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Le spectateur de Belleville
April 27, 2019 8:09 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde le 26.04.2019 A l’affiche de trois pièces à la Comédie-Française ce printemps, la comédienne puise au plus profond d’elle-même les émotions de ses personnages.
Sourire radieux, classe naturelle, yeux bleus où passent des tristesses cachées, qui ne seront surtout pas affichées, délayées, livrées en pâture. Une forme de modestie foncière, à rebours de l’esprit actuel, qui consiste à se vendre en permanence.
Et pourtant, elle est en ce moment la prima donna de la troupe de la Comédie-Française, l’actrice dont tout le monde – les amateurs, les spécialistes, ses camarades de la troupe, Denis Podalydès en tête – dit : elle peut tout jouer. Une prima donna en jean et en pull, qui, dans la vie, cultive le naturel, la fraîcheur et la simplicité.
C’est Elsa Lepoivre, 46 ans, dans tout l’épanouissement d’un talent tranquillement mûri par l’amour profond du théâtre comme artisanat et comme art. Cette saison, à la Comédie-Française, elle aura simplement été à l’affiche de quatre productions : Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, où elle a repris le rôle-titre initialement tenu par Guillaume Gallienne ; Fanny et Alexandre, d’après Ingmar Bergman, mis en scène par Julie Deliquet ; Les Damnés, le spectacle créé par Ivo van Hove à partir du scénario du film de Luchino Visconti. Ivo van Hove qu’elle retrouve en cette fin de saison avec une nouvelle création, Electre/Oreste, à partir de deux pièces d’Euripide, où elle joue le double rôle de Clytemnestre et d’Hélène.
« Quand on sent véritablement le retour d’émotion, la catharsis que l’on provoque, c’est d’une force inouïe »
« J’ai voulu faire du théâtre, eh bien j’en fais ! », s’amuse cette grande gigue blonde, abonnée depuis quelques années aux rôles tragiques, mais qui n’aime rien tant que faire le clown en coulisses. Etre à l’affiche de quatre productions, cela signifie, dans le système de l’alternance propre à la Comédie-Française, jouer tous les soirs, et assurer jusqu’à quatre représentations le week-end.
Lire la critique : « Fanny et Alexandre » par la grande porte Une passionnante mosaïque de la condition féminine La définition de l’acteur comme « athlète affectif », selon Antonin Artaud, semble avoir été inventée pour elle : il ne s’agit pas seulement de se livrer à une performance, mais de réactiver à chaque représentation les émotions et les énergies propres à chacun des personnages, à la manière dont on le regarde, l’interprète.
En même temps, les rôles qu’endosse Elsa Lepoivre cette saison, à la suite de tous ceux qu’elle a joués ces dernières années, composent une passionnante mosaïque de la condition féminine, ce qui n’est pas tout à fait un hasard chez cette petite-fille d’institutrice féministe. De Lucrèce Borgia à Clytemnestre, à la fois monstres et victimes, de Sophie von Essenbeck dans Les Damnés (rôle pour lequel elle a obtenu le Molière de la meilleure actrice en 2016), manipulatrice machiavélienne, à Emilie Ekdhal, femme solaire prise au piège d’un mari pervers dans Fanny et Alexandre.
Pour des rôles pareils, il faut à chaque fois aller puiser en soi, au plus profond de douleurs, de pulsions et d’émotions intimes. « C’est tout sauf anodin, et cela ne laisse pas indemne, constate Elsa Lepoivre. Mais quel bonheur d’avoir cet exutoire… De pouvoir se servir de ses émotions pour les transformer et les offrir en partage. Je note que toutes les partitions que je joue cette saison sont des partitions de mères. Et cela me trouble, parce que c’est une chose que j’aurais aimé vivre, mais qui n’a pas été possible pour moi. C’est assez bouleversant, de me dire que grâce au théâtre je peux aller farfouiller là-dedans, et donner quelque chose de cela, le temps d’un spectacle. Quand on sent véritablement le retour d’émotion, la catharsis que l’on provoque – c’est flagrant avec Lucrèce, notamment –, c’est d’une force inouïe. C’est pour livrer quelque chose d’aussi intime que je fais ce métier. Mais je ne me noie pas dedans : après la représentation, je vais boire un coup pour me remettre de mes émotions. »
Une humanité inouïe Les vengeresses, les « monstresses », les diaboliques, les maléfiques, les pures victimes, les femmes qu’on oublie dans un coin, comme Catherine dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, qu’elle a interprétée sous la direction de Michel Raskine en 2008 : à toutes, elle donne une humanité inouïe, dans l’intelligence profonde du parcours de ces femmes, de ce qui les a menées là, à la violence, à la défaite ou aux seconds rôles de la vie.
Lire le portrait dans « M » : Elsa Lepoivre, le théâtre dans la peau Et c’est bien ainsi qu’elle aborde Clytemnestre, qu’elle retrouve après l’avoir jouée, dans la version de Sénèque, sous la direction de Denis Marleau, en 2011, et qu’elle répète, avec ses camarades (une distribution éblouissante : Suliane Brahim, Christophe Montenez, Denis Podalydès, Loïc Corbery…), sur un plateau que le metteur en scène flamand a voulu envahi par la boue.
« Ivo van Hove, qui, lui, part d’Euripide, ne voit pas Clytemnestre avec les yeux de la haine que lui portent ses enfants Electre et Oreste. Au contraire, il la voit comme une figure maternelle assez douce qui arrive chargée de son propre drame – avoir tué son mari Agamemnon parce qu’il avait sacrifié sa première fille, Iphigénie. Le spectacle raconte vraiment cet éternel drame des places occupées par chacun dans une famille, dans une fratrie, et ce qu’elles suscitent. »
Le tragique lui « colle à la peau » Comme tout(e) grand(e) comédien(ne), Elsa Lepoivre est bien une vivante bibliothèque des émotions humaines, qu’elle cultive et exorcise à travers le théâtre. Et elle aime les rôles de pure composition à la folie. Rien n’a pu lui faire plus plaisir que lorsque des spectateurs fidèles lui ont avoué ne pas l’avoir reconnue dans La Maison de Bernarda Alba, de Federico Garcia Lorca, où elle jouait la Poncia, une vieille servante de 70 ans, ou dans Les Ondes magnétiques, de David Lescot, où elle était irrésistible en animatrice de radio libre.
« J’adore ça, disparaître complètement dans les rôles. Je crois que j’aime l’autre – l’autre dans les autres, et l’autre en moi. Et j’aime la comédie, aussi, que j’ai beaucoup jouée à mes débuts avec Pierre Debauche. J’en plaisante régulièrement avec Eric Ruf, en lui demandant quand il compte me mettre dans un petit Feydeau… Mais voilà, depuis quelques années, le tragique me colle à la peau ». Sans doute parce qu’elle est capable de toute la démesure requise, en l’assortissant de multiples nuances.
Elle est actrice jusqu’au bout des ongles – des ongles qui, ce jour-là, sont vernis en orange, pour être assortis à la couleur du décor des Damnés, qu’elle jouera le soir. Le lendemain, elle enlèvera cette laque sophistiquée pour entrer dans la peau d’Emilie Ekdhal ou de Clytemnestre.
Elle ne s’interdit rien, y compris les rêves de jouer aussi des rôles d’hommes – après tout, le très conservateur tournant des XIXe et XXe siècles a bien vu Sarah Bernhardt interpréter Hamlet ou Lorenzaccio, et Maria Casarès le roi Lear, dans la pièce mise en scène par Bernard Sobel. Ni l’envie de jouer un jour le rôle de Gena Rowlands, une de ses idoles, dans Opening Night, de John Cassavetes. Une actrice qui joue une actrice, jouée par une actrice qui, dans la vie, n’a pas besoin de (sur)jouer l’actrice, tant elle l’est, profondément, avec autant de rigueur que de passion.
Elsa Lepoivre en dates 1972 Naissance à Caen
1995 Admission au Conservatoire national supérieur d’art dramatique
2003 Entrée dans la troupe de la Comédie-Française
2016 Molière de la comédienne pour Les Damnés, mis en scène par Ivo van Hove
2018-2019 Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, mis en scène par Denis Podalydès ; Fanny et Alexandre, d’après Ingmar Bergman, par Julie Deliquet ; Les Damnés, d’après Visconti, et Electre/Oreste, d’Euripide, par Ivo van Hove.
« Electre/Oreste », d’Euripide. Mise en scène : Ivo van Hove. Comédie-Française, Salle Richelieu, 1, place Colette, Paris 1er. Tél. : 01-44-58-15-15. A 20 h 30 ou 14 heures, en alternance, jusqu’au 3 juillet. De 5 € à 42 €.
Elsa Lepoivre est également à l’affiche des « Damnés » d’après Luchino Visconti, jusqu’au 2 juin, et de « Fanny et Alexandre », d’Ingmar Bergman, jusqu’au 16 juin, à la Comédie-Française.
Fabienne Darge Légende photo : Elsa Lepoivre à la Comédie-Française à Paris, le 19 avril. CLAUDE GASSIAN POUR "LE MONDE"
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Le spectateur de Belleville
April 26, 2019 3:27 PM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama - Sortir Publié le 26/04/2019.
Actrice drôle et populaire, Isabelle Nanty n’en possède pas moins une part d’ombre et de complexité. Rencontre avec celle qui met actuellement en scène Feydeau à la Comédie-Française.
Emmitouflée dans son manteau, Isabelle Nanty s’assied à la terrasse de la brasserie Nemours, tout près de la Comédie-Française. Elle ôte ses lunettes noires : « Télérama ? Je l’ai toujours vu sur la table du salon. Mes parents, abonnés de la première heure et fidèles lecteurs, étaient tristes lorsque sortaient des avis négatifs sur les films dans lesquels je jouais. » Son choix à elle est fait depuis longtemps : il faut se protéger des mots. Elle ne lit pas les critiques.
Son côté « angoissé, métaphysique et protestant », l’actrice, qui reprend salle Richelieu sa mise en scène d’un spectacle créé en 2017 (L’Hôtel du libre-échange, de Feydeau), le doit à sa mère norvégienne : « Elle disait toujours que, chaque hiver, elle avait peur que le soleil ne revienne pas. » Cette même année 2017, qui la propulse dans la Maison de Molière, ses parents meurent. Perte abyssale qu’elle évoque d’une phrase rapide, assortie d’un silence prolongé, puis d’une sage conclusion : « Lorsqu’on est engagé sur des projets de travail, on ne peut pas se consacrer autant qu’on l’aimerait à la vie. Il faut créer des espaces afin d’avoir du temps pour cette vie. »
Se vouer à l’essentiel A 57 ans, l’artiste a donc décidé de freiner le tempo pour se vouer à l’essentiel. Elle ne lit que les chefs-d’œuvre que lui recommandent ses amis, n’accepte que les films qui se tournent à Paris, ne joue plus au théâtre pour rester maître de ses soirées : « Je dois m’occuper de ma fille », explique l’héroïne des Tuche, comédie à succès et en trois volets d’Olivier Baroux dans laquelle elle campe une matriarche exubérante, qui « n’a rien d’une plouc mais tout d’une enfant dans le corps d’une adulte. » Elle, dont la télévision raffole pour son esprit de repartie et sa verve gouailleuse, affirme ne pas savoir ce qu’est le « pouvoir de faire rire. » D’ailleurs, elle ne cherche pas l’effet comique mais aborde ses rôles en se demandant quel drame habite son personnage. Sa représentation du vaudeville de Feydeau a beau être très drôle, elle découle d’un mélange accidenté de « noir, de sombre, de désespéré », qui emprunte au tragique de Tourgueniev et Tchekhov, auteurs russes précipitant leurs héros dans le mur comme « des papillons affolés, fracassés sur les vitres. »
“Les yeux ne mentent pas” Tchekhov, elle l’a travaillé à Nice, où l’avait invitée Jacques Weber, qui y dirigeait un théâtre dans les années 90. Elle avait mis en scène La Mouette, qui suivait de près son tout premier spectacle, Une maison de poupée, d’Henrik Ibsen, un auteur scandinave mêlant « le fantasme à la réalité ». L’imbrication du conscient et de l’inconscient n’était pas pour déplaire à cette quinquagénaire concrète mais mystique, qui traque « le vrai plutôt que la vérité » lorsqu’elle dirige des comédiens. Pendant longtemps, Isabelle Nanty n’a pu fixer les gens dans les yeux car, précise-t-elle, sa pupille bleue rivée sur la nôtre : « Les yeux ne mentent pas. » Sans ciller, elle poursuit : « Désormais j’y arrive et seul ce rapport m’intéresse. Que se joue-t-il d’âme à âme dans les regards qui s’échangent ? »
Tout miser sur l’authenticité Son âme à elle est un livre entrouvert où on déchiffre, ici et là, la sinuosité de détours obligés. Côté bifurcations, elle s’y connaît, elle qui, jeune fille rêvant de théâtre, a « raté l’entrée aux écoles de la rue Blanche, du Théâtre national de Strasbourg, de Nanterre Amandiers période Patrice Chéreau et le Conservatoire ». En revanche, elle a été retenue aux deux premiers tours de la Royal Academy de Londres. Avant d’être recalée à l’oral : « Je ne parlais pas anglais, j’avais appris les textes phonétiquement ». C’est dans la classe libre du Cours Florent qu’en définitive elle se pose aux côtés d’étudiants hétéroclites tels que Mylène Farmer, Thierry Mugler, Agnès Jaoui et Vincent Lindon. Au bout de trois mois, François Florent, patron des lieux, l’éjecte de ses salles (« il me trouvait emmerdante, je la ramenais tout le temps »). Puis, fin limier, il se ravise. Elle n’a que 24 ans et il veut qu’elle enseigne. Professeur de théâtre empirique « sans théorie et sans technique », sa méthode tient en une certitude : tout miser sur l’authenticité. Pari gagnant. Ses élèves sont devenus des acteurs remarqués, qu’elle accompagne dans de percutants one-man-show, un genre où elle excelle. « Au théâtre, la matière intellectuelle et imaginative devient concrète » : Les Robins des bois et Marina Foïs, Edouard Baer, Pierre-François Martin-Laval sont passés entre les mains de l’alchimiste. A cette liste et pour être complet, il convient d’ajouter les noms de Dany Boon, Julie Ferrier, Gad Elmaleh, Arthur.
“Les ratages sont des échardes qui restent plantées au fond de soi” Isabelle Nanty a de la classe. Elle ne tire pas la couverture à elle, ne se drape pas dans sa notoriété et, lorsqu’elle assure « savourer l’honneur et le privilège d’être choisie au cinéma alors qu’il y a beaucoup d’autres actrices de mon âge, et de très bonnes ! », on la croit. Cette popularité, qu’elle doit au cinéma (Tatie Danielle, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Les Tuche, Les Visiteurs ont cartonné au box-office) n’est pas un baume cicatrisant : « Les ratages sont des échardes qui restent plantées au fond de soi. Lorsque j’ai échoué aux écoles de théâtre, l’institution était, à l’époque, le seul gage du talent. Pour cette raison, je peux, encore aujourd’hui, avoir un sentiment d’illégitimité et penser que je ne suis ni une bonne actrice, ni un bon metteur en scène. » Doute persistant que l’invitation d’Eric Ruf, complice fidèle et administrateur de la Comédie-Française, n’aura pas réussi à lever. Ce n’est pas une raison pour s’adonner à l’amertume. Quant aux regrets, elle n’en a pas : « Je n’ai pas souffert du chemin que j’ai dû prendre. »
Elle allume une cigarette, paie son café et le nôtre car, s’exclame-t-elle, « j’ai des principes ! », et se lève pour regagner la salle Richelieu. C’est l’heure de la répétition. L’entretien s’achève. Elle le clôt par une citation d’Andersen : « Il peut tout celui qui veut le bien. » Un adage venu du grand Nord qui lui tient chaud, ça va de soi, comme une paire de moufles.
A voir L’Hôtel du libre-échange, Comédie-Française, salle Richelieu 1, place Colette, Paris 1er, 01 44 58 15 15, jusqu’au 25 juillet, spectacle en alternance du lundi au samedi, 20h30 ; samedi et dimanche, 14h, 5-43 €.
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Le spectateur de Belleville
April 4, 2019 6:21 PM
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Par Anne Diatkine dans Libération du 5 avril 2019
A la Comédie-Française, la metteuse en scène Marie Rémond s’inspire d’un scénario mort-né du cinéaste italien. Et livre une création en forme de making-of, très ambitieuse quoique un peu fourre-tout.
Ces dernières années, les adaptations de films au théâtre se sont multipliées, laissant souvent un sentiment perplexe. L’avantage du Voyage de G. Mastorna est qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre de Fellini qui n’existe pas, qu’on ne connaît donc pas par cœur, et qu’on est heureux de découvrir ici, sous l’œil de Marie Rémond pour la troupe de la Comédie-Française. La metteuse en scène et actrice, qui créera aussi à l’Odéon en mai Cataract Valley, a un goût pour les spectacles qui montrent le travail en train de se faire, les doutes et les errements, l’attente, la peur du crash, le fiasco ou le miracle.
Il y a deux ans, elle avait monté avec Sébastien Pouderoux, jeune sociétaire à la Comédie-Française, Comme une pierre qui roule d’après la genèse de la chanson Like a Rolling Stone, et centrée sur le mythe de Dylan d’il y a cinquante-quatre ans, quand il commençait à s’électrifier.
Préparatifs. Le Voyage de G. Mastorna s’attaque à un mythe en action ou plutôt en désaction, si le néologisme est autorisé. Un mythe non pas inerte, mais entravé par la perte du désir d’entreprendre son film et la difficulté d’interrompre un projet enclenché même si tout laisse présager que l’issue sera désastreuse. Ce mythe, c’est Fellini, dit ici «Féfé», interprété par Serge Bagdassarian. Lorsqu’il s’apprête à tourner le Voyage de G. Mastorna, Fellini a 45 ans. Huit et demi est sorti l’année d’avant et a été salué comme un chef-d’œuvre indépassable sur les tréfonds de la création. Fellini ne sait pas encore combien son film annonce le désastre du Voyage de G. Mastorna, dont il entame enfin les préparatifs, et qu’il interrompra la veille du premier jour de tournage pour cause de maladie mystérieuse. Le sujet du Voyage… ? Rien de moins que de rivaliser avec Dante en proposant une autre vision de l’enfer. On y voit un violoncelliste de réputation internationale qu’aurait interprété Marcello Mastroianni errer avec d’autres passagers après un accident d’avion, dans des limbes. Le personnage célèbre est dans l’incapacité de démontrer son identité.
Avec ce dernier spectacle, Marie Rémond, qui cosigne cette adaptation avec Thomas Quillardet et Aurélien Hamard-Padis, se charge donc d’une mission ultra-ambitieuse : endosser le projet fellinien, en montrant sur une scène de théâtre la spécificité du maître en train de travailler avec son acteur star, Marcello Mastroianni, mais aussi l’équipe appréhendant un film qui se dérobe et construisant des bribes de sa fiction. Ainsi voit-on la catastrophe aérienne, l’antichambre de l’enfer dans un motel, des passagers qui ne savent plus dans quel état ils sont - vivants ou morts - et dont témoigne le chaos dans lequel on plonge à la fin. A moins de disposer d’un an de répétitions et de réflexions, ou de choisir un contre-pied minimaliste, l’entreprise est risquée.
Tout se passe comme si Marie Rémond n’avait pas complètement décidé de l’angle de son spectacle, et qu’elle préférait tout embrasser. On est donc face à un millefeuilles qui multiplie les mises en abyme. La metteuse en scène a opté pour une disposition scénique bifrontale, où les spectateurs se voient en miroir, des deux côtés de la scène. Pourquoi pas, puisque l’une des définitions de l’enfer est l’impossibilité d’échapper au point de vue panoptique. Le bifrontal est d’autant plus pertinent lors des séquences qui exigent des figurants au fond du plateau. Les spectateurs les jouent malgré eux avec plaisir. La troupe du Français reconstitue à la perfection tous les gestes qui signent l’atmosphère d’un tournage - «Féfé», qui a tous les moyens pour son film pharaonique, a décidé de filmer les répétitions.
On rit aux plaisanteries fines du cinéaste, à ses caprices ou aux vexations qu’il distille lorsqu’il prétend par exemple que son film ne peut pas être en couleur parce que son acteur principal a les yeux rouges. On saisit la solitude du maître qui doit constamment trancher entre des propositions d’accessoires, et comment les membres de l’équipe entrent en rivalité pour lui plaire. L’assistante Liliana (Jennifer Decker) fait ce qu’elle peut pour lui obéir au doigt et à l’œil, tandis que la jeune actrice Giovanna (Georgia Scalliet) aimerait jouer «un être vivant» plutôt «qu’une surface de projection». Vraiment, tout est bien croqué et les deux actrices - l’une qui ne cesse de courir, et l’autre de ralentir dans l’espoir d’être bien en vue - sont formidables. On comprend que Marie Rémond a probablement demandé à Laurent Lafitte de ne pas se lancer dans une imitation de Mastroianni - qui, ici, a l’air d’un abruti. Et on perçoit tout à fait le problème quand l’un des techniciens (impeccable Yoann Gasiorowski) pique la vedette à la star pour lui montrer comment on tient un archet de violoncelle, devant le maestro qui le filme.
Sexistes. Marie Rémond tire pédagogiquement les fils de sa brochure, si bien qu’on ne s’emmêle pas entre les différents niveaux de récit. Les petites remarques sexistes pleuvent comme il se doit dans les années 60 sur un tournage, et on regarde avec plaisir les préparatifs s’embourber, en dépit de la très belle tortue géante du décor, unique fantaisie qui signale qu’on est bien dans un film de Fellini. Tout va bien ? Pas tout à fait. Quelque chose tracasse le regard. De même que «Féfé» se plaint d’avoir perdu son personnage principal et de ne pas le dénicher dans le corps de Mastroianni, on peut avoir le sentiment d’avoir perdu Fellini - Serge Bagdassarian, qui joue le personnage de Féfé, n’est pas en cause. Qu’on soit familier ou pas de son univers, une folie manque qui emporterait le spectacle vers sa nécessité scénique.
Anne Diatkine Le voyage de G. Mastorna d’après Federico Fellini mise en scène de Marie Rémond, au théâtre du Vieux-Colombier, 75006, jusqu’au 5 mai. Légende photo : Federico Fellini (Serge Bagdassarian, au centre) filme la jeune actrice Giovanna (Georgia Scalliet) et Marcello Mastroianni (Laurent Lafitte, à droite). Photo Vincent Pontet
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Le spectateur de Belleville
March 30, 2019 5:02 AM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde 30 mars 2019 Les grands yeux d’un bleu intense de Marie Rémond sont comme une eau calme, que troubleraient insensiblement les ondes de choc de remous cachés dans les profondeurs. Lesquels ? On ne le saura pas vraiment. La jeune femme est timide, et secrète. Ce qui ne l’empêche pas, alors qu’elle aborde les rivages de la quarantaine, d’être devenue une des comédiennes et metteuses en scène les plus prisées des scènes françaises.
En cette fin de saison sur les planches, elle a deux créations à l’affiche, dans les deux institutions les plus prestigieuses de France. Au Théâtre du Vieux-Colombier, la deuxième salle de la Comédie-Française, elle monte Le Voyage de G. Mastorna, d’après un scénario inédit de Federico Fellini. A l’Odéon-Théâtre de l’Europe, dans la petite salle des Ateliers Berthier, elle adapte une nouvelle de Jane Bowles, Cataract Valley.
« le théâtre a été un moyen d’expression de sensations, de sentiments obscurs que je n’arrivais pas à sortir »
On l’aura compris, Marie Rémond ne fait rien comme les autres. Son premier succès – fracassant – de metteuse en scène, elle l’a remporté, jeu, set et match, en 2012, avec André, un spectacle créé à partir de l’autobiographie du tennisman André Agassi. Cette liberté, peut-être l’a-t-elle gagnée dans la fréquentation précoce et assidue de l’art et de la littérature, en compagnie de son père, le journaliste (pour Télérama notamment), critique de cinéma et décrypteur d’images Alain Rémond, et de sa mère, bibliothécaire.
Lire la critique : Comment Agassi est devenu "Andre" « Entre les deux, j’ai trouvé mon endroit à moi : le théâtre, sourit Marie Rémond. J’ai commencé dès l’école primaire et moi qui étais d’une timidité maladive je me suis rendu compte très vite que dans cet endroit de jeu je me sentais plus à l’aise que dans la vie. D’emblée, le théâtre a été un moyen d’expression de sensations, de sentiments obscurs que je n’arrivais pas à sortir. J’ai toujours été sensible à cette idée chère à l’un de mes professeurs, que le théâtre consiste à partir de soi dans les deux sens : on voyage dans un personnage, dans les pensées et l’esprit d’un créateur à partir de soi, et ces pensées et cet esprit vous aident à vous trouver, vous. »
De cette interrogation initiale sur l’identité, sur la création comme moyen d’exploration des mouvements les plus secrets de soi, de « la face cachée de l’iceberg », comme elle le dit joliment, elle a fait son théâtre, en un chemin totalement singulier. Après André, qui a tourné pendant des mois, elle a créé Vers Wanda en 2013, à partir de Supplément à la vie de Barbara Loden, le roman de Nathalie Léger. Barbara Loden était l’épouse du cinéaste Elia Kazan, une de ces femmes, nombreuses, dont le talent créateur est resté dans l’ombre de leur mari. En 1970, elle a signé un seul et unique film culte, Wanda, où elle incarne à travers son héroïne un de ces « combats souterrains » pour la liberté et l’identité qu’aime à sonder Marie Rémond.
Lire la critique (en 2013) : On ne devrait pas rire de Wanda Molière de la révélation féminine Puis il y a eu, en 2015, Comme une pierre qui… au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, un spectacle qui a fait un tabac en racontant l’aventure de la création de Like a Rolling Stone par Bob Dylan. Pour autant, Marie Rémond n’a jamais cessé d’être actrice, et c’est comme si à travers les rôles elle avait poursuivi la même recherche, la même ligne que dans ses mises en scène, sur des personnages inquiets cherchant leur place dans le monde, leur espace d’expression.
Lire la critique (en 2015): Un petit miracle Bob Dylan à la Comédie-Française Ce fut le cas notamment avec Yvonne, princesse de Bourgogne, de Witold Gombrowicz : une Yvonne qui est souvent incarnée au premier degré comme une nunuche irrécupérable, et que Marie Rémond a jouée avec une intelligence magistrale, qui lui vaudra le Molière de la révélation féminine en 2015. Et encore avec le personnage de Catherine dans Soudain l’été dernier, de Tennessee Williams, sous la direction de Stéphane Braunschweig, en 2017. Loin, là aussi, d’entrer dans le cliché de la jeune fille folle attaché au rôle, elle a dessiné avec une finesse tranchante cette figure dont l’inadaptation révèle la folie d’un monde étouffé par les non-dits.
Son théâtre échappe à ce « regard biaisé qui impose aux femmes de jouer d’abord le rôle de la féminité »
Marie Rémond a l’art de montrer ce que les personnages border line révèlent du formatage des rôles imposés par la société, singulièrement pour les femmes. Très tôt, dès les cours de théâtre, elle a eu conscience, comme nombre d’actrices d’aujourd’hui, de la « pauvreté des enjeux » dont sont affligés les rôles féminins dans le répertoire théâtral.
« Systématiquement, quand j’étais émue, frappée, bouleversée au théâtre, cela venait d’un texte prononcé par la bouche d’un personnage masculin, constate-t-elle. Je me souviens notamment m’être dit, en entendant le magnifique monologue du personnage d’Antoine dans Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, que c’était cela que j’avais envie de porter sur scène. Mais voilà : cette prise de parole-là est la plupart du temps réservée aux hommes, tandis que les rôles féminins sont des surfaces de projection et tournent éternellement autour de la question du désir. C’est difficile, ce manque de choix, ce sentiment que l’on dénie aux femmes le droit aux questionnements existentiels. »
Une inventivité sans relâche Alors Marie Rémond a inventé son théâtre, pour échapper à ce « regard biaisé qui impose aux femmes de jouer d’abord le rôle de la féminité ». Elle est partie sur les chemins de traverse qu’elle continue à arpenter avec une inventivité sans relâche. Elle a eu connaissance de l’existence de ce scénario inédit et maudit de Fellini, Le Voyage de G. Mastorna, écrit en 1965, par un ami de son père, le grand critique de cinéma italien Aldo Tassone. Le matériau semblait fait pour elle : Fellini y suit la trace d’un double à peine déguisé, en pleine crise existentielle, qui voit s’effilocher les éléments de son identité.
Le « voyage » inachevé de Fellini En 1965, Federico Fellini a 45 ans, il vient de réaliser 8 ½ et Juliette des esprits. Il s’attaque à l’écriture d’un scénario qui explorerait l’idée de la vie après la mort. « Le Voyage de G. Mastorna est le projet le plus ambitieux, le plus mystérieux, le plus noir que j’aie jamais tenté de réaliser », dira-t-il. Le film ne verra jamais le jour. D’abord à cause du conflit entre le cinéaste et son producteur, Dino De Laurentiis. Puis en raison de la mystérieuse maladie qui frappa l’auteur à la veille du tournage, le 10 avril 1967. Superstitieux, Fellini interpréta ce mal comme une invitation pressante à renoncer au projet. Le Voyage de G. Mastorna, dans lequel le protagoniste, double du cinéaste, devait être interprété par Marcello Mastroianni, a ainsi rejoint la cohorte des projets maudits, des films fantômes de l’histoire du cinéma, propres à nourrir d’autres rêves, d’autres aventures artistiques.
Même originalité avec Jane Bowles, écrivaine subtile et précieuse, restée elle aussi longtemps cachée derrière son mari, l’auteur américain Paul Bowles. Dans Cataract Valley (nouvelle incluse dans le recueil Plaisirs paisibles, éd. Christian Bourgois), son art des « bouillonnements intérieurs », à peine perceptibles à la surface, atteint des sommets, à travers l’histoire de deux sœurs. « C’est un mélange de profondeur et d’humour, de fêlure et de combativité qui me plaît beaucoup », s’amuse Marie Rémond. Même si la partie immergée de l’iceberg ne se laisse pas dévoiler facilement, c’est bien un portrait d’elle que livre la comédienne et metteuse en scène à travers ses spectacles et ses rôles, tout en douceur inflexible, en fragilité indestructible.
Le Voyage de G. Mastorna, d’après Federico Fellini. Mise en scène : Marie Rémond. Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris 6e. Tél. : 01-44-58-15-15. Mardi à 19 heures, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 heures, du 28 mars au 5 mai. De 12 à 32 €.
Cataract Valley, d’après Jane Bowles. Mise en scène : Marie Rémond. Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, petite salle, 1 rue André-Suarès, Paris 17e. Du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures, du 17 mai au 15 juin. De 8 à 28 €.
Fabienne Darge Légende photo : Au Théâtre du Vieux-Colombier, Marie Rémond pose sur une tortue du décor du « Voyage de G. Mastorna » en mars 2018. ANNABELLE LOURENÇO POUR "LE MONDE"
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March 15, 2019 8:06 PM
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Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore dans L'Oeil d'Olivier 4 octobre 2017 Les mots coulent tel un torrent furieux. Ils s’entrechoquent, se répètent, disent la vie, les passions, les absences. Ils révèlent les parts d’ombre, les non-dits. Ils chantent, dansent, virevoltent et s’unissent en un bouleversant cri d’amour. Délicatement ciselé par Clément Hervieu-Léger et sa troupe virtuose, le déchirant et poétique chant du cygne de Lagarce nous touche en plein cœur.
Loin des villes, des campagnes, sur un parking désaffecté où ne subsistent que la carcasse d’une vieille voiture désossée et une cabine téléphonique depuis longtemps oubliée, erre une longiligne et ténébreuse silhouette. C’est celle de Louis. La trentaine abimée, le visage émacié, ce dernier vient, une dernière fois hanté le monde des vivants avant de retrouver ses proches déjà morts, mais si présents. Pour cet ultime tour de piste, il convoque dans ce no man’s land inquiétant sa famille de sang, sa famille de cœur.
Silencieux, l’épatant Loïc Corbery attend immobile l’entrée en scène des dix autres comédiens. Fiévreusement, ils prennent possession de leur personnage, que ce soit la mère (vibrante Nada Strancar), le frère (bouleversant Guillaume Ravoire), la sœur (éblouissante Audrey Bonnet), les amis (étrange Vincent Dissez, fascinante Clémentine Boué), les amants (fantômatique Louis Berthélemy, touchant François Nambot, attachant Daniel San Pedro). Petit à petit, les rôles se distribuent, chacun prend ses marques et raconte ce qui les unit à Louis, leur histoire commune.
Dans cette ronde humaine, hommes, femmes se mêlent, s’entrecroisent et se repoussent. Tous ont eu leur vie bouleversée par Louis, tous l’ont aimé à leur manière et tous lui reprochent son absence, sa difficulté à ouvrir son cœur et à se laisser aimer. Homme solitaire, se nourrissant de rencontres furtives, refusant de s’attacher pour éviter de souffrir, il laisse un chérubin blond, un amant angélique et ingénu percer sa cuirasse. S’offrant au regard des autres, à leurs reproches, à leur déclaration d’amour maladroite, il s’apprête à quitter le monde des vivants auréolé d’une grâce nostalgique, nimbé de compassion sans avoir pu leur dire adieu.
Avec gourmandise, passion et la délicatesse extrême qui caractérise toutes ses créations, Clément Hervieu-Léger s’empare de l’ultime texte autobiographique de Lagarce pour souligner la beauté nostalgique et l’intensité vibrante de ce ballet des ombres flamboyant et humain. Dans cette pièce terminée à peine 15 jours avant sa mort, le dramaturge s’y livre sans fard avec pudeur et élégance. Sans rien cacher de ses troublantes passions, de ses errances d’homme libre et tourmenté, il signe un magnifique chant funeste qui touche au cœur et à l’âme. Privilégiant une mise en scène frontale où les onze comédiens sont omniprésents, le jeune sociétaire de la Comédie-Française s’attache à donner profondeur et puissance à ce mélancolique et long poème. S’appuyant sur une mise en abîme du théâtre, il impose sa marque et offre un bouleversant carcan au chant du cygne de Lagarce.
Qu’ils soient immobiles ou intervenant dans une saynète, les onze artistes prennent admirablement possession de l’espace. Chacun imposant sa patte, son style. Tous sont merveilleux. Notons l’interprétation saisissante et poignante d’Audrey Bonnet en sœur frustrée, l’épatant jeu d’Aymeline Alix en belle-sœur décalée et ingénue, le charme doux et viril de Daniel San Pedro en guerrier au cœur tendre, la lumineuse et spectrale présence de Louis Berthélemy, la mystérieuse aura de Vincent Dissez en ami de longue date et l’épatante fraîcheur de Nada Stancar en mère éperdue d’amour, enfin la prestance de Loïc Corbery, tout en retenue et sobriété, dans le rôle de Louis, le poète maudit.
Prenant à la gorge, ce voyage intense et mélancolique où tout se mélange, la vie, la mort, bouleverse nos consciences, nos perceptions du monde. Au moment des adieux impossibles en ce Pays lointain, la poétique litanie de Lagarce émeut nos âmes. Brillant, déchirant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg
Le pays lointain de Jean-Luc Lagarce Théâtre national de Strasbourg – Salle Koltès 1 Avenue de la Marseillaise 67000 Strasbourg jusqu’au 14 octobre 2017 du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h durée 4h15 dont 20 minutes d’entracte
Odéon-Théâtre de l’Europe 1 Avenue de la Marseillaise 75006 Paris du 15 mars au 7 avril 2019 du mardi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h00
Mise en scène de Clément Hervieu-Léger Avec Aymeline Alix, Louis Berthélemy, Audrey Bonnet, Clémence Boué, Loïc Corbery de la Comédie-Française, Vincent Dissez, François Nambot, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro, Nada Strancar, Stanley Weber Collaboration artistique de Frédérique Plain Musique de Pascal Sangla Scénographie d’Aurélie Maestre Costumes de Caroline de Vivaise Lumière de Bertrand Couderc Son de Jean-Luc Ristord
Production Compagnie des Petits Champs Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre de Caen, Châteauvallon – Scène nationale, Célestins – Théâtre de Lyon, Scène nationale d’Albi, L’Entracte – Scène conventionnée de Sablé sur Sarthe
Audrey Bonnet et Vincent Dissez sont artistes associés au TNS Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs
La Compagnie des Petits Champs est conventionnée par la DRAC Normandie, le ministère de la Culture et de la Communication et reçoit le soutien de la Région Normandie, du Département de l’Eure et de l’Odia-Normandie
Création le 26 septembre 2017 au Théâtre National de Strasbourg
Crédit photos © Jean Louis Fernandez
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Le spectateur de Belleville
February 13, 2019 8:19 PM
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Par Armelle Héliot dans Le Figaro le 13/02/2019
Julie Deliquet réussit la transposition sur scène du très grand film d'Ingmar Bergman en superposant la troupe de la Comédie-Française et la famille Ekdahl, de joie à cauchemar. Formidable!
Est-ce Oscar Ekdahl qui surgit devant nous, costumé en saint Joseph, et nous demande un peu d'attention? Ou est-ce plutôt Denis Podalydès, l'un des plus prestigieux sociétaires de la Comédie-Française, qui s'adresse à nous, qui nous dit: «Cher public»?
D'entrée la très intelligente Julie Deliquet installe l'ambiguïté sur laquelle elle établit solidement le formidable spectacle dont elle signe l'adaptation. Elle a compris que pour porter à la scène ce chef-d'œuvre de film qu'est Fanny et Alexandre, qu'Ingmar Bergman, rappelons-le, avait pensé comme son œuvre ultime, en 1982, il fallait qu'elle s'appuie sur le fait que les personnages évoqués appartiennent presque tous au monde du théâtre, que le théâtre même est l'un des «personnages» les plus importants du roman-scénario et du film composés par le cinéaste suédois, comme de la version longue construite pour la télévision.
L'épouvantable Vergerus Et que c'est au cœur de la plus prestigieuse troupe qui soit qu'elle travaille, dans un décor d'Éric Ruf, qui lui-même s'appuie sur une superposition d'éléments d'autres spectacles…
Ce glissement perpétuel d'un monde à l'autre, du passé des Ekdahl au présent des acteurs de la Comédie-Française, comme si deux feuilles glissaient l'une sur l'autre, coïncidant ou donnant des dessins un peu troubles, ne joue plus, évidemment, lorsque l'on se retrouve dans l'antre de l'ogre et de sa sorcière de sœur, l'Évêque Edvard Vergerus et Henrietta, après l'entracte.
Julie Deliquet, Florence Seyvos, Julie André, qui signent la «pièce» construite en trois actes - la fête de Noël, le cauchemar, le retour à la vie, c'est-à-dire au théâtre -, ont dû abandonner le fil le plus important du récit d'Ingmar Bergman: Fanny et Alexandre ne sont pas des enfants. Ce n'est pas exactement par leur regard que l'on suit les événements.
La composition d'Anne Kessler en vieille petite fille aux lunettes sombres est saisissante et glace le sang
Pourtant la grâce de Rebecca Marder et la sincérité vulnérable de Jean Chevalier nous touchent. Fanny est un peu en retrait dans cette version, mais Alexandre est très présent, qu'il subisse l'atroce férocité de son beau-père, qu'il écoute les vivants et les fantômes ou qu'il se tienne dans un coin du plateau, témoin fragile et déchiré.
C'est Thierry Hancisse qui interprète l'épouvantable et torturé Vergerus. On lit sur son visage et dans sa manière de se tenir, de bouger, de parler, les cruelles contradictions de cet être hanté par le mal. Un travail admirable. La composition d'Anne Kessler en vieille petite fille aux lunettes sombres est saisissante et glace le sang.
Pour les autres, la joie, la fête, l'excès, l'effervescence, la vitalité, le chagrin aussi et même le malheur sont le quotidien de vies qui ont, on l'a dit, presque toutes à voir avec le théâtre. Sauf l'antiquaire juif, Isak Jacobi, le fin Gilles David, et son neveu Aron, le très bon Noam Morgensztern, qui possède l'art d'imposer un personnage en très peu de scènes.
Tout commence après la représentation de Noël. Une très longue scène, un premier acte très développé (1h15) par rapport aux deux autres, mais on accepte ce déséquilibre. Une fête joyeuse, bruyante, avec ses cris, ses rires, ses bouchons de champagne qui sautent, une scène d'exposition qui permet aux spectateurs de repérer les protagonistes. Dominique Blanc, somptueuse Helena, ancienne comédienne, mère d'Oscar, le directeur du théâtre - Denis Podalydès, comme toujours remarquable ; mère aussi de Gustav, gourmand et libidineux, qui tient le restaurant - Hervé Pierre, épatant -, et de Carl, professeur sérieux et non dénué de fantaisie - magistral Laurent Stocker. Les épouses, Emilie, la déchirante Elsa Lepoivre, qui après la mort d'Oscar se retrouve dans les griffes de l'ogre, Alma, l'aiguë Florence Viala qui accepte les frasques de Gustav et protège Maj, préceptrice et maîtresse, interprétée par Julie Sicard. Femme de Carl, Lydia, avec son fort accent allemand, chante, accepte d'être maltraitée. Véronique Vella est irrésistible.
Dans les petits rôles, des stars: Anna Cervinka dans l'ambiguïté de Justina et Cécile Brune, Ester, celle qui compte les années qu'elle a passées chez Helena comme si cette belle sociétaire devait désormais compter les années qu'elle aura passées au Français… Le réel rejoint la fiction. Julie Deliquet, magicienne, fait naître la vie même.
Fanny et Alexandre , Comédie-Française, (Paris Ier), en alternance jusqu'au 16 juin. À 20h30 ou 14 heures. Durée: 2h45 entracte compris. Tél.: 01.44.58.15.15. Légende photo : Thierry Hancisse, Elsa Lepoivre, Rebecca Marder et Jean Chevalier dans «Fanny et Alexandre», le 29 janvier, à la Comédie-Française, à Paris. - Crédits photo : Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française
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Le spectateur de Belleville
February 10, 2019 4:01 PM
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Par Armelle Héliot dans le Figaro - 08.02.2019 Après Vania, la jeune femme met en scène Fanny et Alexandre pour la troupe de la Comédie-Française, s'inspirant notamment du roman originel. Première ce soir Salle Richelieu avec une distribution sans faille.
Le ciel est gris, au-dessus des colonnes de Buren, ce jour-là et les yeux de Julie Deliquet se moirent de nuances de vert… Mais ils sont plutôt bleus, sous l'azur, ces yeux d'eau calme. Ce regard profond est empreint de gravité. Le visage, d'un modelé doux et classique, avec un nez petit au-dessus d'une bouche bien dessinée, respire l'intelligence et une certaine sérénité. Elle est très jolie, Julie Deliquet. Et sage, et travailleuse. Il n'est pas 9 heures qu'elle est déjà là, à la cantine de la Comédie-Française, travaillant sur son ordinateur en sirotant un café. On dit «une certaine sérénité», car on ressent en lui parlant, en l'écoutant, quelque chose de la sourde excitation des appareillages. Une excitation non dénuée d'inquiétude, à quelques jours de la première du spectacle qu'elle met en scène Salle Richelieu, d'après Fanny et Alexandre d'Ingmar Bergman.
«J'ai eu le privilège de choisir les comédiens et de travailler avec Florence Seyvos et Julie André. Autre grande chance, Éric Ruf a accepté d'imaginer la scénographie avec moi» Julie Deliquet En quelques saisons, cette jeune femme, trentenaire affirmée, passée par le Conservatoire de Montpellier, le Studio d'Asnières, l'École Jacques-Lecoq, s'est imposée comme une personnalité forte, une artiste avec laquelle il fallait compter. Dès 2009, elle a créé le collectif In Vitro et entraîné sa constellation d'aventure en aventure. Cela passe par Jean-Luc Lagarce et Bertolt Brecht, mais aussi par des créations de groupe. En 2016, Éric Ruf lui ouvre les portes: elle monte Vania d'après Anton Tchekhov au Vieux-Colombier. On retrouve un dispositif qu'elle a souvent préféré: une installation bifrontale qui enserre les interprètes, les personnages, sous le feu des regards croisés des spectateurs. Un grand succès, ce Vania, un succès galvanisant avec tournée, reprise. Élargissement du cercle de ceux qui apprécient sa manière.
» LIRE AUSSI - Les âmes en souffrance du théâtre de Bergman
Elle saute un pas ce soir: c'est Salle Richelieu qu'elle met en scène Fanny et Alexandre d'Ingmar Bergman. Le film? Non. Le roman qui avait nourri la première version, pour la télévision, de cette grande histoire de théâtre. Elle a travaillé avec deux indissociables, Florence Seyvos, romancière et scénariste et Julie André, comédienne, membre d'In Vitro, collaboratrice essentielle. Choisir Fanny et Alexandre n'est pas aller vers la facilité. «Lorsque Éric Ruf m'a sollicitée pour la Salle Richelieu, j'ai souhaité aller vers quelque chose d'inédit. Je souhaitais un texte qui appelle beaucoup de monde sur le plateau et qui me permette de parler de théâtre. J'ai eu l'idée de Fanny et Alexandre et il a accepté le projet.»
Toutes les générations Julie Deliquet a pu asseoir son projet sur des bases solides: «J'ai eu le privilège de choisir les comédiens et de travailler avec Florence Seyvos et Julie André. Autre grande chance, Éric Ruf a accepté d'imaginer la scénographie avec moi.» Un point essentiel dans cette histoire complexe qui commence par une représentation théâtrale. Ou, plus exactement, qui s'ouvre à la fin d'une représentation théâtrale, chez les Ekdahl. Membres de la famille, une famille de théâtre, et employés de la maison, mêlés.
L'établissement de la version scénique a été complexe. «À la vérité, je pense qu'elle ne se stabilisera qu'au moment des premières représentations. Je suis très admirative devant la disponibilité des comédiens qui travaillent tant et qui sont toujours partants pour suivre la lente maturation d'un spectacle.»
Ces comédiens, exactement comme chez Bergman, représentent toutes les générations
Ces comédiens, exactement comme chez Bergman, représentent toutes les générations. Les plus jeunes, les derniers engagés: Rebecca Marder est Fanny, Jean Chevalier est Alexandre. Et les étoiles de la troupe: Dominique Blanc, Helena, qui fut comédienne et qui a trois fils. L'un Oscar, est incarné par Denis Podalydès. Il est directeur de théâtre et sa femme est comédienne. C'est Elsa Lepoivre. Autre fils, professeur, Laurent Stocker et sa femme, Véronique Vella. Hervé Pierre enfin, le restaurateur, et son épouse, Florence Viala. Ils ont un fils, Gaël Kamilindi. N'oublions pas l'Évêque, Thierry Hancisse, sa sœur, Anne Kessler et l'antiquaire, Gilles David, son neveu, Noam Morgensztern et les employées, comédiennes de haut talent: Cécile Brune, Julie Sicard, Anne Cervinka. Personnages familiers pour qui a aimé ce film inoubliable et distribution magnifique pour une célébration d'amour du théâtre.
Julie Deliquet n'a pas lâché les autres fils de sa vie: associée au Théâtre de Saint-Étienne, elle veille sur l'école. Elle tourne un court-métrage inspiré de Traviata pour l'Opéra de Paris et, enfin, elle met en chantier bientôt, pour le Festival d'Automne 2019 l'adaptation d'un film d'Arnaud Desplechin, Un conte de Noël. Quoi d'autre? Ses garçons, 12 et 6 ans! Et elle trouve même le temps de chiner et de bricoler…
Comédie-Française (Paris Ier), Salle Richelieu, en alternance jusqu'au 19 juin. Durée: 2h45. Tél.: 01.44.58.15.15. La version roman de Fanny et Alexandre est publiée en «Folio» Gallimard. Traduction de C.G. Bjurström et Lucie Albertini.
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Le spectateur de Belleville
January 31, 2019 6:41 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 30.01.2019 Margaux Eskenazi et Alice Carré d’un côté et Julie Bertin et Jade Herbulot de l’autre abordent sur scène le même sujet : la guerre d’Algérie. Là-bas et ici, hier et aujourd’hui. Les unes proposent une riche mosaïque de situations activant les contradictions, les autres restent en surplomb dans la sphère du pouvoir avant d’effleurer leur sujet lors d’un mariage.
« La perception qui se dégage actuellement est celle de la sortie de l’oubli », écrivait Benjamin Stora dans son Histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962, ouvrage paru il y a quinze ans aux éditions de la Découverte. Nées après...
Une « sortie de l’oubli », d’une part par « la recherche de la mémoire » et, d’autre part, par l’arrivée d’une « nouvelle génération de chercheurs, non directement engagés dans les combats de l’époque ». C’est le cas d’historiennes comme Sylvie Thénault ou Raphaëlle Branche qui ont publié des ouvrages sur les tribunaux d’exceptions, les tortures, la violence ordinaire au temps de la colonisation et de la guerre d’Algérie, des ouvrages qui font autorité. Ensemble, elles ont codirigé La France en guerre, 1954-1962 : Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne (Autrement, 2008).
Aujourd’hui, ce travail de mémoire se poursuit et le théâtre s’y emploie aussi, fort de ces travaux d’historiens, mais pas seulement. Deux spectacles créés en ce mois de janvier et cependant très éloignés l’un de l’autre, s’appuient sur différents travaux dont ceux de Benjamin Stora et sont écrits et mis en scène par des femmes qui, comme les historiennes citées plus haut, sont trop jeunes pour avoir vécu les « événements » d’Algérie, le terme de « guerre » n’ayant été admis que tardivement, tant cette histoire charrie de refoulés. Deux spectacles, soit :
- J’ai la douleur du peuple effrayante au fond du crâne conçu, monté et écrit par Margaux Eskenazi et Alice Carré et mis en scène par la première (compagnie Nova), c’est le deuxième volet d’un diptyque « Ecrire en pays dominé » après Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre (lire ici).
- Les Oubliés Alger-Paris, écrit et mis en scène par Julie Bertin et Jade Herbulot (Birgit ensemble) poursuivant leur démarche d’un théâtre qui « interroge les liens entre faits historiques et choix politiques » entamé avec Berliner Mauer et poursuivi par Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes .
Le chant profond
Le titre du spectacle mis en scène par Margaux Eskenazi, est emprunté au grand poète et dramaturge algérien écrivant en français, Kateb Yacine : « Persuasif et tremblant/ J’erre au bord de la grotte/ Vers la limpide imploration/ Point de soleil encore/ Mais de légers nuages/ Des oiseaux gémissants/ J’ai la douceur du peuple/ Effrayante/ Au fond du crâne/ Et le cœur fume encore/ L’hiver est pour demain ». L’un des personnages du spectacle connaît par cœur ce poème, comme un baume qui apaise une vieille plaie.
Kateb Yacine est au cœur de la quatrième séquence du spectacle (qui en compte quinze) relatant un moment extraordinaire de tensions : la création à Bruxelles le 25 novembre 1958 de sa pièce Le Cadavre encerclé dans une mise scène de Jean-Marie Serreau. Une lettre anonyme a été glissée sous la porte de ce dernier : « Le premier qui montera sur scène ce soir sera descendu. » Kateb Yacine dit avoir commencé cette pièce au lendemain des massacres de Sétif (par l’armée française), épisode évoqué dans la première pièce de Lazare, Passé – je ne sais où, qui revient (lire ici).
C’est Edouard Glissant qui doit le premier entrer sur la scène pour présenter la pièce et son auteur. Il entrera sur scène et, non sans émotion sans doute, lira le texte qu’il tient entre les mains. Premiers mots : « Il y a des œuvres qui vont proprement au fond de notre époque, qui en constituent les racines inéluctables et qui, à la lettre, en dégagent le chant profond. » Magnifique texte que le spectacle reprend dans son entièreté. Personne ne tirera, la représentation aura lieu et le lendemain Kateb Yacine dédiera sa pièce à Edouard Glissant.
Auparavant, les trois premières séquences nous avaient emmenés successivement un soir de Noël 1955 à Blida avec des soldats du contingent et un de leurs officiers ; puis à Alger le 9 juin 1957, jour de l’attentat perpétré par le FLN au casino de la Corniche à Alger en plein concert (une autre séquence reviendra sur cet événement), sous la forme d’une séquence vidéo avec dialogue off d’une séduction d’approche entre deux hommes (l’un blanc, l’autre arabe) qui sortent juste avant l’explosion ; la troisième séquence nous transporte dans le quartier de la Goutte d’or à Paris en novembre 1958 où l’on assiste au recrutement d’un nouveau militant, Brahim, par deux membres du FLN.
Du porteur de valises au harki
Ces séquences et celles qui suivront (camp de harkis, porteuse de valises pour le FLN, match France-Algérie au Stade de France en 2001, tournage du film de Pontecorvo La Bataille d’Alger en 1965, procès intenté en décembre 1961 à Jérôme Lindon, le directeur des Editions de Minuit pour avoir publié Le Déserteur, ouvrage vite interdit, etc.) constituent un spectacle mosaïque qui traverse la guerre d’Algérie, en France et en Algérie, depuis les événements et jusqu’aujourd’hui. Un énorme travail de préparation a été nécessaire, assorti d’une collecte de témoignages sur plusieurs générations dans des familles de militants du FLN algériens ou français, de harkis, de pieds-noirs, etc. Et ensuite un travail au plateau, tressage des séquences écrites. On retrouvera Brahim plusieurs fois, en particulier dans un bar à Oran en 1972 où il est retourné après l’indépendance après avoir milité en France et protégé Kateb Yacine à Bruxelles. Il boit, il est désabusé. « Il n’y a plus d’idéaux, il n’y a plus de communisme, tous les militants sincères se sont fait buter ou torturer. » Cette scène, on peut penser que c’est le fils de Brahim qui l’a racontée à Margaux Eskenazi et Alice Carré. Lui a toujours vécu en France « avec la rage contre la France » et il découvre que sa famille « avait la rage contre l’Algérie ».
En écho à la première séquence du spectacle, la dixième séquence se passe à Saint-Etienne en avril 1992, les ex-soldats de Blida se retrouvent pour fêter les trente ans de la fin de la guerre d’Algérie. L’un de ces hommes est une femme : la veuve de l’un des leurs, tué là-bas. Affrontement de points de vue. Gérard voudrait que chacun reverse sa pension d’ancien combattant pour construire une école à Annaba, il est resté en lien avec le directeur de l’école. Francis proteste : « Mais on l’a méritée, notre pension ! Pourquoi on ferait ça ? Ils l’ont eue, leur indépendance, maintenant qu’on les laisse ! » Autre affrontement : celui qui oppose le père et le fils au soir du fameux match France-Algérie au stade de France en 2001. Le fils né en France qui n’est jamais allé en Algérie est descendu sur le terrain comme d’autres, a crié « Nique la France » et s’est dit « fier d’être algérien ». Son père Amine le rabroue, lui donne en exemple ses sœurs. Le fils se rebiffe : « Mes sœurs, elles parlent arabe, tu leur as appris. Et moi, je répète des mots que je ne comprends même pas. Tu m’as coupé de tout. » Jusqu’à lui donner un prénom français, Olivier, qui fait rire les copains de la cité.
On le voit, ce spectacle va loin et finement par son jeu d’introspections multiples. Il ne verse jamais dans la simplification, ni la démonstration. Même s’il restait encore quelques scories explicatives ici et là le soir de la première, la plupart des scènes sont d’une grande force scénique. C’est aussi que les acteurs ont été partie prenante de l’aventure depuis le début. Ils savent de quoi ils parlent, ils ont beaucoup enquêté, lu, discuté, improvisé, ils ont beaucoup interrogé leurs amis, leurs proches ; cette histoire, c’est souvent la leur. Il faut tous les citer : Armelle Abibou, Elissa Alloula, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura et Eva Rami.
Pour finir, je m’en voudrais de ne pas évoquer une séquence qui résume bien l’esprit noueux du spectacle. Cela se passe sur un banc à Mantes-la-Jolie en 1997 – le spectacle a été répété et créé au Collectif 12 et la ville a été l’un des terrains d’enquête (individus, associations). Amine (le père d’Olivier) discute avec Ahmed sur un banc. Le premier a fait le maquis, le second a été harki. Ils sont venus en France l’un et l’autre, ont travaillé toute leur vie en usine. Amine pourrait retourner en Algérie, contrairement au harki Ahmed qui dit se sentir apatride. Ils sont vieux, un peu tristes. « Au fond, pour tous les deux, le pays nous manque », dit Amine. « Ah ça », réplique Ahmed. Mais ils ne bougent pas. Comme des héros de Beckett.
Le bureau de De Gaulle
Tout autre ambiance au Théâtre du Vieux Colombier où Julie Bertin et Jade Herbulot dirigent les acteurs de la Comédie-Française. Le public est dans un dispositif bi-frontal déjà utilisé avec efficacité et succès par Julie Deliquet et quelques autres. Leur spectacle Les Oubliés Alger-Paris est lui aussi construit à partir de deux pôles. D’une part, le bureau du Général de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958 après avoir imposé une nouvelle constitution (celle de la Ve république), quatre ans après les débuts de la guerre en Algérie. Et d’autre part, une salle de mariage de la mairie du XVIIe arrondissement de Paris aujourd’hui où vont se marier Alice Legendre et Karim Bakri.
Les faits historiques évoqués dans le bureau du Général de Gaulle sont connus, ce dernier (première bête politique télévisuelle) s’est adressé aux Français à la télévision, et les faits ont été maintes fois commentés, tel le « Je vous ai compris » prononcé à Alger puis l’intrusion de la notion d’autodétermination conduisant à l’indépendance, le sentiment de trahison de l’armée et des pieds-noirs, les barricades, le putsch des généraux en 1961 et ce qui s’ensuivra. Pas simple d’incarner non seulement De Gaulle mais son corps, sa voix. Avec son coffre et sa prestance, Bruno Raffaelli fait ce qu’il peut mais c’est mission impossible. L’Histoire s’éloigne devant la réduction forcément sommaire, voire la caricature, sans compter des effets de théâtre faciles : Yvonne de Gaulle venant faire un rapide tour de piste. A quoi bon ?
Les acteurs qui avaient joués ces scènes reviennent en incarnant d’autres personnages soixante-dix ans plus tard. Bruno Raffaelli devient le père de la mariée, celui qui, après la cérémonie, va demander à son gendre s’il s’apprête à « retourner » dans « son pays ». Sauf que le pays du gendre que vient d’épouser une Legendre, c’est la France. Sa mère, ancienne porteuse de valises (Françoise Lebrun), a épousé un Algérien nommé Bakri, son fils Karim est né français et a toujours vécu en France. Les deux metteuses en scène disent avoir été inspirées par « le vécu » de l’acteur Nâzim Boudjenah qui interprète le rôle de Karim. Son père, membre du Parti communiste algérien, a dû quitter son pays après l’indépendance, à l’instar du Brahim de l’autre spectacle.Tout cela reste trop en filigrane. Peu à peu, des pans enfouis vont resurgir, mais c’est bien trop poussif ou téléphoné. On comprend, évidemment, que du côté du père de la mariée, on était partisan de l’Algérie française et qu’on a sans doute fricoté avec l’OAS. Placée dans cette contradiction, entre son père et son mari, la jeune mariée (Pauline Clément) préfère fuir le repas de mariage. Elle reviendra. Cette partie tient un peu mieux la route mais la timide introspection s’efface devant des numéros d’acteurs. A force de danser d’un pied sur l’autre, ce spectacle reste bancal et par trop simpliste. Qu’en aurait pensé Kateb Yacine ?
J’ai la douceur du peuple effrayante au fond du crâne, ce soir au Théâtre du Garde-Chasse, Les Lilas ; le 7 fév au Théâtre de Longjumeau ; le 15 fév au Studio-Théâtre de Stains ; en juin au Festival Onze Bouge à Paris ; en juillet au festival Off d’Avignon. Suite en automne.
La première partie du diptyque continue de tourner : le 5 avril au Théâtre de Yerres, le 12 avril au Studio-Théâtre de Stains, le 18 avril au Théâtre du Blanc-Mesnil, le 10 mai à la Grange Dimière à Fresnes, les 23 et 24 au Théâtre Roublot à Fontenay-sous-bois, en juillet au festival Off d’Avignon.
Les Oubliés Alger-Paris, au Théâtre du Vieux Colombier jusqu’au 10 mars.
Légende photo Scène de "J'ai la douleur du peuple effrayante au fond du crâne" © Loïc Nys
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Le spectateur de Belleville
January 4, 2019 6:28 PM
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Par Armelle Héliot dans Le Figaro le 02/01/2019 PORTRAIT - Sociétaire de la Comédie-Française, nommée « honoraire », elle jouera encore cette saison dans « Hors la loi », texte écrit et mis en scène par Pauline Bureau. Itinéraire d'une comédienne discrète et brillante.
Jeune, très jeune. On la revoit pour jamais, fine, vive, une jeune fille flamme, une fille du feu. De Wedekind à Claudel, de L'Éveil du printemps à L'Échange. De Wendla à Marthe. C'est bien avant la Comédie-Française. On est dans les années 1970. Elle joue sous la direction de metteurs en scène qui ont son âge, autour de 25 ans. Pierre Romans et Anne Delbée, avec qui elle sera également de l'exaltante aventure des Brigands de Schiller. Des spectacles qui ont marqué public et critiques et demeurent dans les mémoires.
Martine Chevallier avait déjà entamé un très joli parcours dans le monde du théâtre. Née à Gap, plutôt élevée dans un environnement de mélomanes, elle est allée naturellement vers Grenoble. Une jeune bande fait déjà parler d'elle dans la ville de Stendhal. Jo Lavaudant, Ariel Garcia Valdès et leurs amis. Mais c'est vers le centre dramatique que se dirige Martine Chevallier qui va alors rencontrer Bernard Giraudeau. «Il venait de La Rochelle. Il s'était engagé dans la marine. Il était d'une beauté rare, avec ce regard d'un bleu incroyable, sa stature, son visage. On se demandait ce qu'on allait devenir. On a décidé de partir pour Paris. Lui à moto. Moi, en train.»
«J'ai appris à maîtriser ma force vocale et mon souffle. Lorsqu'il faut tenir huit vers sans respirer, comme on chante du jazz, c'est une discipline» Martine Chevallier Ils rêvent du conservatoire. Ils obtiennent un rendez-vous auprès de la secrétaire du directeur d'alors, Pierre-Aimé Touchard. «Bernard avait dépassé l'âge, mais ses cinq ans de marine marchande ont compté. On a été admis.» Ils montent une adaptation de La Ville, Claudel déjà, et présentent ensemble le concours de tragédie, avec lui dans le Cid, elle en Chimène. Ils ont des prix et les premières pages des journaux d'alors. Autre temps…
Elle a été l'élève d'Yves Furet qui l'a initiée à Stanislavski. «Il était d'une très grande rigueur, une rigueur musicale. J'étais instinctivement en 3D. Essentiel pour moi, lui aussi, c'est Antoine Vitez. Je me suis beaucoup amusée avec lui. Il me convenait très bien. J'étais une ingénue, il a vu la tragédienne en moi.» Elle travaille sa voix fruitée. «Je suis descendue de trois octaves. Et j'ai appris à maîtriser ma force vocale et mon souffle. Lorsqu'il faut tenir huit vers sans respirer, comme on chante du jazz, c'est une discipline. J'aurais adoré chanter… Un peu comme Tatiana, ma nièce, fille de ma sœur Catherine et de Dominique Probst», glisse-t-elle en souriant.
Ensuite, il y a pas mal de belles opportunités qu'elle saisit. Huster monte Le Cid à Carcassonne, elle est Chimène et Geneviève Page la présente à Jean-Louis Barrault pour la tournée au Japon de la «quatrième journée» du Soulier de satin. Martine Chevallier est Sept-Épées.
Cocteau, Anouilh, le jeune Ribes de On loge la nuit-café à l'eau, Tchekhov avec Brook, Duras avec Duras, Heiner Müller, elle ne quitte jamais les planches tout en tournant au cinéma. Elle reçoit très jeune le prix Gérard-Philipe.
Si elle aime la tragédie, il y a en elle beaucoup de fantaisie, une espièglerie parfois, une légèreté en tout cas
Lorsqu'elle est engagée comme pensionnaire à la Comédie-Française, le 1er novembre 1986, c'est donc une artiste qui a fait ses preuves dans des registres très différents. Si elle aime la tragédie, il y a en elle beaucoup de fantaisie, une espièglerie parfois, une légèreté en tout cas, avec sa silhouette d'adolescente, alors. Pas trop grande, cheveux lisses, émotivité à fleur de peau et de timbre. Elle entre avec le rôle-titre d'Esther de Racine, une mise en scène de Françoise Seigner. Ensuite, tout s'enchaîne. Sociétaire dès le 1er janvier 1988 - la 478e -, elle retrouve Lavaudant, Vitez, Delbée pour qui elle est Phèdre «étoile solitaire», vêtue en Lacroix, en 1995 et travaille avec Joël Jouanneau qui crée Les Reines du Québécois Normand Chaurette au Vieux-Colombier avec Christine Fersen, Catherine Hiegel et les jeunes Océane Mozas, Cécile Garcia Fogel, Emmanuelle Meyssignac. Un événement. Elle est Elizabeth.
Autant de rôles, autant d'incarnations puissantes. Le cinéma ne l'oublie pas. James Ivory, Yves Angelo, Étienne Chatiliez, Anne Fontaine, Philippe Lioret, Guillaume Canet, Julie Gavras, Benoît Jacquot. Elle y est Madame de la Tour du Pin dans Les Adieux à la reine .
Reine, elle l'est. Médiatisée parce qu'elle a été l'épouse d'August Coppola qui s'est éteint en 2009. Le frère intellectuel, mélomane, cinéaste également de Francis. On n'en parle pas, on n'est pas là pour. Tout juste parlera-t-elle de sa fille, née bien avant, et de ses petites-filles. Par sa sœur, elle est entrée dans la galaxie Casadesus, et Gisèle, qui avait longtemps été au Français, aimait beaucoup Martine, sa personnalité, sa finesse et ses audaces dans le jeu.
Un grave accident Elle va donc, bientôt, s'en aller. Le comité en a ainsi décidé. Elle sera sociétaire honoraire à la fin de la saison, mais on sait bien d'expérience, que l'on ne rappelle plus les «honoraires». Elle ne fait pas un drame de ce nouveau statut. Un jour, il faut bien, comme le dit la maison, «faire valoir ses droits à la retraite». Elle pouvait le faire dans deux ans, naturellement. Elle avait sa place. Koltès lui vaut le molière de la meilleure comédienne en 2007, elle joue Ostrovski avec Fomenko, Feydeau avec Zabou Breitman, Strindberg avec Arnaud Desplechin qui signe aussi l'adaptation au cinéma de La Forêt.
Après un grave accident, en juin 2016, et de longs mois de rééducation, on l'a retrouvée dans le spectacle bouleversant de Lars Noren, Poussière .«C'est un être d'une qualité humaine très profonde. La manière dont il nous a fait pénétrer dans cet univers, cette “pièce”, est très particulière. Mais d'une force singulière», souligne-t-elle, encore émue.
Elle ne quitte pas immédiatement la place Colette, puisqu'on la verra dans Hors la loi, de Pauline Bureau, au Vieux-Colombier fin mai. Elle vient de tourner, sous la direction de l'Italien Filippo Meneghetti, Deux, histoire inspirée de celle de la famille du réalisateur, avec Barbara Sukowa et Léa Drucker. On peut en attendre beaucoup. La route s'ouvre… Légende photo : Martine Chevallier, sociétaire de la Comédie-Française depuis 1988, le 28 décembre à Paris. - Crédits photo : Jean-Christophe Marmara/ LE FIGARO
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Le spectateur de Belleville
December 15, 2018 7:20 PM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama 15.12.2018 Enfant de la balle, fille du metteur en scène Terry Hands et de l’actrice Ludmila Mikaël, Marina Hands a étincelé dans “Sœurs”, de Pascal Rambert. Une pièce taillée à la (dé)mesure de cette brillante et sensible comédienne, qui ne s’est jamais laissé enfermer dans un carcan.
Aux voies ouatées de l’institution, la comédienne Marina Hands, qui vient de triompher dans Sœurs (1), a préféré le slalom en hors piste. Non pour accélérer le tempo mais pour suivre ses propres chemins de traverse. Formée au Conservatoire national supérieur d’art, elle commence par inscrire ses pas dans ceux de ses parents. Elle étudie l’art dramatique en Angleterre où son père, le metteur en scène britannique Terry Hands, est un shakespearien renommé. Puis elle franchit, comme l’avait fait sa mère, l’actrice Ludmila Mikaël, les portes de la Comédie-Française. Elle a alors 31 ans. La pensionnaire aurait pu se faire là une place au soleil. Mais c’était compter sans les réticences que lui inspire une maison qu’elle quitte un an plus tard après avoir marqué les spectateurs en jouant Ysé, héroïne claudélienne de Partage de midi, un rôle que Ludmila Mikaël avait interprété trente ans avant sur ces mêmes planches.
Marina Hands s’empare des mots au point de les faire chair Le temps de l’émancipation est venu. Il passera par Lady Chatterley, film de Pascale Ferran qui lui vaut, en 2007, le César de la meilleure actrice. A l’écran, on ne voit qu’elle. Si elle se met littéralement à nu, elle expose surtout sans filtre ni réserve une bouleversante sensibilité. Sur scène, Marina Hands s’empare des mots au point de les faire chair. Son corps est terrien et sensuel, conséquence probable de son autre passion, l’équitation, qu’elle a pratiquée à un très haut niveau. Cette interprète incandescente que vient de récompenser l’un des plus vieux prix de théâtre (le Brigadier) a croisé il y a deux ans la route de Pascal Rambert. L’auteur contemporain sera à sa mesure. Et à sa démesure. En écrivant pour elle et sa camarade de jeu Audrey Bonnet un face-à-face sororal d’une rare intensité, il a propulsé Marina Hands à la place qu’elle mérite au théâtre. Une place hors catégorie.
(1) Sœurs (Marina & Audrey) sera repris le 22 janvier 2019 au Panta-Théâtre de Caen.
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Le spectateur de Belleville
December 1, 2018 4:34 PM
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Par Jean-Baptiste Garat et AFP agence Publié le 29/11/2018 à 20h30
Le sociétaire honoraire de la Comédie-Française s'est éteint à 88 ans après avoir consacré sept décennies à la scène. Éric Ruf a déploré qu'avec lui «un large pan de l'histoire du théâtre» disparaissait.
Il y a quatre mois, Dominique Rozan s'en allait. Puis Arlette Téphany. Et aujourd'hui, c'est une autre figure qui a marqué le théâtre des années 1950 jusqu'à nos jours qui disparaît. La Comédie-Française a annoncé jeudi le décès à 88 ans de l'acteur, poète et metteur en scène Yves Gasc, qui faisait partie de ses sociétaires honoraires, et avait effectué une riche carrière au théâtre et au cinéma. Né en mai 1930, il s'est formé au Conservatoire national supérieur d'art dramatique dans les classes de Jean Yonnel et Georges Le Roy.
De 1953 à 1963, engagé au TNP, Yves Gasc interprète des pièces de Musset, Shakespeare, Büchner, Beaumarchais, Brecht, Molière, Pirandello. Il est nommé par Jean Vilar responsable des soirées ou matinées poétiques et littéraires du Théâtre national de Chaillot, au Festival d'Avignon et en tournée. Ensuite, il met en scène des pièces de Corneille, Labiche, Valéry, Hugo, Pinget et collabore fréquemment avec Laurent Terzieff. Entre 1973 et 1977, il fait partie de la compagnie Renaud-Barrault, où il joue notamment Claudel, Harold et Maud de Higgins, Villiers-de-l'Isle-Adam, Duras.
Yves Gasc a ensuite intégré la Comédie-Française en 1978 et en devient le 470e sociétaire en 1982. Au Français, il avait interprété de nombreuses pièces du répertoire classique et contemporain, de Molière à Samuel Beckett, en passant par Tchekhov, Giraudoux, Euripide, Hugo, Marivaux... Il était encore à l'affiche du Misanthrope de Clément Hervieu-Léger durant la saison 2016-2017.
«Avec Yves, c'est un large pan de l'histoire du théâtre en France et de la Maison qui disparaît»
Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française «Avec Yves, c'est un large pan de l'histoire du théâtre en France et de la Maison qui disparaît», a souligné Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française, dans un communiqué. Ce comédien prolifique avait continué ses activités jusqu'à ces dernières années, entre lectures de poèmes, rôles au théâtre et cinéma, dont le film Oblomov, sorti l'an dernier. Légende photo : Yves Gasc en 1982 sur la scène du théâtre Intermezzo. Rue des Archives/Rue des Archives/AGIP
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Le spectateur de Belleville
November 29, 2018 6:03 PM
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Par François Regnault , publié dans Le Monde le 29.11.2018 Le penseur du théâtre, qui a accompagné auteurs, metteurs en scène et acteurs au fil d’une riche carrière, est mort à 70 ans.
Jean-Loup Rivière est mort le 23 novembre, à Paris, à l’âge de 70 ans. La maladie l’a emporté en peu de mois. Tous ceux qui aiment le théâtre doivent ressentir douloureusement la perte de quelqu’un qui l’a aimé avec une telle intelligence, une telle ouverture d’esprit, une si grande originalité dans la vision. Auteurs de théâtre, metteurs en scène, acteurs, savent combien leur art doit à des penseurs du théâtre tels que lui, dramaturges comme on dit, ce mot ne désignant plus guère Corneille et Racine, mais cette fonction, cette position, héritées des théâtres allemands, qui définissent des compagnons, au grand sens du mot, de l’acte théâtral.
Né le 10 janvier 1948 à Caen, étudiant en philosophie, Jean-Loup Rivière anime un Groupe de recherches théâtrales, de 1969 à 1972, dont témoigne la revue L’Autre scène (1970-1976), de ce nom dont Freud désigna celle du rêve.
Elève et ami de Roland Barthes, dont l’inspiration n’a cessé de compter pour lui (il publiera en 2002 au Seuil un recueil de ses écrits sur le théâtre), il commence une thèse avec lui, mais ne s’inscrira que de façon indirecte dans la carrière universitaire, soucieux d’une indépendance qui ne fut jamais sans risque ni sans charme, et même s’il enseignera l’art du théâtre de façon éminente.
Des collections impressionnantes Car il enseigna plus tard comme maître de conférences associé à l’Institut d’études théâtrales de Paris-III, de 1995 à 2002, puis à l’Ecole normale supérieure de Lyon (département des arts) de 2004 à 2016, et il enseignait au Conservatoire national d’art dramatique de Paris depuis 2002. Ce serait à ses élèves (je n’en ai rencontré que d’enthousiastes) de dire tout ce qu’ils lui doivent.
Producteur à l’Atelier de création radiophonique de France Culture de 1973 à 1983, il fut aussi critique dramatique un temps à Libération (1981-1982), et ses lecteurs en ont gardé d’heureux souvenirs. Il dirigea aussi la collection « Le Spectateur français » (le titre vient de Marivaux), dans les années 1980, publiant entre autres Goldoni, Ibsen (les douze dernières pièces), Nanterre-Amandiers sur les années Chéreau (1990), le théâtre de Sénèque (traduit par Florence Dupont).
Il devient secrétaire général de la Comédie-Française (de 1983 à 1986, entré sous Jean-Pierre Vincent, administrateur général), puis conseiller littéraire artistique de ce théâtre (1986-2001), où il dirige et publie ces collections impressionnantes de 1983 à 2001 : « Comédie-Française » et « La Gazette du Français », « Le Répertoire » (8 volumes), puis « Répertoire » (10 volumes), « Le Spectateur français » (21 volumes), puis « Les Cahiers de la Comédie-Française » ; un travail énorme de numéros, thématiques ou non, d’analyses originales, allant au-delà des seules activités de la « Maison », une mine pour les chercheurs.
Cette étrange activité de spectateur Avec Jacques Lassalle (administrateur de la Comédie-Française entre 1990 et 1993), dont il devient un peu comme le dramaturge, il publie deux ouvrages : Conversations sur Dom Juan (P.O.L, 1994) et Conversations sur la formation de l’acteur (Actes Sud, CNSAD, 2004). Il édite en outre et préface le Théâtre complet, de Michel Vinaver, dont il est un ami proche (Actes Sud, 1986). Il écrit : « Le théâtre de Vinaver constitue une sorte de répertoire de la francité. »
Il publie aussi Comment est la nuit, essai sur l’amour du théâtre (L’Arche, 2002), Jours plissés (Les Impressions nouvelles, 2004) et Le Monde en détails (Seuil, 2015), ouvrages témoignant de cette étrange activité de spectateur dont il aura su faire un art, critique en somme, mais au sens de Baudelaire. On songe aussi à Lessing, et à sa Dramaturgie de Hambourg.
Dans son beau Le Monde en détails, il consacre de petits chapitres à des thèmes latéraux du théâtre, en vérité essentiels : « e » muet, vitesse, ennui, académisme, rideaux, etc. L’humour, à froid de Jean-Loup s’y déploie avec une sorte de jubilation.
Sensible au détail (comme l’historien Daniel Arasse dans la peinture), il considère la scène souvent de biais, pour y apercevoir comme en anamorphose de ces choses que la critique frontale ne voit pas, n’a pas à voir. Comme cette mère, qu’il évoque dans un article, qui voit son fils jouer le rôle de Hamlet, et qui ne regarde plus du tout le spectacle comme un spectateur normal. C’est que ce dernier n’existe pas, et que, hostile à l’idée massive du spectateur conventionnel qu’il ne fut jamais, on doit à Jean-Loup Rivière cette vision libre et souveraine du théâtre, qui, à le lire, fera toujours se modifier la nôtre.
Jean-Loup Rivière en quelques dates 10 janvier 1948 Naissance à Caen
1973-1983 Producteur à l’Atelier de création radiophonique de France Culture
1983-1986 Secrétaire général de la Comédie-Française
1983-2001 Dirige plusieurs collections consacrées au théâtre
2015 Publie Le Monde en détails
23 novembre 2018 Mort à Paris
François Regnault (Philosophe)
Légende photo : Jean-Loup Rivière, en 2005. Despatin & Gobeli/Leemage
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November 27, 2018 3:20 AM
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Par Laure ADLER, publié dans Libération 27.11.2018
AVEC JEAN-LOUP RIVIÈRE, TOUT ÉTAIT THÉÂTRE
La journaliste Laure Adler rend hommage à son ami dramaturge Jean-Loup Rivière, mort d'un cancer fulgurant. Il avait toujours le sourire aux lèvres. Il était discret, taiseux, élégant. Avec lui, parler de théâtre était un enchantement. Jean-Loup Rivière vient de mourir d’un cancer fulgurant à l’âge de 70 ans. Figure incontestée du monde du théâtre, il fut metteur en scène, directeur de revues de théâtre dont l’Autre Scène et les Cahiers de la Comédie-Française, enseignant au Conservatoire National Supérieur de Paris et à l’Ecole normale supérieure de Lyon, homme de radio à France Culture à l’atelier de création radiophonique et auteur de livres importants sur l’acteur, sur les séries télévisées qu’il trouvait imprégnées pour certaines d’entre elles de théâtre. Il avait publié un essai remarquable sur l’amour du théâtre comme ouverture au monde intitulé Comment est la nuit ? aux éditions de l’Arche.
La lenteur Encyclopédie vivante, il ne la ramenait pas avec sa science des textes, sa connaissance de la mise en scène mais il mettait en jeu le présent, l’intensité du présent. Du théâtre, il disait qu’il mettait en mouvement le corps d’abord puis réactivait l’intelligence. Art par essence de l’éphémère, il savait en prolonger les plaisirs dans l’après-coup de la représentation : publications de textes sur l’art de l’acteur, enseignement novateur au conservatoire et à l’Ecole normale supérieure, traductions de textes de théâtre de l’italien et du catalan, directeur de revues de théâtre importantes par la diversité des approches.
Jean-Loup Rivière pensait que la lenteur était une qualité : lenteur pour absorber la beauté d’un spectacle, lenteur du corps et de la mémoire qui fabrique notre éblouissement. Pour atteindre au secret de la beauté l’entendement du sensible et de la force du langage sont nécessaires. Jean-Loup était grand, massif, un peu gauche. Lui qui a tant donné, lui qui a tant transmis, lui qui avait pourtant le sentiment qu’il n’était pas à la hauteur. Dilettante au sens le plus noble du terme, il considérait que faire traduire intégralement l’œuvre de Sénèque était important. Il stupéfiait ses étudiants en convoquant dans ses séminaires des théoriciens d’art graphique sur le coupé, le suturé, le déchiré et pendant que les intellectuels parlaient, convoquait en même temps une couturière qui cousait ou un boucher qui découpait de la viande. Tout était théâtre. Préparer un repas, en ordonner les séquences, étonner les spectateurs – goûteurs de ces expériences émotives autant qu’intellectuelles… Normal : il venait du théâtre.
Surprises Metteur en scène très jeune, il a été découvert par les critiques lors de sa création à Caen du Bérénice de Racine puis ce fut William S d’après Shakespeare et très rapidement il devint l’introducteur principal des pratiques du théâtre du Living Theatre et de Jerzy Grotowski. Elève de Roland Barthes, il en tira la leçon que tout dans notre existence était élevé par le sentiment amoureux. Ami de Raoul Ruiz, il pensait que les surprises de la vie constituaient le sel de nos existences. Companero de Jacques Lassalle, il travailla avec lui Dom Juan et tout le répertoire classique.
Le théâtre était pour lui le lieu de l’éros le plus caché. Intellectuel élégiaque, il considérait que dans l’œuvre de Shakespeare se tapissaient les racines de la beauté du monde.
Laure ADLER Photo Despatin & Gobeli
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April 26, 2019 4:07 PM
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Propos recueillis par Agnès Santi, publié le 22 avril 2019 dans La Terrasse N° 276
Pauline Bureau crée à l’invitation de la Comédie-Française Hors la loi, à partir du célèbre Procès de Bobigny qui en 1972 ouvrit une brèche vers la légalisation de l’avortement.
Votre écriture se fonde sur le réel. Pourquoi ?
P.B.:Je trouve fascinant de porter à la scène des histoires réelles pour en dégager les lignes de force, la poésie, l’engagement et les combats qu’elles représentent. Ce qui m’intéresse surtout, c’est explorer les liens complexes qui se tissent entre les champs intime, psychologique, juridique et sociétal, c’est la manière dont nos vies sont façonnées par la loi, la culture et les normes sociales. Les créationsModèles (2011) sur la construction des identités féminines, Dormir Cent ans (2015) sur le passage à l’adolescence, Mon Cœur (2017) sur l’affaire du Mediator : chacune à leur manière, ces pièces nous ont conduits à une prise de conscience, partagée avec les spectateurs. Hors la Loi, créé à l’invitation de la Comédie-Française, s’avère très éclairant. La façon dont le corps des femmes est traité par la loi, dictant ce qui est bon ou pas pour elles, est une question passionnante. Aborder des sujets tabous sur le plateau, des sujets qui rendent honteux et coupables, cela fait du bien à tout le monde. Cette appréhension par la scène a un effet cathartique. Lorsqu’on se documente, il est d’ailleurs stupéfiant de constater que la réalité est toujours plus folle que ce que l’on croyait. Créer à partir du réel, cela implique de prendre le risque de la rencontre. On accepte d’être changé, les choses se complexifient. Le plateau devient un point de rencontre, avec des êtres et une pensée en mouvement.
« ABORDER DES SUJETS TABOUS SUR LE PLATEAU, DES SUJETS QUI RENDENT HONTEUX ET COUPABLES, CELA FAIT DU BIEN À TOUT LE MONDE. » La question du féminin traverse vos spectacles…
P.B.:La création deModèles en 2011 a entraîné pour moi une prise de conscience, m’a permis de comprendre quelle était ma place en tant que femme. C’est un spectacle fondateur, qui interroge les petites filles que nous étions et les femmes que nous sommes devenues. Ce questionnement très concret m’a rendu beaucoup plus sensible aux inégalités entre hommes et femmes. Cet axe de recherche invite à déjouer toutes sortes de mécanismes d’autocensure puissants. Un tel champ d’investigation est un terreau fertile. D’autant qu’être actrice ou metteure en scène implique de dépasser le fantasme qu’on a de soi, génère un travail d’ouverture d’esprit, de lucidité, sans se laisser enfermer dans un perfectionnisme mortifère. Il s’agit d’une quête, toujours en mouvement, comme la vie…
Comment avez-vous appréhendé la question de l’avortement clandestin dans Hors la loi ?
P.B. : Le point de départ du spectacle, c’est une interview passionnante de Marie-Claire Chevalier, que nous avons réalisée aujourd’hui à propos de l’épreuve qu’elle a traversée adolescente. C’est son histoire qui est à l’origine du Procès de Bobigny, qui s’est tenu en octobre 1972. Alors qu’elle n’avait que 16 ans, elle fut violée par un camarade de classe, dénoncée, arrêtée et accusée pour ce qui constitue alors un crime : l’avortement. Gisèle Halimi la défend en une plaidoirie qui se fait tribune publique contre une loi assassine, qui a entraîné la mort de dizaines de milliers de femmes. Les minutes du procès sont sidérantes. Nous nous sommes rendus compte que lorsque les langues se délient, on découvre quasi dans chaque famille une histoire d’avortement clandestin. Le spectacle éclaire les croisements qui opèrent lorsqu’une histoire individuelle rejoint la grande Histoire. Il est fascinant d’observer comment la construction de la loi reflète l’état de la société, et le théâtre est un endroit adéquat pour dévoiler l’expression de l’intime et ses répercussions.
Propos recueillis par Agnès Santi
Hors la loi Pauline Bureau Théâtre du Vieux-Colombier
A PROPOS DE L'ÉVÉNEMENT Hors la loi de Pauline Bureau du Vendredi 24 mai 2019 au Dimanche 7 juillet 2019 Théâtre du Vieux-Colombier 21 rue du Vieux Colombier, 75006 Paris mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 15h. Tél : 01 44 39 87 00.
Légende photo : Pauline Bureau, auteure et metteure en scène de la création Hors la loi. Photo © Paul Allain
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April 18, 2019 2:15 PM
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Par Patrick Sourd dans Les Inrocks le 18 avril 2019 Sous la direction de Marie Rémond, la troupe de la Comédie-Française redonne vie au tournage interrompu d’un scénario du maestro. A l’instar de Lewis Carroll propulsant Alice de l’autre côté du miroir, Federico Fellini nous invite avec Le Voyage de G. Mastorna à suivre les tribulations d’un violoncelliste célèbre qui, après avoir survécu au crash d’un avion, prend peu à peu conscience que le monde dans lequel il se réveille n’est plus celui des vivants. Ecrit en 1965 par le réalisateur, le scénario maudit ne deviendra jamais un film.
Il demeurera toutefois une véritable obsession pour le magicien de Rimini, qui va puiser dans son matériau surréaliste pour l’inscrire secrètement au cœur de ses œuvres à venir.
Puzzle d'images
Ainsi, de Satyricon (1969) à Roma (1972) en passant par Répétition d’orchestre (1978), Et vogue le navire (1983), Ginger et Fred (1986) et La Voce della luna (1990), la liste des références au script resté dans les cartons donne la mesure de la volonté de Fellini de surmonter l’échec initial en l’érigeant en clef de son inspiration à travers la construction au long cours d’un puzzle d’images proches du subliminal.
Consciente qu’il serait vain de prétendre rivaliser avec la démesure des visions felliniennes sur grand écran, Marie Rémond abandonne l’idée de représenter le scénario et construit sa pièce à la manière d’un documentaire nous plongeant dans les coulisses du tournage des premières bobines d’essais réalisés en studio.
Disposant de nombreuses sources littéraires et du storyboard de Fellini, devenu une bande dessinée sous le crayon de Milo Manara, la metteure en scène approche son objet d’étude sous l’angle d’un bras de fer entre l’auteur et son inconscient.
Le portrait d'un cinéaste piégé par la fiction
Les spectateurs étant installés sur des gradins répartis de part et d’autre de la scène, l’épique du tournage avorté se découvre en close-up. En écho des gags d’un film de Laurel et Hardy projeté dans la carlingue de l’avion qui n’arrive jamais à bon port, les comiques prises de bec entre le maestro (Serge Bagdassarian) filmant son héros que jouait Marcello Mastroianni (Laurent Lafitte) tiennent des dialogues cruels entre un clown blanc et un auguste.
Derrière l’humble magie de cette piste rectangulaire et sans jamais se départir du ton léger de la comédie, Marie Rémond sonde avec une extrême sensibilité le vague à l’âme qui submerge bientôt le réalisateur, âgé de 45 ans, qui se voyait en éternel abonné de la réussite. Tandis que le décor s’écroule accidentellement et que la puissance créative de Fellini vacille, se dessine le portrait troublant d’humanité d’un homme piégé par une fiction où il avait simplement pensé pouvoir imaginer sans tabou l’existence de rapports complexes entre la vie et la mort.
Le Voyage de G. Mastorna d’après Federico Fellini, mise en scène Marie Rémond, avec la troupe de la Comédie-Française. Jusqu’au 5 mai, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VIe
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April 1, 2019 7:15 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 01.04.2019 Cela devait être un film immense, extravagant, cosmique. Federico Fellini n'a jamais tourné "Le voyage de G. Mastorna", mais son scénario allait innerver ses films. Publié après sa mort, il nous sidère dès la lecture. Marie Rémond s’en inspire pour mettre en scène un metteur en scène qui doute, angoisse, fabule, entre dans sa fiction...Marie Rémond doute, elle aussi.
Rares sont les artistes de la scène qui, comme Marie Rémond, auraient eu l’idée et l’audace d’élaborer un spectacle fondé sur Le Voyage de G. Mastorna, un scénario monstrueux de Federico Fellini ; tout ce qui reste, et ce n’est pas rien, d’un film jamais tourné. On le sait, cette jeune actrice et metteuse en scène chérit les projets inattendus. D’Agassi à Fellini
Je me rappelle l’avoir vue pour la première fois au Jeune théâtre national. Elle sortait du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris et signait une maquette très accomplie qui deviendrait son spectacle, André. Non une adaptation d’un roman ou d’un film mais une traversée d’Open, les mémoires du tennisman André Agassi. Elle jouait le rôle du champion, enfant, ado, adulte, les autres rôles (frère aîné, père, etc.) étaient tenus par deux de ses comparses, Sébastien Pouderoux et Clément Bresson. Souvenir mémorable que celui de cette découverte (lire ici).
En discutant dans les couloirs du JTN, elle m’avait expliqué avoir d’abord songé à travailler sur une pièce de Marivaux mais la découverte de ces mémoires d’Agassi avait tout bouleversé. André allait, par son succès, accélérer le cours de sa vie. Auparavant, elle avait déjà monté des pièces peu normatives comme Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce. Elle allait poursuivre dans cette veine avec Vers Wanda d’après le film de Barbara Loden (lire ici) menant parallèlement une belle carrière de comédienne auprès de metteurs en scène comme Jacques Vincey ou Thomas Quillardet.
A l’invitation d’Eric Ruf, elle est entrée à la Comédie-Française par la petite porte du Studio où elle signa Comme une pierre qui roule... avec la complicité de Sébastien Pouderoux, devenu entre-temps pensionnaire de la Comédie-Française. Un spectacle consacré à Bob Dylan, focalisé sur l’enregistrement d’un de ses titres phares (lire ici). Gros succès. Et la voici donc dans la seconde salle de la Comédie-Française, au Théâtre du Vieux Colombier où elle retrouve Thomas Quillardet qui cosigne avec elle et Aurélien Camard-Padis l’adaptation du scénario de Fellini. Mémoires d’un sportif, chroniques cinématographiques ou studio d’enregistrement musical, Marie Rémond aime prendre le théâtre de biais pour mieux en creuser la face.
De Mastorna à Mastroiani
Ecrit par Fellini en collaboration avec Dino Buzzati dit Brunello Rondi, Le Voyage de G. Mastorna a été traduit en français après sa publication en Italie. Fellini avait refusé que ce scénario soit publié de son vivant. Il n’est d’ailleurs pas tout à fait achevé : « que se passe-t-il ensuite ? Sincèrement, je ne le sais pas encore. », note Fellini dans les dernières pages. Des grands décors ont été construits, des acteurs recrutés, mais à la veille du tournage Fellini tombe mystérieusement malade. Superstitieux, il y voit un signe (vers la fin de sa vie, il consultait un mage, le spectacle en fait l’écho). Le film ne se fera pas mais des séquences du scénario ressurgiront, plus ou moins transformées, dans ses films futurs.
Comme le dit très justement Aldo Tassone en préfaçant l’édition du scénario : « Dès l’ouverture, le voyage est entièrement structuré comme un cauchemar fébrile, interminable. » L’ouverture, c’est celle de la chute d’un avion avec à son bord G. Mastorna, scène qui s’inspire d’un souvenir personnel de Fellini. Mastorna devait être joué par Marcello Mastroianni et le jeu à trois bandes entre le personnage, le réalisateur et son acteur est constant dans le scénario, comme il l’est dans son film 8 1/2. Très vite, on entre dans une ambiance kafkaïenne (Fellini adorait L’Amérique) : tracas de l’administration disant à Mastorna que son passeport n’est plus valable, rêves qui s’immiscent dans le réel. Le Latin Fellini pousse le bouchon plus loin : des morts s’accoquinent aux vivants, oui il y a une vie après la mort, etc. Un scénario cosmique et comique, démesuré. Fellini est comme dépassé lui-même par son extravagance, la puissance de ses visions.
Marie Rémond pioche des éléments du scénario et parfois des séquences entières. Elle les utilise pour mettre en scène le tournage de ces scènes par Fellini tenant une petite caméra, assis sur un fauteuil à roulettes poussée par le régisseur. Des travaux d’essai pour le film futur. Le résultat est double : d’un côté, le spectacle est une collection de petits moments plus ou moins réussis mais qui ont du mal à faire corps ; de l’autre, le scénario ronge et envahit le plateau trop petit, trop terre-à-terre pour le suivre dans sa folie.
Alors, faute de pièce, on s’attache aux personnages et aux acteurs qui les interprètent. Serge Bagdassarian, omniprésent, est un troublant Federico, plein de tourments et de visions. Il est bien entouré par Jennifer Decker (l’assistante de Federico), Jérémy Lopez (Rino, le régisseur, toujours la clope au bec, que l’on croirait sorti de Cineccitta des années 60), Laurent Lafitte comme ailleurs (Marcello Mastroianni auquel Federico reproche de ne pas faire corps avec son personnage de Mastorna). D’autres acteurs et actrices interprètent plusieurs personnages, telle Georgia Scalliet qui s’amuse beaucoup à passer d’une accorte hôtesse de l’air à une dindonne avec gros nibards et gros cul rose. C’est riche, plein d’idées et pourtant cela s’échappe tout le temps. Marie Rémond met au centre de son propos le doute qui assaille Fellini, son tourment à l’heure de mettre en scène un projet gigantesque. Montre comment un metteur en scène qui doute et passe de l’intuition à la dépression, de l’autorité à la fuite, de l’homme à l’enfant. Il se peut que Marie Rémond ait elle-même douté de son propre projet. Le soir de la première – c’est toujours fragile une première –, on doutait que son pari soit pleinement réussi.
De Yacine à Gabily
Par les temps qui courent, à la Comédie-Française comme ailleurs, les spectacles conçus à partir de films se multiplient. On ne compte plus ceux faits d’après Bergman, Lars Von Trier, Visconti, mais aussi, Renoir, Rohmer, Eustache, Godard et bien d’autres. Un symptôme, sans doute, mais de quoi ? Eric Ruf, soucieux avec raison de la parité des sexes quant au choix des metteurs en scène, semble aussi vouloir œuvrer à une pluralité des formes : adaptations de romans, de films, de documents, écriture de plateau, pièces anciennes ou nouvelles.
La notion d’auteur s’est justement étoilée, les travailleurs du texte sont plus que jamais à la manœuvre mais la Comédie-Française, ce temple du répertoire, semble les négliger. Au lieu de présenter un embrouillamini sur la guerre d’Algérie, n’aurait-il pas été plus judicieux de faire ressurgir une pièce comme Le Cadavre encerclé de Kateb Yacine ? Pourquoi la Comédie-Française ne commande-t-elle plus de pièces ? Pourquoi des auteurs, disons de Didier-Georges Gabily à Jean-René Lemoine n’y sont pas montés ? Mais assez bavardé, revenons à Fellini et à son scénario.
Evoquons, quasiment au hasard, une des folles séquences du scénario Le Voyage de G. Mastrona. Une séquence démentielle que Marie Rémond ne peut que mettre sous le tapis de son adaptation. Trop dingue, impossible. Mastorna et son ami Armandino sautent d’un train en marche et se retrouvent au plan suivant dans une rue où les enseignes lumineuses « forment des silhouettes de femmes nues, dansantes, des faces de clowns, d’animaux, de mages et de diables ». Dans la cohue de la boîte, Armandino entraîne Mastrona vers un type qui, à l’aide d’une étrange machine, convoque les absents et les disparus. A sa demande, Mastrona appelle Luisa, sa femme : « Luisa, je t’aime ». Bientôt, c’est tout le personnel et tous les clients de la boîte de nuit qui clament « Luisa, je t’aime » et entament un strip-tease général. « Des hommes gros, chauves et simiesques, avec des ventres énormes, des femmes velues de tous les âges, y compris des vieilles aux seins flasques et recouvertes de rides », tous nus, répètent : « Luisa, je t’aime ».
Mastorna s’éloigne, un jeune homme exalté l’interpelle en braillant qu’il ne faut plus avoir peur de rien, ni de la vie, ni de la mort. Il entraîne Mastorna sur un balcon et sans attendre saute par-dessus la balustrade et se fracasse en bas. « Le corps reste immobile, écrit Fellini, tordu de façon atroce, dans un lac de sang et de matière cérébrale. Il reste ainsi pendant quelques secondes, puis saute sur ses pieds, comme un ressort, vivant, plus gaillard encore qu’auparavant. » Le jeune homme interpelle Mastorna : « Vous aussi, vous aussi ! Jetez-vous en bas !! On ne meurt plus ! » Toute la boîte de nuit saute dans le vide, et bientôt tout le monde saute des fenêtres de la ville qui « se lance dans un impossible suicide ». Finalement, entraîné par une « belle fille », Mastorna saute aussi. Comment filmer une telle séquence ? Fellini doute, s’angoisse, cherche des dérivatifs. C’est cela que Marie Rémond a voulu mettre en scène sans toujours y parvenir. Comme Fellini.
Le Voyage de G. Mastorna au Théâtre du Vieux Colombier, jusqu’au 5 mai. Le scénario traduit de l’italien par Françoise Pieri avec la collaboration de Michèle Berni Canani est paru aux éditions Sonatine, 208 p., 18€. Légende photo : Scène du "Voyage de G. Mastorna" © Vincent Pontet. coll.CF
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Le spectateur de Belleville
March 15, 2019 8:41 PM
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Par Joëlle Gayot dans Télérama - 14 mars 2019 Sociétaire de la Comédie-Française, le jeune homme n’en est plus à son galop d’essai dans la mise en scène…
Il élève des poneys en Normandie, région où il pratique l’équitation, un sport qui l’équilibre et lui rappelle la « peur et la fascination » qu’exerce le théâtre sur lui : « L’intuition folle que manifeste cet animal sensible et brûlant est ce qui m’intéresse chez l’acteur, bien plus que l’intellect. » Clément Hervieu-Léger, quadragénaire qui ne fait pas son âge, a intégré en 2005 la turbulente troupe de la Comédie-Française, où il est, depuis janvier 2018, un sociétaire qui compte. Mais cet interprète au physique romantique ne se contente pas de jouer.
Dès 2011, et avec un brio immédiat, il bascule vers la mise en scène. Une métamorphose à laquelle prétendent et où échouent nombre de comédiens. Lui a la grâce, le talent, le duende. Qu’il monte Molière, Marivaux, Wedekind ou Jean-Luc Lagarce, il crée sur scène un climat ténébreux, sensuel, fiévreux, que sa sage mèche brune et ses manières posées ne trahissent en rien. On s’en étonne : le plateau est-il le coffre-fort où il peut déposer sans se brûler des furies souterraines ? Il sourit poliment : « Je ne suis pas un garçon dépressif. Pourtant s’il y a passage à l’acte dans mes représentations, il est dans leur mélancolie. Je mets, dans mes spectacles, mon sentiment nostalgique d’un monde finissant aujourd’hui plus que jamais. » Comme tous les grands artistes, Clément Hervieu-Léger a une conscience aiguë de la mort. Sur le plateau, il la défie et la mate, ce qui lui permet, avoue-t-il, « de vivre plus intensément encore à côté ».
Rien d’étonnant que Le Pays lointain, pièce testamentaire de Jean-Luc Lagarce (l’auteur est mort quinze jours après y avoir apposé le point final), ait séduit ce fervent défenseur du répertoire classique. « C’est l’histoire de Louis, qui, au moment de sa mort, revient parmi les siens et revoit toute sa vie. Je suis bouleversé par la façon dont Lagarce organise ses adieux au théâtre, en convoquant dans son texte les vivants (ses amis, sa famille de sang) et les défunts (son amant, son père). » Pour jouer le rôle du héros condamné, Clément Hervieu-Léger a sollicité son double, le comédien Loïc Corbery. «C’est mon alter ego, un autre moi-même. »
“Le théâtre est une mission de service public” Son frère d’arme est en place sur le plateau ; ses parents (sociologues) seront parmi les spectateurs. Et au creux des silences flottera le souvenir du maître, Patrice Chéreau, rencontré en 2003 et avec qui, jure-t-il, la « conversation ne s’est jamais interrompue, même après son décès ». Clément Hervieu-Léger peut avancer d’un pas serein. En si bonne compagnie, il n’a aucun regret. Lui qui se destinait à la politique — « je voulais intégrer la haute fonction publique mais le théâtre est une mission de service public du même ordre, il est ce qui fait société » — est entré de plain-pied dans la famille théâtre. Et ce même si son art l’anime de « manière si vibrante » qu’il doit souvent le fuir pour « prendre l’air » sur la croupe d’un cheval.
Bio 1977 Naissance à Paris. 2003 Rencontre Patrice Chéreau lors des représentations de Phèdre. 2005 Entre comme pensionnaire à la Comédie-Française. 2014 Mise en scène du Misanthrope, de Molière, à la Comédie-Française. 2017 Création du Pays lointain au Théâtre national de Strasbourg. Le Pays lointain, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Clément Hervieu-Léger. Du 15 mars au 7 avr. Du mar. au sam. 19h30, dim. 15h. Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, 6e Tarifs : 6-40 €.
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Le spectateur de Belleville
February 23, 2019 11:17 AM
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Un Atelier de création de Mark Blezinger et Gaëlle Maidon Réalisation Véronique Lamendour Mixage Eric Boisset
Ecoutez l'émission en ligne sur le site de France Culture (1h)
« Vous êtes comme des étoiles qui se consument, des comètes…* » Klaus Michael Grüber, paroles de répétitions pour Le Roi Lear
Klaus Michael Grüber (1941-2008) fut un metteur en scène européen majeur de théâtre et d’opéra. Une heure d’émission radio ne suffirait pas à raconter scrupuleusement cette grande traversée créative d’une vie, qui a tant inspiré ceux qui, de près ou de loin, ont croisé cet artiste unique, si grand et si modeste. Mais dans l’intensité d’une seule heure, nous tenons qu’il est possible de faire entendre et de faire résonner sa présence en une épiphanie sonore, en proposant un libre récit de son voyage dans le théâtre, récit prenant appui sur une trame narratrice à deux voix, celles des réalisateurs, se répondant l’une l’autre, échanges de paroles, appels aux évocations — et invocations… laissant libre cours aux associations d’idées et de souvenirs.
Nous évoquerons le mouvement de Klaus Michael Grüber, de l’atelier à la scène, son travail avec ceux qui furent ses plus proches collaborateurs, le travail de répétition avec les comédiens, connus et moins connus, nous évoquerons le silence de Grüber dans le temps de ses créations, la parole, le verbe poétique de Grüber en ses paroles de répétitions: « Oublie donc Shakespeare, tu le trouves par toi-même. Chez les grands écrivains, les grands artistes, on a souvent le sentiment de trouver les choses par soi-même… » (K.M.G., Le Roi Lear ).
Les auteurs Mark Blezinger et Gaëlle Maidon :
Mark Blezinger, photographe et réalisateur, fut assistant à la mise en scène auprès de Klaus Michael Grüber de 1985 à 1990. Il nota et conserva les paroles du metteur en scène lors des répétitions et a réalisé par la suite de nombreux entretiens avec des comédiens et des collaborateurs artistiques. Ces documents sont en partie édités dans l’ouvrage Klaus Michael Grüber… il faut que le théâtre passe à travers les larmes…
Gaëlle Maidon, architecte et docteur en études théâtrales, a « découvert » l’existence de Klaus Michael Grüber à travers la lecture d’un article de Bernard Dort « Le Mystère Grüber », qui l’inspira dans l’écriture de plusieurs textes et de sa thèse intitulée Le dépassement de la mise en scène et la question de la théâtralité dans l’itinéraire de Klaus Michael Grüber.
Précisions sur les documentaires et archives :
Répétition d’Hypérion de Maderna dans la mise en scène de Klaus Michael Grüber : extrait du Magazine International de l’Art Lyrique, « Opéra n°18 », France 3, 1992 - émission de Claire Alby Newman réalisée par Gérald Caillat, Twincom Productions
> Bérénice dans la mise en scène de Klaus Michael Grüber. Captation réalisée par Bernard Sobel, production Sodaperaga/La Sept, 1987
> La Mort de Danton dans la mise en scène de Klaus Michael Grüber. Captation réalisée par Guy Seligman, production Sodaperaga/La Sept, 1990
Extrait des répétitions à la table avec Marcel Bozonnet et Klaus Michael Grüber pour Bérénice , enregistrement personnel réalisé par Leonidas Strapatsakis, Collection Comédie-Française, 1984
> Winterreise im Olympiastadion , film réalisé par Klaus Michael Grüber, Schaubühne de Berlin, 1977.
Klaus Michael Gruber en répétitions Avec les voix, dans l’ordre de leur première apparition :
De Klaus Michael Grüber, Juliette Binoche et Denis Lavant dans les Amants du Pont-Neuf ,
De Michael Koenig et Bruno Ganz dans les Bacchantes ,
D’Angela Winkler dans Iphigénie,
Ellen Hammer, sa collaboratrice artistique et les peintres et décorateurs Antonio Recalcati, Gilles Aillaud et Eduardo Arroyo dans l’atelier,
De Willem Menne dans Winterreise im Olympiastadion
De Dominique Reymond dans la lecture de ses Journaux de répétitions avec Klaus Michael Grüber et Antoine Vitez ,
Des comédiens Jean Benguigui, André Wilms, Angela Winkler et Jeanne Moreau,
De Dominique Reymond, André Marcon et André Wilms dans la Mort de Danton ,
De Ludmila Mikael, Marcel Bozonnet et Richard Fontana dans Bérénice ,
De Léonidas Strapatsakis et Bernard Michel pour les répétitions et les décors de Bérénice ,
De Jean-Pierre Vincent, ancien administrateur de la Comédie française,
Des critiques de l’émission du Masque et la Plume du 1er juin 1975,
De Jean-Pierre Thibaudat pour la lecture de son article « Klaus Michael Grüber est grand » enregistré au TNS en 2011
Et enfin les voix des élèves du conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris lors des répétitions d’A propos des Géants de la montagne de Luigi Pirandello en 1998.
Pour les extraits sonores des films documentaires, captations et archives de travail, nos plus vifs remerciements vont à Christophe Rüter Film Produktion, à Claire Alby Newman et Gérald Caillat, à Bernard Sobel, Guy Seligman et Sodaperaga, à Bernard Michel, à Léonidas Strapatsakis et aux archives de la Collection Comédie-Française.
Merci aux voix qui ont traduit : Jean François Neollier, Véronique Lamendour, Gaelle Maidon et Mark Blezinger.
Les notes de répétitions, dans la traduction de Jean Torrent, sont empruntées a l’ouvrage Klaus Michael Grüber ...Il faut que le théâtre passe à travers les larmes..., portrait proposé par Georges Banu et Mark Blezinger , édité par les Editions du Regard, l’Académie expérimentale des Théâtres et le Festival d’Automne en 1993
La thèse de Gaëlle Maidon aura initié une série d’enregistrements avec les plus proches collaborateurs de Klaus Michael Grüber afin de tenter de constituer une mémoire de ce que fut l’atelier Grüber. Cette émission en est une trace.
Archives INA : Yves Gaillard
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February 10, 2019 7:20 PM
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Par Armelle Héliot dans Le Figaro Publié le 07/02/2019
CHRONIQUE - Au Studio de la Comédie-Française, le brillant sociétaire traverse la pièce de Shakespeare en s'appuyant sur une kyrielle de textes.
Seul en scène. C'est la règle de la série «Singulis», portée par les comédiens de la troupe de la Comédie-Française. Des spectacles dont ils ont la complète responsabilité. La devise de la maison est «Simul et singulis». Tous ensemble et seul, singulier au cœur du groupe, être ensemble en restant soi-même.
C'est Loïc Corbery qui présente le «Singulis» actuellement à l'affiche, sous un titre qui peut sembler être une coquetterie: (Hamlet, à part). Un titre entre parenthèses car il s'agit d'une didascalie. Se plongeant dans le chef-d'œuvre de Shakespeare, la pièce dont tout comédien normalement structuré rêve de jouer un jour le rôle-titre, Loïc Corbery a observé qu'il était souvent noté que le jeune prince de Danemark se trouve seul en scène. Il a choisi ce fil. Mais il en tresse d'autres.
Le brillant sociétaire a énormément travaillé et rassemblé un corpus très important qu'il égrène au fil de la représentation. Il y a Hamlet, la pièce, en ses scènes essentielles, et les commentaires sur Hamlet, les souvenirs des metteurs en scène, des interprètes. C'est sans doute ardu pour qui n'a pas en tête l'histoire des mises en scène de Hamlet et ne saisit pas toutes les allusions, toutes les citations.
» LIRE AUSSI - Premiers pas à la Comédie-Française
Mais le plaisir peut tenir à autre chose. Le premier soir, les élèves qui assistaient au spectacle ont apprécié le jeu, la présence, la mobilité et suivi le fil de la pièce elle-même, qu'ils avaient en tête. À la fin du spectacle, une feuille volante est remise aux spectateurs. Elle recense les différents textes et leur origine. De Victor Hugo à Philippe Avron en passant par Heiner Müller, Sarah Bernhardt ou Ingmar Bergman, Loïc Corbery a trouvé partout le jeune homme au manteau d'encre et de nuit.
Des scènes célèbres, avec trois fois rien Il s'imagine d'ailleurs en étudiant, enfermé dans sa piaule, face à un petit bureau, un tourne-disque à l'ancienne, des cassettes d'autrefois. Avec ses lunettes à monture sombre, il a des airs de jeune Américain des années 50-60! En suractivité. Il ne tient pas en place. Les vinyles non plus. Car c'est lui, lui tout seul, qui a concocté la bande-son. Parfois, c'est un extrait d'entretien. On entend l'inoubliable voix de Patrice Chéreau, notamment…
Tant d'autres. Il faut se laisser porter, et si l'on rate un auteur, un artiste, on suit avec plaisir le déroulement de la tragédie et l'on s'amuse ou l'on admire la manière dont Loïc Corbery, avec trois fois rien, réinterprète les scènes célèbres. De «Père», à «Mère» que Hamlet appelle, d'amour filial et désir de vengeance à déception et acceptation de sa propre mort, ce grand personnage de légende suit son chemin sous nos yeux. Un journal chiffonné, et voici les crânes des pauvres morts, un assaut contre le mur et voici le rat occis. Ou est-ce Polonius?
Loïc Corbery, que l'on applaudit depuis l'orée des années 2000, du Conservatoire au Français, où il a été engagé en 2005, est un interprète plein de charme, de profondeur, d'intelligence, d'expressivité. À la fin, il cite Vilar et une lettre à Gérard Philipe que la mort empêcha d'être Hamlet sous la direction de Peter Brook…
Studio Théâtre de la Comédie-Française, du mercredi au dimanche à 20 h 30. Durée: 1 h 30. Tél.: 01 44 58 15 15. Jusqu'au 24 février.
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February 7, 2019 6:05 PM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde - Publié le 07.02.2019
Au Vieux-Colombier, à Paris, Julie Bertin et Jade Herbulot peinent à raconter les multiples retombées du conflit. Il est difficile de faire un spectacle sur la guerre d’Algérie. Même si on travaille sérieusement, comme Julie Bertin et Jade Herbulot, qui mettent en scène Les Oubliés, Alger-Paris, au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, on bute sur une histoire dont la mémoire resta longtemps « tapie », pour reprendre l’adjectif de l’historien Benjamin Stora. Et dont les retombées se font aujourd’hui encore sentir dans la société française, d’une manière plus ou moins souterraine. Autrement dit : le sujet reste délicat et complexe. Tenter de l’approcher, sinon de le rationaliser sur le plateau d’un théâtre, met nécessairement dans l’embarras ceux qui s’y attellent.
Julie Bertin et Jade Herbulot ne sont pourtant pas des novices en matière d’histoire. Berliner Mauer : vestiges, le premier spectacle qu’elles ont créé, quand elles étaient au Conservatoire, à Paris, en 2013, traitait de la question du mur de Berlin, en remontant aux prémices, la fin de la seconde guerre mondiale et les accords de Yalta. Elles qui n’ont pas connu la guerre froide voulaient comprendre l’Europe dans laquelle elles ont grandi. Elles l’ont fait en se documentant beaucoup, en voyageant et en recueillant des témoignages. Et c’était réussi.
Lire la critique de « Berliner Mauer : vestiges » : L’Histoire au pied du mur Ensuite, avec la compagnie qu’elles ont fondée, le Birgit Ensemble, elles se sont penchées sur deux autres moments-clés de l’Europe : la guerre en ex-Yougoslavie, dans les années 1990, et la crise de la dette grecque, dans les années 2010. Les deux spectacles, Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes, ont été créés au Festival d’Avignon en 2017. Si la mise en question de la dette grecque, caricaturale, ne passait pas la rampe, on retrouvait, dans Memories of Sarajevo, la patte des deux metteuses en scène : un regard acéré mais sans complexe sur les acteurs de l’histoire, dont les enjeux étaient présentés d’une manière fine et enlevée.
Lire le reportage : Le Festival d’Avignon dans les ruines de Sarajevo Anecdotique Le Birgit Ensemble montrait ainsi très bien la comédie du ballet diplomatique autour de Sarajevo. Dans Les Oubliés, la mise en scène d’un autre « ballet » – la préparation de la Constitution de 1958 – tombe à plat. Elle est anecdotique, comme tout le spectacle, qui repose sur un va-et-vient entre la « grande » politique et les « petites » vies. Au Théâtre du Vieux-Colombier, les spectateurs sont assis sur des gradins qui se font face. Au milieu, un espace qui devient tour à tour le bureau de la maire du 18e arrondissement de Paris, en 2019, et le bureau du général de Gaulle à l’Elysée, entre 1958 et 1961.
Une maire juive dont la famille a quitté l’Algérie en 1962, un marié de parents franco-algériens, une mariée française dont on apprendra que la famille soutenait l’OAS (Organisation de l’armée secrète) : rien ne manque, mais l’imbrication du passé et du présent s’arrête à cet énoncé sommaire, qui ne rend pas compte des retombées multiples de la guerre d’Algérie dans la France d’aujourd’hui. Même chose du côté de l’Elysée, qui apparaît bien loin des violents soubresauts de la France de 1958 à 1961. Les comédiens ont beau s’engager avec tout leur talent, ils nous laissent sur notre faim, comme dans une dramatique à thème.
Lire l’enquête : La jeune garde qui bouscule le théâtre public Les Oubliés, Alger-Paris, de et mise en scène par Julie Bertin et Jade Herbulot. Avec Sylvia Bergé, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Serge Bagdassarian, Nazim Boudjenah, Danièle Lebrun, Elliot Jenicot, Pauline Clément. Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6e. Jusqu’au 10 mars.
Légende photo « Les Oubliés, Alger-Paris », de et mise en scène par Julie Bertin et Jade Herbulot, au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE
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January 11, 2019 11:04 AM
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Entretien avec Julie Deliquet, propos recueillis par Laurent Mulheisen pour le site de la Comédie-Française janvier 2019 Photo © Brigitte Enguérand À l’ évocation du nom Fanny et Alexandre, le public français pense immédiatement au film testament d’Ingmar Bergman. Cependant, votre adaptation ne se base pas uniquement sur ce dernier… Julie Deliquet. Comme pour beaucoup de monde, Fanny et Alexandre a d’ abord été pour moi, effectivement, un film, avant que j’ apprenne que celui-ci avait été précédé par une série télévisée, elle-même basée sur un roman de Bergman. En me plongeant dans ce roman, j’ ai découvert toute une matière textuelle dans les dialogues qui n’ existait pas dans le film ; elle avait même été enrichie pour les besoins de la série. Il nous a alors semblé pertinent, à Florence Seyvos, Julie André et moi-même, de partir de ces trois matériaux pour établir notre version scénique. Dans le roman on trouve de longues descriptions devenues de longs plans-séquences dans le film ; les dialogues en sont quasiment absents. Dans ces moments-là nous avons emprunté aux dialogues inédits à la série télévisée qui étaient destinés à des scènes au développement plus lent que dans le film. Votre adaptation souhaitait aussi tenir compte du lieu qui accueille votre spectacle… Les lieux, dans le film et plus encore dans le roman, sont multiples. En décidant de faire une adaptation scénique, il nous fallait trouver un fil pour que cette histoire puisse être racontée sur une scène de théâtre. Il n’ était pas question de rivaliser avec la beauté des images de cinéma ou des descriptions du roman en signant une transposition de plus ; il nous fallait donc trouver un autre biais, un autre abri pour notre adaptation. Or, il y a ce théâtre des Ekdahl et ce théâtre de la Comédie-Française avec, dans un cas comme dans l’autre, une troupe permanente ; c ’est donc ce fil que nous avons choisi. Ce faisant, il nous a fallu renoncer à certaines scènes que nous aimions beaucoup, car elles ne « rentraient plus » dans le théâtre. En revanche, nous avons pu en garder certaines autres que Bergman avait coupées en transformant la série télévisée en film.
Votre fil met ainsi en avant ce que Bergman raconte du théâtre, d’une famille de théâtre. Fanny et Alexandre est l ’œuvre d’un vieux monsieur qui s’ exprime à travers les yeux d’un enfant, Alexandre. Comme je ne suis pas un vieux monsieur, ni un garçon, il me fallait trouver comment, à partir des mêmes problématiques, j’allais pouvoir être une « sorte d’ Alexandre ». J'ai choisi de faire du frère et de la sœur des adolescents, porteurs de cette révolte et de cette insolence qui a, entre autres, permis à de jeunes gens de bousculer les codes théâtraux au sein de l’institution ces dernières années. Alexandre et Fanny représentent pour moi cette nouvelle génération entrée récemment dans la troupe de la Comédie-Française, que je confronte à des acteurs à la carrière plus affirmée, plus puissante, soit au sein-même de cette institution, soit ailleurs, à d’autres moments. J’ observe alors comment ces acteurs « font ensemble », consciente de voir ce théâtre à l’italienne qu’ est la Salle Richelieu avec le regard neuf d’une Fanny ou d’un Alexandre, puisque c’ est la première fois que je travaille dans un tel contexte. Je m’amuse du fait de scruter la Troupe « de l’intérieur » tout en la fantasmant. J’ai envie de parler de cela, de mon expérience à moi ; mon regard ne peut évidemment pas être celui de Bergman – de l ’enfant sous la table. Il y a donc superposition entre la troupe des Ekdahl et celle de la Comédie-Française, mais aussi entre 1907 et aujourd’hui. Ces pôles sont en regard les uns des autres. Si l’histoire racontée est celle des Ekdahl en 1907, nous serons cependant, au début du spectacle, en 2019, avec les acteurs de la distribution, dans la Salle Richelieu. Sans volonté marquée d’anachronisme, un doute planera : ces acteurs qu’ on verra sur scène sont-ils déjà les personnages ou sont-ils les membres du Français, en proie à des doutes de théâtre ? Pensent-ils vraiment ce qu’ils sont train de dire sur leur métier ? Le spectacle s’ organise en deux parties selon un procédé que l'on pourrait qualifier de « miroir inversé » : dans la première partie, on est au théâtre – dans le monde de l’illusion – mais l’action se déroule sur le « vrai » plateau de la Salle Richelieu. Mais dès l’instant où Emilie Ekdahl renonce au théâtre pour entrer dans la vie « réelle », on se retrouve dans un décor, c'est-à-dire dans du « faux »… Le projet est véritablement construit dans ce va-et-vient entre ce réel et la fiction. Dans mon travail d’investigation lors des répétitions, je suis tout autant obsédée par les acteurs de la Comédie-Française que par ceux du clan Ekdahl. De la même façon, je suis obsédée par la fiction que représente la deuxième partie – le passage à l’ évêché : les acteurs doivent y trouver la puissance de raconter une deuxième histoire, de « faire dans du faux » tout en veillant à ce que le public y croie totalement, alors qu’ils ont passé toute la première partie à lui expliquer, justement, qu’ on était au théâtre, avec tous ses codes et sa panoplie de décors à disposition. Il y a là une sorte de mise en abyme de la puissance du théâtre, mais c’ est bien ce dont parle Bergman : ce petit monde reflète-t-il le grand monde ? Les acteurs qui y travaillent œuvrent-ils pour le grand monde ou ne font-ils que s’ en protéger, ne le servant que lorsqu’il concerne leur personnage, leur rôle ? C’est toute la problématique d’Emilie qui, en voulant arrêter le théâtre, vit l’un de ses plus grands rôles de tragédienne, au sein même d’une nouvelle vie de fiction. Il était important pour moi que le parallèle entre la Comédie-Française et le théâtre des Ekdahl ne reste pas de l’ ordre de l’idée, et que l’arrivée du décor, dans la deuxième partie, rende compte de cette mise en abyme. Et puisqu’ on a dévoilé toutes les ficelles, tous les rouages, tous les artifices du théâtre dans la première partie, je n'ai pas l'impression de passer dans la deuxième, à un mode de représentation « classique » mais plutôt à l’ exploration d’un théâtre inédit pour moi. Ce que je veux montrer c’ est qu’à un moment donné, on a quand même besoin de « raconter une histoire », que c’ est pour cela aussi que l'on fait du théâtre. La matière de Bergman – par sa dimension psychanalytique et surréaliste parfois – autorise à aller jusqu’au bout d’une telle démarche artistique. Elle interroge la place des acteurs en tant qu’acteurs, et celle des metteurs en scène en tant que metteurs en scène. On peut passer par le costume d’ époque en prétendant que les acteurs sur scène sont en train de jouer une pièce, puis reculer dans le temps et situer l’action au début du vingtième siècle. C’est ce trajet-là qui fait que, contrairement à ce que l’ on pourrait penser, l’histoire est aussi jouissive et hypnotique même quand, à partir de la scène de l’ évêché, elle se « gâte ». L’ histoire qui est racontée convoque des phénomènes magiques, paranormaux – au moment du sauvetage des enfants par exemple – ; des enfants qui croient aux fantômes tout en assistant au spectacle de la tragédie et du sauvetage de leur mère… Les fantômes sont omniprésents au théâtre. En faire apparaître un n ’a rien de particulièrement surnaturel. Oscar, fantôme dans la deuxième partie, interprète, dans la première, le spectre du père dans Hamlet ; il est d’ emblée un fantôme de théâtre. Notre difficulté était d’arriver à faire entrer dans le spectacle la magie et le surnaturel avec une puissance aussi moderne et folle que celle manifestées dans le roman et le film. Il s’agit bien d’une histoire de poupées russes : dans la première partie, les personnages jouent avec des fantômes de théâtre qui ne sont pas dangereux ; lorsqu’ils sont confrontés à de vrais fantômes, ils peuvent, à tout moment, pour s’ en émanciper, se dire qu’ au fond tout cela « n’ est que du théâtre ». Au bout d’un moment, on croit à tout, on ne sait plus si on est revenu au théâtre, si les personnages jouent une pièce, si l’ on est toujours dans la fiction. Le seul choix, alors, est d’ « y croire » et de rejoindre l’ œuvre sans plus se demander « comment tout cela est arrivé », car on ne le sait pas. C’est une plongée dans la perte des repères ; on ne sait plus ce qui est vrai ni ce qui est faux. Vos mises en scène reposent sur la force du collectif, elles laissent aux acteurs une part d’improvisation. Comment ces deux aspects de votre travail s’ expriment-il ici ? Le spectacle comporte des parties improvisées dans lesquelles j’ essaie de dégager certains parallèles, certaines provenances, certaines similitudes dans les doutes et les questionnements que peuvent avoir des acteurs du Français sur leur propre carrière. Cette part d’improvisation ne se situe pas dans la partie « fictionnelle » de l’œuvre, celle de l’ évêché ; la matière y est telle qu ’elle leur donne déjà pas mal de travail. Elle se situe là où l’action flirte avec le réel. J’ai d’abord demandé aux acteurs de tourner de petits films dans « leur » Comédie-Française, dans des endroits que je ne connais pas, où je reste « spectatrice ». Je voulais voir comment ils allaient passer – eux qui sont tous compagnons de route depuis un temps plus ou moins long – d’un dialogue amical (dans une loge, sur le plateau vide, dans les coulisses ou encore à l’atelier costumes…) à un rapport de frères ou de partenaires dans Fanny et Alexandre, tel que Bergman le décrit. Ce qui m’intéresse, au fond, c’ est de voir comment Bergman et la troupe de la Comédie-Française se rejoignent. Et je ne veux pas que ce lien reste de l’ordre de l’ expérience de répétition, je souhaite qu’ on en retrouve les marqueurs dans le spectacle ; le public doit pouvoir s ’émouvoir de certaines paroles prononcées sans avoir à se demander si, à tel moment, l’ acteur s’ abrite derrière son rôle. Ce faisant, j’aimerais qu’il questionne sa démarche quand il va au théâtre. En demandant aux acteurs de dialoguer entre eux en puisant dans leurs « ressources naturelles », je cherche à provoquer une « vérité » du dialogue, et je ne veux rien abîmer, dans ces moments-là, du travail sur le théâtre, parce qu’il est au cœur de notre tâche dans Fanny et Alexandre. Si nous « singions » notre métier en « jouant » une répétition sur le plateau – laquelle serait forcément à mille lieues de ce qu’ est vraiment une répétition – tout le projet serait raté. L’hyper-matière du texte né des improvisations nous sert à aller vers Bergman. Quand le réel rencontre la fiction, j’ éprouve comme une sensation de puissance et je me dis que tout ce que nous cherchons dans ce spectacle peut se continuer derrière le rideau avec de vraies personnes rejoignant notre décor, que la table du spectacle peut aussi servir de « vraie table » de festin. Cette sensation-là me trouble. J ’ai envie que les spectateurs se disent qu’ils sont les premiers fantômes de la fiction, que nous leur offrons l’ envers du décor, exactement comme quand Fellini fait basculer sa caméra et donne à voir toute la machinerie de Cinecitta, avant de la faire repartir sur le plateau. Et quand elle repart, on y croit encore plus. À ce moment-là surgit quelque chose de l’ enfance, non pas d’une enfance nostalgique, mais d’une enfance qui aime jouer. Mon souhait est que le spectateur ait la sensation de vivre un moment privilégié, d ’ être voyeur, de voler quelque chose, comme Alexandre sous la table a le sentiment de voler un moment d’intimité de sa grand-mère, de fantasmer ce monde des Ekdahl qui gravite autour de lui.
À la fin de l’histoire, lorsque Emilie cesse d’être « prisonnière de sa fiction dans le monde réel » en échappant aux griffes de l’ évêque et qu’elle retourne au sein de la troupe de théâtre, on a l’impression que la boucle se boucle … Tout au long de la pièce, quand on parle du théâtre, ce sont des acteurs de la Comédie-Française jouant des acteurs du clan Ekdahl qui le font. Or, dans la dernière allocution de la pièce, le « retour au théâtre d’Emilie » est évoqué par Gustav Adolf, un membre du clan Ekdahl qui n’ est pas acteur. On voit alors Hervé Pierre, acteur de la Comédie-Française, dire « Je vous parle de théâtre mais je ne suis pas acteur », et soudain c’est comme si la fiction avait gagné sur le plateau de la Salle Richelieu, comme si elle nous avait tellement avalés qu’un personnage pourrait dire « de toute façon, moi, je n ’en fais pas, du théâtre » et qu’ on y croie. Hervé Pierre est passé derrière Gustav Adolf. L’ œuvre de Bergman et notre adaptation restent un hommage à la fiction, et non pas au réel. La fiction en tant qu’elle augmente le réel. Sans le réel, de toute façon, la fiction ne m’intéresse pas. Julie Deliquet Au clan des Ekdahl est opposé celui des Vergerus, champions du « monde tel qu’il est ». Or n’ y a-t-il pas, dans toute la perversité du comportement de l’ évêque, une grande part de représentation ? Je pense que dans Fanny et Alexandre, le « théâtre » est bien plus fort chez les Vergerus que chez les Ekdahl, ne serait-ce que parce que leur espace est contraint. On a réduit la cage de scène, ils n’ ont plus que quelques accessoires à disposition là où les Ekdahl avaient une « boîte à jeu » énorme, et ils doivent jouer une fiction d’un bout à l’autre tout en passant en « deuxième partie ». Dès lors, tout est forcément exacerbé. Il y a soudain une puissance de vie qui décuple tous les sentiments ; on se retrouve dans une tragédie grecque à la suédoise, avec son rapport à la religion, au désir, à la création ; cette tragédie naît de toutes les contraintes qui vont peser sur Fanny et sur Alexandre – sur leurs corps d’adolescents. Face à l’interdit, l’insolence, la révolte et la sexualité poussent… Tout va être bien plus « osé » à l ’évêché. Le rapport de séduction et d’hypnose doit être tel, au début de cette histoire entre Emilie et l’ évêque, qu’au moment de sa chute on ait le sentiment de s ’être fait complètement avoir, tant le niveau de perversité atteint devient insoutenable. Mais pour cela, il ne faut pas annoncer la couleur immédiatement ; je construis ce début de deuxième partie de manière presque similaire à celui de la nuit de Noël pour que le spectateur se dise : « cela repart, on va avoir une nouvelle histoire. » La perversion à l’ œuvre dans cette partie tiendra davantage à la façon dont sera menée la chute qu’au jeu de Thierry Hancisse par exemple, qui restera attirant tout au long de son rôle d’Edvard. C’est lui qui détermine les règles du jeu et pour rien au monde il n’ arrêterait le spectacle. Il continue, même lorsqu’Emilie est partie. Il joue jusqu’au bout, jusqu’à sa perte. Il est comme un fou refusant de sortir de sa fiction. Il tient les ficelles de l’histoire, comme s’il jouait et mettait en scène sa propre forme. Edvard ne fait que provoquer du théâtre, mais pas celui qu’il aimerait voir représenté. Au fond, je n’ ai pas l’impression que dans la deuxième partie, le théâtre s’arrête et qu’ on commence à « jouer une histoire ». C est presque encore plus fou de se dire qu’on va recommencer le théâtre. Dans Fanny et Alexandre, le théâtre est partout : les Vergerus sont tout autant acteurs que les Ekdahl.
Dessin de répétitions © Anne Kessler Photographie de répétitions © Brigitte Enguérand Julie Deliquet © Samuel Kirszenbaum Propos recueillis par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française, décembre 2018.
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Le spectateur de Belleville
December 22, 2018 4:35 AM
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Par Armelle Héliot dans Le Figaro le 20/12/2018
CHRONIQUE - Alors que paraît un ouvrage passionnant sur la maison fondée en 1680, le comité de fin d'année a livré hier ses résultats. Certains pensionnaires accèdent au sociétariat, mais d'autres sont exclus brutalement.
Louis XIV, le Roi-Soleil, a créé la Comédie-Française en 1680. Molière était mort depuis sept ans et c'est pourtant souvent en disant «la maison de Molière» que l'on désigne cette institution exceptionnelle et unique au monde. Unique parce qu'y bat, comme un cœur, la troupe. Unique parce que cette troupe, placée sous l'autorité d'un administrateur général nommé en Conseil des ministres, par le président de la République sur proposition du ministre de la Culture, est toute-puissante au sein de l'institution. On dit «sur proposition», mais c'est d'abord par l'Élysée que tout passe et les candidats doivent y être connus, appréciés. Sinon y faire leur cour.
Manipulés, quelques centaines de migrants ont voulu envahir le bâtiment du Palais-Royal dimanche dernier, 16 décembre. On y donnait, en soirée, Lucrèce Borgia de Victor Hugo, dans une mise en scène de Denis Podalydès. Elsa Lepoivre a succédé à Guillaume Gallienne dans le rôle-titre et la partition de Don Alphonse d'Este est toujours tenue par Éric Ruf, administrateur général et auteur de la scénographie. Les personnels qui surveillent les accès du bâtiment, place Colette, en cette période de plan Vigipirate, ont pu fermer les portes à temps et rien n'a dégénéré. Mais les communiqués sont éloquents qui attribuent au «Français» et à ses membres un pouvoir extraordinaire.
Les auteurs de l'ouvrage richement illustré qui vient de paraître, Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste, directrice de la bibliothèque-musée, et Martial Poirson, professeur d'histoire culturelle et d'études théâtrales à Paris-VIII, éclairent parfaitement les liens inextricables de la maison avec le pouvoir politique. Ils analysent avec précision les fils politique, administratif, juridique, social, économique et, évidemment, technique et artistique, qui composent la tresse irisée d'une grande histoire.
Les chapitres intelligemment découpés, l'iconographie qui les éclaire, avec de nombreux et très divers documents, dont certains sont inédits, rendent la lecture très aisée, même pour ceux qui ne seraient pas des spécialistes ou des amoureux fervents de la Comédie-Française, avec son image tôt formée: un emblème, la ruche, une devise, Simul et singulis (Être ensemble et rester soi-même).
Férocité archaïque La ruche, oui, pas de doute. On y travaille tout le temps, des sous-sols au grenier, de la salle Richelieu au Vieux-Colombier en passant par le Studio. Et sans compter les tournées, à l'étranger ou en France. La Comédie-Française compte actuellement 450 «employés», représentant 70 professions. Ce n'est pas peu… Mais la devise, aussi belle soit-elle, cache mal ce qui est l'une des spécificités les plus cruelles de la troupe. On s'y jauge et l'on s'y juge, comme le montrent le fonctionnement du comité d'administration et les décisions de fin d'année.
Certains pensionnaires passent sociétaires. C'est le cas, cette année, de Benjamin Lavernhe, le délicieux Scapin qui revient de tournée et que l'on retrouve salle Richelieu, et de Sébastien Pouderoux, fascinant Bob Dylan de Like a Rolling Stone, spectacle qu'il avait monté avec Marie Rémond. Évidemment, Lavernhe comme Pouderoux, entrés en 2012, ont joué bien d'autres rôles et on ne saurait discuter ces choix. Ils seront les 534e et 535e sociétaires à compter du 1er janvier 2019.
Mais d'autres mouvements ont été actés il y a quelques jours en comité d'administration et entérinés hier matin en assemblée générale. Michel Favory, entré en 1988, a souhaité faire valoir ses droits à la retraite. Il est nommé sociétaire honoraire. Lui a décidé de partir. Il n'en est pas de même pour trois autres artistes de la troupe pour qui on emploie l'hypocrite formule «sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite». Il arrive, en effet, vous l'aviez peut-être oublié, que des comédiens se voient invités à quitter les lieux sans l'avoir souhaité. C'est d'une grande violence, quoi qu'en disent ceux qui prennent ces décisions. Il y a là un fonctionnement d'une férocité archaïque.
Visée cette année, Martine Chevallier. Entrée en 1986, comédienne très aimée du public, elle n'est pas exclue de la troupe puisqu'elle est nommée sociétaire honoraire et donc, en principe, peut être rappelée par tel ou tel metteur en scène, qui ne voudrait pas se passer de sa personnalité et de sa puissance tragique.
En revanche Cécile Brune, entrée en 1993, à la demande de Jacques Lassalle, est virée, complètement virée. Sa voix rauque et sa présence ont toujours fait merveille et Robert Wilson rêvait de la diriger dans Phèdre. Viré lui aussi Laurent Natrella, entré en 1998, tellement formidable lorsqu'il s'est agi de jouer Les Enfants du silence et que l'on n'a jamais vu démériter. La troupe est également appelée la famille des Atrides. Et parfois le mérite.
Comédie-Française, une histoire de théâtre, par Agathe Sanjuan et Martial Poirson, Seuil/Comédie-Française Éditeurs, 304 pages très illustrées, 39€.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 21/12/2018. Légende photo : La salle Richelieu de la Comédie-Française, à Paris. - Crédits photo : comédie-Française / Cosimo Mirco Magliocca
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Le spectateur de Belleville
December 2, 2018 9:40 AM
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Par Judith Sibony dans son blog, Coup de théâtre 27.11.2018 Il est très réussi, le spectacle de Géraldine Martineau sur la « Petite Sirène » au Studio théâtre de la Comédie Française. Car sous couvert de légèreté enfantine, chaque scène porte une idée forte sur le féminin, le rapport à l’autre, la liberté. Les enfants ne s’y trompent pas, silencieux qu’ils sont tout au long du spectacle, et visiblement réjouis à la sortie. Pourtant, la metteur en scène n’a pas tenté d’adoucir le dénouement du conte, et le prince pour lequel la sirène renonce à sa vie aquatique et à sa belle voix finit bel et bien par en épouser une autre.
Qu’importe la perspective ou non d’un happy end, ce spectacle a le don de faire communiquer le poétique et le trivial, le réel et le symbolique, et c’est cela qui donne de la joie. Sous la plume et le regard de Géraldine Martineau, la figure fascinante de la sirène, cette femme-poisson ensorceleuse, devient une allégorie moderne de la femme désirante. Ici, en effet, la sirène n’est autre qu’une jeune fille sage comme une image. C’est la première vision qu’on a d’elle, dans le spectacle : nulle queue, mais une posture explicitement contrainte, puisqu’elle croise les jambes sur une balançoire où elle ne se balance même pas. Jolie métaphore de l’enfermement ; triste princesse confinée dans les splendeurs sous-marines, et qui fête ses quinze ans sans avoir jamais vu le ciel. C’est peut-être tout simplement cela, le secret de cette femme-poisson qui fait tant fantasmer les humains : un être qui ne peut pas courir ni danser, et dont les désirs sont tus au creux de ses jambes hermétiquement closes.
Le conte revisité par Géraldine Martineau parle ainsi des vertiges du monde social et « genré ». Or comme par hasard (mais dans un répertoire, y a-t-il des hasards ?), la Comédie Française accueille au même moment une pièce de Shakespeare qui pense des questions très proches, sur l’autonomie du désir et la souveraineté des femmes. Il s’agit de La Nuit des Rois, merveilleux spectacle mis en scène par Thomas Ostermeier salle Richelieu.
Dans cette pièce où la plupart des êtres jouent à cache-cache avec leur sexe et leur identité, on retrouve, au détour du dénouement, le même couple d’acteurs que dans La Petite Sirène : Adeline d’Hermy et Julien Frison. Avec La Nuit des Rois, la comédienne prolonge de façon lumineuse son rôle de sirène (ou le contraire) en incarnant la somptueuse duchesse Olivia. Et Julien Frison, qui joue un jeune et noble naufragé (on n’est pas loin des sirènes !), finira par l’épouser.
L’après-midi au Studio, les deux acteurs incarnent donc un amour impossible, tandis que le soir, salle Richelieu, ils forment un couple triomphant. Voilà le petit miracle propre à la Comédie Française, où l’alternance (c’est-à-dire la cohabitation de plusieurs spectacle en même temps) permet de créer un jeu inattendu entre les contes, les pièces et les légendes. Et voilà la confirmation qu’au-delà des fables, c’est bien l’histoire profonde de toute l’humanité qu’explore le théâtre, encore et toujours.
La Petite Sirène, Studio Théâtre de la Comédie Française (Paris 1e) jusqu’au 6 janvier. La Nuit des Rois, Salle Richelieu (Paris 1e) jusqu’au 28 février légende photo : Danièle Lebrun et Adeline D’Hermy dans La Petite Sirène
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Le spectateur de Belleville
November 30, 2018 6:43 PM
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Par Fabienne Darge dans le Monde le 30.11.2018 Géraldine Martineau présente une relecture magique, drôle et pertinente du conte d’Andersen, avec Adeline d’Hermy.
Quel enchantement que cette Petite Sirène, présentée à Paris au Studio-Théâtre de la Comédie-Française jusqu’au début de l’année 2019… Un enchantement scénique pour petits et grands, une fête des sens et du sens : le spectacle que signe la jeune auteure et metteuse en scène Géraldine Martineau n’est pas seulement magique, tendre et drôle. Il propose une relecture du conte d’Andersen on ne peut plus fine et pertinente pour aujourd’hui, qui lui redonne toute sa profondeur, à mille lieues de la version édulcorée imposée par Walt Disney.
Et c’est d’abord un plaisir pour les yeux, que la découverte du monde marin tel que l’ont imaginé Géraldine Martineau et sa scénographe, Salma Bordes, sans effets spéciaux tapageurs, par la simple féerie de l’artisanat du théâtre. Des dizaines de cordes recouvertes de paillettes et de sable, suspendues aux cintres, strient la boîte noire du théâtre, scintillent de mille reflets grâce aux superbes lumières de Laurence Magnée. Elles évoquent aussi bien les barrières de corail qu’une cage dorée dans laquelle serait enfermée l’héroïne.
Le plaisir de l’imaginaire est bien là pour parler du réel, ce qui est le rôle fondamental du conte
Et c’est suspendue dans les airs, comme évoluant dans ses fonds marins, qu’on la découvre, à l’orée du conte, le jour de ses 15 ans, cette petite sirène à qui l’on n’a pas donné de prénom, et que joue de manière merveilleuse Adeline d’Hermy. Elle n’a pas de queue de poisson, non plus que sa sœur (Claire de La Rüe du Can) et sa grand-mère (Danièle Lebrun) : les jambes peintes en gris anthracite des comédiennes suffisent à dire, ici, que le plaisir de l’imaginaire est bien là pour parler du réel, ce qui est le rôle fondamental du conte.
La petite sirène l’a attendu avec une impatience inouïe, ce jour de ses 15 ans où elle sera enfin autorisée à monter à la surface de l’eau afin de découvrir le monde des humains. « Ici tout se ressemble », soupire-t-elle, possédée par le désir d’ailleurs, comme n’importe quelle adolescente s’ennuyant dans son milieu familial. Elle s’approchera un peu trop de cet univers contre lequel on l’avait mise en garde, et dans lequel elle restera irrémédiablement une étrangère. A peine sortie des eaux, elle porte secours à un jeune prince, dont elle tombe immédiatement amoureuse.
Art des métamorphoses Pour vivre cet amour, elle sacrifiera sa queue de sirène, autant dire son identité d’origine, et sa voix enchanteresse, que lui subtilise la sorcière des mers. Mal lui en prendra : n’étant plus qu’un (beau) corps, elle charme d’abord le prince, puis le perdra, faute de pouvoir parler avec lui et lui apprendre que c’est elle qui l’a sauvé. Et faute qu’il veuille entendre un autre langage que le sien.
Sans jamais forcer, par les seules vertus de l’intelligence avec laquelle elle lit l’histoire inventée par Andersen, Géraldine Martineau, dans la belle adaptation qu’elle a écrite en alexandrins non rimés, laisse remonter à la surface les multiples résonances du conte dans notre univers d’aujourd’hui. La question de l’autre, de l’identité, de la violence du monde à affronter à l’adolescence, du pillage par l’homme des ressources de la planète… tout cela traverse avec grâce la représentation.
Géraldine Martineau laisse remonter à la surface les multiples résonances du conte dans notre univers d’aujourd’hui
Mais c’est surtout la dimension féminine et féministe profonde du conte qu’elle dégage avec délicatesse, notamment en rétablissant la fin originale écrite par Andersen, aux antipodes du « happy end » inventé par Disney, dans lequel la jeune fille finissait par épouser son prince. Rien de tel ici, mais pas de fin tragique non plus. Dans le conte, la sirène, fille de la mer, des profondeurs informes, devenue corps désirable privé de voix, se transforme au bout de son aventure en fille de l’air. Quelle plus belle manière de dire qu’elle a enfin gagné sa liberté, et accédé au monde immatériel de l’esprit, si longtemps dénié aux femmes ?
Avec son art des métamorphoses, son théâtre sensible et sensuel, baigné par les chants des sirènes écrits par Simon Dalmais et magnifiquement interprétés par Judith Chemla, Géraldine Martineau montre le bonheur fou qui éclate à l’issue de cette conquête. Pour la porter avec autant de charme, il fallait le talent poétique et la fraîcheur d’Adeline d’Hermy, sa pureté d’âme : une sirène selon notre cœur, mais aussi selon notre esprit, dans ce spectacle qui s’annonce comme un des grands succès de cette fin d’année.
La Petite Sirène, d’après Hans Christian Andersen. Adaptation et mise en scène : Géraldine Martineau. Comédie-Française, en collaboration avec le Festival d’automne, au Studio-Théâtre, Galerie du Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, Paris 1er. Du mercredi au samedi à 18 h 30, jusqu’au 6 janvier 2019. Durée : 1 h 10. Dans le cadre du Festival d’automne. A noter : l’excellent livret réalisé spécialement pour les enfants sur le spectacle.
Fabienne Darge Légende photo : Adeline d’Hermy et Jérôme Pouly dans « La Petite Sirène », d’après Hans Christian Andersen, adaptation et mise en scène par Géraldine Martineau, au Studio de la Comédie-Française, le 13 novembre 2018. (c) RAPHAEL GAILLARDE
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Le spectateur de Belleville
November 28, 2018 7:33 PM
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Par Camille Bichler sur le site de France Culture, 28/11/2018
Mort de Jean-Loup Rivière, l'homme qui parlait si bien de théâtre Écouter Les Chemins de la philosophie : la main, invité : Jean-Loup Rivière 14/09/2011
Dramaturge, critique de théâtre, ancien Secrétaire général et directeur artistique de la Comédie-Française, il a consacré sa vie au théâtre. Ancien producteur de l'Atelier de création radiophonique, Jean-Loup Rivière est souvent intervenu sur l'antenne de France Culture. Hommage. On a appris la mort il y a quelques jours d'une figure de la critique dramatique en France : Jean-Loup Rivière, dramaturge, critique de théâtre, professeur d'études théâtrales.
Après des études de philosophie à l’université de Caen, Jean-Loup Rivière s'exprime rapidement dans différents médias. La radio, d'abord, où il est à partir de 1973 l'un des producteurs de L’Atelier de création radiophonique sur France Culture, invitation pour les artistes et chercheurs à confronter leurs pratiques à la création radiophonique. Il prête également sa plume au journal Libération en tant que critique dramatique.
Il devient ensuite Secrétaire général de la Comédie-Française de 1983 à 1986, où il collabore avec son ami le metteur en scène Jean-Pierre Vincent. Il s’intéresse particulièrement aux publications, et prend alors la tête du magazine Comédie-Française et de La Gazette du Français.
Enfin, ces dernières années, Jean-Loup Rivière avait concrétisé sa passion pour la transmission en dirigeant le département de recherches théâtrales à l’université Paris-Nanterre, à partir de 2001. Et il avait enseigné l’art du théâtre à l’Ecole normale supérieure de Lyon et la dramaturgie au Conservatoire national supérieur d’art dramatique.
Dans un article de Libération, la productrice Laure Adler a rendu ce lundi un hommage à son ami Jean-Loup Rivière par ces mots :
Du théâtre, il disait qu’il mettait en mouvement le corps d’abord puis réactivait l’intelligence. Art par essence de l’éphémère, il savait en prolonger les plaisirs dans l’après-coup de la représentation : publications de textes sur l’art de l’acteur, enseignement novateur au conservatoire et à l’Ecole normale supérieure, traductions de textes de théâtre de l’italien et du catalan, directeur de revues de théâtre importantes par la diversité des approches. Laure Adler
Parmi ses nombreux passages sur l'antenne de France Culture, Jean-Loup Rivière était venu en 2011 dans Les Chemins de la philosophie pour percer les mystères de la gestuelle sur scène, un langage à part entière.
On reconnaît un mauvais comédien à ses mains. Un acteur qui ne sait pas quoi faire de ses mains, c'est le point par lequel on comprend qu'un acteur est déficient. Le geste est un langage, mais il peut aussi être de l'action. Il n'y a pas 36 parties du corps qui peuvent être expressifs. Il y a la posture, le visage et les mains. Le mime est comme l'emblème et le restaurateur de la place du corps au théâtre.
Jean-Loup Rivière prend l'exemple de la gifle infligée par Don Gomès à Don Diègue, dans Le Cid, de Corneille. Le soufflet a valeur d'introduction à l'intrigue de la pièce, dans un monde où la main symbolise les codes d'honneur de l’aristocratie :
C'est un coup qui est porté, c'est un geste qui blesse, c'est donc un défi. C'est un geste intéressant, parce qu'il blesse, et dans le langage cela signifie un défi. Ce soufflet est donc une phrase. Ce geste est lié à un risque de mort, à une image de la mort. De ce soufflet dans "Le Cid" va s'enchaîner un duel.
Pour Jean-Loup Rivière, les corps ne sont pas uniquement un artifice de la mise en scène, c'est de leur position que peut naître la dimension tragique d'une pièce :
Depuis l'Antiquité, on soutient que le geste est un langage originel, sinon universel. L'intérêt que des artistes ou des philosophes peuvent avoir pour le geste est de se dire "il y a là quelque chose qui n'est pas le langage, qui permet de mentir, de se déguiser, de se travestir". Le geste est une parole qui peut se dissimuler.
Jean-Loup Rivière en 2011• Crédits : S. Marchand - Radio France
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