle l’adresse, celui qui fuit les femmes, les déteste et préfère chasser les animaux dans la nature. Au contraire, son père Thésée, amateur de femmes, ne supporte pas l’accueil que lui réserve Phèdre et ce qu’elle lui révèle. Thierry Hancisse en fait une composition prodigieuse, d’une puissance absolue, en donnant à Thésée l’épaisseur humaine qui lui manque souvent. Dès lors, les Amazones, les Néréides, l’Olympe et Cérès ont moins d’importance que la détresse d’un homme qui se sent trahi par les siens. On regrettera le traitement plus discutable du choeur (Pierre Louis-Calixte) qui parait errer plus que d’incarner la parole populaire face à la puissance de jeu des autres personnages. Un spectacle en tous cas à découvrir d’urgence.

Hélène Kuttner



Phèdre 

 Auteur : Sénèque, traduit par Florence Dupont 

 Metteur en scène : Louise Vignaud 


 Distribution : Claude Mathieu, Thierry Rancisse, Pierre Louis-Calixthe, Nâzim Boudjenah et Jennifer Decker 


 Du 29/03/2018 Au 13/05/2018 


 Tarifs : 8€ à 22€ Réservations en ligne Réservations par téléphone : 01 44 58 98 58 


 Durée : 1h20 


 www.comedie-francaise.fr 


 Studio-théâtre de la Comédie Française Rue de Rivoli Paris, France 


Photo © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française.

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February 27, 2018 6:46 PM
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Les Forçats de la route, texte de Albert Londres, conception et interprétation Nicolas Lormeau

Les Forçats de la route, texte de Albert Londres, conception et interprétation Nicolas Lormeau | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte pour son blog Hottello      23-02-2018


Les Forçats de la route, texte de Albert Londres, conception et interprétation Nicolas Lormeau – Singulis – Seul-en-scène à la Comédie-Française




Les Forçats de la route, texte de Albert Londres (Editions Arléa), conception et interprétation Nicolas Lormeau – Singulis – Seul-en-scène

Reporter de la Première Guerre, Albert Londres (1884-1932) couvre les fronts pour Le Matin, part aux Dardanelles pour Le Petit Journal – la campagne d’Orient entre 1915 et 1917 -, revient sur les fronts français et italien, puis en Allemagne en 1919.

L’expérience de la guerre oriente sa carrière vers le journalisme et le militantisme social, dénonçant la misère et l’injustice. Ainsi, Au bagne (1923), un premier reportage, décrit les conditions de vie des bagnards à Cayenne ; l’observation et les témoignages sont tels que le bagne fermera ses portes entre 1936 et 1938.

D’autres récits décrivent l’injustice sociale à travers le monde : bagnes militaires, traite des Blanches, asiles, vie inhumaine des pêcheurs de perles…, dressant minutieusement des tableaux vivants et documentés de milieux jusque là ignorés.

Le reporter est correspondant sur la « grande boucle » pour Le Petit Journal, en 1924. Cette dix-huitième édition du Tour de France compte quinze étapes, une distance totale de 5 425 km et 157 coureurs dont 60 seulement franchiront l’arrivée.

A chaque étape d’une course très populaire dès ses débuts, Albert Londres – novice en cyclisme – rencontre pourtant les coureurs – vedettes ou « ténébreux » inconnus.

Le comédien Nicolas Lormeau qui met en scène Les Forçats de la route révèle en même temps la manière – rigueur et grand style – du grand reporter averti.

Il raconte la poussière, la boue, les crevaisons, les crampes, les départs en pleine nuit et déjà les multiples pilules et anesthésiants… et témoigne de l’inhumanité des conditions auxquelles les coureurs sont soumis, des incohérences du règlement.

« Quand nous crevons de soif, avant de tendre notre bidon à l’eau qui coule, on doit s’assurer que ce n’est pas quelqu’un, à cinquante mètres qui la pompe. Autrement : pénalisation. Pour boire, il faut pomper soi-même.»

Nicolas Lormeau, cycliste amateur et homme de culture, note que le dérailleur n’est pas de mise en 1924, les concurrents sont de véritables esclaves de la petite reine.

Les concurrents montent le Col du Galibier à la seule force de leurs jambes.

« On s’habitue à tout, il suffit de suivre le Tour de France pour que la folie vous semble un état de nature », dicte au téléphone le correspondant au Petit Journal.

Tel un maître d’école de la République du début du XX é siècle, il reproduit en pédagogue le tracé des kilomètres à parcourir, des étapes à circonscrire, après avoir retrouvé les noms de l’ensemble des participants – dont les frères Pélissier, Hector Tiberghien, et Bottecchia, ex-maçon italien, vainqueur du Tour cette année-là.

Un conte théâtral plein de suspens et de tension, d’âpreté et de dureté qui met au jour à la fois l’inhumanité profonde et la gratuité – l’art pour l’art – d’une telle aventure qui repose sur les ressources physiques et mentales mobilisées par ces vrais durs.

Le public au bord de la route de la Grande Boucle et les spectateurs des Forçats de la route, restent fascinés par le courage, la volonté et la ténacité de ces artistes qui ne comptent pas leur souffrance – douleurs, pavés du Nord et crevaisons des roues.

Tous font l’épreuve de la poussière sur des routes non bitumées encore, poussière soulevée par les voitures : « Cela faisait d’immenses copeaux de poussière. Les yeux brûlés, la bouche desséchée ils ont supporté la poussière sans rien dire.»

Départ d’étape à Argenteuil, puis Coutances, Le Havre, Brest, Landerneau, Quimper, Lorient, Les Sables-d’Olonne, Luchon, Toulon.., les coureurs roulent de nuit, les habitants des villes et bourgs se penchent à leur fenêtre pour voir passer les héros :

« IIs ont le soleil, ils ont la poussière, ils ont les fesses en selle depuis deux heures du matin, il est six heures trente du soir; dans une dernière souffrance, ils font un dernier effort pour l’arrivée. »

Accompagné de la musique de Bertrand Maillot et de projections d’archives – scènes d’arrivée, de chutes, de crevaison, de spectateurs et spectatrices réjouis par la performance –, le spectacle déplie la belle et douloureuse histoire d’hommes forts.

Véronique Hotte

Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli 75001 Paris, du 21 février au 11 mars 2018 à 20h30. Tél : 01 44 58 98 58

Crédit photo : Vincent Pontet, collection Comédie-Française

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February 19, 2018 6:16 PM
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"La Tempête" de William Shakespeare par Robert Carsen à la Comédie-Française : une magie bien réelle 

"La Tempête" de William Shakespeare par Robert Carsen à la Comédie-Française : une magie bien réelle  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Claire Bonnot dans le blog Apartés


Du 9 décembre 2017 au 21 mai 2018
à la Comédie-Française

"Nous sommes de l'étoffe dont nos rêves sont faits et notre petite vie est entourée de sommeil."

La Tempête, William Shakespeare



Maître en comédies musicales et opéras, Robert Carsen investit pour la première fois la scène du Français pour mettre en scène l'ultime pièce de Shakespeare, La Tempête. Privilégiant la délicatesse du songe entre ombre et lumière au folklore de l'aventure, il invite le public à s'immerger dans un rêve (ou un cauchemar) initiatique. Une tempête subtile qui invite à la rêverie productive.



Un décor blanc de blanc, un lit d'hôpital, un être fantomatique vêtu d'un pyjama immaculé, des ombres projetées... La salle Richelieu ressemble à un linceul. Pour Robert Carsen, ce sera « la tempête sous un crâne », celui de Prospero. Si cette première scène aux allures de tragédie psychologique inquiète, le romanesque de l'histoire reprend bien vite le dessus à l'écoute des premiers dialogues entre le duc déchu (parfait Michel Vuillermoz) et sa fille adorée Miranda (lumineuse Georgia Scalliet)...



Une tempête hantée et frémissante


En dépouillant l'espace de décors imposants et en optant pour un théâtre de présence - ombres immenses nous évoquant tout l'imaginaire fondateur de Peter Pan, acteurs au centre portant des costumes aussi légers que le vent - Robert Carsen offre un spectacle définitivement enveloppant. Très vite, le texte de Shakespeare, aussi poétique que rocambolesque, nous emmène sur les rives de cette île mystérieuse et inhabitée sur laquelle ont échoué Prospero et Miranda il y a douze ans de cela. Antonio, le frère et oncle, aidé du roi de Naples, Alonso (très majestueux Thierry Hancisse), les ont jetés à la mer. On l'imagine si bien cette île. Et pourtant, seule une vidéo en noir et blanc, projetée en fond de scène, illustre le ressac de vagues sur une plage. Tout se jouera dans cet espace clos, tel un monde en carton peuplé de marionnettes manœuvrées par un magicien, Prospero lui-même. Contrôlant les esprits et les éléments, il profite du passage de la cour de Naples et de son frère aux abords des côtes pour provoquer une... tempête. L'arrivée de l'équipage abasourdi est d'une telle esthétique : leurs uniformes et leurs valises attérissant sur cette scène déserte de tous décors offrent une imagerie digne d'une peinture. Tout comme ce moment où le jeune prince Ferdinand, fils du roi de Naples, se croit perdu sur cette plage inconnue et s'avance seul, torse nu, face à ces vagues en images de synthèse sorties tout droit d'un cauchemar ou d'un rêve. Tout est délicatesse dans cette mise en scène. Plus tard, quand Ferdinand et Miranda apprennent à s'aimer, Robert Carsen en offre le témoignage le plus délicieux aux traîtres et au public. Voici les tourtereaux, héros d'un film muet, jouant aux échecs sur une plage, cheveux aux vents, en noir et blanc. Un pur moment d'éternité et de beauté.



Les mots de Shakespeare résonnent merveilleusement bien dans cette mise en scène subtile. Ils ne se cognent pas mais hantent les parois de cet espace fermé, transfiguré par les esprits flottants et frémissants dont Ariel est le maître d'orchestre, lui-même aux ordres de Prospero. Le pouvoir magique de cet « esprit » inonde littéralement la salle Richelieu d'une clarté plus que d'une ombre, celle du pardon qui vient après la vengeance, celle d'un ciel redevenu calme après la tempête.

Portée par une troupe joyeusement habitée


Dernière pièce de Shakespeare jouée en 1611 et analysée comme une œuvre testamentaire, La Tempête offre une intrigue aux sens multiples et des personnages hauts en couleurs. La mise en scène dépouillée de Robert Carsen et l'excellence du jeu laissent magnifiquement passer toute la fantaisie des situations entre les rires, la tendresse et le drame. Scène d'anthologie par exemple que la rencontre entre les deux ivrognes au service d'Alonso, le majordome Stephano et le bouffon Trinculo courtisés par ce sacripant de Caliban, sauvage de l'île flairant le bon coup. Sur une scène jonchée de déchets en plastique, les excellents Stéphane Varupenne (Caliban), Jérôme Pouly (Stephano) et Hervé Pierre (Trinculo) jouent à la Commedia dell'arte dans un langage génialement fleuri. Autre trio qui régale : la passe d'armes verbale entre les deux fourbes de l'histoire - Antonio, duc usurpateur de Milan (magistral Judas, Serge Bagdassarian) et Sebastian, frère du roi de Naples (Benjamin Lavernhe, irrésistible traître et en alternance avec Noam Morgensztern) - et le vieux conseiller honnête (Gilles David est formidable) s'empêtrant dans sa loghorrée de gentil bougre. Pour ce qui est des moments de poésie infinie, contemplez à loisir la grâce de Christophe Montenez (qui peut définitivement tout jouer après avoir été l'un des infâmes dans Les Damnés) en sage esprit Ariel et le duo parfait que forment Georgia Scalliet, superbe d'innocence, et son prince enfiévré, émouvant Loïc Corbery.


La magie opère par petites touches d'ombre et de clarté sans hypnotiser nos esprits aux vagabondages intimes. Des sensations délicates pareilles à un rêve permettant, après ce palpitant sommeil, un nouvel éveil.


Claire Bonnot


"La Tempête" de William Shakespeare mise en scène par Robert Carsen à la Comédie-Française


Du 9 décembre 2017 au 21 mai 2018 la Comédie-Française
Place Colette, 75001 Paris


Matinées à 14h, soirées à 20h30.
Durée : 2h40 avec entracte.


Crédit photo (c) Vincent Pontet, collection Comédie-Française

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February 17, 2018 4:32 AM
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Louise Vignaud, la résolue

Louise Vignaud, la résolue | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Julie Briand dans Profession Spectacle - Date: 17 février 2018

À 29 ans, Louise Vignaud est metteure en scène associée au Théâtre National Populaire de Villeurbanne où elle vient de créer Le Misanthrope de Molière. Au printemps, elle dirigera pour la première fois les acteurs de la Comédie-Française dans Phèdre, de Sénèque, au Studio-Théâtre.

Rencontre

Depuis septembre 2017, elle est également directrice du Théâtre des Clochards Célestes, une petite salle lyonnaise qui œuvre depuis bientôt quarante ans à la visibilité des artistes dits « émergents ». Lorsqu’on lui demande comment elle réussit à concilier toutes ces activités, Louise Vignaud répond : « C’est un travail dément, mais je n’ai pas peur du travail. Et puis j’ai des équipes formidables. Aux Clochards Célestes, je ne suis « que » directrice. Je m’occupe de la direction artistique, je vérifie que tout marche bien, mais ce sont les équipes qui font tourner le théâtre. »

Du théâtre en équipage

Elle est à la fois modeste et « terriblement entêtée ». En témoigne le nom de sa compagnie, La Résolue, emprunté à un navire français du XVIIe siècle. Louise ne conçoit le théâtre qu’en équipage : chacun à son poste, elle à la barre. Lancelot Rétif, son administrateur, la définit comme un « chef d’orchestre » : « Sa première qualité, c’est l’écoute. Elle est consciente de l’ampleur du travail autour du plateau et a une vraie considération pour la place de chacun, mais à la fin, c’est elle qui tranche. Son travail de mise en scène est une écriture : elle signe. »

Formée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm puis au sein du département « metteur en scène » de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, Louise Vignaud défend un théâtre du texte et des acteurs.

 « J’aime le théâtre où je me fais embarquer complètement, où il y a un texte, une langue, où l’on me raconte une histoire qui me fait réfléchir, me bouleverse, me perturbe. Il y a des spectacles dont je ne me suis jamais remise, des images qui sont restées imprégnées très loin dans la rétine. »

Elle cite Chéreau, Vitez, Strehler… Ses souvenirs de spectatrice émerveillée défilent : La Forêt mise en scène par Piotr Fomenko à la Comédie-Française, La Rose et la hache de Georges Lavaudant, la Phèdre de Patrice Chéreau, Le Jugement dernier par André Engel.

Un corps à corps avec le texte

Son désir de mise en scène s’embrase au contact des auteurs. Lorsqu’une rencontre littéraire s’impose comme une nécessité, lorsqu’un texte crée « un nœud dans le ventre qu’on a besoin de démêler », elle doit s’embarquer avec lui. Le décortiquer, le comprendre (elle travaille avec la dramaturge Pauline Noblecourt), lui donner corps sur le plateau pour, enfin, pouvoir le partager avec les spectateurs.

Insatiable, la jeune metteure en scène a des projets plein ses tiroirs. Des textes, dramatiques ou non, contemporains ou non, mais qui, toujours, disent quelque chose de l’état du monde. Citons notamment deux adaptations qui seront créées à Lyon cet automne : Le Quai de Ouistreham, un reportage de Florence Aubenas dans le monde des travailleurs précaires, et L’Université de Rebibbia, récit d’un séjour en prison de l’auteure italienne Goliarda Sapienza.

Entre acharnement et délicatesse au service de la bonne ambition

Louise trace son sillage, accompagnée par deux générations d’artistes : celle de ses camarades trentenaires, souvent issus de l’ENSATT, qui mettent leurs talents au service de sa compagnie ; et celle de ses « papas de théâtre » qui la soutiennent depuis ses débuts et se nomment – excusez du peu – Michel Raskine, Éric Ruf, Christian Schiaretti, Jean-Pierre Vincent.

Ce dernier nous parle de Louise comme d’« une personne à la fois acharnée et très délicate ». Il se souvient avec tendresse de leur première rencontre, au groupe théâtral du lycée Louis-Le-Grand, où elle l’avait invité avec Patrice Chéreau, tous deux étant d’anciens élèves de l’établissement. « Elle s’est pendue au téléphone pendant six mois pour nous faire venir. Elle y est arrivée. C’était une soirée assez miraculeuse, j’avais l’impression d’avoir rêvé de cette salle toutes les nuits pendant quarante ans. »

Il va ensuite voir le Lorenzaccio qu’elle monte au sein du groupe théâtre. Il croit en elle, reconnaît son potentiel, son intelligence.

Lors de sa création de fin d’études à l’ENSATT, il est dans les gradins. Elle a choisi Calderón, de Pasolini. La mise en scène est « magistrale, une sorte de chef-d’œuvre ». À la sortie, il la félicite pour ce spectacle « ambitieux, au meilleur sens du terme ». Et Louise de répondre : « Mais c’est toi qui me l’a dit, après Lorenzaccio ! ». Que lui a-t-il dit ? Qu’il fallait être « dévoré par la bonne ambition : l’ambition pour les autres ». Pour les acteurs, pour l’équipe, pour les spectateurs. L’ambition du capitaine pour son équipage. L’ambition de La Résolue.

Julie BRIAND

Mise en scène de Louise Vignaud

Le Misanthrope, de Molière, jusqu’au 18 février 2018 au TNP à Villeurbanne.
Phèdre, de Sénèque, du 29 mars au 13 mai 2018 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française.


Légende photo : Portrait de Louise Vignaud (crédits Anne Bouillot)

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February 14, 2018 7:20 PM
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Poussière : vie et mort en direct à la Comédie Française

Poussière : vie et mort en direct à la Comédie Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Hélène Kuttner dans Artistik Rézo


Pour l’une de ses toutes dernières pièces, le dramaturge suédois Lars Norén a choisi la troupe du Français, dix comédiens qu’il met face à nous sur une plage de cendres grises qui racontent leurs souvenirs et leur attente de la mort. Les acteurs y sont éblouissants dans ce moment de grâce où la vie joue à cache-cache avec la mort, la mémoire et l’oubli.

Au crépuscule de la vie

« J’ai attendu impatiemment de devenir vieux. Parce que cela pouvait être un moyen d’échapper à ce que les gens attendent de vous. » Lars Norén, dramaturge mondialement connu de 73 ans, quatre-vingt pièces de théâtre à son actif et autant de poèmes, se confie dans le programme. La fin de vie comme liberté suprême où tout serait permis. Où le corps fatigué ne serait plus astreint à des performances et l’esprit divaguant échapperait à toute morale, à tout principe, pour accepter tout simplement l’état présent. Cette création très particulière, écrite véritablement pour chacun des comédiens choisis par Norén, laisse à voir ce voyage des corps et des esprits vers un ailleurs où tout serait possible.

Une scénographie somptueuse


Dans le très élégant décor de Gilles Taschet, no man’s land fait de ruines et de poussière, une lande fouettée par le vent marin, un simple mur de voile, en fond de scène, désigne l’ailleurs de la vie, une anti-chambre brumeuse où les corps glissent, comme délestés du poids de leur enveloppe charnelle. Mais avant de migrer, de disparaître tels des ombres lumineuses avec leurs souvenirs, ils sont bien là, plantés debout ou assis devant nous, dans la belle lumière de Bertrand Couderc. Dominique Blanc, épuisée par la vie et par son mari Hervé Pierre, malade, méchant, râleur, et qui se laisse aller dans l’oubli total de sa dignité. Ils sont magnifiques. Martine Chevallier, pauvre femme usée avec sa fille inadaptée, Françoise Gillard, petit animal apeuré et souffreteux qui l’insupporte. Bruno Raffaelli, ogre maladroit, Alain Lenglet, pasteur épris de Simone Veil, Christian Gonon, Gilles David et Didier Sandre, mâles égarés et cassés par les malheurs, les leurs et ceux des autres. Daniele Lebrun ronge son frein, avec énergie. Seule Anne Kessler, en bourgeoise protestante impeccable, se fait un point d’honneur à ne rien lâcher en se remaquillant.

Un poème incarné


Des sensations, des images, des rêves ou des cauchemars surgissent à travers les mots, les phrases prononcées et ponctuées de silences. Plus bavard que du Beckett, le texte peut parfois être cruel, violent et drôle. Puisque pour certains l’âge peut tout permettre, les comédiens, grimés, nous révèlent des mondes en suspension, une matière faite de regrets et de nostalgie, de secrets révélés et de désirs cachés. La mémoire joue à cache-cache et les personnages s’en amusent. Ils enragent aussi de cette décrépitude et pestent les uns contre les autres. Mais la lumière et les couleurs, le jeu puissant des acteurs qui se saisissent de leur propre univers, transcendent cette déchéance et la transforment en un long poème, déroutant certes, mais d’une rare profondeur. Une expérience que l’on peut refuser, tant le miroir tendu est effrayant, mais une expérience superbement portée.

Hélène Kuttner


Poussière 

 Auteur : Lars Norén 

 Metteur en scène : Lars Norén 

 Distribution : Martine Chevallier, Anne Kessler, Bruno Rafaelli, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Christian Gonon, Hervé Pierre, Gilles David, Danièle Lebrun, Didier Sandre et Dominique Blanc avec les comédiens de l'académie de la Comédie Française 


 Traduction française Aino Höglund et Amélie Wendling 


Spectacle donné en alternance Du 10/02/2018 Au 16/06/2018 Tarifs : de 5 € à 42 € Réservations en ligne Réservations par téléphone : 01 44 58 15 15 Durée : 1h55 www.comedie-francaise.fr Comédie Française Place Colette Paris, France



Crédit photo ©Brigitte Enguérand

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January 26, 2018 6:31 AM
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Jean-Luc Lagarce, pleins feux

Jean-Luc Lagarce, pleins feux | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Chronique d'Armelle Héliot dans Le Figaro - 26/01/2018


Vingt-deux ans après sa mort, sa version de "La Cantatrice chauve" de Ionesco réjouit et "J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne", son avant-dernière pièce, portée très haut par la troupe de la Comédie-Française, bouleverse.


On préférerait qu'il fût là, on préférerait qu'il n'ait pas été, si jeune, happé par la maladie de son temps. Il aurait écrit encore. Il aurait joué, mis en scène ses camarades. Il n'aurait jamais abandonné cette manière si particulière de dire, d'écrire. Phrase reprise, sans cesse relancée, phrase qui se dilate, se rétracte. Phrase qui palpite comme un cœur trop sensible, phrase qui va selon son mouvement de navette. Ici, là. Phrase enivrante. Ainsi allait Jean-Luc Lagarce (14 février 1957-30 septembre 1995). Ses amis ne l'ont jamais lâché et travaillent à sans cesse retisser des liens. Ainsi peut-on voir à l'Athénée (jusqu'au 3 février) sa mise en scène acidulée, épatante, revigorante de La Cantatrice chauve . Dans sa génération, rares étaient les artistes à lire Ionesco, à le comprendre, à le monter. Jean-Luc Lagarce fut de ceux-là. Dès 1991. En 2007, parce qu'il aurait eu 50 ans cette année-là, ses indéfectibles compagnons d'aventure organisèrent une série d'hommages. François Berreur, directeur de la maison d'édition Les Solitaires intempestifs, eut l'idée d'une résurrection de La Cantatrice. On la retrouva en 2008. Et la revoici, plus pimpante, heureuse, folle, que jamais… Lente pavane



D'une autre eau est « J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne ». Le titre instaure immédiatement un climat, un suspens, une mélancolie sourde, l'espérance d'une délivrance, peut-être. Mais il ne faut pas s'y laisser prendre: les cinq femmes réunies, une mère, une «plus vieille», trois sœurs, s'expriment parfois en canon tandis qu'un homme, un homme jeune, qui vient de revenir, est quelque part, au calme d'une chambre. En partance. La mort hante ce texte qui précède d'un an à peine celle de l'auteur. Son avant-dernière pièce avant « Le Pays lointain ».


Dans ces deux œuvres, comme dans Juste la fin du monde, qui date de 1990 et que Xavier Dolan a adaptée au cinéma, il s'agit d'un retour. Lent retour, lente pavane. Jeune artiste très indépendante d'esprit et très soucieuse de la lettre des textes, Chloé Dabert signe au Vieux-Colombier, avec la Comédie-Française, une mise en scène éblouissante, accomplissement parfait d'un classique. Blanc et tout en transparence est le décor, pur, simple, harmonieux de Pierre Nouvel. Une maison des limbes. La couleur est donnée par les costumes de Marie La Rocca qui définit chacune, discrètement, l'humeur par le son, la musique, fracas d'orage lointain, grondement sourd, éclats déchirants, inquiétants, orchestrés par Lucas Lelièvre.


Chloé Dabert a puisé dans la troupe d'excellence de la Comédie-Française. Celle qui ouvre et ferme la parole est l'aînée, l'institutrice. Suliane Brahim, fine lame, voix claire, ferme, puissante, module de manière fascinante la phrase lagarcienne, porte haut la véhémence, la douleur, le grinçant désespoir. Elle est magnifique. Les partitions de ses camarades sont plus sourdes, tout autant douloureuses. Clotilde de Bayser, la mère, nouée sur le chagrin, vraie, profonde, Cécile Brune, l'ancienne, écoute tendue, parfaite, Jennifer Decker, blessée, combative, remarquable, Rebecca Marder, la benjamine, crissante et très touchante. Cinq voix accordées sous la férule éclairante de Chloé Dabert qui signe un travail très fort sur un tempo vif. On sort de là déchiré, dans l'admiration d'un écrivain immortel et de ces artistes uniques qui le ramènent au présent, au pur présent.



La Cantatrice chauve, Athénée (Paris IXe), jusqu'au 3 février. Tél.: 01 53 05 19 19.


J'étais dans ma maison… Vieux-Colombier (Paris VIe), jusqu'au 4 mars. Tél.: 01 44 58 15 15.

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April 23, 2018 4:56 PM
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L’adolescence, brûlant mausolée selon Clément Hervieu-Léger 

L’adolescence, brûlant mausolée selon Clément Hervieu-Léger  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thomas Ngo-Hong Roche dans Hier au Théâtre


Comment mieux définir l’adolescence qu’en évoquant l’image d’un mausolée ou d’une prison ? Clément Hervieu-Léger, avec l’aide du scénographe Richard Peduzzi, prend la métaphore au pied de la lettre et conçoit L’Éveil du printemps comme un espace d’aliénation trouble. Oscillant constamment entre la candeur désarmante et distanciée de la jeunesse dans sa direction d’acteurs et la machinerie implacable, monacale et glacée d’un décor interlope, son interprétation de la pièce sulfureuse de Wedekind séduit. Relevant le défi d’une imposante distribution, le sociétaire qui monte sait très bien où il va et nous embarque dans cette odyssée adolescente avec brio.

Tel un bourgeon de fleur prêt à enclore, L’Éveil du printemps s’ouvre sur le personnage espiègle de Wendla qui refuse de porter une robe trop longue pour son anniversaire. Quatorze ans déjà, le temps file… Femme-enfant, la jeune fille dévoile de plus en plus (consciemment ?) ses atours au grand désespoir de sa mère surprotectrice. Trois heures plus tard, lorsque le rideau tombe, Wendla meurt suite à un avortement brutal. Ce grand écart entre la sève vivifiante de la jeunesse et la mort précipitée d’une génération ne laisse pas d’interroger notre rapport à l’adolescence.

Cette étape cruciale dans la vie de tout un chacun est abordée sans fard par Wedekind. Suicide, viol, désirs SM, homosexualité, masturbation : rien ne nous est épargné dans cette quête identitaire qui prend la forme d’un jeu aussi innocent que malsain. Dans cette pièce chorale, où l’individu n’existe qu’au sein du collectif, les comédiens du Français virevoltent avec énergie. Trois d’entre eux se distinguent : Georgia Scalliet irradie d’innocence mutine dans le rôle de Wendla : sa soif de compréhension du monde et de questionnement sur ses propres désirs captive. Sébastien Pouderoux, lui, dévoile une virilité mi-brutale, mi-intellectualisée attirante. Christophe Montenez, enfin, n’en finit pas de démontrer son talent en interprétant des personnages tourmentés et opaques. Sa composition très énigmatique de Moritz relève presque de la démence : chien fou en rut au comportement ultra intériorisé, on sent bien qu’il est sur le point de craquer à tout moment mais l’acteur se maintient constamment en équilibre. Prodigieux. Saluons aussi Cécile Brune, formidable en mère poule, Serge Bagdassarian effrayant de rigorisme en directeur obtus et Éric Genovèse terrifiant mari macho qui tente de sauver son enfant de la perdition.

L’ensemble des trois groupes, adolescents, parents et enseignants, évolue au sein du monumental décor de Richard Peduzzi : cet assemblage de panneaux coulissants d’un bleu-gris monochrome étonne de prime abord. On se serait attendu à plus de couleurs, de psychédélisme, de vie en somme pour incarner cette irruption des désirs. Que nenni : l’austérité presque glaciale de la scène contrebalance les émois amoureux de nos jeunes gens et confirme cette sensation étouffante d’enfermement et d’onirisme. Ce contraste chaud/froid permet de mieux abattre la carte de la distanciation, qui fonctionne à merveille.

Malgré quelques tunnels, cet Éveil du printemps maintient effectivement les sens en alerte. L’excitation brûlante se révèle tempérée par une prison glacée qui relèverait presque de l’ascétisme. ♥ ♥ ♥ ♥

L’ÉVEIL DU PRINTEMPS de Frank Wedekind. M.E.S de Clément Hervieu-Léger. Comédie-Française. 01 44 58 15 15. 2h45.

Photo © Brigitte Enguérand

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April 20, 2018 7:13 PM
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Clément Hervieu-Léger : « Comme Lagarce, j’ai eu envie de rassembler ma famille »

Clément Hervieu-Léger : « Comme Lagarce, j’ai eu envie de rassembler ma famille » | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Emilie Grangeray dans M le magazine du Monde | 20.04.2018 

 

A la mort de son mentor, Patrice Chéreau, en 2013, Clément Hervieu-Léger a décidé de monter « Le Pays lointain » de Jean-Luc Lagarce, pièce-fleuve sur l’amour et la mort. Rencontre avec le metteur en scène et ses comédiens.

 

Voir sur le site de M le magazine du Monde avec les portraits des comédiens par Jean-Louis Fernandez : http://www.lemonde.fr/scenes/article/2017/09/29/theatre-un-beau-voyage-dans-le-pays-lointain_5193586_1654999.html


Jean-Luc Lagarce meurt du sida en 1995. Quelques mois plus tôt, le dramaturge a publié Le Pays lointain. Dans cette pièce-fleuve (quatre heures, onze comédiens sur scène), il donne à entendre ce que le personnage de Louis, 40 ans, n’arrivera finalement pas à avouer à sa famille : il va mourir. Une intrigue très similaire à celle de Juste la fin du monde, que Lagarce avait écrit cinq ans plus tôt. L’impossibilité de dire, voilà ce qui a intéressé Clément Hervieu-Léger quand il a senti, à la mort de Patrice Chéreau en 2013, « la nécessité sensible de monter cette pièce ». « Patrice n’a jamais monté Lagarce, alors même que c’est sans doute l’un des auteurs qui lui ressemblent le plus : le désir, l’amour et la mort mêlés sont des thèmes que l’on retrouve dans toute son œuvre », dit, avec pudeur, celui qui a travaillé dix ans avec le metteur en scène. « Ce qui m’intéressait, aussi, c’était la façon dont Lagarce est un classique contemporain. Comment, tout à la fois, il raconte et une époque (les années sida) et nous, toujours, nous posant, comme Molière ou Marivaux que j’ai précédemment mis en scène, la question du désir et des conventions sociales. »

« LE THÉÂTRE DE LAGARCE NOUS PERMET DE CONVOQUER NOS FANTÔMES POUR RACONTER NOTRE PROPRE HISTOIRE. » CLÉMENT HERVIEU-LÉGER, METTEUR EN SCÈNE

 


Ce Pays lointain arrive à point nommé dans la vie de Clément Hervieu-Léger. A 40 ans, celui qui a souvent été qualifié de jeune prodige de la Comédie-Française, vient d’y être nommé sociétaire. « C’est une période particulièrement heureuse, c’est vrai, humainement et artistiquement », confie-t-il. Ce n’est pas un hasard non plus si, créé au TNS (« c’est une chance de travailler avec cette équipe et la confiance totale de Stanislas Nordey, son directeur »), Le Pays lointain a été produit par La Compagnie des petits champs, que Clément Hervieu-Léger a fondée avec Daniel San-Pedro en 2010. « Comme Lagarce, j’ai eu envie de rassembler ma famille, une famille choisie, en demandant à Audrey Bonnet ou encore à Loïc Corbery, mon alter ego sur scène, d’en être. Chacun a son pays lointain. Le théâtre de Lagarce nous permet de convoquer nos fantômes pour raconter notre propre histoire. »

Lire aussi :   Théâtre : un beau voyage dans « Le Pays lointain » : http://www.lemonde.fr/scenes/article/2017/09/29/theatre-un-beau-voyage-dans-le-pays-lointain_5193586_1654999.html



« Le Pays lointain », de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Clément Hervieu-Léger, Théâtre de Lyon-Les Célestins, du 24 au 28 avril. Puis en tournée, notamment à l’Odéon en mars 2019. Informations : La Compagnie des Petits-Champs www.lacompagniedespetitschamps.com

Loïc Corbery

« Je suis Louis, celui qui sait qu’il va mourir. Peut-être même est-il déjà mort quand il décide de convoquer au théâtre tous les témoins de son passé, ses amis, ses amants, sa famille ? On peut avoir l’impression que Louis parle beaucoup, alors qu’en réalité il est surtout à l’écoute de ce que les autres rapportent à son propos. Pour ce spectacle, il me fallait accepter de m’effacer et, quatre heures et demie durant, de me laisser traverser par ce que les autres disent de mon personnage. On croit qu’être acteur c’est prendre en charge des mots qui ne sont pas les siens. Or, plus le temps passe, et plus, au contraire, je me raconte moi-même. Longtemps, on m’a donné des rôles de jeunes premiers lumineux, mais Clément Hervieu-Léger a cherché ce qu’il y a de sombre et de sourd en moi, un tragique que je peux cacher. »

Nada Strancar

« Je joue la mère de Louis – de ses trois enfants, son préféré. Elle me fait penser à la mienne et, plus largement, à cette génération de femmes d’après-guerre, qui font comme si tout allait bien et qui, lorsque des disputes éclatent, essaient de colmater tout, tout le temps. C’est une pièce où, pour beaucoup d’entre nous qui sommes toujours – ou presque –tous ensemble sur le plateau, il y a beaucoup de “temps morts”, pendant lesquels nous sommes juste dans l’écoute. Ainsi, parfois je me pose la question : j’écoute comment ? Comme la mère de Louis ? Comme l’actrice que je suis ? C’est assez vertigineux tout autant que magnifique, et au fond c’est l’histoire du théâtre, cette famille que s’était choisie Jean-Luc Lagarce. »

Vincent Dissez

« Je joue Longue Date, qui porte ce nom sans doute parce que c’est celui qui a passé le plus de temps avec Louis – davantage même que sa famille – et qui le connaît le mieux. C’est la personne choisie, l’ami, le confident, le garde-fou aussi du héros, qui rappelle le type de personnage que l’on rencontre dans le théâtre classique : c’est le Horatio de Hamlet, le Kent du Roi Lear ou le Philinte du Misanthrope. C’est un personnage en retrait, comme le montre d’ailleurs avec justesse cette photo. On voit bien la tension entre l’envie de connaître et la peur de découvrir. Ce sont ces fleurs qu’il tient dans ses mains et qui ne trouveront pas de destinataire, tout comme ce qui devait être dit n’adviendra pas. »

Audrey Bonnet

« Je suis Suzanne, la benjamine, la sœur de Louis, qui vit seule avec sa mère. Je fais donc partie de la famille naturelle, celle des perdus de vue. Jusqu’à présent murée dans le silence, Suzanne va enfin se mettre à parler. Au bout de deux heures sur scène, elle dit soudain à Louis quelle déflagration a provoqué son départ et ce qu’a signifié tout ce temps sans lui. Ce sont les mots de Suzanne que j’ai eu envie de dire puisque Clément Hervieu-Léger m’a fait ce très beau cadeau de me laisser le choix du rôle. Cette Suzanne, j’ai préféré ne pas trop la définir, me laissant ainsi la possibilité d’en découvrir autre chose à chaque représentation. »

 

 

Légende photo : Au Théâtre national de Strasbourg en septembre 2017, lors de la création du « Pays lointain ». (c) JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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April 20, 2018 3:38 AM
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«L’Eveil du printemps», à l’ombre des ados en fleurs - 

«L’Eveil du printemps», à l’ombre des ados en fleurs -  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Tion dans Libération 20.04.2018

 

A la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger redonne ses lettres de noblesse à cette pièce méconnue de Wedekind. Brillant.


En avril, les terrasses bourgeonnent et la Comédie-Française présente l’Eveil du printemps. Cette association saisonnière n’est pas sans enjeu. Pour l’institution, le spectacle constitue une triple entrée au répertoire, celles de Frank Wedekind et de cette pièce de 1891, mais aussi celle de Richard Peduzzi, scénographe historique de Patrice Chéreau qui n’avait encore jamais œuvré salle Richelieu. En bout de course, les presque trois heures sans entracte de cet Eveil sont à la hauteur de l’attente.

La pièce, taxée d’immoralité et dénonçant les principes éducatifs d’une époque révolue - quoique -, expose de manière fragmentaire le parcours de trois ados qui voient se profiler face à eux le tsunami de l’âge adulte. Ils sont évidemment emportés, et la promesse joyeuse d’un éveil printanier se conclut sur une série d’impasses : mal-être, sexualité réprimée, scolarité écrasante, parents pudibonds incapables de les guider. On craint le pensum dépressif. Mais non. Car Wedekind, auteur radical à l’œil lucide, sait aussi nourrir son analyse d’un humour qui fait mouche. Cent vingt ans après la création de la pièce dans l’Allemagne de Bismarck, le public actuel du Français rit de gags d’ado, l’auteur touchant alors à l’universalité, ce qu’aucune forme de censure - qu’il subit vingt ans – ne peut altérer.

La troupe s’empare du texte intégral sur une mise en scène fine de Clément Hervieu-Léger qui s’ingénie à rapprocher deux flux. Une noirceur d’ensemble, soutenue par une scénographie modulable sombre, des costumes aux coloris éteints et des lumières peu frontales allant du doux au lugubre - costumes et lumières signés Caroline de Vivaise et Bertrand Couderc, eux aussi fidèles de Chéreau, dont l’ombre plane sur le spectacle. Et dans ce bain de tristesse vient bouillonner la furia du mouvement, la vie débordante enfantine en recherche d’expérience. Courses, parties de foot, on ne s’allonge ici que pour se relever immédiatement, on mange l’objet du désir masturbatoire (une photo), on dévore le raisin… Ou alors on bascule dans l’univers adulte, avec ses raisonnements ineptes sur les fermetures de fenêtres et sa rigidité formelle, ampoulée, empesée. Les 23 comédiens de cette saga de l’intime se partagent l’un ou l’autre camp, les héros étant saisis en zone frontière.

C’est là que se jouent les grandes expériences. Elles sont racontées en ce qui concerne Moritz (Christophe Montenez), secoué de tics, rappelant Claude Rich, qui met de beaux sourires sur l’histoire de ses échecs. Elles sont vécues pour le couple Wendla (Georgia Scalliet) et Melchior (Sébastien Pouderoux). Le temps d’une scène fascinante où toutes les intentions se transforment, ils démontent certains mécanismes sadomasochistes avec une aisance gamine.

A la fin de Lulu, du même Wedekind, Jack l’Eventreur achève la pièce à coups de scalpel : il sait ce qu’il veut, la mort. Cet Eveil, après beaucoup d’hésitation, décide de vivre, mais sans célébration, entouré d’amertume et de fantômes, «qui se réchauffent à la pourriture et sourient».

Guillaume Tion
L’Éveil du printemps de Frank Wedekind m.s. Clément Hervieu-Léger Jusqu’au 8 juillet à la Comédie-Française.

 

 

Légende photo : Clotilde de Bayser et Eric Génovèse en parents dépassés. Photo Agathe Poupeney

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April 19, 2018 6:53 AM
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« L’Éveil du printemps », de Frank Wedekind, mis en scène par Clément Hervieu-Léger à la Comédie-Française

« L’Éveil du printemps », de Frank Wedekind, mis en scène par Clément Hervieu-Léger à la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Philippe Leclercq dans L'Ecole des lettres
Dessin de Richard Peduzzi
 
« L’Éveil du printemps », de Frank Wedekind, mis en scène par Clément Hervieu-Léger à la Comédie-Française



L’Éveil du printemps, pièce en trois actes, entre aujourd’hui au Répertoire de la Comédie-Française en même temps que son auteur, le dramaturge et poète allemand Frank Wedekind, mort il y a tout juste un siècle à l’âge de 53 ans.

Sous-titré « Tragédie enfantine » (Kindertragödie), le texte aborde la question des premiers émois de l’adolescence, prisonnière de ses angoisses et d’une société éminemment puritaine.

Rencontre passionnante avec son metteur en scène, Clément Hervieu-Léger.


Comment êtes-vous arrivé au texte de Frank Wedekind, publié en 1891, et finalement créé en 1906 après avoir été censuré pour pornographie ?


L’Éveil du printemps est une pièce que tous les acteurs croisent à un moment ou un autre durant leur formation. Des scènes comme celle entre Moritz et Ilse, ou entre Wendla et Melchior, sont souvent choisies et travaillées en classe. Sans doute parce que les apprentis-comédiens se sentent en empathie avec les personnages d’adolescents, encore proches d’eux, du moins par l’âge.

C’est donc une pièce que j’avais en tête depuis longtemps. Alors, quand Éric Ruf m’a proposé de mettre une nouvelle fois en scène dans la salle Richelieu [après Le Misanthrope en 2014 et Le Petit-Maître corrigé en 2016, Ndlr], je me suis dit que pour l’entrée à la fois de l’œuvre et de l’auteur au Répertoire, c’était le bon endroit et le moment idéal – vu le talent actuel de la jeune troupe du Français – de monter cette pièce avec ses quarante rôles et dans son intégralité !

Comment aborde-t-on une pièce qui montre des jeunes gens, prisonniers des tabous et des conventions, de l’hypocrisie d’une société (prussienne) fin de siècle, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux ?

La force de la pièce de Frank Wedekind est, comme toutes les grandes œuvres, de ne pas être contrainte dans son époque. L’auteur s’affranchit des tabous, et montre tout. Il montre la masturbation collective, l’homosexualité, le sado-masochisme, le conflit avec les parents, et il aborde même la question de l’avortement. Autant de sujets qui demeurent parfaitement actuels.

Alors qu’il écrit sa pièce dès 1890, bien avant les Trois Essais sur la théorie sexuelle de Sigmund Freud (1905), Wedekind a l’intuition géniale de ce que peut être le fonctionnement des adolescents. Il devance non seulement le courant psychanalytique, mais aussi et surtout la notion d’adolescence, qui n’apparaît qu’en 1960 avec l’ouvrage de Peter Blos aux États-Unis, Les Adolescents : essai de psychanalyse (On adolescence). À une époque où l’on parle de « jeunes » pour désigner cet entre-deux encore méconnu, Wedekind nous permet d’entrevoir les adolescents comme un groupe constitué.

La modernité de l’auteur de L’Éveil du printemps provient, par ailleurs, de son approche frontale des sujets. Laquelle débute par le choix du vocabulaire. Celui-ci utilise le mot « avortement », et se réfère au divorce, un sujet seulement présent, à cette période, dans le théâtre nordique d’Ibsen ou de Strindberg par exemple.

Enfin, la pièce apparaît tellement en avance sur son temps que, située esthétiquement dans une autre époque, il est difficile de dire qu’elle date de 1890. Inutile, par conséquent, d’en tordre le texte pour qu’elle s’adresse à notre contemporanéité.


Pourquoi Freud, mais aussi Jacques Lacan qui rédige en 1974 une préface à la première édition de la traduction française, se sont-ils intéressés à la pièce de Wedekind ?

À la lecture de la pièce, on a souvent l’impression d’une illustration a priori des propos freudiens. Quoi qu’il soit, Freud y consacre quelques lignes dans Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), et une séance entière dans les réunions de la Société psychologique du mercredi à Vienne en 1907. Freud voit là une succession de cas. À l’image de celui de Moritz, qui est exemplaire de ce que peut être une dépression adolescente, motivée par un cruel sentiment d’impuissance (échec scolaire, rapport aux parents), menant au suicide.

De fait, Wedekind n’évite pas la question du suicide. Il l’aborde du point de vue des adolescents, mais aussi de celui des professeurs qui, avant le conseil de discipline, évoquent des épidémies de suicides. Or, l’on sait aujourd’hui que le suicide peut être un phénomène contagieux, autant chez les adolescents que dans le monde de l’entreprise.

Les psychanalystes ont également été sensibles à la présence des rêves, centrale à la pièce. Les adolescents ne cessent de les évoquer. Et ce faisant, de se dévoiler, et d’interroger la question de la précocité face à la sexualité quand Moritz s’étonne, par exemple, des connaissances avancées de son ami Melchior, d’un an son cadet.



La pièce pose, en effet, la question de l’âge de la découverte de la sexualité. Le choc qu’elle peut provoquer n’est-il pas plus précoce de nos jours ?

Hans, qui est un adolescent éduqué, habitué à fréquenter les musées, découvre la nudité féminine sur des tableaux. L’émotion ressentie au cours de cette expérience nous ramène aux réseaux sociaux que nous évoquions tout à l’heure, et au choc éprouvé par les adolescents face à la nudité, celle qui précède la pornographie, bien sûr. Cette confrontation n’a, certes, plus lieu dans les musées, mais il y a toujours un moment où l’adolescent fait l’expérience brutale de la nudité.

Le choc de l’adolescent d’aujourd’hui et de celui de 1890 tenu, quant à lui, à l’écart des questions de sexualité, sont très proches. Les représentations de nu féminin conduisent Hans au fantasme, à l’éveil du désir par l’auto-érotisme. Un parcours qui est aujourd’hui identique, avec son mélange d’excitation, de peur et de honte attaché à l’acte. Seule la question du moment est sans doute différente.


Quels ont été vos choix de mise en scène pour aborder les délicates questions d’onanisme collectif, de sado-masochisme, d’avortement, de viol et de suicide ?

Le théâtre a cette capacité unique de rendre la suggestion plus puissante que de montrer crûment. Il serait néanmoins insensé de jeter un voile pudique sur une pièce qui ne l’est pas. Il faut, par conséquent, trouver les moyens d’être éloquent sans trivialité. Ce qui s’avère parfaitement possible ici. Car le texte de Wedekind est porteur d’une grande poésie. Sa langue et sa dramaturgie prennent dignement en charge, et avec délicatesse, tous les sujets sensibles qu’il développe.

Ce qui compte beaucoup pour moi, c’est la question de l’incarnation. J’ai donc travaillé à l’encontre du « précédent brechtien » que l’on a voulu voir dans la pièce de Wedekind, et que lui-même rejetait d’ailleurs, afin que les acteurs s’incarnent, sans distance, dans leur personnage. La seule distance que je vois avec les personnages, c’est celle de l’âge.

Comme je le disais, le texte est souvent lu et joué par des comédiens qui ont peu ou prou l’âge des rôles. Je pense que c’est une erreur. Le texte est si exigeant, les rôles si complexes et difficiles à jouer qu’ils requièrent des acteurs, certes jeunes, mais aguerris, dotés d’une solide expérience, et d’une maturité qui dépasse celle de l’acteur lui-même. Des qualités qui permettent d’assumer pleinement des scènes comme celle du sado-masochisme par exemple.

Il s’agit ici de « faire jeune ». Et mon travail est de rendre possible la convention théâtrale selon laquelle le public croit à l’âge des personnages dès le lever de rideau, indépendamment de celui des acteurs.

La pièce est sous-titrée « Tragédie enfantine ». En quoi votre mise en scène répond-elle à ce quasi oxymore ?

Cette formule n’a pas toujours été bien comprise. Le tragique n’exclut pas l’humour que Wedekind revendique clairement, à l’exception de la scène où M. et Mme Gabor envoient leur fils en maison de correction.

L’Éveil du printemps est, selon son auteur, une pièce pleine d’humour et de soleil. Une pièce « climatique », faite de climats qui définissent l’action, plus encore que les lieux, réduits à de vagues évocations. De fait, il n’est souvent question que de « soir d’été ensoleillé », de « jour pluvieux », rompant avec l’unité de temps et de lieu. Une rupture qui est sans doute influencée par l’attrait de Wedekind pour le cabaret et le cirque.

Il faut donc prendre le sous-titre de la pièce avec davantage de mesure que ce que cela peut nous évoquer a priori. La « tragédie » s’adresse d’abord à notre humanité commune. Au sens antique du mot, la tragédie intime de chacun se trouve unanimement partagée. C’est la raison pour laquelle on relit sans cesse, pas seulement au niveau psychanalytique, des mythes tels que celui d’Œdipe par exemple.

Par ailleurs, la question de la tragédie, telle que la pose Wedekind, est aussi une affaire de lieu. Et lorsqu’on monte une tragédie antique ou classique, se pose toujours la question du lieu. Où la tragédie a-t-elle lieu ? C’est, donc, dans le sens de la définition du lieu que le sous-titre m’a inspiré. Or, sachant que dans L’Éveil du printemps on change d’espace à chaque scène et que le naturalisme n’est pas la réponse (scénographique), il s’agissait de traduire le passage d’un lieu à un autre dans une spatialité qui est elle-même mentale.

Pas de reconstitution de lieux : chambre, salle de classe, maison de correction, etc. S’agit-il d’un décor « abstrait » ?

En lien avec le sous-titre de la pièce « Tragédie enfantine », nous avons, le scénographe Richard Peduzzi et moi-même, réfléchi à un espace qui désigne l’enfance, assimilable à un jouet d’enfant tel que le jeu de cubes où chaque mouvement fait varier l’espace et le recrée. Une boîte-jouet, une boîte à jouer d’enfant qui serait aussi une sorte de palais à volonté qui est le décor parfait de la tragédie classique.

C’est donc un décor qui s’ouvre et se referme, à l’image du corps dans lequel l’adolescent se trouve enfermé ou, à l’inverse, dont il se sent parfois délivré. C’est un décor fonctionnant comme un mouvement respiratoire, où chaque lieu est néanmoins identifiable.

Ce décor est monochrome. Entièrement bleu, qui est une couleur très climatique, permettant le passage d’un univers gris à une nuit sombre, ou à un petit matin. Je voulais, avec Richard, que la lumière joue avec la couleur, à la manière d’un ciel.


Vous disiez que « L’Éveil du printemps » n’est pas une pièce naturaliste. Il est cependant question d’adolescents. Comment avez-vous travaillé le corps et ses mouvements dans l’espace ?

Ce n’est pas une pièce naturaliste, au sens où il ne s’agit pas de tomber dans l’anecdote. Mais, c’est une pièce qui exige l’incarnation à laquelle, à titre d’acteur et de metteur en scène, je crois beaucoup. Je crois au théâtre incarné. La distance, je la mets ailleurs, mais pas dans le jeu de l’acteur.

Dès que l’on donne chair à des personnages, on travaille sur les corps. Et mon travail consiste à mettre le corps de l’acteur en adéquation avec son personnage, sans que celui-là ait jamais à composer. Il s’agit ici de gommer toute théâtralité, qui affadirait le propos. Si je devais être bref, je dirais que c’est « comme dans la vie », et on le raconte au théâtre. Et c’est précisément ce que j’aime : quand la vie et le théâtre « frottent » ensemble.

Quels conseils avez-vous adressés à vos comédiens ?

Je suis très proche de mes acteurs, y compris sur scène, pendant les répétitions, et suis très attaché à la place occupée par chacun dans l’espace.

La mise en place des comédiens, le rapport des êtres dans l’espace racontent autant que les mots eux-mêmes. La position et les mouvements des corps doivent pouvoir suggérer les rapports de force, de séduction, de désir entre les personnages.

De plus, l’espace monochrome de Richard permet une sorte de gros plan continu sur les acteurs. La couleur est ici prise en charge par les costumes, et accroît d’autant le processus d’incarnation des personnages. L’œil du spectateur n’est attiré par rien d’autre que le corps des acteurs. Or, sachant que ce n’est pas tant le corps en soi qui m’intéresse que la manière dont tous interagissent, l’effet scénique est visuellement magnifique. Comme lorsqu’un groupe d’adolescentes se disloque, ou se transforme et change de comportement à la vue d’un garçon, simplement parce que le cœur bat plus vite. Aussi est-ce à moi de faire battre plus rapidement le cœur de mes acteurs pour trouver la justesse du corps.

Au milieu de ce décor monochrome, les costumes des années 1950-1960 apportent la couleur. Ils sont également des marqueurs temporels.

Je voulais sortir des années 1890, contemporaines de l’écriture de la pièce. Et, inversement, je ne trouvais pas « juste » d’inscrire la pièce dans notre époque.

Les années 1950-1960, précédant la révolution sexuelle, m’intéressaient pour toutes les questions liées au problème de l’avortement dont les femmes décèdent encore fréquemment, à l’image de Wendla, victime d’une « faiseuse d’ange ».

C’est la période d’avant 68, intéressante également pour ses principes éducatifs. C’est une époque où l’on porte encore l’uniforme, et le rapport à l’autorité et à l’échec scolaire y est différent.

Les costumes me permettaient de parler de cette période-là sans malmener les sujets (école, avortement) développés par le texte de 1890. Et, si l’on revient à la question du corps, ils autorisent une liberté de mouvement, bien différente de celle accordée par des costumes allemands de la fin du XIXe siècle.

Enfin, le personnage de l’homme masqué qui est, à mes yeux, proche de la vision du clochard céleste de Jack Kerouac, lui-même inspiré de l’adolescent absolu qu’est Arthur Rimbaud, correspond parfaitement à cette époque.



En quoi est-ce si important de monter « L’Éveil du printemps » dans son intégralité ?

Couper le texte, c’est le réduire à une succession de cas et n’en proposer qu’une lecture psychanalytique en ignorant la constitution des adolescents comme groupe social. Or, ce qui est passionnant dans ce que Wedekind nous donne à voir, c’est que ces jeunes êtres, parfaitement singuliers, forment groupe. Un groupe si important aujourd’hui que tous les médias s’y intéressent de près. Cependant, si on veut le comprendre, il faut se livrer aussi à une lecture sociologique, car c’est dans l’interaction des groupes sociaux que les adolescents se constituent – en rapport et/ou en réaction, parfois violente, face aux parents d’une part, face à l’école de l’autre. Par conséquent, si l’on supprime la scène des parents ou des professeurs, on se prive d’une immense partie de la compréhension de la pièce.

D’autre part, le groupe n’a d’existence, d’intérêt et de pertinence qu’à plusieurs. Et, une fois encore, les moyens de la Comédie-Française permettent de les faire exister tous. Y compris les six professeurs au cours de la scène du conseil de classe de l’acte III. Et la seule présence sur scène de ces six personnages rend la lecture du texte parfaitement juste.


La pièce se compose d’une suite de tableaux sans unité de lieu, ni d’espace. Comment êtes-vous parvenu à faire le lien et à trouver une unité ?

Plus que de tableaux, il faudrait parler de séquences. Je trouve que L’Éveil du printemps s’apparente à une sorte de montage cinématographique. Et, à la manière d’un film qui trouve son unité spatio-temporelle dans la continuité narrative, j’ai cherché à construire un récit continu, et à raccorder les séquences qui le composent. Et c’est le décor qui prend en charge tous les liens entre elles.

On est ici dans un décor très mobile, qui bouge beaucoup, comme une sorte de montage à vue. Le décor ne cesse de se transformer pour accompagner ces différentes séquences. Or, ces changements de décor sont davantage motivés par des changements d’atmosphère que par la temporalité qui reste assez ténue. Bien plus que la continuité temporelle, c’est le climat qui intéresse Wedekind…

Le climat intérieur…

Oui. Le climat comme reflet des états d’âme. Un intimité qui passe par l’extérieur, par le décor. Il faut donc davantage chercher à accompagner un mouvement intérieur/extérieur que de se situer dans le réalisme spatio-temporel. J’ai donc travaillé le texte dans ce sens, et fait de la mise en scène un vaste mouvement : mouvement des décors, mouvement vers la mort pour Moritz – et Wendla malgré elle –, mouvement vers l’existence pour Melchior.

Melchior décide certes de vivre, mais il n’est tenté par aucune vision sublime de la vie. Il n’a aucun enthousiasme à sortir de l’adolescence pour entrer dans le monde adulte, dont la perception est terrifiante de pessimisme.

En effet, les adultes ne sont guère épargnés dans la pièce. De quoi vous semblent-ils coupables ?

La société prussienne sous Bismarck est très rigide. L’ordre moral et la religion pèsent très lourds sur les consciences. Wedekind en stigmatise rudement l’hypocrisie.


Le corps professoral est, pour sa part, coupable de lâcheté. Le recteur craint d’être jugé. L’institution scolaire clame son innocence et fuit ses responsabilités.

Le cas des parents est différent, notamment celui des deux figures maternelles. L’une, la mère de Wendla, est à la tête de ce que l’on appelle aujourd’hui une famille monoparentale. Gênée, elle peine à trouver les mots pour répondre à la curiosité légitime de sa fille. Parler de la contraception à cette dernière lui paraît insurmontable. C’est un acte délicat, y compris de nos jours.

La mère de Melchior a, en revanche, l’esprit plus délié. Elle alerte son fils sur sa lecture de Faust, mais ne la lui interdit pas. Ses principes d’éducation sont étonnamment modernes, et s’apparentent à ceux qui se développeront dans les années 1950-1960, et qui conduiront au développement des méthodes pédagogiques du type Montessori ou de la Maison verte de Françoise Dolto.

Le rapport entre Melchior et sa mère est fondé sur la confiance, qui déstabilise le couple et exclut le père de cette relation privilégiée. Or, quand le fils déchoit, le père en profite pour reprendre sa place dont il se sent spolié depuis quatorze ans, et ce au prix d’un Œdipe à l’envers où celui-ci « tue » son propre fils en l’envoyant en maison de correction.

Enfin, si l’on considère également le poids que fait peser le père de Moritz sur son fils (qui se suicide et qui est renié par lui post-mortem), la question des parents est complexe. Wedekind nous offre une galerie de possibles, de stéréotypes parentaux extrêmement intéressants à projeter dans notre propre société.

Quels échos la pièce de Wedekind peut-elle avoir dans l’esprit des jeunes spectateurs qui ont l’âge des personnages ?

Je fais du théâtre pour essayer de comprendre le monde. Et le théâtre, a fortiori L’Éveil du printemps, s’adresse à nous de manière très intime.

Je suis persuadé que les adolescents présents dans la salle seront troublés, voire dérangés, par certaines scènes. Simplement parce que ce sera incarné, qu’il y aura des « gens en vrai » devant eux, qui leur parlent d’eux, sans le filtre ou la distance de l’écran dont on sait les ravages.

Mais, au-delà de leur gêne éventuelle, je souhaite qu’ils s’interrogent sur eux-mêmes, qu’ils questionnent leur regard, qu’ils reconsidèrent leurs idées et leurs certitudes.

J’espère que la pièce suscitera des discussions entre eux, des désaccords bien sûr, une identification peut-être, ou une approbation du texte. J’espère enfin qu’elle donnera l’occasion de débattre et de discuter autrement avec les adultes, parents et professeurs, pas seulement d’un point adulte, de l’ordre de l’étude de cas psychologique ou psychanalytique, mais d’un point de vue qui leur appartient. Si tel est le cas, j’aurai le sentiment d’avoir accompli mon travail.

Propos recueillis à Paris, le 27 mars 2018, par Philippe Leclercq



• « L’Éveil du printemps », de Frank Wedekind, à la Comédie-Française, place Colette, Paris 1er, du 14 avril au 8 juillet 2018. Tél. : 01 44 58 15 15.

 

Illustration
Dessin de Richard Peduzzi pour le décor de l'Eveil du printemps © Richard Peduzzi 

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April 18, 2018 8:27 PM
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Clément Hervieu-Léger : “Wedekind écrit des pages magnifiques sur les considérations adolescentes, qui naissent avec l’éveil du désir”

Clément Hervieu-Léger : “Wedekind écrit des pages magnifiques sur les considérations adolescentes, qui naissent avec l’éveil du désir” | Revue de presse théâtre | Scoop.it




Sociétaire de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger met en scène une pièce rarement montée de Frank Wedekind : “L’Éveil du printemps”. Précurseur de la psychanalyse, imaginant des scènes de groupes à la façon d’un sociologue, l’auteur allemand embrasse dans une tragédie sans pudeur les sujets qui hantent les adolescents : désir, honte, rivalité, mort, sexualité… Le metteur en scène nous livre une vision de cette pièce vertigineuse, louée par Freud et Lacan.

Pourquoi vous êtes-vous arrêté sur L’Éveil du printemps ?

Clément Hervieu-Léger : C’est une pièce rarement montée mais connue chez les jeunes comédiens. En cours de théâtre, lorsqu’on cherche des scènes à travailler, on se dirige vers des personnages qui ont nos âges. On cherche aussi des scènes fortes, qui font vibrer. Le texte de Frank Wedekind (1864-1918) a ces qualités. Cependant, il est rarement joué dans son intégralité. Je l’ai en tête depuis longtemps. Je l’ai relu tandis que je travaillais avec les élèves du Conservatoire, mais je ne l’ai pas monté avec eux. Je crois que c’est une erreur de penser que l’on peut vraiment jouer le texte à 19 ans. Il faut paradoxalement beaucoup d’expérience pour raconter cette jeunesse. Ces rôles demandent d’aller si loin en soi que leur interprétation est vertigineuse.

Pourquoi ?

Techniquement, ces rôles demandent une maturité d’acteur pour ne pas surjouer l’enfance. La puissance de la pièce, son caractère très cru, n’est pas simple à aborder. Wedekind l’écrit en 1890, quinze ans avant les Trois essais sur la théorie sexuelle de Freud, avant l’essor de la psychanalyse, à une époque où la notion même d’adolescent n’existe pas. Or rien n’y est tu : le sadomasochisme, le suicide chez les adolescents, la masturbation et l’autoérotisme, les considérations sur la mort, l’avortement. Il est stupéfiant de voir combien ces thématiques sont proches des questionnements que nous continuons de nous poser.

Quand Éric Ruf, notre administrateur, m’a proposé de monter un nouveau spectacle, j’y ai immédiatement pensé, en sachant que je pouvais m’appuyer sur l’expérience de la jeune troupe de la Comédie-Française. La première tentation est de jouer une adolescence qui tire vers l’enfance. C’est un piège. Il faut en réalité s’attacher à coller au plus près des préoccupations de Wedekind, en jouant au premier degré les enjeux des personnages. Alors cette adolescence si complexe à représenter vient d’elle-même.


« Comme toute les grandes œuvres théâtrales, la pièce se révèle bien au-delà de nos espérances quand on la joue »
Clément Hervieu-Léger

 


Qu’avez-vous découvert en commençant à travailler ?

Comme toute les grandes œuvres théâtrales, la pièce se révèle bien au-delà de nos espérances quand on la joue. Wedekind avait à la fois une connaissance de l’homme et du milieu du spectacle. Son père était gynécologue ; sa mère était comédienne et chanteuse lyrique dans les cabarets. On sent qu’il connaît le milieu, car son écriture prend en charge une bonne partie du jeu des acteurs. Il n’y a pas à « jouer » cette jeunesse, elle est déjà magnifiquement contenue dans l’écriture dramatique.

 

Freud puis Lacan en ont fait un commentaire psychanalytique.

Oui, Freud l’évoque dans une réunion de la Société psychologique du mercredi, en 1907, après la mise en scène qu’en a fait Max Reinhardt. Jacques Lacan a lui été sollicité par François Regnault pour écrire une préface à une nouvelle traduction, lorsque Brigitte Jaques met le texte en scène en 1974. Nous avons d’ailleurs choisie cette traduction révisée pour son entrée au répertoire de la Comédie-Française.

Mais si l’on s’en tient à une lecture psychanalytique, on manque un aspect important de la pièce. Une lecture sociologique est extrêmement précieuse pour éviter la tentation des « études de cas ». Wedekind présente en réalité des phénomènes de groupe. Ces « ados », avec leurs singularités, se construisent collectivement en fonction d’autres groupes : les parents d’un côté, les professeurs de l’autre… Les adultes sont quasiment réduits à des fonctions sociales. La Comédie-Française offre la possibilité de distribuer tous les rôles. C’est très important car ils sont tous liés les uns aux autres. Même quand ils sont seuls, ils parlent des autres. Comme quand l’un des jeunes, Moritz, se tire une balle dans la tête. Le groupe parle au cimetière de la mort de leur copain, puis la vie reprend.

 

Le rapport à la mort des adolescents est très différent de celui des enfants.

Les enfants peuvent étonnement avoir une certaine « familiarité » avec la mort. Mais elle n’est jamais pour eux qu’une mort accidentelle, subie. Moritz, lui, choisit de mourir. Quand on est enfant, on ne pense pas à la possibilité de la mort. En réalité, Moritz ne désire pas tant mourir, il aurait aimé ne pas naître. Sa question est celle du sens de sa venue au monde. Wedekind écrit des pages magnifiques sur ces considérations adolescentes, qui naissent avec l’éveil du désir.

Ilse représente à l’inverse un personnage suicidaire, qui désire mourir. Elle dit ceci à la fin d’une de ses scènes : « Vous avez le temps de voir venir ; d’ici là, je serai déjà à la poubelle. » Aujourd’hui, elle serait dite « en rupture ». Elle a quitté l’école et vit une vie dépravée. Elle brûle sa vie, aussi courte soit-elle. Pourtant, elle n’est pas sans innocence. Avec Moritz, elle continue à avoir un regard innocent.

Melchior incarne une troisième tendance de ce rapport à la mort. Dans une scène au cimetière, son copain Moritz revient d’entre les morts, comme une figure plutôt séduisante de la mort. De l’autre, un homme masqué, énigmatique, l’invite à le suivre mais sans être beaucoup plus rassurant : « Tu ne sauras qui je suis qu’à partir du moment où tu choisis de me suivre. » Dans cette métaphore de la vie, la mort n’est pas absente.

 

« Nous ne pouvons pas ne pas penser que Wedekind a une compréhension profonde de ce qu’est la sexualité »
Freud

 


La pièce a été interdite pour pornographie à sa publication, en 1891. Comment Wedekind traite-t-il de la sexualité des adolescents ?

« Nous ne pouvons pas ne pas penser que Wedekind a une compréhension profonde de ce qu’est la sexualité. Il suffit pour s’en convaincre de voir comme le texte explicite des dialogues passant constamment des sous-entendus à caractère sexuel », écrit Freud, lorsqu’il évoque la pièce à Vienne en 1907. En effet, lorsque Moritz prend la parole avant de suicider, seul dans une forêt, il dit ainsi s’apprêter à partir sans avoir « fait la chose entre toutes ». Il ironise : « Vous revenez d’Égypte, cher Monsieur, et vous n’avez pas vu les pyramides ? ». Wedekind insiste sur le socle de frustration et d’humiliation et de rivalité sur lequel le désir repose. La honte de soi et de sa propre ignorance n’est pas un sentiment infantile, mais purement adolescent, qui émerge avec la naissance du désir. De ce point de vue le titre de la pièce est manifeste : L’Éveil du printemps.

 

René Girard thématise le « désir mimétique » comme une source de rivalité. Selon lui, nous ne désirons pas une chose, mais nous désirons une chose parce qu’un autre la désire, par imitation. Ce désir crée donc de la rivalité. Est-ce présent dans la pièce ?

Wedekind montre que désir s’alimente lui-même. Il regarde les hommes de façon quasi clinique, en prenant en considération les groupes et leurs interactions, désir et rivalité compris. Son rapport au temps n’est pas linéaire ; il ne donne en guise d’indication que des éléments comme « il pleut », « coucher de soleil », « soir d’été ». C’est une pièce très climatique. Plusieurs lignes de temps se croisent. Ce qui importe à Wedekind, c’est que le climat soit l’impression d’un état d’âme. Il est emprunt du théâtre de Strindberg et surtout d’Ibsen, qui est lui-même très « atmosphérique ».

Chez les adolescents, la question du jeu est très présente. Elle prend un sens supplémentaire sur scène. On ne sait plus où est le jeu, même pour les acteurs. Cette mise en abîme fait de L’Éveil du printemps une œuvre magistrale. Wedekind est souvent présenté comme le précurseur de l’expressionnisme et du théâtre brechtien. Mais il fait voler en éclat toutes les chapelles. Sa révolte contre l’ordre moral n’est pas l’œuvre d’un idéologue. Si je n’ai pas cherché à traiter les espaces d’un point de vue naturaliste, je me suis méfié de la mise à distance s’agissant du jeu. Wedekind fait se frotter le jeu de l’acteur et celui de l’adolescent à un tel niveau d’acuité qui faut être subtil pour rendre cette troublante confusion.


« L’adolescence n’est pas un état dans lequel on est censé s’arrêter. Il fallait imaginer un espace purement transitionnel »
Comment avez-vous rendu cette confusion, sur scène ?

Avec Richard Peduzzi, le scénographe, nous avons suivi Wedekind lorsqu’il indique dans ses notes que le naturalisme n’est pas une solution esthétique pour rendre compte de L’Éveil du printemps. Il se moque que les changements de décor soient possibles. Nous avons voulu créer un espace mental à partir d’une « boîte », comme les cubes d’un jeu d’enfant. En les bougeant, on figure tantôt une chambre tantôt une forêt ou un cimetière. L’espace se modifie ainsi au gré des scènes, à mesure que change l’état de ces adolescents, qui peuvent se sentir enfermé et avoir envie de pousser les murs. Le décor est monochrome si bien qu’il peut rapidement nous faire passer du soir au petit matin. Le bleu gris est une couleur magnifique qui peut s’oublier complètement ou se révéler par un jeu de lumières. J’aime jouer de cette incertitude, comme je l’ai fait dans d’autres mises en scènes. Pour Le Misanthrope, tout se passait sur un palier ; dans Le Petit-Maître corrigé, sur un chemin de campagne ; sur une aire d’autoroute dans Le Pays lointain. L’adolescence n’est pas un état dans lequel on est censé s’arrêter. Il fallait imaginer un espace purement transitionnel.


De quelles lectures vous êtes-vous accompagné ?

Je me suis évidemment accompagné de références psychanalytiques voire psychiatriques, notamment Françoise Dolto ou Marcel Rufo, pour nourrir les acteurs avec des exemples. Dolto compare l’adolescence à une mue, ce qu’elle appelle le « complexe du homard », soit l’idée qu’en changeant de carapace on devient extrêmement fragile. Schopenhauer est aussi une lecture qui m’accompagne depuis que j’ai travaillé sur la dramaturgie de Tristan et Isolde avec Patrice Chéreau. Le philosophe montre que le monde de la représentation et des phénomènes n’est qu’une apparence, mais qu’un second niveau de réalité, une force immanente – la volonté –, régit ce monde visible.


Wedekind dit de sa pièce qu’il l’a écrite comme « une peinture ensoleillée de la vie » et regretter qu’on n’en montre que la dimension tragique. Sait-on pourquoi il écrit L’Éveil du printemps ?

Wedekind n’était pas un personnage simple. Il fait part dans ses mémoires de fantasmes inquiétants, notamment de mise en scène de jeux sexuels avec ses propres enfants. « J’ai pensé, je suis incurable, je pourrai souffrir d’un mal intérieur. Pour finir, je n’ai trouvé du repos que le jour où j’ai commencé à rédiger mes mémoires », dit Moritz dans la pièce. Je prends cette réplique comme une phrase biographique. Lors de la création, plusieurs scènes sont expurgées, notamment celle de masturbation collective et celle de la déclaration d’amour entre deux garçons. La seule scène où deux personnes se disent « je t’aime » est confiée à ces garçons, comme une bulle de délicatesse infinie, à la fin de la pièce. Pour Wedekind, sans ces scènes sa pièce était défigurée.

 

 

Légende photo : Clément Hervieu-Léger de la Comédie-Française © Stephane LAVOUE / PASCO 

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April 14, 2018 8:20 AM
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Jean Chevalier, nouveau pensionnaire de la Comédie-Française

Jean Chevalier, nouveau pensionnaire de la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Agathe Charnet dans son blog "L'Ecole du spectacle" :

 


Jean Chevalier, nouveau pensionnaire de la Comédie-Française

Il ne pensait vraiment pas faire ça. Comédien. C’était pas son rêve de gosse. Jusqu’à ses quatorze ans, Jean Chevalier se destinait à devenir footballeur. Au centre de formation du club de l’Estac, à Troyes (Aube), le gamin en culottes courtes et chaussettes hautes occupait le poste d’arrière-latéral. « Le foot, je ne pensais qu’à ça, mais j’ai fini par me faire virer du centre, je ne supportais pas la pression pendant les gros matchs, je ne prenais plus de plaisir ».

Pourtant, dix ans après les heures d’entrainement sur les pelouses détrempées, c’est un  match d’envergure que se doit de jouer Jean Chevalier. Dans un autre genre de stade et sans sifflets de supporters pour accompagner ses premières passes. Le jeune homme de vingt-quatre ans vient de signer son contrat de pensionnaire de la Comédie-Française. Il fera ses débuts salle Richelieu le 14 avril prochain dans l’Eveil du printemps du dramaturge allemand Frank Wedekind.

Conquérir Paris

« Une belle revanche » estime cet acteur au visage lunaire et au regard doucement naïf. « Dans le foot, la fragilité te perd tout de suite, au théâtre, il faut la travailler, la développer, même ». Jean Chevalier découvre le théâtre peu après avoir raccroché ses crampons. Le cousin Théo jouait « le lapin rose d’Alice au Pays des Merveilles » dans une salle champenoise. « J’ai trouvé ça incroyable. Pendant la représentation, il y avait la plus jolie fille du village qui riait, qui riait. J’ai eu envie de faire ça ». Jean Chevalier intègre le conservatoire de Troyes et, accompagné de l’ami Théo, rejoint un cabaret avec lequel il se produit dans « toute la Champagne-Ardennes ».

«C’était une époque merveilleuse, se souvient-il. La semaine, j’allais au lycée et les week-ends on jouait devant 300 personnes».

A 18 ans, les apprentis comédiens Jean et Théo se jettent à corps perdu dans la sempiternelle bataille aznavourienne pour conquérir Paris – et se voir qui sait, à leur tour, en haut de l’affiche. L’Ecole des Variétés (aujourd’hui fermée), le Cours Florent puis le prestigieux Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique accueillent les pérégrinations de ce  jeune Rastignac des planches. Et quand l’éclat de la ville-lumière est trop éblouissant, Jean Chevalier se réfugie dans l’obscurité du poulailler de la Comédie-Française. Muni d’une place à 5 euros, « à visibilité réduite » il apprend par coeur le nom de tous les artistes de la troupe et découvre, subjugué, Michel Vuillermoz dans le rôle de Cyrano. « J’étais fasciné par son humanité au plateau, il incarnait à la fois la tendresse et la puissance ».

« Une étrange démarche »

Au Conservatoire de Paris, Jean Chevalier rencontre « de magnifiques camarades de voyage » et apprend à son corps d’ancien sportif à « faire preuve de souplesse », à faire fi de la performance pour trouver son « organicité ». Il se souvient tout particulièrement d’un voyage à Moscou, avec sa promotion, et de la découverte de la méthode russe. « Les enseignants criaient sur les élèves pendant les exercices physiques en leur demandant de sourire même s’ils avaient mal. Je crois que ça m’a plu, cette idée de  forger le mental pour transformer la douleur en plaisir », se souvient-il. C’est au Conservatoire, toujours, que Jean Chevalier croise la route de Clément Hervieu-Léger. Le sociétaire français dirige un atelier de fin d’année et encourage le jeune homme à postuler aux auditions de la Comédie-Française. On chuchote en effet que la maison de Molière cherche à recruter de jeunes comédiens pour agrandir sa troupe en perpétuelle recomposition.

Jean Chevalier est reçu. Une nouvelle vie s’annonce, au sein de cette singulière « ruche » théâtrale. C’est toujours sous le regard « subtil et passionnant »  de Clément Hervieu-Léger qu’il jouera le rôle d’Otto dans l’Eveil du Printemps. Pour célébrer son entrée dans la troupe, Jean Chevalier a pu participer à l’hommage à Molière, cérémonie où tous les comédiens du Français récitent leur tirade favorite du tutélaire dramaturge. Lui qui ne jure que par le collectif et l’esprit d’équipe a voulu se présenter à ses nouveaux camarades à sa manière. Il a choisi cette réplique mi-effrayée, mi-téméraire de Dorimène dans Le Bourgeois Gentilhomme :

« Je fais encore ici une étrange démarche, de me laisser amener par vous dans une maison où je ne connais personne. »

 « Cette réplique, je l’ai répétée encore et encore, pendant des heures, s’amuse le nouveau venu. Je faisais du crayon [exercice d’articulation consistant à se placer un crayon entre les dents afin de muscler la diction NDR] pour être sûr de la prononcer parfaitement. Et bien évidemment, une fois sur scène, j’ai bégayé. Mais c’était fait ! » 

En attendant d’habiter pleinement cette nouvelle maison – sa loge,  qu’il partage avec son ancien professeur Nazim Boujenah, est encore vide – Jean Chevalier rêve. De pouvoir un jour endosser à son tour le rôle de Cyrano – « j’aime le fait d’être dans l’ombre mais d’être aimant, c’est une telle sublimation du manque de confiance en soi ». Ou de se lancer dans le cinéma, art dont il est un fanatique compulsif.

Mais, il le sait bien, il faudra d’abord entrer dans l’arène. Et, le 14 avril 2018, Jean Chevalier ne sera pas tout à fait en terrain inconnu. Son ancien professeur et désormais metteur en scène, Clément Hervieu-Léger, lui a concocté une tendre surprise. C’est un ballon aux pieds que Jean Chevalier fera ses premiers pas sur la vénérable scène de la Comédie-Française. « Ben oui, pour mon entrée, je joue au foot, je dribble ! » 

L’Eveil du printemps, du 14 avril au 8 juillet 2018 à la Comédie-Française (salle Richelieu)

 

Photo © Stéphane Lavoué, coll. Comédie-Française.

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April 9, 2018 6:54 PM
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La Phèdre sauvage de Sénèque 

La Phèdre sauvage de Sénèque  | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Armelle Héliot le 9 avril 2018  dans son blog le Grand Théâtre du monde

 


Au Studio Théâtre de la Comédie-Française, Louise Vignaud met en scène la tragédie du poète romain, avec Jennifer Decker dans le rôle-titre.

On voit rarement la Phèdre de Sénèque. Elle bénéficie, en France, d'une superbe traduction de la grande spécialiste de la littérature romaine, Florence Dupont.

Phèdre, Jennifer Decker, dans sa robe dorée et la Nourrice, Claude Mathieu, à ses pieds.

C'est sur cette traduction que Louise Vignaud appuie son travail au Studio-Théâtre de la Comédie-Française.

Cela suppose un espace réduit par rapport aux grandes scènes et la scénographie d'Irène Vignaud prend en compte le plateau peu développé et la metteuse en scène fait déborder l'action dans la salle.

Le choeur, porté par Pierre Louis-Calixte, avec un demi-masque blanc surmonté d'une sorte d'aile ou de corne, costume blanc également, est souvent en dehors du plateau et l'une des grandes interventions de la nourrice, Claude Mathieu, en costume pantalon noir, se fait du milieu de la salle, dans les escaliers côté jardin.

Un voilage dissimule une grande baie vitrée au fond, côté cour. Quelques passages, et c'est tout. Les lumières sont très bien dosées par Luc Michel. Les costumes de Cindy Lombardi, et en particulier la robe lamée or de Phèdre, lors de sa première apparition, ne s'en détachent que mieux. Le son, très important dans le spectacle, est développé par Lola Etiève, avec une grande science de la fureur comme de l'apaisement.

On notera au passage que tous ces jeunes artistes sont passés par l'Ensatt de Lyon, l'Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, de même que la dramaturge, Pauline Noblecourt, Normalienne elle aussi, à l'instar de Louise Vignaud qui a travaillé auprès de Christian Schiaretti comme assistante avant de signer ses premiers spectacles : Le Misanthrope au TNP, en janvier dernier (que nous n'avons pas pu voir).

Le théâtre romain, c'est Florence Dupont qui le souligne, est plus proche du nô japonais ou du kathakali indien que de la tragédie classique. Elle pense que le public romain , comme celui d'Athènes -où Euripide lui aussi composa une Phèdre- était composé de spectateurs qui allaient "voir des tragédies pour pleurer ensemble sur des malheurs fictifs."

Découvrez dans le livret remis aux spectateurs du Studio-Théâtre, l'analyse très lumineuse que nous offre l'universitaire et traductriceUne autre photographie de Christophe Raynaud de Lage.Collection Comédie-Française DR

Sénèque, philosophe stoïcien, né à Cordoue quatre ans avant notre ère, est demeuré célèbre, au-delà de ses tragédies, dont une dizaine nous est parvenue, par ses écrits, Lettres à Lucillius, notamment, et parce qu'il a été le précepteur de Néron. Il se brouilla avec lui et fut conduit au suicide.

La nature tient une place très importante dans la tragédie de Phèdre. Hippolyte est un chasseur, enfermé dans le palais parce que son père n'est pas revenu. Il rêve de fuite. Comme Phèdre qui va se faire amazone, pour attaquer, si l'on ose traduire banalement le dispositif tragique.

On est frappé, en entendant les monologues, les miseratio, scènes qui appellent la compassion, par ce que le cher Racine en a retenu. Mais il a également lu Euripide (480-406 av J.-C.) et son Hippolyte qui date de 428. Là encore : on parle abruptement. Mais...

Demeure un très convaincant spectacle, bref, dense, tenu, tendu, très séduisant dans son mouvement général et dans l'accord des voix des interprètes, comme si la musique des timbres était ici aussi importante que ce qui se dit. Les corps sont également puissamment engagés.

Pierre Louis-Calixte avec la distance de celui qui dit, commente, annonce, décrit, hors champ. Nâzim Boudjenah, avec la sincérité et l'innocence du jeune homme attaqué, malmené et qui finit déchiqueté parce que son père, trompé par Phèdre, en appelle à la fureur des dieux. Claude Mathieu avec la belle autorité de la Nourrice, personnage très important dans la tragédie de Sénèque. Elle s'exprime, agit, influence. Elle a de grandes plages de paroles, fermes et la comédienne est superbe. Thésée a la force physique de Thierry Hancisse et la vulnérabilité d'un être qui se pense trahi. Le comédien sait trouver les accents les plus violents jusqu'à une fureur barbare dans ses consonnances, pour dire le malheur tragique.

Jennifer Decker est Phèdre, une jeune Phèdre belle et qui peut jouer les Amazones, une Phèdre qui assume la transgression, s'y jette sans peur. Une transgression morale, intellectuelle, physique, politique aussi bien puisqu'elle est la reine, enfermée dans le palais et qu'elle fait tout exploser. La jeune femme possède une présence, une délicatesse en même temps et elle aussi s'investit corps et voix dans la sauvagerie ambiante.

Un beau travail, harmonieux et pourtant respectueux des ruptures, des déchirures tragiques, à l'image de la nature omniprésente, la nature qui protège et inquiète, la nature plus forte que les êtres.

Studio Théâtre de la Comédie-Française, à 18h30 du mercredi au dimanche. Durée : 1h20 (01 44 58 15 15)..

Jusqu'au 13 mai.

www.comedie-francaise.fr

 

Photo : © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française.

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March 4, 2018 6:09 AM
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Suliane Brahim, le grand jeu - Culture / Next

Suliane Brahim, le grand jeu - Culture / Next | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Elisabeth Franck-Dumas pour Libération  — 1er mars 2018

Epoustouflante pièce après pièce, la sociétaire de la Comédie-Française, secrète et obstinée, ne vit que pour le théâtre.
A chaque première, elle se demande pourquoi elle s’inflige ça. Se promet que plus jamais : plus jamais ce trac, plus jamais cette peur. Et puis, naturellement, elle y retourne. «Je ne peux pas faire autrement que faire ça.» Cela paraît trop énorme à écrire, sauf quand c’est vrai : Suliane Brahim vit pour le théâtre. A toutes les questions qu’on lui pose sur les grandes choses de l’existence (l’amour, les tournants d’une vie…), elle ne répond que «théâtre». Elle brûle tant que l’on a peur qu’elle s’y crame complètement, au théâtre. Mais c’est sans doute une erreur, Suliane Brahim, bientôt 40 ans, est là pour durer. Elle décrit ainsi les femmes de sa famille : «Des forces intérieures dans des corps fragiles.»

Suliane Brahim peut tout jouer : voilà la rumeur publique. Elle a ce truc des grandes tragédiennes, les Madame Agar, Sarah Bernhardt, ces phénomènes qu’on envisage avec incrédulité, en 2018, avant d’en trouver une sur sa route. A la Comédie- Française, où elle est entrée en 2009 (sociétaire depuis 2016), elle a bluffé son monde à chaque coup, Juliette pour Eric Ruf, Gennaro dans Lucrèce Borgia (un rôle de garçon), l’étrangère dans la Règle du jeu de Christiane Jatahy…

Il faut courir la voir, en ce moment, dans la pièce de Jean-Luc Lagarce, montée par Chloé Dabert, J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne. Il se passe quelque chose de parfaitement juste, de sidérant, dans la rencontre entre sa voix à elle, singulière, traînante, à l’autorité pleine d’éclats de silex, et la voix du dramaturge, obsédante, incantatoire, faite de boucles concentriques. «Il y a énormément de choses qui me parlent dans cette pièce, s’enflamme-t-elle. A quel moment est-on une vieille femme ? A quel moment on ne peut plus avoir d’enfant ? Je me reconnais dans tout ça.»

L’arrière-salle du café où elle donne rendez-vous est hors du monde, haute de plafond, sans fenêtre. C’est un îlot dans la ville, et justement Suliane Brahim aime les îles, Venise, le Japon, Belle-Ile-en-Mer. «Peut-être que sur ma place Colette, je suis sur une forme d’île», songe-t-elle tout haut. Elle a de longs cheveux bruns, s’aide gracieusement de ses mains pour parler, soutient le regard franchement, zéro coquetterie. Elle est moins fragile que fine, élégante. Mais a un petit rire qui ponctue ses phrases lorsqu’elle semble s’excuser de sa chance.

Mais si on l’a décrochée toute seule, est-ce vraiment de la «chance ?». Suliane Brahim n’est pas du sérail, personne ne jouait chez elle. Son père, d’origine marocaine, était cadre acheteur, sa mère, d’origine bretonne, aide-soignante. Elle est née le 1er avril 1978 à Chartres, aînée de trois enfants, et c’est l’école qui lui a tout appris, les ateliers, le bac option théâtre, les spectacles à la maison de la culture de Bourges, où la famille a déménagé. Plus tard, l’Ensatt de Lyon (ex-Rue Blanche), école publique où l’on entre sur concours, et où elle était boursière. Suliane Brahim a aussi été orpheline à peine majeure, mais l’on sent qu’elle aimerait qu’on n’en fasse pas tout un plat. «Mes parents ont tout fait très jeunes : ils se sont rencontrés très jeunes, ont fait des enfants jeunes, et, malheureusement, ils sont partis jeunes», lâche-t-elle. Elle n’en dira pas plus, elle avait 23 ans pour sa mère.

Les îles sont des endroits entre deux bras de mer. La metteure en scène Chloé Dabert, son amie depuis le lycée, la décrit «très pudique, solitaire, généreuse, fidèle». Elle ne nous apprend presque rien. Peut-être est-ce les non-dits qui font les grandes comédiennes ? «J’ai tout de suite senti qu’elle avait quelque chose, un mystère qui lui appartient et qui lui donne une puissance sur le plateau», abonde Jeanne Champagne, qui lui donna ses cours d’option théâtre, et la mit en scène plus tard disant l’Evénement d’Annie Ernaux. Un mystère qu’on pourrait résumer ainsi : Suliane Brahim est toujours totalement là, sur un plateau, mais totalement libre, si bien qu’en étant présente, elle échappe toujours. Elle aime «la singularité des corps et des voix» et admire les actrices Claude Degliame, Catherine Hiegel, Marina Hands.

Lorsqu’elle découvre un rôle, se pose toujours la question du hors-champ. Pour Lagarce, elle s’est demandé : «Qu’est-ce qui ne sera jamais dit ? Il y a toujours comme une sorte de secret, comme on a dans la vie. Des choses qu’on ne dira jamais et qui sont là tout le temps.» Cette année, Suliane Brahim a monté un projet qui s’appelle Ligne 7, à la Comédie-Française. Avec le CentQuatre, le lycée parisien Turgot et l’écrivain Patrick Goujon, elle a réuni seize jeunes habitant sur la ligne de métro qui va de La Courneuve à Villejuif. Ils assistent à des pièces et s’attellent à un atelier d’écriture pour une restitution par la troupe du Français en juin. Elle sort son smartphone : «Regardez comme ils sont beaux ! Ils écrivent des choses magnifiques.»

C’est vrai qu’ils sont beaux, concentrés, appliqués. Ils ressemblent à la France telle qu’elle est, métissée. «On leur fait la visite, ils découvrent des métiers, éclairagistes, costumiers. Mais c’est aussi pour leur dire que ces institutions leur appartiennent, que la porte leur est ouverte.» L’artiste regrette la mixité sociale de son enfance, s’inquiète de la disparition des options artistiques au lycée, «avant tout car elles développent l’œil du spectateur, de théâtre, de danse, de cinéma. C’est important qu’elles soient à l’école, ces options». Enfant, elle a vécu l’élection de François Mitterrand sur les épaules de son père, qui militait au Parti socialiste.

Si elle n’avait pas été comédienne ? «Avocate ou politique, pour défendre [son] prochain.» Elle ne dira pas pour qui elle a voté en 2017, juste que «depuis les dernières élections, elle est un peu en arrêt». Suliane Brahim vit seule, gagne autour de 3500 euros brut en tant que sociétaire, plus les cachets (100 euros l’un) pour «faire du théâtre tous les jours de midi à minuit sauf au mois d’août». Elle n’a pas d’enfant, n’a pas son permis de conduire mais y travaille, lit énormément (le dernier Goncourt est dans son sac, sinon Duras n’est jamais loin) et va voir des pièces quand elle n’y joue pas - dernier spectacle aimé, Gala de Jérôme Bel. Celle qui s’apprête à tourner la saison 2 de Zone blanche sur France 2, où elle tient le premier rôle, aimerait que ses 40 ans lui «donnent le goût de ne plus avoir peur, comme quand on est jeune et qu’on n’a pas peur». Comme lorsqu’elle prenait l’avion seule pour Kinshasa, à 18 ans, sans savoir où elle allait dormir. Tout ça pour aller «faire le clown» dans des écoles : elle s’était d’abord inscrite aux langues orientales pour apprendre le swahili et travailler dans l’humanitaire. Elle a une jolie expression, qu’elle emprunte à Stanislavski, pour parler du travail des comédiens : quand ils jouent, ils sont dans un «petit cercle de lumière», et rien alors ne peut leur arriver. Ce qui transparaît, c’est que Suliane Brahim aimerait faire rentrer du monde dedans.

1er avril 1978 Naissance.
1998 Entrée à l’Ensatt.
7 mai 2009 Entrée à la Comédie-Française.
Janvier 2016 Roméo et Juliette ; nommée sociétaire au «Français».
Avril 2017 Zone blanche sur France 2.

Elisabeth Franck-Dumas 


photo Roberto Frankenberg pour Libération

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February 26, 2018 8:15 AM
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«Poussière» de Lars Norén: une grande pièce qui fait vivre la fin de vie

«Poussière» de Lars Norén: une grande pièce qui fait vivre la fin de vie | Revue de presse théâtre | Scoop.it



«Poussière» de Lars Norén: une grande pièce qui fait vivre la fin de vie

  Par Jean-Pierre Thibaudat Blog : Balagan, le blog de Jean-Pierre Thibaudat   - 26 févr. 2018

Il fait bon quand un théâtre français commande une pièce à un auteur. La preuve par «Poussière» de Lars Norén, une commande de la Comédie-Française pour son excellente troupe. Une pièce au long cours, saisissante et crépusculaire. Dommage que le metteur en scène Norén soit dépassé par l’immensité de sa pièce.


A la page 78 de Poussière, la dernière pièce traduite du Suédois Lars Norén, I et D échangent quelques mots : « I. Il se passe pas grand-chose. D. Je crois que c’est ça le principe. Enfin il ne se passe rien. I. Non. D. Est-ce que ce n’est pas ce à quoi on a toujours aspiré ? » Tout est dit. Deux voix en fin de souffle. Deux corps en attente du dérèglement final.

Une odeur de pourri

Nous sommes à peu près à mi-parcours de la pièce (qui tourne autour de 130 pages) où évoluent dix personnages retraités de modeste condition le plus souvent, ayant pour nom une lettre de l’alphabet, de A à J. Ils, elles ont été ouvrier dans le bâtiment, coiffeuse, médecin, chauffeur routier, pasteur, agent d’hôpital, livreur ; ils ont connu des hauts et des bas mais n’ont pas été victimes d’un chômage de longue durée. Seule à avoir un prénom, une jeune fille, déficiente mentale, Marylin, apporte un vent d’ailleurs en fredonnant des chansons tristes de Françoise Hardy comme le sublime Message personnel.

Qui sont ces personnes qui attendent, n’ont plus de projet de vie ? Des Français, comme le sont les acteurs pour qui la pièce a été écrite, ou des Suédois, comme l’est l’auteur ? On ne sait. Disons qu’ils sont de modestes retraités européens de l’ouest séjournant dans un hôtel moyen du bord de mer d’un pays chaud, probablement en Afrique (du Nord ou pas), un continent qui dans l’autre sens nourrit le flux des réfugiés, comme dit l’un des personnages. Ce n’est pas le grand luxe, cet hôtel dont on ne voit pas le personnel. Ils le fréquentent pour certains depuis plus de trente ans, ils ont vieilli avec lui, et l’hôtel aussi a vieilli, des chaises manquent, il n’y en a pas pour tout le monde.

Il ne s’est pas passé grand-chose depuis le début et il ne se passera rien de notable jusqu’à la fin de la pièce. Ceux qui disparaissent, ou plutôt s’éteignent un à un sans faire grand bruit, se contentant de peu : on cesse de parler, on ferme les yeux, on s’oublie. La mort des uns et des autres n'’est pas un drame, elle est ce qui vient après le dernier mot. L’odeur de pourri et de putréfaction est déjà là avant, elle prépare le terrain, « on sent quand on se couche à quel point on pue. Comme si on était déjà mort », dit J. La mémoire est un feu qui a des soubresauts, des retours d’enfance quand on souffle sur ses dernières braises. Il y a longtemps que l’on a jeté la dernière bûche au feu.

Tout s’étiole, on entend de moins en moins, on perd l’appétit, on a de plus en plus froid. Certains ne sont pas si vieux que ça, semble-t-il, mais la retraite, la cessation d’activité les a plongés dans une léthargie de vivre, un repli sur soi souvent poisseux, égoïste. Seuls ou en couples (lesquels ne sont pas bien vaillants voire effroyables), ils soliloquent plus qu’ils ne font la conversation.

Ils n’ont pas tous atteint le grand âge mais leur cohabitation ne les rajeunit pas. « Je n’ai pas eu le temps de devenir jeune », dira B par trois fois. Leur vie est faite de redites. Leur vie est derrière eux. L’âge importe peu, ils attendent l’échéance en trompant l’attente comme ils peuvent, en se souvenant, en se chamaillant, en se supportant. Seul, I dit être né en 1943, soit un an avant l'auteur, Lars Norén qui signe avec Poussière une pièce crépusculaire, tendrement impitoyable.

« Nous sommes là »

La pièce est une commande. C’est suffisamment rare aujourd’hui en France pour être signalé. Une commande faite par l'Administrateur de la Comédie-Française, Eric Ruf, à l’auteur suédois qui était déjà venu il y a quelques années mettre en scène l’une des ses pièces, Pur, au Théâtre du Vieux Colombier. Cette fois, c’est le lieu saint, la salle Richelieu. Et pour onze actrices et acteurs de la maison de Molière, onze personnages comme souvent dans les pièces de Jean-Baptiste Poquelin. Ce n’est pas aux personnages de ce dernier qu’on pense en lisant Poussière mais à d’autres empruntés à Samuel Beckett. « C’était une belle journée aujourd’hui », dit par E, fait forcément écho à la vieille Winnie de Oh les beaux jours (« encore une journée divine », « quel beau jour ça aura été »).

Premiers mots de Poussière, entre A, le mari, et B, sa femme : « A. Nous sommes là. B. Oui. Pause. A. N’est-ce pas. Pause. B. Comme d’habitude. A. Oui, c’est ce que je dis. Pause. B. Ensemble. Pause. A C’est ce que je dis. Tousse. » Une musique de mots qui rappelle Beckett, certes, mais on en est loin. A et B ne sont pas seuls au milieu de nulle part, mais dans un lieu de villégiature et au sein d’un groupe conséquent. Poussière tient sa force dans la présence continuelle des onze personnages qui restent ensemble tout au long de la pièce ou presque. La maigreur beckettienne laisse place à des répliques qui semblent sortir d’un robinet coulant continuellement où chacun vient s’abreuver, le joint en lambeaux du robinet rafistolé de ficelle ne parvenant plus, même fermé, à arrêter le débit. On parle court, goutte par goutte, mais parfois un souvenir, une douleur dégouline aux lèvres en abondance.

Poussière est une communauté de solitudes faite d’épluchures d’adieux sans cérémonie, de deniers bavardages en attendant que ça finisse. Beaucoup ont perdu une épouse, un époux, un enfant, un chien. Au bord de leur propre mort, ils vivent avec leurs morts en bonne compagnie.

Lars Norén s’est entretenu avec sa collaboratrice artistique Amélie Wending en marge du spectacle et c’est comme un sous-texte à sa pièce : « Avant, mes pièces étaient très remplies, ma poésie aussi ; maintenant, j’enlève, je « décrée », on pourrait dire. Avant, il était important pour moi de savoir où mon texte finirait. Maintenant, si j’écris et si je sais ce que ma pièce va devenir, j’arrête immédiatement. » Poussière n’a pas de fin, la pièce s’arrête par épuisement, parce qu’il n’y a plus rien, plus personne, plus de bouche à nourrir de mots.

« Dans la phase de vie où je suis... »

Ce n’est pas une pièce à part, elle participe du dernier temps de son œuvre, nous dit Norén. « Ces pièces sur les personnages âgées sont nées parce que moi-même je vieillis. Je ne suis plus intéressé par les phrases intelligentes et bien huilées, je connais cette machinerie. Je veux créer différentes atmosphères, différents mouvements. Dans la phase de la vie où je suis, je réalise que ce sont les choses très simples qui recèlent les plus grands secrets. » C’est cela que Lars Norén traque et thésaurise dans Poussière.

Jusqu’à la veille de la première, Lars Norén a modifié le texte et taillé dedans. La version publiée dont je parle ici est sensiblement différente de celle qui est jouée. Norén a travaillé à l’écoute des acteurs du Français. Il n’est pas le premier à procéder ainsi. Je me souviens de ces pages où Jean-Louis Barrault raconte comment Paul Claudel qui assistait à ses côtés aux répétitions d’une de ses pièces, revenait le lendemain avec une nouvelle version d’une scène, laquelle, répétée la veille, lui avait paru insatisfaisante. Les acteurs devaient tout recommencer, apprendre le nouveau texte. C’est un peu ce qui s’est produit avec Poussière, sauf que Norén qui signe la mise en scène de sa pièce n’a pas à ses côtés un Barrault pour relancer la machine, serrer les boulons, huiler les mécanismes.

Dans dix ans, dans vingt ans

Le soir où j’ai vu le spectacle, c’était l’une des premières représentations, le jeu des acteurs flottait. Ils n’avaient pas atteint la légèreté et la souplesse que requiert cette vaste pièce. Etait-ce dû à la difficile mémorisation de ce texte ? Sans doute. Mais pas seulement. Claudel pouvait s’appuyer sur Barrault, Lars Norén n’a pas cet appui. Il lui fallait diriger onze acteurs ensemble. Pas simple. C’était trop. Le metteur en scène semble aussi avoir porté toute son attention sur les mots que disent les acteurs mais en négligeant leur corps. Il manque le regard qu'aurait pu porter sur eux un Thierry Thieû Niang. Si je cite ce danseur et chorégraphe, c'est que pendant le spectacle me sont revenues des images du film de Valéria Bruni-Tedeschi Une jeune fille de 90 ans où on le voit travailler avec les pensionnaires aux corps bloqués ou engourdis du service de Gériatrie à l'hôpital Charles Foix d'Ivry.

Trop vert les soirs des premières représentations, le spectacle a aussi besoin de vieillir. De se simplifier. De renoncer à ce tulle blanc ridicule derrière lequel les morts vivent une seconde vie. Il a besoin de se décharner.

En Slovénie, un metteur en scène-poète a écrit et mis en scène un spectacle qui ne se donne qu’une fois tous les dix ans. La première a eu lieu il y a plus de trente ans, la quatrième représentation aura lieu dans quelques années. Si un acteur meurt entre temps (cela n’a pas encore été le cas), un robot, cette marionnette des temps modernes, le remplacera.

Rêvons pour Poussière d’un destin similaire, en remplaçant le robot par un tas de cendres. Que les acteurs qui viennent de créer Poussière à la Comédie-Française – et il faut tous les citer car ils sont tous irréprochables : Hervé Pierre (A), Dominique Blanc (B), Anne Kermesse (C), Alain Lenglet (D), Danièle Lebrun (E), Christian Gonon (F), Bruno Raffaelli (G), Martine Chevallier (H), Françoise Girard (Marylin) – que tous ces acteurs donc se retrouvent dans dix ans pour reprendre Poussière. Et ainsi de suite, tous les dix ans. Jusqu’à leur mort. Le texte de Poussière leur survivra. Vieillira-t-il bien ?

Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 16 juin.

Le texte de Poussière est paru aux éditions de L’Arche, 144p., 14€.



Légende photo : «Poussière», création de Lars Noren à la Comédie Française. © Brigitte Enguérand coll. Comédie Française

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February 19, 2018 5:11 PM
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A la Comédie-Française, la vieillesse n’est pas un naufrage

A la Comédie-Française, la vieillesse n’est pas un naufrage | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde | 19.02.2018


La troupe crée « Poussière », pièce écrite et mise en scène par le grand auteur suédois Lars Norén, magistralement interprétée.
 
Cela fait plus de trente ans qu’ils viennent dans « ce putain d’endroit ». Plus de trente ans que chaque année, ces dix hommes et femmes de la classe moyenne quittent la grisaille de leur pays du Nord pour prendre une semaine de soleil, au bord d’une mer du Sud. A force, ils ont appris à se connaître un peu, pour certains d’entre eux, mais surtout ils se reconnaissent, tous cette fois, dans le désastre qui leur est tombé dessus sans qu’ils le voient venir : la vieillesse. Il y a des années, le « putain d’endroit » représentait le plaisir, l’oubli, un désir d’avenir. Maintenant, c’est un crépuscule, comme celui qu’ils regardent quand le rideau se lève sur Poussière, à la Comédie-Française.

Cette pièce est remarquable (sans emphase), à plus d’un titre. D’abord parce que c’est une commande d’Eric Ruf, l’administrateur général, passée à un des grands auteurs d’aujourd’hui, le Suédois Lars Noren (73 ans). Ensuite, parce qu’elle s’inscrit dans une tradition – celle de Samuel Beckett, Eugène Ionesco, ou Max Frisch – qu’elle renouvelle, en parlant de la fin de vie avec des mots d’aujourd’hui. Enfin parce qu’elle permet à onze comédiens de se glisser dans les habits de personnages taillés sur mesure, et de jouer d’une manière chorale, sans la coquetterie dont parfois se maquille la troupe de la Comédie-Française.

Ces personnages n’ont pas de nom – sauf Marilyn, la fille attardée d’une des vacancières ; ils portent des initiales, de A à J, et des vêtements gris, comme leurs crânes. Certains restent sur leur quant-à-soi, en soignant leur tenue, d’autres se laissent aller, comme la mère de Marilyn, qui se rend compte qu’elle a gardé sa chemise de nuit sous son manteau (elle a toujours froid). Mais elle n’a pas oublié de se parer d’une fleur rouge qui jure avec ses pauvres cheveux raides et longs, tel le regret éclatant d’une jeunesse lointaine, ensevelie dans un passé qui a passé trop vite.

Une grande délicatesse
Tout est là : le sable de la plage, c’est le paradis perdu, la poussière des jours enfouis dans le temps d’une vie, le sablier du regret de découvrir d’un coup que c’est bientôt fini, ou déjà fini. « Nous sommes plus morts que vivants », dit un homme. Morts, les dix compagnons le sont peut-être, parce qu’ils ne peuvent se cacher qu’ils ont plus d’hiers que de demains. Mais vivants, oui, ils le sont aussi, sacrément, au point de se montrer pénibles, pathétiques, ridicules, énervants, méchants, obscènes même parfois, comme on peut l’être quand l’enfance rejoint la vieillesse.

A la Comédie-Française, la mort est un tulle gris, qui délimite un espace au lointain, derrière une grande salle vide. A la fois asile et no man’s land, cette salle apparaît avant tout comme le paysage intérieur de la petite communauté, oubliée d’une société qui met la vieillesse à l’écart. Il y a beau y avoir une jeune mendiante qui régulièrement passe avec son enfant dans les bras, et des animateurs en tenue d’hôpital qui les font jouer au ballon, tout, au fond, glisse sur les cinq hommes et les six femmes, sauf eux-mêmes, leurs histoires, leurs bonheurs et leurs défaites. Leur solitude, toujours singulière.

A LA COMÉDIE-FRANÇAISE, LA MORT EST UN TULLE GRIS, QUI DÉLIMITE UN ESPACE AU LOINTAIN, DERRIÈRE UNE GRANDE SALLE VIDE


Une femme lit Le Monde du 19 octobre 1961. Un homme lui demande pourquoi ce vieux journal. « Je voulais seulement avoir quelque chose entre les mains », répond-elle. A des répliques comme celle-ci, on mesure le chemin parcouru par Lars Noren. Cet auteur prolifique (plus de quatre-vingts pièces) ne s’est guère signalé par la tendresse envers ses personnages – c’est le moins que l’on puisse dire. Dans Poussière, il baisse la garde, s’avoue non pas vaincu, mais touché, au plus profond, par les êtres qu’il met en scène. Et cela donne à sa pièce une tonalité inattendue, une douceur dans la dureté du propos, et un humour dans la radicalité du constat, comme en témoigne cette autre réplique : « Ça prend plus de temps de mourir ici que dans un opéra. »

La salle rit, en entendant cette réplique. A certains autres moments, le sourire vient aux lèvres. Lars Noren, qui met en scène lui-même Poussière, fait entendre le texte, simplement : c’est ce que l’on demande avant tout quand une pièce est représentée pour la première fois. Et cela est fait avec une grande délicatesse, une subtile manière poétique, une grande confiance accordée aux comédiens. Citons-les tous : Martine Chevallier, Anne Kessler, Bruno Raffaelli, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Christian Gonon, Hervé Pierre, Gilles David, Danièle Lebrun, Didier Sandre, Dominique Blanc. Et n’oublions pas une dernière précision : on met peut-être plus de temps à mourir « ici », sur le plateau de la Comédie-Française qu’à l’opéra, mais pour nous, spectateurs, le temps passe sans peser. Il est vrai que nous sommes protégés du tulle fatal par la distance entre la scène et la salle. Ainsi va la vie quand elle est justement représentée, certains soirs au théâtre.

Poussière, de et mis en scène par Lars Noren. Comédie-Française, place Colette, Paris 1er. Tél. : 01-44-58-15-15. De 5 € à 42 €. En alternance jusqu’au 16 juin. Durée : 1 h 55. www.comedie-francaise.fr
Le texte de la pièce est publié aux éditions de L’Arche (136 p., 14 €).


Légende photo : « Poussière » de et mis en scène par Lars Noren à la Comédie-Française avec Martine Chevallier (H), Bruno Raffaelli (G), Françoise Gillard (Marilyn), Hervé Pierre (A), Gilles David (I) et Dominique Blanc (B). Photo BRIGITTE ENGUERAND 

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February 16, 2018 7:50 PM
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«Poussière», la déchéance chorale selon Lars Norén - 

«Poussière», la déchéance chorale selon Lars Norén -  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération / Next
— 16 février 2018 



Le dramaturge et metteur en scène suédois entre à la Comédie-Française avec un texte troublant sur la vieillesse, écrit spécialement pour la troupe.


Ils sont onze sur scène, ensemble et isolés, et c’est Poussière, la pièce que le dramaturge suédois Lars Norén met lui-même en scène et a écrit spécialement pour la Comédie-Française, à destination de comédiens, qu’il a rencontrés durant le processus d’écriture entamé en 2016. Sur le plateau, la marée est basse, quelques galets, ils portent des vêtements d’un bleu-gris crépusculaire, et assis sur leur chaise, ils regardent ce qu’il reste de mer, c’est-à-dire nous, le public. Pendant deux heures, ils vont pourrir sur place, leur esprit se désagrégera, leur mémoire deviendra compote, des vieilles obsessions reviendront, les ritournelles de la haine ou des amours perdues, les chagrins et la tyrannie sexuelle. Ce sont les petits et grands échecs de vies en bout de course, lorsqu’on se rend compte qu’on n’a jamais pris le temps «de devenir jeune», comme le note et répète le personnage de Dominique Blanc. Ils sont en vacances, ils viennent là chaque année, depuis combien de temps, ils ne savent plus, et ils attendent la mort, dont l’ange est peut-être le visage d’une jeune débile gracile et muette, qui vient les chercher un à un. Merveilleuse Françoise Gillard qui fredonne du France Gall à l’extrême bord de la scène et les emmène vers l’au-delà, derrière un tulle, où leurs ombres blanches se meuvent, à la toute fin.

Vagues successives
Poussière, que Lars Norén a continué d’écrire pendant les répétitions, a une puissance comique tant les répliques acérées suscitent chez le spectateur un malaise crescendo qu’il ne peut exprimer que par le rire. La pièce est avant tout un chœur, du genre musical, mais dans lequel chacun des protagonistes affronte l’épaisseur de sa solitude. Dans ce huis-clos en plein air, c’est par vagues successives que le monde extérieur déferle, et que d’autres types de voyageurs font irruption dans la conversation sans jamais que le mot «réfugié» ne soit prononcé. «Je me trempe seulement dans la piscine, Je trouve ça plus hygiénique que de se baigner avec des tas de cadavres.» Ainsi s’exprime le pasteur (Alain Lenglet), le premier à disparaître. Ce qui frappe, dans cette mélopée où chaque personnage s’exprime par bribes sans jamais avoir de moment de bravoure ou d’exposition, est la faculté des acteurs à dessiner fortement la singularité inextinguible de chacun. C’est prosaïque et métaphysique à la fois, une partition qui se délite, la quintessence de chaque vie qui s’exprime, et cependant, les personnages sont au présent, passent du coq à l’âne, s’admonestent - «Parlez plus fort ou fermez votre langue.»

Les acteurs se taisent donc beaucoup, et il s’agit pour eux d’écouter et de sculpter le silence comme une matière aussi vivante que les mots. Le personnage d’Anne Kessler, notamment, qui lit toujours le même journal depuis le 18 octobre 1962, car elle n’est pas intéressée «par ce qui arrive ou va arriver», feint élégamment la concentration qu’elle n’a plus, à l’aide de jeux de mains, et lance inopinément : «Je ne supporte pas les gens qui ont des problèmes qui peuvent être résolus.» Ça devient de plus en plus horrible, c’est une souffrance et c’est génial en même temps, le personnage tenu par Hervé Pierre se désape, il se masturbe et on se demande comment les vieux abonnés de la Comédie-Française vont réagir devant ce miroir du naufrage de la vieillesse. «Eh bien, ça dépend des soirs, nous répond-on. Parfois, le spectacle a lieu également dans la salle en écho.»

«Une première»
Le jour de la générale de presse, il est arrivé que les acteurs perdent des lambeaux de ce texte constitué d’oublis, et c’était sans importance, tant ce qui compte ici, c’est le rythme, qui pourrait cependant être encore plus allegro. Quelle difficulté que d’enchaîner des propos qui justement ne s’enchaînent pas ! La veille, on avait rencontré les acteurs au foyer de la maison, un genre de salon, dans une tentative de portrait de groupe. Pour chacun d’entre eux, cette forme d’écriture, construite au jour le jour, que «prolonge et continue la mise en scène, comme si les phrases s’écrivaient en direct avec nos corps et qu’on était une part de Lars Norén, est une première», explique Didier Sandre. Tous : «De temps en temps, le metteur en scène tuait l’auteur, choisissant de couper son texte, alors même qu’il le laissait tel quel, pour la publication».

Ils parlent, et cela surprend, avec tendresse de leur personnage. «A chaque représentation, et le spectacle va continuer de bouger au fur et à mesure que l’on découvre encore mille petites surprises dans le texte, on fait un voyage avec soi-même.» A chacun des acteurs, au fil d’entretiens en tête à tête, Lars Norén avait demandé d’apporter des objets, et les avait interrogés sur comment ils se voyaient dans dix ans, afin de les inscrire dans ce paysage de décrépitude et de mort. Didier Sandre : «A tous, Lars Norén répétait : "Deliver, just, deliver."» Balance ton texte. Les phrases sans sentimentalité, comme des couteaux. Si les acteurs évoquent le dramaturge au passé, c’est qu’il est là, tout près d’eux, dans leur mémoire et au présent, leur envoyant des textos. Mais qu’il n’a pas encore vu de représentation à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Anne Diatkine
Poussière texte et m.s. Lars Norén Comédie-Française, Salle Richelieu, 75001. Jusqu’au 16 juin. Rens. : www.comedie-francaise.fr


Légende photo : Onze personnages en vacances dans un voyage intérieur qui les éloigne de la réalité du monde. Photo Brigitte Enguerand. Divergence

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January 26, 2018 8:15 PM
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Une mise en scène surprenante dans la maison lagarcienne

Une mise en scène surprenante dans la maison lagarcienne | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 26.01.2018



A la Comédie-Française, Chloé Dabert s’empare d’une des pièces testamentaires de l’auteur.


Elles sont là, cinq femmes, seules dans la maison avec un jeune homme qui, à peine réapparu, est déjà presque disparu, un homme jeune encore, revenu là, à l’heure de mourir, dans cette maison qu’il avait fuie et où ne restent que les femmes, la grand-mère, la mère et les trois sœurs. C’est L’Aînée, ainsi nommée dans la pièce, qui parle d’abord : « J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne./Je regardais le ciel comme je le fais toujours, comme je l’ai toujours fait. (…)/J’étais là, debout, et j’attendais que la pluie vienne, qu’elle tombe sur la campagne, les champs et les bois et nous apaise./J’attendais./Est-ce que je n’ai pas toujours attendu ? »

Ainsi commence-t-elle, cette pièce qui est une des plus belles de tout le répertoire contemporain, et une des trois œuvres testamentaires, avec Juste la fin du monde et Le Pays lointain, écrites par Jean-Luc Lagarce avant de mourir du sida, en 1995, à l’âge de 38 ans. Ainsi commence-t-elle, dans la somptuosité d’une langue unique, celle d’un auteur au sens plein du terme qui, avec les années, n’a cessé de s’imposer à l’égal d’un Tchekhov de notre temps.

UN BEAU QUINTETTE D’ACTRICES : CÉCILE BRUNE, CLOTILDE DE BAYSER, SULIANE BRAHIM, JENNIFER DECKER ET REBECCA MARDER



Aujourd’hui, Jean-Luc Lagarce est redécouvert par une nouvelle génération de metteurs en scène. Sans parler du film réalisé par ­Xavier Dolan à partir de Juste la fin du monde, qui n’a que peu en commun avec l’esprit de la pièce, on peut voir cette saison en France Le Pays lointain, mis en scène par Clément Hervieu-­Léger, jeune sociétaire de la troupe de la Comédie-Française.

A la Comédie-Française justement, dans sa salle du Vieux-Colombier, c’est une des metteuses en scène qui monte, Chloé ­Dabert, 41 ans (elle présentera Iphigénie au prochain Festival d’Avignon), qui aborde les rivages lagarciens. Avec une vision bien personnelle, et un beau quintette d’actrices : Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker et Rebecca Marder.

Un jeu très en force


Son spectacle, très tenu, extrêmement précis dans son travail sur la langue de l’auteur, fait montre pourtant de choix de mise en scène et de direction d’acteurs qui peuvent surprendre, et laisser sur leur faim les amoureux de la sensibilité et de la musique lagarciennes. C’est un peu comme si Chloé Dabert appliquait une sorte de ligne claire, là où Lagarce compose un quintette de l’absence et du temps en fuite, des vies manquées et des illusions perdues.

Le ton est donné d’emblée, avec Suliane Brahim, actrice merveilleuse de la troupe du ­Français, qui attaque le fameux monologue d’ouverture de la pièce avec un jeu très en force, vers lequel Chloé Dabert conduit également Cécile Brune, Clotilde de Bayser et Rebecca Marder, qui semble par moments cracher son texte comme dans un morceau de rap – le talent de la jeune comédienne n’est, là non plus, pas en cause.

CHLOÉ DABERT SEMBLE PRIVILÉGIER LA DIMENSION DE CES VIES DE FEMMES GÂCHÉES


De cette pavane pour un infant presque défunt déjà, de cette palpitation calme et lente, trouée d’éclairs de fureur, qu’est J’étais dans ma maison…, Chloé Dabert semble donc privilégier la dimension de ces vies de femmes gâchées, qu’il faudrait asséner avec une véhémence bien peu ­lagarcienne. Ce côté un peu coup de poing est encore renforcé par le réalisme cru des costumes des comédiennes, qui tranche sur le décor d’un blanc clinique.

Seule Jennifer Decker, dans le rôle de la deuxième sœur, échappe à ce régime de jeu un peu outré, et elle fait bien : comme elle ne crie pas, c’est elle qu’on entend, dans cette partition à cinq voix, cette « danse un peu lente » de la vie et de la mort que Chloé Dabert, lors de la première du spectacle en tout cas, n’est pas parvenue à faire circuler entre ses comédiennes, enfermées dans leurs monologues et leurs solitudes.

J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, de Jean-Luc Lagarce (éd. Les Solitaires intempestifs, 1997). Mise en scène : Chloé Dabert. Avec Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker, Rebecca Marder. Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, 21, rue du Vieux-Colombier, Paris 6e. Tél. : 01-44-58-15-15. De 13 € à 33 €. Mardi à 19 heures, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 heures, jusqu’au 4 mars. comedie-francaise.fr

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