LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE : L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
S’aimer, c’est, dit-on, regarder ensemble dans la même direction. Parfois, c’est se regarder l’un l’autre... jusqu’à se perdre. Si à trop aimer l’amour on finissait par ne plus aimer l’autre ? Les palmiers sauvages est l’histoire d’une passion vue par Faulkner et mise en scène par une musicienne.
Au Nouveau Théâtre de Montreuil jusqu'au 12 décembre
La Bible comme arme de persuasion massive ou comment devient-on fanatique en lisant les Ecritures Saintes, et comment répondre à cela, c’est le sujet de « Martyr », la nouvelle pièce de l’Allemand Marius von Mayenburg, créée en français par la Compagnie du veilleur dans une mise en scène de Matthieu Roy.
Benjamin (Clément Bertani), un ado, est élève dans un établissement scolaire allemand où la religion fait partie des matières enseignées. Quand la pièce commence, Benjamin, déjà plongé dans la Bible, bascule : la lecture du texte sacré va désormais dicter sa vie. Il y lit que les femmes doivent avoir « une tenue décente », qu’elles doivent se parer « avec pudeur et modestie » (1 Timothée, 2, 9), il en conclut que la tenue des filles à la piscine n’est pas conforme, il refuse donc d’aller au cours de natation et, mieux, obtiendra du proviseur, en cheville avec l’ecclésiastique qui enseigne la religion, de faire interdire les maillots deux pièces. (...)
Jean-Pierre Thibaudat pour son blog "Théâtre et Balagan"
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"Martyr", une pièce de Marius von Mayenburgmise en scène Mathieu Roy
Après Lille, Saint-Denis, Blois et Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), le spectacle poursuit sa tournée :
Théâtre de Châtellerault (Vienne) le 4 décembre ;La Méridienne à Lunéville (Meurthe-et-Moselle) les 11 et 12 décembre ;Théâtre national de Strasbourg du 27 janvier au 8 février ;« Martyr » (traduit de l'allemand par Laurent Mulhleisen), suivi de « Cible mouvante » (traduit de l'allemand par Pascal Paul-Harang et Mikaël Serre), Editions de l'Arche, 128 p., 15 euros
Une pièce de Hjalmar Söderberg d’après la traduction de Jean Jourdheuil et Terje Sinding adaptation et mise en scène Jean-Pierre Baro avec Jacques Allaire, Cécile Coustillac, Elios Noël, Tonin Palazzotto et Michèle Simonnet
En adaptant la pièce de Hjalmar Söderberg, un chef-d’oeuvre de la littérature scandinave, le metteur en scène Jean-Pierre Baro choisit de figurer le conflit du corps et de l’âme à travers le destin tragique d’une femme en quête d’un amour absolu. Dans la société bourgeoise de la fin du xixe siècle, art, politique et amour sont intimement liés. La cantatrice Gertrud en fera les frais, en refusant tout ce qui n’est pas conforme à son désir immédiat, n’acceptant aucun compromis. Trois hommes ambitieux auxquels elle renonce, brûlés par le besoin de reconnaissance sociale, traversent sa tragédie ; tous tomberont dans une solitude désespérée. Musiques, costumes, installation scénographique en mouvement font dialoguer les époques, créant une intemporalité dans laquelle le spectateur s’identifie instantanément. Une critique de l’arrivisme d’une précision tchekhovienne, portée par les acteurs d’Extime Compagnie, dans laquelle Söderberg nous tend un miroir aveuglant.
Révélé à Avignon, le jeune et phosphorescent metteur en scène se bat pour un théâtre ambitieux, populaire et engagé.
C’est une phrase de rien, lâchée comme ça, entre deux portes, alors qu’interrogé sur la marque de sa veste (inconnue au bataillon), Thomas Jolly, 32 ans, se plaignait de ne jamais trouver de vêtements à sa taille, qu’il a très fine. Une phrase de rien qui, bizarrement, reste longtemps après l’interview, comme un coup de laser appuyé sur la rétine. «Je suis phosphorique.» Soit, en homéopathie, l’un des trois profils de base désignant à raison, en ce qui le concerne, les sujets longilignes, sensibles et créatifs. Mais aussi un synonyme de phosphorescent, cette faculté tellement géniale qu’ont les vers luisants à rayonner dans la nuit. Ajoutez à cela l’expression «extrêmement solaire» choisie par son mentor, Stanislas Nordey, pour qualifier son ancien élève de l’école du Théâtre national de Bretagne (TNB), et nous voilà convaincue que notre portrait du remuant Jolly, acteur et metteur en scène délicat révélé au dernier Festival d’Avignon, sera lumineux, ou ne sera pas. Fusée. Il a beau rappeler que son Henry VI l’a occupé quatre ans et demi, l’impression dominante est celle d’un jeune homme monté très vite, très haut. Qui connaissait Thomas Jolly avant le 21 juillet, jour de la première représentation de cette trilogie de Shakespeare ? Commencée à 10 heures, l’intégrale s’est achevée à 4 heures le lendemain matin. Dix-huit heures dans le règne d’un roi, de son couronnement à son assassinat par le futur Richard III, qui, loin de les décourager, ont emballé critiques et festivaliers. En tournée ces jours-ci en région parisienne, l’épopée, qu’il a voulue «exigeante et populaire», séduit autant les lecteurs de Télérama que les fans de la série Game of Thrones, à laquelle, feuilletonnante et meurtrière, elle est sur Twitter régulièrement comparée.
Miroirs ? Une jambe croisée par-dessus l’autre, il fait tourner son pied sur lui-même, en même temps qu’il parle avec ses mains, ses bras, son corps tout entier. Un sujet lui tient à cœur, il jette son paquet de cigarettes devant lui et s’accroupit sur sa chaise, imprévisible et souple comme un chat. Est-ce parce qu’il aime les regards tournés vers lui, ou qu’il «meurt d’ennui en trois minutes» ? Thomas Jolly enchaîne les poses, et s’étonne qu’on s’en étonne. Quelque chose chez lui provoque, sans que l’on sache ce qui l’emporte, de l’agacement ou du désir. Il a le charme juvénile d’un Pierre Niney. La sensualité du Daho des années 80. S’il joue, finit-on par se dire, interpellée par le caractère à la fois pudique et généreux de ses réponses, c’est sans calcul. «Thomas n’a pas de multiples personnalités en fonction des gens qu’il côtoie, confirme son amie de toujours, l’actrice Charline Porrone. L’honnêteté est, je crois, la première de ses qualités.»
Spotlights. A en juger par son phrasé parfaitement articulé, dans les deux sens du terme, comme par les évocations qu’il fait de Bach ou de Rothko (son «idole»), on serait tenté de le ranger dans la catégorie des gens de théâââtre nés de qui il faut, là où il faut, soit quelque part entre l’Odéon et la Comédie-Française. Thomas Jolly a ceci de revigorant que pas du tout. Fils d’une infirmière et d’un imprimeur qui ne les emmenaient, lui et sa sœur, que deux à trois fois par an au spectacle, il a grandi dans un petit village près de Rouen, où il excellait dans la pratique de la pêche aux têtards et dans l’art des expéditions en forêt. «Mes parents ne m’ont jamais contraint, confie-t-il. Je rêvais d’être danseur étoile, ils m’ont inscrit à la danse. Pareil pour la musique. Le problème, c’est que les deux m’ennuyaient.»
Il découvre le théâtre à 11 ans, grâce à un livre de Pierre Gripari, Sept Farces pour écoliers. Ne fait que ça depuis : compagnie pour enfants, classe théâtre, licence d’études théâtrales, puis les cours du TNB, dont il sort «libéré». «Longtemps, je n’ai pas su quoi faire de ma culture populaire. Au TNB, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de honte à aimer Walt Whitman, Verdi et les Spice Girls.» Le 31 octobre, le Rouennais assistait au concert de Lady Gaga au Zénith de Paris. «Un cadeau de la troupe.» Il lit pas mal de mangas, dont il loue la liberté de ton et les schémas narratifs «luxuriants». Rien ne le détend davantage qu’une heure de Zelda.«Le jeu vidéo est la seule activité qui me repose, reconnaît-il. La moindre merde à la télé me fait réfléchir : j’analyse la réalisation de telle émission, les costumes et les lumières du dernier show de Beyoncé… Le théâtre est à la bourre quand on voit ce que les éclairagistes sont capables de faire sur ce type de concerts.» Son nom figure au générique de Henry VI, catégorie «création lumière».
Lux fiat ! Stanislas Nordey lui a proposé de devenir artiste associé au Théâtre national de Strasbourg (TNS), qu’il dirige depuis septembre. «Le travail de Thomas s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’institution, se justifie-t-il. Contrairement à Vincent Macaigne, qui prône la table rase, Thomas est un trublion raisonnable. Il cherche à améliorer l’existant en en faisant bouger les lignes.» C’est peu de dire que l’intéressé a de son art une vision citoyenne, dont Henry VI est le «manifeste» assumé. «Les politiques ont oublié que le théâtre est constitutif de la société, regrette-t-il. Sous l’Empire romain, les pièces rassemblaient 17 000 personnes ! Je ne comprends pas, d’autant plus en temps de crise et alors que les gens le réclament, qu’ils ne fassent pas de la culture un enjeu.» La veille de notre rencontre au Théâtre national de Toulouse, il provoquait une discussion avec le public sur le dossier de l’intermittence, dont à chaque représentation de Henry VI un personnage se fait par ailleurs l’écho. «Traumatisé» par la présidentielle de 2002, qui avait vu Jean-Marie Le Pen passer au second tour, il vote PS «du tac au tac», ce qui ne l’empêche pas d’être «refroidi» par la ligne du gouvernement actuel.
Eclipses. «Des angoisses, il en a, en convient son amie Charline Porrone, mais au lieu de les mettre de côté, il en fait quelque chose de positif.» La crise économique ? Il choisit de la voir comme «une période de reconstruction» à laquelle il «veut participer». La défiance à l’égard de la classe politique ? Il «refuse d’y céder.» L’amour ? Il hésite, pour une fois cherche ses mots. «Disons que ce n’est plus un besoin, mais une gourmandise.» En couple avec un comédien, il se dit «très heureux». On devine qu’il ne l’a pas toujours été. «N’allez pas écrire que je suis déprimé», s’inquiète-t-il soudain. Aucun risque. «Je l’ai fréquenté au quotidien pendant trois ans, et je n’ai jamais vu d’ombre sur son visage», remarque Stanislas Nordey. Sourire au bout du fil : «Un petit renard.» Plutôt une luciole, si vous voulez notre avis, cet insecte tortillant qui, dans Zelda, Shakespeare et ailleurs, rappelle le soleil au bon souvenir de la nuit.
EN 7 DATES 1er février 1982 Naissance à Rouen. 2003 Entre à l’école du Théâtre national de Bretagne. 2006 Fonde sa compagnie, la Piccola Familia. 2010 Entame son travail sur Henry VI.Juillet 2014 Présentation de Henry VI à Avignon. 3-14 décembre 2014Henry VI aux Gémeaux, la scène nationale de Sceaux. 2015 Artiste associé au Théâtre national de Strasbourg.
Par Chloé Aeberhardt Photo Ulrich Lebeuf pour Libération
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Laëtitia Guédon met en scène le chant funèbre de l’une des pièces les plus chargées de souffrance du théâtre grec – ce qui n’est pas peu dire. Grâce à la superbe traduction de Kevin Keiss, dont les acteurs réussissent à faire entendre les plus terribles échos, les horreurs de la guerre, et des exactions auxquelles elle donne inévitablement lieu, résonnent comme rarement.
Troie est tombée, mise à sac par les Achéens après dix années de sang et de larmes. Les vainqueurs se préparent à repartir, tandis que les Troyennes captives attendent de connaître leur sort. Nul grand renversement dramatique ici : les femmes de Troie, qui se succèdent sur scène, ne sont pas là pour tramer une illusoire vengeance, mais pour dire les ravages de leur cité, leur déchéance jusque dans leurs corps, les morts qui ne reviendront pas, et la cruauté des vainqueurs. Ces souffrances au-delà de la parole, face à la désolation de celles qui ont tout perdu, ne sont cependant pas exprimées pour susciter l’apitoiement, même si la compassion entre naturellement en jeu dans la représentation de situations aussi pathétiques. Le jeu des acteurs, qui reste avant tout attentif à rendre le rythme de la phrase d’Euripide, est à cet égard d’une louable justesse.
Ce que la mise en scène épurée de Laëtitia Guédon donne ainsi à voir, c’est l’envers du triomphe, la honte au cœur de la gloire des Grecs, ce peuple qui se revendique de la raison. La victoire fut à eux, certes, mais qu’ont-ils gagné ? Dans leur folie meurtrière, ils ont perdu toute humanité, et leurs actes impies ont offensé tous les dieux, jusqu’à ceux qui leur avaient accordé cette victoire. Et une fois le saccage achevé, leur crainte sans mesure de voir leurs ennemis se relever est telle qu’ils n’hésitent pas, suivant en cela les conseils du perfide Ulysse, à précipiter Astyanax, l’enfant d’Hector, du haut des remparts, tout en s’avérant, à l’image du veule Ménélas (Pierre Mignard), impuissants à décider du sort de la si belle Hélène. Si bien que l’on comprend tout à fait le le héraut Talthybios (Adrien Michaux) lorsqu’il nous enjoint de brûler cette ville qui vit les Grecs triompher : loin de porter témoignage de leur gloire, Troie sera à jamais le signe de leur honte, et la cause de bien des malheurs à venir, que ne manqueront pas de leur envoyer les dieux outragés.
Justin Winzenrieth pour le blog Le Souffleur
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Traquer le domaine de l’amour revient à cheminer sur les sentiers de la conscience morale, des sentiments, des passions, du sexe, de l’effroi et de la mystique.
On pourrait assimiler Gertrud (1964) du cinéaste danois Carl Theodor Dreyer à un film religieux, même si, comparé à Ordet(1955), sa dimension mystique est moindre.
La belle héroïne de Gertrud, pièce du dramaturge suédois Hjalmar Söderberg, sacrifie sa vie pour un idéal d’amour, une utopie, qu’elle inscrit continument à la fois dans la réalité quotidienne et dans un absolu improbable malgré les échecs essuyés.
Telle la beauté, autre création platonicienne d’Eros, la vérité reste une, qu’elle soit atteinte ou non, vérifiée ou pas. L’amour est un aspect « naturel » de la transcendance et du rapport à l’autre. Si les personnages tuent l’amour, il ne reste plus que la solitude du cœur, l’envers de l’aspiration humaine à sortir de soi.
Gertrud représente le combat d’une âme pure afin de vivre, sensuellement et sentimentalement, la seule raison d’exister en ce monde qu’est l’amour. La cantatrice n’accepte pas les compromis ni les petits arrangements ; qu’elle soit suppliée ou bien humiliée, elle préfère perdre sa mise pour la rejouer ailleurs.
Les trois hommes – ils ont des âges différents, du plus âgé au plus jeune, alors que l’amante, l’épouse, la maîtresse a l’âge de sa conscience éternellement jeune -, qui construisent cette figure vive et étincelante sont mus par le principe de pouvoir, l’ambition, la reconnaissance sociale : l’homme politique, l’écrivain et le compositeur.
Aucun n’a perçu la lumière inépuisable dispensée par l’envoûtante Gertrud.
Ces considérations vont à l’encontre de ce que Verlaine avance dans ses Mémoires, poète qui affirme que l’amour est le mobile de toutes les actions : « Et ne me parlez pas d’autre chose, ambition, lucre, gloire ! Tout au plus peut-être de l’Art. Et encore, et encore l’Art, tout seul ? »
Seule, la cantatrice Gertrud, pour se sentir être, croit à l’amour, et à l’art ensuite.
Les règles du savoir-vivre qui empêchent la réalisation des désirs intimes donnent à la figure féminine l’apparence d’un échec passionnel et celle d’un échec familial et social, bien que Gertrud ressente personnellement ce ratage comme une victoire existentielle.
Aimer signifie souffrir, subir et se donner sans compter à la douleur.
Dans la mise en scène de Jean-Pierre Baro, Cécile Coustillac incarne une Gertrud presque irréelle et pourtant sensuelle, une incarnation qu’on croyait impossible à force de transparence et d’émotion à fleur de peau, une héroïne évanescente qui sait toucher terre pourtant, pâle et fragile, silhouette au pouvoir de rayonnement.
L’actrice pleure, chante, crie, parle et argumente, sourit et rit, cherche ou fuit les baisers. Avec naturel, donc un art scénique accompli et beaucoup d’humilité.
Quant aux hommes, ils maintiennent le cap vers le grand large du théâtre. L’avocat sur le point de devenir ministre, Tonin Palazzotto, use de sa dégaine et de son verbe : une scansion, une conviction et un art de la communication éloquents. Elios Noël est une force virile de la nature – charme, chair violente et musique. Jacques Allaire en écrivain content de lui et qui joue les insatisfaits est parfait.
La scénographie à la fois sombre et pure de Mathieu Lorry Dupuy est subtile : un espace mental vide et sombre avec de temps à autre, un lustre d’opéra et un tapis volatile de copeaux légers de neige blanche que l’on balaie parfois.
Avec la présence aussi d’un piano à queue que font miroiter les murs environnants, des panneaux de glace couverts de craie que l’on efface progressivement pour laisser paraître les reflets de soi et du monde.
Jean-Pierre Baro s’amuse de ces jeux de transparence, une invitation à l’éveil et à la méditation à travers des visions lumineuses du monde. Le miroir est un moyen de connaissance des atteintes du temps, un révélateur qui ne ment pas.
La réussite de cette Gertrud délicate tient à cette osmose scénique entre les personnages – corps et verbe, d’un côté ; solo, duo et chœur de l’autre – et l’espace vivant dessiné, révélateur puissant non des déceptions, mais des attentes de la vie.
Véronique Hotte
Le Monfort Théâtre Paris XV, du 25 novembre au 13 décembre. Tél :01 56 08 33 88
Publié sur la page de Changement de décor, site de France Culture :
Elles n’ont pas froid aux yeux, les femmes de théâtre, lorsqu’elles s’approchent des scènes obscures. Si en plus d’être femmes, elles sont jeunes, faut-il se mettre à avoir peur d’elles et des audaces qui sont les leurs ?
Changement de décor, scène 12 ce soir avec Catherine Umbdenstock, metteur en scène de l’Avare, un portrait de famille en ce début de 3ème millénaire, - Texte de Peter Licht, d'après Molière - un spectacle qui se joue au théâtre de la Commune à Aubervilliers. (jusqu'au 7 décembre) .
Joëlle Gayot pour "Changement de décor"
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Des musiciens en queue de pie circulant à skis, une expédition loufoque dans un corps humain, des scènes d’opéras coincées entre les Monty Piton, Henry Purcell et l’Énéide de Virgile… Avec sa façon de slalomer entre séquences lyriques et délires absurdes, Le Crocodile trompeur / Didon et Énée, co-signé par Jeanne Candel et Samuel Achache, s’imposait en 2013 comme un des ovnis les plus puissants de la jeune scène théâtrale. On y découvrait alors une bande d’acteurs et de musiciens fédérés en collectif (La vie brève, également auteurs de Robert Plankett en 2011), appartenant à une génération d’artistes particulièrement à l’aise dans l’art des formes hybrides. Leur nouveau projet, Le Goût du faux et autres chansons, à nouveau porté par Jeanne Candel et inventé sur la base d’improvisations avec douze acteurs-musiciens, ne s’annonce pas moins vertigineux que le précédent. D’une part parce que, de façon énigmatique, le spectacle est scindé en deux pièces distinctes, complémentaires et construites en miroir. D’autre part parce que le mythe, le superbe, le trivial s’y fragmentent en une myriades de saynètes, construites sur la base de rêveries autour du peintre Botticelli et de l’écrivain Borgès, articulées auxMétamorphoses d’Ovide, elles-mêmes conjuguées à des bribes de textes scientifiques sur la formation de l’univers. Soient les composantes d’un cadavre exquis farfelu et illimité, qui tente de reposer, par associations d’images et ricochets d’idées, l’insoluble question de l’origine du monde.
Le spectacle de PeterLicht d'après Molière, L'Avare : un portrait de famille en ce début de 3e millénaire, mis en scène par Catherine Umbdenstock est repris, jusqu'au 7 décembre, à La Commune, Centre dramatique national d'Aubervilliers.
Nous republions ci-dessous la critique de ce spectacle parue au moment des représentations dans le cadre de Théâtre en mai à Dijon (en mai 2014).
Molière contre l'apathie des trentenaires
A Dijon, L'Avare flirte avec l'activisme anticapitalisme et brocarde la passivité d'une génération.
En voilà un qui n’est pas superstitieux. Benoît Lambert, le directeur du Centre dramatique national de Dijon, a invité treize jeunes compagnies à Théâtre en mai, le festival qui se tient jusqu’au 1er juin et fête allègrement ses 25 ans. Quand il a été créé, par François Le Pillouer, ce festival a ouvert une voie, en donnant à des metteurs en scène la possibilité de se faire connaître, et reconnaître par l’institution. Aujourd’hui, on ne compte plus les festivals consacrés à l’émergence, et l’état d’esprit a changé, comme l’explique Benoît Lambert (42 ans) : « Ma génération a eu une double injonction, politique et esthétique : vous ne ferez pas mieux que nous, nous disaient en substance nos prédécesseurs. »
Les nouveaux venus, eux, ne s’encombrent pas : « Fuck le vieux », pouvait-on lire sur le ventre d’une comédienne, à Dijon, lundi 26 mai. Il faut dire qu’elle jouait dans un spectacle qui valait le déplacement : L’Avare : un portrait de famille en ce début de 3e millénaire.
Cet Avare a une double origine : française, avec son auteur historique, Molière, et allemande avec son auteur contemporain, PeterLicht. Comme on s’en doute, PeterLicht est le pseudonyme d’un activiste qui a décidé de vivre masqué, sinon caché. Il ne donne pas d’indications sur sa biographie, vit à Cologne, compose de la musique, dessine et écrit, en privilégiant des thèmes dont témoignent les titres de deux de ses albums, Chants de la fin du capitalisme, et Mélancolie et société. En 2010, le Théâtre Gorki, qui est le plus vivant de Berlin, actuellement, a présenté sa pièce, Der Geizige, soit L’Avare, d’après Molière. C’est cette pièce que nous fait découvrir Catherine Umbdenstock, une Alsacienne de 31 ans qui mérite d’être connue.
Après avoir étudié le théâtre en France, Catherine Umbdenstock est allée l’apprendre à Berlin, où elle a suivi les cours de la célèbre école Ernst Busch. Quand elle en est sortie, en 2012, on lui a demandé quel pays elle allait choisir. « Aucun, a-t-elle répondu, je veux travailler entre les deux. » Elle a alors fondé une compagnie, Epik Hotel, qui réunit des Allemands et des Français. Dans L’Avare, Marianne est jouée par Charlotte Krenz, dont la très légère pointe d’accent donne encore plus de relief au poème d’amour que lui dit Cléante : « Marianne, tu es la liberté, tu es belle. » Evidemment, quand PeterLicht s’adresse ainsi à Marianne, ce n’est pas seulement à l’amoureuse de Molière, mais aussi à la figure de la liberté qu’il rend hommage.
Squatter la maison d'Harpagon Car il en veut, de la liberté, cet auteur-là. Et pas qu’un peu. Il réclame la révolution, et fait la sienne en réécrivant un classique qui lui permet de s’adresser directement à la nouvelle génération : mais que faites-vous donc là, sans bouger, au lieu de tout faire péter ?, leur dit-il, en résumé. Et encore, ce « tout faire péter » est poli. PeterLicht manie l’insulte et le langage grossier avec un appétit rageur.
Il n’est pas tendre avec les trentenaires du XXIe siècle, dont il dénonce l’apathie. Il les décrit en train de squatter la maison d’Harpagon et de se livrer à des occupations pubertaires, tout en hurlant que ça ne va pas du tout, que l’argent est fait pour circuler, et que « le vieux » doit leur en donner, parce qu’ils veulent « faire leur vie ».
Mais « faire leur vie », c’est quoi ? Ils ne le savent pas. En revanche, ils savent qu’ils sont jeunes, et que ça ne durera pas. Ils pourraient se révolter, et sans doute en ont-ils envie. Mais ils ne trouvent pas ce qui pourrait fédérer leur révolte. Alors, ils attendent. Régulièrement, Cléante va demander de l’argent à son père. Il revient à chaque fois en disant qu’il n’en a pas obtenu. Et rien ne change, sinon que, au fil du temps, le petit groupe, qui était soudé, se délite…
Cette vacuité est particulièrement à l’œuvre dans le spectacle de Catherine Umbdenstock, qui a apporté quelques modifications à la pièce de PeterLicht, avec son accord. Elle a ainsi enlevé le personnage d’Harpagon, à qui les jeunes gens s’adressent sans qu’on le voie, parce qu’« en rendant invisible Harpagon, on rend notre ennemi invisible. C’est peut-être nous, cet ennemi ».
Catherine Umbdenstock a également féminisé L’Avare, en faisant jouer Valère par une comédienne. C’est celle qui porte, écrit sur son ventre, « Fuck le vieux ». Comme les autres, elle joue sur une corde raide, dans un spectacle où les réactions du public sont importantes.
Lundi 26 mai, il y avait des scolaires dans la salle. Il fallait introduire un peu de pédagogie, ce qui n’était pas gagné, ni sur le fond ni sur la forme, qui réinvente, sans le savoir, l’esthétique décomplexée des années 1970. Du coup, il y eut un certain nombre de moments creux, pendant lesquels on se demandait à quoi tout cela pouvait bien mener. On l’a su quand on eut quitté la salle : un sentiment nous poursuivait, il aurait pu s’appeler « Mélancolie et société ».
L’Avare : un portrait de famille en ce début de 3e millénaire, de PeterLicht d'après Molière. Mise en scène : Catherine Umbdenstock. La Commune, Centre dramatique national d'Aubervilliers, 2, rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers. Tél. : 01-48-33-16-16 Jusqu'au 7 décembre, mardi et mercredi à 19 h 30, jeudi et vendredi à 20 h 30, samedi à 18 heures, dimanche à 16 heures. Tarifs : de 6 à 23 euros. lacommune-aubervilliers.fr
Brigitte Salino (Dijon, envoyée spéciale) Journaliste au Monde
Thomas Jolly a 32 ans et aime le grand spectacle. Claude Régy en a 91 et cherche l'épure absolue. Ces deux metteurs en scène que tout oppose se retrouvent à Avignon. Dialogue entre l'ancien et le moderne.
Thomas Jolly a 32 ans, et déjà ses fans. La fougue de sa troupe, la Piccola Familia, est une bonne nouvelle qui s'est répandue telle une traînée de poudre depuis l'hiver dernier, où l'on a découvert le début du marathon qu'il entamait avec «Henri VI», de Shakespeare, pièce fleuve qui traverse la guerre de Cent Ans puis celle des Deux-Roses.
Au Festival d'Avignon, Jolly monte l'intégrale: il aime l'énergie de l'entertainment, son spectacle durera dix-huit heures.
C'est tout ce que fuit Claude Régy, cet immense découvreur d'auteurs qui, à 91 ans, reste un perpétuel pionnier.
Lui présente à Avignon «Intérieur», de Maeterlinck, une pièce hantée par la mort d'un enfant. Il l'a montée en 1985, il l'a recréée au Japon, avec des acteurs japonais.
Rencontre entre deux metteurs en scène que tout oppose: leur notoriété, leur âge, leur pratique.
Vidéo extraite de l'émission de Canal Plus "Le supplément" animé par Maïténa Biraben :
lThomas Jolly a été l'une des sensations du dernier festival d'Avignon. Ce jeune metteur en scène vient de réaliser une performance extrême : mettre en scène une pièce de 18 heures. Reportage dans les coulisses d'un record.
Marielle Pinsard est un nom encore méconnu en France. La suissesse est reine en son pays mais on ne lui compte que deux dates, avignonnaises, : un Sujet à vif en 2008 et une Vingt-cinquième heure en 2005. C’est assez naturellement que l’ex directeur dudit festival l’a invitée a jouer dans « son » lieu, le Théâtre Vidy Lausanne. Et c’est une chance de voir cette folie pure débouler à Paris, au Tarmac . On entre dans une forme déjà bien connue et pourtant ici plutôt bien renouvelée. Nous sommes dans un théâtre qui a tout compris de l’apport de la performance au plateau. Le patchwork est total, autant que les mots sont rares. C’est un théâtre d’images et de happening. Les saynètes se succèdent, au départ sans fil apparent avant, ou plutôt, à la fin, de saisir que sous ses allures délurées, la dame sait manier sa barque.
Comment dire notre société et ses dilemmes. Tous les artistes sérieux s’y piquent. Elle décide revenir aux origines, au temps où seule l’eau gouttait sur une terre déserte. Puis il y a eu Ève, sortie selon certains de la côte d’Adam. Et après c’est la merde. Céline Dion s’est mise à hurler, des prêtres en tout genre se sont mis à convertir les foules. Le paganisme et les fanatiques se sont rencontrés. Rien ne va plus.
Sur un plateau plus sage qu’il n’y parait, de l’eau tombe dans des saladiers, faisant « ploc ploc » en continu. Des Menhirs sont suspendus et des percussions attendent patiemment. Du côté des comédiens, l’implication est totale. Ils envoient le corps, souvent nu, mais surtout, souvent maltraité, bestialité oblige. Judiacaël Avaligbe, Koraline de Baere, Julie Cloux, Edoxi Gnoula, Piera Honegger, Albert Hounga, Guy E. Kponkento, Valerio Scamuffa et Sally Sly sont poussés à bout, dans un geste qui rappelle Macaigne, Raoul Collectif, Armel Roussel… Une passion pour la forme plus que pour le fond donc.
Cela ne veut pas dire que le spectacle est vide de propos, bien au contraire. Notre monde ainsi décrypté devient risible en même temps que rafraîchissant.
Amélie Blaustein Niddam pour le blog "Toute la culture"
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Paru dans "Théâtre et Balagan" le blog de Jean-Pierre Thibaudat :
« Les oiseaux, pourquoi je ne suis pas comme eux ? » demande Jérôme dans « Les Illisibles », la nouvelle pièce de Lazare, laquelle avec « Quelqu’un est Marie », autre courte pièce, constitue la matière de son nouveau spectacle : « Petits contes d’amour et d’obscurité."
Lazare est apparu dans le paysage et dans ce blog il y a six ou sept ans (disons sept cela fait penser aux bottes de sept lieues) avec "Passé je ne sais où, qui revient" suivi par "Au pied du mur sans porte" et enfin "Rabah Robert, touche ailleurs que là où tu es né », pièce venant clore une trilogie familiale réinventée. Apparaissaient d’un coup dans le paysage du théâtre hexagonal :
une écriture avec sa syntaxe, son vocabulaire, son univers, des personnages inoubliables comme Libellule filant d’une pièce à l’autre ;un metteur en scène mettant son écriture en prise directe avec le plateau et la boxant à l’aune de l’improvisation ;un poète de la scène à nul autre pareil, éruptif, inclassable, imprévisible.
Jean-Pierre Thibaudat, pour son blog "Théâtre et Balagan" sur Rue 89
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"Petits contes d'amour et d'obscurité"
Ecriture et mise en scène : Lazare
Après sa création au Théâtre National de Bretagne dans le cadre de Mettre en scène, le spectacle part en tournée :
Le granit (Belfort) du 12 au 14 nov ;Le grand T (Nantes) du 18 au 21 nov ;Les Bernardines/Théâtre de la Joliette (Marseille) du 27 au 29 nov ;puis au printemps Saint Etienne, Toulon, etc.
Texte publié dans le blog des Etudiants de l'UQAM (Montréal) L'Artichaut :
(...) Après l’euphorie de ces délires qui nous ont tenus à bout de souffle pendant près de deux heures trente, les deux derniers tableaux se dessinent dans une accalmie onirique. Un nuage de fumée baignée d’une lumière rosâtre se déploie dans l’immensité de la scène désertée. Deux monstres fantastiques percent le brouillard. Les paroles qu’ils échangent sont celles d’un discours amoureux qui, tranquillement, s’engouffre dans la pénombre. L’imaginaire et le rêve prennent le pas sur les mots, le sens, le présent de la scène avec ses performeurs. La poésie s’incarne enfin. Une fine pluie éclot au creux de ce silence-apnée. Elle réveille alors une odeur humide et terreuse qui calme nos esprits. Cet espace méditatif, ainsi créé pour le spectateur le temps que l’œuvre se dépose en lui, révèle la grande maturité artistique des Chiens de Navarre.
Quand je pense qu’on va vieillir ensemble dispose d’explosifs insondables. Au-delà du temps de la scène, c’est lors du retour chez soi que le délire démesuré des Chiens de Navarre révèle réellement son tour de force. Surgit alors la part d’ombre de cette euphorie qui nous a tant tenus en haleine, traduisant par nos rires cette incapacité à comprendre et à émettre du sens. Le comique est, peut-être, le seul mode dramatique capable de nous faire approcher l’insupportable: ce besoin de consolation qui est impossible à rassasier comme un enfant qui claque des dents en nous.
Myriam Stéphanie Perraton-Lambert
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Prochaines représentations des spectacles des Chiens de Navarre :
« Henry VI », de Shakespeare, cycle de trois pièces publié en 1592, dont chaque représentation dure dix-huit heures, n'avait encore jamais été joué en France dans son intégralité. Le metteur en scène Thomas Jolly a décidé de s'y atteler. Il explique pourquoi.
On a découvert Thomas Piasecki en 2012 dans le Off à Présence Pasteur. Il présentait Sisyphski un hommage à ses ancêtres mineurs. Sa nouvelle création Ferien confirme ce que l’on pensait de lui. C’est un sacré « écrivain de plateau ».
Dans le théâtre de la Verrière derrière la rue Nationale à Lille, Thomas Piasecki crée chez Dominique Sarrazin, une très belle histoire d’aujourd’hui, une histoire sociale et politique. Hélène est atteinte d’une maladie incurable. Elle convoque le temps d’un week-end dans un gîte dans la Forêt-Noire les hommes de sa vie. Ses deux amants, Pierre et Paul, et son fils, Jacques. Hélène, Pierre et Paul se sont aimés et ont vécu ensemble. Thomas Piasecki revisite à sa manière « Jules et Jim » avec ce trio amoureux du 21ème siècle. L’idée de cette pièce lui est venue pendant le débat sur le mariage homosexuel.
Le style narratif est bien maîtrisé par Thomas Piasecki. L’histoire est racontée à travers les quatre personnages sur scène mais aussi à travers la voix de Margaux, la petite amie de Jacques qui est venue chercher cette famille à l’issue du week-end. Il utilise la vidéo comme l’un des personnages de la pièce. Elle sert de décor naturaliste. Les images de la forêt d’Ohlain dans le Pas-de-Calais filmée par Jérémie Bernaert sont magnifiques. La vidéo permet aussi de retrouver ce trio amoureux lors des réunions de famille à la Pentecôte ou à Noël. Tout le monde est attablé comme dans La Cène de Léonard de Vinci. Ces réunions sont l’occasion de discussions musclées sur la politique. La pièce traverse les années 80 et 90. Ce sont les années Mitterrand, le désespoir de la gauche et la montée du Front National.
Cette pièce est totalement nostalgique et poignante. On le doit notamment aux acteurs et à laformidable Murielle Colvez entourée de ses trois hommes, Dominique Langlais, Damien Olivier, Sylvain Pottiez. On le doit aussi à la maîtrise parfaite de la mise en scène. Tout s’imbrique admirablement dans cette histoire d’amour avec ces « originaux » comme le dira à un moment le fils Jacques. Comme c’était le cas dans Sisyphski le sol est un élément important de la scénographie. « Tout part du sol » dit Thomas Piasecki. Il délimite les contours de la maison, l’allée du jardin et la forêt. Cette histoire émouvante raconte beaucoup de choses sur notre époque, sans porter de jugement. On se laisse porter par l’émotion qui se dégage des personnages, par la beauté des images et le style épuré de la mise en scène.
Avec sa compagnie La vie brève, Jeanne Candel aime faire du théâtre maison. Dans la maison où elle vient d’emménager, il y a un salon de musique en entrant à droite et, à gauche, une grande cuisine avec un beau plan de travail, une cuisinière, un évier, des produits, des épices, tout ce qu’il faut pour mitonner un bon dîner.
Côté salon, les musiciens, certains en habits des siècles passés, nous parlent de peinture et nous égaient de leur musique (piano, contrebasse, clarinette, flûte) accompagnés ou pas par un chanteuse lyrique. C’est très agréable.
L’écrivain cuisinier et la cocotte trompeuse
Côté cuisine, un type en jean et pull noir s’active : il assaisonne des morceaux de viande, coupe des oignons (odeur), jette tout cela dans une cocotte en fonte orange, la glisse dans le four. On salive.
Ainsi commence, plutôt bien, « Le goût du faux et autres chansons », une mise en scène de Jeanne Candel, un spectacle écrit au plateau (comme les précédents) avec et par les douze acteurs-chanteurs-musiciens de sa compagnie dont certains faisaient partie de son précédent spectacle (cosigné avec Samuel Achache) « le crocodile trompeur » d’après « Didon et Enée », un joli succès.
Pendant que je vous racontais tout cela, le temps a passé, le cuisinier – un écrivain connu en panne d’écriture- sort la cocotte en fonte du four avec un torchon pour ne pas se brûler les mains. On se dit qu’il va soulever le couvercle, que des odeurs vont embaumer le théâtre (comme au Théâtre de la Bastille où Damiaan De Schrijver et Peter Van den Eede reprenaient récemment leur increvable « My dinner with André »), mais non rien, il pose la cocotte et c’est tout. Jamais personne ne soulèvera le couvercle. Le spectacle de Jeanne Candel ressemble à cela actuellement : il est là en creux mais on n’en a pas encore soulevé le couvercle. Il lui manque son odeur, une saveur. Question de temps ? De contact avec le public ?
Il y a pourtant de bons produits comme disent les cuisiniers. Par exemple, côté cuisine, des citations sûres comme la scène des yeux crevés de Gloucester dans « Le roi Lear » de Shakespeare ou « la femme à la tête dans la cuisinière à gaz » venue du « Hamlet-Machine » de Heiner Müller, ou encore une façade de maison qui tombe empruntée à Buster Keaton. Des produits décongelés, soit, mais de qualité, ne faisons pas la fine bouche.
Jean-Pierre Thibaudat pour son blog "Théâtre et Balagan"
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"Le goût du faux et autres chansons " par la Compagnie La vie Brèvemise en scène Jeanne Candel
Le spectacle créé à la Comédie de Valence est au Théâtre de la Cité internationale à Paris dans le cadre du Festival d'automne, les lun, mar, ven et sam 20h30, jeu 19h30, jusqu'au 13 décembre. Puis du 5 au 13 février au Théâtre Garonne de Toulouse, le 26 février au Théâtre de Vanves, les 9 et 10 avril au Phénix de Valenciennes.
Théâtre : poétique bazar, de la Renaissance au cosmos
Une salle hilare et en lévitation, et ce avec un spectacle sans grosses ficelles comiques ni gros sabots potaches… Voici le petit miracle opéré au Théâtre de la Cité internationale, à Paris, par Jeanne Candel, une metteuse en scène qui n’est pas la moins douée, dans toute cette constellation de la « nouvelle vague » scénique française que le Festival d’automne a choisi de mettre en avant cette année.
La jeune femme (35 ans) avait déjà signé, avec sa compagnie La Vie brève, un des plus jolis succès critique et public de l’hiver 2013 : Le Crocodile trompeur, version jazzy et déjantée du Didon et Enée de Purcell. Elle devrait réitérer avec Le Goût du faux et autres chansons, au vu de l’accueil on ne peut plus enthousiaste réservé à son spectacle lors des premières représentations.
Esprits (trop) rationnels s’abstenir. Le Goût du faux est encore plus irracontable que ne l’était Le Crocodile. Ce que l’on peut dire tout de même, c’est que trois « histoires » principales s’y mêlent, ou plutôt s’y juxtaposent.
Où il est question, d’abord, d’un tableau hollandais du XVIIe siècle, représentant un homme jouant de la viole de gambe et un autre du clavecin ou du virginal, en compagnie d’une jeune chanteuse et d’un mystérieux individu dont on ne sait s’il sort ou entre dans le cadre, et tenant dans la main un non moins mystérieux objet de forme ronde (les amateurs de jeux pourront s’amuser à chercher si ce tableau existe réellement).
Poésie absurde et drôle L’on suit ensuite les (més)aventures d’un écrivain plutôt en panne mais néanmoins sybarite, qui reçoit chez lui, autour d’un bon plat mijoté en direct sur le plateau du théâtre, sa sœur et le nouveau petit ami de celle-ci, de retour des Etats-Unis. Fan d’Elvis Presley, le petit ami, qui est documentariste, souhaite réaliser un film sur un lac sibérien au fond duquel vivrait le Léviathan, en chair et en os, si l’on peut dire. L’écrivain lui fait remarquer que le Léviathan est un mythe, et qu’un mythe n’est pas fait pour être trouvé, provoquant l’incompréhension courroucée de son interlocuteur.
Le troisième fil rouge du spectacle met en scène deux cosmonautes russes en mission dans l’espace, et communiquant avec la planète Terre, via la télévision, un soir de réveillon du 31 décembre. A partir de là partent bien d’autres rhizomes, selon le mot cher au philosophe Gilles Deleuze. Ce n’est pas tant les histoires racontées qui comptent ici (quoique), que la manière dont Jeanne Candel, avec ses excellents interprètes, co-auteurs du spectacle, invente une poésie de plateau à la fois absurde et drôle, dans la lignée de celle du grand metteur en scène suisse Christoph Marthaler. La jeune femme a un vrai talent pour créer des bulles d’air, de vide, des situations surréalistes qui font déraper une réalité devenue décidément trop triviale et pragmatique.
Scarabée rouge Cela donne des moments qui provoquent un rire irrépressible, à l’image de cette parodie « low-tech » du film Gravity, bricolée avec les moyens du théâtre, à savoir une petite station spatiale pliante style jeu d’enfant et… des corps dans l’espace. Et d’autres définitivement étranges, comme quand un scarabée rouge s’échappe du fameux tableau hollandais, évoquant les nombreuses exégèses – celles de l’historien d’art Daniel Arasse notamment – sur la présence des mouches dans la peinture flamande, et l’amour du détail, que partage Jeanne Candel.
Alors petit à petit, dans le patchwork apparent et la foutraquerie jamais gratuite, Le Goût du faux et autres chansons finit par prendre tout son sens, s’interrogeant, à sa façon aérienne et gracieuse, sur la création, le faux et le vrai, le mentir-vrai de l’art et les vraies fausses valeurs artistiques de notre époque. Son élégance est de le faire avec autant de fantaisie que d’émotion délicatement retenue. Jeanne Candel connaît la chanson.
Le Goût du faux et autres chansons, par Jeanne Candel et sa compagnie La Vie brève. Festival d’automne, Théâtre de la Cité internationale, 17, bd Jourdan, Paris-14e. RER Cité internationale. Tél. : 01-43-13-50-50. Lundi, mardi, vendredi et samedi à 20 h 30, jeudi à 19 h 30, jusqu’au 13 décembre. De 7 € à 22 €. Durée : 2 heures. www.theatredelacite.com. Puis tournée de février à avril 2015, au Théâtre Garonne de Toulouse, au Théâtre de Vanves et au Phénix - scène nationale de Valenciennes.
Publié par le blog "Un fauteuil pour l'orchestre" :
Décapant ! Thibault Perrenoud signe une mise en scène de haute volée, dynamique, d’une énergie affolante. Et sacrément intelligente. C’est une plongée en apnée dans la psyché humaine avec toutes ses ambivalences, ses ambiguïtés. Alceste n’est pas plus misanthrope que vous et moi. C’est un homme en crise dans une société en crise, société du paraître qu’il dénonce avec rage. C’est un Alceste écorché, à vif, dans l’urgence d’un profond malaise. Les personnages sont dépoudrés, décorsetés, désamidonnés, dépouillés de toute affectation pour en atteindre l’essence même et disséquer leurs affects. Et si Alceste finit littéralement à poil c’est qu’il s’est dépouillé, lambeaux après lambeaux, de ce qui l’engonçait, pour atteindre la vérité. Sa vérité. La vérité toute nue n’étant plus une métaphore. Cette mise en scène c’est un tourbillon, un carrousel mondain affolé où les personnages se cognent, aveuglés ou lucides, violemment les uns aux autres. Amour, amitié, haine, cruauté, jalousie… C’est une spirale où la couleur des sentiments affolés claque sous le vernis, vernis qui craque de tout côté et émiette les personnages. La langue aussi claque. Langue on le sait superbe, alexandrins dont les comédiens s’emparent avec une aisance confondante. On pourrait pinailler d’entendre soudain une langue contemporaine qui brutalement s’immisce sans crier gare. Qu’importe en fait. Quand les sentiments s’épuisent la langue s’essouffle. On sursaute devant cette audace crâne d’entendre Alceste dire soudain comme à court d’argument à l’instant de la rupture « Dégage ». C’est que la langue aussi est un artifice dont il faut s’ébrouer. C’est audacieux mais le « chiche » de Thibault Perrenoud est gagnant. Ce n’est pas moderniser la pièce mais simplement démontrer sa toujours modernité.
Denis Sanglard pour le blog "Un fauteuil pour l'orchestre"
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Le Misanthrope (L’Atrabilaire amoureux) de Molière mise en scène, Thibault Perrenoud
Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Du 18 novembre au 20 décembre 2014 à 19h, dimanche à 15h Relâche les 20/23 et 27 novembre, 1er et 7 décembre Réservations 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com
Avec "Petits Contes d’amour et d’obscurité", Lazare confirme qu’il est des metteurs en scène les plus atypiques de sa génération. Et des plus intéressants.
Ils avancent pour ne pas tomber. S’accrochent comme ils peuvent à la vie, à leur drôle de vie. Gamins présumés coupables. De vivre. Ça ne tourne pas bien rond dans leur caboche. Ils se bousculent, cruels, s’enlacent, s’aiment, quand pas grand monde les aime. La violence, l’amour, ces mômes-là en ont à revendre, mais comme on ne sait pas quoi en faire, on les oublie dans une école fantôme, loin du regard des autres. Alors ils poussent comme ils peuvent, telles de mauvaises herbes rebelles, qui résistent à tout. Dehors, les marais, la forêt, la nuit, une cabane. Peur, attraction, frissons, jouissance, défis, on joue aux grands mais, au fond, ils ne sont encore que des enfants. Ils sont lâchés dans la vie, le monde est une jungle. Enfant-Chaperon rouge ; enfant-Petit Poucet ; enfant-Bambi, enfant-Mowgli, enfant-Pinocchio, les enfants de Lazare avancent à tâtons, poussés par les ailes du désir plus fort que la peur du prédateur. Ils ont un air de famille avec les mômes de Vigo dans Zéro de conduite, avec le Jean-Pierre Léaud des Quatre Cents Coups de Truffaut.
Les Illisibles, première partie du spectacle, sont suivis de Quelqu’un est Marie. Marie tourne en rond, seule, perdue dans le brouhaha de la ville. Elle vit entourée de fantômes, le sien, celui de son amant un jour disparu. Elle parle dans le vide, percevant l’écho de sa voix qui lui renvoie sa solitude. Entre les deux pièces, rien, pas de raccord, juste les décors déplacés et les acteurs qui repartent dans une autre direction. On les observe se métamorphoser à vue, jouer avec les décors, de grands panneaux transparents, deux énormes cubes, ouverts, fermés, des lianes auxquelles chacun va s’accrocher. Surtout Claire Nouteau, sorte de Fée Clochette qui exécute des mouvements de voltige époustouflants, jouant sur terre comme au ciel, gracile et gracieuse. Avec elle et dans cette folle embardée, Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Axel Bogousslavsky, Laurent Cazenave, Julien Lacroix et Philippe Smith, tous incroyablement présents, qui donnent chair à cette galerie de personnages, les rendant vivants, palpables.
Marie-José Sirach pour l'Humanité
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Face à la figure de Jeanne d’Arc, Simon Gauchet entend haut et fort les voix du théâtre
Rendez-vous d’automne de la création théâtrale, le festival Mettre en scène à Rennes est, entre autres, un lieu de repérages et d’envol. L’an dernier c’est là que le jeune Thomas Jolly a lâché les hordes de son « Henri VI » lors d’un mémorable spectacle fleuve (13 heures et plus) réunissant une foultitude d’acteurs avant de triompher en Avignon. On en sortait abasourdi, ébloui.
Le feu de Simon Gauchet et Karine Piveteau
Jolly était de nouveau là pour cette nouvelle édition. Où la révélation et l’éblouissement sont de retour, mais par un tout autre chemin :
un metteur en scène Simon Gauchet (né en 1987) dont on ne savait rien (contrairement à Thomas Jolly) sinon qu’il est sorti de l’école du TNB (Théâtre National de Bretagne) comme Jolly (né en 1982) et a réalisé quelques travaux confidentiels suffisamment impressionnants pour propager une onde autour de lui ;une actrice Karine Piveteau (née en 1986), elle aussi sortie de l’école du TNB qui porte le projet avec une impressionnante déterminationun spectacle relativement court (1h30) pour un vaste sujet dont chacun connaît l’héroïne : Jeanne d’Arc.
Le spectacle a pour titre « L’expérience du feu ». Celle de Jeanne d’Arc et de son cheminement physique et spirituel, mais tout autant, sinon plus, l’expérience du théâtre et le feu de la passion de cet art sachant que sur une scène de théâtre en France il est interdit de faire du feu.
Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Théâtre et Balagan sur Rue89
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"L'expérience du feu" conception, mise en scène et scénographie Simon Gauchetavec Karine Piveteau
Festival Mettre en scène, jusqu'au 22 novembre à Rennes, Lannion, Brest, Saint-Brieuc et Lorient,02 99 31 12 31
Dans le Midi, « adieu » s’utilise parfois pour dire bonjour ou saluer un proche, avec le sourire et les bras ouverts. Et pas seulement pour tourner les talons et prendre congé de quelqu’un. Ce mot harnière, qui signifie une chose et son contraire, illustre parfaitement les tensions à l’œuvre dans le théâtre contemporain. « Adieu le langage ! », clame en substance une nouvelle génération de metteurs en scène français, comme pour signifier son appétit des formes… et sa volonté de tri. Ils l’affirment : il faut donner du jeu au théâtre, comme on parlerait d’une porte qui n’ouvre plus très bien. Alors, bienvenue au langage, un champ bien plus vaste que le texte, qui va de la danse aux arts plastiques, en passant par le cinéma. Que retient-on de l’héritage des aînés ? Qu’est-ce qu’on invente, qu’est-ce qu’on reformule, qu’est-ce qu’on oublie ?
ADIEU AU LANGAGE
En écho à ces questionnements, la quarante-troisième édition du Festival d’automne programme une dizaine de jeunes artistes, venus de tous les horizons. Certes, ils sont déjà bien identifiés sur la scène contemporaine, mais ils sont peu connus du grand public. Tout en explorant leur propre voie, certains se réclament de grandes figures du théâtre contemporain, les Claude Régy, François Tanguy, Roméo Castelluci – des auteurs que le festival créé par Michel Guy en 1972 accompagne depuis longtemps. Il y aurait donc une filiation. Citons-les, par ordre alphabétique : outre le tandem Patricia Allio-Eléonore Weber sont présents à l’affiche Jeanne Candel, Fanny de Chaillé, Sylvain Creuzevault, Julie Deliquet, Yves-Noël Genod, Julien Gosselin, Vincent Macaigne ou encore Philippe Quesne. Celui-ci, âgé de 44 ans, issu des arts plastiques, est le seul, parmi le groupe, à diriger un lieu : le Théâtre Nanterre-Amandiers (Hauts-de-Seine), depuis novembre 2013. Cette année, il présente Next Day, une pièce avec des enfants âgés de 8 à 13 ans, qui découvrent l’adolescence. Quand on demande à ce metteur en scène des « microcosmes humains » comment il entend piloter cette scène emblématique, il répond sur un terrain inattendu : « Il y a un répertoire contemporain, au théâtre, qui est sous-exposé et que je souhaiterais mettre en valeur. »
UNE GRANDE AMBITION INTELLECTUELLE
Vincent Macaigne ne lui donnera pas tort. « Un film d’auteur, on en parle toujours plus que d’un spectacle qui a du succès », confirme la star montante du cinéma français, réalisateur, comédien et aussi metteur en scène. Actuellement, il est en pleine répétition d’Idiot ! parce que nous aurions dû nous aimer !, après avoir créé Idiot !, en 2009. Il extrait la matière du chef-d’œuvre de Dostoïevski, plus qu’il ne l’adapte. « Je veux réentendre le texte que j’en avais tiré il y a quatre ans, voir où cela en est. Ne pas baisser la garde », dit-il simplement. « Tous ont une grande ambition intellectuelle. Ça brûle, c’est rouge et ça chauffe tout le temps », souligne Marie Collin, directrice artistique du Festival d’automne pour la danse, le théâtre et les arts plastiques. Paraphrasant le titre du dernier film de Godard, Adieu au langage, Eléonore Weber résume la réflexion qu’elle mène avec Patricia Allio : « Nous, ce n’est pas “Adieu au langage”, mais adieu au langage et aux images. » Philosophes de formation, les deux auteures et metteuses en scène s’emparent de « symptômes » de la société – la question migratoire, par exemple – afin de produire une pensée, et aussi des formes scéniques. Leur prochaine création, Natural Beauty Museum, interroge la fascination des individus pour la contemplation de la nature.
Avant d’arriver sous les projecteurs du prestigieux festival, certains de ces artistes (Creuzevault, Deliquet…) ont été repérés par des programmateurs avisés, tels José Alfarroba, directeur du Théâtre de Vanves, ou Marie-Thérèse Allier, de la Ménagerie de verre, à Paris, consacrée à la danse. « Comme dans le cinéma français, et dans la danse, on observe un renouveau dans le théâtre. A Vanves, on a le droit d’expérimenter, et de se tromper », explique José Alfarroba.
IMPROVISATION ET THÉÂTRE DU RÉEL
Julie Deliquet, justement, n’a pas peur de l’accident. Ses comédiens du collectif In Vitro sont connus comme des as de l’improvisation. Pour une scène de repas, elle a pu les embarquer dans une maison, en banlieue parisienne, les plongeant dans une improvisation de sept heures. Elle s’interroge : « Quand j’étudiais le théâtre, on nous demandait d’articuler le mot “maintenant” en trois syllabes. Ça me perturbait, car dans la vie de tous les jours, on dit maint’nant ! » Julie Deliquet revendique un théâtre du réel : elle va présenter une trilogie, une saga générationnelle des années 1970 à nos jours, dont le troisième volet a été écrit collectivement, avec les comédiens. Mais rien n’est figé dans le marbre. Chaque soir, les acteurs adaptent la trame…
Yves-Noël Genod, lui, crée à partir de ses comédiens, « comme Coco Chanel le faisait avec ses modèles », sourit-il. Cet elfe, ce dandy aux cheveux longs, blonds, comme une mèche qui brûle, est une performance à lui seul. Il peut envoûter les spectateurs en lisant du Baudelaire. Pourtant, l’essentiel est ailleurs, dit-il. « Je n’ai absolument rien contre la découverte d’un texte au théâtre, mais l’obédience du théâtre au texte souvent me gêne. François Tanguy disait : “Le mot que je déteste le plus quand on parle du théâtre, c’est le mot texte.” » « YvNo » fait « du théâtre d’après les lieux et d’après les personnes ». La surprise de sa prochaine création sera totale, une fois de plus. Avec Jeanne Candel, aussi, « on ne sait jamais ce que l’on va voir », assure la programmatrice du Festival d’automne. Formée au théâtre, la jeune femme est également marquée par le travail de la chorégraphe Pina Bausch. Elle ne part pas d’un texte, mais de plusieurs, et se livre à des collages.
L’IMPURÉTÉ DU THÉÂTRE REVENDIQUÉE
La méfiance à l’égard du langage et de son « absurdité » est assurément un moteur de création. C’est le cas pour Fanny de Chaillé, qui a travaillé avec Daniel Larrieu au Centre chorégraphique national de Tours. « Je viens de la danse. Pour créer, je pars d’une forme et non d’un texte », dit-elle. Le spectacle qu’elle va présenter, Le Groupe, d’après La lettre de Lord Chandos, de Hugo von Hofmannsthal, est « une sorte d’adieu aux mots », le personnage ne parvenant plus à écrire, parce que, dit-il, les mots ont perdu toute valeur. « Faire groupe, c’est créer une langue ensemble », explique-t-elle.
« C’est aussi jongler avec tous les arts », conclut Julien Gosselin, le plus jeune d’entre tous, 27 ans. « Le théâtre est un art impur, il n’a pas d’acte de naissance. Il est né de la réunion de la danse, de la musique, de la poésie, du chant. Cette diversité des disciplines sur le plateau est là depuis le début. Mais on s’est enfermé dans une conception patrimoniale du théâtre », dit-il. En 2013, il a mis en scène à Avignon Les Particules élémentaires, de Michel Houellebecq. Pourquoi Houellebecq ? « Parce que, dans ce livre, il y a une variété de langages et de formes narratives, entre le décryptage de la société libérale, la poésie, etc. Cela permet de travailler sur le rythme, l’arme numéro un du théâtre pour capter l’attention du spectateur », estime-t-il. La pièce sera jouée, à nouveau, dans le cadre du Festival d’automne. Il découvre les metteurs en scène de sa génération, voit leurs spectacles. Ça se contamine, dit-il, mais chacun est différent, poursuit sa recherche esthétique : « Il ne faut pas parler d’une nouvelle vague, ce serait réducteur. Je suis juste content que nous soyons nombreux », se félicite-t-il. Et d’insister : « Ce n’est pas du vent. Il y a quelque chose qui existe. » C’est maint’nant.
Clarisse Fabre pour le hors-série du Monde consacré au Festival d'automne à Paris
Publié par Théâtre et Balagan,le blog de Jean-Pierre Thibaudat :
Le drame des jeunes Nigérianes enlevées a inspiré une pièce au Grec Euripide
« Celles qui n’ont pas été tuées sont devenues les captives des vainqueurs. Elles sont là. Elle attendent leur sort. »
Est-ce là quelque légende photo d’un cliché confus montrant des jeunes filles nigérianes enlevées par Boko Haram et promises à tout le moins au mariage forcé ? Non, ce sont des propos tenus par Poséidon à la première scène de la pièce d’Euripide, « Les Troyennes », dans une nouvelle traduction signée Kevin Keiss pour la mise en scène de Laëtitia Guédon.
Quatre femmes et un oratorio
Cette pièce d’Euripide, comme d’autres tragédies grecques, est toujours rattrapée par l’actualité. Quand Jean-Paul Sartre l’adapte (le mot est faible) dans les années 60, c’est en pensant à la guerre du Vietnam. Quand Nicole Loriaux la commente dans ce magnifique essai sur la tragédie grecque qu’est son ouvrage « La Voix endeuillée » (Gallimard), elle pense « aux folles de la place de mai » à Buenos Aires. Dans les villages du Nigeria, Boko Haram tue les hommes, enlève les femmes et incendie les maisons.
Une « épaisse fumée » recouvre Troie en l’an 406 avant J-C, quand commence la pièce. Les Grecs, vainqueurs, ont hâte d’embarquer. Hécube, « l’infortunée reine de Troie » qui a vieilli d’un seul coup, pleure son époux, Priam, ses deux fils, Pâris et Hector. Elle ignore encore que sa fille Polyxène a été égorgée sur le tombeau d’Achille mais nous, nous le savons par la voix de Poséidon interprété par le hip-hopeur, rappeur et slameur Blade Mc M’Baye.
La mise en scène de Laëtitia Guédon, comme l’adaptation de Kevin Keiss des « Troyennes » – « la moins dramatique » et « la plus lyrique » (Loriaux) des pièces d’Euripide – magnifient l’oratorio qui la constitue.
Pas d’intrigue, la seule inconnue vite dévoilée, c’est le nom du vainqueur à qui chaque femme endeuillée sera donnée pour en devenir l’épouse, l’esclave. La pièce est une succession de plaintes et de chants de ces femmes allant jusqu’à la fureur. Les fumées de Troie ont maculé d’ombres le plateau (scénographie : Soline Portmann) traversé de rares et impitoyables faisceaux lumineux (lumières : David Pasquier).
Jean-Pierre Thibaudat pour son blog "Théâtre et Balagan" sur Rue 89
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"Les Troyennes" d'Euripide, mise en scène : Laëtitia GuédonDans une nouvelle traduction de Kevin Keiss
Théâtre 13-Seine, 30 rue du Chevaleret, Paris XIIIe - les mar, jeu et sam 19h30, mer et ven 20h30, dim 15h30, jusqu »au 14 décembre - 01 45 88 62 22.
Affabulazione au TNP - Sur un plateau de jeu impeccable, le metteur en scène Gilles Pastor transforme ses acteurs (et ses footballeurs !) en figurines animées au service d'un texte complexe et passionnant de Pasolini :
Il y a les spectacles qui prennent le temps de se mettre en place et ceux qui, dès leur entame, existent pleinement. Avec Affabulazione, Gilles Pastor a indiscutablement choisi la deuxième option. Sur une musique de clavecin en stéréo, il crée d’emblée une dissonance. Et chacun des comédiens de venir du fond de la salle, puis traverser le plateau, dos aux spectateurs. Et rejoindre les coulisses. Ce mini prologue donne le ton : celui d’un spectacle net, d’une élégance peu commune et déjà délicatement grinçant.
Placé sous le haut patronage de Sophocle, avec la voix de Jeanne Moreau pour faire résonner son spectre, Affabulazione raconte dans une langue superbe quoique complexe comment un père, riche industriel milanais des années 70, est perturbé par un rêve dans lequel il a pensé tuer son fils. «Comme si dans mon sommeil il avait plu» dit-il. De cet Œdipe inversé allié à une foi soudaine découle une réflexion sur le sens de la paternité et de la jeunesse disparue qui, loin de rester à l'état de théorie insaisissable, s’incarne sur le plateau. Comme dans Théorème, l’équilibre familial s’en trouve chamboulé.
Par terre
Mais si le sujet est grave, son traitement ne l’est pas. Gilles Pastor s’autorise de nombreuses fantaisies, à commencer par le personnage du curé, incarné par le génial Antoine Besson, qui le temps d’un dialogue parle comme s’il ânonnait un cantique. Plus tard, devenu cartomancienne, il plongera ses yeux non dans une boule de cristal mais dans une boule à facettes. Irrésistible. Et tandis que la vidéo (ingrédient récurrent dans le travail du metteur en scène) s’insère dans le spectacle de façon indolore tant son utilisation est maîtrisée, c'est la sonorisation de quelques gestes qui surprend, signalant, comme un grincement de dent, que quelque chose ne tourne plus très rond dans cette famille. Le hors champ est également utilisé à bon escient et contrebalance ce qui se trame sur le plateau, dont une scène d’amour, là encore décalée, entre le fils et sa compagne qui joue un jeu ambigu avec son beau-père, l’impressionnant Jean-Philippe Salério.
Entre tout cela ? Du foot ! Quatre joueurs aèrent à divers moments le spectacle avec un savoir-faire et surtout un sérieux qui siéent au récit et à Pasolini lui-même, grand amateur de la chose. L’irruption du sport est une manière supplémentaire de travailler la géographie du plateau, de tracer d’autres lignes éphémères mais marquantes sur cette pelouse synthétique. Autant d'ingrédients disparates qui nourrissent une création pourtant très cohérente, émouvante, drôle et intrinsèquement politique, dans la façon dont on s'y demande si les héritiers ne sont finalement pas plus bourgeois que leurs géniteurs.
Nadja Pobel pour Le petit bulletin
Affabulazione Au TNP jusqu’au dimanche 16 novembre
Laurent Brethome, jeune metteur en scène associé au Théâtre Jean Arp de Clamart, nous convie à une farce noire en revisitant intégralement Les Fourberiesde Scapin. De l’ami Molière subsiste une dénonciation des bourgeois cupides et démiurges. Pour le reste, ce classique subit un lifting en règle et se débarrasse avec agilité de la lourdeur « Commedia dell’arte ». Centrée sur la solitude d’un valet abandonné de tous, pathétique même dans son désarroi, cette version restera dans les annales pour la cohérence et la modernité de sa lecture et pour son interprète-titre, le fabuleux Jérémy Lopez. Voyou au grand cœur, ressort sur pattes le pensionnaire du Français a eu raison de s’écarter quelque temps de la maison de Molière pour justement s’emparer d’une comédie quelque peu délaissée… Un must see !
De nos jours, sur les docks d’un port de commerce à Marseille ou à Naples… Scapin, domestique d’une intelligence renversante, domine son petit monde. Aussi bien les pater familias avares et idiots que leurs enfants enragés d’amour et désespérés. Tout bonnement indispensable, le valet tire et embrouille les ficelles de ses manigances implacables, impliquant notamment un sac à bastonnade célébrissime.
Finies les perruques et les poudres, place aux loubards en tout genre et racailles louches. Impossible de ne pas penser aux ambiances koltésiennes (Quai Ouest, Dans la solitude des champs de coton) avec cette version corrosive et outrancière où les trafics règnent en maître. On rit jaune avec Laurent Brethome. Massacre à la tronçonneuse pour référence, slashers à gogo : Scapin en mode film d’horreur burlesque, sur fond d’hémoglobine jouissif. On ne s’ennuie pas une seconde ici, les joyeux drilles de la compagnie Le Menteur volontaire brille par leur justesse et leur réactivité. Mais, évidemment, Jérémy Lopez domine la distribution avec une gourmandise de jeu délectable. On n’aurait pu rêver Scapin plus intense. Le jeu clownesque du jeune comédien sied à merveille au rôle de ce bouffon cérébral. Son acuité du monde révèle un état de désabusement profond : combattant l’injustice des puissants, son impuissance au fond l’accable et le vernis de la rigolade s’écaille. Le final de la pièce rejette toute apparence de comédie pour sombrer dans une tragédie amère. Ce magicien des affaires amoureuses, tout ensanglanté, ne participera pas aux deux mariages et à la liesse générale. « Et moi, qu’on me porte au bout de la table, en attendant que je meure. » : l’ultime réplique de Scapin résonne cruellement. Laissé pour compte comme un vulgaire cabot jeté sur la route; Jérémy Lopez agonise sans aucune reconnaissance. Désillusion terrible pour cet homme qui aura tout donné pour les autres.
Pour sûr, on se souviendra de ces Fourberies de Scapin ! Laurent Brethome déroule sa vision sombre de la farce moliéresque en ciblant sa lecture sur l’isolement d’un valet dont l’intelligence hors du commun causera sa perte. L’actualisation pertinente sur fond de violence sociale des propos du père de la comédie classique s’avère haletante de bout en bout. Un pur régal. Foncez-y absolument.
Paru dans le blog Hier au théâtre
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