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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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January 18, 2022 6:59 PM
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Showgirl, une performance kitsch à la gloire de la vie d’actrice

Showgirl, une performance kitsch à la gloire de la vie d’actrice | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Léa Simonnet dans Manifesto 21 - 18 janvier 2022

Photo : © Erwan Fichou


En 1995, le réalisateur Paul Verhoeven essuie une vague titanesque de critiques suite à la sortie de son film Showgirls. Entre un déficit béant au box-office et les diatribes alignées dans les colonnes éditoriales, rien ne laissait présager que son long-métrage pourrait un jour acquérir le statut de film culte incompris par son époque. Aujourd’hui, c’est Marlène Saldana et Jonathan Drillet, épaulé·es de Rebeka Warrior, qui s’offrent le plaisir d’adapter ce trésor exhumé, sur les planches.

 

Musique et théâtre sont-elles vraiment des disciplines distinctes ? Ne doivent-elles pas, lorsqu’elles cohabitent, s’accorder à partager le même espace, la même valeur ? On n’a que trop entendu les pianos pleurer et les guitares se distendre chaque fois qu’il a fallu créer une atmosphère angoissante sur scène, ou tirer quelques larmes à un public fébrile. Qu’à cela ne tienne, le procédé est efficace. Les larmes ont coulé, le cœur a battu. Mais sorti du contexte, le morceau en valait-il la peine ?

 

Quand elle compose la bande originale de Showgirl, Rebeka Warrior compose un EP. Un objet artistique indépendant, aussi léché que n’importe quel projet personnel. Sa musique est brute, réfléchie, irrévérente, texturée. Elle se reçoit par salves, fait rompre les barrages, les amarres, les clivages. Rebeka Warrior est partout à la fois – Sexy Sushi, Mansfield.TYAKOMPROMAT – et s’aventure cette fois jusqu’aux planches. Encore une fois, rien n’est laissé en coulisses, la musique est jetée toute entière dans la gueule ouverte du public, attendant qu’on y plante les crocs. Marlène Saldana glisse sa patte dans les morceaux comme dans les manches de son grand manteau et endosse avec brio ce rôle de chanteuse-actrice, l’une ou l’autre, les deux à la fois. C’est sa voix qui conte l’épopée moderne d’une danseuse écorchée par la réalité de son rêve. 

Showgirl est un exemple de la pluralité des formes théâtrales et des disciplines engagées dans une création. Jeu, danse, chant, musique. L’intelligence de la compagnie aura été de les réunir, sans les aplanir. C’est une comédie musicale, une performance, une pièce, un concert. Showgirl brouille les lignes et c’est exactement ce qui fait sa réussite : la beauté du désastre, la netteté du bordel, la précision de la fête. Le mantra, c’est jouer pour gagner, c’est la destruction du bon goût et l’adoubement du kitsch. Jouant sur l’emphase, mais sans tomber dans le gouffre de la mauvaise parodie, Marlène Saldana délivre une prestation hilarante, touchante, puissante. 

 

La pluralité de cette création existe aussi dans la réécriture, largement affranchie de son original, qu’en font Marlène Saldana et Jonathan Drillet. Librement adapté du scénario initial du film de Verhoeven et suivant en apparence le parcours de son personnage principal, Nomi Malone, le spectacle dérive rapidement sur le véritable miroir de cette histoire : celle de son interprète, Elizabeth Berkley, dont la carrière fut injustement brisée par l’échec cuisant de cette seule production ; et celles de toutes les actrices, d’avant et d’aujourd’hui, submergées par les attentes irréalistes et irréalisables qu’on projette sur elles dans l’industrie du show-business. 

 

Pratiquement seule – sauf lors des quelques apparitions de Jonathan – mais entourée de tous ces personnages qu’elle incarne les uns après les autres, Marlène déambule dans ces décors bariolés. Ces objets scéniques opulents semblent être autant d’accessoires et partenaires de jeu. Elle se débarrasse des sourires débordants des comédies musicales façonnées à la bonne humeur de Broadway pour faire tourner la recette à un cynisme non moins hilarant. Et fait naître, sous les yeux médusés de l’audience, un Las Vegas tordant et rayonnant, chimérique et creux ou débordant de magnificence, artificiel ou bien glorieux et vivant, selon ses humeurs et ses avatars.

 

Avec la sortie du clip de « La Valise », le spectacle s’offre aujourd’hui une nouvelle dimension. On y voit Marlène, dans le décor du spectacle, faire du lip sync sous l’œil d’une caméra malicieuse qui brouille les couleurs. Comme une annexe, une bande-annonce ou un spin-off, cette vidéo donne encore du relief à cette performance multi-artistique. Jolie façon d’annoncer que Showgirl fait aussi ses bagages pour parcourir la France ; et donner un aperçu de ce qu’il vous sera alors donné de voir.

 

Léa Simonnet

 

Voir le clip "La Valise"

Rebeka Warrior feat Marlène Saldana - La Valise

 

 

 

Showgirl


22 janvier 2022 – Poitiers – TAP
2 mars 2022 – Orléans – Scène nationale d’Orléans : Soirées performances
Du 5 au 7 avril 2022 – Reims – Comédie de Reims
20 et 21 avril 2022 – Caen – CCN et Comédie de Caen
29 avril 2022 – Roubaix – La Condition Publique : La Rose des Vents hors les murs
Pour les Parisien·nes, il faudra attendre 2023 pour une programmation à Chaillot… patience. 

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January 13, 2022 3:58 AM
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Catherine Marnas esquisse le portrait délicat d’Herculine Barbin

Catherine Marnas esquisse le portrait délicat d’Herculine Barbin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Olivier Frégaville - Gratian d'Amore dans l'Oeil d'Olivier   - 13 janvier 2022

Photographie © Pierre Planchenault

Au TnBA, avant une reprise en 2023 au Théâtre 14, Catherine Marnas s’empare, avec une infinie délicatesse, des maux et des tourments d’Herculine Barbin, premier.ère hermaphrodite française à avoir livré ses pensées dans un journal intime. Portée par le jeu habité d’Yuming Hey et la présence poétique de Nicolas Martel, la metteuse en scène questionne le genre, égratigne la norme et tisse l’histoire d’une vie.

 

Un bruit d’eau tombant sur de vieilles tuiles résonne salle Vauthier. En un rien de temps, le spectateur quitte le XXIe siècle high tech, pour le très feutré XIXe. Dans un dortoir, un homme, assis sur une chaise, semble perdu dans ses pensées. Il observe les lits recouverts d’un long tulle blanc. Tout semble figé depuis des années, comme si les murs, les lieux, cachaient un lourd secret. 

Lever le voile 

Dans une bassine émaillée, l’individu plonge les mains, les lave, comme s’il voulait se purifier, entrer dans l’histoire, vierge de tout préjugé, de toute idée préconçue. Il s’avance vers le devant de la scène, la première couche. Derrière le voile translucide, un corps allongé, endormi, immobile, se dessine. C’est celui de Camille Alexia Herculine Barbin, né.e femme en 1838, réassigné.e homme à l’âge de 22 ans et mort.e par suicide dans le plus grand dénuement, oublié.e de tous en 1868. 

D’un souffle à l’autre 

Enveloppé.e dans un linceul immaculé, Herculine (vibrant Yuming Hey) gît calme, serein.e. Après une existence singulière, faite de joie mais surtout de beaucoup de souffrances, d’incompréhensions,  il.elle semble enfin apaiser. Troublé par l’aura que dégage cette dépouille à l’éclat irradiant, l’homme (épatant   Nicolas Martel) lui insuffle d’un tendre et chaste baiser la vie. Un temps, les deux comédiens ne font plus qu’un pour qu’enfin Camille libère une parole trop longtemps oubliée dans de poussiéreuses archives. 

La (re)découverte d’une intimité romanesque

S’interrogeant sur le monde, curieuse de ses évolutions sociétales majeures, à l’écoute des jeunes artistes souhaitant intégrer   l’éstbaCatherine Marnas part à la recherche de textes qui questionnent le genre, les nouvelles quêtes identitaires. Lui revient en mémoire, un seul-en-scène vu au milieu des années 1980 à Avignon, où Dominique Valadié avait demandé à Alain Françon de la mettre en scène dans une version très condensée et édulcorée des Mémoires d’Herculine, que le philosophe Michel Foucault  avait (re)découvert un peu moins de dix ans plutôt dans le département français de l’Hygiène publique, avant de les publier agrémentées de ses commentaires en 1978. Touchée par ce récit de vie, par la plume de cet.te enfant, par ce qu’il.elle a vécu, la metteuse en scène s’empare avec la fougue et la délicatesse qu’on lui connaît, de ce journal intime pour l’adapter à la scène.

Double jeu 

S’appuyant sur la scénographie très épurée de Carlos CalvoCatherine Marnas s’attache à ressusciter Herculine, à réhabiliter ses mémoires, à lui offrir la plus belle des tribunes, une scène de théâtre. Avec juste quelques effets de lumières et de vidéos, elle donne corps poétique, lyrique à la plume romanesque de celui.celle qui connut ses premiers émois dans un pensionnat de jeunes filles, l’amour passionné avec une jeune femme qu’elle considérait comme son âme-sœur, avant de connaître la honte d’une exploration anatomique d’un médecin peu scrupuleux, puis l’opprobre de la médisance, des on-dits. Jouant avec les tonalités de voix des deux comédiens – les très habités et vibrants Yuming Hey et Nicolas Martel – , avec leurs présences plus ambiguës qu’il n’y parait, la metteuse en scène signe une œuvre charnelle, profondément incarnée et humaine. 

En finir avec les normes 

Avec Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution, Catherine Marnas ne cherche pas tant à faire de ce récit un étendard LGBTQIA+, qu’à en révéler la beauté, l’intelligence de cœur, la poésie qui se cache derrière les maux de cet.te être incompris.e. On peut regretter que jamais les mémoires écrites en plein courant romantique ne se confrontent à une vision d’aujourd’hui plus radicale, mais là n’est pas le propos. Loin de toute intolérance, de toutes normes, de toute rugosité, la directrice du TnBA offre une nouvelle naissance à Herculine. Passionnant ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux

Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution d’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault
TnBA
3 Pl. Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
Jusqu’au 22 janvier 2022
Reprise en 2023 au Théâtre 14
Durée 1h20 

Adaptation de Catherine Marnas et Procuste Oblomov
Mise en scène de Catherine Marnas assistée de Lucas Chemel
Avec Yuming Hey & Nicolas Martel
Avec la complicité de Vanasay Khamphommala et Arnaud Alessandrin
Conseil artistique- Procuste Oblomov
Scénographie de Carlos Calvo
Son de Madame Miniature
Lumière de Michel Theuil
Costumes de Kam Derbali

Crédit photos © Pierre Planchenault

 

 

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January 10, 2022 5:34 PM
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Tiphaine Raffier est l'invitée d'Affaires Culturelles. Lien pour l'écoute en ligne de l'entretien radiophonique au micro d'Arnaud Laporte.

Tiphaine Raffier est l'invitée d'Affaires Culturelles. Lien pour l'écoute en ligne de l'entretien radiophonique au micro d'Arnaud Laporte. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Sur le site de l'émission d'Arnaud Laporte, "Affaires culturelles", sur France Culture, le 10 janvier 2022

Photo Simon Gosselin 

 

La comédienne et metteure en scène, Tiphaine Raffier est au micro d'Arnaud Laporte le temps d'un entretien au long cours, à l'occasion de son spectacle "La réponse des hommes". Elle revient sur son parcours artistique, ses méthodes de travail et ses inspirations.

 

La comédienne et metteure en scène, Tiphaine Raffier est au micro d'Arnaud Laporte le temps d'un entretien au long cours, à l'occasion de son spectacle "La réponse des hommes". Elle revient sur son parcours artistique, ses méthodes de travail et ses inspirations.

Ecouter l'entretien (1h)

 

Enfant, Tiphaine Raffier passe son temps à regarder des films de science-fiction avec ses deux grands frères et découvre le théâtre à l'école. Après avoir découvert les spectacles de Patrice Chéreau et Alain Françon à Paris, Tiphaine Raffier décide de se mettre au théâtre en prenant des cours à l'ENMAD à Noisiel tout en suivant un cursus à la Sorbonne Nouvelle en arts du spectacle, avant d'intégrer l'Ecole du Nord de Lille en 2006. Aujourd'hui, elle est comédienne, metteure en scène, auteure et réalisatrice et c'est avec un nouveau spectacle que nous la retrouvons. La réponse des hommes, créé à La Criée Théâtre National de Marseille, est un spectacle hors les murs présenté au Théâtre Nanterre-Amandiers en coréalisation avec le Théâtre de l'Odéon.

Ses débuts en tant que comédienne

Après une formation de trois ans à l'Ecole du Nord de Lille avec comme professeur Stuart Seide, Tiphaine Raffier part en tournée au Festival Off d'Avignon pour la pièce Autoportrait, Autofiction, Autofilmage écrit et mis en scène par Bruno Buffoli. Elle joue la même année dans Nanine de Voltaire mis en scène par Laurent Hatat.

 

Tiphaine Raffier intègre le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur de Julien Gosselin en 2009, toujours en tant que comédienne. Elle joue notamment dans Gênes 01 de Fausto Paravidino, une création réalisée à l’Ecole du Nord ; dans Tristesse animal noir d’Anja Hilling au Théâtre de Vanves en 2011 ainsi que dans l’adaptation des Particules Elémentaires de Michel Houellebecq en 2013 avant de jouer dans 2666 de Roberto Bolano en 2016.

 

La comédienne Tiphaine Raffier se produit au Théâtre du Prato et poursuit une tournée pour le spectacle Soirée de Gala mis en scène par Gilles Defacque en 2013. En 2018, elle joue dans L’Adolescent de Dostoïevski mis en scène par Franck Castorf ; une création du Schauspiel Köln et en 2020 Tiphaine Raffier travaille avec Jacques Vincey pour son spectacle Les Serpents de Marie N’Diaye au Théâtre de l’Olympia à Tours, la pièce se prolonge également en tournée.

 

Auteure et metteure en scène

Tiphaine crée sa première pièce en 2012 intitulée La Chanson et continue l’écriture avec Dans le nom en 2014 ; France-Fantôme en 2017 et La Réponse des hommes en 2020, publiés aux éditions La Fontaine. Ses deux premières pièces seront mises en scène lors du 1er Festival Prémices à Lille.

De plus, elle fonde, en 2015, sa propre compagnie La femme coupée en deux et est artiste associée au Centre dramatique de Lille, à la Criée de Marseille, à la Rose des Vents de Villeneuve-d’Ascq, au Préau de Vire et au Théâtre national populaire de Villeurbanne.

 

Ses pièces de théâtre au cinéma

Sa première pièce est adaptée pour le cinéma en 2018 avec le moyen métrage La Chanson joué par Noémie Gantier et Victoria Quesnel. Ce projet accompagné par la société de production Année Zéro est soutenu par le Centre National du Cinéma.

Le film La Chanson est sélectionné dans une trentaine de festivals notamment à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes ; il reçoit également le Grand Prix du Festival européen du film court de Brest et obtient le Prix de la meilleure musique originale (SACEM) ainsi que la mention spéciale du jury du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand en 2019. Tiphaine Raffier travaille également à l’adaptation en long métrage de sa pièce Dans le nom.

 

 

Son actualité : La réponse des hommes du 6 au 28 janvier 2022 au Théâtre Nanterre - Amandiers

https://nanterre-amandiers.com/evenement/la-reponse-des-hommes-tiphaine-raffier/

 

 

 

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December 12, 2021 5:16 PM
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Danse : « Encantado », les mille et une merveilles mutantes de Lia Rodrigues

Danse : « Encantado », les mille et une merveilles mutantes de Lia Rodrigues | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde 11-12-21

 

La chorégraphe brésilienne présente, au Centquatre-Paris, un nouveau spectacle bariolé, entre camouflage et travestissement.

 

 

Un océan de tissus bariolés, une jungle de carte postale, un immense lit communautaire, toutes les peaux du monde recouvrent de vagues le plateau d’Encantado, nouvel opus de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Le déroulement lent de ce patchwork, véritable tapis volant pour l’imaginaire, ouvre la pièce pour onze interprètes, à l’affiche, après le Théâtre de Chaillot, du Centquatre-Paris, du 10 au 14 décembre, dans le cadre du portrait consacré à l’artiste par le festival d’Automne.

 

Ce dispositif, d’une grande beauté plastique, se compose en réalité d’une centaine de couvertures achetées sur un marché de Rio par Lia Rodrigues, dont on sait l’attachement à des matériaux modestes et quotidiens. Le tableau inaugural impeccablement composé et tout doux du poil va vite se découdre, exploser sous les crapahutages des danseurs qui s’emparent des étoffes pour décorer leur nudité, se costumer passionnément et tout envoyer valser d’un coup de tête. Les couvertures volent, claquent comme des drapeaux ou des lanières, au gré d’apparitions de créatures plus bizarres les unes que les autres. Là, une sirène géante bat de la nageoire ; ici, une boule roule du popotin ; plus loin, une divinité chamanique virevolte… Un tigre mord une rose elle-même avalée par un serpent tenu à bout de bras par un drôle de charmeur.

Cette libre et folle exploration, entre camouflage et travestissement, souffle un grand vent d’enfance et de joie

Ces mille et une merveilles mutantes illustrent la source d’inspiration principale de Lia Rodrigues comme elle l’indique dans le programme : l’univers proliférant et magique des « encantados » auxquels le titre de la pièce fait référence. Il s’agit d’entités afro-américaines, esprits de la nature, se déplaçant entre ciel et terre, et revêtant des formes différentes. La musique répétitive du spectacle, des chansons du peuple Guarani Mbya, jouées pendant la manifestation des indigènes pour la reconnaissance de leurs terres, à Brasilia, en août, est un appel pressant au rituel.

Identités plurielles et contradictoires

Les métamorphoses permanentes des interprètes se superposent au gré des tissus qu’ils nouent et enfilent. Leurs mues successives, criblées de cris et de grimaces comme souvent chez Lia Rodrigues, met aussi en avant le thème de l’invention de soi, des identités plurielles et contradictoires qui nous chahutent et de tous les possibles à portée de main. Femme, homme, mi-l’un, mi-l’autre, végétal, animal, sculpture vivante, les corps s’échappent et ne se ressemblent plus. Cette libre et folle exploration, entre camouflage et travestissement, souffle un grand vent d’enfance et de joie.

On retrouve dans ce conte chorégraphique éclatant de couleurs le goût pour le soulèvement, toujours présent chez Lia Rodrigues en particulier dans sa pièce précédente, Furia (2018), plus sombre, plus prenante. Il se module dans Encantado en parade, parfois même en défilé de mode, avec ce talent repéré de la chorégraphe pour les mouvements de masse. La nudité des performeurs, l’économie visuelle du propos, paradoxalement serrée et débordante, soutient ferme ce théâtre physique nourri par les accessoires et les situations qu’ils génèrent. Avec un bémol néanmoins : à force de tirer sur le fil de ce raout textile, il s’effiloche un peu.

 

 

Programmé parallèlement à Nororoca, créé en 2020 pour la compagnie norvégienne Carte Blanche, et aux Fables de la Fontaine, ce spectacle a été conçu pendant la crise sanitaire, dans un contexte particulièrement difficile. Deux cents danseurs de tout le Brésil ont auditionné par Zoom pour y participer et travailler avec cette chorégraphe de premier plan dont la compagnie est installée depuis 2004 dans la favela de Maré, à Rio de Janeiro. Une exposition intitulée Viva Maré, en collaboration avec l’association Redes de la Maré, est présentée, en écho à Encantado, au Centquatre-Paris. Elle complète ce portrait-mosaïque d’une artiste également pédagogue qui sait tresser création et transmission.

 

Encantado, de Lia Rodrigues au Centquatre, Paris 19e. Jusqu’au 14 décembre. Egalement au Centquatre, l’exposition Viva Maré. Accès libre. Jusqu’au 26 décembre. Festival d’automne.

 

Rosita Boisseau

 

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December 9, 2021 5:05 PM
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Après #MeTooThéâtre, les femmes ont encore du pain sur les planches

Après #MeTooThéâtre, les femmes ont encore du pain sur les planches | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sophie Rahal dans Télérama 8/12/21

 

Elles ne réalisent qu’un tiers des mises en scène. Leurs spectacles sont joués moins longtemps que ceux des hommes. Malgré d’encourageants progrès, une réelle volonté politique se fait attendre pour donner aux femmes toute leur place.

 

Lorsqu’un directeur de centre dramatique national (CDN) lui a récemment confié qu’il ne connaissait pas assez de créatrices pour bâtir une programmation paritaire, Claire (le prénom a été modifié) a manqué s’étouffer. « On en était encore là, à considérer que les femmes talentueuses manquent à l’appel ? » se souvient la jeune metteuse en scène, dont deux spectacles sont présentés cet automne. Et pourtant, sur beaucoup d’affiches, les femmes manquent encore. Après avoir détaillé les programmations de trois cent six de ses adhérents (scènes nationales, CDN, festivals), le Syndeac, principal syndicat d’employeurs du spectacle vivant subventionné, relève qu’elles réalisent à peine 35 % des mises en scène. Fait inédit, le comptage évalue aussi le potentiel de spectateurs perdus. Car les spectacles qu’elles signent sont non seulement joués moins longtemps, mais dans de plus petites salles. Résultat : « Les créatrices ne s’adressent qu’à 31 % du public potentiel, deux fois et demie moins que les hommes », note le syndicat, dont le président Nicolas Dubourg dénonce un « schéma systémique et péniblement caricatural ».

 

Rien n’aurait donc changé depuis 2006 ? Cette année-là, Reine Prat, alors inspectrice au ministère de la Culture, publiait un rapport sur les inégalités entre femmes et hommes dans le subventionné, qui sert toujours de repère. « Pour la première fois, on accédait à des statistiques sexuées issues du ministère, dont les résultats dépassaient ce qu’on imaginait », se souvient-elle. Aucune femme à la tête des cinq théâtres nationaux (Comédie-Française, Théâtre national de Strasbourg, théâtres de la Colline, de l’Odéon et de Chaillot) et trois directrices sur trente-huit CDN. La chercheuse pointait des projets mieux financés lorsqu’ils sont portés par des hommes. Des jurys ou conseils d’administration inégalitaires. Une habitude masculine de l’entre-soi à l’origine d’un système global d’empêchement et d’interdictions. Pas moins macho ni misogyne, le monde du théâtre apparaissait soumis aux mêmes fractures et inégalités que le reste de la société.

Le Festival d’Avignon, jamais dirigé par une femme seule

Quinze ans plus tard, un bout de chemin a indéniablement été parcouru. Associations et collectifs se sont formés pour lutter contre toute forme de discrimination. Les plateaux se sont féminisés, et les rôles de femmes, dans le théâtre contemporain, ont bougé. Du côté des directions, l’avancée est contrastée. Le casting est toujours 100 % masculin dans les théâtres nationaux, alors qu’entre 2010 et 2014, Muriel Mayette et Julie Brochen  avaient dirigé, respectivement, la Comédie-Française et le Théâtre national de Strasbourg. Quant au Festival d’Avignon, il n’a toujours pas été dirigé par une femme seule… Les directions des scènes nationales, subventionnées aussi par les collectivités et dont les postes sont en CDI, restent masculines : 67 % d’hommes, contre 33 % de femmes, selon l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes (ministère de la Culture, mars 2021). Mais dans les CDN, la parité est presque atteinte après les nominations de Maëlle Poésy à Dijon et de Pauline Bayle à Montreuil : on recense seize directrices à la tête des CDN, pour dix-neuf directeurs et trois binômes. Des metteuses en scène émergentes n’hésitent plus, aujourd’hui, à postuler à leur direction, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. « Notre génération sait maintenant épauler les femmes artistes dans leur développement afin qu’elles puissent elles-mêmes devenir responsables de centres dramatiques, après y avoir été artistes associées », estime la metteuse en scène Chloé Dabert, la quarantaine, directrice de la Comédie de Reims. Les listes finales de candidats tentent le plus souvent de refléter la parité femmes-hommes.

Roselyne Bachelot vient de présenter un plan

Depuis bientôt dix ans, les pouvoirs publics ont pris la mesure de ces enjeux. « Le ministère s’est doté d’un Observatoire de l’égalité femmes-hommes, il réalise une veille statistique et produit chaque année depuis 2013 des analyses fines et plus qualitatives, souligne Reine Prat. L’égalité entre femmes et hommes est passée de “priorité nationale” sous François Hollande à “grande cause nationale” pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron. On s’approche lentement de la parité dans les jurys ou comités. Malheureusement, cela relève encore de l’affichage : il manque une vraie volonté politique de changer les choses. » Ce que réfute la ministre Roselyne Bachelot qui, à l’occasion de la présentation récente d’un plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexiste et sexuel dans le spectacle vivant, a indiqué que les futurs subsides versés aux équipes artistiques tiendront compte de la parité. « Je prépare une politique volontariste pour début 2022 », a-t-elle annoncé.

D’autant que le constat de l’Observatoire est sans appel : le théâtre fait encore tristement exception à plusieurs égards, à commencer par la question de l’accès aux moyens de production. Les femmes ne représentent que 40 % des récipiendaires de subventions, et seulement 28 % des montants alloués. Elles ne réalisent que « 38 % des représentations programmées, qu’elles interviennent en termes d’écriture, d’adaptation, de scénographie, de mise en scène, de chorégraphie ou de traduction ». Et dans les théâtres nationaux, la part des autrices a progressé mais reste faible : 26 % en 2018-2019, contre 5 % dix ans plus tôt.

Le Syndeac vise une “parité exemplaire”

Le Syndeac promet de renouveler chaque année son comptage national jusqu’à atteindre une « parité exemplaire », et enjoint ses adhérents à faire progresser les chiffres deux fois plus vite que les objectifs fixés par le ministère. « Il y a encore quelques années, j’estimais que l’art devait échapper aux quotas, mais les choses n’avançant pas naturellement, autant en passer ponctuellement par une injonction au changement », admet le metteur en scène Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération, à Lyon, et membre de l’Association des CDN. L’idée, controversée, défendue notamment par le Mouvement H/F (Hommes-Femmes) de conditionner l’attribution de subventions au respect de la parité dans les programmations, les postes à responsabilité ou les instances de décisions, a aussi fait du chemin. Tout le monde s’accorde au moins sur un point : rien ne fonctionnera sans un rééquilibrage des moyens de production permettant aux créatrices de s’épanouir sur scène dans les mêmes conditions que leurs pairs masculins. Afin qu’elles puissent réellement inventer de nouveaux textes, et de nouvelles manières de penser le monde.

 

Sophie Rahal / Télérama 

 

Dans le même numéro de Télérama : 

 

 

#MeTooThéâtre, la fin de l'omerta    Enquête d'Emmanuelle Bouchez  

 

À l’heure de #MeTooThéâtre, un Conservatoire pas si conservateur          Enquête de Mathilde Blottière

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December 1, 2021 6:36 AM
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#metoothéâtre : « Prendre la parole représente le risque d’être blacklistée »

#metoothéâtre : « Prendre la parole représente le risque d’être blacklistée » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde 1er déc. 2021

 

Des directrices de scènes publiques expriment leur vision du mouvement, dans un secteur particulièrement fermé et fragile économiquement.


Jeudi 7 octobre naissait le mouvement #metoothéâtre, à l’initiative de la blogueuse Marie Coquille-Chambel, animatrice d’une chaîne YouTube sur le théâtre. En juin 2020, la jeune femme avait porté plainte contre Nâzim Boudjenah, un acteur de la Comédie-Française, pour violences et menaces de mort. En juin, le comédien a été condamné pour les menaces de mort, mais relaxé pour les faits de violence. Début octobre, en lançant #metoothéâtre, Marie Coquille-Chambel l’a également accusé de viol. Nâzim Boudjenah reste, à ce jour, membre de la troupe de la Comédie-Française, mais n’est distribué dans aucun spectacle cette saison.

 

Il aura fallu quatre ans, après le lancement de #metoocinéma, pour qu’apparaisse le même type de mouvement de libération de la parole sur les violences sexistes et sexuelles dans le domaine du spectacle vivant, où, selon les signataires d’une tribune parue dans Libération, le 13 octobre, la peur et le secret seraient la règle. Plus encore, peut-être, que dans d’autres secteurs, dans ce milieu plus fragile, moins sous les feux des projecteurs que le cinéma.

Lire aussi  Article réservé à nos abonnés #metoothéâtre : 200 personnes rassemblées à Paris pour alerter sur les violences sexistes et sexuelles

Presque deux mois après le lancement du mouvement, la parole des victimes, notamment celles d’actes graves, semble encore largement tue. Une polémique s’est nouée autour de la décision de Wajdi Mouawad, le directeur du Théâtre national de la Colline, à Paris, de confier la musique de sa dernière création, Mère, à Bertrand Cantat, et de maintenir dans sa programmation un spectacle signé par Jean-Pierre Baro, visé par une plainte pour viol classée sans suite en 2019.

 

 

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Toutes solidaires

Contesté sur ces choix, Wajdi Mouawad a répondu par un texte au rasoir, publié par Sceneweb, le 19 octobre, et titré « Je refuse de me substituer à la justice », qui n’a pas contribué à apaiser le climat. Un mois plus tard, le 19 novembre, un groupe d’activistes tentait de bloquer la première de son spectacle. Le collectif #metoothéâtre a eu beau préciser qu’il n’avait « jamais appelé à se rassembler devant La Colline » et n’était donc pas « organisateur de l’action du 19 novembre menée par des militant(e)s engagé(e)s dans la lutte contre les féminicides et la libération de la parole autour des violences sexistes et sexuelles », l’amalgame était fait.

 

 

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Dans ce climat sous tension, nous avons voulu savoir quel regard les directrices de théâtre – centres dramatiques nationaux, scènes nationales, théâtres municipaux – portaient sur le mouvement et sur un paysage artistique difficile à appréhender. Les violences sexistes et sexuelles sont-elles systémiques dans ce milieu ? Existe-t-il vraiment une omerta ? Le mouvement est-il trop radical ? Les conditions sont-elles réunies pour que la parole des victimes soit écoutée ?

 

Le premier constat, c’est que toutes se disent solidaires du mouvement, à quelques nuances près. Des « vétéranes », comme elles se nomment elles-mêmes, Catherine Marnas, 66 ans, à la tête du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, et Claudia Stavisky, 65 ans, codirectrice du Théâtre des Célestins, à Lyon, à la benjamine, Maëlle Poésy, 37 ans, qui va prendre ses fonctions à la tête du Théâtre Dijon-Bourgogne, le 1er janvier. « Je suis persuadée qu’il fallait cette libération de la parole, argue Catherine Marnas. Le déséquilibre est tel, il y a un tel silence sur un certain nombre d’agissements, une telle inégalité, aussi, en faveur des mêmes, toujours. »

« Blessant pour les victimes »

« Ce mouvement me semble indispensable, appuie Séverine Chavrier, 47 ans, à la tête du Centre dramatique national d’Orléans. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on a affaire, avec le théâtre, à un milieu très archaïque et rétrograde sur ces questions. Et je trouve ce #metoothéâtre plutôt digne et élégant, qui ne privilégie pas la dénonciation  le fait de livrer des noms en pâture , mais met l’accent sur une prise de conscience générale et la recherche de solutions. » « C’est une véritable révolution, ce que l’on est en train de vivre, la vraie révolution de notre époque, analyse Célie Pauthe, 46 ans, directrice du Centre dramatique national Besançon Franche-Comté. Et, comme toute révolution, elle comporte ses excès… et ses contre-révolutions. » « Je ne connais pas de révolution qui se soit faite dans le silence et la gentillesse »,  s’amuse, quant à elle, Claudia Stavisky.

 

La directrice des Célestins a fait le choix, à la mi-novembre, de déprogrammer Habiter le temps, un spectacle signé par Michel Didym, metteur en scène visé par une enquête préliminaire pour viol. A la place, elle a organisé un week-end de rencontres et de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles, qui a remporté un vif succès. Toutes ses consœurs confirment qu’elles auraient déprogrammé de même, dans le cas d’une instruction judiciaire en cours. « Ne serait-ce que parce que, dans un cas comme celui-ci, les conditions d’une bonne réception du spectacle ne sont pas réunies », expliquent plusieurs d’entre elles.

 

Lire l’enquête d’octobre 2021 : Article réservé à nos abonnés Dans les écoles de théâtre, des élèves dénoncent une culture de la violence

Le cas du Théâtre de la Colline est évidemment plus compliqué et diversement apprécié par ces directrices d’institution. Bertrand Cantat a purgé sa peine pour le meurtre de Marie Trintignant, en 2003. Quant à Jean-Pierre Baro, la plainte pour viol qui le visait a été classée sans suite. « Il ne s’agit surtout pas de se substituer à la justice, pose en préambule Julie Deliquet, 41 ans, directrice du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Mais on a le droit d’exprimer qu’on aurait pu faire autrement. La question que je me pose surtout, c’est celle du message que l’on envoie, du miroir que l’on renvoie, en tant qu’institution de la République, avec de tels choix. C’est tout de même très symbolique et ressenti comme extrêmement blessant par les victimes. »

 

 

Lire la chronique de Michel Guerrin (2021) : Article réservé à nos abonnés « En 2018, Mme Nyssen a déclaré que Bertrand Cantat a le droit de “vivre sa vie” d’artiste. En disant le contraire, Mme Bachelot s’assoit sur le droit »

Pour Hortense Archambault, 51 ans, aux manettes de la MC93 de Bobigny, en revanche, tenter d’empêcher la représentation d’un spectacle est une limite à ne pas franchir. « Pour moi, suivre les décisions prises par la justice, qui est certes perfectible, est d’une importance capitale. Il faut bien qu’on ait une boussole collective », insiste-t-elle.

« La loi du silence »

Le problème, et toutes le soulignent, c’est que la justice, dans ces affaires, et particulièrement dans ce milieu, a du mal à passer. « Il y a une problématique globale de la manière dont la parole des victimes est minorée, dévalorisée, souligne Maëlle Poésy. A laquelle se rajoute un autre problème : prendre la parole représente un risque énorme – ne plus travailler, être blacklistée –, avec la perspective qu’il n’y ait pas d’action réelle de la justice derrière. »

Célie Pauthe (directrice du Centre dramatique national de Besançon) : « Dans un parcours de comédienne, c’est quasiment impossible de ne pas avoir subi de harcèlement ou d’abus de pouvoir »

D’où l’omerta qui aurait cours dans le théâtre français, et que dénonçait la comédienne Judith Henry, dans un entretien à L’Humanité, le 11 octobre. Une omerta que confirment, à des degrés divers, ces directrices d’établissement qui ont parfois été comédiennes elles-mêmes, et à qui les actrices se confient peut-être plus facilement qu’à leurs confrères. « La loi du silence, oui, elle continue, corrobore Célie Pauthe. Quasiment tous les jours, j’entends des amies raconter des violences subies qu’elles n’ont pas dénoncées. Dans un parcours de comédienne, c’est quasiment impossible de ne pas avoir subi de harcèlement ou d’abus de pouvoir. Cela fait partie du parcours, d’apprendre à déjouer ces pièges. »

 

« C’est vrai qu’il y a une omerta, affirme Francesca Poloniato, directrice du ZEF, une scène nationale implantée au milieu des quartiers nord de Marseille. Pour le moment, la parole se libère surtout en petit comité, dans le milieu. La peur des représailles reste très présente, c’est pour cela qu’il est fondamental que la justice passe et se dote d’outils pour comprendre les spécificités de ces affaires », martèle celle qui, dans une autre vie, était éducatrice spécialisée, chargée de jeunes filles abusées sexuellement.

Mais surtout, au-delà des violences sexistes et sexuelles, toutes ces directrices insistent sur la nécessité de changer un paysage où l’inégalité femmes-hommes règne encore en maître. Le plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexuels, lancé le 25 novembre par la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, est jugé utile et avait été anticipé dans plusieurs théâtres, mais il ne résoudra pas tout. « Rien ne changera vraiment tant que l’on restera dans un système où le patriarcat se glisse partout », se désole Séverine Chavrier.

 

 

C’est d’ailleurs à partir de ce constat qu’Hortense Archambault, également présidente de l’Association des scènes nationales, fait entendre une voix légèrement discordante, bien que tout aussi féministe, sur ce que pourraient être certains effets pervers du mouvement #metoo. « Je ne voudrais pas que la question sexuelle cache la problématique de fond et la fasse passer à la trappe,   argumente-t-elle. On est, aujourd’hui encore en France, dans une inégalité systémique de traitement, de salaire, de suivi de carrière, de reconnaissance entre les directeurs et les directrices de lieux.

 

C’est très bien de faire un #metoothéâtre mais cela ne règle pas le problème de la place des femmes. Empêcher le spectacle de Wajdi Mouawad de se jouer ne fera rien avancer, à mon avis… »

 

Carrières à trous, préretraites forcées, salaires encore souvent considérés comme des revenus d’appoint, inégalité d’accès aux moyens de production et aux grands plateaux, absence de femmes à la tête d’un théâtre national… Les chantiers ne manquent pas, pour que #metoo puisse s’appuyer sur un socle plus politique. « Toute l’histoire du féminisme est faite d’avancées et de reculs. Il ne faut pas baisser la garde », alerte Julie Deliquet.

 

Fabienne Darge

Illustration : dessin de SÉVERIN MILLET

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November 18, 2021 11:45 AM
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“Carte Noire nommée désir” de Rébecca Chaillon : attention, chef-d’œuvre

“Carte Noire nommée désir” de Rébecca Chaillon : attention, chef-d’œuvre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Igor Hansen-Love dans Les Inrocks 17/11/2021

 

L’autrice, performeuse et metteuse en scène signe un spectacle ébouriffant pour déconstruire le regard porté sur les femmes noires en France. Drôle, énervée et intelligente, son écriture théâtrale est aussi singulière que jubilatoire.

 

Dans des cas comme ceux-ci, il est inutile d’y aller par quatre chemins : l’émotion s’impose avant toute tentative d’analyse. Carte Noire nommée désir de Rébecca Chaillon est l’une des pièces les plus puissantes, les plus inventives et les plus brillantes qu’il nous ait été donné de voir depuis… On ne sait plus très bien combien de temps d’ailleurs… Impossible de ne pas sortir de là sonné par ces moments de théâtre lumineux, réjouit par l’humour punk et bravache de ses huit interprètes et, on l’espère aussi, un peu mieux armé pour réfléchir à la condition des femmes noires en France et essayer de déconstruire notre regard porté sur celles-ci.

 

Avant même de rentrer dans la salle, Rébecca Chaillon et les siennes déstabilisent. Dans le hall du théâtre, un message est adressé aux spectateur·ices. La scène, nous explique-t-on, est construite selon un dispositif dit “bi-frontal”. De part et d’autre du plateau, deux gradins se font face. À droite, les fauteuils sont exclusivement réservés aux femmes noires, métisses et afrodescendantes ; le reste du public est invité à prendre place à gauche. Jamais nous n’avions vu une telle séparation selon des critères de couleurs de peau, et, en toute franchise, il nous aura fallu une bonne demi-heure pour comprendre la pertinence de ce dispositif. Mais ici, cette non-mixité permet d’appréhender la réaction au même spectacle de “l’autre” public dans les gradins sur la question du racisme, entre autres. Et la rencontre a bien lieu.

 
Scène mémorable

La scène d’ouverture est à la fois effroyable et sublime. Une femme noire nettoie le sol avec une éponge ; triste spectacle d’un corps martyrisé. Elle est en culotte, à quatre pattes, sa forte taille rend son travail d’autant plus pénible et humiliant. On peut même sentir l’odeur âcre d’eau de Javel dans le public. Et rapidement, ses mouvements vont se détraquer. Elle se met à passer l’éponge sur sa peau, frénétiquement. Jusqu’à l’intervention d’une deuxième comédienne qui la prend dans ses bras, l’assoit sur un tabouret et se met à natter ses cheveux, lentement, patiemment, avec des cordelettes accrochées sur une structure en haut du plateau.

S’en suit une dizaine de scènes survoltées où les effets et les émotions se bousculent. On hurle de rire devant le détournement de la publicité pour Carte noire où l’érotisation grotesque des corps de femmes noires est poussée à l’extrême. On est gênés de se retrouver dans les portraits d’employeurs bobo, plus ou moins “cool”, quand ils s’adressent à Fatou, l’assistante maternelle surmenée. On est sidérés à la lecture des petites annonces véridiques d’hommes de plus de soixante ans qui tentent de faire venir chez eux des “Africaines” pour qu’elles se partagent entre l’amour et le ménage. On participe, avec le reste du public, au jeu de mimes visant à deviner des personnalités de femmes noires connues. On s’amuse devant les chorégraphies des neuf comédiennes qui commencent avec des twerks hyper sexuels et se déglinguent comme les mouvements d’un automate abîmé.

Et petit à petit, on assiste à ces corps se débattant face aux injonctions contradictoires et aux stéréotypes qui les assignent ; femmes inquiétantes mais désirables, femmes sauvages mais dominées, femmes respectables mais infantilisées… Et de bout en bout, le dosage entre le rire, l’effroi, la colère et la connivence provoqués est toujours juste. À la fin du spectacle, au fil d’une scène mémorable que nous ne dévoilerons pas, le corps de Rébecca Chaillon réapparaît, en écho avec la scène d’ouverture, mais cette fois magnifiquement libéré. Chapeau.

 

 

Carte noire nommée désir, de Rébecca Chaillon, avec BeBe., Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband en alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby.

 

 

Du 18 au 20 novembre 2021, à L’Aire Libre, dans le cadre du festival TNB, à Rennes.

Du 1er au 4 décembre 2021, au Théâtre Dijon Bourgogne, à Dijon.

Du 9 au 11 décembre 2021, au Maillon, au Théâtre de Strasbourg, à Strasbourg.

Le 16 janvier 2022, à La Maison Folie Wazemmes, dans le cadre du festival DIRE, à Villeneuve-d’Ascq.

Du 2 au 4 février 2022, à la Comédie de Saint-Etienne, à Saint-Etienne.

Les 21 et 22 février 2022, au Carreau du Temple, à Paris.

Le 25 février, au Phénix, Scène Nationale de Valenciennes.

Le 1er mars 2022, à la Scène nationale d’Orléans, à Orléans.

Du 9 au 11 mars 2022, aux Subs, à Lyon.

Le 24 mars 2022, à La Maison de la Culture d’Amiens, à Amiens.

Le 22 et 23 avril 2022, à Fort-de-France, au Tropique Atrium, en Martinique.

 

Igor Hansen Love / Les Inrocks

 

Légende photo : “Carte Noire Nommée Désir“ de Rébecca Chaillon @ Vincent Zobler

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November 16, 2021 7:47 AM
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L'île monde d'Ariane Mnouchkine

L'île monde d'Ariane Mnouchkine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos- 15 novembre 2021

 

 

 

Le Théâtre du Soleil nous embarque au Japon vers une « Ile d'Or » rêvée où se tient un festival de théâtre international. Un argument ténu, un texte inabouti, mais une mise en scène et des images éblouissantes… On ne boudera pas son plaisir.

 

Le Soleil se relève du côté de la Cartoucherie de Vincennes et c'est une bonne nouvelle. Avec « L'Ile d'Or », son nouveau spectacle préparé pendant le confinement, Ariane Mnouchkine nous embarque au pays du Soleil-Levant. Dès l'entrée dans le hall-restaurant du théâtre, on est plongé dans une ambiance japonaise : bannières, lanternes et claustras… La magie du Théâtre du Soleil est bien au rendez-vous. Quand le rideau se lève sur un hangar de bois majestueux, aux fenêtres donnant sur un paysage marin pastel, le public collé-serré sur les traditionnels gradins ne peut retenir un petit cri d'admiration. Dans cet écrin, une trentaine de comédiens vont déployer 2 h 45 durant leur énergie et leur talent pour célébrer l'amour du théâtre et leur foi indéfectible en l'humanité.

 

« L'Ile d'Or » est peu ou prou la saison 2 d' « Une chambre en Inde », qui montrait une troupe de théâtre en tournée en Inde, chamboulée par les attentats terroristes de Paris de 2015. Dans ce nouvel opus, on retrouve l'héroïne metteuse en scène Cornélia (Hélène Cinque), malade, qui peine à retrouver ses esprits. Inconsciente de la pandémie qui frappe la planète, elle se rêve au Japon sur une île de pêcheurs aux allures d'Eden où la maire s'apprête à inaugurer un festival de théâtre international. Malgré les manœuvres d'édiles corrompus et de leurs alliés financiers pour entraver la fête et transformer l'île en complexe touristique, les compagnies poursuivent leurs répétitions. Cornélia, qui se remet petit à petit, maîtrise son rêve… il finira bien.

Revue de théâtre

L'argument, ténu, permet au Théâtre du Soleil de faire feu de tout bois. Les prestations des compagnies invitées sont prétexte à convoquer le monde entier et ses maux sur la scène : conflit israélo-palestinien, atteintes aux libertés en Chine et à Hong Kong… Du kabuki au nô, en passant par les marionnettes ou la performance, plusieurs styles sont revisités. « L'Ile d'Or » se décline en revue de théâtre. Dommage que l'écriture collective (« en harmonie avec Hélène Cixous ») se borne pour l'essentiel aux clins d'œil et aux bons sentiments. Elle ne sert pas suffisamment une mise en scène éblouissante : beauté de l'espace qui se peuple de bains japonais, de tavernes ou de mers d'étoffe, beauté des fresques au lointain, fluidité des gestes, des déplacements. Le tempo est parfait.

 

Déçus, mais pas trop : les spectateurs en prennent plein les yeux et le cœur. Surtout après un dernier tableau merveilleux, bal d'éventails orchestré par des cigognes géantes. Les applaudissements frénétiques font foi. Même un Soleil voilé reste un soleil. Le théâtre n'a pas fini de nous réchauffer à la Cartoucherie.

Philippe Chevilley

 

L'ILE D'OR   d'Ariane Mnouchkine

Théâtre du Soleil, Paris, Cartoucherie.

www.theatre-du-soleil.fr, 01 43 74 24 08

2 h 45.

 

 
 
Légende photo : Cornélia, malade, se croit au Japon, sur « L'Ile d'Or », et embarque les spectateurs dans son rêve de théâtre. (© Michèle Laurent)
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November 6, 2021 6:39 PM
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Avec son spectacle « Voyage chimère », Ilka Schönbein fait corps avec ses marionnettes

Avec son spectacle « Voyage chimère », Ilka Schönbein fait corps avec ses marionnettes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 7 nov. 2021

 Ilka Schönbein derrière la marionnette de la chatte dans « Voyage chimère », par le Theater Meschugge. MARINETTE DELANNÉ

 

 

L’artiste allemande est en tournée en France avec sa dernière création librement inspirée du conte des frères Grimm, « Les Musiciens de Brême ».

 

 

 

Ilka Schönbein ne parle pas beaucoup, ni sur scène ni dans la vie, ou, plus exactement, elle recherche souvent le mot juste, l’expression adéquate. Et quand elle ne les trouve pas, elle préfère laisser s’exprimer son corps, qu’elle prête depuis toujours à ses créatures, ou mettre au premier plan la musique, omniprésente dans son œuvre. Rencontrée en octobre à l’occasion d’une série de représentations de sa dernière création, Voyage chimère, au Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, à Paris, l’artiste, née en 1958, à Darmstadt, en Allemagne, explique comment ce sont toujours les marionnettes, souvent faites de bric et de broc, à partir d’objets de récupération, qui sont à l’origine d’un nouveau spectacle.

 

Ainsi, pour Voyage chimère, librement inspiré du conte des frères Grimm, Les Musiciens de Brême, elle raconte : « Il y avait, dans mon atelier, deux ou trois marionnettes qui traînaient, qui n’avaient pas encore trouvé leur place dans un spectacle, qui attendaient le bon moment pour sortir de l’ombre. Ce sont elles qui ont choisi le conte, et non l’inverse. » C’est pourquoi le chat des frères Grimm est devenu, chez Ilka Schönbein, une vieille chatte (rescapée d’un précédent spectacle) et le coq une poule, aux côtés de l’âne et du chien, pour former le quatuor animalier du récit.

Le public est entraîné dans une danse macabre sur fond de chansons et de morceaux de musique interprétés en direct par deux complices

Et, comme toujours dans les spectacles d’Ilka Schönbein, on est bien loin de l’univers coloré et joyeux des contes pour enfants (Voyage chimère s’adresse aux plus de 10 ans). Les quatre animaux en question sont en effet réduits à l’état de squelettes ‒ des crânes et des pattes, auxquels Ilka Schönbein donne habilement vie avec son corps, en particulier ses jambes, maquillées de façon différente pour chaque personnage. Le résultat d’une existence de misère au service des hommes, marquée par les mauvais traitements et l’exploitation à outrance.

Le public est entraîné dans une danse macabre sur fond de chansons et de morceaux de musique interprétés en direct par les deux complices de la marionnettiste, Alexandra Lupidi (au registre vocal impressionnant, pouvant passer d’un chant populaire italien à un air d’opéra en allemand) et Anja Schimanski (également responsable de la création et de la régie lumière).

Ambiance de cabaret

La réussite de Voyage chimère tient beaucoup à cette ambiance de cabaret, de revue musicale, où chacun des quatre protagonistes est appelé à monter à tour de rôle sur une sorte de roue centrale tenant lieu d’estrade (ou d’échafaud) et à se produire dans un numéro « de la dernière chance », avant de partir pour Brême ou, plus certainement, dans l’au-delà.

 

 

Car la mort est présente au détour du chemin, comme souvent chez Ilka Schönbein. D’autant plus dans cette création née en pleine pandémie, alors que le trio était en résidence artistique au Monteil (Cantal), en mars 2020. « Cette première résidence devait durer seulement une semaine, explique la marionnettiste et metteuse en scène. Mais, avec l’arrivée du Covid-19 et le premier confinement, elle a duré près de deux mois, ce qui nous a donné un temps précieux, avec Alexandra et Anja, pour travailler sur le spectacle. »

 

Un spectacle fascinant à l’humour noir, et parfois grinçant, à découvrir à l’occasion de quelques (trop rares) représentations dans l’Hexagone en novembre, car comme le souligne Ilka Schönbein, beaucoup de théâtres, en France et en Allemagne, ont déjà rempli leur programmation pour la nouvelle saison avec les reports des dates annulées pour cause de pandémie en 2020-2021, ce qui rend compliqué, pour les compagnies, de trouver encore des créneaux libres pour se produire sur scène dans les mois à venir.

 
 

Voyage chimère, par le Theater Meschugge. Avec Ilka Schönbein (création et manipulation des marionnettes, mise en scène), Alexandra Lupidi (création musicale et musique de scène) et Anja Schimanski (création et régie lumière, musique de scène). Les 16 et 17 novembre au Théâtre des quatre saisons, à Gradignan (Gironde) ; le 19 novembre au festival Marionnettissimo, à Tournefeuille (Haute-Garonne) ; les 29 et 30 novembre à l’Espace Jéliote, à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques).

 

Cristina Marino

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October 30, 2021 5:31 PM
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Womanhouse. Pauline Sales et les femmes de la maison

Womanhouse. Pauline Sales et les femmes de la maison | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Guillaume Lasserre dans son blog  29 octobre 2021

 

En souvenir d’un ancien amour, un homme prête une maison qu’il ne peut se résoudre à vendre à des femmes artistes qui en font leur atelier temporaire. Dans « les femmes de la maison », Pauline Sales interroge la société au cours des soixante-dix dernières années, en convoquant la figure de la femme artiste. Une mise en abime qui fait la part belle aux actrices.

 

La pièce s’ouvre sur l’intérieur d’une maison baigné par un clair-obscur : un rocking-chair, un lit, une table, une chaise, un lavabo et trois fenêtres d’où provient la lumière de la lune. Nous sommes dans les années quarante en banlieue parisienne. Une femme quitte un homme pour un autre. Elle est photographe. Afin de lui permettre de vivre pleinement son art, il lui offre la maison et l’épouse en guise d’adieu. Bien des années après, il la rachète discrètement lorsqu’elle la met en vente. Incapable de l’habiter ou de la vendre à son tour, Joris décide d’en faire un lieu de résidence avant l’heure, réservé aux femmes artistes – elles sont peintres, plasticiennes, autrices –, en échange d’une œuvre laissée à la fin du séjour, de quelques règles à suivre et de la présence d’une femme de ménage qui veille sur la maison mais aussi sur ces locataires de passage. Trois temps, trois histoires, vont habiter cette maison, autant de trajectoires qui tentent de s’émanciper par la création artistique, et qui se font le reflet de la société de leur époque – tour à tour les années cinquante, soixante-dix et aujourd’hui –, en étant traversé par les grandes questions que chacune soulève.

 

Treize rôles, trois actrices, un acteur. Pour incarner les personnages de sa nouvelle pièce, Pauline Sales fait appel à des comédiens avec qui elle entretient un lien particulier. Dans sa note d’intention, elle précise que les acteurs sont « principalement ce qui motive mon désir de mise en scène[1] ». Ainsi, retrouve-t-on dans le rôle de Joris Vincent Garanger, avec qui l’autrice et metteuse en scène a dirigé le Préau – Centre dramatique national de Normandie – Vire durant dix ans et avec qui elle a fondé la compagnie A l’envi. Chaque actrice joue plusieurs rôles. Hélène Viviès, Olivia Chatain et Anne Cressent incarnent à leur manière les trois époques.

 

 

La pièce a pour point de départ l’exposition éponyme « Womanhouse[2] » qui s’est tenue en Californie au début des années soixante-dix à l’initiative des artistes Judy Chicago et Miriam Shapiro, cofondatrices du « Feminist art programm » au California Institute for the Arts. Les deux artistes ont largement inspiré les personnages de la deuxième partie de la pièce. La maison, c’est celle abandonnée du 533 North Mariposa Avenue à Hollywood, Los Angeles, en Californie. Chicago et Shapiro ont investi les dix-sept pièces qui la composent avec leurs étudiantes et des artistes femmes locales, proposant des performances, installations et autres projets artistiques qui interrogeaient la construction politique de l’espace domestique et son enfermement forcé. L’exposition-manifeste dure moins d’un mois[3] mais va marquer un tournant décisif dans l’histoire de l’art féministe.

 

 

Au début de la pièce, Germaine, personnage derrière lequel on devine la photographe Germaine Krull, répond à la jeune femme de l’agence immobilière, avec qui elle vient d’avoir une légère altercation : « Ne faites pas ça, pas seulement, des enfants, débrouillez-vous pour faire autre chose ». Dans les années cinquante, Simone, mariée et mère de deux enfants, s’en prend à elle-même, s’invective, se couvre violemment d’insultes : « Merde merde merde, connasse connasse connasse, la matinée est foutue, tu ne déjeuneras pas, grosse truie, pour la peine ». Elle tente de s’émanciper et de trouver son indépendance artistique. « La figure de la femme émancipée devait recouvrir celle de la femme traditionnelle, combiner les deux visages[4] » écrit Simonetta Piccone Stella dans son étude sur la vie des femmes dans les années cinquante. Deux décennies plus tard, sur la côte pacifique des États-Unis, Miriam, bientôt rejointe par Judy, transforme la maison en « womanhouse ». Enfin, à notre époque, trois écrivaines[5] trouvent refuge dans la résidence pour échapper à l’instrumentalisation dont font aujourd’hui l’objet les femmes artistes après avoir longtemps été niées. Invisibilisées jusque très récemment, elles deviennent aujourd’hui prisées, recherchées. On n’en finit pas désormais de célébrer les artistes décédées du XXème siècle, de leur rendre hommage en découvrant leur travail artistique. Bien souvent, elles sont les compagnes, les épouses d’artistes masculins célèbres.

 

 

Au-delà de ces artistes, il y a d’autres femmes, celles qu’on ne voit généralement pas, dédiées aux travaux d’entretien et de ménage de la maison. « Elles œuvrent pour que d’autres s’émancipent, elles révèlent parfois le fossé qui les sépare » écrit très justement Pauline Sales. « A qui et pour qui œuvrons-nous en tant qu’artiste ? » s’interroge-t-elle. « En fait, il n’y a que les femmes pour faire croire à l’homme » réalise Annie qui s’occupe de l’entretien de la maison californienne. Seul homme de la pièce, Joris fait figure de gardien de la maison. Homme sans âge exprimant sa masculinité loin des stéréotypes, il reste le plus souvent silencieux et tente de passer inaperçu. Une fois n’est pas coutume, son sexe est ici minoritaire. Il traverse le temps en spectateur privilégié de la vie de ces femmes, plus rarement en acteur. À la fois bienveillant et paternaliste, il est attentif à la décolonisation, processus qu’il semble mieux comprendre que les femmes de la maison. Dans la seconde partie, il incarne aussi Christiane, la dernière femme de ménage de la maison. Auxiliaire de vie malgré elle, elle est l’un des visages des classes populaires d’aujourd’hui.   Personnage à part entière, la maison elle-même évolue avec les époques, dans le temps mais aussi dans l’espace. Elle est ainsi un pavillon de banlieue parisienne dans la France de l’après-guerre, puis une maison « for women only » dans le sud de la Californie – « alors on déménage sans même s’en rendre compte »constate Joris. « On se déplace » lui répond Annie –, et enfin, une bâtisse isolée quelque part en France dans les années 2020. Elle se fait le miroir de ce qui se joue de l’époque et de ses enjeux féministes. Les conditions spécifiques à la création engendrent un huis clos à chaque fois renouvelé qui résonne étonnamment avec les confinements successifs que nous avons traversés.

 

« Les femmes de la maison » n’a rien d’une pièce documentaire, encore moins d’un manifeste. De manière sensible et fictionnelle, Pauline Sales explore, à travers un regard porté sur la condition des femmes artistes, seules ou en collectif, féministes ou pas, le rapport au patriarcat, la sororité et ses rivalités, les questions de classe et d’origine, le lien entre intime et politique. Il est bien difficile de construire une parole commune, bien éprouvant de créer, surtout dans l’enfermement d’une résidence d’artiste. Pourtant, il n’en reste pas moins que le propriétaire de la maison est un homme. Certes, il ne rentre dans aucun des stéréotypes classiques du mâle dominant mais « Joris n’est pas Jésus »  comme le rappelle Miriam. Omniprésent, traversant les époques et le XXème siècle, il est celui qui rend les choses possibles, le mécène. Cet état n’en finit pas de surprendre. Quelle signification donner à cette présence masculine, qui plus est seul personnage à traverser la pièce de bout en bout ? Sans doute que plus qu'une pièce féministe, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes que l'écriture de Pauline Sales cherche ici à atteindre.

 

 

[1] Sauf mention contraire, les citations sont extraites de Pauline Sales, texte d’intention, dossier de presse, janvier 2021.

 

[2] Voir à ce propos Miriam Shapiro, « The education of women as artists: project Womanhouse », Art Journal, vol. 31, n° 3 (spring 1972), pp. 268-270.

 

[3] Du 30 janvier au 28 février 1972.

 

[4] Simonetta Piccone Stella, « Pour une étude sur la vie des femmes dans les années 1950 », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 16 | 2002, 245-269.

 

[5] On devine dans ses trois personnages Amélie Nothomb, Paul B. Preciado et Pauline Sales elle-même qui ne s’épargne pas en écrivaine d’âge mur quelque peu dépassée par les questions féministes actuelles, faisant preuve d’une bonne dose d’autodérision.

 

Les femmes de la maison, texte et mise en scène de Pauline Sales © TGP CDN de Saint-Denis

 

LES FEMMES DE LA MAISON - Écriture et mise en scène Pauline Sales. Avec Olivia Chatain, Anne Cressent, Vincent Garanger, Hélène Viviès. Scénographie Damien Caille Perret. Création lumière Laurent Schneegans. Création sonore Fred Bühl. Costumes Nathalie Matriciani. Coiffure, maquillage Cécile Kretschmar. Régie son Jean-François Renet ou Fred Buhl. Régie générale et lumière François Maillot. Habilleuse et entretien perruques Nathy Polak. Spectacle créé le 11 janvier 2021 au Théâtre de l'Ephémère, scène conventionnée pour les écritures théâtrales contemporaines, Le Mans. Vu le 22 juillet 2021 au TNBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine.

Du 20 au 23 octobre 2021 • Théâtre de L’Ephémère – Le Mans
Du 26 au 29 octobre 2021 • La Comédie de Reims
30 novembre 2021 • Théâtre Jacques Carat – Cachan
14 décembre 2021 • Scènes du Jura - Scène nationale 
Du 11 au 22 mai 2022 • TGP – Centre Dramatique National de Saint-Denis

 

Photo © Jean-Louis Fernandez

 

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October 10, 2021 10:53 AM
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 Julie Deliquet orchestre une subversion joyeuse dans un atelier

 Julie Deliquet orchestre une subversion joyeuse dans un atelier | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 9 oct. 2021

 

 

 

Avec « Huit heures ne font pas un jour », au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, la metteuse en scène signe une adaptation enlevée du feuilleton télévisé sur le monde ouvrier de Rainer Werner Fassbinder.

 

Un spectacle sur la vie ouvrière, optimiste et joyeux, baigné par l’énergie galvanisante de la débrouille et du sens du collectif ? On prend ! Et on salue la belle idée qu’a eue Julie Deliquet, la nouvelle directrice du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), d’adapter au théâtre Huit heures ne font pas un jour, le formidable feuilleton télévisé réalisé par Rainer Werner Fassbinder en 1972. La soirée qu’elle présente, en compagnie de ses excellents comédiens, fait crépiter une étincelle d’utopie bienvenue, dans notre monde courbatu par bien des maux, et pas seulement par le Covid-19.

 

En 1971, quand la chaîne de télévision allemande WDR lui propose de réaliser une série familiale, diffusée à des heures de grande écoute, Fassbinder a 26 ans. Il a déjà écrit treize pièces de théâtre, réalisé huit films, signé nombre de mises en scène de ses propres pièces ou d’autres auteurs. La commande de la WDR l’intéresse parce qu’elle lui permet d’investir et de subvertir un genre populaire, d’y apposer sa patte. Huit heures ne font pas un jour ne ressemble à rien d’autre, dans sa manière d’aborder le réel à rebours du naturalisme en vigueur à la télévision et d’inventer une forme d’artifice, entre conte et distanciation brechtienne. C’est aussi l’œuvre la plus optimiste de Fassbinder, qui laisse libre cours, de manière inédite chez lui, à la fraîcheur et à l’espoir.

Les comédiens sont ici d’un engagement, d’une fraîcheur et d’une présence qui vous embarquent et ne vous lâchent plus

Le cinéaste allemand a surtout inventé là une merveilleuse galerie de personnages, tous plus vivants et attachants les uns que les autres, qui font le prix de cette fresque située à l’exacte intersection de l’intime et du collectif. Le cœur en est une famille ouvrière de Cologne, les Krüger-Epp, que l’on découvre alors qu’elle fête l’anniversaire de son inénarrable grand-mère, Luise, dite Mamie. Lorsqu’il ressort acheter quelques bouteilles de mousseux au distributeur de la gare, Jochen, son petit-fils, rencontre Marion, et c’est le début d’une grande histoire d’amour, autour de laquelle tourne toute l’œuvre.

Pugnacité et solidarité

Jochen est ouvrier dans une usine d’outillage, il est beau gosse, beau parleur ; Marion travaille au service des petites annonces du journal local, c’est une jeune femme libre, indépendante. Quant à Mamie, monument d’impertinence et de vivacité, armée d’une philosophie solide – « in schnaps veritas » –, elle semble apte à résoudre tous les problèmes. Combat ouvrier pour plus d’autonomie, émancipation féminine, dignité du troisième âge, droits de l’enfant… Fassbinder fait le pari d’une lutte heureuse, trempée dans la pugnacité et la solidarité.

 

Lire le compte-rendu de la diffusion à la Berlinale 2017 : Amour, schnaps et lutte des classes, le soap opera selon Fassbinder

Julie Deliquet s’empare de ce matériau exceptionnel avec le talent qui est le sien – c’en est un – pour rendre tout cela simple et vivant, ancré dans le présent du théâtre, fortement incarné. Elle ramène les cinq épisodes de la série à un spectacle de trois heures, et pourtant tout est là, le romanesque et le réel, le social et l’intime, cousus au petit point.

 

La metteuse en scène fait le pari d’un espace unique, vaste atelier vintage décoré avec son superbe sens de la récup, un décor qui est avant tout un espace à jouer, et qui se transforme en un clin d’œil en salle de banquet pour un mariage.

 

Lire l’entretien : Julie Deliquet, metteuse en scène : « Je ne voulais pas qu’on devienne un théâtre fantôme »

Dans ce théâtre à nu, où la peau du réel n’a pas le recours, pour s’habiller, de l’image telle que pouvait la travailler un cinéaste comme Fassbinder, les comédiens sont en première ligne. Et ils sont ici d’un engagement, d’une fraîcheur et d’une présence qui vous embarquent et ne vous lâchent plus, déployant un jeu certes réaliste, dans leurs costumes furieusement seventies, mais teinté d’étrangeté et de merveilleux. Qu’il s’agisse d’Ambre Febvre, lumineuse Marion, ou de Mikaël Treguer, Jochen intense et séduisant. De Christian Drillaud, parfait en amoureux lunaire de Mamie, de Lina Alsayed, magnifique en épouse se tirant des griffes d’un mari violent, ou d’Eric Charon, en homme (pas si) ordinaire.

Mais celle qui règne sur le spectacle, comme sur l’histoire de Fassbinder, c’est Mamie, telle que la joue Evelyne Didi, en faisant souffler un irrésistible vent de folie douce sur la représentation. En elle s’incarne tout l’esprit primesautier de Huit heures ne font pas un jour, cette subversion joyeuse qui déjoue la lourdeur des destins écrits d’avance. De le retrouver aujourd’hui, ce geste de Fassbinder consistant à montrer des prolétaires bien décidés à ne pas s’enfermer dans une position de victimes, mais devenant les acteurs de leur propre histoire, cela fait un bien fou. Comme une ivresse retrouvée, après des années de gueule de bois.

 

 

Huit heures ne font pas un jour, de Rainer Werner Fassbinder, traduction Laurent Muhleisen (L’Arche, 304 p., 19,50 €). Adaptation et mise en scène par Julie Deliquet. Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Jusqu’au 17 octobre, du mercredi au dimanche à 19 h 30. De 6 € à 23 €. En tournée de janvier à avril 2022, à Montpellier, Lyon, Grenoble, La Rochelle, Toulouse, Colmar, Toulon, Marseille, Limoges, Reims et Caen.

 

Fabienne Darge

 

Photo :  PASCAL VICTOR/ARTCOMPRESS

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October 8, 2021 5:18 AM
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«Huit heures ne font pas un jour», pièce de haute lutte

«Huit heures ne font pas un jour», pièce de haute lutte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 7 octobre 2021

 

Légende photo : Sur scène, un banquet façon kermesse. (Pascal Victor/©Pascal VICTOR/ArtComPress)

 

 

Le feuilleton allemand de Fassbinder, repris sur scène par Julie Deliquet, restitue avec bonheur les tribulations d’une dizaine d’ouvriers dans les années 70.

 

La metteuse en scène Julie Deliquet, nommée à la tête du théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis pendant le premier confinement, aime les échanges transgénérationnels et le fourmillement des acteurs sur scène, tout ce qui permet au spectateur de régler lui-même sa propre focale sur tel personnage ou action parallèle. Vania d’après Tchekhov, Fanny et Alexandre d’après Bergman, Un conte de Noël tiré du film d’Arnaud Desplechin : autant de spectacles qui prouvent une aptitude rare à faire advenir la jubilation de l’instant présent sur un plateau de théâtre, comme en témoigne le nom de sa compagnie, In Vitro, fondée il y a une douzaine d’années. Huit heures ne font pas un jource beau titre d’un feuilleton de Fassbinder – on ne disait pas série – commandé par la télévision allemande en 1971 au cinéaste de 27 ans qui avait déjà tourné huit longs métrages, ne fait pas exception.

 

Durant trois heures vingt, on suivra les tribulations d’une dizaine d’ouvriers et d’une famille, qui vont progressivement lever tous les freins qui entravent leur quotidien, trouver des solutions à leurs problèmes personnels perçus pour ce qu’ils sont : des questions politiques. Un exemple : Monika (lumineuse Lina Alsayed) veut travailler. Elle le dit sur tous les tons. Or l’absence de crèches et le fonctionnement de l’école allemande obligent les mères à rester à la maison sous peine d’être qualifiées de «mère corbeau». Au début des années 70, les revendications de ce personnage n’étaient pas si fréquemment problématisées dans les œuvres, pas plus qu’au sein de la société. De même le matraquage des hommes sur leur épouse que dénonce Monika frappée par son mari, était considéré jusqu’à peu comme une question intime relevant de la sphère domestique. Ici, Luise, la grand-mère, (fantastique Evelyne Didi), ne s’embarrasse pas de difficultés. Elle décide de squatter une bibliothèque municipale abandonnée, pour y installer une garderie sauvage.

 

Cellule de dégrisement

Utopique ? Peu importe, car jusqu’à l’entracte, la frénésie de problèmes aussitôt posés, très vite résolus, provoque un optimisme ravageur, comme si toute la salle était shootée aux euphorisants. On a envie d’y croire. Suivre Luise quand elle veut fonder «une agence immobilière pour personnes âgées» même si sa famille est plus dubitative. Ne pas ciller quand le nouveau contremaître, recruté à l’extérieur de l’usine, est d’accord avec les ouvriers : son recrutement est lamentable, les patrons auraient été mieux inspirés de choisir l’un d’entre eux, et d’ailleurs, il va aider l’aspirant à se former aux mathématiques. Excepté le personnage de la grand-mère intempestive qui n’hésite pas à jeter son venin, ou celui de la tante Klara (irrésistible Hélène Viviès) qui n’apprécie ni les mésalliances ni les ouvriers, les relations interpersonnelles sont exceptionnellement non conflictuelle chez Fassbinder. Le cinéaste n’a tourné que cinq épisodes de son épopée acidulée – nettement plus dark, les trois derniers restés dans les tiroirs auraient sans doute colorisé différemment l’ensemble. Un geste subversif demeure : la télévision n’avait pas prévu que la saga familiale commandée aurait lieu dans une usine, à l’époque où la moitié des actifs allemands étaient ouvriers.

 

Lors de sa diffusion, le succès populaire fut total, et les critiques vinrent de la droite et de l’extrême gauche jugeant la fable désespérément peu réaliste. Durant la première partie, les ouvriers doivent néanmoins lutter pour que leur prime de rendement leur soit accordée. Que se passe-t-il, pour qu’après l’entracte, on ait eu le sentiment d’être placée dans une cellule de dégrisement, tandis que Julie Deliquet, Fassbinder, et la quinzaine d’acteurs sur le plateau continuaient leur montée en puissance fabuleuse ? Certes, il y a un banquet, façon kermesse, et le groupe investit l’atelier pour la transformer en salle des fêtes. Certes, Monika est bien isolée lorsqu’elle répète combien sa vie est insupportable, et que tante Klara la renvoie à son statut de prolétaire qui a épousé un cadre. Et certes, les ouvriers sont les premiers surpris de la simplicité avec laquelle ils obtiennent le droit de s’autogérer sans la moindre résistance de la part de la direction. «Franchement, nous pensions que nous allions devoir nous battre», expliquent-ils à la cheffe d’atelier (excellente Julie André) toute trépignante de perdre son autorité.

«Débrouille»

Le dénouement idyllique, sans casser d’œuf, ni l’ombre d’une lutte, frustre le spectateur d’une étape essentielle si bien que la pièce en devient, par un hasard du calendrier, le contrepoint de 7 Minutes, le huis clos de Stefano Massini qui montre précisément un moment de bascule, la prise de décision collective de onze femmes en colère, spectacle que l’on peut encore découvrir au théâtre du Vieux-Colombier. Quelque chose chiffonne : pourquoi donc mettre sur scène la saga de Fassbinder aujourd’hui, quand nombre d’usines ont fermé ? Rencontrée dans un café après avoir vu la pièce, Julie Deliquet défend au contraire la forte actualité du feuilleton adapté avec Florence Seyvos et Julie André pendant le confinement. «Durant cette période, en Seine-Saint-Denis, on a vécu la débrouille à tous les étages et la solidarité intergénérationnelle. A travers cette pièce, j’ai eu envie de montrer cette capacité à s’auto organiser, quand les politiques défaillent. Oui, les solutions sont provisoires mais elles existent.»

 

 

Comme toujours avec Julie Deliquet, le processus de création a tout autant compté que le résultat. Ici comme jamais, les acteurs, dont certains font leurs premiers pas sur scène, ont été au service de la dramaturgie plutôt que du parcours de leur personnage.

 

Hanna Schygulla, actrice fétiche de Fassbinder et spectatrice le même jour que nous, a reconnu sur scène l’énergie et le sens du groupe du cinéaste frénétique mort à 37 ans. La solaire Marion fut l’un de ses premiers rôles, le tournage se déroulait dans une usine, et elle osait à peine porter la voix pour ne pas déranger les ouvriers qui travaillaient en même temps.

Huit jours ne font pas un jour, mis en scène par Julie Deliquet, d’après R.W. Fassbinder jusqu’au 17 octobre au TGP, à Saint-Denis, puis grande tournée. Sept minutes de Stefano Massini, mis en scène par Maëlle Poésy, jusqu’au 17 octobre, au théâtre du Vieux-Colombier.
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October 7, 2021 5:55 AM
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Dépasser les frontières du théâtre : projet et vision artistique de Maëlle Poésy, directrice du théâtre Dijon-Bourgogne

Dépasser les frontières du théâtre : projet et vision artistique de Maëlle Poésy, directrice du théâtre Dijon-Bourgogne | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Morgane Macé  dans Profession-Spectacle | 7 Oct, 2021

 

Pluridisciplinarité, transmission, ouverture des frontières du théâtre, accueil d’auteurs associés et de projets internationaux… Maëlle Poésy, nouvelle directrice du théâtre Dijon-Bourgogne, dévoile sa vision et ses ambitions pour le centre dramatique national de Bourgogne.

 

 

Après neuf ans sans changement de direction au Centre dramatique national – théâtre Dijon-Bourgogne (TDB), vient le temps du passage à témoin. Benoît Lambert est nommé directeur de la Comédie de Saint-Étienne, quand la metteuse en scène Maëlle Poésy, qui connaît bien le TDB pour y avoir été artiste associée depuis 2016, en devient la première femme directrice, à trente-sept ans.

Les remaniements du festival Théâtre en Mai et des différents dispositifs d’accompagnement à la création sont prévus, avec notamment l’accueil inédit de trois auteurs et autrices associés à la direction. Focus sur le parcours et les ambitions de Maëlle Poésy pour cette maison au budget total de 3,6 millions d’euros, engagée pour favoriser l’émergence et l’éducation artistique.

 

Un temps fort de passation

Le lancement de saison s’est déroulé début septembre, un moment symbolique à plus d’un titre, en cette période de retour aux spectacles. L’occasion pour Benoît Lambert de présenter son ultime programmation de saison au sein de cette structure et pour Maëlle Poésy d’annoncer les grandes lignes de son projet artistique, en présence du public et des tutelles, dont la ville de Dijon, la région et la DRAC Bourgogne-Franche-Comté.

La pièce 7 minutes de Stefano Massini, que Maëlle Poésy a mise en scène, est jouée à Paris depuis le 15 septembre à la Comédie-Française. « C’est un peu particulier en ce moment car ma présence est partagée entre Dijon et Paris, reconnaît-elle. Mais après je pourrai me plonger à 200 % dans le théâtre. »

Une plongée qui ne sera pas difficile, puisque la metteuse en scène a déjà l’expérience d’une collaboration avec Benoît Lambert. « Je connais bien le TDB, confirme-t-elle. Toutes ces années m’ont permis de travailler sur des formes très différentes puisque j’ai fait par exemple une création pour des lycées qui a tourné pendant deux ans, j’ai monté Inoxydables, dans le cadre d’I-Nov-Art, qui n’a hélas pas été joué comme on l’aurait souhaité durant le confinement, et j’ai mené un travail de long terme, avec l’implantation de ma compagnie Crossroad en 2011. »

 

Porter un langage invisible au théâtre

 

Son père Étienne Guichard, directeur du Théâtre du Sable, et sa mère enseignante de lettres ont transmis aux filles Poésy – car sa sœur n’est autre que l’actrice Clémence Poésy –, ce même amour pour la comédie. Avant d’intégrer l’École supérieure d’arts dramatiques du Théâtre national de Strasbourg, Maëlle Poésy a suivi les formations des chorégraphes Damien Jalet et Hofesh Shechter.

 

Une pratique de la danse contemporaine qui l’inspire encore aujourd’hui… « Le travail sur la tenue des corps et les énergies sur un plateau permet de prendre en charge tout un langage invisible et inconscient, explique-t-elle. C’est quelque chose que j’aime beaucoup intégrer au cœur des mises en scène. » Également enseignante à l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille, elle promeut un théâtre pluridisciplinaire : « Je souhaite défendre l’hybridité des formes qui peuvent être parfois proches de la danse et du cinéma, poursuit Maëlle Poésy. Utiliser en tout cas des écritures de plateau faisant appel à différents médiums. »

Ces projets hybrides seront confiés aux artistes associés tels que Tamara Al Saadi, Julie Berès, Yngvild Aspeli et David Geselson. « Il y aura des temps de résidence sur le territoire, avec la participation des habitants, et pour fil rouge : “histoire des lieux et histoire des gens”, détaille la nouvelle directrice du TDB. Ces créations pourront prendre la forme d’un spectacle écrit, d’une performance ou encore d’une session radiophonique. »

 

 

Programmation internationale, “Passes murailles” et auteurs associés

 

Pluridisciplinarité et transmission demeurent ses priorités, dans le prolongement du travail mené par Benoît Lambert sur le soutien à l’émergence, en ouvrant cette fois le festival Théâtre en Mai aux compagnies internationales.

Dans une volonté d’une plus large diffusion, le dispositif “Passes murailles” fera intervenir six acteurs issus d’écoles nationales supérieures d’arts dramatiques, engagés en contrats de professionnalisation, pour travailler pendant un an en création dans les lycées : « On souhaite faire tourner les spectacles dans les lycées, mais aussi dans des lieux non théâtraux, et les ouvrir à une diffusion nationale, précise Maëlle Poésy. C’est moi qui prend en charge la première mise en scène et ce sera Gloire sur la Terre, de Linda McLean, une autrice écossaise. »

Si la metteuse en scène privilégie le mélange des formes, elle n’en délaisse pas pour autant le matériau littéraire. Le TDB accueillera en effet trois auteurs et autrices associés à la direction. Il s’agit de Gustave Akakpo, Julie Ménard et Kevin Keiss : « J’aime beaucoup leurs écritures, s’enthousiasme-t-elle. C’est important de pouvoir leur proposer cet ancrage au sein d’une maison et de mettre leur art au service du territoire. Nous les soutiendrons pendant quatre ans, ce qui va leur permettre d’avoir un cadre et aussi une inscription dans l’économie de la société du spectacle. »

 

La direction au fabricant

Maëlle Poésy, qui ne néglige pas d’autres enjeux tout aussi centraux comme la volonté d’inscrire le TDB dans un développement autour de l’écologie, en faveur d’une transition forte, se considère à sa juste place en tant qu’artiste.

« Il se trouve que les scènes nationales, historiquement parlant, ne sont pas des lieux qui sont dirigés par des artistes. Pourtant, en dirigeant un CDN, je suis tout à fait à ma place d’artiste et de directrice !, confie-t-elle amusée. Je dirais qu’en tant qu’artiste, ce serait même ma seule place de direction possible. Je trouve assez passionnant, de toute façon, de développer un projet artistique au sein d’une structure. Mais je pense que c’est véritablement l’histoire que nous avons entre la compagnie et ce lieu, ainsi que cet ancrage qu’on a sur ce territoire, qui ont vraiment fondé ma décision. »

Pluridisciplinarité, transmission et ouverture des frontières du théâtre par une diffusion hors-les-murs et nationale des créations, ainsi que l’ouverture du festival Théâtre en Mai aux compagnies internationales, tels sont les axes de la nouvelle directrice du Théâtre Dijon-Bourgogne, avec pour valeur ajoutée, l’accueil d’auteur et d’autrice associés.

 

 

Morgane MACÉ

Correspondante Bourgogne-Franche-Comté

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January 16, 2022 5:08 PM
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Théâtre. Le très mauvais genre d’Herculine Barbin

Théâtre. Le très mauvais genre d’Herculine Barbin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Gérald Rossi dans L'Humanité  17 janvier 2022

 

Bordeaux (Gironde), envoyé spécial.

 

Catherine Marnas met en scène un spectacle passionné, sensible et engagé, avec deux comédiens remarquables, Nicolas Martel et Yuming Hey.

 

 

D’immenses draps blancs couvrent une large part du plateau, offrant un écran mouvant aux mystérieuses projections qui glissent en silence. Puis ils laissent découvrir des lits, des oreillers, un dortoir, dans la douceur d’une lumière dorée, contrastant avec la dureté du propos qui va suivre. Un principe que défend avec passion Catherine Marnas, qui adapte, avec Procuste Oblomov, et met en scène Herculine Barbin, récit autobiographique d’un individu déclaré fille à sa naissance, garçon vingt ans plus tard, avant son suicide. « On aurait pu, dit-elle, faire un montage de textes provocateurs, mais ce n’est pas mon choix, et je ne veux pas non plus de querelles clivantes rejetant définitivement chacun dans un camp. »

Quand l’hermaphrodisme relevait de l’impossible

Sous-titrant sa pièce Archéologie d’une révolution, la directrice du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (TNBA) pose avec autant de finesse que de conviction une question que l’on pourrait dire du droit à son genre véritable. Deux comédiens permettent de suivre le fil du drame humain. Nicolas Martel, avec une remarquable force retenue, est un passeur de l’histoire franchissant les époques. Yuming Hey, avec une grâce sensible, jusque dans les doutes les plus profonds, est Herculine, innocente victime d’un univers qui lui est entièrement étranger. Les deux comédiens, dans ces partitions éloignées, se rejoignent dans une parole émouvante.

 

 

À sa naissance, le 8 novembre 1838 en Charente-Maritime, Herculine Barbin est considérée de sexe féminin, élevée en tant que fille dans des institutions religieuses avant d’intégrer, comme jeune institutrice de 17 ans, un pensionnat de jeunes demoiselles. Là, elle tombe amoureuse de Sara, sans comprendre les bouleversements dans son corps. Au XIXe siècle, en ces lieux, évoquer le sexe, le désir, le sentiment ou encore l’hermaphrodisme relève de l’impossible. Depuis le XVIIIe siècle, « les théories biologiques de la sexualité, les conditions juridiques de l’individu, les formes de contrôle administratif dans les États modernes ont conduit peu à peu à refuser l’idée d’un mélange des deux sexes en un seul corps », pointe le philosophe Michel Foucault dans sa préface à Mes souvenirs, le journal tenu par Herculine, publié chez Gallimard en 1978. Le texte original a disparu, mais il avait été partiellement publié une première fois en 1872 dans un ouvrage scientifique : Question médico-légale de l’identité dans ses rapports avec les vices de conformation des organes sexuels.

 

 

Dans ses Métamorphoses, parues au Ier siècle de notre ère et effleurées sur le plateau, Ovide fait état du devin aveugle Tirésias, qui tous les sept ans change de sexe. Au Moyen Âge, l’hermaphrodite avait le droit de choisir son sexe (et de s’y tenir toute sa vie) si celui assigné à sa naissance ne lui convenait pas. Au XIXe siècle, Herculine Barbin n’a pas eu ce droit. Il fut décidé, après examens médicaux et avis de l’Église, qu’elle se prénommerait Abel, devrait se vêtir et se comporter en homme. Exercice impossible. « J’ai 25 ans et quoique encore jeune j’approche à n’en pas douter du terme fatal de mon existence »,   écrit-il/elle. Avouant aussi : « Sous une apparence de froideur, j’avais un cœur de feu. »

 

 

Au TNBA jusqu’au 22 janvier. Téléphone : 05 56 33 36 80. Le spectacle sera repris au Théâtre 14, à Paris.
 
 
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January 11, 2022 5:52 AM
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L'art puissant d'Elise Chatauret : "A la vie"

L'art puissant d'Elise Chatauret : "A la vie" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 10  janvier 2022

Légende photo : Au fond Charles Zevaco, devant, Solenne Keravis. Questions torturantes…Christophe Raynaud de Lage. DR.

 

 

Sur un texte composé avec Thomas Pondevie et la compagnie Babel, elle met en scène des comédiens sensibles dans une réflexion profonde sur la mort, le passage, qu’elle intitule « A la vie ! ». Et c’est formidable. 

 

Une bousculade de citations, une explosion de phrases. Un amoncellement de corps sans vie sur le plateau. Cela commence ainsi, A la vie !  Par des personnages arrachés au cadre de la pièce qui les protège…Ils surgissent, venus d’horizons très divers. De la tragédie à la farce grinçante, des antiques aux contemporains. Je meurs-Je sens que je me meurs-Mourons donc…

 

 

Les artistes qui ont composé le spectacle ne cherchent en rien à égarer le public, mais au contraire à l’éclairer. Avant d’entrer dans la salle, on vous remet un « recueil des emprunts aux textes dramatiques ». Vous saurez tout.

 

 

Dans une scénographie volontairement « théâtrale » de Charles Chauvet, qui signe également les costumes avec Morgane Ballif, espace fardé de lumières mouvantes de Léa Maris et d’un travail sur le son, subtil -micros compris- de Lucas Lelièvre et Camille Vitte, se déploie A la vie !

 

On commence par rire, d’un bon rire franc devant l’ouverture ironique et joyeuse, de ce moment de théâtre haut et puissant. Ils y passent tous : Hugo et Racine, Shakespeare comme Copi et plus tard Ionesco. Et les interprètes aussi, toutes et tous : Justine Bachelet, Solenne Keravis, Juliette Plumecocq-Mech, Emmanuel Matte, Charles Zévaco.

 

Mais ce prologue en costumes –que l’on retrouve à la fin dans une composition inspirée d’un tableau de Giotto, qui referme la représentation sur l’ombre d’ailes angéliques et chrétiennes- n’est là que pour mieux nous précipiter au cœur du chaudron d’un propos dérangeant. Non pas mourir, mais choisir de mourir, vouloir mourir. Et comment ? Et qui pour décider ? Et qui pour agir ?

Des questions graves, taillées dans le théâtre même. Des contradictions déchirantes. Les interprètes passent du « rôle » de patient à celui de « soignant », le temps d’enfiler une blouse blanche. Tout s’enchaîne à folle allure. Spectateurs, nous sommes confrontés à une cascade de « cas », de situations.

 

Mais rien ici qui emprunte à un catalogue éthique, sociologique, médical, dont on nous présenterait des exemples avec scènes illustrant des conflits, des difficultés morales ou scientifiques. Ici, il y a effectivement la vie, comme ne ment pas le titre, et le théâtre. C’est cela qui frappe et offre une assise magistrale à ce travail qui revendique l’enquête, la recherche. Mais qui est tout entier théâtral.

 

L’intelligence de la construction, la fermeté de la direction, l’humanité sans mièvrerie qui irrigue chaque scène, tout concourt à donner une force rare à la représentation. Le groupe des interprètes, familiers de l’univers d’Elise Chatauret, et esprits actifs de la conception de l’ensemble, est composé de personnalités rares. La jeune Justine Bachelet, présence et harmonie, vivacité, Juliette Plumecocq-Mech, précise comme fine lame et très sensible, Solenne Keravis, celle qui traverse les apparences, Emmanuel Matte, dans la densité, la métamorphose, Charles Zévaco, vif argent épanoui dans une danse époustouflante, sont unis et singuliers.

 

On ne connaissait pas le travail d’Elise Chatauret. Il arrive que des artistes et leurs créations nous échappent. Qu’on les rate. Après Ce qui demeure, dialogue entre une jeune femme et une femme de 93 ans, après Saint-Félix, enquête sur un hameau français, après Pères enquête sur les paternités d’aujourd’hui, trois productions de la compagnie Babel, trois mises en scène d’Elise Chatauret, sur des textes composés avec son groupe de comédiens et Thomas Pondevie dont on connaît aussi le travail au Théâtre de Montreuil et les propres recherches, telles celles ayant abouti à Supernova.

 

Mourir, la belle affaire, la grande affaire. Mourir, au théâtre, rien de mieux. Le Roi qui se meurt : « Vous tous, innombrables, qui êtes morts avant moi, aidez-moi. Dites-moi comment vous avez fait pour mourir, pour accepter. »

« Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir », ainsi qu’il est dit dans Suréna de Corneille.

 

 

Armelle Héliot 

 

 

« A la vie ! », des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Œillets, jusqu’au 16 janvier. A 20h30 en semaine, 18h00 le samedi, 17h00 le dimanche. Durée : 1h30. Tél :  01 43 90 11 11.

– 30 novembre > 4 décembre MC2 Grenoble, Scène nationale
– 22 mars 2022 : Théâtre de Chelles
– 29 mars 2022 : Verdun – Transversales
– 12/04 > 15/04/2022 : Théâtre Dijon Bourgogne, CDN

Les précédents spectacles d’Elise Chatauret, Thomas Pondevie et la compagnie Babel sont en tournée en France. Consultez les lieux et dates sur le site : www.compagniebabel.com

 

 

 

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January 2, 2022 10:12 AM
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La belle nature de la comédienne Sofia Teillet

La belle nature de la comédienne Sofia Teillet | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 2 janvier 2021

 

Légende photo : La comédienne Sofia Teillet, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 20 décembre 2021. BAUDOUIN POUR « LE MONDE »

 

« Promesses de 2022 » (1/12). Douze artistes à suivre cette année. Aujourd’hui, l’autrice et interprète du spectacle « De la sexualité des orchidées ».

Sofia Teillet aime cultiver sa curiosité. Sa formidable conférence-spectacle De la sexualité des orchidées n’aurait jamais vu le jour sans une escapade sur les hauteurs des Vosges alsaciennes, pour suivre un stage dans une chèvrerie. Un soir d’été 2012, après plusieurs journées à traire et faire du fromage, une voisine de la chèvrerie, en formation de maraîchage, lui raconte la reproduction du figuier. La comédienne découvre alors les aventures insoupçonnables du monde végétal. L’ingéniosité de la nature passionne cette Parisienne en mal d’espace. Elle est comme ça, Sofia Teillet, officiellement comédienne, officieusement toujours en quête d’expériences nouvelles et d’échappées.

Elle se transforme en conférencière à la fois savante et foutraque, aussi intellectuelle que corporelle

De retour d’Alsace, elle dévore les ouvrages de Maurice Maeterlinck (L’Intelligence des fleurs, 1955)d’Emanuele Coccia (La vie des plantes, Rivages, 2016) et, coïncidence, son ex-petit ami lui offre une orchidée. Cette plante, elle la déteste : trop « plastique », soi-disant rare alors qu’elle est partout, en promo aux caisses des magasins de bricolage, ou en déco dans les toilettes des restaurants. Mais, après ses lectures et notamment celle – « fascinante », insiste-t-elle –de l’ouvrage de Charles Darwin De la fécondation des orchidées (1862)Sofia Teillet n’a pas le cœur à la laisser mourir. Au fur et à mesure de ses recherches pour savoir comment l’entretenir, elle découvre que la fleur est le sexe du végétal. De quoi largement nourrir son imagination et ouvrir des perspectives de récit !

Lors d’un stage de conférence théâtrale organisé par Frédéric Ferrer, elle reprend l’idée de la reproduction végétale comme thème de travail. « Ne fais que sur l’orchidée », lui conseille le metteur en scène. Et c’est ainsi que naît une première forme courte, d’une vingtaine de minutes, que la comédienne teste dans des bars et cabarets. Puis, sa rencontre avec la « bande » de l’Amicale va transformer l’aventure en spectacle à part entière. L’Amicale, une coopérative de production qui développe, accompagne et diffuse des projets d’art vivant. Sofia Teillet en est membre depuis trois ans. Mutualisation des moyens, prise de décisions en commun, cette organisation horizontale, sans chef désigné, elle en parle le sourire aux lèvres.

Jeu délicieusement décalé

Ce n’est pas le cas lorsqu’elle évoque ses années de formation. Elève à Paris au Cours Florent puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, cette comédienne, qui parle sans fard, ne garde pas un très bon souvenir de cette école tant prisée mais à ses yeux trop « hiérarchique ». « J’avais l’impression de souffrir de choses qui ne faisaient pas souffrir les autres. Je n’aimais pas certains enseignants mais il était impossible de le dire, de toucher à la stature des anciens. Il ne fallait pas avoir d’avis, il fallait se taire sous prétexte que notre place avait été chèrement acquise. »

Néanmoins, elle y fait une rencontre déterminante : Yann-Joël Collin, un professeur d’interprétation avec lequel elle travaille sur l’adresse au public comme moteur de l’écriture théâtrale. Et elle y noue des amitiés, notamment avec les futurs metteurs en scène Benjamin Abitan (Théâtre de la démesure) et Yordan Goldwaser.

 

On retrouve aussi Sofia Teillet dans En manque, de Vincent Macaigne, ou encore dans les créations de la compagnie suisse Old Masters (L’ImpressionLe Monde, et prochainement La Maison de mon esprit). Avec L’Amicale, elle joue depuis cet hiver dans le nouveau spectacle d’Antoine Defoort, Elles vivent. Dans cette histoire extravagante, les idées ont une vie autonome, un « mnémoprojecteur » permet de projeter ses souvenirs devant soi et un nouveau parti politique, intitulé « Plateforme Contexte et Modalité », tente de renouveler le débat démocratique. Sofia Teillet y joue la « médiatrice fictionnelle », pour que « tout se passe bien » avec le public et aussi Rita, une idéaliste qui aimerait qu’on cesse « d’avoir peur de nos peurs ». Une aventure théâtrale singulière comme les aime cette comédienne au jeu délicieusement décalé.

 

Parallèlement à ces projets de troupe, son solo De la sexualité des orchidées« c’est mon petit endroit de liberté, mon truc à moi, une forme légère, avec une part d’improvisation », résume-t-elle. Cet ovni théâtral, drôle et poétique, a rencontré un très beau succès à l’été 2021 dans le « off » d’Avignon, puis à l’automne au Centquatre, à Paris, et part désormais en tournée. Sofia Teillet, 37 ans, y est incroyable d’espièglerie et de malice, embarque le public, avec son style direct, dans une enquête rocambolesque à travers la sexualité végétale. Armée d’un rétroprojecteur et d’un paperboard, elle se transforme en conférencière à la fois savante et foutraque, aussi intellectuelle que corporelle.

Digressions philosophiques

Il est bien sûr question de pollen, de pistil et d’étamines, mais pas seulement. Car Sofia Teillet fait de la capacité de l’orchidée à se reproduire depuis plus de quatre-vingts millions d’années (« le tyrannosaure peut aller se rhabiller ») un prétexte judicieux pour des digressions philosophiques sur les liens entre mondes végétal et animal et sur notre situation de simple humain. Elle ne transmet pas seulement son savoir, elle y ajoute un point de vue subjectif qui pousse à regarder le monde avec curiosité. Son constat est implacable : « Toute cette vie sur ce caillou inhabitable n’est qu’une série d’accidents. »

 

« Cette histoire d’orchidée, dit-elle, a transformé mon rapport au vivant. » Maintenant qu’elle a un petit bout de jardin à Montreuil (Seine-Saint-Denis), elle prend du temps et du plaisir à observer la pousse des végétaux. Le spectateur, lui, après sa conférence-spectacle, ne regardera plus jamais une orchidée comme avant. Et il n’oubliera pas le charme fou de cette comédienne, sa capacité à transmettre sa passion pour la complexité du monde végétal en objet théâtral inclassable. Désormais Sofia Teillet trouve l’orchidée admirable dans sa façon de vivre.

 

Elles Vivent, d’Antoine Defoort, du 18 au 27 janvier au Centquatre, à Paris 19e, les 24 et 25 mars au Bateau-Feu à Dunkerque (Nord).

 

De la sexualité des orchidées de et avec Sofia Teillet, les 31 mars, 1er et 2 avril au Théâtre de poche à Hédé-Bazouges, les 14 et 15 mai au Tangram - Scène nationale d’Evreux

 

 

Sandrine Blanchard

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December 10, 2021 6:59 AM
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Ces dix femmes qui font la nouvelle génération du théâtre

Ces dix femmes qui font la nouvelle génération du théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 10/12/2021

 

Le théâtre français est loin de la parité. Mais une nouvelle génération d'autrices et de metteuses en scène surdouées s'impose sur les planches. Avec le soutien du public. De Pauline Bureau à Nathalie Béasse, revue de troupes.

 

 

Les femmes ont encore du pain sur la planche pour imposer leur voix dans le théâtre. Une double actualité le rappelle de manière cinglante. La première dissipe l'illusion d'un milieu artistique exemplaire protégé des violences masculines : quatre ans après le mouvement de révolte dans le cinéma, s'est créé fin octobre un « MeToo théâtre » visant à dénoncer les agressions sexuelles et harcèlement dont sont victimes des comédiennes.

 

La seconde montre que le secteur est encore loin d'atteindre la parité : selon une enquête publiée tout récemment par le Syndeac (syndicat des entreprises artistiques et culturelles qui regroupe les théâtres publics) auprès de plus de 300 établissements, les spectacles mis en scène par des femmes représentent seulement 35% de la programmation. Toutes et tous rêvent d'un rééquilibrage sur les planches et dans les coulisses qui permettrait d'assurer une expression artistique équilibrée, tout en prévenant les dérives d'abus de pouvoir et de domination machiste.

Programmation paritaire à Avignon

Ce rêve n'est peut-être pas une utopie. Car malgré les pesanteurs de la tradition, les choses bougent… Depuis quelques années, les révélations théâtrales sont le plus souvent féminines. Alors que pendant longtemps, Ariane Mnouchkine faisait figure d'exception dans le panthéon du théâtre français, la liste des metteuses en scène renommées n'en finit plus de s'allonger. Preuve récente, Olivier Py et son équipe artistique n'ont pas eu à se forcer pour proposer une programmation paritaire lors de la dernière édition du Festival d'Avignon.

 

Plus personne n'invoque une politique du quota quand est annoncée la nomination de telle ou telle à la tête d'une institution publique. Signe que les temps changent vraiment : dans les écoles de théâtre, les classes de mises en scène sont souvent majoritairement féminines. Ce basculement nous a inspiré un inventaire du théâtre au féminin aujourd'hui. Une sélection non exhaustive de dix artistes à suivre. Par leurs styles, très différents, elles ont bouleversé, bousculé ou enchanté le public. Elles sont à l'affiche dans les semaines et mois à venir. L'amorce d'une salutaire prise de pouvoir.

Pauline Bureau, la vie en pièces

Elle nous avait charmés en 2014 avec le chant de ses « Sirènes » , un envoûtant conte marin, mélange d'onirisme et de réalisme social. Elle ne nous a pas déçus depuis.

 

La jeune autrice et metteuse en scène n'a pas peur de se colleter aux phénomènes de société : le scandale du Médiator avec « Mon Coeur » (2017) , la longue marche pour le droit à l'avortement - « Hors-la-loi » (en 2019, à la Comédie-Française)- , l'avènement du foot féminin - « Féminines » (2019) -, la GPA - Pour autrui » (2021) . En cultivant un mélange d'aplomb et d'innocence, Pauline Bureau réinvente un théâtre populaire, spectaculaire et militant qui émeut, faire rire ou frémir.

« Pour autrui », tournée en France jusqu'en mars 2022.

Julie Deliquet, en écran large

Sa passion du cinéma a mené cette artiste de 41 ans au théâtre. Et elle parvient magnifiquement à transformer des films cultes en « bêtes de scènes » : ses adaptations limpides et fluides de « Fanny et Alexandre », de Bergman (en 2019 au Français), d' « Un conte de Noël », de Desplechin (en 2020 à l'Odéon) et de « Huit heures ne font pas un jour », de Fassbinder (en 2021 au TGP de Saint-Denis) ont marqué les esprits.

 

Mais Julie Deliquet connaît aussi ses classiques : sa version resserrée d' « Oncle Vania », de Tchekhov a bouleversé le public de la Comédie-Française en 2016. Avec sa compagnie « In Vitro », elle a développé un style de jeu naturel qui fait mouche. Depuis mars 2020, elle a pris les rênes du Théâtre Gérard-Philipe de Saint Denis.

« Huit heures ne font pas un jour », tournée en France de janvier à mars.

 

Maëlle Poésy, justesse et précision

 

Elle a conquis le Vieux-Colombier en septembre avec « 7 minutes », drame social à suspense de Stefano Massini situé dans une usine textile. Mise en scène précise, sens du tempo, direction d'actrices au cordeau (il n'y avait que des femmes dans la distribution)… Tentée d'abord par la danse, Maëlle Poésy a rejoint l'école du TNS en 2007.

Après trois mises en scènes prometteuses, elle fait coup double en 2016 avec deux Tchekhov, « Le Chant du cygne » et « L'Ours » finement enchaînés au Studio de la Comédie-Française, et un drame politique apocalyptique « Ceux qui errent ne se trompent pas », de Kevin Keiss à Avignon. En juillet 2021, elle est nommée à 36 ans directrice du Théâtre Dijon-Bourgogne.

 

Célie Pauthe, à fleur de peau

Depuis 2013, elle dirige le CDN Besançon Franche-Comté. Célie Pauthe, 46 ans, est une metteuse en scène subtile qui brasse un vaste répertoire, souvent hors des sentiers battus. Elle impressionne en 2011 au Théâtre national de La Colline avec un « Long Voyage du jour à la nuit » d'Eugene O'Neill, spectacle ultrasensible.

 

Elle maîtrise aussi bien les textes contemporains ( « Yukonstyle », de Sarah Berthiaume en 2013, « Un amour impossible », d'après Christine Angot en 2016) et les classiques (« Bérénice », de Racine en 2018). Sur scène, elle déploie un univers en clair-obscur, intense, à fleur de peau. Créée à huis clos début 2021, sa mise en scène d'« Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare apparaît des plus prometteuses.

« Antoine et Cléopâtre », tournée à partir de janvier. Du 7 mai au 5 juin 2022 à l'Odéon.

 

Julie Duclos, la passion en clair-obscur

Elle a été formée par Alain Françon et Dominique Valadié au Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris. On ne pouvait rêver mieux pour entamer une vie de théâtre. Julie Duclos nous avait emballés avec « Nos serments » , adaptation libre du film « La Maman et la Putain », de Jean Eustache, à La Colline en 2015.

Essai transformé dans le même théâtre en 2016 avec « MayDay », de Dorothée Zumstein, cérémonie sauvage autour d'une sombre affaire d'infanticide. À Avignon en 2019, elle donnait une version onirique de « Pelléas et Mélisande », de Maeterlinck . On attend beaucoup de sa dernière création, « Kliniken », de Lars Noren, créée début novembre au TNB de Rennes.

 

« Kliniken », tournée de février à mai. Du 10 au 26 mai 2022 à l'Odéon.

 

Pauline Bayle, l'alchimiste

L'«Iliade » et l'«Odyssée » d'Homère emballées en trois heures chrono, « Illusions perdues » de Balzac en deux heures trente…, le tout avec une poignée de comédien(e)s aux rôles interchangeables et pratiquement pas de décor. Pauline Bayle n'a pas son pareil pour s'emparer des textes classiques, les élaguer et produire avec sa jeune troupe surdouée un théâtre à cru.

Qui dit scénographie minimale ne dit pas absence de mise en scène. La jeune artiste crée des effets de théâtre avec un rien. Plébiscitée pour son travail de passeuse de texte accessible à tous et à toutes, elle a été nommée directrice du Nouveau Théâtre de Montreuil à la mi-octobre.

« Illusions perdues », tournée en France jusqu'en juin 2022.

 

Séverine Chavrier, l'audace en bandoulière

Musicienne formée hors du sérail des écoles dramatiques, Séverine Chavrier a fait une entrée fracassante dans le théâtre en s'emparant avec audace de chefs-d'œuvre de la littérature mondiale. Hachant menu les grands textes pour en extraire l'essence, elle déploie un théâtre de plateau « total », où se bousculent les acteurs et objets, où explosent la musique et les vidéos.

 

Son adaptation fulgurante des « Palmiers sauvages », de William Faulkner (2014), puis celle du « Déjeuner chez Wittgenstein », de Thomas Bernhard, devenu « Nous sommes repus, mais pas repentis » (2016), ont fait sensation. Son dernier spectacle, daté de 2019, est « Aria Da Capo » une chronique musicale intimiste. En 2022, elle présentera une nouvelle création, « Ils nous ont oubliés » d'après « La Plâtrière » de Thomas Bernhard. Depuis 2017, elle est directrice du Centre dramatique national Orléans/Loiret/Centre.

 

« Ils nous ont oubliés », les 24 et 25 mars au Tandem Arras-Douai, puis du 12 au 27 avril, à l'Odéon, Paris.

Jeanne Candel, l'invention permanente

Avec ou sans Samuel Achache, Jeanne Candel - directrice du théâtre de l'Aquarium depuis 2020 - est la créatrice d'Otni (Objets théâtraux non identifiés) réjouissants. Image drolatique d'un homme skiant sur une montagne de gravats dans une adaptation délirante de « Didon et Enée », de Purcell , gags en série dans un « Orfeo », de Monteverdi tout aussi débridé : l'actrice et metteuse en scène convoque dans chacun des spectacles coécrits avec son complice l'étrange et inédit.

Dans ses créations en solo, l'extravagance est encore plus poussée. En témoignent ce « Goût du faux », puzzle surréaliste et musical de deux heures écrit en 2014 et ce « Tarquin » (2019), où le dernier roi de Rome est transformé en général tortionnaire reclus dans la jungle amazonienne.

 

Caroline Guiela NGuyen, créatrice d'émotions

À 40 ans à peine, Caroline Guiela N'Guyen est un phénomène. Son théâtre à la fois social, intime et spectaculaire bouleverse le public qui suit ses spectacles les larmes aux yeux et l'acclame debout aux saluts. Minutieuse (elle prépare ses spectacles pendant des mois), adepte d'un théâtre de plateau où tout s'invente en « live », elle excelle dans la création d'atmosphères surréelles et signe des scénographies d'une rare élégance.

Tant pis si son écriture reste brouillonne et le jeu des comédiens un brin approximatif : « Saïgon », spectacle sentimental dédié aux exilés franco-vietnamiens (2017) et « Fraternité. Conte fantastique » , sa fresque d'anticipation compassionnelle (2021) ont triomphé à Avignon et ailleurs.

 

 

Fraternité. Conte fantastique, en tournée jusqu'en mai.

 

Nathalie Béasse, l'ensorceleuse

L'art de Nathalie Béasse touche à l'indicible. Certains spectateurs n'y verront qu'un feu doux. Et pourtant le théâtre-danse de la jeune créatrice brûle d'une flamme intérieure ardente.

Ses spectacles phares, « Le bruit des arbres qui tombent » (Théâtre de la Bastille, 2017) et « Ceux-qui-vont-contre-le-vent » (Avignon, 2021) mixent bribes de grands puissants (Duras, Dostoïevski, Stein), beaux gestes et musique en un troublant patchwork poétique. Les objets s'animent au contact d'énigmatiques acteurs danseurs, comme possédés par les fantômes de Pina Bausch et de Tadeusz Kantor. Nathalie Béasse nous ensorcelle avec une infinie douceur.

 

« Ceux-qui-vont-contre-le-vent », tournée jusqu'à fin mars. Paris, Théâtre de la Bastille, du 3 au 18 février.

 

 

Par Philippe Chevilley / Les Echos

 

 
 Légende photo : Mathilde Mery dans une adaptation de l'«Iliade» mise en scène Pauline Bayle d'après Homère. (©Blandine Soulage)
 
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December 9, 2021 4:51 PM
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#MeTooThéâtre : la fin de l’omerta

#MeTooThéâtre : la fin de l’omerta | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Emmanuelle Bouchez dans Télérama - 9/12/21

 

Le lancement du collectif #MeToo au théâtre, cet automne, a fait l’effet d’une bombe. Comédiennes, autrices ou metteuses en scène victimes d’agressions sexuelles parlent enfin, le gouvernement lance un plan de lutte. Mais la radicalité du mouvement divise…

L’article paru dans Libération le 1er octobre dernier, révélant qu’une enquête préliminaire était ouverte pour agression sexuelle contre le metteur en scène Michel Didym, les a fait monter au créneau. « Quand on a lu que “tout le monde savait” sans rien dénoncer, on a réagi contre cette omerta » : comédiennes, autrices ou metteuses en scène, cinq femmes, toutes également victimes de violences sexistes et sexuelles, ont d’abord partagé la même indignation. Une fois leur collectif #MeTooThéâtre organisé, elles ont, le 7 octobre, lancé le hashtag assorti en publiant leurs propres témoignages. Marie Coquille-Chambel, youtubeuse du spectacle vivant qui sait manier les codes de la viralité numérique, a posté les deux premiers tweets. Dans le premier, elle appelle les personnes harcelées à témoigner. Et évoque dans le second le viol qu’elle aurait subi lors du premier confinement, perpétré par un acteur de la Comédie-Française dont elle ne donnait pas le nom, avec lequel elle entretenait une relation. En juin 2021, Nâzim Boudjenah a été condamné à six mois de prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire pour menaces de mort et relaxé pour les violences aggravées. La plainte pour viol, elle, est toujours en cours d’instruction.

 

Surgi brutalement sur la scène culturelle française cet automne, soit quatre ans après celui du cinéma, le mouvement #MeTooThéâtre a fait l’effet d’une bombe. Les premiers témoignages visant la Comédie-Française ont immédiatement entraîné cinq mille commentaires. La parole des femmes s’est libérée. Alors, que se passe-t-il vraiment derrière le rideau ? Le théâtre – où il faut être « désiré » pour être distribué, mais où l’on est censé œuvrer à l’émancipation des citoyens – n’est-il qu’un terrain de chasse pour prédateurs sexuels.

 

« Il faut apporter de la nuance à cette lutte, sinon elle brisera la confiance entre les hommes et les femmes.»  Valérie Dréville, comédienne

 

Les plus jeunes générations, au fait des nouvelles luttes féministes centrées sur les violences sexistes, parlent de « culture du viol », quand d’autres, portées par le mouvement de libération sexuelle des années 1960-1970, sont plus mesurées. Jusqu’ici, à la Comédie-Française, où s’applique d’abord le droit du travail, aucune sanction disciplinaire ne peut être prise contre un pensionnaire avant l’aboutissement judiciaire. Dans une maison où se côtoient presque quatre générations, le débat est vif, semble-t-il, autour de cette révolution qui veut que « la peur change de camp ». Comme dans tout le milieu théâtral.

 

 

Judith Henry, 53 ans, raconte pourtant avoir trouvé refuge au théâtre à la fin des années 1990, en ralentissant des tournages de cinéma, commencés très jeune, où elle s’était sentie « comme une proie ». Alors qu’elle n’a rien dit au moment de #MeTooCinéma, la comédienne a choisi de parler aujourd’hui pour soutenir les lanceuses d’alerte du théâtre. Car il n’est pas si simple, selon elle, de témoigner sur de tels sujets. Comme du chantage sexuel, par exemple, imposé par certains hommes aux manettes : des « si tu couches pas, t’as rien », lancés par un metteur en scène à une interprète ou par un directeur de théâtre à une metteuse en scène en quête de financement. Les témoins sont unanimes : « En parler provoque la honte et expose, parfois, à des représailles durables. »

Souvent rouée de vrais coups

Autrice-metteuse en scène dont les premiers spectacles évoquaient, dès 2011, la cause des femmes, Pauline Bureau, 41 ans, sait pourquoi elle n’est plus comédienne. Peu avant de passer à l’écriture, elle avait joué le rôle d’une jeune fille piégée par deux proxénètes. Les seins souvent à l’air, seule face à une équipe entièrement masculine et à un metteur en scène bien plus âgé, elle se retrouvait souvent rouée de vrais coups. « Je me suis battue sur l’échancrure de la culotte, ai refusé dans une scène de la retirer, signalé à l’acteur qu’il m’avait plusieurs fois démis l’épaule. Celui-ci en était désolé, mais ça recommençait : la violence n’était pas cadrée. Quand on est jeune, on ne sait rien. J’ai appelé, en larmes, une actrice expérimentée. Sur ses conseils, j’ai alerté l’équipe, personne ne m’a entendue. » La violence faite aux femmes dans le milieu théâtral est-elle à ce point « systémique » ? « Oui ! Sur fond de patriarcat, le milieu était aveugle. » La metteuse en scène Pauline Bayle, 35 ans, qui prendra en janvier la direction du centre dramatique national de Montreuil, pense de son côté que le changement est déjà à l’œuvre « car le système pyramidal qui affirmait la domination du metteur en scène s’est affaibli grâce à l’arrivée des collectifs et des femmes », mais il se fera en profondeur « lorsque la justice elle-même sera réformée, et mettra fin au cycle de violences sexuelles et sexistes au sein de la société ». La pression (y compris homosexuelle) peut venir, d’ailleurs, de tous sur les plateaux : acteurs, techniciens, producteurs…

Toujours les mêmes affaires

En attendant, la discussion tourne toujours autour des mêmes affaires : Guillaume Dujardin, metteur en scène et ancien professeur à l’université de Franche-Comté, condamné en appel pour harcèlement, agression et chantage sexuels à quatre ans de prison, dont deux ferme ; Michel Didym, ex-directeur du centre dramatique national de Nancy soupçonné de viol, objet d’une enquête diligentée par le procureur ; entaché par une accusation de viol classée sans suite, le metteur en scène Jean-Pierre Baro, qui a démissionné, en décembre 2019, de la direction du Théâtre des Quartiers d’Ivry sous la pression des activistes.

 

On ne connaît pas avec précision l’ampleur des agressions. Depuis juillet 2020, le ministère de la Culture a tout de même fait quatre signalements à la justice dans le secteur public (concernant Michel Didym, notamment)… Dans le théâtre privé, rien n’est encore sorti. À la cellule d’écoute psychologique et juridique ouverte en juin 2020 par la Fesac (Fédération des employeurs du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma), soutenue par l’État et opérée par la mutuelle Audiens, on reste prudent. En quinze mois, une centaine d’appels ont été reçus, concernant cinéma et théâtre à égalité, pour des faits anciens ou récents, qualifiables ou pas. Pas négligeable, selon la cellule, si l’on compare avec d’autres secteurs. Néanmoins, #MeTooThéâtre n’a pas provoqué de vague : « Les plaignantes réfléchissent longuement avant d’appeler. On en verra les effets avec le temps.»  Le plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels lancé par Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, en novembre, les confortera sans doute : référent et formation obligatoire dans toutes les structures subventionnées, théâtres ou compagnies. En 2022, le respect d’un tel dispositif sera la condition d’accès aux subventions publiques, comme c’est le cas désormais dans le cinéma. Pour les scènes de nudité ou à caractère sexuel, une médiation sera nécessaire dès le début des projets.

 

La violence envers les femmes est-elle systémique ? « Oui ! Sur fond de patriarcat, le milieu était aveugle.»

Pauline Bureau, autrice, metteuse en scène

 

 

 

Y a-t-il un risque artistique à encadrer ainsi la création ? Les trentenaires répondent qu’il n’y a « aucun danger à se sentir en sécurité pour créer ! ». Pourtant, beaucoup d’artistes s’affolent en off des « oukazes moralistes » postés sur Instagram. Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, vingt-sept ans de maison, assume son désarroi. Si elle admire ces éclaireuses « qui, enfin, inversent le focus et parlent du consentement des femmes et non plus du désir des hommes », elle se méfie aussi « de la face obscure du mouvement ». Il faut prendre garde, selon elle, à ce que la parole des femmes ne se transforme « en censure ». Quand la première de Mère, de Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre national de la Colline, est menacée parce qu’il invite Bertrand Cantat (condamné pour les coups mortels portés à sa compagne Marie Trintignant) à créer la bande-son de son nouveau spectacle, elle désapprouve : « Quelles que soient nos opinions personnelles, la justice est passée. Le choix de Mouawad est cohérent avec son œuvre et celui-ci doit être respecté. »

 

Ce jour-là, la Colline a évité de peu le blocage par une vingtaine d’activistes traitant le public de « complice » et réclamant le retrait du spectacle de son directeur comme de celui de Jean-Pierre Baro, programmé dans la saison. « Depuis le début, on ne voulait pas se faire “rattraper” par l’affaire Cantat de peur que cet autre sujet n’éclipse tout le reste, se désole l’autrice-metteuse en scène Julie Ménard, 37 ans, cofondatrice de #MeTooThéâtre. Nous n’avons pas appelé au boycott et nous n’y étions pas ce soir-là, mais un hashtag appartient à tout le monde. C’est incontrôlable : s’y exprime qui veut. On aurait peut-être dû choisir un autre nom… Car nous voulons à tout prix faire avancer la cause. » Sauf que, le matin même, sur Twitter, Marie Coquille-Chambel avait d’avance fustigé les journalistes susceptibles de couvrir la première. Le soir même, elle était devant le théâtre. En son nom propre ?

Vers une scission dans le milieu ?

Fondatrice de collectif théâtral devenue directrice du TGP de Saint-Denis, Julie Deliquet, 41 ans, craint avec tristesse une scission dans le milieu : « La division se dessine à propos du “moment d’après”, quand la justice ne peut pas passer, faute d’éléments suffisants, et que la rumeur continue en sous-main. Que fait-on alors ? De mon point de vue, il ne faut pas laisser retomber la pression, alors s’il ne s’agit pas d’interdire, les inquiétudes doivent pouvoir s’exprimer. »

« On est sur un bateau qui tangue », confie à son tour la comédienne Valérie Dréville, 59 ans, qui a travaillé avec les plus grands du théâtre français. Elle ne voudrait pas que la colère exacerbée s’installe : « Apporter de la nuance à cette lutte est nécessaire, sinon elle brisera la confiance entre les hommes et les femmes. Ce serait grave, surtout pour les jeunes, et d’autant plus paradoxal que le théâtre est, par définition, l’endroit où l’on dépasse les questions de genre. C’est sur scène que je me sens le moins « femme » tel que la société le définit. Car j’y convoque à la fois ma féminité, ma masculinité et mon « neutre »… pour approcher de ma simple humanité. »

 

Cellule d’écoute psychologique et juridique : 01 87 20 30 90.
violences-sexuelles-culture@audiens.org

 

Emmanuelle Bouchez / Télérama

 

 

Dans le même numéro de Télérama : 

 

 

Après #MeTooThéâtre, les femmes ont encore du pain sur les planches           Enquête de Sophie Rahal 

 

À l’heure de #MeTooThéâtre, un Conservatoire pas si conservateur          Enquête de Mathilde Blottière

 

 

 

 

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November 28, 2021 9:12 AM
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L'île d'or au Soleil - AgoraVox le média citoyen

L'île d'or au Soleil - AgoraVox le média citoyen | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Orélien Péréol dans Agoravox - 26 nov. 2021

 

 

D’Ariane Mnouchkine Une création collective du Théâtre du Soleil, en harmonie avec Hélène Cixous

Pour le générique complet : 

Depuis deux ans, Ariane Mnouchkine et sa troupe multinationale du Théâtre du Soleil ont préparé ce spectacle et ne l’ont montré que lorsque le public pouvait se rassembler sans trop de contraintes.

Comment échapper au covid et aux tourments qu’il nous occasionne ? Cornélia a sa façon de faire : trouver une île pour y rêver-créer-diriger un spectacle. Cette île est japonaise. Nous sommes dans ce rêve, nous voyons ce spectacle.

Divers lieux, avec leurs ambiances, avec leurs problèmes, leurs souffrances, leurs « mœurs », leurs modes de lutte, résistance… circulent rapidement. Chaque situation critique est jouée par des comédiens ou des compagnies du pays concerné… la lutte pour la démocratie d’Hong-Kong, par La démocratie, notre désir troupe de Hong-Kong ; les exilés afghans par La diaspora des abricots, troupe afghane en exil ; le conflit israélo-arabe traité de façon comique, par Le grand théâtre de la paix, troupe proche-orientale… Il y a deux étranges Français, nus, la troupe Paradise Today (nom bien français comme il se doit) c’est-à-dire revêtus d’une combinaison couleur peau, avec des sexes cousus par-dessus. Ils font rire, je n’ai pas bien perçu ce qu’ils faisaient, quelle histoire ils racontaient.

Les comédiens viennent installer les espaces théâtraux nécessaires avec des praticables à roulettes : un jacuzzi, une librairie, un théâtre de marionnettes, un hôtel… D’autres éléments de décors proviennent des tissus symbolisant la mer et sa houle, des dromadaires, des cerisiers en fleurs, le volcan Fuji, une voiture décapotable roulant dans la steppe, un hélicoptère (pour la fuite de Carlos Ghosn, ici déguisé en geisha)…

L’île est la métaphore du théâtre, qui (hormis le théâtre de rue, peut-être) est une boite fermée, de lumières artificielles et « parlantes », et cette clôture a pour fonction de dire le monde. Rien de mieux qu’une île pour rassembler le monde entier sans trop s’imposer pas son soi-même, par sa culture. Rien de mieux qu’un lieu isolé pour ressembler au monde en son entier.

La langue est traitée d’une façon assez bizarre, les verbes sont rejetés à la fin des phrases. Il n’y est pas dit : « j’ouvre la porte pour te faire entrer » mais « la porte pour te faire entrer j’ouvre ». C’est assez déroutant, on comprend malgré tout ce qui se dit, cette transposition grammaticale semble liée à la langue japonaise. Beaucoup de passages sont dans diverses langues, sur-titrées, on manque de savoir à quel moment lever les yeux pour lire.

 

Les visages sont couverts d’un masque souple qui autorise une certaine expression du visage tout en rapprochant les comédiens et leurs personnages de la forme marionnette.

 

L’île d’or a l’allure d’une revue de presse : et là, et là, que se passe-t-il ? qui va mal ? Il manque une idée directrice.

 

Le lien, comme dans la chambre en Inde, se fait par Cornélia : femme aux cheveux blancs, double d’Ariane Mnouchkine, là, elle erre sur un lit d’hôpital à roulettes, avec un soignant à ses côtés.

L’autre lien est dans l’action d’une maire qui se bat contre un projet immobilier et pour le maintien d’un festival. Un affairiste brésilien veut construire un hangar pour faire un casino… menaçant l’équilibre ancestral et la vie des pêcheurs.

Sans doute trop modélisé sur La chambre en IndeL’île d’or manque de fond. Il y a trop de dispersion et des contenus plutôt faibles, proches de ce que l’on pense quand on ne pense à rien. On y voit trop la fatigue de la répétition, même variée.

On peut dire, à l’inverse, que c’est un moment de théâtre pur, de par la diversité des décors, situations, personnages, des registres, par les scènes qui jouent le démontage du théâtre comme celle où le dromadaire se casse sur scène, montrant son mécanisme comique.

 

Comme au Music-Hall ou au cirque, il y a beaucoup à voir et à entendre, beaucoup de spectaculaire, pour un sens, malheureusement, assez léger.

 

Orélien Péréol - AgoraVox

 

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November 18, 2021 7:39 AM
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Théâtre : les pièges et le trésor de « L’Ile d’or », d’Ariane Mnouchkine

Théâtre : les pièges et le trésor de « L’Ile d’or », d’Ariane Mnouchkine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 Par Brigitte Salino / Le Monde du 18/11/2021

 

Au Théâtre du Soleil à Paris, le nouveau spectacle dirigé par la metteuse en scène et directrice du lieu peine à convaincre malgré des images de toute beauté.

 

Enfin le bateau a accosté à son île. Le bateau, c’est la troupe du Soleil, l’île, c’est L’Ile d’or, son nouveau spectacle. Cette île n’existe pas, sauf par la magie du théâtre qui l’a vue naître après une longue gestation, pendant la pandémie. Ariane Mnouchkine a pris son temps, et elle a attendu que le public puisse revenir sans contrainte de jauge pour le lui présenter. Comme toujours, elle est là, magnifique, à l’entrée où elle prend les billets et souhaite la bienvenue aux spectateurs. Il faut le dire et le redire : aucun théâtre ne sait accueillir comme le Soleil, avec ses grandes tablées où l’on mange dans un décor qui change selon les créations. Cette fois, ce sont des lampes blanches et les lions de Hokusai, japonais, comme la nourriture. Le quotidien s’éloigne et le théâtre se glisse ainsi dans les corps et les esprits, avant d’entrer dans la salle où nous attend L’Ile d’or.

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Car elle nous attend, comme l’utopie indomptable qui guide Ariane Mnouchkine : que le théâtre soit une métaphore du monde. Et qu’il soit, avec ses sortilèges. Unir les deux, telle est la question. L’Ile d’or la pose, sans la résoudre vraiment. Au départ, il y avait le projet du Soleil d’aller répéter en mars 2019 à Sado, une île du Japon où de nombreux artistes furent exilés, et devenue un haut lieu de culture. Ariane Mnouchkine voulait revenir au Japon, où elle a fait en 1964 un voyage qui depuis guide sa vie dans l’art. Le confinement a stoppé net le projet, mais n’a pas écorné le désir du retour aux sources. A la Cartoucherie, la troupe a travaillé le nô et sa forme comique, le kyôgen. Et elle s’est livrée à des mois d’improvisation, sans savoir précisément ce qu’il en ressortirait, sauf sur un point : il n’était pas question de faire un spectacle sur le confinement et la pandémie.

 

 

Pourtant, ils sont là, ne serait-ce qu’à travers la femme qui, du début à la fin, donne du liant au spectacle. C’est une femme aux cheveux blancs, sur un lit d’hôpital. Elle délire, croit qu’elle est au Japon, fait des cauchemars sur l’état du monde. Difficile de ne pas voir cette femme comme un touchant double de scène d’Ariane Mnouchkine, qui s’interroge sur la façon dont le Covid-19 l’a travaillée, comme il l’a fait pour tout le monde. Elle ne le sait pas, il faudra du temps pour le savoir, mais en attendant, la Terre tourne, et c’est ce mouvement qui s’invite sur l’île où une maire se bat contre un projet immobilier menaçant l’équilibre ancestral et la vie des pêcheurs. Voilà pour la trame du spectacle qui joue à saute-ruisseaux, et partant de l’île, embrasse les questions d’aujourd’hui, des réfugiés afghans au Brésil mortifère de Jair Bolsonaro, en passant par le conflit israélo-palestinien.

 

Langue inventée

On voyage beaucoup au Soleil, où l’on entend du russe, du chinois, du portugais, de l’hébreu… et une langue inventée par la troupe : du français dit lointainement à la japonaise, en mettant les verbes à la fin des phrases (« Le temps, ici, toujours changeant est »). Cette langue ne choque pas l’oreille, au contraire. Puisque, comme le dit la dame, nous sommes « au Japon, mais pas tout à fait au Japon », tout est possible. Ariane Mnouchkine ne se prive pas de cette liberté, au risque de tomber dans un piège : elle met bout à bout des séquences qui peinent à faire un tout, et pèchent par un propos, certes joyeux dans sa forme comique inspirée du kyôgen, mais qui gagnerait à être plus fouillé : il est trop simpliste.

 

 

Cependant, il y a un trésor sur L’Ile d’or : la force du théâtre et la croyance en sa force. Elles s’expriment dans des images de toute beauté – tempête de mer ou de sable, cerisier en fleurs dans la nuit, volcan au lointain… –, dans des changements de décor magiques, des entrées et sorties orchestrées comme des ballets, des comédiens unis comme les doigts d’une main. A la fin, ils rejoignent tous la dame, sur un tapis de vagues bleues et blanches, pour saluer avec leurs éventails. Alors les spectateurs applaudissent, et Ariane Mnouchkine vient devant le plateau, sur le côté. De la voir, le cœur se serre d’émotion : contre vents et marées, entre bons et moins bons spectacles, Ariane Mnouchkine, c’est le théâtre et son utopie.

 

 

L’Ile d’or, une création collective du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine. Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e. Du mercredi au vendredi, à 19 h 30 ; samedi, à 15 heures ; dimanche, à 13 h 30. De 15 € à 35 €. Durée : 3 h 30.

 

Brigitte Salino / Le Monde

 

Lire aussi :  Ariane Mnouchkine, « J’ai toujours l’impression que l’art du théâtre me fuit »

 

 

Légende photo : « L’Ile d’or », création collective dirigée par Ariane Mnouchkine, le 5 novembre 2021, au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes (Paris 12e). Photo MICHÈLE LAURENT


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November 6, 2021 7:33 PM
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A Bright Room Called Day….Une chambre claire nommée jour, de Tony Kushner, mise en scène de Catherine Marnas.

A Bright Room Called Day….Une chambre claire nommée jour, de Tony Kushner, mise en scène de Catherine Marnas. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 5 nov. 2021

 

A Bright Room Called Day….Une chambre claire nommée jour, texte de Tony Kushner, traduction de Daniel Loayza, mise en scène de Catherine Marnas.

 

L’œuvre de Tony Kushner revient sur les scènes françaises avec un véritable engouement, rehaussée d’une urgence tonique puisqu’elle a l’audace de parler de notre temps présent, mettant au jour, en passant, nos actualités déconcertantes.

En 1994, Brigitte Jaques créait en France au Festival d’Avignon Angels in America, un drame fleuve (1991) de Tony Kushner, adapté en mini-série et dont la pertinence sociologique et artistique propulsait l’auteur sur toutes les scènes internationales.

Quelques vingt-cinq ans plus tard et même un peu plus, le cinéaste Arnaud Desplechin monte aujourd’hui au théâtre Angels in America à la Comédie-Française.

 

Antérieure à Angels in America, la pièce que monte Catherine Marnas, directrice du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine et directrice de l’étsba – Ecole supérieure de théâtre Bordeaux-Aquitaine -, A Bright Room Called Day… Une chambre claire nommée jour, date quant à elle, de 1984, étrangement pertinente, politiquement.

 

 

Elle est traduite en français par Daniel Loayza pour une première mondiale de la nouvelle version car Tony Kushner évoque, dès 2019, la figure de Donald Trump, réactualisant le propos initial en remplaçant le nom de l’ancien acteur président Reagan par celui du nouvel animateur de téléréalité devenu chef de gouvernement.

La mise en scène de Catherine Marnas joue du réalisme et de l’onirisme, de la petite et grande Histoire, de Hitler à Donald Trump, tissant des liens d’une époque à l’autre.

 

 

Un soir de Nouvel An 1932, dans une fête, des jeunes gens issus de milieux artistiques « éclairés et avisés », des actrices, un réalisateur de cinéma, prennent de haut l’ascension fulgurante de Adolf Hitler, un pantin, une caricature qui échouera…

Les espace-temps sont superposés, les périodes historiques sont données à voir de front et de manière simultanée puisque la maîtresse de cérémonie de ce show théâtral n’est autre qu’une jeune femme « anarcho-punk », micro en main, et qui chante à l’occasion, mais qui surtout explique et déplie l’Histoire en proposant au public une série de photos emblématiques de la période qui va de 1928 à 1938.

 

Déroulant patiemment une Histoire inavouable, la narratrice, new-yorkaise contemporaine, associe Reagan à Hitler, un raccourci dont on fera grief à l’auteur.

Sophie Richelieu, stature élancée et moulée dans un pantalon de cuir éloquent, est hissée encore sur des talons hauts, en phase avec son temps, décidée et ironique.

L’interprète mène la danse, sûre de sa démonstration historique, pleine de colère.

Des clichés en noir et blanc qui font froid dans le dos, sont suspendus, des photos sur un écran longitudinal placé haut  : saluts hitlériens, le portrait du Führer qu’on accroche partout, des cris de foule silencieux qu’on peut entendre en les imaginant.

L’auteur et la metteuse en scène partagent cette vision de « glissements progressifs », propres aux démocraties, vers des valeurs d’extrême-droite.

 

Et ces glissements, ces dérives, ces lâchetés ou ces semi-consentements ne concernent pas toujours les « autres », mais tous, autant que nous sommes, légers et changeants, tels certains anciens socialistes allemands alors passés au nazisme.

Les divisions de la gauche allemande, raconte-t-on, ont favorisé l’arrivée de Hitler au pouvoir, alors que le mouvement communiste berlinois était sous la férule soviétique.

 

Le 30 janvier 1933, Hitler devient chancelier, en pleine Grande Dépression : le fascisme n’est pas qu’un épouvantail qu’on brandit pour faire peur, une menace, une Apocalypse, il participe de notre non-engagement quotidien, pleutre et pusillanime.

Gurshad Shaheman – double de l’auteur Tony Kushner – pénètre sur la scène et s’adresse au public, comme à la chanteuse au micro, expliquant pourquoi il voudrait bien changer tel passage dans le drame ou bien introduire telle variante significative.

Entre la scène et la salle, le plateau et les rangées de spectateurs, il attend, efficace.

 

Tonin Palazzotto est un diable de théâtre, une performance métaphorique du Mal.

Agnès Ponthier, militante communiste, est convaincante, camarade fidèle à un mouvement d’obédience sincèrement collective, belle résistante prenant des risques.

Bénédicte Simon qui joue la Vieille et une militante communiste est dévolue à la scène, mimant l’engagement politique ou hurlant les exactions et horreurs commises.

 

Les comédiens Simon Delgrange – celui-ci interprète aussi un militant communiste -, Annabelle Garcia et Yacine Sif El Islam, incarnent des jeunes gens de leur temps, attirés par l’éclat d’une réussite personnelle, mais vivant mal en leur for intérieur les garanties politiques douteuses qui leur sont réclamées en échange, traîtres à eux.

 

Quant à Julie Papin – Agnès -, elle porte en elle l’authenticité de ces mêmes repères de démocratie occidentale, sympathisante communiste qui cède son appartement aux camarades devenus clandestins, aimant son pays et ses amis, et ne voulant pas fuir Berlin – ville alors symboliquement ouverte -, à la différence de ceux-ci fuyant, par obligation, le nazisme pour telle appartenance politique, juive, homosexuelle.

 

Nouvelle Antigone des temps obscurs, elle dit « Non » et résiste sur place, ne pouvant ne plus croire à ce qui l’a toujours fait tenir debout – sa foi existentielle en l’être. L’actrice émouvante et tenace accorde à sa figure emblématique force et aura.

 

 

Véronique Hotte

 

Les 18 et 19 novembre 2021 TNBA au Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine (Garonne). Du 23 novembre au 5 décembre 2021, du mardi au samedi à 20h30, dimanche 5 décembre à 15h, relâche les 28 et 29 novembre au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt,  75008 – Paris. Tél : 01 44 95 98 00. Le 8 décembre au Nest- CDN Transfrontalier de Thionville Grand Est (Moselle). Les 14 et 15 décembre 2021 à la Comédie de Caen – CDN de Normandie (Calvados). Du 4 au 6 mai 2022 au Théâtre Olympia, CDN de Tours (Indre-et-Loire).

 
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November 4, 2021 7:31 PM
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Théâtre : le « Tartuffe » lunaire de Macha Makeïeff

Théâtre : le « Tartuffe » lunaire de Macha Makeïeff | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 4 nov. 2021

 

Présentée à La Criée de Marseille, avant une tournée nationale, la formidable pièce de Molière, transposée dans les années 1960, a du mal à accrocher le spectateur.

 

Les Tartuffe sont partout, depuis quelques années. La pièce de Molière, formidable machine de guerre contre les faux dévots et l’hypocrisie, n’en finit plus de séduire les metteurs en scène. Il est vrai que les chefs-d’œuvre de ce calibre ne sont pas si nombreux dans notre patrimoine national, et que la pièce peut renvoyer à bien des préoccupations contemporaines.

 

Aujourd’hui, c’est Macha Makeïeff qui, en son Théâtre de la Criée, à Marseille, livre sa vision de Tartuffe, laquelle arrivera, en décembre, au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, avant de tourner tout au long de la saison. Et, dès le lever de rideau, on reconnaît la patte de la metteuse en scène et plasticienne dans le superbe décor années 1960, aux couleurs acidulées, qu’elle a imaginé pour la pièce.

Et dès le lever de rideau, ou presque, on voit aussi que quelque chose ne fonctionne pas, derrière la jolie façade du salon design d’Orgon, ce bourgeois bien tranquille tombé sous l’emprise de Tartuffe, au point de tout lui abandonner : sa femme, sa fille, ses biens et sa maison. C’est comme si Macha Makeïeff n’arrivait pas à attraper la pièce, et à guider ses comédiens dans un sens précis. Des comédiens qui jouent de manière inégale, et dont certains, notamment Jin Xuan Mao dans le rôle-clé de Cléante, ont du mal à se mettre en bouche la langue de Molière, rendant certains passages incompréhensibles.

Sens du burlesque

Le spectacle n’est pas désagréable, il est, par moments, porté par le sens du burlesque de Macha Makeïeff, mais il n’accroche pas, restant, dans le fond, assez terne, sans pousser les curseurs ni de la noirceur ni du comique de la pièce. On peine à déceler la raison qui a poussé la directrice de La Criée à monter Tartuffe. Si l’on en croit les documents qui accompagnent la représentation, c’est notamment la question de l’emprise, de la prédation, du consentement, qui l’a intéressée, mais sans que ces enjeux s’incarnent réellement.

 

Qui est Tartuffe ? Difficile à dire, au vu du personnage assez lunaire que compose Xavier Gallais. Une sorte de gourou, organisant des messes noires sous l’œil de corbeaux empaillés ? Certes, et cela a été maintes fois souligné, le faux dévot est avant tout une surface de projection, un révélateur des névroses de la famille d’Orgon, son protecteur. Mais encore faut-il que le personnage existe, théâtralement parlant.

 

 

C’est d’autant plus dommage que Macha Makeïeff avait signé, en 2015, un réjouissant Trissotin ou Les Femmes savantes, où se réunissaient ses talents pour la composition visuelle et le burlesque à la Tati, et une lecture finement féministe de la pièce. Ce regard, on le retrouve dans le traitement du personnage d’Elmire, que joue avec une forme de liberté désespérée, et beaucoup de piquant, Hélène Bressiant. De même que l’on retrouve l’amour de Makeïeff pour les personnages secondaires et muets, comme la bonne Flipote, interprétée par Pascal Ternisien en un joli clin d’œil aux Deschiens. Mais ces petites touches ne suffisent pas, et Molière part dans le décor.

 

 

Tartuffe, de Molière. Mise en scène : Macha Makeïeff. Théâtre de la Criée, à Marseille. Jusqu’au 26 novembre. Mardi, jeudi, vendredi et samedi à 20 heures, mercredi à 19 heures, dimanche à 16 heures,. De 10 € à 25 €. Puis à Paris, au Théâtre des Bouffes du Nord, du 1er au 19 décembre, et en tournée de janvier à mai 2022, à Nice, Angers, au TNP de Villeurbanne, à Toulon, Rennes, Bayonne, Créteil, Amiens et Caen.

 

 

Fabienne Darge (Marseille, envoyée spéciale)

 

Légende photo : Elmire (Hélène Bressiant) et Tartuffe (Xavier Gallais), lors d’une répétition de « Tartuffe », de Molière, mis en scène par Macha Makeïeff, au Théâtre national de La Criée, à Marseille, le 30 octobre 2021. PASCAL GELY/HANS LUCAS

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October 17, 2021 6:49 AM
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Pierre Arditi : « J’ai mis toute ma vie dans ma valise d’acteur »

Pierre Arditi : « J’ai mis toute ma vie dans ma valise d’acteur » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Denis Cosnard dans Le Monde 17 octobre 2021

 

 

ENTRETIEN« Je ne serais pas arrivé là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de sa vie. Le comédien raconte avoir vécu son « premier choc de spectacle » aux Trois Baudet, où son père, peintre, réalisait des décors : « Il a fabriqué l’artiste, ma mère a fabriqué l’homme. »

 

Entretien. A 76 ans, Pierre Arditi enchaîne les projets. Tous les soirs, il joue avec son épouse Evelyne Bouix Fallait pas le dire !, de Salomé Lelouch, au Théâtre de la Renaissance, à Paris. D’autres pièces sont prévues en 2022 et 2023. Au cinéma, il sera en octobre à l’affiche du Trésor du Petit Nicolas, de Julien Rappeneau, en décembre dans le nouveau film d’Yvan Attal, Les Choses humaines, puis dans La Scala, de Bruno Chiche, et dans Adieu Paris !, d’Edouard Baer.

Je ne serais pas arrivé là si…

Si Les Trois Baudets n’avaient pas existé. Cette salle parisienne du boulevard de Clichy avait été créée à la fin des années 1940 par Jacques Canetti, un cousin de mon père. Parfois, mon père, qui était peintre, faisait des décors pour les spectacles des Trois Baudets, comme Hifi de François Billetdoux. Et nous les enfants − ma sœur Catherine et moi −, nous étions invités à découvrir les nouvelles revues. C’est ainsi que j’ai vu débuter Jacques Brel, avec sa tête étrange et ses grandes dents, Guy Béart, Catherine Sauvage, Félix Leclerc, Yves Robert, Raymond Devos ou encore Serge Gainsbourg, sapé comme un prince, dans un costume gris clair, avec des pompes en daim, totalement atypique.

Tout cela m’a ébloui. Les Trois Baudets ont été mon premier choc de spectacle. J’étais impressionné par la petite scène : ah, quand on monte sur cette estrade et qu’on fixe le public, on est regardé !, me disais-je. Ce qui me fascinait, c’était d’être regardé, reconnu par les autres. Déjà…

D’où venait cette soif de reconnaissance ?

D’une absence de confiance en moi. J’étais un enfant adoré, heureux. Pourtant, il me manquait quelque chose. J’étais extraverti, mais c’était pour vaincre une timidité maladive. Je ne me plaisais pas.

Fasciné par le music-hall, vous auriez pu devenir chanteur ou musicien…

Mon père voulait que nous soyons artistes. Cela aurait pu donner des peintres ou des musiciens, en effet. Pendant un moment, mes parents ont d’ailleurs pensé qu’ils avaient mis au monde un nouveau Mozart. Leur ami [le pianiste] Jean Casadessus est venu à la maison m’écouter jouer la Petite musique de nuit. Il a trouvé que c’était pas mal, mais qu’il fallait d’abord que j’apprenne le solfège. Une dame est venue me l’apprendre. Au bout de dix jours, j’ai hélas refermé le piano. Dommage… Surtout, j’ai vite découvert le théâtre.

Comment ?

Mon père nous emmenait à la Comédie-Française, et Robert Hirsch est devenu notre idole. Ma sœur et moi connaissions ses répliques par cœur. Et puis, Devos, Carmet, Ricet Barrier et bien d’autres copains de mon père venaient dîner à la maison. Ces soirs-là, mes parents ne nous envoyaient pas au lit. Ils pensaient important que nous participions à cette vie, à ces conversations qui nous enrichissaient. J’ai d’ailleurs reproduit ça avec mon fils, Plouffy, qui a 52 ans aujourd’hui. Il est devenu peintre, comme son grand-père.

 

 

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Avant de devenir acteur, vous avez pourtant travaillé dans les assurances…

J’étais obnubilé par l’idée que mes copains de classe pouvaient partir le week-end dans leur maison de famille, en DS 19 ou en Peugeot 404, alors que nous, nous prenions le métro. Mon père, qui était un phare pour moi, ne ressemblait pas à ceux des autres. Je me suis dit : je serai celui par qui l’argent entrera dans la maison. Nous aurons une résidence secondaire, nous aussi. De toute façon, je ne pensais pas pouvoir être acteur. J’avais peur de me colleter à ce qui allait devenir ma vie. Je me suis donc réfugié aux Assurances générales, sous les engueulades de mon père et de ma sœur. Pour eux, c’était comme si je couchais avec des nazis ! Pendant un an, moi, le fils d’intellectuels de gauche fauchés, j’ai ainsi découvert le monde du travail, le vrai. Puis, je me suis fait un peu plus confiance, et je me suis souvenu à quel point la scène des Trois Baudets était ce dont je rêvais secrètement. Quand ma sœur m’a traîné dans le cours de théâtre de Tania Balachova, j’ai accepté.

Qu’avez-vous retenu de son enseignement ?

Je comprenais ce qu’elle disait, qu’il fallait utiliser sa propre vie pour incarner un autre qui n’est pas tout à fait soi, selon la méthode de Stanislavski [comédien, metteur en scène et professeur d’art dramatique russe, mort en 1938]. Mais je ne voyais pas comment y arriver. J’ai commencé par imiter les acteurs que j’aimais : Pierre Brasseur, Robert Hirsch, Claude Rich… Il m’a fallu des années pour, à 32 ans, toucher enfin du doigt qui j’étais, et pouvoir l’utiliser sur scène.

Comment le déclic s’est-il produit ?

Dans la douleur. Une femme dont j’étais très amoureux m’a quitté. Je me souviens avoir marché sur le boulevard de Clichy juste après, un samedi soir, au milieu de la foule. Je n’entendais plus aucun son. J’ai pensé : j’en ai assez, je suis fatigué. J’ai avalé un cocktail d’alcool et de médicaments bien dosé, pour ne pas me réveiller. J’ai failli y passer. Quelques semaines plus tard, alors que j’étais encore convalescent, on m’a proposé de jouer Rosencrantz et Guildenstern sont morts, de Tom Stoppard. Nous répétions, les personnages étaient ballottés sur une coquille de noix, dans l’océan, et, en tant que Rosencrantz, j’ai prononcé le texte : j’en ai assez, je suis fatigué.

 

 

« On va chercher dans les marécages pour nourrir cet autre qu’il faut incarner. »

 

 

Exactement les mêmes mots ! Cette phrase est venue se coller comme un calque sur ce que j’avais vécu. L’émotion m’a submergé. Soudain, inconsciemment, j’ai mis au service du personnage ce qui m’était arrivé de plus intime. Se servir de soi, c’est cela. On va chercher dans les marécages pour nourrir cet autre qu’il faut incarner. On me paye, et quelquefois assez cher, pour sortir de moi-même tout cela, tout ce que la majorité de mes congénères s’ingénie à enfouir. Un véritable acteur, ça pue, c’est infréquentable. Mais c’est beau.

Chaque jour, vous puisez donc dans votre histoire…

Chaque jour. Pas forcément de la douleur, d’ailleurs. Si je joue un personnage heureux, je vais me revoir faisant pour la première fois du vélo sans petites roues, avec la joie de foncer comme un dératé, comme un petit poulet que je suis encore parfois. Chaque acteur a une valise dans laquelle il met ce qu’il veut. J’y ai mis toute ma vie, et quand je joue, je vais chercher au plus profond : des petits morceaux de mon enfance heureuse, ou, s’il faut se déchiqueter l’âme, la sensation que mon père et ma mère meurent. Je passe ma vie à les faire mourir !

Votre père était un juif d’origine gréco-espagnole et votre mère, une Wallonne. Vous vous sentez juif ?

Aux yeux de la religion, je ne le suis pas, puisque ma mère ne l’était pas. Mais je ne suis pas sûr qu’en 1942, cela aurait fait beaucoup de différence. Et puis, ma mère catholique était plus juive que tous les juifs que j’ai connus. Mes parents s’étaient rencontrés à Aurillac, dans une pension, pendant la guerre. Mon père est tombé violemment amoureux de ma mère, qui était là avec ses parents. Quand elle est repartie chez elle, il a traversé la France puis la Belgique, au risque de sa vie, pour la retrouver : je ne peux pas vivre sans vous, lui a-t-il dit. Il l’a ramenée en France.

Ensemble, ils ont voulu franchir la ligne de démarcation avec un passeur. Il neigeait. Les lacets de mon père ont lâché. Il portait ma mère sur ses épaules. Une patrouille allemande avec des chiens les a repérés alors qu’ils étaient à quelques centaines de mètres de la ligne. Ils ont réussi à passer en zone libre, et la patrouille s’est arrêtée. Trois ou quatre fois comme cela, il a réussi à passer au travers du filet, alors qu’il aidait des Résistants à fabriquer des faux papiers… Son frère, lui, est mort en déportation. Donc oui, j’ai beau avoir été baptisé, avoir fait ma communion privée, j’ai été élevé dans une famille juive, et je me sens juif. Un juif laïc, athée et mystique à la fois : je ne crois pas en Dieu, mais je n’en suis pas sûr…

Vous parlez de vos parents comme d’une famille idéale. Pourtant, votre père était un « cavaleur », selon son propre mot ?

Il n’était pas un cavaleur, il avait inventé le concept ! Dès qu’un homme trompait sa femme, il touchait des royalties… Il a passé sa vie à aller voir ailleurs, et il a fait souffrir ma mère. Pourtant, il l’a toujours aimée. Elle a été sa maîtresse, son épouse, sa confidente, sa meilleure amie, la seule à pouvoir l’écouter raconter ses projets irréalistes et à l’encourager. Le jour où elle est morte, il a pris vingt ans, et il est devenu un vieux monsieur aux cheveux blancs.

Au total, mes parents ont chacun joué leur rôle dans ma construction : mon père a fabriqué l’artiste, ma mère a fabriqué l’homme. Elle m’a dit : un homme, ça pleure. Tu dois pouvoir pleurer, sans culpabilité. C’est elle aussi qui, alors qu’à 7 ans, je l’interrogeais sur la mort, m’a répondu : c’est comme quand on dort, sauf qu’on ne rêve pasCela m’a terrorisé. Depuis, je m’assoupis seulement trois heures par nuit.

Vraiment ?

J’ai connu une seule personne plus insomniaque que moi : Barbara. Cette comète est passée dans ma vie durant quelques semaines. Elle, elle ne dormait pas du tout.

Après des débuts au théâtre à Lyon, vous décrochez, fin 1967, un premier rôle pour la télévision, dans l’émission « En votre âme et conscience ». La célébrité est arrivée tôt ?

Cette première télévision m’a fait connaître. Certains me reconnaissaient dans la rue. J’ai même reçu une lettre de félicitations de François Truffaut. Puis Mai-68 a tout stoppé, tout balayé. Quand l’activité est repartie, les gens m’avaient oublié. J’ai dû faire de la figuration. Cela m’a évité d’attraper la grosse tête. Pendant une quinzaine d’années, j’ai fait du théâtre public, notamment avec Marcel Maréchal, mon père de théâtre. Puis, je suis passé côté privé, avec 3 lits pour 8, d’Alan Ayckbourn, Tailleur pour dames, de Feydeau, etc. Au cinéma, tout a redémarré avec L’Amour violé, de Yannick Bellon. Sans tous ces gens-là, Marcel Maréchal, Yannick Bellon, le réalisateur de télévision François Gir, et tant d’autres, je n’en serais pas arrivé là. Rien ne me serait arrivé…

Ensuite, cela ne s’arrête pas : Robert Enrico, Jean-Pierre Mocky, Gérard Oury, Jean-Paul Rappeneau, Arthur Joffé, Claude Lelouch, Costa-Gavras, Alain Resnais, Bruno Podalydès… Vous êtes boulimique ?

Pas du tout ! La boulimie est une maladie, une manière de se détruire. Moi, j’ai plutôt essayé de me bourrer la gueule avec tout ce qu’on me proposait. La vie n’est pas un don, mais un prêt : un jour, il faut le rendre. Il n’y a donc pas une minute à perdre. Je sais qu’un jour la Faucheuse me tordra le cou, mais d’ici là, elle va avoir du boulot… Mon seul plan de carrière, c’est mon désir. Pourquoi refuser des propositions intéressantes, même s’il faut tourner dans la journée, jouer à 19 heures, puis de nouveau à 21 heures ? J’étais si assoiffé de cinéma que j’aurais pu faire quelques choix plus judicieux, mais je ne regrette rien. Si j’avais dit non, je n’aurais jamais accepté Audience et Vernissage, de Vaclav Havel, par exemple, si bien que je n’aurais pas rencontré Alain Resnais, qui m’a repéré lors d’une représentation…

Alain Resnais, c’est un autre père, pour vous ?

Mon père de cinéma, oui. En trente-cinq ans, il m’a fait tourner dans onze films, dont L’Amour à mort, Smoking/No Smoking… Lui qui voulait être acteur a trouvé en moi une sorte de courroie de transmission, un peu comme Jean-Pierre Léaud pour François Truffaut. Il me disait : « Voilà un scénario. Vous pouvez le refuser, bien sûr, mais personne d’autre ne vous proposera ça… »

Dans la pièce que vous jouez actuellement, « Fallait pas le dire ! », vous interprétez un homme de gauche qui vote à droite. C’est vous ?

J’ai une mentalité de gauche même quand je vote à droite, dit mon personnage. Moi, l’ancien trotskiste, j’ai toujours voté à gauche, sauf deux fois, pour Chirac en 2002 puis Macron en 2017. Aujourd’hui, je suis désespéré devant ce que la gauche est devenue. Où est-elle ? Quelles idées porte-t-elle ? Je l’ai connue inventive, courageuse, je me suis retrouvé dans des figures de la carrure de Mitterrand, Badinter, Lang, Bérégovoy, Jospin. Où est la relève ? A présent, la gauche est éparpillée, anecdotique, incapable de proposer un espoir. Elle s’oppose de façon un peu aveugle, alors que le « quoi qu’il en coûte » a sauvé la vie à des millions de gens. Si la gauche se réveille, je lui serai fidèle. Je pourrais voter pour des gens comme Adrien Quatennens ou Clémentine Autain, de La France insoumise. Il reste tant à faire. Dans cette campagne, on entend des choses qui me révulsent, cette histoire de « prénoms français », par exemple. Et dans les gares, il y a toujours des pauvres portant des sacs avec des ficelles. Il faut se bagarrer pour eux !

 

 

 

« Fallait pas le dire ! », une pièce de Salomé Lelouch, mise en scène par Salomé Lelouch et Ludivine de Chastenet, avec Pierre Arditi, Evelyne Bouix et la participation de Pascal Arnaud, jusqu’à fin décembre, au Théâtre de La Renaissance, à Paris.
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October 8, 2021 10:27 AM
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Gisèle Vienne :  20 ans (de création), le bel âge

Gisèle Vienne :  20 ans (de création), le bel âge | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Patrick Sourd dans Les Inrocks - 7 oct. 2021

 

La chorégraphe, plasticienne et metteuse en scène a bâti une œuvre qui chronique les débordements et le spleen de la jeunesse. Le Festival d’Automne à Paris en propose une vision multifacette, entre exposition, rituels musicaux et tableaux vivants habités de mannequins.

 

Lui consacrant un “Portrait” à l’occasion de sa cinquantième édition, le Festival d’Automne à Paris offre à Gisèle Vienne l’opportunité de revenir sur quelques moments forts d’un parcours artistique qui représente vingt ans de créations. Avec une sélection de spectacles et une exposition, elle témoigne, à la croisée des disciplines, des cultures émergentes, des constructions de l’intime et des micro-sociétés nées des aspirations des nouvelles générations à s’inventer un ailleurs.

 

Autant de bulles de fiction où l’artiste franco-autrichienne se range sans ambiguïté du côté du désordre et de l’incompréhension impulsés par la jeunesse pour contrecarrer l’enfermement de la normalité et les étouffements du désir provoqués par l’ordre établi. Mixant en une seule matière la musique live, la danse, le théâtre et l’art de la marionnette, chacune de ses œuvres se réclame, à la manière de tableaux vivants, du plus dérangeant des réalismes pour nous faire basculer dans d’étranges rêveries qui bousculent les certitudes et interrogent le regard que nous portons sur le réel.

Épiphanie berlinoise

C’est entre deux langues et deux cultures que Gisèle Vienne a vécu cette période de l’adolescence, propice à toutes les remises en question et qui est devenue son cheval de bataille : “Ma mère est autrichienne, mon père est français, j’ai vécu mon enfance entre Grenoble et Fribourg, dans la Forêt-Noire. Puis, lorsque j’ai eu 17 ans, nous sommes partis pour Berlin, où j’ai passé mon bac. Ma mère est plasticienne, elle était très influencée par Hans Bellmer – on peut dire que j’ai grandi avec. Une amie avait un disque de Nina Hagen, j’ai développé très jeune une fascination pour les punks et les cultures alternatives.”

 

“À Grenoble, je regardais le Muppet Show, puis je fréquentais les expos d’art contemporain. Je me familiarisais avec les travaux d’Annette Messager, Christian Boltanski, Cindy Sherman, Mike Kelley : de grands chocs qui constituaient déjà un ensemble de références à l’univers des poupées que je développerai par la suite. En ce qui concerne la musique, la proximité de Genève faisait lien avec les musiques électronique, techno et expérimentale.”

 

“À Fribourg, il y avait aussi une vraie scène entre new wave, punk et techno ; à ce titre, partir pour Berlin a été une forme d’apothéose.” Car Berlin est la ville qui la fait fantasmer depuis toujours, et son père, professeur, réalise son rêve en obtenant un échange de poste. Ils s’installent dans le quartier de Mitte, en ex-RDA.

“Pour moi, Berlin était le monde enchanté des lesbiennes, des homos et des cultures alternatives. Cette période correspond à l’essor de la techno, de la scène américaine de Chicago et de l’effervescence des squats. J’y découvrais une scène musicale extraordinaire, et j’y ai fait des rencontres avec des gens incroyables. Côté architecture, il y avait ces clubs dans des lieux fabuleux, le mythique Tresor situé dans les sous-sols, la salle des coffres, du Wertheim Kaufhaus, ou très intimes, comme le Friseur, qui occupait un ancien salon de coiffure.”

“J’allais aussi au Berliner Ensemble et au Deutsches Theater. Sortir d’une représentation d’Hamlet-machine par Heiner Müller, avec la musique d’Einstürzende Neubauten, en n’ayant que quelques pas à faire pour aller danser sur de la techno hardcore au Bunker Club était quelque chose de prodigieux. J’ai longtemps travaillé la harpe. Je prenais des cours avec Marion Hofmann, la soliste de l’orchestre symphonique de Berlin Est et j’allais à la Philharmonie."

 

Un répertoire vivant

Lorsque la parenthèse berlinoise se referme, c’est à Paris, au lycée Fénelon, qu’elle poursuit des études de philosophie avant une licence menée en parallèle d’un cursus à l’École nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières. Quand elle présente ses premières créations, sa réflexion est nourrie de ce bagage d’expériences qui va lui permettre d’affirmer le point de vue si personnel qu’elle développe sur le plateau.

Le mois de septembre a été l’occasion de découvrir les deux dernières créations de Gisèle Vienne, L’Étang, d’après Robert Walser, avec les comédiennes Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez, dont la présentation fut retardée d’un an pour cause de pandémie, et Performance, une évocation fantomatique imprégnée par le temps arrêté de la crise sanitaire où chacun·e fut renvoyé·e à sa solitude.

Programmés d’octobre à janvier 2022, les quatre spectacles à venir relèvent d’une autre spécificité du travail de l’artiste, sa volonté de renouveler la notion de répertoire qui pour elle n’a rien de muséal. À travers les remises sur le métier de Showroomdummies (2001, cosigné avec Étienne Bideau-Rey), Kindertotenlieder (2007), This Is How You Will Disappear (2010) et Crowd (2017), elle s’attache à imprégner ses pièces du souffle d’un monde qui ne cesse de bouger pour poursuivre avec chacune d’elles le dialogue engagé avec le public.

“À travers l’écriture scénique et tous les médiums qui la composent, j’essaie de construire un langage formel qui me permet de déplier différentes strates qui constituent notre perception. Il s’agit de provoquer des déplacements perceptifs qui pourraient permettre d’entendre, de comprendre, du dicible à l’indicible, de l’audible à l’inaudible, du visible à l’invisible, et cela passe aussi par le corps, l’espace, la lumière et le son. Ces préoccupations sont au cœur de notre longue collaboration avec l’auteur américain Dennis Cooper.” 

“Mes pièces sont perméables au temps, au développement de nos propres pensées.”

Pour moi, il y a un enjeu politique central à questionner la perception et ses cadres, et à développer notre capacité à les déplacer à travers des formes renouvelées d’expression. Ce sont là les structures mêmes de l’ordre en place, souvent invisibilisées, qu’il s’agit d’envisager pouvoir changer. Mon travail se développe sur le long terme. Ce ‘Portrait’ permet de faire l’expérience de l’articulation entre mes pièces.”

“Dans le processus de création, j’ai des idées d’images, de lignes de force, de mouvements, de musicalités, de situations ou de références philosophiques ; je provoque un phénomène que j’orchestre et qui me dépasse. Ce phénomène me permet de développer ma pensée, l’expérience est une réflexion. Et chaque création est une expérience qui nous meut de manière profonde.”

“Mes pièces sont perméables au temps, au développement de nos propres pensées. Les sujets qu’elles abordaient au moment où je les ai créées demeurent toujours des questions qui se posent aujourd’hui, mais elles sont déplacées du fait de leur contexte, des histoires qu’elles traversent, et de la manière dont je change, ainsi que tous les artistes impliqués. Mon focus se déplace forcément sur une pièce quand je la retravaille dix ans après. Chaque recréation devient une occasion de partager avec les interprètes une réflexion pour la préciser, la réaccorder, et penser son évolution et la nôtre.”

Durant ces vingt années, Gisèle Vienne constate qu’elle n’a pas fait tant de créations, mais chacune s’est imposée comme nécessaire donc impossible à abandonner. “Dans la littérature, le cinéma, l’art et la musique, on a plus facilement accès aux œuvres du passé ; je regrette l’amnésie spécifique liée au spectacle, et les reprises muséales des pièces peuvent les tuer. C’est un choix délibéré et c’est un gros travail, mais j’ai la volonté de construire un répertoire qui reste vivant. Chaque pièce est un maillon qui ne cesse d’évoluer, et dans l’expression de ma réflexion qui passe par l’expérience, retravailler une pièce après en avoir créé une autre me permet aussi de la comprendre d’une manière différente.”

 

Retourner l’objet en sujet

 

Depuis 2003, Gisèle Vienne s’est lancée dans la fabrication d’une série de mannequins d’adolescent·es. Sa collection en compte aujourd’hui près de soixante-dix. Tous ont eu leur place sur le plateau, et l’installation présentée au musée d’Art moderne de Paris se double d’une exposition de photos dont ils sont les modèles.

“S’agissant de la chorégraphie, de la théâtralité et de la scénographie, j’aborde ce travail avec des questions et des méthodes qui rappellent celles du plateau. Je mets autant en scène quand je photographie mes poupées que quand je conçois l’espace muséal où je les présente. Ce sont les mêmes questions que je me pose, sauf que le médium est différent. On est alors dans un exercice comparable à celui de la traduction d’un mot, d’une notion, dans une autre langue, et dans toutes les réflexions passionnantes que provoquent les problèmes que pose justement la traduction.”

À lire aussi : Pourquoi on sort bouleversé·es de “L’Étang”, la transe fulgurante de Gisèle Vienne

“Il s’agit de retourner l’objet en sujet. Comment ces objets devenus sujets nous regardent. Que lit-on de ces représentations si on les considère comme sujet ? Leur absence, leur immobilité, leur mutisme parlent. Mes mises en scène de l’absence, de l’immobilité et du silence tentent de rendre visible, audible, ce que les corps culturellement perçus comme objets, à travers leurs différentes représentations, ont à dire lorsqu’ils sont considérés comme des sujets. Cette installation est en ce sens le geste le plus radical que je puisse accomplir à ce jour.”

 

 

Dans le cadre du “Portrait” consacré à Gisèle Vienne par le Festival d’Automne à Paris :

 

Kindertotenlieder du 6 au 9 octobre, Centre Pompidou, Paris.

Showroomdummies #4 (mise en scène, chorégraphie et scénographie Gisèle Vienne et Étienne Bideau-Rey) du 11 au 14 novembre, Centre Pompidou, Paris.

Crowd du 15 au 18 décembre, MC93, Bobigny.

This Is How You Will Disappear du 6 au 8 janvier 2022, Maison des Arts, Créteil.

Gisèle Vienne travaux 2003-2020 du 18 novembre au 23 janvier 2022, musée d’Art moderne de Paris.

 
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October 7, 2021 6:34 PM
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L’Île d’Or, création collective du Théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine 

L’Île d’Or, création collective du Théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous, mise en scène Ariane Mnouchkine  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Agnès Santi dans La Terrasse - 29 septembre 2021

 

À partir de leur escale au Japon, Ariane Mnouchkine et les siens créent L’Île d’Or, utopie imprégnée des chagrins et des colères de l’époque, célébrant la vie autant que  le théâtre. Une création à découvrir au Théâtre du Soleil à compter du 3 novembre.

 

« Qu’on nous donne une île et sans tarder nous créerons un nouveau monde. » écrit Hélène Cixous le 11 mars 2021, mois de confinement et restrictions au plus fort de la crise sanitaire. Une fois de plus, suite à une phase de recherche et de mûrissement, le Théâtre du Soleil fait naître une création, trace avec ténacité son chemin de vérité et de liberté, qui tente « d’éclairer le chaos du monde et d’illuminer les nids et les coins de bonheur et de promesse. » Cette Ile d’Or se trouve dans les eaux du Japon, où Ariane Mnouchkine a voyagé toute jeune, où elle fut subjuguée par la prestation d’un jeune acteur sur une scène minuscule du quartier Asakusa à Tokyo, illuminée aussi par un Nô en plein air à Kobe qui la laissa « foudroyée par la puissance, la splendeur, la majesté d’une telle forme. » C’est ce qu’elle a notamment confié lors de son discours de réception du prestigieux  Kyoto Prize Arts et Philosophie qui lui fut décerné en 2019.

 

L’or du cœur comme moteur politique

Comme l’Inde bien sûr et comme Bali, le Japon est habité par l’esprit du théâtre. « Il y a là tout ce qu’il faut à la Grande Cérémonie : Sado, une petite île, scène des exils, des bannissements et relégations, expulsions, pertes du paradis, enfer bientôt renversé en son contraire, et alors scène des sublimations, mines d’un or qui dit aussi l’or du cœur. » Des intellectuels furent ainsi exilés sur l’île de Sado, de même que le célèbre acteur de théâtre Nô Zeami Motokiyo (1363-1443). Plus tard, en 1601, un filon d’or y fut découvert et exploité. Rare et précieux, indifférent aux dogmes et aux modes, le Théâtre du Soleil est aussi à Paris abrité sur une île, un refuge forgé en toute indépendance, vivant au rythme de créations nées de voyages tutélaires. Comparé souvent à un esquif, entraîné par un « élan amoureux », le Théâtre du Soleil n’est jamais dans le commentaire ou l’explication de son action. Il est tout simplement. Il est et il fait, nourri d’une multitude de mémoires, de désirs, irrigué par l’énergie et la détermination de tous ceux et celles qui le façonnent. Ariane Mnouchkine est le capitaine du navire, qui cette fois a fait escale au Japon.

 

Agnès Santi

 

L’Île d’Or
du Mercredi 3 novembre 2021 au Jeudi 5 mai 2022
Théâtre du Soleil
Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre, 75012 Paris.

À partir du 3 novembre 2021. Tél : 01 43 74 24 08.

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