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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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October 23, 2021 7:47 PM
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#MeTooTheatre : deux artistes à la tête de centres dramatiques nationaux réagissent aux propositions du mouvement

#MeTooTheatre : deux artistes à la tête de centres dramatiques nationaux réagissent aux propositions du mouvement | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Emmanuelle Bouchez dans Télérama - 22 oct. 2021


 


Chloé Dabert, directrice de La Comédie de Reims, et Thomas Jolly, son homologue du CDN d’Angers, commentent cinq propositions extraites de la tribune du collectif à l’origine du hashtag #MeTooTheatre publiée par “Libération” le 13 octobre dernier.


 


Le mouvement #MeTooTheatre, qui a surgi ces derniers jours sur les réseaux sociaux, a mis au jour la nécessité, dans ce milieu, d’un travail d’inventaire sur les violences sexuelles et morales à l’égard des femmes. Une tribune du collectif à l’origine du hashtag a détaillé, le 13 octobre dernier, dans Libération, une dizaine de mesures à prendre d’urgence. Nous avons soumis cinq d’entre elles à l’analyse de deux responsables de centres dramatiques nationaux récemment nommés. Chloé Dabert, 45 ans, dirige La Comédie de Reims depuis janvier 2019. Thomas Jolly, lui, est à la tête d’une double structure depuis janvier 2020 : le Centre dramatique national d’Angers et Le Quai, établissement culturel qui l’abrite. Chacun réagit ici avec sa sensibilité. Tous deux observent ce mouvement avec intérêt et affichent une volonté de prendre à bras-le-corps la question de la place des femmes. Et témoignent du travail déjà accompli en ce sens. Si leurs positions se complètent le plus souvent, elles divergent aussi de manière subtile. Voici les cinq propositions qu’ils commentent.


 


Lancement d’une enquête nationale et quantitative sur les faits de violences sexuelles et sexistes dans la profession.


 


 


Chloé Dabert : Une telle enquête est indispensable pour mesurer l’ampleur des faits, car, pour le moment, on ne la connaît pas. La jeune génération des directeurs et des directrices à laquelle j’appartiens prend très au sérieux cette question des violences sexistes et sexuelles.


 


Thomas Jolly : Au-delà des histoires tristement dramatiques que pourrait révéler une telle enquête, il faudra aussi considérer les comportements misogynes et toutes les injustices provoquées par des attitudes patriarcales qui imprègnent trop souvent nos métiers.


 


 


Sensibilisation des équipes des théâtres et des écoles aux violences sexuelles et sexistes, nomination d’un référent.


 


C.D. : À La Comédie de Reims, qui est aussi une entreprise, je suis chaque jour vigilante. J’ai l’intuition parfois de ne pas laisser passer certaines choses, mais cela ne suffit pas. Nous devrions, nous employeurs, être mieux préparés. Le Syndeac [syndicat représentant les structures subventionnées, ndlr], dont je suis adhérente, nous a proposé des formations en 2018 et 2019. La pandémie a tout interrompu, elles reprendront en 2022 dans toutes les régions. Une nécessité : si des personnes harcelées venaient à me parler, aurais-je bien tous les mots pour répondre ? Nommer un référent dans chaque institution serait une bonne décision, en particulier dans les écoles de théâtre.


 


T.J. : La sensibilisation existe déjà dans nos maisons via les CSE [comité social et économique, ndlr], qui ont aussi pour mission la prévention du harcèlement moral et sexuel. Mais je m’interroge, du coup, sur la profondeur de leur formation et sur leur capacité à écouter de telles souffrances, de la part des salariés de l’entreprise comme des équipes artistiques accueillies. Comme le milieu (directions ou équipes des théâtres) ne cesse de se rencontrer sur beaucoup de sujets, il faut vite qu’on ajoute ce point à nos discussions : comment inventer les meilleurs dispositifs pour accompagner au mieux la libération de la parole.


 


Le mouvement #MeTooTheatre, qui a surgi ces derniers jours sur les réseaux sociaux, a mis au jour la nécessité, dans ce milieu, d’un travail d’inventaire sur les violences sexuelles et morales à l’égard des femmes. Une tribune du collectif à l’origine du hashtag a détaillé, le 13 octobre dernier, dans Libération, une dizaine de mesures à prendre d’urgence. Nous avons soumis cinq d’entre elles à l’analyse de deux responsables de centres dramatiques nationaux récemment nommés. Chloé Dabert, 45 ans, dirige La Comédie de Reims depuis janvier 2019. Thomas Jolly, lui, est à la tête d’une double structure depuis janvier 2020 : le Centre dramatique national d’Angers et Le Quai, établissement culturel qui l’abrite. Chacun réagit ici avec sa sensibilité. Tous deux observent ce mouvement avec intérêt et affichent une volonté de prendre à bras-le-corps la question de la place des femmes. Et témoignent du travail déjà accompli en ce sens. Si leurs positions se complètent le plus souvent, elles divergent aussi de manière subtile. Voici les cinq propositions qu’ils commentent.


 


Lancement d’une enquête nationale et quantitative sur les faits de violences sexuelles et sexistes dans la profession.


 


 


Chloé Dabert : Une telle enquête est indispensable pour mesurer l’ampleur des faits, car, pour le moment, on ne la connaît pas. La jeune génération des directeurs et des directrices à laquelle j’appartiens prend très au sérieux cette question des violences sexistes et sexuelles.


 


Thomas Jolly : Au-delà des histoires tristement dramatiques que pourrait révéler une telle enquête, il faudra aussi considérer les comportements misogynes et toutes les injustices provoquées par des attitudes patriarcales qui imprègnent trop souvent nos métiers.


 


 


Sensibilisation des équipes des théâtres et des écoles aux violences sexuelles et sexistes, nomination d’un référent.


 


C.D. : À La Comédie de Reims, qui est aussi une entreprise, je suis chaque jour vigilante. J’ai l’intuition parfois de ne pas laisser passer certaines choses, mais cela ne suffit pas. Nous devrions, nous employeurs, être mieux préparés. Le Syndeac [syndicat représentant les structures subventionnées, ndlr], dont je suis adhérente, nous a proposé des formations en 2018 et 2019. La pandémie a tout interrompu, elles reprendront en 2022 dans toutes les régions. Une nécessité : si des personnes harcelées venaient à me parler, aurais-je bien tous les mots pour répondre ? Nommer un référent dans chaque institution serait une bonne décision, en particulier dans les écoles de théâtre.


 


T.J. : La sensibilisation existe déjà dans nos maisons via les CSE [comité social et économique, ndlr], qui ont aussi pour mission la prévention du harcèlement moral et sexuel. Mais je m’interroge, du coup, sur la profondeur de leur formation et sur leur capacité à écouter de telles souffrances, de la part des salariés de l’entreprise comme des équipes artistiques accueillies. Comme le milieu (directions ou équipes des théâtres) ne cesse de se rencontrer sur beaucoup de sujets, il faut vite qu’on ajoute ce point à nos discussions : comment inventer les meilleurs dispositifs pour accompagner au mieux la libération de la parole.


 


 


Création d’une charte déontologique signée par la direction et les professeurs des écoles. Lutter contre la banalisation des relations intimes et sexuelles entre enseignants et élèves.


 


 


C.D. : Signer une charte est symbolique, donc c’est un geste fort ! On formalise l’importance que l’on accorde au sujet. On s’engage. Ce n’est pas compliqué à mettre en place, faisons-le ! Dans le cadre pédagogique, où les jeunes interprètes sont en pleine construction, c’est encore plus important de cadrer les choses, de préciser que personne ne doit profiter de sa situation de professeur pour séduire des élèves.


 



Le mouvement #MeTooTheatre, qui a surgi ces derniers jours sur les réseaux sociaux, a mis au jour la nécessité, dans ce milieu, d’un travail d’inventaire sur les violences sexuelles et morales à l’égard des femmes. Une tribune du collectif à l’origine du hashtag a détaillé, le 13 octobre dernier, dans Libération, une dizaine de mesures à prendre d’urgence. Nous avons soumis cinq d’entre elles à l’analyse de deux responsables de centres dramatiques nationaux récemment nommés. Chloé Dabert, 45 ans, dirige La Comédie de Reims depuis janvier 2019. Thomas Jolly, lui, est à la tête d’une double structure depuis janvier 2020 : le Centre dramatique national d’Angers et Le Quai, établissement culturel qui l’abrite. Chacun réagit ici avec sa sensibilité. Tous deux observent ce mouvement avec intérêt et affichent une volonté de prendre à bras-le-corps la question de la place des femmes. Et témoignent du travail déjà accompli en ce sens. Si leurs positions se complètent le plus souvent, elles divergent aussi de manière subtile. Voici les cinq propositions qu’ils commentent.


 


Lancement d’une enquête nationale et quantitative sur les faits de violences sexuelles et sexistes dans la profession.


 


 


Chloé Dabert : Une telle enquête est indispensable pour mesurer l’ampleur des faits, car, pour le moment, on ne la connaît pas. La jeune génération des directeurs et des directrices à laquelle j’appartiens prend très au sérieux cette question des violences sexistes et sexuelles.


 


Thomas Jolly : Au-delà des histoires tristement dramatiques que pourrait révéler une telle enquête, il faudra aussi considérer les comportements misogynes et toutes les injustices provoquées par des attitudes patriarcales qui imprègnent trop souvent nos métiers.


 


 


Sensibilisation des équipes des théâtres et des écoles aux violences sexuelles et sexistes, nomination d’un référent.


 


C.D. : À La Comédie de Reims, qui est aussi une entreprise, je suis chaque jour vigilante. J’ai l’intuition parfois de ne pas laisser passer certaines choses, mais cela ne suffit pas. Nous devrions, nous employeurs, être mieux préparés. Le Syndeac [syndicat représentant les structures subventionnées, ndlr], dont je suis adhérente, nous a proposé des formations en 2018 et 2019. La pandémie a tout interrompu, elles reprendront en 2022 dans toutes les régions. Une nécessité : si des personnes harcelées venaient à me parler, aurais-je bien tous les mots pour répondre ? Nommer un référent dans chaque institution serait une bonne décision, en particulier dans les écoles de théâtre.


 


T.J. : La sensibilisation existe déjà dans nos maisons via les CSE [comité social et économique, ndlr], qui ont aussi pour mission la prévention du harcèlement moral et sexuel. Mais je m’interroge, du coup, sur la profondeur de leur formation et sur leur capacité à écouter de telles souffrances, de la part des salariés de l’entreprise comme des équipes artistiques accueillies. Comme le milieu (directions ou équipes des théâtres) ne cesse de se rencontrer sur beaucoup de sujets, il faut vite qu’on ajoute ce point à nos discussions : comment inventer les meilleurs dispositifs pour accompagner au mieux la libération de la parole.


 


 


Création d’une charte déontologique signée par la direction et les professeurs des écoles. Lutter contre la banalisation des relations intimes et sexuelles entre enseignants et élèves.


 


 


C.D. : Signer une charte est symbolique, donc c’est un geste fort ! On formalise l’importance que l’on accorde au sujet. On s’engage. Ce n’est pas compliqué à mettre en place, faisons-le ! Dans le cadre pédagogique, où les jeunes interprètes sont en pleine construction, c’est encore plus important de cadrer les choses, de préciser que personne ne doit profiter de sa situation de professeur pour séduire des élèves.


 


“Notre nouvelle génération de directeurs et de directrices sait maintenant comment épauler les femmes artistes.” Chloé Dabert


 


T.J. : Si une charte est signée, cela permet une prise de conscience générale. Donc d’identifier dès le début une situation problématique. Éviter la banalisation des relations intimes entre profs et élèves ? Bien sûr… D’ailleurs, mon principe à moi est de ne pas confondre ma vie amoureuse et ma vie professionnelle. Mais on ne peut exclure le fait que, parfois, les gens tombent amoureux ! Il est alors important de clarifier la question du consentement, toujours au cœur de ces affaires. La charte peut aider à cela : en informant, en éduquant. Sur les gestes, par exemple, qui, dans le cadre du travail, pourraient être mal interprétés. Au cours d’une répétition, un metteur en scène produit par Le Quai a demandé récemment à une actrice la permission de poser la main sur son épaule. Les changements de méthode sont en cours… Les limites sont parfois si ténues entre la complicité artistique et d’autres sentiments. D’autant qu’au sein des équipes il faut que l’on éprouve le désir de travailler ensemble.


 


 


Mise en place de la parité à la direction des institutions (théâtres nationaux, centres dramatiques, scènes nationales et écoles d’art) et préférer pour cela la nomination des femmes à leur direction jusqu’à l’obtention de la parité.


 


C.D. : L’ACDN [association qui regroupe les 38 centres dramatiques nationaux, ndlr] compte 47 % de femmes à la tête des lieux, en intégrant à ses statistiques les directions bicéphales et la nomination récente de Pauline Bayle au Centre dramatique national de Montreuil. Dans ce réseau – je ne parle pas des cinq théâtres nationaux [la Comédie-Française, l’Odéon-Théâtre de l’Europe, le Théâtre national de Strasbourg, Chaillot-Théâtre national de la danse, Le Théâtre national de la Colline], où plus aucune direction n’est féminine –, on y est presque ! C’est encourageant. Pourquoi le chemin a-t-il été si long ? Parce qu’il a fallu attendre qu’une politique se mette en place. À partir de 2012-2014, l’idée a émergé plus nettement et j’ai fini moi-même par en bénéficier étape après étape : être accompagnée – seule ou en compagnie –, pouvoir montrer son travail et disposer peu à peu de moyens de productions de plus en plus importants afin d’accéder aux grands plateaux.


 


Notre nouvelle génération de directeurs et de directrices sait maintenant comment épauler les femmes artistes dans leur développement afin qu’elles puissent elles-mêmes devenir responsables de centre dramatique après y avoir été artistes associées. À La Comédie de Reims, aujourd’hui, sont soutenues les metteuses en scène Delphine Hecquet et Marie Rémond aux côtés de Christophe Honoré et de Thomas Quillardet. En plus de Caroline Guiela Nguyen, qui représente, elle, un collectif.


 


Mais une femme doit pouvoir se dire ensuite qu’elle a été nommée pour des raisons artistiques. Empêcher les nominations d’hommes jusqu’à l’obtention de la parité me semble une solution compliquée à envisager. En faisant cela, on opposerait les artistes entre eux.


 


“Si l’on redonnait l’envie aux jeunes générations de candidater, la parité s’organiserait sans doute de manière automatique.” Thomas Jolly


 


 


T.J. : La parité ? On en parle depuis longtemps et l’on n’en est pas loin. Mais tout cela est si lent que passer en force n’est pas une mauvaise idée. Retarder encore l’égalité de situation risque de créer de l’injustice supplémentaire à l’égard des femmes. Alors entre deux injustices (car ne plus nommer d’hommes pendant quelque temps en est bien une), je préfère éviter la première. Par ailleurs, si l’on redonnait l’envie aux jeunes générations de candidater à la direction de ces théâtres subventionnés, la parité s’organiserait sans doute de manière automatique.


 


 


Création d’un label national pour les lieux programmant 50 % de projets portés ou écrits par des femmes, ou produisant 50 % de projets portés par des femmes.


 


 


C.D. : La programmation est paritaire à La Comédie de Reims. Une évidence pour moi. Or l’idée d’un label pourrait faire croire, au contraire, que cette parité est exceptionnelle. On n’en a pas besoin pour faire passer l’idée qu’il est naturel que les femmes dirigent les centres dramatiques et qu’elles y soient programmées et produites à parts égales. On y travaille déjà au quotidien. Peut-être notre réseau devrait-il mieux communiquer sur son action. Notre art en témoigne pourtant : de mon côté, j’œuvre depuis des années à raconter des histoires de femmes, à montrer sur scènes des récits écrits par des femmes.


 


T.J. : Exemple concret du changement générationnel : avec les conseillers du théâtre, nous avons conçu cette dernière saison sans y penser. À la fin, on a vérifié : elle était paritaire ! Preuve que si l’on met des jeunes gens à la tête des institutions la question sera vite réglée. Créer un label pour récompenser, aux yeux du grand public, les théâtres les plus vertueux ? Mon premier réflexe serait de répondre non. Ou alors en créer un pour à peine un ou deux ans, comme un petit stimulus symbolique qui rappellerait la nécessité de résorber les inégalités. Et surtout d’ouvrir nos scènes à des imaginaires qui pointent des faits de société et rendent compte de tous les débats en cours. Afin qu’elles reflètent la réalité du monde dans la parité comme dans la diversité.


 

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June 2, 2021 4:38 PM
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Théâtre : « Mithridate », entre passions privées et passions politiques

Théâtre : « Mithridate », entre passions privées et passions politiques | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale) dans Le Monde 2 juin 2021

La reine Monime (Jutta Johanna Weiss) et Xipharès (Thomas Jolly) dans « Mithridate », de Racine, mis en scène par Eric Vigner au TNS, à Strasbourg, en novembre 2020. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

 

Mise en scène de manière stylisée par Eric Vigner, la tragédie crépusculaire de Racine est présentée pour la réouverture du TNS, à Strasbourg.

Du théâtre. La voix nue des acteurs, leur présence, un grand texte, une respiration commune entre la scène et le public. Le calme d’un rituel consenti, hors l’agitation du monde. Quelle joie de les retrouver, lundi 31 mai, lors de la réouverture du Théâtre national de Strasbourg (TNS), après les longs mois d’arrêt dus au Covid-19, avec la première représentation de Mithridate, de Racine, mis en scène par Eric Vigner. Une réouverture qui a eu lieu sans encombre : le collectif qui occupait le théâtre depuis trois mois, composé d’étudiants de l’école du TNS, a lu un texte dénonçant l’« iniquité » de la réforme de l’assurance-chômage, et s’est réjoui de « laisser la place au spectacle ».

 

Ces retrouvailles avec le théâtre sont ici d’autant plus saisissantes que Mithridate est un spectacle qui, dans cette année particulière, a été vu d’abord dans sa version filmée, réalisée par Stéphane Pinot et diffusée sur France 5 en mars. Les qualités de la mise en scène d’Eric Vigner et de l’interprétation étaient déjà patentes à la vision de cette captation réalisée avec les moyens technologiques les plus pointus, mais elles se déploient d’autant mieux dans l’espace et le présent du théâtre.

 

Lire aussi : « Mithridate », sur France 5, une captation de plateau inventive et innovante

Pour être moins connue que Phèdre ou BéréniceMithridate n’en est pas moins une tragédie tout aussi belle. Ecrite en 1672, juste après Bajazet, dans la période orientale de Racine, donc, il se dit d’ailleurs qu’elle était la préférée de Louis XIV. Le conflit tragique s’y noue avec autant de pureté, d’humanité et de grandeur que dans les autres chefs-d’œuvre du maître, et la pièce offre un rôle féminin magnifique, et une vision magistrale des liens entre passions privées et passions politiques.

 
 

Racine s’inspire pour l’écrire de la vie de Mithridate VI, qui régna jusqu’en 63 av. J.-C. sur le royaume du Pont – l’actuelle Turquie, la Crimée et de nombreuses régions au bord de la mer Noire –, et reste célèbre pour avoir résisté à l’expansionnisme romain, mais aussi pour avoir accoutumé son corps à s’immuniser contre les poisons : c’est la fameuse mithridatisation. Le dramaturge situe l’action au dernier jour de sa vie : alors qu’il est déclaré mort, Mithridate revient en son palais pour voir ses deux fils, Xipharès et Pharnace, se déchirer pour la conquête du royaume et celle de la reine, la belle Monime.

Un superbe écrin nocturne

Amour, trahison, rivalité entre les fils et le père, jalousie fratricide, soumission des femmes, utilisées comme monnaie d’échange entre royaumes. Mithridate est une tragédie crépusculaire, qui voit un homme tout perdre sauf son âme, et assister impuissant à l’effondrement de son monde, de sa culture et de sa civilisation.

Eric Vigner l’inscrit dans un superbe écrin nocturne, dans lequel brillent l’éclat d’un feu, la moirure du satin rouge des costumes de Mithridate et de Monime, et plus encore la somptuosité d’un rideau de perles scintillantes, qui évoque à la fois la couronne royale et les larmes versées. Les correspondances ne sont jamais appuyées, dans cette mise en scène stylisée et discrètement japonisante, qui fuit autant le réalisme qu’un formalisme trop empesé. Les corps s’effleurent, les passions sont brûlantes mais sublimées par les alexandrins raciniens, des alexandrins que les comédiens et comédiennes, magnifiques, font ruisseler comme des rivières de diamants.

La mise en scène ciselée met en valeur une distribution de haut vol, où chacun et chacune brille à sa façon

C’est elle, d’abord, la langue de Racine, que l’on redécouvre avec un plaisir fou. Etre baigné dans cette langue, à l’heure du langage dégradé des réseaux sociaux et de la technocratie, c’est un véritable bain de jouvence. Il permet d’apprécier à sa juste valeur la manière dont Eric Vigner décline le thème du poison dans Mithridate, qu’il voit comme une tragédie des corps empoisonnés et des âmes souffrantes. A chacun de tisser ses propres liens avec notre aujourd’hui.

Cette mise en scène ciselée met en valeur une distribution de haut vol, où chacun et chacune brille à sa façon. Thomas Jolly est un Xipharès pétri d’émotions, à fleur de peau, déchiré entre sa fidélité filiale et son amour pour Monime. Stanislas Nordey sculpte chaque mot avec une précision et une clarté remarquables, pour figurer un Mithridate hanté par la fin d’un monde et par la jalousie, mais qui fera in fine le choix de la générosité et de la transmission.

Mais c’est surtout Jutta Johanna Weiss qui étonne ici. Cette actrice d’origine autrichienne, qui s’est formée à New York et auprès de metteurs en scène venus d’Europe de l’Est, développe depuis quelques années un jeu singulier. Elle joue Monime à la manière des onnagatas japonais, ces acteurs de kabuki ou de nô qui incarnent des femmes, et travaillent sur l’expression corporelle de la féminité. Ce double décalage n’est pas seulement passionnant : il donne lieu à des moments d’une beauté et d’une douceur rares.

 

 

Vidéo de présentation de Mithridate par Eric Vigner

 

 

Mithridate, de Jean Racine. Mise en scène : Eric Vigner. Théâtre national de Strasbourg (TNS), 1, avenue de la Marseillaise, Strasbourg. Tél. : 03-88-24-88-00. Les 2, 4, 7 et 8 juin à 18 heures. Puis à la Comédie de Reims, du 22 au 25 juin, et en tournée sur la saison 2021-2022.

 

Fabienne Darge (Strasbourg, envoyée spéciale)

 

 

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May 5, 2020 8:54 AM
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THÉÂTRE « CORONA-COMPATIBLE », un texte du metteur en scène Thomas Jolly

THÉÂTRE « CORONA-COMPATIBLE », un texte du metteur en scène Thomas Jolly | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur Facebook par Thomas Jolly 4 mai 2020

 

On en parle peu mais ce virus provoque un symptôme, apparu chez tout le monde : l’impossibilité de la projection. De soi. Dans le temps et dans l’espace. Cette faculté est pourtant constitutive de notre espèce.


Elle a généré, les mythes, la fiction, la réalité imaginaire… l’art. Et pour le partager, des lieux d’art : les théâtres.
Et les politiques s’en sont saisis et, dans un début de 20e siècle éraflé par deux grandes guerres, une femme, Jeanne Laurent, a décidé que ces lieux devaient consteller l’entièreté du territoire français pour permettre à tous et toutes d’accéder, par l’art vivant, à son besoin de projection. Et c’était un projet nécessaire dans un pays meurtri.


L’institution est née. Comme nulle part ailleurs sur le globe. Pour exister, elle n’est elle-même que projection : projection de spectacles dans le temps (ce qu’on appelle une saison), projection budgétaire, projection de jauges de public, lui même amené à projeter ses venues au théâtre par la contraction d’un abonnement, retro-plannings, plans de communication… autant d’outils qui permettent à ces institutions de se projeter.

Voilà qu’un virus survient. Il nous contraint à la station. De soi. Dans le temps. Et dans l’espace. Coincé chez soi, on ouvre des livres, on écrit, on dévore films et séries, on se lance dans des jeux-vidéos… pas seulement pour « tuer le temps » ou se divertir, mais parce que ce virus nous ayant pernicieusement ôté notre capacité à nous projeter, nous nous saisissons naturellement des objets d’art et de culture que nous avons sous la main car ils comblent ce besoin. C’est même leur raison d’être.


En face, les lieux de rassemblement ferment. Donc les lieux de culture partagée. Les institutions culturelles réagissent. Honorent les contrats. Remboursent les billets. Mettent en ligne des captations de spectacles. Proposent des lectures en video ou au téléphone. Voilà.

 

Tandis que le besoin de projection persiste, les lieux conçus pour y répondre stationnent.

Depuis le 16 mars, je suis le tout nouveau directeur d’un théâtre… fermé parce que « pas essentiel à la nation ». Confiné chez moi, à Angers, avec cette drôle de sensation de « ne servir à rien », je tourne comme un lion en cage, n’ayant su proposer (presque par désespoir) qu'un peu de culture partagée entre vivant.e.s en interprétant un extrait de Roméo et Juliette sur mon balcon pour mes voisin.e.s.
J’ai été surpris du retentissement non seulement médiatique mais surtout humain que cet extrait de Shakespeare à généré dans ma rue. Que s’était-il passé pendant ces 10 minutes ? Nous nous retrouvions entre vivant.e.s. Nous partagions des mots, des images. Nous nous projetions dans une réalité imaginaire, et nous y adhérions au même endroit, en même temps. Advenait, en un mot, le théâtre.


Et depuis, celle qui, plus que moi, est comme une lionne en cage, c’est ma pensée.

 

Les théâtres sont fermés depuis le 16 mars, les grands festivals d’été sont annulés… Dans un scénario - pour le moins hypothétique - la plupart des lieux de culture partagée envisagent une reprise en Septembre. Imaginons que ce scénario puisse advenir : pendant 7 mois, la culture vivante et partagée aura été éteinte.

On parle déjà du « monde d’après ». Mais peut-on déjà penser « le monde de maintenant » ? Et mieux que le penser : le faire ? Ce monde où circule un virus, et qui durera tant qu’il n’y aura pas de traitement ou de vaccin ? N’est-il pas temps pour les institutions culturelles de réfléchir à cette façon de « vivre avec » ? Et mieux que d’y réfléchir : l’inventer ?

Chaque jour ou presque ce virus se joue des pronostics, bouscule les projections, désarme les scientifiques, les politiques… Personne ne sait comment évoluera la situation sanitaire. Mais si nous ne savons pas ce qu’elle réserve à nos vies et à nos métiers d’artistes et de technicien.ne.s, nous savons déjà beaucoup de choses.

 

Nous savons que les théâtres ne pourront pas ré-ouvrir et reprendre leurs activités dans des conditions habituelles tant qu’un vaccin ou un traitement auront été trouvés.


Nous savons que, dans ce contexte, l’angoisse sera légitime de venir s’enfermer dans un théâtre. Nous savons même que la légitimité de perpétuer nos activités peut être incomprise.


Nous savons que nous ne voulons pas jouer de grands spectacles prévus dans une salle de 1000 spectateurs avec, éparpillés sur les rangées 50 ou 100 spectateurs isolés.


Nous savons que nous ne pouvons jouer avec des masques sur nos bouches ni mettre en scène avec deux mètres entre chaque interprète, si ces données ne sont pas constitutives du geste artistique.


Nous savons que nous ne pourrons pas répéter les spectacles comme nous l’avions envisagé. Nous savons que certain.e.s artistes ou technicien.ne.s ont des santés fragiles et ne pourront travailler ou ne voudront travailler.


Nous savons que même si nous arrivons à répéter un spectacle, son contexte d’éclosion n’est pas propice.


Nous savons que les décors ne ressortiront pas des ateliers de si tôt.


Nous savons que les captations mises en ligne font découvrir des oeuvres, des artistes : la situation met à jour et prouve enfin combien cette fenêtre est un formidable outil de démocratisation… mais nous savons qu’elle n’est qu’une fenêtre, et compense mais ne remplace pas. Et nous savons également que notre utilisation d’internet pour compenser nos fermetures n’est pas créative, et touche déjà sa limite.


Nous savons que nos saisons, concoctées depuis de longs mois vont être chahutées. Que " les effets dominos » vont se poursuivre encore longtemps.


Nous savons qu’en annulant et honorant les contrats nous faisons tenir des professions mais nous savons aussi que cet argent public ne touche donc pas sa finalité : le public.


Nous savons que des compagnies vont être fortement secouées voire condamnées par l’annulation de dates dans les festivals. Nous savons que beaucoup d’artistes et de technicien.ne.s en seront durement éprouvé.e.s.


Nous savons tout cela.

 

 

On dit du théâtre qu’il est l’art de « l’ici et maintenant ». Assez naturellement, je considère que les théâtres doivent être les lieux de l’ici et maintenant. Dans cette situation inédite, et pour pouvoir sortir de son immobilisme forcé, il semblerait que l’institution culturelle n’ait pas d’autre choix que d’être alternative. C’est à dire « autre ». Qu’elle doive se penser, proposer, agir « autrement ».
« Institutionnel » et « alternatif »… C’est a priori antinomique. Mais les siècles ont démontré que le théâtre, comme l’eau, trouve toujours son chemin : à nous, artistes, techniciens, personnels des institutions culturelles de savoir tracer ce chemin dans les interstices de cette situation inédite. Et une fois le virus maitrisé, de continuer de l’inventer dans l’ici et maintenant « d’après ». Mais avant d’évoquer le futur de nos institutions, avant que ce virus définisse les contours des procès qu’on pourra légitimement lui attenter, et des ajustements qu’il faudra apporter pour permettre à ces maisons d’être plus solidaires, plus représentatives, plus justes, plus en prise avec leurs missions premières et les réalités contemporaines, revenons à « l’ici et maintenant ».

Ici, à Angers et maintenant, en ce printemps si bouleversé.

Un Centre Dramatique National, comme le Quai, a pour mission première la création. La création est toujours faite de contraintes. Et même si il y en a beaucoup présentement, assez floues, nos métiers ne consistent-ils pas à être créatifs ? Inventifs ? Oui.
Ici et maintenant, au Quai, l’équipe, les artistes invité.e.s la saison prochaine, les acteurs, actrices de la maison et moi-même réfléchissons à ce que le théâtre ait lieu, quelque soit l’évolution de la situation sanitaire.

 

La première partie de la saison 20/21 du Quai sera « corona-compatible ».

 

Je ne ferai pas de présentation de la saison 20/21 (ma première, pourtant concoctée avec plaisir). Parce que je ne sais si les promesses de cette saison pourront être tenues. Nous étudions avec les deux metteuses en scène concernées et leurs équipes le report au printemps des deux créations prévues initialement au Quai à l’automne, leur permettant de créer dans les meilleures conditions de répétitions et d’accueil.


Mais je ne peux me résoudre à ce que Le Quai ne fasse aucune proposition culturelle vivante d’ici la rentrée et puisque, comme beaucoup d’angevin.e.s, je ne partirai pas en vacances, je souhaite ouvrir la saison dès l’été. Hors les murs… ou dans les murs si les théâtres sont autorisés à ré-ouvrir au public. Les équipes du Quai travaillent en lien étroit avec les partenaires publics pour envisager et anticiper toutes les conditions d’accueil : il s’agit de lever la légitime anxiété à retrouver le chemin des salles.


Dès que le théâtre pourra accueillir du public dans des conditions sanitaires garanties, je proposerai une création que je mettrai en scène. Elle n’était pas prévue. On créera avec ce qu’on trouvera dans les stocks de décors et de costumes avec un protocole de répétition strict suivant les règles sanitaires pour les équipes artistiques et techniques. On créera dans les contraintes. Non, nous ne jouerons pas dans des cabines de verre, nous ne nous embrasserons pas à travers des carreaux de plexiglass… Oui, pour passer entre les mailles de ce filet, il nous faut certainement être humbles : ajourner les gros Henry VI et autres démesures spectaculaires sans ajourner, évidement l’excellence et l’exigence artistique… mais penser qu’il est impossible de mettre en scène avec les contraintes que nous connaissons témoigne simplement d’un manque d’inventivité. On peut, encore, largement, faire du théâtre, et déjà bien des spectacles existants sont (et ils l’ignoraient) « corona-compatibles ».


En plus de ces spectacles et de cette création, Le Quai passe commande à plusieurs artistes pour inventer à partir de l’été - et le temps qu’il faudra - des créations « corona-compatibles », jouées dedans ou dehors, pour un très petit nombre de personnes… Ces spectacles sont aussi pensés pour un élargissement progressif (et espéré !) de la jauge au fil des semaines.


Ces créations sont commandées en priorité aux artistes locaux, montées, démontées, éclairées (…) par des technicien.ne.s du territoire car, dans cette période de crise, un Centre Dramatique National doit aussi assurer sa responsabilité d’employeur.
Toutes ces formes, tous ces spectacles constitueront une offre culturelle. Le Quai ne comptabilisera pas les 26000 spectateur.trice.s habituel.le.s entre septembre et décembre, mais… il y en aura et nous ne pourrons pas tous et toutes les dénombrer parce que cette saison sera aussi faite d’impromptus dans l’espace public.


Cette situation, qui nous pousse à être inventif sera, de fait, une occasion d’un élargissement et d’une diversification des publics : oui il faudra inventer des formes à jouer sous les fenêtres des EHPAD, dans les cours des immeubles de tous les quartiers, sur les balcons de toute une rue, à chaque carrefour du centre-ville, mais aussi les places des villages, les préaux des écoles, les étendues vertes des campus universitaires…


Il est aussi l’occasion d’investir le territoire numérique de façon vraiment créative. Le théâtre a tous les moyens de créer pour la VR, pour et par l'écran… (et s’il s’agissait même de l’invention d’un nouvel art ?)

 

Je n’éditerai pas de brochure de saison. Parce que la situation m’empêche d’inscrire une activité dans le temps, et que notre communication devra être plus spontanée.


Je ne lancerai pas de campagnes d’abonnements. Parce que la projection dans le temps est une faculté dont plus personne ne jouit présentement et que ces spectacles, aux jauges forcément réduites, doivent être accessibles à tous et toutes à tout moment.
Je ne pourrai pas remplir le cahier des charges des CDN. Mais je remplirai ma mission de service public.

 

Cette saison « corona-compatible » restera souple, réactive, se ré-inventera sans cesse avec les équipes et pour les spectateurs afin de s’adapter à l’évolution de la situation sanitaire. Nous resterons dans cette réactivité le temps qu’il faudra.


Des spectacles de théâtre, de cirque, de danse, de musique seront programmés par le Quai et ces spectacles auront lieu. Ce sera toujours mieux qu’aucun spectacle.


Au Quai, ou ailleurs, alentours. Ce sera toujours mieux que nulle part.


Peut-être seulement pour 20. Ou 50. Ou 100. Ou même 2 spectateurs. Ce sera toujours mieux que 0.


Voilà sur quoi nous travaillons « ici et maintenant » au Quai, le CDN d’Angers-Pays de la Loire.


Oui, ce sera toujours mieux que le « rien » présent. On peut faire mieux que rien. On doit faire mieux que rien.


Et puis je n’oublie pas que du « rien », tout peut alors émerger.
Ce n’est pas sans me rappeler le cadre des pionniers de la décentralisation, quand feuilletant le livre sur les premières années du CDN de Saint Etienne conduit par Jean Dasté je découvrais des petits groupes de spectateurs assis sur des bancs de bois, quand Jean Vilar à peine nommé au TNP, héritant du Palais de Chaillot préfère d’abord programmer en banlieue ouvrière à Suresnes… Quand l’institution s’inventait, en prise directe avec des réalités économiques, sociales, politiques… et dans une dynamique première de conquête de public, parce que le public existait mais n’était pas constitué. Se sont alors inventées les feuilles de salle, les « bords plateau », les abonnements, les brochures, les spectacles ambulants… Une créativité dans l’instant. L’accès à la Culture est toujours à réfléchir dans l’instant. Et cet instant, que nous vivons, ce « rien » forcé est certainement à prendre comme un nouveau « point zéro ». Pour la profession. Pour le public.

Ce virus a peut-être un avantage : il fait trembler l’institution culturelle sur ses bases, mais s’il y arrive c’est peut-être que ces bases ne sont pas bien enracinées, ou que ses racines sont en mauvais état, manquent de place ou d’eau… Oui ce virus semble nous inviter à « remettre nos ouvrages sur nos métiers ». Oui, si cette situation a quelques vertus, c’est bien celle de nous ré-interroger à la fois intimement et collectivement. A ce titre, aussi étrange paraisse cette formulation, virus et lieux de culture partagent la même disposition.

 

« Il s’agit d’abord de faire une société, après quoi, peut-être, nous ferons du bon théâtre. » disait Jean Vilar. Oui, il sera toujours temps dans « le monde d’après » de savoir si nous faisons du « bon » théâtre. Pour l’heure, faisons, juste, du théâtre.

Car « le monde d’après » commence certainement « ici et maintenant » si l’institution, temporairement destituée de ses fonctionnements habituels cherche, en s’adaptant, à profondément se ré-inventer.

 

 

Thomas Jolly.
Angers, 30 Avril 2020

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August 31, 2016 6:06 PM
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Entretien avec Thomas Jolly : « Le théâtre est l'art et l'outil qui rappelle à l'être humain qu'il est vivant et qu'il n'est pas seul ».

Entretien avec Thomas Jolly : « Le théâtre est l'art et l'outil qui rappelle à l'être humain qu'il est vivant et qu'il n'est pas seul ». | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 Entretien réalisé par Ondine Bérenger pour le blog theatractu

Merci à Juliette L. pour l’aide à la retranscription

On ne présente plus Thomas Jolly, l’acteur et metteur en scène prolifique dont le travail a été fortement remarqué depuis son marathon théâtral d’Henry VI, présenté au Festival d’Avignon en 2014. Il revient cette année avec deux projets très attendus : le Radeau de la Méduse, de Georg Kaiser, mis en scène avec le groupe 42 de l’école du TNS d’une part, et d’autre part, un feuilleton théâtral quotidien sur l’histoire du festival, réalisé par sa compagnie, la Piccola Familia. Regard pétillant et sourire inébranlable malgré les béquilles qui ne le quittent plus depuis sa « gérardphilippade » au Jardin Ceccano, il a répondu avec générosité à toutes nos questions.





Ondine Bérenger : Tu es à la fois acteur et metteur en scène, qu’est-ce qui t’attire dans ces deux exercices ?

Thomas Jolly : Je suis d’abord un acteur. Et d’ailleurs, je conçois mon métier de metteur en scène de cette place d’acteur. Qu’est-ce qui m’a attiré étant petit ? Je pense que j’ai assez rapidement compris que j’étais plus libre et plus moi-même – c’est contradictoire, peut-être paradoxal – mais je suis plus proche de ce que je suis quand je suis sur un plateau, en train de dire les mots d’un autre, dans une situation qui n’est pas la mienne, qu’ici dans la vie. En tout cas, j’y trouve un espace d’expression et de brassage de mon identité. C’est comme une sorte d’enquête sur qui je suis.

J’ai aussi eu la chance d’intégrer vers l’âge de douze ans une compagnie d’enfants, donc le théâtre n’a jamais été un loisir mais tout de suite un travail. Je trouve un plaisir à la construction collective, au groupe, à la tournée, à l’exigence aussi. Voilà pour l’acteur.

Pour le metteur en scène, c’est venu bien plus tard, lorsque l’acteur a été un peu mis à mal. L’école du TNB – je peux le dire aujourd’hui – a été un cursus formidable. Mais à l’époque et pendant quelques années après, j’étais complètement perdu. L’école ne m’a rien appris : elle m’a tout désappris. Stanislas Nordey avait pensé une pédagogie très belle mais rude quand on n’y est pas préparé. C’est une école qui te demande de réfléchir vraiment à qui tu es, de travailler à ta singularité, et c’est difficile d’aller brasser ces choses-là, donc petit à petit le plaisir d’acteur se perd. On change d’intervenant toutes les six semaines, donc d’un coup tu es matraqué d’information, de diverses esthétiques, de divers genres de théâtre et tu ne sais plus ce que tu aimes faire ou non. Tellement d’outils qu’il a fallu que je les trie, et que l’acteur s’est un peu déprécié : j’avais du mal à monter sur un plateau, c’était presque une souffrance. Mais puisque j’avais consacré ma vie depuis dix ans au théâtre, je me suis dit que j’allais passer à un autre endroit : la mise en scène. J’avais également envie d’interroger cette place-là. En tant qu’acteur, j’avais pas mal de résistance avec ce qu’on me proposait. Je sentais que j’avais une autre vision possible et que j’avais du mal à l’exprimer dans ce qu’on me demandait de faire. Donc j’ai pris cette place-là, en gardant quand même un pied dans le jeu, mais c’est seulement en 2012/2013, soit six ans après la sortie de l’école, que le plaisir de l’acteur est revenu, et qu’aujourd’hui, ça y est, je suis pleinement heureux des deux métiers que je fais. Après, ce qui m’attire dans la mise en scène, mon vrai plaisir, c’est d’être le « super-spectateur » et de coordonner ce que demande le texte avec les êtres humains qui vont travailler à la création, pour le spectre le plus large de spectateurs. Essayer d’être le maître d’œuvre d’un outil que je souhaite le plus utile et le plus éclairant possible pour les temps qu’on traverse, ça, c’est mon plaisir de metteur en scène.

O.B : T’intéresses-tu, professionnellement, à d’autres formes d’art ?

T.J : J’ai eu besoin d’être un peu un intégriste du théâtre. J’avais des discours du type « je ne ferai jamais de cinéma, pas de captation de mes spectacles, le spectacle vivant ne se regarde pas à la télé ». J’ai eu besoin de ça pour définir très profondément et très précisément le théâtre que moi, j’avais envie de proposer. C’est vrai que depuis deux ou trois ans, je commence à entrevoir des ponts possibles et des envies personnelles. Mais la transdisciplinarité, ou la pluridisciplinarité n’est pas une chose qui me fait envie. J’aime beaucoup la radicalité du théâtre : un texte dit par une personne vivante devant une autre personne vivante, si possible sans micro et sans gros plan sur écran géant, mais avec ce rapport-là de l’orateur, du conteur, cette vieille tradition du mot-à-mot face à un spectateur.

Cela dit, je commence à avoir des envies de cinéma, de réalisation. Je ne suis pas sûr que la vidéo ait quelque chose à donner au théâtre – c’est mon avis – par contre, je pense que le théâtre a quelque chose à donner à la vidéo, en termes de force d’image. Par exemple, il y a des pièces comme Richard III, comme Le Radeau de la Méduse, ou des pièces de Corneille, qui sont de formidables scénarios. Ça ne veut pas dire faire des pièces cinématographiques, mais peut-être reprendre ces structures narratives pour inventer un cinéma qui serait proche de Méliès ou de Baz Luhrmann, ou avec une image très théâtrale à la Tarantino, par exemple. A suivre…

Là, je démarre l’opéra, je vais découvrir la danse avec Eliogabalo… Plus ça va, et plus je fais appel à des créateurs autonomes dont j’aime le travail, et que j’invite à travailler dans mes créations. Par exemple Sylvain Wavrant pour les costumes de Richard, Maud Le Pladec pour les chorégraphies ou Gareth Pugh pour les costumes d’Eliogabalo, de même qu’Antoine Travert qui est un créateur lumière qui vient du concert pour Richard et Eliogabalo… C’est plutôt d’autres artistes que d’autres arts.

O.B : Tu dis aimer l’éphémère du théâtre, alors pourquoi avoir finalement voulu faire des captations de Richard III et d’Henry VI ?

T.J : Je ne voulais pas. J’ai été « obligé ». Il y avait un partenariat autour d’Henry VI : le festival d’Avignon voulait organiser un live avec France 2 et Culturebox pendant dix-huit heures. Et parce que c’était du live, j’ai dit oui, en me disant que le théâtre, c’est être tous au même endroit en même temps. Là, on ne serait pas tous au même endroit mais on serait dans le même temps. Il y avait six cents spectateurs à la Fabrica et je crois trente mille connexions dans le monde entier pendant les dix-huit heures, et ça, ça me donnait un prolongement de la définition même de théâtre.

L’autre chose que j’ai découverte à ce moment-là, c’est la force d’une caméra sur le visage des acteurs. Je confesse que j’ai découvert un spectacle qui pourtant était créé depuis 2012 (pour la première partie), que je connaissais, que j’avais vu maintes fois. Tout à coup, je découvrais mon propre spectacle par la force et la proximité de la caméra sur le visage des acteurs. Une larme, qui au quinzième rang ne se voit pas, tout à coup prenait un sens très fort à l’image. Je me suis dit qu’il y avait là un potentiel, donc j’ai accepté de faire des captations pour ces deux raisons : d’abord, ça déployait les publics, qui ne pouvaient pas être là parce que le spectacle était complet, et ensuite pour cette nouvelle facette du travail. J’avais même tweeté à Culturebox qu’ils étaient un peu comme les anciennes jumelles du théâtre : tout à coup, on avait accès à d’autres facettes du spectacle. Pour Richard III, on a continué également parce que j’ai une très belle affinité avec Julien Condemine, qui est l’un des réalisateurs d’Henry VI et de Richard III. Il y a un vrai partenariat sur la réalisation : il reste le réalisateur mais j’y suis très sensible, je suis invité au montage, je participe à tout ça. Après, ce qui est formidable dans mon envie que le théâtre soit un art qui se partage et se prolonge, c’est qu’il reste un art éphémère. C’est surtout ça qui compte. Au moment où les gens voient Henry VI, ils ont un vrai enthousiasme et donc cet enthousiasme peut perdurer via les DVD. Mais ce ne sera jamais la même chose et les gens le savent aussi. C’est comme acheter un album d’un artiste et aller le voir en live. Tu as plaisir à réécouter l’album chez toi, mais rien ne remplace le plaisir du live.

O.B : Est-ce que tu écris ou comptes écrire un jour – que ce soit de la fiction ou des écrits théoriques ?

T.J : C’est amusant que tu me poses cette question. Avec ma non-nomination au TNB, c’est l’heure pour moi de faire un bilan. Ne pas avoir été nommé m’empêche de continuer à me projeter : j’avais engagé les dix prochaines années de ma vie dans cette maison, et je pense que si j’y avais été, je n’aurais pas eu le temps de me poser de question. Mais là, on est en 2016, on a créé la compagnie en 2006, dix années de compagnie mériteraient de poser un peu les préceptes de tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’on a créé, que ce soit dans la joie ou la difficulté. Je sens que j’ai besoin de faire mon propre bilan ; en tout cas je vais l’écrire pour moi-même.

En termes d’écriture fictionnelle, quand j’étais jeune, j’ai écrit des pièces qui sont chez moi, qui n’ont pas été jouées ni éditées. Peut-être que ça reviendra. Si je sentais une légitimité de ma parole aujourd’hui, alors je serais auteur. Pour l’instant, j’ai choisi cet art éphémère parce que je sens que ma parole n’est pas assez légitime, en tout cas moins que celle de Shakespeare, de Kaiser et des auteurs que je monte.

O.B : Tu vas monter Eliogabalo à l’Opéra de Paris qui n’est pas réputé pour être très populaire. Qu’attends-tu de cette institution ?

T.J : D’abord, l’opéra fait beaucoup de choses depuis plusieurs années sur le décloisonnement et sur l’ouverture. Mais n’oublions pas que l’opéra est un art total, et que pour faire de l’art total, il faut beaucoup d’êtres humains à l’œuvre, d’où le prix. Les gens oublient que c’est un art qui nécessite beaucoup de personnes et de temps. Un orchestre de cinquante personnes, une trentaine de techniciens, des interprètes, on arrive rapidement à des équipes de cent, cent vingt, cent cinquante personnes, avec les chœurs on peut monter jusqu’à deux ou trois cents personnes pour une représentation. Le prix est amoindri par les subventions même s’il reste cher. Je trouve ça très beau ce qu’ils font pour les avant-premières jeunes à dix euros, par exemple. Je serais pour qu’on baisse encore davantage le prix, mais à un moment donné, le prix de l’art est une vraie donnée. Je ne suis pas pour la gratuité. Le Ciel, la Nuit, la Pierre glorieuse est gratuit parce que la forme invite à ça, mais je crois que l’art a un prix.

Artistiquement, mon enjeu est toujours le même : comment rendre claire l’œuvre et comment réussir à être au plus près du contexte dans lequel elle a été écrite et de l’auteur ? Je pense qu’Eliogabalo a un fort potentiel. C’est une pièce qu’on va découvrir, qui a très peu été montée, le livret n’a pas été édité, il n’y a pas eu d’enregistrements musicaux ; ça va être surprenant pour les gens. Mais ça restera une œuvre en italien, avec de la musique baroque. En tout cas, je souhaite que ces a priori qu’on peut avoir sur la difficulté à entendre et à comprendre soient levés, et pour cela je ferai comme d’habitude. Un spectateur n’a pas besoin d’avoir un bagage préétabli pour appréhender une œuvre quelle qu’elle soit : musique, cinéma, opéra, théâtre… Par contre, un des enjeux de la période est de lever ces appréhensions, parce que beaucoup de spectateurs en ont. Et ça, c’est mon travail.

O.B : Tu conserves donc cette volonté même à l’opéra. Beaucoup de gens vont y aller pour la première fois parce que tu es le metteur en scène…

T.J : C’est aussi la très belle histoire que j’écris avec les publics. Ce n’est pas du one shot, le théâtre. Je ne pense pas « une création et puis basta », je pense un ensemble. Un jour, ça fera peut-être une œuvre, je ne sais pas. Henry VI et Richard III font un tout, le Radeau de la Méduse s’inscrit ailleurs, mais Eliogabalo est encore une figure politique et monstrueuse, Fantasio m’emmène à du théâtre mêlé à de l’opéra… Les publics lisent, voyagent dans ces propositions, c’est aussi une très belle chose qu’on a réussie dans la compagnie. On a une histoire avec les publics, avec certains depuis très longtemps. Là, il y a par exemple un couple qui vient tous les jours au jardin Ceccano voir la Piccola Familia et qui était aux premières d’Arlequin poli par l’amour en 2006. Et puis, il y a des histoires qui s’écrivent depuis Henry VI, d’autres depuis Richard III et j’espère qu’il y en aura encore par la suite. J’imagine qu’il y a aussi des spectateurs qui lâchent l’affaire, mais en tout cas, je ne pense pas chaque création de manière autonome : il faut trouver du liant dans tout ça.

O.B : Pour « Le Ciel, la Nuit, et la Pierre glorieuse », la Piccola Familia a fait appel à des enfants. De façon plus générale, vous réalisez également diverses actions culturelles. Avez-vous, toi et la compagnie, un intérêt particulier pour le jeune public ? Pourriez-vous/tu être amené à réaliser des spectacles jeune public ?

T.J : J’en rêve. Mais ça me fait très peur parce que je pense que c’est le public le pire. J’en ai très très envie. J’ai même failli faire un spectacle sur le mythe de Tantale avec un texte de Manon Thorel, mais on a abandonné l’idée parce que ce n’était pas la bonne matière. Par contre, si je fais un spectacle jeune public, ce sera un très grand spectacle sur un très grand plateau avec de grandes images. Ne pensons pas jeune public égal petit spectacle. Après, le jeune public se pense aussi avec le plus vieux public. Mais c’est vrai qu’on n’emmène pas un enfant de cinq ans voir Richard III… Encore qu’il y en a eu. Je ne pense pas qu’il y ait un âge limite pour commencer à aborder le théâtre. Mais réfléchir à une œuvre pour le jeune public, oui. Mais pour moi, ce n’est pas en lien avec les actions culturelles qu’on mène, c’est encore autre chose. Les actions sont structurantes pour les territoires, structurantes pour le public parce que je pense que le théâtre est un outil formidable pour chacun, dès le plus jeune âge, mais pour moi ce n’est pas relié.

O.B : Comment vis-tu l’ultra-médiatisation dont tu fais l’objet ?

T.J : Naïvement. Que les choses soient claires : je n’ai pas une attachée de presse qui me trouve des rendez-vous avec les journalistes. Les journalistes arrivent tous seuls depuis Henry VI, ainsi que des nouveaux médias. Le premier a été « C’est à vous » sur France 5 qui, en septembre 2014, m’a invité pour parler d’Henry VI. Ça m’a bluffé. Et puis il y a eu le Supplément sur Canal +, puis TF1, puis Laurent Ruquier… En fait, les journaux, les critiques, les blogs, c’est plutôt classique, mais il y a de nouveaux médias qui sont venus pour parler de théâtre. Le théâtre et la télévision ont du mal à trouver leur accord – le théâtre et les médias de manière générale – et je trouve ça dommage, parce que la télévision et les grands médias sont aussi un moyen de toucher un plus large public. Il y a des gens qui sont venus voir Richard III parce qu’ils m’avaient vu à la télévision, tout simplement, et qui ensuite ont continué d’aller au théâtre. J’ai des mails de spectateurs qui sont hallucinants. Du coup, je ne le vis pas pour moi, je le vis pour le théâtre, je me dis « c’est bien, on parle de théâtre ». Mais finalement, je m’en fiche un peu pour moi-même. Je sais qu’il y a un truc qui se comprend mal, on se dit « Thomas Jolly voudrait être en tête d’affiche » mais pas du tout, ce n’est pas mon but. Je n’œuvre en rien pour cela, c’est le travail qui appelle ces médias-là. Après, évidemment, je joue le jeu, mais j’ai aussi refusé des émissions, des choses qui me semblaient à côté de la plaque par rapport à ce que j’avais à raconter, j’ai aussi revu des papiers qui ne me semblaient pas justes. La médiatisation pour moi n’est pas un gros mot, et puis, je ne suis pas Beyoncé non plus, ça reste du théâtre. Mais peut-être que ça désamorce une idée du théâtre qui est quand même nébuleuse pour beaucoup de gens en France. Je ne connais pas de gens qui disent « je n’aime pas le cinéma » ou « je n’aime pas la musique ». On peut entendre « je n’aime pas ce réalisateur ou cet acteur », « je n’aime pas ce chanteur ou cette chanteuse » mais pas « je n’aime pas la musique ou le cinéma ». On entend par contre « je n’aime pas le théâtre ». Pour moi c’est un problème. On ne peut pas ne pas aimer le théâtre. On peut ne pas aimer un certain type de théâtre, d’acteur, d’esthétique, d’accord, mais on ne peut pas ne pas aimer le théâtre. Donc les médias, je crois qu’il faut savoir les utiliser à cet endroit-là pour inviter à découvrir le théâtre, désamorcer les appréhensions, l’intimidation des bâtiments, des œuvres… C’est comme ça que je vois la question de la médiatisation. Mais je le vis bien.

O.B : Tu déchaînes également beaucoup les passions sur les réseaux sociaux, comment le vis-tu ? As-tu le sentiment d’incarner une forme de modèle ou de porter les espoirs d’un certain public ?

T.J : Je répète toujours que je ne peux pas être un modèle, et je ne fais rien pour en être un, car il n’y en a pas. Comme en amour, si on savait comment marchait le théâtre, s’il y avait des modèles à suivre, on serait moins malheureux en amour et le théâtre serait un art moins difficile d’accès.

Les réseaux sociaux ? Comment te dire… Internet est arrivé très vite chez moi, j’ai eu un téléphone portable à la fin du lycée, on pourrait plus ou moins parler de « digital native » même si je suis né un peu avant. Donc Facebook était, comme pour chacun, un outil social avec mes amis, puis c’est devenu un outil de communication professionnelle, tout comme Twitter. Ce n’était pas par stratégie de communication, j’avais déjà des comptes. Alors forcément, je vois ce qui se dit sur moi, je lis des critiques, je réponds à des gens, on interagit et pour moi c’est un lien possible avec les spectateurs. Et pour eux, c’est un lien possible avec les artistes de la compagnie. Je crois que ces réseaux créent une passerelle numérique et virtuelle dans un premier temps, qui devient réelle dans un deuxième temps. Dans un premier temps, ils permettent de faire une passerelle vers le théâtre : un teaser lancé sur Facebook peut donner envie aux gens de venir toquer à la porte et de rentrer dans le spectacle. Un jour, au cours d’une rencontre avec des lycéens, il y en a un qui m’a dit, texto : « Pourquoi vous vous emmerdez à jouer tous les soirs la même chose alors que vous pourriez l’enregistrer et diffuser ça devant les gens tous les soirs ? ». Voilà. C’est une question d’un adolescent de 16 ans aujourd’hui en 2016 vis-à-vis du théâtre. C’est donc bien que la question du vivant à vivant n’est pas comprise, entendue, sue, connue et éprouvée, alors que c’est une qualité que seul le théâtre possède. Les réseaux sociaux permettent d’avoir ce premier lien virtuel, mais qui amène vers ce vrai lien, essentiel et structurant, d’être entre vivants.

O.B : Donc tu n’as pas peur d’être pris dans une sorte de « star system » ?

T.J : C’est le jeu, c’est un métier exposé. Si ça devenait trop douloureux, ou trop bizarre, je prendrais du recul et fermerais mes comptes – je ne me sens pas prisonnier. J’ai lu dans Le Monde cette semaine « à Avignon comme ailleurs Thomas Jolly est une star »… En fait, pour tout te dire : je travaille. C’est ça la réponse à la question, je ne fais que travailler, du lundi neuf heures au dimanche deux heures du matin, je travaille. Les réseaux sociaux, la presse, ce sont des conséquences de ça, mais pas le moteur. Le moteur c’est le boulot, c’est la scène, c’est le théâtre. En fait, je suis plutôt étonné, parce que je suis très enfermé dans mon boulot, dans ma salle noire, dans mes bouquins, avec les acteurs, et puis je me rends compte qu’il y a une onde de choc de mon travail. Mais je ne veux pas la générer, elle est inhérente à ce travail. Pour l’instant elle ne me pollue pas. Après, on lit des choses douloureuses, violentes – incompréhensiblement violentes d’ailleurs – ou au contraire complètement passionnées et passionnelles…. Mais c’est aussi la force de l’art, ça vient taper à des endroits que je ne soupçonne pas. Je ne soupçonne pas, par exemple, que l’histoire de Richard III va toucher profondément quelqu’un quand je suis en train de travailler. C’est la force de l’art. Moi, par exemple, je suis resté bloqué à Beaubourg devant un tableau de Mark Rothko. Bloqué, mais bloqué à pleurer, pour de la peinture ! Mais cela, je ne le cherche pas, si ça arrive, c’est que c’est l’objet théâtral qui le génère.

O.B : Y a-t-il un rôle que tu rêverais de jouer ?

T.J : Saint Genest, dans le Véritable Saint Genest de Rotrou, pièce méconnue. Saint Genest est le saint patron des comédiens. Son histoire est assez belle, puisqu’il doit jouer qu’il a une révélation divine sur scène, et il a une révélation divine, mais personne ne s’en rend compte. En plus, on est sous l’empire romain, au moment des conflits entre la religion polythéiste romaine et le christianisme, donc il y a une tension politique très forte à cet endroit-là. C’est une pièce superbe.

Mais il y a aussi une chose : c’est que je n’avais pas de rêve pour moi, pour mon théâtre, pour ma « carrière ». Je n’avais pas de rêve. Il y a moins d’un an et demi, je passais devant l’opéra Garnier en me disant « peut-être un jour qui sait ? » mais sans l’espérer profondément. « Peut-être qu’un jour je ferai une mise en scène à l’opéra de Paris ? ». Deux mois après, on me le propose, sans que je ne le voie venir. Je me disais « Avignon, peut-être quand j’aurai quarante ou cinquante ans, je jouerai au festival. Il faudra que je commence par le Off, que j’aille y jouer mes pièces » et puis paf, on me propose de jouer Henry VI. L’Odéon, même chose. Je ne passais pas devant ces bâtiments en rêvant dessus. Je ne rêvais pas à Henry VI, il est arrivé et ça a structuré ma vie pendant six ans. Aujourd’hui, quand on me fait une proposition, je le prends comme une partie du chemin ; je ne prends jamais aucun des spectacles ou des choses qu’on me propose comme des buts à atteindre. Je n’ai pas de but à atteindre, j’ai juste envie de faire les choses. Et puis j’ai aussi cette propension à me fondre passionnellement dans les rôles dont j’ai la charge. Donc, si demain on me donne le hallebardier, je ferai un hallebardier formidable mais si on me donnait Hamlet, j’essaierai de faire un Hamlet formidable. On ne peut pas rechigner à jouer Hamlet ou même n’importe quel rôle. En fait, je n’ai pas de rêve, et je pense que cela fait que tout devient un rêve, parce que je ne projette rien, je n’ai pas d’attente.

O.B : En tant que spectateur, qu’est-ce qui te marque le plus dans une représentation ?

T.J : En tant que spectateur, mon plaisir vient de la force de frappe qu’envoie le plateau sur le public et la question de la communauté avec les spectateurs. Mon plaisir vient de là. Pas tellement de la qualité esthétique, des acteurs, des choix dramaturgiques du metteur en scène, mais plutôt de la capacité du spectacle à me faire réfléchir, à fédérer et à me faire me sentir vivant au sein des autres. Être tous vivants les uns avec les autres. Et pas du tout de l’esthétique ni des choix, je trouve que les critiques s’arrêtent trop là-dessus. La question du goût est une question qu’on ne pourra jamais saisir, en revanche, on peut tous sentir qu’il se passe quelque chose dans une salle, peu importe si en termes de goût on aime ou pas. Soit quelque chose existe, soit quelque chose n’existe pas. En tant que spectateur, c’est ça que je viens chercher, et donc ce que je cherche à redonner en tant que metteur en scène et acteur. Je veux que ça existe. Je ne veux pas que ça plaise, je m’en fous, je veux que ça existe, qu’il y ait une pensée brassée dans l’espace de la représentation et du théâtre, le corps d’un ensemble de spectateurs face à une œuvre frappante. Parce que sinon, on ne s’en sort pas. Et c’est là que je me pose des questions sur Richard, parce qu’il se passe quelque chose, c’est indéniable et même les critiques très mauvaises le reconnaissent. C’est intéressant de se poser la question. Mettons de côté ce que l’on croit de Richard et analysons pourquoi cette communauté de spectateurs se fédère autour de cet objet. Pourtant, tout le monde n’aime pas, mais quand même, quelque chose se passe dans la salle qu’il est important, je crois, de pointer, et qui me semble aujourd’hui plus important que les questions esthétiques. C’est comme ça que je me place en tant que spectateur : quand je m’assois, j’ai envie de me sentir avec les autres spectateurs, vivant au même endroit en même temps, et que ma pensée, avec celle des autres, soit en circulation.

O.B : Et donc, en tant que spectateur, où te places-tu dans la salle ?

T.J : Je me rends compte que je suis plutôt dans la demi-salle haute. Parce que je crois que je suis plus intéressé par l’ensemble de la mise en scène que par la proximité avec les acteurs. Je crois que je suis plus sensible au spectaculaire plutôt qu’aux détails, même si j’adore être au premier rang et voir les trépignements de lèvres, de paupières ou les larmes. Mais il y a quelque chose, pour moi, qui tient de la masse spectaculaire qui m’arrive, donc plutôt là-haut.

O.B : Quelle place penses-tu que le théâtre occupe aujourd’hui dans la société et quelle place devrait-il selon toi occuper ?

T.J : Jean Vilar : « Il s’agit d’abord de faire une société après quoi, peut-être, nous ferons du bon théâtre ». Ca rebondit sur ce que je disais: les questions esthétiques, on s’en fout, l’idée c’est de faire une société, au moins pendant le temps d’une représentation, et qui peut-être donnera l’exemple et se généralisera plus tard. Je crois que le théâtre doit être à cet endroit-là, un outil structurant, sociétal. Plus que la danse, plus que les musées, plus que la musique, plus que tous les autres arts, parce qu’il a le récit et que le récit nous manque. Le manque de projection d’un récit politique, d’un récit d’avenir pour notre société, crée de l’angoisse donc de la violence. Or le théâtre est l’art qui détient le récit, les pièces, les poèmes, les auteurs, en plus d’être l’art du vivant. Donc je pense qu’il devrait être aujourd’hui, et je suis sérieux, exactement comme sous l’empire romain, comme ici à Avignon, un temps où tout s’arrête et où tout le monde va au théâtre pour penser ensemble, se sentir ensemble et comprendre, du récit qu’ils reçoivent, ce qu’il faut inventer comme récit aujourd’hui. Il devrait occuper cette place là mais c’est forcément impossible. Sauf ici, où une petite partie de la population seulement joue à ce jeu-là, de tout arrêter pour recevoir du récit et être ensemble. Aujourd’hui, le théâtre a une belle place en terme de politiques culturelles. Il est soutenu, mais comme la société est en défaite, alors il faudrait le pousser davantage.

O.B : Tu parles des Dionysies romaines, il y a quelques temps tu évoquais Thyeste de Sénèque… Es-tu particulièrement intéressé par le théâtre antique ?

T.J : En fait, je fais le chemin inverse : j’ai beaucoup travaillé les écritures contemporaines à l’école, puis je suis plutôt passé chez Marivaux, Guitry, un petit retour sur Ravenhill et puis Shakespeare. C’est avec Shakespeare que d’un coup tu te dis que lui s’inspirait des antiques, donc je suis allé relire les antiques. Effectivement, revenir aux récits fondateurs de l’humanité et du théâtre, Sénèque, Eschyle, Euripide, Sophocle, Plaute, Ovide, Aristophane, Virgile, tous ces textes-là me font beaucoup de bien en ce moment, comme pour essayer d’aller comprendre d’où l’on vient et ce qui a bien pu se passer. Et c’est passionnant. On verra quel sera mon prochain projet, mais je crois que ce sera un grand texte, un mythe, un récit fondateur de notre civilisation voire de notre humanité.

O.B : Comment imagines-tu le monde du théâtre dans cinquante ans ?

T.J : Je ne suis pas inquiet, pas d’inquiétude pour le théâtre. Tu sais, ça fait deux-mille cinq cents ans qu’il est là, je ne vois pas pourquoi en cinquante ans il disparaîtrait. Toutes les révolutions lui sont passées dessus et aucune n’a eu raison de lui : révolutions citoyennes, philosophiques, esthétiques, technologiques, mécaniques, religieuses… Rien n’a eu raison de lui et je crois que le théâtre, comme l’eau, trouve son chemin. Mais quel théâtre ? Et pour qui ? Ca prendra sûrement plus de cinquante ans, mais une de mes plus grandes utopies serait qu’on ne dise plus « je n’aime pas le théâtre », ce serait une joie. Je pense qu’on est aussi à un tournant historique, c’est-à-dire qu’on est à une période pivot, et le théâtre, à toutes les périodes pivot, s’est redéfini. Je crois que la question de la décentralisation, de la démocratisation, la question des milieux ruraux ou des publics plus éloignés n’est pas une obsession que chez moi. Elle est aussi l’obsession de beaucoup de jeunes gens qui sont en train de faire du théâtre. Je crois que le théâtre va irriguer davantage encore dans les cinquante prochaines années et certainement se raccrocher aux citoyens et aux populations.

Autre chose : le théâtre ne sait pas encore comment se saisir des outils numériques, mais je suis certains qu’il va pouvoir les utiliser pour revenir à une chose beaucoup plus essentielle, avec de moins en moins de choses sur le plateau. Je pense qu’on va revenir à une forme de pureté, de radicalité du théâtre, et que tous les outils technologiques vont servir cette chose-là. J’ai l’impression que c’est plutôt vers ça qu’on tend.

O.B : Peux-tu essayer de me définir ou de me qualifier en quelques mots le théâtre ?

T.J : Le théâtre est l’art et l’outil qui rappelle à l’être humain qu’il est vivant et qu’il n’est pas seul. Donc il est utile en ce moment. Tu sais, les Romains importent le théâtre des Etrusques pour conjurer la peste à Rome. Les Grecs fondent le théâtre en même temps que la démocratie, en outil démocratique. Shakespeare reprend les mythes ou l’Histoire de son pays pour rassembler et inclure tout le monde. Les grands auteurs ou les grandes aventures de théâtre, comme Jean Vilar ici, c’est vraiment le rappel à l’être humain qu’il est vivant et qu’il n’est pas tout seul. En tant que vivant, il doit être acteur, agir, être citoyen dans l’action et pas seul, donc il doit comprendre l’autre, faire avec l’autre, être l’autre, prendre l’autre avec soi. Et c’est vraiment la complexité de notre nature humaine : nous avons la pensée, nous avons l’être ensemble et nous avons la responsabilité de tout cela. Le théâtre est là pour ça, je crois. Il n’est pas là pour divertir, même s’il peut être divertissant. Je ne dirais pas mieux que ça : rappeler à l’Homme qu’il est vivant et qu’il n’est pas tout seul.

O.B : Dans ce que tu dis, on a l’impression que tu conçois le théâtre uniquement comme un outil au service d’une cause. Est-ce le cas ?

T.J : Un outil d’art. Mais oui, je crois que le théâtre porte en lui des valeurs, des vertus, des symboles, des préceptes absolument urgents pour chacun et pour tout le monde : partage, bienveillance, écoute, épopée, langue, pensée, politique. C’est un outil politique au départ. Il véhicule tout ça donc il ne peut pas être considéré comme une fantaisie ou un divertissement pur, même si encore une fois il peut être divertissant. Il est vraiment un outil structurant. Je l’ai peut-être dit maintes et maintes fois, mais je crois à ça. Avignon était une idée structurante pour la France à la sortie de la guerre. Les théâtres élisabéthains étaient structurants pour la cité londonienne. Les Dionysies étaient structurantes pour la vie de la cité. Ce n’est pas une structure rigide, simplement un pivot, un pilier, un outil pour se construire soi, soi avec l’autre, avec les autres, et pour construire, aussi, les autres. C’est cela, c’est un outil de construction.

O.B : Question bonus : Y a-t-il une question que tu aimerais que l’on te pose ? Quelque chose dont tu voudrais parler sans que l’occasion ne se soit présentée ?

T.J : En ce moment, j’aimerais bien qu’on me pose la question « Qu’est-ce que tu vas faire ? » parce que c’est une grosse question que je me pose et que j’ai besoin de formuler. Qu’est-ce que je vais faire ? J’ai clôturé le cycle Shakespeare, là, on clôture Avignon, la non-nomination au TNB clôt une projection possible mais qui ne se fait pas, dix ans de compagnie… Je me sens à un endroit pivot, une nouvelle page à écrire. A l’heure où on se parle, je ne sais pas encore ce que j’ai envie d’écrire et ça me rend curieux, ça m’excite beaucoup. J’ai besoin qu’on me pose la question pour que je puisse formuler ça, prendre ce temps-là, parce qu’il y a une différence entre ce qu’on perçoit de la compagnie, de Thomas Jolly, et ce qu’est la compagnie, ce qu’est Thomas Jolly. Il ne faut pas oublier ça, c’est un processus en cours, c’est quelque chose qui s’écrit et qui prend du temps. Donc là, j’ai besoin qu’on me pose cette question : « qu’est-ce que tu as envie de faire ? ». Mais je ne sais pas répondre, encore. Plein de choses. Mais tout à coup, d’avoir cette fenêtre qui se ré-ouvre sur le temps et sur l’avenir… Je veux pouvoir m’en saisir.



Photo de Thomas Jolly : © Olivier Metzger Modds

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November 12, 2015 9:43 AM
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Thomas Jolly et Bertrand Bonello, deux novices à l’opéra

Thomas Jolly et Bertrand Bonello, deux novices à l’opéra | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Une déclaration de guerre un jour d’armistice ? C’est ce que pouvaient laisser accroire les deux dépêches publiées concomitamment par l’AFP, mercredi 11 novembre, annonçant l’entrée de deux personnalités artistiques, novices mais notoires, dans le monde de l’opéra. La première, qui émane de l’Opéra-Comique, concerne le metteur en scène de théâtre, Thomas Jolly, qui fera en février 2017, avec Fantasio, d’Offenbach, la réouverture de la Salle Favart, actuellement fermée pour deux ans de travaux. L’autre révèle que le réalisateur Bertrand Bonello devrait monter le Don Carlo, de Verdi, à l’Opéra de Paris, en octobre 2017.

Le metteur en scène de Henry VI contre celui de Saint Laurent ? Rien de suspect a priori. Depuis qu’il s’est ouvert au concept de mise en scène au début du XXe siècle, l’opéra a attiré les cinéastes, d’abord comme réalisateur de films d’opéra puis in scena, de Luchino Visconti à Franco Zeffirelli, en passant par Atom Egoyan, Robert Altman, Michael Haneke, Christophe Honoré ou Benoît Jacquot. De même pour les metteurs en scène de théâtre, dont il constitue aujourd’hui un paragraphe quasi obligé dans le curriculum vitae. De Giorgio Strehler à Frank Castorf, de Patrice Chéreau à Romeo Castellucci, de Robert Wilson à Dmitri Tcherniakov, même les plus réticents sacrifient à la scène lyrique.
Deux ouvertures de saison pour Jolly

Rien d’étonnant donc à ce que les noms de Bertrand Bonello et de Thomas Jolly s’ajoutent au catalogue. A ceci près : ce dernier sera, en effet, tête de liste, à quelques semaines de distance, de deux ouvertures de saison. En amont de l’Opéra-Comique, Jolly est programmé à l’Opéra de Paris dans Eliogabalo, de Cavalli, en 2016-2017 (la saison sera officiellement annoncée le 2 février 2016).

Le nouveau patron de l’Opéra-Comique, Olivier Mantei, aurait sans doute aimé rouvrir sa salle en se targuant de la première mise en scène lyrique du sieur Jolly. Mais il s’est fait griller la politesse par l’Opéra de Paris et son ancien boss aux Bouffes du Nord dans les années 2000, Stéphane Lissner. Mantei a, en effet, proposé Fantasio au jeune metteur en scène français dès l’automne 2014 alors qu’il n’était pas encore l’heureux récipiendaire des Molières d’avril 2015 pour Henry VI, de Shakespeare. Avec lui, il entend mener un travail artistique à long terme, dont le coup d’envoi aura lieu le 3 décembre prochain lors d’une première séance ouverte au public (sur réservation) avec Thomas Jolly et la mezzo Marianne Crebassa. La chanteuse assurera le rôle-titre de l’opéra tiré de la pièce éponyme de Musset, dont elle a fait une prise de rôle magistrale, il y a quelques mois, à Montpellier (dans la version de concert proposée le 18 juillet par le Festival de Radio France et Montpellier).

Lire aussi : Thomas Jolly et le roi boiteux

A l’époque, Eliogabalo était encore entre les mains d’un autre Thomas : Ostermeier. Mais l’Allemand a déclaré forfait fin 2014 pour des raisons de temps de travail insuffisant (certains metteurs en scène de théâtre s’accommodent mal du temps de répétition deux fois plus court à l’opéra qu’au théâtre, cinq à six semaines contre deux à trois mois – ce contre quoi entend précisément lutter l’Opéra-Comique). Lissner a alors pensé au jeune Jolly, avec lequel contact a été pris au printemps 2015. On imagine sans mal la tension des rapports entre les deux institutions. « Il y a eu pas mal de discussions, reconnaît Olivier Mantei. Mais ce qui compte est que les deux projets aient été validés et maintenus. » Cela promet, en tout cas, un baptême en forme de feu d’artifice pour Thomas Jolly, qui enchaînera un opéra baroque vénitien au Palais Garnier et un opéra-comique français à la Salle Favart.
L'acteur Bertrand Bonello à New York en avril 2015.
Un film sur le chœur de l’Opéra pour Bonello

Le cinéaste Bertrand Bonello, lui, n’est pour l’instant en pourparlers qu’avec l’Opéra de Paris. Au point de vendre la peau de l’ours ? L’annonce semble un tantinet prématurée à Stéphane Lissner. « Rien n’est encore acté et nous en sommes au travail préparatoire, qui doit se poursuivre, avec notre directeur musical, Philippe Jordan, dès la semaine prochaine, signale, en effet, le directeur de l’Opéra de Paris, quelque peu surpris par les propos de Katia Wyszkop, la décoratrice de Bonello pour Saint Laurent, rapportés par l’AFP. Mais Bertrand est très intéressé par l’opéra, où sa mère l’emmenait, à Nice, quand il était enfant, et il a toujours souhaité pouvoir un jour travailler sur une scène lyrique. »

Stéphane Lissner ne cache pas qu’il a été séduit par la direction d’acteurs du cinéaste, notamment dans les scènes intimistes de Saint Laurent. En attendant d’être définitivement adoubé, Bertrand Bonello s’est attelé à la commande d’une contribution pour la « 3e Scène », le grand projet numérique lancé par l’Opéra de Paris au début de l’automne : il s’agit d’un film autour du chœur de l’Opéra, celui-là même qui s’est si prodigieusement illustré dans la production du Moïse et Aaron, de Schoenberg.
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June 22, 2015 10:34 AM
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Palmarès du Syndicat de la critique théâtre - danse - musique : L’Association de la critique sacre Thomas Jolly

Palmarès du Syndicat de la critique théâtre - danse - musique : L’Association de la critique sacre Thomas Jolly | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Publié par Philippe Chevilley dans Les Echos : « Henry VI » la pièce fleuve de Shakespeare mise en scène par le jeune Thomas Jolly, « Affabulazione » de Pasolini portée à l’incandescence par Stanislas Nordey et « Vanishing Point », le spectacle OVNI de Marc Lainé: c’est le tiercé gagnant du palmarès 2015 de la critique théâtrale. On applaudit.

L’Association professionnelle de la critique a décerné lundi 22 juin, à la Philharmonie de Paris, ses prix aux spectacles, comédiens et artistes qui ont dominé la saison 2014-2015. Un palmarès théâtral de haut vol, totalement en phase avec les choix et coups de cœur des Echos.

Déjà récompensée d’un Molière, l’adaptation en 13 heures d’ « Henry VI » de Shakespeare par le jeune surdoué Thomas Jolly a reçu le grand prix de la critique. Et ce n’est que justice. Présenté tout au long de l’année dans son intégralité (et tout dernièrement le 20 juin à Rouen), ce spectacle fleuve a été plébiscité par le public et les professionnels – conquis par son énergie, sa générosité et son intelligence.

Mix de théâtre de tréteaux et de show moderne, truffé d’astuces de mises en scène, « Henry VI » montre avec finesse l’évolution de l’écriture Shakespearienne (vers la maturité, vers le génie…) et marque le regain du théâtre de troupe, un théâtre populaire et de partage.

L’Association a couronné une deuxième fois le spectacle, en décernant le prix Jean-Jacques Lerrant de la révélation théâtrale à la l’irrésistible Manon Thorel – alias « La Rhapsode » –, qui assure avec charme et humour les intermèdes entre les parties ou les actes. Un beau cadeau pour Thomas Jolly et sa Piccola Familia - et un brin de pression supplémentaire sans doute pour monter la « suite » du drame historique, « Richard III » la saison prochaine.

La belle colère de Pasolini

On est ravi également que la pièce monstre de Pier Paolo Pasolini, « Affabaluzione », revue par Stanislas Nordey, décroche le prix Georges-Lerminier du meilleur spectacle créé en région (au TNB, après Vidy-Lausanne). Une oeuvre ardue, mais que le nouveau directeur du Théâtre National de Strasbourg a su rendre lisible et incandescente, dans un sublime décor de villa-musée. Ranimer la flamme de colère de Pasolini, son propos radical contre le capitalisme et la dictature des pères, tutoyer le sexe et le crime, dire le monde haut et fort, autrement... Stanislas Nordey (qui interprète le rôle du père) a rempli avec bonheur cette mission impossible.

Merveilleux chant d’amour fantôme, l’OVNI théâtral de Marc Lainé « Vanishing Point » a reçu pour sa part le prix de la meilleure création d’une pièce en langue française (contrairement à ce que laisse penser le titre, la pièce est écrite en franco-québécois). Cette « road play » qui nous fait voyager aux confins du Canada, en associant théâtre, cinéma et musique, est un modèle de création contemporaine inventive et humble. La aussi, l’association lui a décerné une double récompense, puisque le groupe Moriarty (qui joue en « live » sur le plateau) a reçu le prix de meilleur compositeur de musique de scène.

Duel serré dans le privé

La fièvre russe a gagné les votants, qui ont décerné le prix du meilleur spectacle étranger à « La Cerisaie » de Tchekhov, mise en scène par Lev Dodine. Une leçon de (tragi)comédie, en même temps qu’un brûlot sur la morgue des nouveaux riches... le tout représenté façon close-combat au milieu du public ou au pied de la scène. Quant à Laurent Pellly, qui a fait des miracles à Toulouse avec la fable fantastique de Carlo Gozzi, « L’Oiseau vert », il s’est vu justement attribué le prix de la meilleure création scénique - on a encore les yeux plein d’étoiles, des semaines après sa création…

Le duel a été serré entre « Un amour qui ne finit pas » d’André Roussin, mis en scène par Michel Fau à l’Oeuvre, et « The Servant » de Robin Maugham, mis en scène par Thierry Harcourt au Poche-Montparnasse - deux créations exigeantes de deux théâtres exigeants. C’est finalement « The Servant » qui a remporté le prix Laurent Terzieff du meilleur spectacle privé (un prix ex aequo ne nous aurait pas dérangé…)

« Ivanov » et « Platonov »

Côté comédien, un choix naturel s’est imposé : le grand Micha Lescot, après avoir été un grand « Tartuffe », a été un grand « Ivanov » sous la direction de Luc Bondy. Subtil, profond et profondément humain… Il méritait grandement ce prix. Emmanuelle Devos a reçu sans surprise le prix de la meilleure comédienne pour sa performance dans le « Platonov » de Rodolphe Dana. Un spectacle inabouti, certes, mais qu’elle a éclairé de sa présence et de sa grâce. Et pour boucler la boucle, le prix du meilleur livre sur le théâtre est revenu à Béatrice Picon-Vallin pour son bel ouvrage sur « Le Théâtre du Soleil, les cinquante premières années » (Actes sud).

Seuls regrets : ni Jeanne Candel avec son délirant « Goût du faux » (un must dans le genre « théâtre de plateau »), ni la prodigieuse adaptation du « Mary Stuart » de Schiller par Ivo Van Hove ne figurent dans ce palmarès 2015... Mais globalement, on y trouve un concentré de ce qui s’est fait de mieux sur nos scènes – à notre avis – durant les douze derniers mois.

 


En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/week-end/culture/021152813921-lassociation-de-la-critique-sacre-thomas-jolly-1130517.php?KWKsQ0z9ystOEptv.99

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May 20, 2015 6:12 PM
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Henry VI // blogs, une revue de presse web du spectacle mis en scène par Thomas Jolly

Henry VI // blogs, une revue de presse web du spectacle mis en scène par Thomas Jolly | Revue de presse théâtre | Scoop.it
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Cliquez : http://www.pearltrees.com/lapiccolafamilia/henry-vi-blogs/id14222087

 

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April 30, 2015 4:57 PM
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Thomas Jolly : "Shakespeare a inventé le mainstream"

Thomas Jolly : "Shakespeare a inventé le mainstream" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié dans Les Inrocks :

Le jeune metteur en scène a été récompensé hier par le Molière du meilleur metteur en scène d’un spectacle de théâtre public pour son “Henry VI” d’une durée de dix-huit heures. Il revient sur son projet pharaonique et sur les enjeux du théâtre shakespearien aujourd’hui.
Vous repartirez en tournée à l’automne avec Henry VI, cela fait plus de deux ans et demi que vous tournez avec cette pièce, vous attendiez-vous à un tel succès ?

Thomas Jolly – C’était imprévisible que la pièce soit plébiscitée à ce point. J’en suis très, très, très heureux. Cela fait cinq ans que je travaille sur cette pièce et il y a déjà eu environ une centaine de levers de rideau sur Henry VI. Au début, le scepticisme a été le premier rempart au projet, la première digue à franchir, parce qu’il est complètement hors normes à tous les niveaux. La politique culturelle française est très bien conçue mais elle met de côté un tas d’œuvres comme celle-ci, il y en a d’autres : Cromwell de Victor Hugo, Empereur et galiléen d’Ibsen, Le soulier de satin de Claudel, l’Odyssée, l’Iliade, Belle du seigneur… Tous ces objets sont mis de côté, pas parce qu’ils sont ratés, mais parce qu’économiquement, logistiquement, en terme de production et de présentation au public aussi, ces objets ne sont pas prévus dans la politique culturelle française.

Donc la première chose que l’on m’a dite c’est : “Fais des coupes, fais une version de trois-quatre heures. Je ne voulais pas faire ça, pas par insolence ou par volonté de performance mais parce que si on coupe dans Henry VI on retire toute la substance qui me semble bien plus intéressante que cette histoire de surface qu’est la course à la couronne et la volonté de pouvoir. Pour moi, Henry VI est l’histoire d’un monde, d’un pays, qui se meurt. C’est cette réflexion-là que je voulais mettre à jour parce que c’est rare d’avoir l’histoire d’un pays entier dans une pièce, d’avoir cinquante ans d’histoire qui se déroulent devant nous en dix-huit heures. Si on coupe, si on retire des scènes qui n’ont l’air de rien, des scènes du petit peuple ou de personnages plus secondaires, on perd cet éclairage sur une société dégénérée.

 

 

Lire l'article entier de Bruno Deruisseau pour les Inrocks : http://www.lesinrocks.com/2015/04/28/arts-scenes/scenes/thomas-jolly-shakespeare-a-invente-le-mainstream-11744809/

 

 

Henry VI se jouera à l’Odéon du 2 au 17 mai, puis le 20 juin à l’Opéra de Rouen avant de poursuivre à la rentrée à Caen, Châteauroux, Dunkerque et Angers.

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December 5, 2014 11:20 AM
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Thomas Jolly : "Henry VI", "une pièce hors-norme" inédite en France

Vidéo de 3'30" publiée par lemonde.fr

 

« Henry VI », de Shakespeare, cycle de trois pièces publié en 1592, dont chaque représentation dure dix-huit heures, n'avait encore jamais été joué en France dans son intégralité. Le metteur en scène Thomas Jolly a décidé de s'y atteler. Il explique pourquoi.

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November 18, 2014 6:46 PM
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"Avignon est un des rares endroits où le théâtre n'est pas formaté"

"Avignon est un des rares endroits où le théâtre n'est pas formaté" | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Thomas Jolly a 32 ans et aime le grand spectacle. Claude Régy en a 91 et cherche l'épure absolue. Ces deux metteurs en scène que tout oppose se retrouvent à Avignon. Dialogue entre l'ancien et le moderne.

 

Thomas Jolly a 32 ans, et déjà ses fans. La fougue de sa troupe, la Piccola Familia, est une bonne nouvelle qui s'est répandue telle une traînée de poudre depuis l'hiver dernier, où l'on a découvert le début du marathon qu'il entamait avec «Henri VI», de Shakespeare, pièce fleuve qui traverse la guerre de Cent Ans puis celle des Deux-Roses.

Au Festival d'Avignon, Jolly monte l'intégrale: il aime l'énergie de l'entertainment, son spectacle durera dix-huit heures.

C'est tout ce que fuit Claude Régy, cet immense découvreur d'auteurs qui, à 91 ans, reste un perpétuel pionnier.

Lui présente à Avignon «Intérieur», de Maeterlinck, une pièce hantée par la mort d'un enfant. Il l'a montée en 1985, il l'a recréée au Japon, avec des acteurs japonais.

Rencontre entre deux metteurs en scène que tout oppose: leur notoriété, leur âge, leur pratique.

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November 4, 2014 5:48 PM
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Thomas Jolly: “Henry VI, un pivot de l'histoire de l'humanité”

Thomas Jolly: “Henry VI, un pivot de l'histoire de l'humanité” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

En dix-huit heures de représentation, Thomas Jolly s'empare du cycle “Henry VI” de Shakespeare qu'il monte dans sa quasi-intégralité. Grand succès présenté à Avignon cet été, désormais en tournée en France, “Henry VI” dresse la fresque du basculement du Moyen Âge vers la Renaissance, d'une révolution qui fait écho à nos temps troublés.


Henry VI en dix-huit heures vaut comme pari théâtral. Quel pari au juste ?
Thomas Jolly : Celui de la durée, bien entendu. La durée du spectacle dans son intégralité suscite des appréhensions mêlées d’excitation. L’engouement qu’il provoque est le signe fort d’une époque paradoxale, qu’on dit de la vitesse, du goût pour le plaisir immédiat, qui accélère. Or le public réserve en priorité pour l’intégrale et s’y prépare (coussins, couverture, café, encas…). Il montre de l'intérêt pour un spectacle au long cours.
 
Pourquoi ?
La réussite du spectacle tient à ce qu’il prend le temps de répondre à un sentiment de peur, palpable à tous les endroits de la société. Le théâtre en général détourne cette peur en excitation de la représentation, il permet de prendre de la distance par rapport au réel, par la fiction. C’est un dérivatif des passions en même temps qu’une grille d’explication du monde.

 

 

 

Propos recueillis par CÉDRIC ENJALBERT pour Philosophie Magazine

 

CLIQUER SUR LE TITIRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ENTRETIEN EN ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE

 

Prochaines représentations : 

 Théâtre national de Bretagne – Mettre en scène : 8 et 9 novembre 2014

 

– Comédie de Béthune-C.D.N. Nord - Pas-de-Calais : 22 et 23 novembre 2014

– Les Gémeaux à Sceaux : du 3 au 14 décembre 2014

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July 22, 2014 7:06 PM
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«Henry VI», carnages au bout de la nuit

«Henry VI», carnages au bout de la nuit | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Durant dix-huit heures, le metteur en scène Thomas Jolly fait sensation avec les crimes du drame shakespearien.

 


 

Aux valeureux spectateurs, la direction reconnaissante distribue, à la sortie de la FabricA, peu avant 4 heures du matin, un pin’s «J’ai vu Henry VI en entier». Une médaille pour récompenser l’endurance de tous ceux qui, entrés dans la salle la veille à 10 heures du matin, ont suivi les dix-huit heures de représentation. Pour la première, les comédiens de la Piccola Familia, la troupe du metteur en scène Thoma Jolly, ont fait court : ils ont bouclé le marathon avec près d’une demi-heure d’avance sur l’horaire annoncé. Un marathon qui a enregistré un taux d’abandon extrêmement bas. Les quelque 600 spectateurs ont réservé aux vingt comédiens - ainsi qu’à l’équipe technique - la plus longue ovation de ce mois de juillet avignonnais : plus de dix minutes, comme un double bravo à la scène et à la salle.

Chahuté par les intermittents, les intempéries, les choix discutables de programmation, le Festival d’Avignon 2014 tient son triomphe, son spectacle de légende. Le badge ne s’y trompe pas : il y aura désormais des anciens combattants du«J’ai vu Henry VI en entier» et pour les deux représentations restantes, jeudi et samedi, la chasse aux billets risque de s’intensifier (1). Les spectateurs d’Avignon ne sont pas des masochistes, et le succès est mérité : Henry VI est un spectacle fédérateur, inventif, joyeux, une course d’endurance théâtrale qui n’accuse jamais sa longueur.

Taupinière. Il faut dire que ça n’arrête pas. Quarante ans d’histoire, la guerre de Cent Ans plus la guerre des Deux Roses : la pièce de William Shakespeare est une suite ininterrompue de batailles militaires et de combats politiques, où les situations - de même que les vestes - n’arrêtent pas de se retourner. Henry VI est en fait constitué de trois drames historiques qui suivent la chronologie (1422-1464) d’un règne à cheval sur la fin du Moyen Age et les débuts de la Renaissance, un siècle avant la naissance de Shakespeare.

Drôle de roi, dont les seules armes semblent être la faiblesse et l’inaptitude au combat, tandis que ses adversaires et ses partisans passent leur temps à s’entre-tuer. Pacifiste à scrupules et états d’âme, il médite seul à l’écart, sur une taupinière, en pleine bataille de Towton, rêve d’être un berger observant la fuite des jours et divisant son temps paisible : «Tant d’heures pour garder mon troupeau ;/ Tant d’heures pour me reposer ;/ Tant d’heures pour méditer ;/ Tant d’heures pour me divertir.» (2)  Bref, Henry n’est pas dans l’air de son temps. Car, côté guerriers sanguinaires, on n’a que l’embarras du choix : de têtes coupées en enfants massacrés, c’est toute l’aristocratie anglaise du XVe siècle qui est atteinte de frénésie sanglante - le pire, au bout de la nuit d’Henry VI, étant encore à venir. «Car ici, je l’espère, commence notre joie durable» : le mot de la fin dans la bouche d’Edouard d’York, le nouveau roi, ressemble à une mauvaise blague. Dans l’ombre guette son frère, l’infâme nabot Richard de Gloucester, qui vient de trucider Henry VI dans sa prison, et s’apprête à anéantir sa propre famille pour parvenir au trône. C’est sur la première scène deRichard III que s’achève le spectacle, et c’est Thomas Jolly, le metteur en scène, qui interprète le monstre, en rockeur dégénéré souple et froid.

Bûcher. Le monstre, c’est d’abord la pièce (15 actes, 150 personnages) que le jeune homme - il a 32 ans et est passé par l’école d’acteurs du Théâtre national de Bretagne - dompte haut la main. Le texte pose moins de problèmes dramaturgiques que de mise en scène proprement dite. Comment restituer une histoire répétitive sans lasser ? Question de rythme, d’abord. Les dix-huit heures de spectacle sont découpées en quatre grandes parties, elles-mêmes divisées en deux. Entre chacun des huit épisodes, un entracte de trente minutes, et entre chaque partie, un autre d’une heure. Lesdits épisodes ont des couleurs distinctes. Les deux premiers tirent vers le potache, les chevaliers français crient «cataclop !» en galopant sur leurs chaises qui serviront ensuite au bûcher de Jeanne d’Arc - perruque bleue et seins à l’air, réjouissante incarnation de la «pute» et «sorcière» telle que les Anglais la conçoivent. Mais Jolly sait aussi noircir le ton, et trouver pour chaque bataille des idées nouvelles : brouillards, bruits hors champ, échafaudages sur roulettes, lumières rouges, éclairs aveuglants, lancers de cotillons, giclées electro-rock : pas d’images léchées ni de haute technologie, mais de l’artisanat dont les spectateurs voient tous les rouages.

Il dispose encore de deux atouts majeurs : l’ajout d’un personnage clownesque - la Rhapsode - qui s’adresse aux spectateurs entre les épisodes : «Non contents d’avoir déjà enduré quatre heures de notre épopée, vous êtes revenus. Pour en reprendre treize !!! C’est gentil.» Irrésistible, la comédienne Manon Thorel, qui a aussi écrit les textes, fait un triomphe mérité à chaque apparition. Autre trouvaille, l’usage des faisceaux, entre DCA et boîte de nuit. Les deux registres sont là, la guerre et le carnaval, le bal des meurtres et des trahisons qui fait rire et qui fait peur, le Moyen Age et l’époque actuelle.

Ni un sommet, ni une révolution esthétique, pas le Ring de Chéreau, ni le Soulier de satin de Vitez, juste tout un jour et toute une nuit de théâtre qui revigorent.

(1) La représentation de jeudi doit être retransmise en direct sur Culturebox. France 2 a prévu une diffusion sur trois jours les 27, 28 et 29 juillet.

(2) Le texte reprend la traduction de Line Cottegnies pour la Pléiade. La version complète de l’adaptation est publiée par l’Avant-Scène théâtre.

Par René Solis Envoyé spécial à Avignon

Henry VI de Shakespeare ms de Thomas Jolly. La FabricA, 55, av. Eisenhower, Avignon (84). Les 24 et 26 juillet à 10 heures. Rens. : www.festival-avignon.com

   
Le spectateur de Belleville's insight:

René Solis, retour de traversée.

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July 21, 2014 6:07 AM
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France Bleu | SUIVEZ les 18 heures de l'intégrale d'Henry VI à Avignon

L'intégrale d'Henry VI de William Shakespeare débute ce lundi à la FabricA et c'est, à l'évidence, l'un des événements de la 68e édition du Festival d'Avignon. Un spectacle d'une durée estimée à 18 heures.

 

Cliquer sur le titre pour lire l'article sur le sitede France Bleu et pour écouter les reportages successifs au cours de la journée.

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September 4, 2021 5:25 AM
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Angers. Le Théâtre Le Quai lance son premier GO festival du 24 septembre au 16 octobre

Angers. Le Théâtre Le Quai lance son premier GO festival du 24 septembre au 16 octobre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Marie-Jeanne LE ROUX dans Ouest-France le 3 septembre 2021

 

Avant de démarrer sa saison 2021-2022, le Centre Dramatique National d’Angers lance la première édition d’un festival de rentrée avec des artistes de tout le Grand Ouest.

 

25 propositions artistiques, plus de 80 rendez-vous, 17 000 billets : le Quai fait sa rentrée dans l’abondance après des mois de disette. Thomas Jolly, directeur artistique, veut « mettre en valeur les artistes du Grand Ouest ». On découvrira lors de ce nouveau festival des artistes de Normandie, Bretagne et évidemment des Pays de la Loire du 24 septembre au 16 novembre au Quai et dans huit lieux de la ville.

Loin d’une programmation consensuelle, le CDN axe ses propositions sur « la création contemporaine et l’émergence d’une génération d’artistes audacieuse sur le fond et la forme qui se saisit des grandes questions qui interrogent notre monde ».

Camélia Jordana, Béatrice Dalle, Virginie Despentes…

Le festival s’ouvrira le vendredi 24 septembre avec une création autour de la figure de Ian Curtis, chanteur iconique du groupe post-punk anglais Joy Division. Autre création « Ivres » les 29, 30 septembre, 1er et 2 octobre qui évoque l’effet désinhibiteur de l’alcool. Une première avec Stanislas Nordey qui portera sur scène le texte essentiel de Henri Alleg « La Question » sur torture durant la guerre d’Algérie.

 

On citera également la venue de Jeanne Added et Camélia Jordana le 25 septembre pour un concert choral « Protest songs », le spectacle féministe « Viril » le 4 octobre avec Virginie Despentes, Béatrice Dalle et la rappeuse Casey, de la danse avec la chorégraphe Phia Ménard les 8, 9 et 10 octobre.

 

GO festival du 24 septembre au 16 octobre à Angers. De 5 à 25 €. Résa. lequai-angers.eu ou tél. 02 41 22 20 20.

 

 

Légende photo : Angers, vendredi 3 septembre. Thomas Jolly, directeur artistique du Quai CDN, a dévoilé le contenu du premier Grand Ouest festival qu’il espère assez alléchant et novateur pour inciter le public à se « gaver » de spectacles. | CO - LAURENT COMBET

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May 21, 2020 5:12 PM
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 Se réinventer : la jeune génération à la tête des CDN y pense tous les jours

 Se réinventer : la jeune génération à la tête des CDN y pense tous les jours | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Eric Demey dans Sceneweb - 20 mai 2020



Le 3 mars, Julie Deliquet était nommée à la tête du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Le 17, le confinement débutait. Autant dire que la fondatrice de la Compagnie In Vitro n’a pas expérimenté le quotidien ordinaire d’un Centre Dramatique National. Ils sont trois, comme Julie Deliquet, confrontés à cette situation exceptionnelle pour leurs débuts en tant que directeur/directrice de CDN : Thomas Jolly au Quai d’Angers, Marc Lainé à la Comédie de Valence et Alexandra Tobelaim au NEST de Thionville. Des artistes qui doivent gérer l’urgence et l’incertitude liées à la situation et à qui revient de facto cette fameuse charge de réinventer le théâtre de ce non moins fameux monde d’après. A les écouter cependant, la Révolution pourrait ne pas avoir lieu…

 

En ce qui concerne l’avenir le plus proche – la programmation de la saison prochaine – la tendance est de chercher à surseoir. Julie Deliquet « avance pas à pas », suspendue notamment aux orientations données par le Département et la Préfecture avec lesquels elle est en étroite collaboration. Alexandra Tobelaïm a, elle, trois plans. A : le virus disparaît. B : il est toujours présent. C : il effectue des va-et-vient. Et choisira lequel appliquer le 20 juin. Marc Lainé souhaite, lui, privilégier « la souplesse et la réactivité » même s’il n’oublie pas que lorsqu’il était, il y a peu, encore en compagnie, les programmations posées deux ans à l’avance permettaient de construire une production et donc de faire avancer des projets. Il faut dire que l’enjeu pour les nouveaux entrants à la tête d’un CDN est important. La première saison de programmation éclaire auprès du public les inflexions désormais à l’œuvre dans le lieu. « Elle est une forme de signature » explique Marc Lainé. Pour Julie Deliquet, ce ne sera pas le cas. Elle a reporté les spectacles de cette fin de saison à la saison prochaine, et comme la moitié de la prochaine avait déjà été concoctée par son prédécesseur, Jean Bellorini – du fait de sa nomination tardive – elle ne devrait décider qu’à la marge de ce que le TGP donnera à voir à partir de la rentrée. Pour les autres, il encore urgent d’attendre.

« L’invention d’un nouvel art ? »

D’attendre mais aussi d’inventer, même si l’allocution du Président Macron a contribué à prendre ce qui est devenu une sorte d’injonction politique avec méfiance. « En entendant ce discours, on a tous eu un pincement au cœur. Par essence, on invente sans cesse dans nos métiers, et on n’avait pas attendu pour maintenir l’activité et le contact avec le public via les réseaux sociaux », raconte Marc Lainé. Inventer comme Thomas Jolly qui joue la scène du balcon de Roméo et Juliette sur le sien, de balcon. Et qui annonce à la suite sur sa page Facebook de nombreuses initiatives de « théâtre corona-compatible » pour cet été. Multiplier les formes légères, les spectacles délocalisés, les formats participatifs, « des formes à jouer sous les fenêtres des EHPAD, dans les cours des immeubles de tous les quartiers, sur les balcons de toute une rue, à chaque carrefour du centre-ville, mais aussi les places des villages, les préaux des écoles, les étendues vertes des campus universitaires… », comme énumère le créateur de spectacles très grands formats comme Henry VI. Tous se rejoignent sur ce point. Comme sur la possibilité de rester en activité cet été. Et de poursuivre le travail initié en matière numérique dans lequel les institutions ont été fécondes. « Et s’il s’agissait même de l’invention d’un nouvel art ?» suggère à ce propos Thomas Jolly.

L’avantage, c’est que cette génération de metteurs et metteuses en scène a déjà fait l’expérience de nombreuses de ces formes qui s’imposent d’elles-mêmes avec la crise du Covid. Alexandra Tobelaim a toujours œuvré à la croisée du théâtre et des arts de la rue, « cherchant à ce que les spectateurs posent un regard différent sur leur environnement quotidien ». Julie Deliquet travaille depuis longtemps avec la jeunesse de Seine-St-Denis, axe qui était prioritaire dans son projet de candidature. Marc Lainé avait préalablement conçu pour la saison prochaine un projet artistique s’appuyant sur une co-création avec des habitants de Valence. Quant à Thomas Jolly, il a expérimenté, comme lors du Festival d’Avignon 2016, de nombreuses formes alternatives au théâtre en salle avec sa compagnie de la Piccola Familia. Est-ce un signe des temps, ou simplement qu’en fait, le théâtre public n’a pas du tout attendu le Covid pour multiplier les projets aux formes dites alternatives ? On a parfois le sentiment qu’avec tout ce bruit autour d’un théâtre sommé de se réinventer on fait fi de ce qui existe déjà. Dans ce sens, les quatre artistes nouvellement nommés ne se sentent absolument pas désarmés face à une situation qui implique et impliquera peut-être à long terme de délaisser les formats traditionnels de représentations dans les murs.

« Qu’on porte attention au monde et aux choses »

Ils se sentent même tout à fait prêts à relever le défi Pour Marc Lainé, la Comédie de Valence « est un modèle du genre » avec sa comédie itinérante, qu’il avait d’ores et déjà prévu de largement utiliser pour les premiers spectacles de la saison prochaine. Alexandra Tobelaïm explique avoir pris la direction d’un établissement de 15 salariés, taille qui offre une capacité d’adaptation rapide. Julie Deliquet, rappelle, elle, qu’elle a toujours fait de la nécessité de s’adapter le moteur essentiel de son travail. La situation actuelle n’est donc pas faite pour les effrayer. Et ce d’autant plus qu’en tant que débutants, soulignent-ils, ils n’ont pas de repères à remettre en cause, pas d’habitude à délaisser.

S’il y a donc l’urgence à gérer, et l’avenir à repenser, tous n’annoncent donc pas qu’ils vont pour autant révolutionner les pratiques. Les grands formats ne disparaîtront pas. « On ne va pas priver le public des projets devant 900 personnes, poursuit Marc Lainé. C’est une célébration forte, c’est bizarre cette logique qui voudrait annuler ce qu’il peut y avoir de merveilleux ». « Il faut laisser aux artistes la liberté de se réinventer ou pas » demande simplement Julie Deliquet. Et ces lieux demeureront aussi soumis à des contraintes économiques – remplissage, ressources propres – qui conditionnent leur adaptabilité1. Alors, même si l’on parle de plus en plus de mutualiser les tournées par régions, pour éviter les transports inutiles, ou au NEST de se rapprocher des agriculteurs locaux, on n’aspire pas non plus – ce qui peut paraître bien normal – à la décroissance écologique du secteur. « Je voudrais qu’on porte attention au monde et aux choses » explique simplement Alexandra Tobelaïm. « Qu’on revisite la relation aux spectateurs », poursuit Marc Lainé. « Qu’on travaille de manière plus rassemblée », conclut Julie Deliquet. A se demander si pour cette génération, se réinventer ne sonnerait pas aussi comme un retour aux sources, à l’origine des missions des équipements publics qu’ils dirigent maintenant. « « Il s’agit d’abord de faire une société, après quoi, peut-être, nous ferons du bon théâtre », écrit à ce propos Thomas Jolly, citant Jean Vilar pour conclure son post.

Eric Demeywww.sceneweb.fr

 

1Dans un entretien pour France Info, Thomas Jolly explique ainsi : « C’est vrai qu’il faut qu’on bouge nos modèles et c’est bien que le ministère nous accompagne dans cette inventivité en ne se verrouillant pas trop sur ces fameux cahiers des charges, directives, conventions qui sont la norme ».

 

 

Image d'illustration : NEST Thionville

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June 26, 2018 3:15 AM
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Thomas Jolly : “Le vide noir de Sénèque me devenait irrésistible” 

Thomas Jolly : “Le vide noir de Sénèque me devenait irrésistible”  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Fabienne Pascaud dans Télérama 25 juin 2018

 

Intrépide, flamboyant, le jeune acteur-metteur en scène Thomas Jolly s’attaque, à Avignon, au féroce “Thyeste” de Sénèque. Il nous livre sa vision du théâtre et regrette qu’on mise si peu sur les jeunes créateurs.

 

 

Après les seize heures du Henri VI de Shakespeare, fiesta théâtrale devenue légende (2014), après Le Ciel, la nuit et la pierre glorieuse, feuilleton en seize épisodes déjantés sur l’histoire du festival, offert sous le ­soleil de midi au jardin Ceccano (2016), le dernier enfant terrible d’Avignon, insolent et brillant, revient en majesté dans la Cour d’honneur. A 36 ans – et l’air d’en avoir 20 –, Thomas Jolly y monte Thyeste, de Sénèque, une tragédie romaine furieuse autour de l’infanticide et du cannibalisme. Soit l’innommable, l’injouable. Tout ce qu’aime affronter l’acteur-metteur en scène normand, qui consacre sa vie au théâtre depuis ses plus jeunes années. Avec la passion d’une scène populaire de service public à laquelle il a su, dès ses débuts, donner lettres de noblesse et plaisir ­partagé.

 

 

Depuis la fondation de sa compagnie, La Piccola Familia, et son premier spectacle, Arlequin poli par l’amour, de Marivaux, en 2007 (repris du 29 septembre au 27 octobre au tout nouveau théâtre La Scala Paris), l’hyperactif metteur en scène a tout embrassé. De Shakespeare à l’opéra et ­l’opéra-comique (Eliogabalo, de Cavalli, en 2016, Fantasio ,d’Offenbach, en 2017), jusqu’à ce prochain défi sur France 2, du 6 au 24 juillet : dix-neuf chroniques d’une minute trente après le JT, à 20h40, pour expliquer ce qu’est le théâtre ­public… Il les incarnera lui-même face caméra, avec son ­enthousiasme et son humour mêlé de gravité. Thomas ­Jolly n’a peur de rien.

 

Pourquoi aimez-vous tant incarner les monstres, de Richard III à Atrée, dans Thyeste ?

 

Le théâtre est une loupe. Il décuple la réalité. Les personnages y sont toujours « plus ». Plus amoureux, plus lâches, plus… monstrueux. Si l’on s’en réfère, d’ailleurs, à l’étymologie latine, le verbe monstrare, qui signifie « faire que quelqu’un voie quelque chose », donne la définition même du métier d’acteur. Tout acteur est donc un monstre. Et, dans les meilleurs cas, un « monstre sacré » ! J’ai toujours été fasciné par ces monstres-là, et leur part d’humanité cachée. Ça me passionne d’aller chercher en moi aussi la part du monstrueux. Le plaisir de l’acteur n’est-il pas de vivre plus grand, plus gros ? Si je fais du théâtre, c’est parce que je souhaite une réalité augmentée ; et j’ai envie, encore, de pousser cette réalité. Je pratique un théâtre d’emphase. J’aime m’investir, m’épancher. Je suis un acteur liquide. Je me sens bien plus vivant quand je joue que quand je ne joue pas. Je m’ennuie si vite alors. Je m’éteins. Rien dans le quotidien n’est assez fort, puissant, coloré, vif. J’ai besoin d’être stimulé, ébloui en permanence.

“Ça me passionne d’aller chercher en moi la part du monstrueux.”
 

Pourquoi ?

 

Parce que j’ai grandi avec le théâtre, dans le théâtre. Et j’ai compris tard que je n’aimerais jamais comme Roméo et Juliette. La vie n’est pas le théâtre. Je l’ai finalement accepté. Et ce n’est pas plus fade. L’existence offre des possibles qui ne sont pas moindres que ceux de la scène. C’est même plus harmonieux… Me reste quand même une boulimie éperdue de travail et le besoin de mettre mon nez partout dans les spectacles. Je ne me satisfais jamais de grand-chose. Alors il faut que je m’occupe de tout. Dramaturgie, lumières, scénographie, costumes… Ça donne des créations souvent trop chargées, trop fournies d’idées qui ne vont pas toujours ensemble. Si le Henri VI de Shakespeare m’a ainsi permis les débordements, le Thyeste de Sénèque est si dépouillé que je vais, au moins, être condamné à l’ascèse.

 

Que reste-t-il de l’aventure de Henri VI ?

 

Elle a changé ma vie. Je n’étais jamais allé au Festival d’Avignon, je n’en avais pas les moyens. Je ne connaissais pas ce bruit, cette ferveur. En 2014, nous avons répété à la FabricA, nouveau lieu hors les murs justement inauguré cette année-là. Nous avions été tellement ­enfermés qu’au moment de la standing ovation du public, dès la première représentation, à 4 heures du matin, on ne s’est même pas rendu compte de notre triomphe. On a continué à travailler comme des dingues. Et on est repartis chez nous, en Normandie. C’est là seulement que j’ai compris notre succès, et la visibilité, l’attente aussi – des professionnels, du public – que nous avions suscitées avec cette aventure née d’un petit stage au Théâtre national de Bretagne en 2006… J’avais alors dévoré durant l’été la nouvelle traduction des drames historiques de Shakespeare par Jean-­Michel Déprats dans la Pléiade. Et je crevais d’envie de monter l’intégralité de Henri VI : seize heures de spectacle ! Personne n’y croyait. J’ai dû procéder par morceaux… Jusqu’à ce qu’Olivier Py, à la tête du Théâtre de l’Odéon, trouve le projet génial et me passe commande. Viré de l’Odéon, nommé à la tête du festival, il me réinvite. Et là, on se lance dans ce spectacle de bric et de broc où règne le système D, où Emmaüs nous met des costumes de côté pour nos cinq cents personnages, où on achète un peu partout des éléments de décor pas chers. J’étais le grand coordonnateur, la vigie d’une saga folle, où l’énergie tenait du désespoir, où les acteurs se devaient d’être constamment inventifs, les techniciens, autonomes. On sentait bien que c’était trop grand pour nous, mais on se disait « avançons ! » Et c’est ça qui a ému : cette humilité du travail devant le public, ici et maintenant, un pas après l’autre. Cet aveu de notre impuissance et de notre joie quand même…

 

Je me sens presque la même complicité avec Shakespeare qu’avec ma mère.”
 

Passer huit ans avec Shakespeare laisse des traces ?

 

Je l’ai tellement étudié, j’ai si fort vécu à ses côtés que je me sens presque la même complicité avec lui qu’avec ma mère ou ma sœur ! On peut dire aussi qu’à travers Henri VI, œuvre de jeunesse de Shakespeare, j’ai grandi comme artiste quasiment en même temps que lui. Il est encore pataud dans cette œuvre ; comme je l’étais. Il tâtonne et ne comprend que scène après scène comment fonctionne le théâtre. Il apprend à être populaire aussi, et universel et exigeant, comme je voudrais l’être. Sa langue est déjà d’une sophistication folle, qui pouvait être comprise et appréciée des rois comme des paysans.

 

C’est quoi le théâtre populaire pour vous aujourd’hui ?

 

Mais c’est dans l’ADN même du théâtre que d’être populaire, de se préoccuper du public ! Sinon, est-ce encore du théâtre ? Le théâtre est le seul lieu artistique où l’on peut se sentir vivant avec d’autres vivants ; et qui nous rappelle qu’on existe ensemble, simultanément. Qu’on ne peut être séparé. Populaire signifie pour moi qui embrasse, prend le public à bras-le-corps, le comprend. L’exigence n’y est pas incompatible, au contraire ! Et c’est précisément à cet endroit-là que je veux travailler : faire un spectacle de grande tenue mais qui rassemble. Etre une courroie de transmission entre les jeunes et les vieux, ceux qui parlent français ou non, qui vont au théâtre ou non. Le spectacle doit être sensible pour chacun, accessible à chacun. Mon travail est simple : qu’on se sente vivant ensemble. De par mes parents, plutôt de gauche, de par leur profession – directrice de soins dans une prison pour ma mère, imprimeur à l’université de Rouen pour mon père –, j’ai reçu en intraveineuse le devoir de service public. Ma mission – pas démago, pas populiste – est de faire du théâtre pour le plus grand nombre, d’ouvrir les œuvres au plus grand nombre et de les faire circuler. C’est pour ça que je reçois des subventions de l’Etat. Sinon, je ne dois pas y toucher… Mais comment fait-on pour que tout le monde ait accès au théâtre ? Pour qu’on n’ait pas peur d’y entrer ? Nous, artistes, avons des responsabilités.

 

Comment faire alors ?

 

Trouver de nouvelles idées. Repenser ces maisons pour aujourd’hui, et non pas reproduire de vieux modèles datant d’André Malraux, qui les a initiés. L’époque a changé. Même si volonté politique et volonté artistique doivent toujours s’épouser et se conjuguer. Comme quand Jeanne ­Laurent, sous-directrice à la direction des Arts et Lettres du ­ministère de l’Education, avait su rencontrer de grands hommes de scène – dont Jean Vilar, fondateur du Festival d’Avignon – pour l’aider à imaginer la décentralisation dramatique et à irriguer de théâtres tout le territoire français après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait alors de fédérer, de consoler un pays meurtri. Ils ont réussi. A nous d’inventer nos chemins. A condition qu’ils travaillent longuement sur leur territoire, comprennent tous les besoins du terrain, soient bien informés, les artistes à la tête de grandes maisons devraient, selon moi, créer leur propre cahier des charges, adapté aux réalités et aux nécessités de l’endroit. Je suis pour des « lieux sur mesure de haute culture ». Mais des lieux qui permettent aussi de mieux vivre ensemble, de partager des tâches citoyennes communes et de prendre du plaisir collectif.

 

Vincent Macaigne mérite d’être aussi connu que Christine and the Queens !”
 
 

Dans notre milieu, on préfère souvent ne rien changer plutôt que d’en faire plus. Mais pour que les jeunes viennent au théâtre, il faut aujourd’hui en faire plus ! Rêver à de nouvelles formes, par exemple. Au moment de Henri VI, nous avions créé H6M2, une réduction du spectacle en quarante-cinq minutes, où quatre acteurs allaient jouer la pièce par les villages sur… 6 mètres carrés. Et les gens venaient ! Il faut se servir des nouveaux médias, aussi. Le théâtre ne sait pas assez communiquer sur lui-même. La « communication » n’est pourtant pas un gros mot ; Vincent Macaigne mérite d’être aussi connu que Christine and the Queens ! Mais mes pairs ont mal pris que j’aille à la télé chez Laurent Ruquier, ou que j’invente un jeu vidéo à partir de Richard III.

 

 

Comment vous est venu le goût du théâtre ?

 

A 5 ans, j’ai d’abord voulu être rat de l’Opéra. Mais je me suis vite ennuyé dans mon petit cours… Nos parents avaient choisi de vivre dans un village ; pas de théâtre, pas de cinéma. Juste ces cassettes de musique classique qui me permettaient de danser et de jouer à diriger des ballets. Mon père et ma mère préféraient nous élever au milieu des champs, dans la liberté et sans religion. Ils ne nous mettaient aucune barrière. C’était aux enfants de poser leurs limites. En fait, je n’ai pas été éduqué. Je n’étais jamais puni. Je pouvais demander des poupées à Noël, je les avais. Quand j’ai été confronté à l’autorité et à la hiérarchie, ça a été autre chose. J’étais arrivé à l’école et au collège sans crainte, mais les moqueries ont commencé. Mes parents ne m’avaient pas enseigné les codes, ils avaient laissé s’épanouir ma part féminine. « Pédale » ? Je ne savais même pas ce que ça voulait dire.

J’ai résisté comme j’ai pu au harcèlement, au racket. La souffrance des enfants, je connais. Alors je me suis inventé un monde. Après avoir découvert un spectacle de théâtre d’ombres pour enfants, j’ai dirigé ma sœur et mes amis dans des farces pour écoliers écrites par Pierre Gripari ; et je faisais même de la radio. A 9 ans, j’ai envoyé des émissions de critiques de films à une radio catholique locale qui les a acceptées. Ça a duré cinq ans ! C’est comme ça que j’ai tenu. Les copains du collège n’avaient accès à rien ; c’était normal qu’ils me rejettent. Moi, dès la cinquième, j’ai voulu me sortir de là. J’ai pris des cours de théâtre en ville, je suis entré dans une compagnie de théâtre pour enfants à Rouen, j’avais déjà l’impression d’exercer un métier. Dans la foulée, j’ai demandé l’option théâtre au lycée, je n’ai pas été pris, tant mieux : j’étais devenu un petit con prétentieux. J’ai enfin été accepté ailleurs en option théâtre. J’avais appris l’humilité.

 

 

“J’ai été saisi par ce désert qui fonde les tragédies de Sénèque, rien que des cailloux, des cadavres, de la mort.”
 
 

Est-ce votre enfance meurtrie qui vous a aussi donné le désir de monter Thyeste ?

 

Pas seulement. Lors de mes huit années de totale connivence avec Shakespeare pour préparer Henri VI, puis sa suite Richard III – que je rêverais de monter en une « tétralogie shakespearienne » de vingt-quatre heures ! –, j’ai découvert que les tragédies de Sénèque dans leur violence l’avaient beaucoup influencé. Je les ai lues. Et j’ai été saisi par ce désert qui les fonde, rien que des cailloux, des cadavres, de la mort. Jouer Shakespeare, c’était baigner continuellement dans un fleuve de vie où les acteurs plongent, nagent, sautent, coulent, ressurgissent. Le vide noir de Sénèque, à l’inverse, me devenait irrésistible. Et que ce philosophe stoïcien, précepteur puis conseiller de Néron, ose dans Thyeste se confronter encore au meurtre d’enfants, au cannibalisme, soit à l’irreprésentable, me fascinait. Je n’aime que le théâtre impossible. Sénèque va à l’os de la tragédie. Je n’ai jamais rien lu d’aussi noir.

 

 

Qu’a donc Thyeste, rarement monté, de si vénéneux ?

 

Atrée, que j’interprète, règne sur Mycènes après que Thyeste, le frère jumeau qui occupait le trône avant lui, a séduit sa femme et volé un objet sacré. Sa mélancolie, sa douleur sont peu à peu devenues fureur. Pour se venger, il fait manger et boire à son frère Thyeste la chair même et le sang de ses fils lors d’un banquet. Et comme ce crime viole les règles des sacrifices rituels et de la vie religieuse, Atrée finit par détruire l’ordre du monde : à la fin, le soleil, horrifié, disparaît… Thyeste terrifie parce que la violence porte sur un jumeau, un double : de soi à soi. Comment devient-on un monstre pour soi-même ? et immanquablement pour les autres ? au point de déréguler l’existence commune ?

Par-delà l’individu, qui importait peu dans l’Antiquité, c’est l’humanité que Sénèque convoque, provoque. Car depuis la naissance de la tragédie grecque, il y a deux mille cinq cents ans, le théâtre est un indispensable outil de construction collective et personnelle. Il résiste à tout parce qu’il répond à deux besoins essentiels : se représenter les choses à travers une histoire et se sentir vivant parmi d’autres vivants. Un spectacle sert à remettre en circulation de la pensée, sans dire quoi penser. C’est quand la pensée est arrêtée que la violence surgit. Le contraire du théâtre. Qui change la méfiance en curiosité et qui augmente, multiplie la réalité… Celui de Sénèque n’est ni psychologique ni narratif, et on ne peut s’y identifier. Mais c’est un théâtre-­roman total, aux effets de machinerie spectaculaires, avec des chœurs, de la poésie, de la danse qui glacent et sidèrent…

 

 

“Les metteurs en scène ne font que sucer le sang des acteurs.”
 
 

Vous sentez-vous d’abord acteur ou d’abord metteur en scène ?

 

Je suis juste un acteur qui en fait jouer d’autres. Je ne suis qu’un « entremetteur » en scène, à la manière dont Jean Vilar disait qu’il n’était que « régisseur ». Pour moi, les metteurs en scène sont en effet des imposteurs : ils ne font que sucer le sang des acteurs, tout à fait capables de se mettre en scène seuls. Je revendique un théâtre d’acteurs-créateurs.

 

Ne les dirigez-vous pas, vous qui disiez vous occuper de tout ?

 

Nous travaillons sur l’empathie avec le public, pas sur le rôle. On ne fait pas de psychologie. On ne réduit pas le personnage à sa misérable vie. On ne se raconte pas à travers lui : on rend compte. On témoigne de la rencontre entre l’acteur et le texte. Alors je dirige à l’oreille, j’essaie d’avoir une sorte d’oreille absolue, et mes seules indications sont « j’entends » ou « je n’entends pas ». Mais les répétitions – toujours en costumes et dans les décors, avec les lumières, la musique – se déroulent après un long travail autour d’une table. On y étudie le texte, discute ensemble avec des spécialistes, se met d’accord sur des règles de jeu communes. Le travail est plutôt collectif, c’est un groupe de recherche.

 

Quelles influences vous reconnaissez-vous ?

 

Aucune, en fait… Comme dit Roland Barthes dans La Chambre claire : « Je suis un sauvage, un enfant ou un maniaque ; je congédie tout savoir, toute culture, je m’abstiens d’hériter d’un autre regard. » Bien sûr, j’ai éprouvé ma première joie de spectateur et mon déclic initiatique devant La Dispute, de Marivaux, montée par Stanislas Nordey : l’impression grâce à lui d’enfin comprendre, voire d’exister. C’était en 1997, j’avais 15 ans. Après l’université en arts du spectacle, après avoir créé une première troupe universitaire, j’ai voulu entrer à l’école du Théâtre national de Bretagne, que dirigeait Nordey, justement. Mais sans doute l’admirais-je trop ? Je me suis senti corseté, tendu en tant qu’acteur sous sa direction si aride, dans la distance et sans liberté. Et quand, à la fin de nos études, au bout de trois ans, il m’a dit pour tout commentaire : « Toi, Thomas, je ne sais toujours pas qui tu es… »,j’étais sidéré, perdu. Perversité pédagogique pour me faire progresser ? En tout cas, j’ai compris que quelque chose en moi n’avait pas encore éclos et qu’il fallait que ça sorte. Mais en même temps je n’avais plus du tout envie d’être acteur. J’étais enragé de devoir dépendre du désir d’un metteur en scène pour jouer. Alors je crée La Piccola Familia à Gaillon, dans l’Eure, et propose à la troupe de monter Arlequin poli par l’amour, de Marivaux. Juste pour bosser. Le spectacle, avec des maquillages, des costumes exacerbés, est très noir, féerique et macabre à la fois, entre rêve et cauchemar, monstrueux, déjà… Des professionnels viennent nous voir. En parlent. Et ça marche : le spectacle, depuis douze ans, est toujours sur les routes ! Et sera même à Paris en septembre.

 

Pas de maîtres donc ?

 

J’ai beaucoup volé à Nordey : une certaine frontalité du jeu de l’acteur face public, l’adresse aux spectateurs, la volonté de transmettre de la pensée… J’admire les spectacles épurés de Claude Régy – où j’ai l’impression d’accéder à une connaissance de moi-même que je n’aurais pas sans lui et de parvenir, aussi, à arrêter le temps. J’aime la beauté plastique éblouissante des créations de Romeo Castellucci et l’échange jubilatoire que Jean-François Sivadier parvient à créer avec son public, de mise en scène en mise en scène. Sa gentillesse, aussi. C’est rare, les metteurs en scène gentils.

 

 

“On ne fera avancer le théâtre dans ce pays que si on fait confiance à ses jeunes artistes.”
 

Est-ce une reconnaissance que de jouer dans la Cour d’honneur ?

 

Qu’une petite compagnie normande errante l’occupe me rend fier, oui. On n’est pas si nombreux à y avoir accès et je ne pensais pas que ça me tomberait dessus si tôt. Certes, il a fallu qu’on se mette d’accord, la Cour et moi : c’est moi qui vais chez elle et pas l’inverse, je l’ai compris. Mais quand on accepte cette position d’humilité, tout devient simple et c’est le bonheur. Il faut se plier ou ça casse… On n’accorde pas assez de place, dans la France de 2018, aux jeunes créateurs. Surtout à la tête des grandes institutions. C’est vrai que j’ai été déçu de ne pas être nommé en 2017 à la tête du Théâtre national de Bretagne, pour lequel j’avais travaillé six mois durant, au plus près du terrain. Ça a brisé un élan, même si je reste plein de désirs et d’énergie. On m’a dit entre autres que j’étais trop jeune, trop enthousiaste. Mais, à Berlin, n’a-t-on pas confié la Schaubühne à Thomas Ostermeier quand il avait 31 ans, et le Théâtre national de Belgique à Fabrice Murgia à 33 ans ! On ne fera avancer le théâtre dans ce pays que si on fait confiance à ses jeunes artistes. S’il y a eu un boom en 1981 grâce à Jack Lang, ce n’est pas que par la multiplication des subventions, c’est que les jeunes créateurs étaient aussi formidablement encouragés. Tout le théâtre encouragé, aimé… Avignon est une utopie. Le temps s’y arrête trois semaines durant pour que les gens viennent voir de l’art, s’immergent dans l’art, jusqu’à en faire partie. Le temps y est suspendu par la beauté et la ­pensée. Mais cette utopie-là est devenue réalité grâce à une ­volonté politique après guerre, en 1947. Donc c’est possible de faire advenir l’utopie, si les politiques s’y mettent. Même si c’est toujours fragile. Comment, dans une ville où le théâtre est érigé en étendard, le Front national a-t-il pu réaliser quelques-uns de ses meilleurs scores ? 

 

 

Thomas Jolly en quelques dates
1982 Naissance à Rouen (76).
2006 Crée la compagnie La Piccola Familia.
2007 Monte Arlequin poli par l’amour, de Marivaux.
2014 Monte et joue Henry VI, de Shakespeare.
2015 Monte et joue Richard III, de Shakespeare.
2016 Eliogabalo, de Cavalli, à l’Opéra de Paris.
Juillet 2018 Chroniques du Festival d’Avignon, sur France 2.
A venir Les chroniques sur le théâtre public, sur France 2.
 
 

A voir

Thyeste, de Sénèque. Mise en scène Thomas Jolly. Du 6 au 10 et du 12 au 15 juillet, 21h30, Cour d’honneur du palais des Papes, Avignon. 2h30.
Diffusé sur France 2, à 23h15, le 10 juillet (puis disponible sur Culturebox).

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December 11, 2015 5:50 PM
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Œuvres complètes et pièces détachées -

Œuvres complètes et pièces détachées - | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Eve Beauvallet pour Next-Libération

Image : «Leçon de théâtre et de ténèbres, épisode 4», par Yves-Noël Genod. Photo Helen Heraud 

 

Spectacles déclinés en épisodes ou réunis en intégrales, reprises mensuelles de classiques du répertoire : des expériences interrogent les rythmes d’exploitation et de fréquentation traditionnels.


Du café, des biscuits au chocolat, des duvets, des amis qui live-tweetent en chaussettes, des épisodes qui s’enchaînent le temps d’un week-end de binge watching intense… Rien d’anormal à observer ces pratiques pittoresques si l’on évoque la trilogie des Sissi ou l’intégrale de la série Mr Robot. Un peu plus étonnant d’apprendre que ce code de conduite fut adopté l’an dernier dans des salles de théâtre. En l’occurrence celles où l’on jouait Henri VI, de Shakespeare, un marathon théâtral présenté comme une série HBO, en plusieurs épisodes ou lors d’une intégrale d’une durée totale de dix-huit heures (avec une version «trailer» de 45 minutes donnée séparément). A l’aube du projet, certains programmateurs avaient mis en garde son jeune concepteur, le très (trop) adoré metteur en scène Thomas Jolly, contre ce qu’ils appelaient une «opération kamikaze». On lui avait rappelé les fondamentaux de la sociologie du spectacle : face à une offre culturelle pléthorique, à l’ère de l’extrême mobilité («vous avez bien dit réserver trois mois à l’avance mon samedi soir 19 décembre ?»), dans laquelle seuls 6 % des Français sortent plus de trois fois par an au théâtre (la Sortie au théâtre, Dominique Pasquier, PUF 2012), il ne trouverait pas deux masochistes prêts à zapper un week-end devant House of Cards pour aller ronfler plusieurs fois d’affilée devant Shakespeare. Vraiment ? Henri VI est pourtant l’un des plus grands succès populaires et médiatiques des dernières années.

Netflixisation
L’«opération kamikaze» ne fut pas isolée. Au Théâtre de Montreuil, en 2012, le metteur en scène Mathieu Bauer créait lui aussi, avec moins de retentissement néanmoins, Une faille, une forme feuilletonnante en deux saisons et douze épisodes. Idem pour Pauline Sales avec son feuilleton Docteur Camiski en 2015, ou Robert Cantarella, à l’initiative du projet Notre Faust, série diabolique en 5 épisodes (cinq auteurs, cinq semaines, cinq créations disait le sous-titre) donné à Théâtre Ouvert en 2014. «Quelques spectateurs avaient joué le jeu de la série en achetant des places pour tous les épisodes,nous confiait alors la directrice de Théâtre Ouvert, Caroline Marcilhac, qui reprogramme en janvier 2016 l’intégrale de la saison 1. Sinon, c’est le bouche à oreille qui a surtout fonctionné, fédérant progressivement une communauté de fans.» Et se monte en ce moment, à la Criée de Marseille, Trois Cantates policières, opéra-thriller en trois parties indépendantes (2015-2017) sur des livrets du romancier Sylvain Coher, des partitions de musiciens contemporains et une interprétation par l’ensemble Musica 13.

Voilà pour les dernières tentatives de «netflixisation» des scènes. Qu’elles aient été surévaluées ou non, aient su trouver leur modèle ou pas (étaler les épisodes au long de la saison, ou les resserrer sur un mois ?), toutes ont en commun d’avoir attiré l’attention sur la question des pratiques des spectateurs de théâtre. Sur la possibilité de générer d’autres rythmes de fréquentation que ceux imposés par la logique traditionnelle de l’abonnement. «C’est sans doute moins un effet de mode qu’une réponse à une mutation socioculturelle, avance Gwenaël Morin, qui dirige le Théâtre du Point du Jour à Lyon. On est dans une relation plus vernaculaire au produit culturel. Il y a besoin d’objets qui pénètrent davantage notre quotidien, qui ressemblent d’ailleurs moins à des objets qu’à des espaces dans lesquels on peut revenir et interagir. Une sorte de "nuage" pour emprunter des poncifs…»

Panique et fatigue
Gwenaël Morin est l’auteur de l’épopée sans doute la plus folle et régénérante menée au théâtre ces dernières années. Le «Théâtre Permanent», né de l’impact qu’a pu avoir sur lui le plasticien Thomas Hirschhorn, a consisté pour les acteurs à jouer en public des chefs-d’œuvre du répertoire dramatique dès le début des répétitions, tous les soirs pendant un an, sans décors, gratuitement, dans la panique et la fatigue. Une sorte de work in progress avec communauté de fans, mené en 2009 aux Laboratoires d’Aubervilliers et aujourd’hui à Lyon. Depuis octobre 2015 et jusqu’à fin décembre, il «prête» le «Théâtre Permanent» au metteur en scène Yves-Noël Genod, qui finalise actuellement un cycle selon le protocole suivant : créer un nouvel épisode toutes les deux semaines. «Evidemment il faut que ce soit le moins cher possible pour que les gens reviennent, parce qu’il ne s’agit pas de faire des coups commerciaux,précise Gwenaël Morin. On est financés par l’Etat pour se permettre de prendre des risques hors des logiques commerciales, ce qui ne veut pas dire qu’on doit nécessairement être contre le commerce…»

Reste qu’il est économiquement compliqué de sortir du rythme habituel de production et d’exploitation, qui impose aux compagnies de répondre au schéma suivant : créer sa pièce en sept à huit semaines, puis jouer et tourner trop peu (seulement 7 % des spectacles comptent plus de cinq représentations d’affilée). Puis jeter les décors et recommencer. «A la différence du système allemand, conçu autour de compagnies permanentes qui font vivre un répertoire, le système français valorise davantage la création de nouvelles pièces que la diffusion et la reprise. Le mode de subvention en témoigne, analyse Nathalie Wimeux, codirectrice du Théâtre Nanterre-Amandiers. Cela contribue à un certain formatage et du fait de ce formatage, le public est enfermé dans une logique de consommation.»

Exotique
A leur mesure, les Amandiers tentent de diversifier les modèles. En valorisant davantage les reprises - on apprend que Ça ira (1) Fin de Louis de Joël Pommerat réapparaîtra à l’affiche du théâtre la saison prochaine - ou en reprenant le même spectacle chaque mois, sur toute la saison, pour une ou deux représentations (c’est le cas cette année avec l’adorable Effet de Serge, de Philippe Quesne, metteur en scène et codirecteur des Amandiers). Une façon de faire vivre un phénomène aussi exotique dans le théâtre public que la «relation interpersonnelle» permise par le bouche à oreille, une vieille lune du spectacle subventionné, à qui l’on ne laisse aucune chance dans un rythme d’exploitation classique. Cette logique de l’alternance, courante dans le théâtre privé et dans le modèle allemand (en raison de la présence de «permanents») reste néanmoins très coûteuse pour les compagnies indépendantes en raison du problème de stockage des décors. La solution ? «Il faudrait pouvoir concevoir un système mixte entre les modèles français et allemands. De façon à diversifier les modèles d’exploitation en fonction des projets», suggère Nathalie Wimeux.

C’est précisément le nerf de la guerre menée par Gwenaël Morin qui, en janvier, présentera aux Amandiers son cycle les Molière de Vitez selon le rythme suivant : une pièce de Molière différente chaque soir de la semaine, comme autant de répétitions pour préparer l’intégrale du samedi. Le tout pendant un mois. «Bon, le mot "teaser" est dégueulasse, mais c’est un peu ça : chaque pièce jouée individuellement incite les spectateurs à venir vivre l’expérience entière.» Quand on l’interroge sur la modélisation de ce projet, sur la possibilité d’en faire un système, il insiste, pour qu’on le comprenne bien : «Si on crée des œuvres en réponse à une mutation sociologique dont on a pris acte et à laquelle on veut coller, ça ne marchera jamais.» Pourquoi ? «Parce qu’on sera toujours en retard sur les usages. Quand je sens qu’un programmateur a une idée a priori de ce qui va marcher sur son "public", je n’y vais pas, prévient-il. Duchamp disait que c’est le regardeur qui fait le tableau. Je pense précisément l’inverse. C’est l’œuvre qui doit réinventer le regard, elle qui doit créer le contexte et non l’inverse. S’il doit émerger d’autres modes de production et d’exploitation, ça doit surtout et uniquement venir de l’œuvre.»

Ève Beauvallet


Leçon de théâtre et de ténèbres par Yves-Noël Genod Jusqu’au 31 décembre au Théâtre du Point du Jour, à Lyon (69).


Les Molière de Vitez par GwEnaël Morin du 5 au 30 janvier au Théâtre Amandiers-Nanterre (92).


Notre Faust les 16 et 17 janvier à Théâtre Ouvert, 75018. Puis en tournée les 23 et 24 janvier au CDDB de Lorient (56), les 30 et 31 janvier à la Comédie, Clermont-Ferrand (63).

Le spectateur de Belleville's insight:

Séries, feuilletons, spectacles-fleuves, rendez-vous réguliers, week-end complets : de belles propositions théâtrales qui se jouent des limites temporelles.

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November 9, 2015 5:02 PM
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Thomas Jolly électrise le théâtre en Richard III

Thomas Jolly électrise le théâtre en Richard III | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jacques Moulins pour Naja 21 :

Après son succès avec Henri VI, Thomas Jolly poursuit sa conquête de Shakespeare. Sa création de Richard III, faite à Rennes, poursuivie à Martigues, désormais en tournée nationale, est vivante, électrique, spectaculaire.
En avril dernier, encore dans l’élan de son succès en Avignon avec l’intégrale d’Henry VI, Thomas Jolly annonçait dans les pages de Naja21 n’en avoir pas fini avec Shakespeare : « Henry VI achèvera sa tournée en juin pour la reprendre en 2016. Et à l’automne, je monte Richard III ».

Ce qui fut fait. La première a eu lieu au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, le 2 octobre, mais c’est dans le vaste et très efficace Théâtre des Salins de Martigues que nous avons choisi de voir cet opus très attendu, avant la tournée nationale qui s’installera pour plus d’un mois à l’Odéon en janvier.

Thomas Jolly ne faiblit pas, ne dément pas le propos entamé avec Henry VI, n’abandonne pas le théâtre populaire. Il a dans la tête qu’une pièce de Shakespeare n’est ni un joyau en perdition, ni une œuvre sacrée dont les interprétations, à l’image des exégèses religieuses, demandent une infinité de précautions érudites. Il fait du théâtre vivant, bouillonnant, spectaculaire. Il fait rire, il fait trembler, il fait saliver. Les bouches des plus jeunes restent ouvertes par le suspens et l’intelligence des plus avertis en oublie le texte pour le redécouvrir.

 

Un roi mégalo et malin. Richard III est un roi madré, séducteur, aussi cruel qu’un dictateur contemporain, avide de revanche sur le ciel et la nature qui lui ont infligé ces difformités au siècle où la communication d’un roi le veut guerroyant avec panache et gouvernant avec superbe. Fourbe, déloyal, nulle qualité ne lui est connue, nulle traîtrise ne le rebute. Il est l’inventeur de la promesse jamais tenue, de la trahison de l’ami de trente ans, de la défiance envers ses proches, de la femme comme reconnaissance de pouvoir. Si l’on s’en tient à la France, le Mitterrand de l’Observatoire, le Sarkozy de 2005, le DSK de New-York. Il concurrence Machiavel dans l’invention de l’homme d’État moderne.

Une telle épopée, proche de Games of Thrones ou de House of Cards, a quelque chose de la série, c’est du moins ce qu’en pense Thomas Jolly. Le metteur en scène n’entend donc rien supprimer au texte originel. Ici, peu de raccourcis, peu de suppressions de personnages, pas même l’ignorance de ce qui fait le sous-titre de la pièce « le débarquement du comte de Richmond et la bataille de Bosworth ». Thomas Jolly veut tout montrer, dans une débauche de lumières, de sons et d’acteurs. Grâce à son immense troupe La Piccola Familia. C’est bel et bien le récit qui l’intéresse, sans rien en omettre, sans rien en éluder. Il le mène jusqu’au bout sans férir.

 

Une mise en scène redoutable. Le jeune metteur en scène de 34 ans ne cède pas pour autant au facile, à l’effet reconnu. Shakespeare (dans l’excellente traduction que réalise depuis des années Jean-Michel Déprats pour l’édition complète et bilingue des œuvres du dramaturge élisabéthain de La Pléiade) possède à la fois l’art du raccourci et celui de la réplique. Thomas Jolly sait les mettre en valeur, les gourmander pour le plaisir plébéien du public. Son interprétation de Richard, une véritable prouesse qui le met en scène quatre heures durant, est éloquente, son corps expressément parlant, sa diction souveraine, son costume, dû à l'artiste taxidermiste Sylvain Wavrant, époustouflant. Et sa vitalité nécessaire.

Sa mise en scène se nourrit de toutes les inventions de la scène contemporaine, tant sur le plan des décors, des lumières, des concerts rocks, des sons et des images, que du jeu des acteurs. La reine Elizabeth, avide de pouvoirs mais humiliée et privée, par sombres assassinats, de son mari et de ses fils, prend une singulière distance avec son rôle qui restitue à la fois cette avidité contrariée et ces outrages minimisés. La reine Anne grossit ses émotions sans grossièreté, comme s’il ne lui restait que ce cri permanent de douleur face à l’ignominie du sort. Quant à la reine Marguerite, qui lance la malédiction frappant tous les personnages, elle déclame avec la hardiesse décomplexée d’une intriguante déboutée sa détestation des Yorks et des Lancaster.

Les difficultés d’un texte qui alterne poésie complexe, vulgarités et redondances deviennent alors des merveilles de concision et de diversités, percutantes, éprouvantes, intelligentes. Enfin les décors, faits d’escalier et d’échafaudages en perpétuels mouvements sur un plateau vide seulement structuré par les lumières, garantissent le rythme rapide et la profondeur de l’action.

 

 

Richard III en tournée, mise en scène Thomas Jolly, Cie La Piccola Familia. Créé le 2 octobre 2015 au Théâtre National de Bretagne, (Rennes). En tournée nationale : Scène nationale de Martigues les 5 et 6 novembre ; Odéon Théâtre de l'Europe du 6 janvier au 13 février ; Scène Nationale Evreux-Louviers le 26 février ; L'Onde à Vélizy-Villacoublay les 18 et 19 mars ; Comédie de Caen – Centre Dramatique National de Normandie les 24 et 25 mars ; Théâtre Liberté à Toulon les 31 mars et 1 avril ; Théâtre National de Toulouse du 6 au 10 avril ; Les Célestins à Lyon du 17 au 20 mai et Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper les 25 et 26 mai.

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May 28, 2015 6:31 PM
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Thomas Jolly bientôt Richard III : "Un monstre politique à l'horizon de 2017"

Thomas Jolly bientôt Richard III : "Un monstre politique à l'horizon de 2017" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Henri VI, l'épopée théâtrale de 18h, mise en scène par Thomas Jolly a séduit le public bien au-delà d'Avignon. En tournée, joué en deux parties sur deux jours, le spectacle a fait salle comble. Galvanisé par l'aventure, récompensé d'un Molière, Thomas Jolly a décidé de s'attaquer à l'épisode suivant de la saga : Richard III. Un rôle monstre qu'il incarnera, foi d'animal !

 

Loin du chant des grillons, des pelouses accueillantes et de l'ivresse d'Avignon, vivre une immersion théâtrale de 18h pouvait relever de la gageure.
 
Mais le Henry VI de Thomas Jolly que nous avons applaudi à sa création, déjoue tous les pronostics et soulève partout l'enthousiasme.
 
Son souffle épique, la générosité des acteurs, ses astuces de mise en scène, son humour très second degré et ses entractes savamment distillés rendent très vite le public accro, comme le ferait la meilleure des séries télévisées.
 
Et puis Thomas Jolly fait de cette page si dense et si noire de l'histoire d'Angleterre une fable d'aujourd'hui, qu'il veut poursuivre jusqu'au bout en montant Richard III. Car la folie du pouvoir de celui-ci, doit "éveiller les consciences et servir de repoussoir, à l'aune des élections présidentielles de 2017".

INTERVIEW

Culturebox : Henry VI en tournée a-t-il demandé des adaptations par rapport à sa création en Avignon l'été dernier ?

Thomas Jolly : Parce que l'on n'est pas dans le cadre d'un festival, car les gens ont aussi des vies professionnelles et familiales, on a coupé le spectacle en deux pour que ce soit plus digeste et aussi profiter des jours fériés du mois de mai. Les entractes n'ont pas bougés, j'ai rien coupé, simplement on passe une nuit chacun chez soi et on se retrouve le lendemain. Hormis qu'il n'y a pas de pelouse et que ça ne se joue pas 18h d'affilées, c'est donc le même spectacle qu'à Avignon.

Que le public vous suive sur une telle aventure de 18h, même hors festival, vous a étonné ?

Je suis émerveillé par l'année qu'on vient de passer. A Avignon il y avait le côté festival et création qui donnaient une effervescence évidemment au projet, mais que ce soit à Toulouse, à Dunkerque, à Béthune, à Poitiers, ou à Paris c'est partout la même histoire, le même enthousiasme, la même ferveur parce que ce qui se passe je pense, c'est que le public vient partager une traversée, un moment ensemble. Non seulement il y a cette oeuvre de Shakespeare qui nous éclaire sur aujourd'hui, sur ce temps de crise, sur comment ne pas céder au repli sur soi… et puis il y a la durée qui permet d'échanger, de se retrouver.

Le théâtre chez les Grecs rassemblait toute la Cité. Le théâtre de Dionysos à Athènes, c'était 17 000 places. Toute la cité était obligée d'y aller. En temps de crise les politiques font des économies mais ils ne comprennent pas que le théâtre est un ciment sociétal, un refuge de la pensée qui permet le vivre ensemble.

Je n'ai aucune routine de tout ça, car Henry VI c'est tellement long, tellement difficile, tellement compliqué, tellement fragile, qu'on ne peut en être blasé, on doit être dans le présent. J'aimerais que ma vie continue comme ça le plus longtemps possible !

Justement ce Richard III que vous êtes en train de préparer, c'était prévu ?

Il n'était pas prévu. J'inscrivais juste HenryVI dans sa totalité (le spectacle se termine par une tirade de Richard III), pour que le public puisse poursuivre pas des lectures, par exemple.

J'ai démarré un autre projet en septembre sur Sénèque. Mais je me sentais suspendu à cette histoire qui n'était pas finie. Je sentais qu'il fallait que j'aille jusqu'au bout. Aussi parce qu'il me semble urgent de mettre en scène un monstre politique à l'horizon de ce qui nous attend en 2017, les élections j'entends. Pour qu'on puisse pénétrer ce que c'est que la manipulation politique.

Il s'agit du personnage le plus noir de Shakespeare, qui joue entre l'être et le paraître, une sorte de storytelling, même s'il n'y a pas les médias à l'époque. Il est dans ce qu'il y a de plus crasse en politique. Profitant clairement d'un climat délétère, d'un moment de stupéfaction général pour se frayer un chemin. Ça il faut en parler absolument.

Vous incarnez le Richard III qui apparait à la fin d'Henry VI. Dans le prochain spectacle qui sera Richard III ?

Je l'endosse !

Et quel genre de Richard III serez-vous ?

Ce ne sera pas un ange exterminateur descendu du ciel pour mettre le chaos sur la terre. Je crois au contraire que Richard a une blessure d'amour qui le rejette de l'humanité. Et plutôt que d'être rejeté, il décide lui même de s'en exclure.

Ce qui est passionnant quand on enchaine Richard III avec Henry VI, qui n'est que l'épilogue crépusculaire d'une tétralogie, c'est que j'ai toute la matière pour démontrer que Richard III était bien le produit de la monstruosité de son époque. C'est ça qui est dit par Shakespeare. Ces guerres fratricides, ces complots vont générer une génération qui n'a que la violence comme langage. Mais il y en a un qui a un cerveau, c'est Richard.

Il n'est pas sophistiqué, il est juste profiteur d'un état d'angoisse. Les autres sont démunis. C'est ça qui va guider mon personnage.

Ce Richard III va-t-il être porté par la même troupe ?

Ceux dont les personnages ne sont pas morts ! Une dizaine. Et quatre nouveaux acteurs. Nous serons 14 au total et deux enfants. Car il y a aussi des infanticides…

Je démarre les répétitions le 10 août à Rennes au TNB, c'est là qu'aura lieu la création le 2 octobre. Puis le spectacle sera joué à l'Odéon en janvier et en tournée. Et entre octobre et décembre on reprend Henry VI, aussi en tournée.

Vous vous attaquez de nouveau à une version intégrale ?

Je pars sur le même principe que je ne veux absolument pas adapter Richard III, je veux en donner la substance totale. On sera dans quelque chose quasiment sans coupe, de 4 heures environ. Avec tous les personnages, tous les enjeux.

Mon but est de mettre en lumière, comme pour Henry VI, une œuvre qui est complexe, la rendre accessible en redonnant les éclairages nécessaires. Je veux monter Richard III artisanalement, en 3D, mon métier de metteur en scène en somme !

A propos de mise en scène, comment vivez-vous ce Molière du metteur en scène que vous venez de recevoir ?

De manière très heureuse et ça a généré énormément de messages de spectateurs. J'étais très heureux pour nous tous, pour la famille évidemment.

Je suis très honoré d'avoir reçu le Molière du metteur en scène, je ne vais pas rechigner, mais c'est très étonnant qu'on ne récompense qu'une seule personne alors que c'est tellement un travail de troupe. Mais ils ne m'en ont pas tenu rigueur ! C'est encore une surprise de ce projet qui ne cesse de m'émerveiller.


Henry VI
Le 20 juin 2015 à l'Opéra de Rouen Haute Normandie - Théâtre des Arts : 10h-Intégrale

Pendant l'été, revoir les 8 épisodes d'Henry VI sur France 2: tous les mercredi à partir du 8 juillet

Richard III
De William Shakespeare, mise en scène de Thomas Jolly, Cie LA Piccola Familia

Création le 2 octobre 2015 au TNB, théâtre national de Bretagne-Rennes
Du 6 janvier au 13 février au théâtre de l'Odéon, Paris VIe 
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May 10, 2015 5:35 PM
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« Henri VI » l’épopée magistrale signée Thomas Jolly et la Piccola familia | Théatres.com

« Henri VI » l’épopée magistrale signée Thomas Jolly et la Piccola familia | Théatres.com | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Dernier acte. Le public est en liesse, impatient de découvrir l’issue funeste de la saga. Ils appellent de leurs applaudissement à la reprise et ne seront pas déçus. La bataille finale sera d’une beauté saisissante et l’on verra déjà poindre au loin la noirceur à venir de Richard duc de Gloucester. Par un habile effet de mise en scène d’ailleurs Thomas Jolly qui incarne le vil bossu dans ce deuxième cycle lie son épopée à une future création autour de Richard III. Inutile de préciser à quel point nous sommes impatients de connaitre cette suite. Mais sur le champ de bataille voici venir les dernières images, la célébration des vainqueurs. Le rideau final tombe. Au terme d’un périple de 18H les spectateurs de la fresque « Henri VI » se lèvent comme un seul homme, interminables applaudissements. A la hauteur de l’échange vécu, comédiens et public s’auto-congratulent avec émotion, ensemble nous l’avons fait ce voyage. Thomas Jolly, artistes de la Piccola Familia, techniciens et équipes de l’Odéon, partenaires d’aventures, à tous, merci. Le voyage était beau.

Audrey Jean


Lire l'article entier : http://www.xn--thatres-cya.com/articles/theatre-henri-vi-lepopee-magistrale-signee-thomas-jolly-et-la-piccola-familia/

 

 

Jusqu’au 17 Mai  Ateliers Berthier 17ème  Odéon – Théâtre de l’Europe  

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April 3, 2015 5:46 PM
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Thomas Jolly - YouTube

Né à Rouen,Thomas Jolly est passionné de théâtre depuis son plus jeune âge. Désormais metteur en scène, acteur et membre de la Piccola Familia, ce jeune rouennais a récemment fait parler de lui en montant Henri VI et adaptant l’œuvre de Shakespeare.


© Images additionnelles : La Compagnies des Indes - La Piccola Familia - Théâtre National de Bretagne / Rennes

www.seinemaritime.tv

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December 3, 2014 12:56 PM
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Thomas Jolly. Lumineuse apparition

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PORTRAIT publié dans Libération :

 

Révélé à Avignon, le jeune et phosphorescent metteur en scène se bat pour un théâtre ambitieux, populaire et engagé.

 


C’est une phrase de rien, lâchée comme ça, entre deux portes, alors qu’interrogé sur la marque de sa veste (inconnue au bataillon), Thomas Jolly, 32 ans, se plaignait de ne jamais trouver de vêtements à sa taille, qu’il a très fine. Une phrase de rien qui, bizarrement, reste longtemps après l’interview, comme un coup de laser appuyé sur la rétine. «Je suis phosphorique.» Soit, en homéopathie, l’un des trois profils de base désignant à raison, en ce qui le concerne, les sujets longilignes, sensibles et créatifs. Mais aussi un synonyme de phosphorescent, cette faculté tellement géniale qu’ont les vers luisants à rayonner dans la nuit. Ajoutez à cela l’expression «extrêmement solaire» choisie par son mentor, Stanislas Nordey, pour qualifier son ancien élève de l’école du Théâtre national de Bretagne (TNB), et nous voilà convaincue que notre portrait du remuant Jolly, acteur et metteur en scène délicat révélé au dernier Festival d’Avignon, sera lumineux, ou ne sera pas.
Fusée. Il a beau rappeler que son Henry VI l’a occupé quatre ans et demi, l’impression dominante est celle d’un jeune homme monté très vite, très haut. Qui connaissait Thomas Jolly avant le 21 juillet, jour de la première représentation de cette trilogie de Shakespeare ? Commencée à 10 heures, l’intégrale s’est achevée à 4 heures le lendemain matin. Dix-huit heures dans le règne d’un roi, de son couronnement à son assassinat par le futur Richard III, qui, loin de les décourager, ont emballé critiques et festivaliers. En tournée ces jours-ci en région parisienne, l’épopée, qu’il a voulue «exigeante et populaire», séduit autant les lecteurs de Télérama que les fans de la série Game of Thrones, à laquelle, feuilletonnante et meurtrière, elle est sur Twitter régulièrement comparée.

Miroirs ? Une jambe croisée par-dessus l’autre, il fait tourner son pied sur lui-même, en même temps qu’il parle avec ses mains, ses bras, son corps tout entier. Un sujet lui tient à cœur, il jette son paquet de cigarettes devant lui et s’accroupit sur sa chaise, imprévisible et souple comme un chat. Est-ce parce qu’il aime les regards tournés vers lui, ou qu’il «meurt d’ennui en trois minutes» ? Thomas Jolly enchaîne les poses, et s’étonne qu’on s’en étonne. Quelque chose chez lui provoque, sans que l’on sache ce qui l’emporte, de l’agacement ou du désir. Il a le charme juvénile d’un Pierre Niney. La sensualité du Daho des années 80. S’il joue, finit-on par se dire, interpellée par le caractère à la fois pudique et généreux de ses réponses, c’est sans calcul. «Thomas n’a pas de multiples personnalités en fonction des gens qu’il côtoie, confirme son amie de toujours, l’actrice Charline Porrone. L’honnêteté est, je crois, la première de ses qualités.»

Spotlights. A en juger par son phrasé parfaitement articulé, dans les deux sens du terme, comme par les évocations qu’il fait de Bach ou de Rothko (son «idole»), on serait tenté de le ranger dans la catégorie des gens de théâââtre nés de qui il faut, là où il faut, soit quelque part entre l’Odéon et la Comédie-Française. Thomas Jolly a ceci de revigorant que pas du tout. Fils d’une infirmière et d’un imprimeur qui ne les emmenaient, lui et sa sœur, que deux à trois fois par an au spectacle, il a grandi dans un petit village près de Rouen, où il excellait dans la pratique de la pêche aux têtards et dans l’art des expéditions en forêt. «Mes parents ne m’ont jamais contraint, confie-t-il. Je rêvais d’être danseur étoile, ils m’ont inscrit à la danse. Pareil pour la musique. Le problème, c’est que les deux m’ennuyaient.»

Il découvre le théâtre à 11 ans, grâce à un livre de Pierre Gripari, Sept Farces pour écoliers. Ne fait que ça depuis : compagnie pour enfants, classe théâtre, licence d’études théâtrales, puis les cours du TNB, dont il sort «libéré». «Longtemps, je n’ai pas su quoi faire de ma culture populaire. Au TNB, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de honte à aimer Walt Whitman, Verdi et les Spice Girls.» Le 31 octobre, le Rouennais assistait au concert de Lady Gaga au Zénith de Paris. «Un cadeau de la troupe.» Il lit pas mal de mangas, dont il loue la liberté de ton et les schémas narratifs «luxuriants». Rien ne le détend davantage qu’une heure de Zelda.«Le jeu vidéo est la seule activité qui me repose, reconnaît-il. La moindre merde à la télé me fait réfléchir : j’analyse la réalisation de telle émission, les costumes et les lumières du dernier show de Beyoncé… Le théâtre est à la bourre quand on voit ce que les éclairagistes sont capables de faire sur ce type de concerts.» Son nom figure au générique de Henry VI, catégorie «création lumière».

Lux fiat ! Stanislas Nordey lui a proposé de devenir artiste associé au Théâtre national de Strasbourg (TNS), qu’il dirige depuis septembre. «Le travail de Thomas s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’institution, se justifie-t-il. Contrairement à Vincent Macaigne, qui prône la table rase, Thomas est un trublion raisonnable. Il cherche à améliorer l’existant en en faisant bouger les lignes.» C’est peu de dire que l’intéressé a de son art une vision citoyenne, dont Henry VI est le «manifeste» assumé. «Les politiques ont oublié que le théâtre est constitutif de la société, regrette-t-il. Sous l’Empire romain, les pièces rassemblaient 17 000 personnes ! Je ne comprends pas, d’autant plus en temps de crise et alors que les gens le réclament, qu’ils ne fassent pas de la culture un enjeu.» La veille de notre rencontre au Théâtre national de Toulouse, il provoquait une discussion avec le public sur le dossier de l’intermittence, dont à chaque représentation de Henry VI un personnage se fait par ailleurs l’écho. «Traumatisé» par la présidentielle de 2002, qui avait vu Jean-Marie Le Pen passer au second tour, il vote PS «du tac au tac», ce qui ne l’empêche pas d’être «refroidi» par la ligne du gouvernement actuel.

Eclipses. «Des angoisses, il en a, en convient son amie Charline Porrone, mais au lieu de les mettre de côté, il en fait quelque chose de positif.» La crise économique ? Il choisit de la voir comme «une période de reconstruction» à laquelle il «veut participer». La défiance à l’égard de la classe politique ? Il «refuse d’y céder.» L’amour ? Il hésite, pour une fois cherche ses mots. «Disons que ce n’est plus un besoin, mais une gourmandise.» En couple avec un comédien, il se dit «très heureux». On devine qu’il ne l’a pas toujours été. «N’allez pas écrire que je suis déprimé», s’inquiète-t-il soudain. Aucun risque. «Je l’ai fréquenté au quotidien pendant trois ans, et je n’ai jamais vu d’ombre sur son visage», remarque Stanislas Nordey. Sourire au bout du fil : «Un petit renard.» Plutôt une luciole, si vous voulez notre avis, cet insecte tortillant qui, dans Zelda, Shakespeare et ailleurs, rappelle le soleil au bon souvenir de la nuit.

EN 7 DATES
1er février 1982 Naissance à Rouen. 2003 Entre à l’école du Théâtre national de Bretagne. 2006 Fonde sa compagnie, la Piccola Familia. 2010 Entame son travail sur Henry VI.Juillet 2014 Présentation de Henry VI à Avignon. 3-14 décembre 2014Henry VI aux Gémeaux, la scène nationale de Sceaux. 2015 Artiste associé au Théâtre national de Strasbourg.

Par Chloé Aeberhardt  Photo Ulrich Lebeuf pour Libération

 

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November 16, 2014 7:05 PM
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Thomas Jolly, nouveau génie - Canal + Le Supplément du 16/11

Vidéo extraite de l'émission de Canal Plus "Le supplément" animé par Maïténa Biraben :


lThomas Jolly a été l'une des sensations du dernier festival d'Avignon. Ce jeune metteur en scène vient de réaliser une performance extrême : mettre en scène une pièce de 18 heures. Reportage dans les coulisses d'un record.


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September 24, 2014 11:31 AM
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Thomas Jolly, pour la tournée de la pièce "Henry VI"

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Réécoutez Thomas Jolly, pour la tournée de la pièce "Henry VI" de l'émission L'invité du jour sur France Musique, radio du groupe Radio France.
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July 22, 2014 11:41 AM
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« Henry VI », l'épopée de Thomas Jolly éclaire la nuit d'Avignon

« Henry  VI », l'épopée de Thomas Jolly éclaire la nuit d'Avignon | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Le jeune metteur en scène fait mouche avec les trois pièces de Shakespeare, un spectacle marathon de dix-huit heures.

 

Bluffant, étourdissant, hypnotisant… Voilà le morceau de bravoure du Festival d'Avignon, son Himalaya, son monstre fou : Henry VI, de William Shakespeare, mis en scène par le jeune Thomas Jolly, 32 ans. Dix-huit heures de spectacle, trois pièces, quinze actes, cent cinquante personnages, dix mille vers… On arrête là le Livre des records. Vous entrez à 10 heures du matin dans la salle du théâtre, vous en sortez à 4 heures le matin suivant. « Jour, fais place à la nuit », comme dirait Richard III, à la toute fin de la représentation…

 

 

QUARANTE ANS DE L'HISTOIRE DE L'ANGLETERRE

Henry VI n'est sans doute pas le meilleur spectacle du Festival, en tout cas pas le plus pointu ou le plus novateur (grosse concurrence d'Ivo van Hove, il y a quelques jours, et de Thomas Ostermeier, qui arrive le 23 juillet). Mais là n'est pas la question. Malgré les défauts, les faiblesses, il emporte sans coup férir, parce que quelque chose s'accomplit là, qui abolit le temps ordinaire et vous fait plonger avec une jeunesse, une fraîcheur et un sens du théâtre exceptionnels dans l'enfance de Shakespeare. Et le public en redemande, qui non seulement n'a pas fait défection, lors de la première, le 21 juillet, mais a accueilli cette épopée avec un enthousiasme de plus en plus délirant au fur et à mesure de son avancée.

C'est la première fois qu'on la voit en France en (quasi) intégrale, cette trilogie écrite par un Shakespeare d'à peine 25 ans, dans les années 1590. Le futur auteur d'Hamlet y conte quarante ans de l'histoire de l'Angleterre, qui voient ce noble et prospère royaume sombrer dans la division et la barbarie. Une saga qui commence en 1422, au moment de la mort du roi Henry V et du couronnement d'Henry VI, à l'âge de 9 mois, et se poursuit jusqu'en 1464, avec la destitution du roi Edouard IV et la montée en puissance d'un certain Richard III, qui fera l'objet d'une autre pièce. Entre ces deux dates, on traverse la guerre de Cent Ans et la guerre des Deux-Roses, dans laquelle s'affrontent de manière sanglante les nobles du royaume.

 

MAÎTRISE ET SOPHISTICATION ASSEZ ÉPOUSTOUFLANTES

Amour, aventure, folie et dérision du pouvoir, trahison, enchaînement meurtrier, réflexion sur l'Histoire et ses mécanismes : Henry VI contient en germe tout le théâtre futur de Shakespeare, et mélange la comédie, la tragédie, la farce, la trivialité la plus crue et la méditation métaphysique la plus élevée.

Elle annonce les grandes pièces à venir, Richard II et Richard III bien sûr, mais aussi Macbeth, Jules César ou Coriolan.

Autant dire que c'est un terrain de jeu et d'aventure inouï pour une jeune compagnie comme celle qu'a créée Thomas Jolly, La Piccola Familia, qui porte bien son nom, ou plutôt pas tout à fait : c'est un tel théâtre de partage que propose le metteur en scène que sa « famille » est bien plus grande qu'il ne le dit. Un théâtre qui pourrait être celui inventé par un enfant dans un grenier, un théâtre « à mains (et à voix) nues », mais qui dans son genre fait montre d'une maîtrise et d'une sophistication assez époustouflantes.

Pas de vidéo, pas de sonorisation des voix, pas de décor cherchant à créer l'illusion. Le metteur en scène s'inscrit totalement dans la tradition élisabéthaine du théâtre de tréteaux, qu'il renouvelle par d'autres moyens. Thomas Jolly ne se cache pas d'aimer les séries télévisées du genre « Game of Thrones » (qui elles-mêmes sont directement nourries de Shakespeare), et il en a retenu de sacrées leçons sur la conduite d'un récit, l'utilisation de la lumière et de la musique. Même si ses effets – sonores, notamment – sont parfois assez appuyés, force est de reconnaître la puissance et l'efficacité produites, qui alpaguent le spectateur à la moindre tentation de défection.

 

« JOUR, FAIS PLACE À LA NUIT »

L'Angleterre, la France, le siège d'Orléans, les palais des nobles anglais, le soulèvement du peuple par Jack Cade… Tout se joue dans un décor quasiment unique, un échafaudage de métal monté sur roulettes, qui donne une grande fluidité à la mise en scène. Et laisse le champ libre à l'imagination des spectateurs et des acteurs.

Les lumières rouges envahissent la scène lors des scènes de batailles, les épées sont figurées par de longs rubans blancs ou rouges de gymnastes, Jeanne d'Arc est une magicienne aux cheveux bleus, des fleurs sont lancées comme des projectiles… Et lorsqu'Henry VI est contesté sur son trône, il suffit que le coussin doré qui recouvrait sa chaise soit jeté à bas pour exprimer toute la violence de cette tentative de destitution. Le spectacle regorge de trouvailles comme celles-ci, qui montrent le sens qu'a Thomas Jolly du signe théâtral simple et directement parlant.

Il faudrait aussi parler de la conduite du spectacle, que Thomas Jolly a confiée à une rhapsode irrésistible (Manon Thorel), qui, aux entractes, vient résumer les « épisodes » précédents ou appâter les spectateurs pour la suite. Alors même si, au début du spectacle, on peut trouver que ce Henry VI verse un peu trop dans la bouffonnerie, le chemin s'accomplit peu à peu dans la « contagion des ténèbres » : « Jour, fais place à la nuit. »

Ils sont dix-sept acteurs à jongler avec tous ces personnages. Pas tous du même niveau il est vrai, mais l'énergie de troupe porte le spectacle, et certains sont excellents, à commencer par Thomas Jolly lui-même, qui joue un saisissant Richard III, entre « warrior » de jeu vidéo et poète à la Jean-Louis Barrault.

Beaucoup d'artistes, aujourd'hui, se revendiquent de cette notion de « théâtre populaire » dont on ne sait plus trop ce qu'elle veut dire. Thomas Jolly, lui, le fait, tout simplement. Si l'on peut dire.

 

 

Henry VI, de William Shakespeare (traduit en français par Line Cottegnies, éd. L'Avant-Scène Théâtre). Mise en scène : Thomas Jolly. La FabricA, les 24 et 26 juillet à 10 heures. Tél. : 04-90-14-14-14. De 20 € à 47 €. Durée : 18 heures. Puis tournée d'octobre à juin 2015, notamment au Théâtre de l'Odéon, à Paris, du 2 au 17 mai 2015.

 

 

Fabienne Darge 
Journaliste au Monde

Paru dans le Monde daté du 23 juillet

 

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