 Your new post is loading...
 Your new post is loading...
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
July 22, 2018 5:02 AM
|
Par Hervé Pons dans Les Inrocks - 21 juillet 2018
A Avignon, Gurshad Shaheman transforme l’essai de son premier solo et signe une seconde mise en scène bouleversante de beauté : "Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète". Sans nul doute, le spectacle de Gurshad Shaheman est le plus beau et le plus doux de ce festival d’Avignon. Pas de tapage, de provocation, de violence gratuite ou de débordements scénographiques, mais un immense chant d’amour. Sans nul doute aussi, Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète sera une magnifique et bouleversante découverte pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de découvrir Pourama Pourama, le premier spectacle de cet artiste si singulier dans le paysage théâtral français. Il est rare de voir apparaître une telle figure, surtout dans le cloaque avignonnais et cela faisait longtemps qu’en France, nous attendions une aussi bonne nouvelle. Fini le temps des petits marquis arguant d’un théâtre populaire pour masquer l’indigence de leur pensée et remplaçant l’espace vide de leur inventivité par des papillonnages et autres jets d’urine sur un corps mort.
Un vaste chant d'amour à la Genet
La beauté du geste de Gurshad Shaheman tient dans son humilité face au sujet traité. De récits collectés d’artistes migrants trans et homosexuels venus de Syrie, d’Iran, d’Irak… l’auteur metteur en scène a écrit un texte au plus proche de la réalité partagée par ces personnes en quête d’un monde meilleur, mais avec une telle qualité littéraire que l’âpreté documentaire est sublimée dans un vaste chant d’amour à la Genet. Et le voyage est le récit, l’odyssée. Assis, prenants des postures presque sculpturales, les jeunes acteurs tout fraichement diplômés de l’école de l’Erac à Cannes, mêlent dans un flot continu les récits singuliers de ces aventures plurielles.
Voyageurs immobiles dans l’intemporalité de ces destins suspendus. La sobre mais puissante scénographie de Mathieu Lory Dupuis qu’épousent avec beauté les créations sonores et lumières de Lucien Gaudion et Aline Jobert, évoque plus le temps que l’espace, comme un sablier dont l’écoulement serait figé. Au sol, un sable noir battu par le vent compose un territoire mouvant, brouillant les frontières établies et dessinant des paysages comme des émotions. Et elles sont violentes les émotions malgré la douceur avec laquelle elles sont transmises. Gurshad Shaheman n’occulte rien de la sombre réalité de ces voyageurs obligés, maltraités, torturés, rejetés de toutes parts, mais gardant un espoir vital et une foi en l’amour déroutante. Humiliante presque pour celui qui regarde et ne sait plus aimer. Car l’amour de l’autre est aussi accueil et qui sommes-nous qui ne nous battons pas pour mieux accueillir ces humanités errantes et dévastées ? Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Si la charge politique de ce spectacle est d’une telle force, c’est qu’elle n’est portée par aucune imprécation. Jamais il n’est dit ce qu’il faut en penser. Cette humilité-là de l’auteur metteur en scène est sa grandeur et sa supériorité, le substrat de son art. Quant aux autres, ils pourront toujours dire que c’est pour l’amour du prophète…
Création Festival d'Avignon En tournée : 10/11 novembre au Phénix à Valenciennes 13/14 novembre Les Rencontres à l’Echelle – Marseille 16 novembre Théâtre des Treize Vents – Montpellier 22 novembre Maison de la Culture - Amiens 6/7 décembre CDN de Rouen-Normandie Du 8 au 14 février La Commune – Aubervilliers 26/27 avril CCAM Scène Nationale de Vandoeuvre les Nancy Photo : (c) Christophe Raynaud de Lage
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
July 12, 2018 6:14 PM
|
| Par Brigitte Salino (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde 12.07.2018 Dans « Trans (més enllà) », Didier Ruiz met en scène sans pathos des individus qui racontent comment ils ont changé d’identité sexuelle.
« Je suis un homme et je n’ai pas de pénis. On n’a pas besoin de pénis pour être un homme », dit Raul. Raul est marié avec une femme qui avait des enfants, et il sourit quand il raconte comment les enfants l’ont d’eux-mêmes appelé « papa ». Auparavant, il a connu sa part de malheur en devenant ce qu’il se sentait être : un homme, et pas une femme, comme le voulait son état civil. Il travaillait au journal espagnol La Vanguardia quand il a opéré sa transition. Il s’est fait insulter par des collègues, il y a eu un procès, puis Raul a quitté le journal, poussé par les syndicats qui ne voulaient pas de problèmes.
Voilà l’un des récits que l’on entend dans Trans (més enllà), présenté par Didier Ruiz, un metteur en scène qui travaille depuis longtemps avec des adolescents, des ex-détenus ou des personnes âgées qu’il n’a pas peur d’appeler les « vieux ». Didier Ruiz n’aime pas que l’on qualifie son théâtre de « documentaire » : pour lui, c’est un théâtre « de l’humanité », qui cherche à instaurer une relation autre entre les spectateurs et ceux qui sont en scène.
Venu(e)s de Barcelone Trans est joué sans pathos ni voyeurisme dans un dispositif très simple – un plateau nu avec des rideaux blancs au fond. Ce qui frappe le plus, c’est la façon dont les participants parlent en regardant le public droit dans les yeux. Le més enllà (« au-delà ») du sous-titre compte autant que le titre du spectacle : il ne s’agit pas seulement de l’« au-delà » du corps, mais de celui de la société espagnole qui l’entoure.
Ils et elles sont sept sur le plateau, venu(e) s de Barcelone, qui a une longue tradition « trans ». Cela explique sans doute la réaction du patron de Sandra, commerciale : il l’a soutenue dès le premier jour où elle est arrivée en jupe, et il a instauré une charte pour le respect des « trans » dans l’entreprise. Leyre, elle, a tout connu, le rejet de sa famille, les fugues et la rue au plus bas, avant de rencontrer une âme sœur qui l’a aidée à s’en sortir. Aujourd’hui, c’est une étudiante de 22 ans en robe rouge.
SI RAUL SE SENT HOMME SANS AVOIR DE PÉNIS, CLARA TIENT À GARDER « SON PETIT JOUET » Pour Neus aussi, le chemin a été raide avant qu’elle ne devienne la styliste très « lookée » qui disculpe ceux et celles de son entourage tenté(e)s par la transition. La prostitution, la cocaïne, les hormones, les vaginoplasties, les vexations et surtout la solitude ont leur lot dans Trans, où le masculin et le féminin s’octroient diverses libertés avec le corps. Si Raul se sent homme sans avoir de pénis, Clara tient à garder « son petit jouet », comme elle le dit : pour elle, la féminité passe par les seins. Ian, lui, rigole quand il raconte qu’il est « entré dans le club des machos » depuis qu’il arbore son corps d’homme : « Au restaurant, c’est toujours à moi qu’on donne l’addition, alors que j’ai pas un rond. »
A un moment, Ian soulève son tee-shirt, montre son torse musclé : « J’aurais adoré être un homme avec des seins, mais je n’en ai plus », dit-il, en ajoutant qu’il ressent une nostalgie, l’été, quand les filles arborent leur poitrine. Ian reconnaît qu’il ne s’est jamais senti aussi libre qu’au moment de sa transition ; depuis, il se sent dans une norme autre, mais une norme quand même. Clara, elle, est en pleine transition, à 60 ans, et après des années où elle cachait ses escapades à sa femme, qui l’a quittée, puis est revenue.
« Faire des retouches » Le fils de Sandra, qui a 14 ans, lui a fait remarquer un jour d’été que ses seins poussaient. A l’automne, ils sont allés acheter des chaussettes pour l’adolescent. Sandra a dit ce qui se passait à son fils, qui n’a pas fait de commentaires ; il lui a proposé de choisir des vêtements féminins, pour elle. Il faut sûrement voir dans cette réaction un signe des temps où la question du genre est infiniment plus naturelle pour les adolescents que pour beaucoup de leurs aînés.
« Au final, tu te rends compte que tu n’es pas né dans le mauvais corps, mais que tu as eu besoin de faire des retouches. Qui n’a pas envie de faire des retouches sur son corps ? », demande Ian, qui conclut Trans en disant, au nom de tous, que seul compte d’« être soi ».
Lire aussi le portrait-rencontre : La quête queer de Vanasay https://abonnes.lemonde.fr/festival-d-avignon/article/2018/07/12/a-avignon-la-quete-queer-de-vanasay_5330224_4406278.html
Trans (més enllà), mise en scène de Didier Ruiz. Avec Neus Asencio, Clara Palau, Danny Ranieri, Raul Roco, Ian de la Rosa, Sandra Soro, Leyre Tarrasson Corominas. Gymnase du lycée Mistral, Avignon, à 22 heures. Tél. : 04-90-14-14-14. De 10 € à 30 €. Jusqu’au 16 (relâche le 12). Durée : 1 h 10. En français, et catalan et castillan surtitré. www.festival-avignon.com
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
July 4, 2018 6:54 PM
|
Propos recueillis par Gilles Costaz dans Politis - 4 juillet 2018 David Bobée : « On est toujours l’autre de quelqu’un » Au programme du 72e Festival d'Avignon, David Bobée mène sous forme de feuilleton quotidien une réflexion théâtrale sur les discriminations de tous ordres.
Directeur du Centre dramatique national de Normandie-Rouen, David Bobée est devenu l’un de nos metteurs en scène les plus ébouriffants. Ses visions de Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, avec Béatrice Dalle, ou de Peer Gynt, d’Ibsen, avec Radouan Leflahi, sont d’une folle vitalité.
Cet ennemi des frontières artistiques (il fait tomber les barrières entre le théâtre, le cirque, la danse et la musique) ne se cantonne pas au monde esthétique. Il vient de faire signer une charte de dix engagements sur la parité à tous les responsables politiques de Normandie ! Le voilà un des artistes essentiels d’Avignon. Jusqu’à maintenant, il n’y avait participé que comme un acteur discret. À la demande d’Olivier Py, il conçoit et propose un feuilleton quotidien, Mesdames, messieurs et le reste du monde, qui cerne la question du genre et toutes les discriminations, de caractère racial, sexuel et conceptuel. Toute une France humiliée va y prendre la parole ou être mise en lumière.
Le travail de documentation et d’écriture, réalisé par David Bobée, Arnaud Alessandrin et Ronan Chéneau, s’est fait dans une complicité savante. En plus des épisodes du feuilleton (le plus souvent de mini-pièces de théâtre), ils ont produit un lexique des termes autour du genre et de l’assignation sociale, qui sera remis au public. À la fin de l’article « Genre », on peut lire : « Si les attitudes et les comportements inhérents au genre font l’objet d’un long apprentissage, ils sont néanmoins susceptibles d’évoluer. Ces évolutions individuelles et collectives sont portées par les mouvements féministes et LGBTI – lesbiens, gays, bisexuels, trans et intersexes. Dans sa célèbre phrase, la philosophe américaine Judith Butler résume cela de la sorte : le genre est “une pratique d’improvisation qui se déploie à l’intérieur d’une scène de contrainte” (2006). » C’est dire si Bobée et son équipe tentent d’aborder toutes les facettes de la question, en cherchant un langage théâtral et sans crainte de choquer. Comment en êtes-vous venu à prendre en charge ce feuilleton quotidien sur le genre ? David Bobée : Olivier Py m’a appelé et me l’a proposé. Il avait vu que la bataille pour l’égalité est le combat de ma vie. Ce feuilleton de midi, dont la formule a été inaugurée par Alain Badiou et qui est gratuit pour le public, est la démarche la plus populaire du festival. L’idée rejoignait ma démarche. Ça peut paraître un travail minimal : 13 épisodes de 50 minutes. Mais, avec des acteurs, des amateurs, les élèves de l’école de la Comédie de Saint-Étienne et des invités, soit 40 personnes par jour, c’est en fait une grande aventure. Comment définir le genre ? C’est un mot créatif et philosophique qui permet de parler des gens dans leur relation avec la vie et l’histoire de l’humanité, c’est un concept pour refuser la discrimination. On le confond parfois avec le sexe, mais cela n’a pas grand-chose à voir. Qu’est-ce que l’autre ? L’humanité, c’est la diversité. Il faut faire exploser les carcans. Il y a, officiellement, une liste de 21 cas de discrimination. On est, en effet, toujours l’autre de quelqu’un. C’est le problème de fond de l’histoire, de la bataille d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Beaucoup de personnes sont terrorisées par la diversité. On traitera du masculin, du féminin, des LGBT, des gens de couleur, des trans, des droits des personnes trans… Il est possible qu’on soit attaqués par le collectif LGBT ou par un autre groupe, car chacun peut penser, comme le disait à peu près Aimé Césaire : « Ce qui est sans nous est contre nous. » Le théâtre est un rituel pour libérer l’imaginaire. Je me prépare aussi à faire face aux coups de la fachosphère. C’est plutôt excitant ! Depuis quelques années, contrairement à ce qu’on dit, la haine vient des groupes chrétiens. Comment avez-vous mis en forme les épisodes ? J’ai beaucoup lu et longuement discuté avec le sociologue Arnaud Alessandrin. Comment attraper le genre ? Comment en parler dans l’espace public, à travers sa singularité et dans l’affrontement avec soi-même ? Nous nous sommes intéressés à la transition de l’enfance à l’âge adulte, à la représentativité des différences et à l’absence de représentativité, à l’assignation, à la représentation du corps féminin, à l’intersectionnalité, où s’additionnent les notions de sexisme, de racisme et de position de classe, à l’« effet Matilda », qui définit la spoliation par les hommes des découvertes faites par les femmes… Nous avons créé un puzzle et pris le parti d’une notion par épisode. Ces notions, cette liste, Ronan Chéneau leur a donné un fond littéraire et un positionnement politique. C’est d’une écriture simple et poétique. Qui participe aux représentations et qui joue ? Il y a quatre groupes d’amateurs d’Avignon qui comprennent des parents et des enfants : vingt interviennent chaque jour. Les élèves de l’école de la Comédie de Saint-Étienne forment un très beau groupe ; Arnaud Meunier les a formés à l’école de la diversité. Et il y a des personnalités qui ont toute leur singularité. Je suis heureux qu’il y ait mon interprète de Peer Gynt, Radouan Leflahi, qui est d’origine berbère. Et de nombreux invités : des trans comme Phia Ménard et Clémence Zamora Cruz, des représentantes de l’afro-féminisme comme Rokhaya Diallo, noire, musulmane, radicale, Rachele Borghi, performeuse et militante queer, Vincent Guillot, qui incarne les personnes intersexes, sans sexe, en contradiction avec les vérités administrative et médicale. Virginie Despentes aura, le 14 juillet, une carte blanche avec Béatrice Dalle. Virginie Despentes est une grande penseuse de la question. Elle traitera ce qu’elle veut. Il y a aussi Carole Thibaut, Agnès Tricoire, Silvia Corti, Malouk Djadi… Denis Lavant devrait venir pour nous parler de Serebrennikov. Tout ce monde donne une image de notre société. On renverse la hiérarchie pour faire un geste populaire. Il y a surtout des épisodes sur un thème et quelques cartes blanches. Ne risquez-vous pas d’être trop théorique ? On commence par un épisode intitulé « Le genre, c’est quoi ? ». Et on termine par un « bal dégenré » avec des invités surprise. Il y aura un atelier de « Drag King ». Phia Minard, Gurshad Shaheman et Lolla Wesh joueront « La première cérémonie des Molières non raciste et non genrée ». L’humour est une notion essentielle. C’est vraiment du théâtre ? Oui, sur un plateau de 4 mètres sur 6, sous un peuplier. Pas de lumières. La bande-son, c’est les cigales et la rue. Le décor, c’est les gens. On travaille la veille et on s’installe le matin dans le jardin. Ce ne sera pas complètement éphémère. Au printemps, on reprendra quelques épisodes au Centre dramatique de Rouen. Ne craignez-vous pas des réactions négatives ? En règle générale, les opposants préfèrent l’anonymat à la confrontation. S’il y a des attaques, on protégera d’abord les amateurs. Comme il y a peu de places dans le jardin Ceccano, les épisodes seront retransmis par le Facebook du festival et dans l’église des Célestins. Dans la retransmission, on coupera les invectives, s’il y en a. Mais, notre projet, c’est de faire passer un souffle tendre dans cette fête de la pensée qu’est le Festival d’Avignon. Il faut lutter contre les discriminations de sexe et de classe, se demander dans quelle société on vit. Le ton de ces spectacles, c’est ma passion, et la douceur de ceux qui ont raison. Le feuilleton se monte pour que l’on réfléchisse ensemble par le plaisir du théâtre. Festival d’Avignon, du 6 au 24 juillet (jusqu’au 29 pour le off), 04 90 14 14 14. Mesdames, messieurs et le reste du monde, jardin Ceccano, du 7 au 21 à 12 h.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 12, 2018 7:18 AM
|
Par Delphine Coutier dans La Nouvelle République (Tours) Dès la saison prochaine, Vanasay change de peau. Il sera artiste associé au Centre dramatique national de Tours. © (Photo Marie Pétry)
Avec sa compagnie, Vanasay Khamphommala, le dramaturge du Théâtre Olympia, crée “ L’Invocation à la muse ”, une performance sur la question trans, qui sera jouée cet été dans le in d’Avignon.
Depuis quatre ans, Vanasay Khamphommala est un personnage-clé de la vie culturelle tourangelle. Les habitués du Théâtre Olympia connaissent sa silhouette de liane, sa longue chevelure de jais souvent attachée en sage queue de cheval, et sa démarche féline. Vanasay Khamphommala est arrivé en Touraine dans les « bagages » du directeur du Centre dramatique national de Tours - Théâtre Olympia, Jacques Vincey, en 2014. Le metteur en scène, pour lequel Vanasay a été comédien, dramaturge et traducteur, lui a proposé la place de dramaturge permanent. Un poste formidable qui lui a ouvert les portes d’une création foisonnante. Ensemble, ils ont créé « Yvonne, princesse de Bourgogne » de Gombrowicz, « Und » de Barker avec Natalie Dessay, « La Dispute de Marivaux » et « Le Marchand de Venise (Business in Venice) » d’après Shakespeare.
2018 pour Vanasay Khamphommala est une année de transition. Un an après avoir monté sa propre compagnie, Lapsus Chevelü, qu’il a tenu à installer à Tours et qui porte son projet de création personnelle, « essentiellement autour de la question trans au sens large, pas seulement du point de vue du genre », le comédien présente en juillet la première création de sa compagnie dans le festival in d’Avignon : « Pour une jeune compagnie, c’est exceptionnel d’aller à Avignon dans le in », se réjouit le créateur. « L’Invocation à la muse » met en scène un poète en panne d’inspiration qui fait appel aux muses pour trouver les clés de la création. La muse qui va aider dans ce processus créateur est interprétée par Caritia Abell, une artiste queer afro-caribéenne née à Londres et qui vit aujourd’hui à Berlin. « Elle me manipule avec des instruments. Le but est de provoquer la transe en interrogeant le rapport entre souffrance et jouissance dans le processus de création. »
“ La question sur l’identité nous concerne tous ” « C’est une performance fondatrice dans ma démarche artistique, reprend Vanasay. “ L’Invocation à la muse ” est une proposition singulière. Je ne sais pas quel écho elle va trouver ; en tout cas, je pense que la question sur la sexualité, l’identité de genre nous concerne tous. » Depuis ses 7 ans, le jeune homme aux cultures métissées (son papa est laotien et sa maman française) s’interroge sur la question du changement. « Dans mon petit club théâtre dans mon village breton, je suis pris en photo, déguisée en femme. Le théâtre permet d’explorer les identités. » Alors, Vanasay explore.
A Tours, il a trouvé une écoute et une terre fertile à ses expérimentations : « Tours est à la fois tranquille et très curieuse. Suffisamment tranquille pour travailler sur ma création sans avoir de regards malveillants, et très curieuse car les gens sont avides de culture. C’est super. » Avec Lapsus Chevelü dont le projet au long cours s’articule autour des « Métamorphoses » d’Ovide, Vanasay Khamphommala s’apprête à mettre le feu aux poudres d’Avignon. Avant de présenter à Tours ses prochaines créations, puisqu’il sera artiste associé du Théâtre Olympia dès la saison prochaine.
« L’Invocation à la muse » du 7 au 13 juillet, à 11 h, dans le jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph en Avignon. www.festival-avignon.com
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 31, 2018 5:45 AM
|
Par Ysé Sorel dans AOC
Artiste éclectique et trans, Phia Ménard est une figure singulière dans le paysage culturel français. Explorant les questions d’identité, notamment de genre, et de transformation, ses spectacles donnent lieu à des corps-à-corps avec la matière et jettent le trouble sur les idées trop sédimentées, s’attaquant au patriarcat. Sa pièce Les Os noirs est présentée au Montfort -Théâtre de La Ville, à Paris.
Lire sur le site d'AOC : https://aoc.media/entretien/2018/03/31/phia-menard-patriarcat-cest-association-de-malfaiteurs/
Phia Ménard, metteure en scène, performeuse, circassienne, scénographe, dramaturge, – en un mot : artiste –, nous donne rendez-vous au Théâtre Sylvia Monfort. Son spectacle Les Os noirs, qui fait partie de la programmation hors-les-murs du Théâtre de la Ville, y sera visible jusqu’au 14 avril prochain. Nous nous installons sur les fauteuils bleus au centre de la salle, dans ce lieu que Phia Ménard, qui, fut un temps, s’appelait Philippe, aime à désigner comme la « grotte » – le théâtre. Alors que les machinistes et les régisseurs s’activent et installent le décor du spectacle, l’artiste revient posément sur sa transformation, ses quêtes, l’art, la vie, la mort : un îlot d’intelligence et de sensibilité et un « elle » au pluriel. YS.
Les Os noirs brassent des thèmes et des éléments qui vous sont chers et traversent vos différentes créations, comme Vortex ou L’Après-midi d’un foehn : la marionnette, le vent, la mort. Pourriez-vous revenir sur ce spectacle en clair-obscur, et nous dire comment il se positionne dans votre œuvre ? Je pense qu’au fur et à mesure de mon parcours, mon discours évolue, parce que ma compréhension des choses et de moi-même évolue. En revoyant le spectacle ici [NdA : le spectacle a été créé en 2017 à l’Espace Malraux, scène nationale de Chambéry et de la Savoie] je comprends que cette pièce est une pièce qui a un objet très particulier. Tout d’abord, parce que pour la première fois, en tout cas pour les solos, j’ai écrit pour quelqu’un, et je me dis que c’est peut-être le signe de la fin d’une étape pour moi. Pendant des années, lors de ma transition, j’ai fait des solos car je prenais mon état et ses évolutions comme objet d’étude. Mes œuvres naissaient tellement de ce que j’étais en train de vivre que je ne pouvais pas, à ce moment-là, dialoguer avec quelqu’un d’autre. Lorsque je rencontre Chloée Sanchez, l’interprète des Os noirs, j’atteins un stade où la question qui se pose à moi est différente, car aujourd’hui je réfléchis peut-être moins à des problèmes de genre qu’à la place des femmes dans la société. J’arrive donc à un dialogue d’une femme avec une autre femme. Et cette femme, Chloée, est une femme silencieuse, et ce silence me trouble énormément car devant elle je me demande : qu’a-t-elle à dire ? Le silence cache toujours quelque chose. Je l’invite donc à venir travailler avec moi. Issue de l’école de Charleville-Mézière, elle est marionnettiste et nous commençons à faire dialoguer nos pratiques. Cette prise de contact, à partir de quelques éléments, me pousse à écrire Les Os noirs comme une pièce achrome, dans une seule nuance de noir. Le titre aussi me vient tout de suite, chose assez habituelle chez moi. Et dans ce dialogue, nous nous retrouvons sur une question à laquelle nous avons été confrontées de près et de loin, et qui est de toute manière universelle : le suicide. Je voulais interroger cette proximité entre l’eros et thanatos, et finalement je n’ai pas l’impression de ressasser une histoire sur la mort mais plutôt sur l’amour.
Diriez-vous que votre spectacle relève d’un certain romantisme, et qu’il a quelque chose de baudelairien ? Quelles seraient vos références ? C’est en effet une sorte de conte baudelairien, assez désespéré, mais très beau et aussi un peu absurde, avec cette trame qui consiste en une série de suicides d’une marionnette, probablement une femme. Le spectateur va voir cette femme-marionnette se mettre à mort puis être remise en jeu à plusieurs reprises et à la fin, ce n’est plus un suicide mais un accompagnement à la mort, tandis que le plateau et les rôles s’inversent. Un poème de Cesare Pavese est alors cité : « la mort viendra et elle aura tes yeux… ». Mais il est prononcé très bas, de sorte que l’on ne sait pas si c’est l’« amour » ou « la mort »… Car je trouve que l’accompagnement à la mort est le moment peut-être de la plus grande vérité, où il peut rester de l’amour, où c’est d’ailleurs probablement là où l’amour est le plus fort, car c’est la seule chose que l’on peut donner. Mais je vois de la romance à un endroit où elle reste habituellement invisible pour les autres. Je suis nourrie de cinéma, plutôt de l’Est, et par exemple je trouve Le Miroir de Tarkovski très romantique, notamment dans la qualité et le traitement de chaque plan…
Le nom de votre compagnie a presque valeur de manifeste : Non nova, qui provient du proverbe latin : nove sed non nova, qu’on pourrait traduire approximativement comme « non pas des choses nouvelles, mais d’une manière nouvelle ». Quel rôle tient cette notion de « différence » dans votre travail ? En tant que personne trans, cette notion est évidemment capitale. Disons aussi que je n’ai pas eu le choix, que je n’ai pas choisi d’être différente : j’ai essayé d’être un garçon, et je n’y suis pas arrivée. Quand la question de l’identité apparaît, à la pré-adolescence, vers 10-11 ans, je suis confrontée à de multiples questions : qu’est-ce qui différencie mon corps ? Pourquoi je ne me sens pas à ma place ? On me demande d’être à un endroit, d’intégrer des codes dont je peux, de fait, voir l’aspect profondément construit. Ainsi je n’ai pas oublié les gestes des hommes, ils restent en mémoire, incorporés, mais je ne me reconnais pas dedans. Au départ on commence par se travestir, et ensuite on se rend compte que c’est véritablement une question d’état d’être, qui pousse à faire cet acte radical de transformation. Quelque part on choisit alors de vivre, de continuer à vivre. Je dirais donc que les personnes trans sont bien portantes, car elles ont décidé de vivre. Et évidemment, ma pratique artistique m’a accompagnée en ce sens-là, elle m’a aidé à accepter ma différence. Et plus que de faire accepter sa différence par les autres, il s’agit plutôt de témoigner de cette différence.
Votre profession et votre transformation invitent évidemment à parler de performance, et notamment de la « performance de genre » conceptualisée par la philosophe américaine Judith Butler, que vous interrogez et sublimez finalement dans vos performances. Mais c’est aussi à une autre notion butlerienne à laquelle on peut penser, celle de « trouble ». Dans quelle mesure votre œuvre cherche-t-elle le trouble, et notamment celui à créer chez le spectateur ? Je dirais qu’il s’agit peut-être de dédramatiser le trouble. Nous sommes dans une société de peur. Et le queer vient en effet rappeler que le modèle de la société hétéronormée, où il n’y aurait que des hommes et des femmes répondant à des normes précises, notamment sexuelles, est une construction. Je pense que quand l’on s’intéresse à ces questions, on tend à rappeler notre instabilité permanente, et aussi cet oubli : on n’a jamais choisi. Sans remettre la faute sur les parents, tout de même on pourrait leur dire : vous m’avez conçue, je suis ainsi, maintenant laissez-moi la possibilité de me construire, de m’inventer, de savoir dans quel espace je veux évoluer. Le trouble, c’est ce qui n’est pas ni pour nous ni pour les autres évident, alors on recueille les peurs et de la souffrance. Car le poids des normes fait évidemment souffrir lorsqu’on ne leur correspond pas… D’où l’intérêt que je porte dans mes œuvres pour le différent, le rebus, le monstrueux. Et je créé des formes qui laissent place à de multiples interprétations : je ne cherche pas à être didactique, à imposer un discours mais bien plutôt à proposer des symboles, placés à des endroits qui vont alors semer des questions dans la tête du spectateur. Car le trouble oblige à se positionner.
Vous avez écrit ce texte, Manifestement Phia, où vous dialoguez avec une femme cisgenre, c’est-à-dire une femme dont le genre correspond au sexe, et qui donc ne s’interroge pas sur ces problématiques. L’intolérance venant souvent de l’incompréhension, ou même de l’indifférence, certaines dispositions avaient été récemment prises, comme les « abécédaires de l’égalité », qui ont provoqué des réactions épidermiques et ont finalement été retirés. Ces mouvements conservateurs, ainsi que l’ampleur de la Manif pour tous, montrent là encore une peur, ou du moins une inquiétude. De quoi pensez-vous que ces réactions sont-elles le signe ? Je vois là la peur de l’effondrement de la société patriarcale. Ce qu’on a appelé aussi « l’affaire Weinstein » et « balance ton porc » ne sont qu’une nouvelle étape. La conformité de la Manif pour tous, c’est celle d’une société qui se pense légitime, témoignant du poids d’un pouvoir établi, politique et religieux, et en particulier le pouvoir d’avoir de l’espace. Ce pouvoir est par exemple symbolisé dans Les Os noirs à travers la relation de domination entre la femme-marionnette et les régisseurs, trois hommes, qui la manipulent. Cette question de l’espace est capitale. Pour moi, c’est peut-être plus évident, car j’ai découvert a posteriori que j’avais le pouvoir en tant qu’homme. J’étais féministe, certes, mais féministe « de loisir », du dimanche, car la réalité de mon corps me plaçait du côté des dominants. Désormais j’ai perdu ce statut, et j’ai donc perdu ma légitimité dans l’espace. De prédateur je suis devenue proie, de propriétaire je suis devenue locataire. Dans les équipes de suivi des personnes trans, les psychiatres m’énervaient particulièrement : « vous vous rendez compte, monsieur, quand vous serez une femme ça sera moins évident…» Ce à quoi je leur répondais : « et vous trouvez ça normal ? » Donc on doit évidemment se battre pour atteindre l’égalité, et pas seulement la parité, qui est une connerie. Cela passera par la force, non pas manu militari, mais il faudra tout de même obliger à rendre le pouvoir, or on sait que celui qui le détient ne le donne pas facilement. Du fait d’avoir eu une éducation de garçon, je connais la construction, l’usurpation, l’usage abusif d’une corporalité, d’une association. Le patriarcat, c’est une association de malfaiteurs.
Pourriez-vous travailler avec un homme ? Oui, mais quel homme ? Quels hommes ? Seules des femmes viennent à moi, peut-être parce que j’écris de manière égocentrique, ou du moins égocentrée, et donc je dialogue surtout avec des femmes. Et puis, hormonalement, je suis une adolescente ! Je découvre mon corps : une transformation hormonale rappelle l’adolescence, car on perd le contrôle. Et surtout, beaucoup d’hommes me voient sous l’œil de la trahison. J’ai trahi l’emplacement des dominants : alors, qu’est-ce qu’on fait avec un traître ?
Votre situation interroge à nouveaux frais une question philosophique classique, est-ce que j’ai un corps ou est-ce que je suis un corps ? Dans vos œuvres même, vous figurez beaucoup les problématiques à travers des constructions, notamment.
Le prochain spectacle, programmé cet été à Avignon, Saison sèche, met en scène sept femmes qui doivent détruire la maison du patriarche. Dans Les Maîtres-fous de Jean Rouch, les colonisés convoquent les esprits des colons dans une sorte de catharsis libératoire, qui donne lieu à un spectacle tout à la fois violent et joyeux, où pour un temps ils battent en brèche la domination coloniale. Avec Saison sèche, il s’agit aussi de faire un rituel où les femmes vont se réapproprier leur corps, à travers des actes picturaux, des performances drag-kings, des danses. La chape de plomb du patriarcat est représentée par un plafond qui monte et descend, contrôlé par le Pouvoir. Et les femmes devront livrer la dernière bataille, c’est-à-dire détruire la maison. Car j’aime à dire que la domination masculine, c’est comme le salpêtre : on a beau repeindre, il demeure, il reste infiltré. On en revient peut-être au trouble, et je dirais que plus que le trouble, il faut mettre le bordel ! Le rôle de l’artiste est de montrer des possibilités, dire ce que le monde pourrait – et même devrait – être. Même si ce n’est évidemment pas gagné.
Pour représenter des possibles, les artistes ont recours à plusieurs ressources, notamment au théâtre qui est peut-être le safe space par excellence. Comment définiriez-vous ce lieu et votre esthétique ? Le théâtre est pour moi le lieu du conte. D’ailleurs je présenterai lors du festival Montpellier Danse le premier volet d’une trilogie de solo, Maison Mère, qui s’inspire des Trois petits cochons. J’aurais pu me référer plutôt aux contes des frères Grimm, car ce projet est né lors de la Documenta 14 de Kassel, ville d’où ils sont originaires… J’avais été invitée par Paul B. Preciado, qui était commissaire, à réfléchir sur les thèmes suivants : « apprendre d’Athènes » et « le parlement des corps », comme tous les autres artistes présents. J’ai décidé d’écrire Trois contes immoraux pour l’Europe. Et dans ce premier volet je construis la maison Europe… Je dirais aussi que le théâtre pour moi est une grotte, où nous venons faire un travail pariétal éphémère. À travers les siècles, il est resté comme l’endroit des questions les plus belles, l’endroit des possibles. Quelle différence entre la liberté ici et celle du dehors ? Ici, on doute de la société ; ici, on peut faire des choses qui nous mèneraient directement en prison ou à l’HP à l’extérieur… Et c’est pour cela que j’ai un grand respect envers le spectateur : il ou elle se renseigne, choisit, paye sa place, ne sera pas sûr-e d’aimer mais prend le risque et revient, j’imagine avec la question : que va-t-on encore nous faire vivre ?
Et vous faites vivre des choses, en effet, notamment à travers la relation très singulière que vous entretenez avec les éléments naturels, sur laquelle nous ne sommes pas encore revenues. Vous avez ainsi débuté en 2008, I.C.E (Injonglerie Complémentaire des Eléments), un processus de recherches sur la matière : P. P. P., une pièce qui vous mettez aux prises avec la glace, puis des « pièces de vent » en 2011, avec L’après-midi d’un foehn et Vortex, et enfin un travail autour de l’eau avec Belle d’hier en 2015. Je remarque l’absence du feu. On peut passer une soirée, ou presque, à regarder une bougie. Le feu provoque la fascination, la sidération, et ce n’est pas quelque chose que je cherche, au contraire. Le côté spectaculaire m’ennuie, car on ne va pas très loin ensuite. Ce que j’aime, c’est la matière qui nous permet d’être dans un rapport très charnel. Je préfère aussi le temps long : le froid, c’est long ; le vent, c’est interminable ; l’eau, c’est la lente dissolution. Ce sont des éléments qui portent plus d’intentions et d’espace de dialogue. Le feu est trop totalisant.
Vous n’êtes évidemment pas la seule à travailler avec les éléments : je pense par exemple aux travaux de Bruno Latour et son hypothèse « Gaïa » et la recherche artistique qu’il entreprend avec la metteure en scène Frédérique Aït-Touati pour donner une voix aux éléments et un rôle de premier plan à ces acteurs, en passant par des représentations scéniques. Quelle place tient la problématique de l’anthropocène dans votre travail ? Nous sommes tous et toutes sensibilisé-e-s de plus en plus à notre impact écologique. Mais pour le moment, nous sommes plus dans une forme d’introspection, de psychanalyse que dans une véritable démarche de changement radical… De mon côté j’aime à rappeler la présence des éléments, car si on devait tout perdre, ils seraient encore là. Il y a dans le rapport à la matière un lâcher-prise. Et le lâcher-prise m’intéresse particulièrement, car il parle à l’animalité en nous, à notre monstre. J’ai ainsi un projet à l’avenir sur la sueur : pourquoi dans le cercle intime, lorsque l’on fait l’amour avec quelqu’un, elle est si importante, alors que dans l’espace public elle est si taboue ? La matière nous rappelle à la fois notre volonté de sortir de l’animalité et pourtant nous y ramène toujours. Car la matière est toujours victorieuse. Alors dans mes spectacles, lorsque le performer affronte la matière – le vent, l’eau, la glace – il montre véritablement de soi, et prête son corps au spectateur : il devient un objet de transfert pour créer une relation d’empathie avec le public alors qu’il se met en danger.
Ce rapport au danger, à la mort, au trouble qui traverse toutes vos œuvres me fait songer au texte de Genet, « Le Funambule ». Si la vie est un numéro d’équilibriste, diriez-vous, en tant qu’artiste et personne, que vous êtes un funambule qui cherche à créer le vertige ? Je pense que l’être humain est un funambule. Il est persuadé qu’il a une ligne de vie, qu’on lui donne le nom de destin, de destinée, de fatum ou que sais-je . Mais à l’inverse du funambule qui a une vraie ligne droite, la nôtre est sinueuse, parfois brisée, et sans arrêt contredite.
Donc ce serait plutôt une ligne de fuite ? Ou asymptotique : on cherche à frôler cette ligne, à concorder avec elle, à ne pas vouloir que subir la vie mais aussi la vivre. Moi, j’ai besoin d’éprouver mon corps, déjà par ma transition, mais aussi en faisant éprouver au spectateur, pour qu’il se sente en vie. C’est pour cela que je dis que je parle à la chair du spectateur. L’intellect, c’est au bar ! …si l’on peut dire, du moins après le spectacle. Au regardant, je propose de s’immiscer, d’être, au-delà du simple regard. Dans Vortex, pourquoi la relation est si forte et proche ? Parce que l’on est sans arrêt à revoir nos propres monstruosités, à se demander « que suis-je depuis le moment où j’essaye de me souvenir ? Quels souvenirs ai-je de mon accouchement ? ». En tant qu’artiste, j’essaye de rechercher la projection de « qui je suis » et de la vivre. Et ce vécu-là, je l’offre au spectateur.
Et au spectateur de se l’approprier et d’en faire ce qu’il veut, car sinon on est dans le simple divertissement, ce que vous ne cherchez évidemment pas. C’est d’ailleurs pour cela que je voudrais finir en vous lisant ce passage du texte de Genet, et que vous me disiez ce qu’il vous évoque :
« Et ta blessure, où est-elle ? Je me demande où réside, où se cache la blessure secrète où tout homme court se réfugier si l’on attente à son orgueil, quand on le blesse ? Cette blessure – qui devient ainsi le for intérieur –, c’est elle qu’il va gonfler, emplir. Tout homme sait la rejoindre, au point de devenir cette blessure elle-même, une sorte de cœur secret et douloureux. (…) C’est dans cette blessure – inguérissable puisqu’elle est lui-même – et dans cette solitude qu’il doit se précipiter, c’est là qu’il pourra découvrir la force, l’audace et l’adresse nécessaire à son art. »
Cela veut bien dire que la douleur est un art. Alors, oui, j’essaie de pratiquer un art de la douleur. Mais qui nous est commun – non pas singulier. Mais commun, comme un.
–
Les Os noirs, jusqu’au 14 avril au Monfort -Théâtre de La Ville / grande salle / durée environ 1h15.
Trois contes immoraux pour l’Europe – partie 1 : Maison Mère Jeu. 05 & sam. 07 juillet à 18h au Studio Bagouet / Agora, dans le cadre du Festival Montpellier Danse 2018.
Saison Sèche sera présenté en juillet au Festival d’Avignon 2018.
S'abonner au magazine en ligne AOC : https://aoc.media/offers/
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
February 25, 2018 9:51 AM
|
Par Joëlle Gayot sur le site de son émission "Une saison au théâtre" sur France Culture :
Ouvrons aujourd'hui deux pages conjointes de notre encyclopédie mouvante du théâtre : le masculin et le féminin. Mouvantes, ces catégories le sont aussi, dans la vie, sur scène. Notre invité, chercheur, éclaire des pièces qui réfléchissent ce souci du genre : elles le reflètent et elles le pensent.
Ecoutez l'émission en ligne (30 mn) : https://www.franceculture.fr/emissions/une-saison-au-theatre/tous-les-spectacles-parlent-du-genre
Alors qu’Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, a fait l’an passé une annonce officielle pour dire qu’en 2018, “le Festival explorera le genre, la transidentité, la transsexualité”, demandons-nous ce que cela signifie : le théâtre, un art trans par excellence ? Il est sans doute temps en effet, que le Festival, et au delà de lui, le théâtre du XXIème siècle, se mette au diapason de la société contemporaine.
Avec Thomas Cepitelli, docteur en Littérature comparée, chercheur indépendant. Après avoir enseigné à l’Université Paris III - Sorbonne Nouvelle et dans la section "Théâtre" du département des Arts (Université Sophia Antipolis, à Nice), il enseigne désormais en collège (Nice). Il est spécialiste en sociologie de la réception des œuvres théâtrale, des représentations des minorités (sexuelles, racisées) au théâtre, des Queer studies, études gays et lesbiennes au croisement des arts de la scène. Sa thèse, soutenue en 2015, portait sur l'interprétation par les publics des rôles de l'homosexuel masculin dans le théâtre en France au XXème siècle.
Sa connaissance des questions englobées sous le terme galvaudé de “genre”, terme qui renvoie pourtant à une réalité vécue par tous, il l’applique au champ du spectacle vivant. Spectateur aguerri, il analyse avec nous la façon dont selon lui “tous les spectacles parlent du genre”. Dès lors que le masculin et le féminin sont l’objet d’une partition sociale, symbolique, politique, ces catégories et leurs porosités sont sur scène un souci autant que dans nos vies, qu’il s’agit de considérer, d’embrasser dans toute leurs complexités. A la lumière d’exemples, textes et mises en scène dont la plupart datent de ces dernières années jusqu’à tout récemment, il nous aide à qualifier et à regarder ces œuvres qui font la part belle à ces questionnements, fondamentaux, qui nous concernent tous.
Avec les voix (INA) de Fanny Ardent, Olivier Py, Phia Ménard...
Aller plus loin : lire l'article passionnant Quand le récit ne dit pas : l'indétectable. Thomas Cepitelli y analyse l'invisibilisation du personnage de l'homosexuel masculin dans le théâtre, à partir de trois œuvres dramatiques françaises du XXème siècle (Un Taciturne de Roger Martin du Gard ; La Cage aux Folles de Jean Poiret ; Les Œufs de l’Autruche d’André Roussin). A la question de savoir ce que seraient le masculin et le féminin, Thomas Cepitelli leur formule un ennemi commun, depuis lequel brancher les luttes - qu'il s'agisse de lutter pour meilleure visibilité et égalité des femmes, des hommes, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transsexuelles, l'enjeu est d’œuvrer à la reconnaissance d'une coexistence possible de ces catégories chez une même personne :
L'ennemi commun, c'est la domination masculine. [...] Ce que la société dit du théâtre, dit quelque chose de la société [...] Par exemple dans "La cage aux folles", le duo masculin- féminin permet absolument d'anesthésier le fait qu'on est face à un couple de garçons, qui élèvent un enfant. Je suis un grand défenseur de cette pièce, car il est exceptionnel de trouver un spectacle qui raconte ceci, et qui remplit des salles entières.
Il y a trente ans, en créant son personnage de Miss Knife, Py fait un geste que redécouvre la scène contemporaine maintenant : c'est de dire qu'il se situe entre les deux - entre le masculin et le féminin. Il dit que les frontières sont poreuses.
L'intérêt porté par la sphère publique à des artistes ayant opéré une transition pour faire correspondre leur sexe biologique à leur identité de genre - occasion pour notre invité de nous rappeler qu'un mot existe pour qualifier les personnes pour qui le genre vécu correspond au sexe assigné à la naissance : "cisgenre" s'oppose ici à "transgenre" - lui fait mesurer l’ambiguïté d'une question en pleine mutation :
Je trouve dommageable qu'une artiste comme Phia Ménard, lors de nombreuses rencontres avec les publics à l'issue de représentations, se voit systématiquement poser des questions sur sa transition. Alors que je trouve ses pièces, en elles-mêmes, remarquables et bouleversantes, d'un point de vue scénique. C'est vrai que, souvent, la question de société occulte la question artistique... En même temps, cela prouve que les publics sont profondément intéressés par cette question de société, fondamentale.
Méfions-nous en effet de ne pas poser une grille transidentitaire ou transsexuelle sur certaines pièces, au prétexte que leurs auteurs sont homosexuels ou transsexuels.
Car toujours, le souci de l'autre est plein et entier, dans le rapport aux œuvres :
Produire des spectacles, les jouer, aller en voir, ça reste un acte militant, parce que ça nous confronte à l'altérité.
INTERVENANTS Thomas Cepitelli docteur en Littérature comparée, chercheur indépendant, enseignant
Olivier Py joue Miss Knife, son double féminin, "Les premiers adieux de Miss Knife"• Crédits : Rebecca Greenfield / Opus 64
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 3, 2017 5:23 PM
|
Chronique de Michel Guerrin dans Le Monde.
Le scandale Harvey Weinstein a explosé à la face du monde il y a près de deux mois, et – pour l’instant – la France culturelle n’est pas éclaboussée. Pas de vague. Aucun grand créateur dénoncé. Pas de Kevin Spacey, écarté de la série House of Cards et effacé du prochain film de Ridley Scott. Pas de John Lasseter, génial créateur de films d’animation, mis en congé par Disney. Pas de Louis C. K., star du stand-up, accusé par cinq femmes.
Pas d’équivalent non plus avec la Suède, où des milliers de musiciennes, de chanteuses d’opéra et de comédiennes ont dénoncé des agressions. Rien de similaire même avec ce qu’on a pu voir dans d’autres pays, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Espagne.
Lire aussi : Enquête sur un système de violences sexistes au sein du syndicat étudiant UNEF http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/11/28/a-l-unef-revelations-sur-un-systeme-de-predation-sexuelle-generalise_5221306_3224.html
En France, des actrices comme Léa Seydoux ou Juliette Binoche ont parlé, mais surtout dans le contexte Weinstein – pas de ce qui se passe en France. D’autres, comme Isabelle Adjani, ont livré leur témoignage, mais sans donner de noms. En France, les scandales concernent le syndicat étudiant UNEF, la politique, la télévision. Il y est surtout question d’un sexisme généralisé, comme le montre le hashtag #balancetonporc. Mais, dans la culture, rien ou presque n’est sorti.
Or il n’y a pas de raisons. Ou plutôt, il y a des raisons pour que ce secteur soit « l’essence même » du harcèlement et des abus sexuels. C’est la conviction de Julien Viteau, du cabinet Altidem, qui, depuis dix ans, accompagne institutions et entreprises culturelles dans leur lutte contre les discriminations. Ce dernier liste de multiples explications, liées aux us et coutumes des métiers culturels.
Lieux de proximité
Le fait est que la création s’invente dans des lieux de proximité physique, souvent confinés, comme un atelier, une loge, une salle de répétition ou de montage, un appartement, une école. Des lieux à l’opposé du bureau. Il n’y a pas dans la culture de ligne blanche entre travail et vie privée, ajoute Julien Viteau. On boit un verre tard le soir ou dans la nuit, après une répétition, un montage de film, l’accrochage d’une exposition. On travaille lors d’une fête, un dîner, un after.
Julien Viteau pointe encore le nombre important d’emplois fragiles – intermittentes, assistantes, stagiaires, étudiantes – souvent en concurrence, ce qui favorise la dépendance de la femme par rapport au décideur. Elle est souvent seule, avec rarement des syndicats pour la défendre.
Et, bien sûr, la culture, termine Julien Viteau, pose la question de la séduction. « Pour obtenir un rôle ou un poste, il faut susciter le désir, et c’est normal. Une jeune photographe, musicienne ou comédienne doit donner envie. Mais la frontière entre désir et abus est vite cassée, d’autant que le créateur, au nom de son art et de la transgression, se croit intouchable. »
Tous ces points sont exacerbés par un autre, explique Julien Viteau. Dans la culture, le pouvoir appartient de manière écrasante aux hommes, qui s’exerce sur beaucoup de femmes. « C’est le terrain de harcèlement idéal. Le créateur ou enseignant devient mentor, qui fait et défait les carrières. C’est vrai dans le cinéma, le théâtre, la musique, les écoles d’art, les jurys, partout… » Deux études récentes et croisées le confirment, celle du ministère de la culture, sous le titre « Observatoire de l’égalité entre hommes et femmes », et celle de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) qui présente un bilan 2012-2017 au titre limpide : « Où sont les femmes ? Toujours pas là. »
Discrimination
Les chiffres sont accablants. Il y a 52 % d’étudiantes dans le monde large du spectacle. Mais ensuite, 2 % de compositrices, 6 % de cheffes d’orchestre, 29 % de solistes instrumentistes, 27 % de metteuses en scène. Et puis seulement 12 % de femmes à la tête des théâtres nationaux, 18 % pour les centres chorégraphiques, 11 % des maisons d’opéra, 20 % des centres dramatiques, 28 % des scènes nationales. Les rares femmes sont nommées directrices dans les lieux culturels où la subvention est la plus faible (et sont moins payées que leurs homologues hommes). Les réalisatrices de films sortis en salles ? 14 % en 2015.
Cette discrimination est débattue depuis une bonne dizaine d’années – seul le secteur des arts plastiques va plutôt dans le bon sens. Deux anciennes ministres, Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin, ont utilisé l’arme de la nomination pour corriger le problème.
L’actuelle ministre, Françoise Nyssen, qui a incité des étudiantes en art à parler, se dit très concernée par la question. Mais la réalité, pour l’instant, est que les femmes sont dominantes pour apprendre dans une école artistique (avec souvent un homme face à elles), puis jugées inaptes à diriger. Pourquoi ? De vieux réflexes sont en jeu.
Paradoxe
Déjà, nombre d’acteurs culturels ne jugent pas la discrimination comme un délit mais comme la conséquence de choix fondés sur la compétence – un principe très ancré dans la culture. L’acteur Philippe Caubère, en 2013, a dit haut ce que beaucoup pensent tout bas : « La parité n’a plus aucun sens dès qu’il s’agit d’art. » Et puis l’homme culturel, plus que dans le reste de la société, est souvent choisi parce qu’il est une grande gueule bourrée de certitudes et d’autorité, qui a réponse à tout même quand il ne sait pas.
D’où ce paradoxe : la culture se veut tolérante, ouverte d’esprit, à l’avant-garde sur les questions de société, elle est pleine de bons sentiments dans les œuvres, mais dans son organisation sociale et ses lieux de décision, elle est plus macho qu’ailleurs.
Avec un tel paysage, on peut comprendre que beaucoup de jeunes comédiennes ou autres se taisent. Peur pour leur carrière. Peur de passer pour coincées dans un milieu qui passe pour ne pas l’être. Beaucoup disent aussi leur gêne à jeter des noms en pâture. Alors elles se « débrouillent », selon la formule de Christine Angot. Pour finir, un conseil : lisez ce post de blog d’Agathe Charnet, abrité par Le Monde.fr, et intitulé « Tu prends combien ? ». Vous aurez une idée du problème. http://sco.lt/6FSGW1
Michel Guerrin
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 30, 2017 8:43 AM
|
Par Agathe Charnet dans son blog l'Ecole du spectacle
29 novembre 2017 « Tu prends combien ? » De jeunes comédiennes et musiciennes racontent les ravages du sexisme dans les milieux artistiques Extrait du film d’Emma sur le non-consentement, « T’as vu comment tu me regardes ? » « Dès les premières semaines de cours, j’ai vite compris que ça n’irait pas. » Mathilde* (à la demande des intéressées, les prénoms suivis d’une * ont été modifiés), étudiante comédienne, 25 ans. Elle n’en avait que 21 le jour de son premier cours de théâtre dans un conservatoire à rayonnement régional. Le professeur leur a proposé « l’exercice des 1, 2, 3 ». A l’énoncé d’un de ces chiffres, les étudiants devaient effectuer des actions telle que « s’embrasser, enlever un vêtement… ». « Des garçons ont fini complètement nus et les filles ont tout fait pour éviter que ça arrive », raconte Mathilde. Dans les trois mois qui suivent, le malaise s’installe. « Le professeur s’adressait très différemment aux garçons et aux filles. Il nous appelait “ma chérie”, “ma blonde”, “ma puce”. Il nous faisait jouer des scènes où nous incarnions des prostituées, des scènes très sexualisées. Il disait “on la refait pour le plaisir !” ou “tu aimes ça ? Ton copain ne te fait pas ça chez toi ?”. C’était épuisant, on avait l’impression d’être des bouts de viande et on avait peur d’aller au plateau. » Mathilde et ses camarades décident d’alerter le directeur de l’établissement. Le professeur ne leur fera finalement plus cours, mais continuera d’enseigner à une autre classe, composée d’élèves mineurs. « Lors de leur spectacle de fin d’année, les filles jouaient des prostituées », se souvient amèrement Mathilde. « Mon métier ce n’est pas d’être sexy, pas d’être glamour. Mon métier c’est de créer de l’émotion », déclarait récemment la comédienne Sara Forestier. Une affirmation souvent à mille lieues du quotidien des étudiantes et jeunes professionnelles du spectacle vivant. Car, bien souvent, c’est à leur genre, à une vision stéréotypée de la féminité qu’elles sont ramenées, en deçà de leur talent ou de leur singularité. Dans ces milieux où le réseau est indispensable à l’avancée de la carrière, où la société de l’image s’impose sans concession, les rapports de pouvoir sont exacerbés, les frontières poreuses. Alors que l’affaire Weinstein a fait trembler l’industrie cinématographique hollywoodienne, que le hashtag #balancetonporc a contribué à libérer la parole en France, de jeunes comédiennes, metteuses en scène ou instrumentistes ont accepté de témoigner, de se souvenir, de raconter. Pour rendre compte d’une oppression systémique, d’une violence parfois inouïe. Et proposer des actes de résistance. « Mets une robe ; sois jolie » C’est à l’école que tout commence. Des petites phrases qui viennent ébranler une estime de soi en construction, des réflexions qui laissent souvent sans voix, une succession de mots qui, insidieusement, s’immiscent et viennent à jamais marquer une future vie professionnelle. Il y a Clémence qui, à la suite d’un examen dans une école de comédie musicale s’entend dire « Tu prends combien ? » par un des membres du jury, alors qu’elle présente une scène de Xavier Durringer où elle incarne une prostituée. Julie*, 23 ans qui se fait complimenter sur Facebook sur son physique par des directeurs d’écoles de théâtre privées. Marguerite* à qui son enseignant de contrebasse dans un conservatoire parisien a susurré : « Ah ! Si j’étais jeune ! » Ou encore, Anna* à qui l’on a prodigué de singuliers conseils : « Au sortir d’une représentation à Paris, un de mes anciens profs est venu me voir. Il m’a dit “tu joues mieux que l’autre fille, mais je l’aurai choisie elle [dans un contexte professionnel NDR], parce qu’elle m’a fait bander et pas toi”. C’était violent. » Une confusion permanente entre le travail d’interprète de l’élève artiste et l’image qu’elle est sommée de renvoyer, reflet du désir et de l’hyper-sexualisation. « Il faut se mettre en valeur. C’est une réflexion qui revient régulièrement dans la bouche des profs, y compris des profs femmes », renchérit Margo*, 24 ans, passée par le conservatoire du VIe arrondissement de Paris. « Certes c’est un métier de l’apparence et du corps, mais ça reste une vision très stéréotypée : “Mets une robe ; sois jolie”… une de mes amies s’était coupé les cheveux très courts et la prof lui a dit de faire attention à sa féminité. » Les jeunes actrices racontent être souvent cantonnées à un archétype du féminin – séducteur, soumis, aguicheur – jusque dans les rôles du répertoire que leurs enseignants leur font travailler. « Je ne connaissais rien au théâtre, se souvient Emma, 22 ans, en se remémorant ses débuts dans un conservatoire régional. J’en avais une image faussée, comme quoi il fallait se lâcher, dépasser ses limites pour avoir des rôles. J’avais 18 ans et on ne me faisait jouer que des rôles très sexualisés : un sketch avec un mec qui me parlait de mon cul, par exemple. Je me disais que ça devait forcément se passer comme ça, qu’il fallait que je me fasse au truc. » « T’as pas compris dans quel milieu tu voulais travailler » Se faire « au truc »… jusqu’à l’irréparable. Emma en a fait les frais : « J’avais dix-huit ans, je venais de décrocher un casting pour un long-métrage. J’avais des étoiles plein les yeux. Pour moi, c’était incroyable ! » Le réalisateur informe Emma que le tournage du film comprend une scène de nu. « J’en ai parlé à mes parents, j’ai réfléchi et j’ai accepté », raconte la jeune femme. Le réalisateur la convoque à un casting, à son domicile. Il explique à Emma qu’elle est trop jeune pour ce genre de rôle. Emma finit par approuver. « Au moment où j’allais partir, il me demande tout de même de “tester la scène de nu” : “Une comédienne doit apprendre à se surpasser”, m’a-t-il dit. » Emma, tétanisée, obtempère. Il se met à la « tripoter » : « Quand je suis allée porter plainte, les flics m’ont dit que je n’avais qu’à pas faire des films. » Cet implacable jeu de pouvoir, cette ambiguïté du corps perçu comme objet de désir et non comme instrument d’expression artistique, cette peur de paraître trop timorée, Anna* l’a aussi connue. En cherchant un agent artistique, l’actrice, alors âgée de 22 ans, tombe sur un professionnel d’une agence parisienne qui, dès le premier entretien, l’incite « à montrer » qu’elle « en veut », lui reproche sa « timidité ». Anna lui envoie alors des photos de nu artistique qu’elle a réalisé avec un photographe pour lequel elle pose comme modèle. « La plus grosse connerie de ma vie », se souvient-elle. « Je voulais lui montrer que je n’étais pas si réservée que cela, que je n’avais pas de problème à travailler avec mon corps, si c’était justifié. » L’agent la rappelle sur le champ et la convoque à un nouvel entretien, l’entraîne dans les toilettes et la force à le masturber. La jeune femme se débat et se refuse à lui. « T’as pas compris dans quel milieu tu voulais travailler », lui rétorque t-il. Lorsque Anna tente de dénoncer ce comportement à l’agence artistique, la responsable diffuse les photos d’Anna nue à l’ensemble de sa troupe de théâtre. Arguant que la jeune comédienne aurait séduit leur employé en lui transmettant des photographies dénudée. Anna, traumatisée, abandonne ses cours de théâtre durant six mois. Elle n’aura jamais d’agent artistique et ne fera pas de cinéma. « Si tu veux avoir une bonne carrière, il faut la boucler de temps en temps » Se couper des réseaux. Etre blacklistée. C’est là la plus grande peur de ces jeunes artistes, qui préfèrent parfois se taire plutôt que de sacrifier des années de travail acharné. « Pour être intégrée, il vaut mieux faire oublier qu’on est une femme », souligne ironiquement Charlotte*. Cette jeune musicienne est inscrite dans une spécialité au conservatoire national supérieur de musique de Paris, où les femmes se comptent sur les doigts de la main. Une donnée qu’on ne manque pas de lui faire remarquer. « C’est constant et ça passe par l’humour – un enseignant m’a demandé en plein cours si “j’avalais”. Et si on ne rit pas aux blagues, on est immédiatement cataloguée comme “pas sympa” ou “coincée”. Or “être sympa” c’est cinquante pour cent du métier si on veut décrocher des contrats et être rappelée. » Dans un univers où la frontière entre vie privée et vie professionnelle est « très floue », Charlotte reste sur ses gardes. « Quand on travaille ça va, mais c’est en soirée qu’il y a des dérapages ». La main d’un enseignant s’est ainsi retrouvé sur ses fesses, lors d’une soirée arrosée. Si elle en parle avec ses amis musiciens qui la soutiennent, mais Charlotte préfère ne pas engager de polémique :« Si on répond, ça va être encore pire. » « On m’a déjà dit : “Tu sais si tu veux avoir une bonne carrière, il faut la boucler de temps en temps” », déplore Sacha*, 27 ans. Cette violoncelliste a tenté de lutter contre le sexisme lors de son entrée dans la vie professionnelle. Remplaçante dans un groupe de jazz, la jeune femme a supporté sans broncher des réflexions sur son décolleté et autres « réflexions paternalistes » de la part de son employeur – un musicien renommé. « Un soir de tournée, je suis entrée dans sa chambre d’hôtel pour demander du dentifrice. Il faisait la fête avec les musiciens. J’étais en pyjama et ils étaient ivres. Des plaisanteries ont fusé : “A poil !”, “enlève-le tu seras plus jolie”. Ça a été la goutte d’eau, je suis retournée dans ma chambre et j’ai pleuré toute la nuit. » Et lorsque Sacha a fait savoir à son employeur que cette attitude l’avait blessée, il ne « lui a plus adressé la parole ». « Il ne m’a plus rappelée pour des concerts. Je l’appelais tous les jours pour avoir des explications, il ne répondait pas. On m’a rapporté qu’il disait que j’étais “hystérique”, qu’il était impossible de travailler avec moi. » « Je ne veux surtout pas que mes élèves pensent qu’il faut se foutre à poil pour réussir » Un an et demi plus tard, Sacha s’est doucement remise de cette épreuve. Quand les premiers témoignages ont commencé à déferler, suite à l’affaire Weinstein, la violoncelliste s’est réjouie. « La parole est en train de s’ouvrir, constate t-elle. Le système commence à être remis en question. Et surtout on a des mots précis à mettre sur des attitudes précises, et ça change tout. De pouvoir décrire. J’espère que ça va faciliter la prise de conscience. » Pour Emma, le geste artistique a fait suite au silence, catalyseur des anciennes blessures. L’ancienne apprentie comédienne est devenue élève réalisatrice. Elle a réalisé un court-métrage, T’as vu comme tu me regardes ?, réalisé en avril 2016 et visionné près de 160 000 fois sur YouTube, mettant en scène la violence du non-consentement. « En tant que réalisatrice, je fais très attention au regard que je porte sur les acteurs et les actrices. Je ne veux surtout pas qu’ils fassent des choses qu’ils n’ont pas envie de faire. On est une nouvelle génération et on doit penser les choses autrement. » Un passage de relais que soutient Charlotte. Si la musicienne se dit « assez pessimiste » quant à l’évolution des mentalités dans la musique classique, elle affirme « être très fière de son parcours » : « D’une génération à l’autre on a besoin de modèles, et je veux montrer aux plus jeunes que c’est possible d’arriver au plus haut niveau. » De son coté, Anna a pris sa revanche, en mettant en scène. Elle vient de signer son premier projet professionnel, récompensé par un prix prestigieux. « Je commence également à enseigner et je porte une grande attention à ce que peuvent vivre mes élèves. Je ne veux surtout pas qu’elles pensent qu’il faut se foutre à poil pour réussir. »
Voir la vidéo : https://youtu.be/rRfPf2104vo
Légende photo : Extrait du film d’Emma sur le non-consentement, « T’as vu comment tu me regardes ? »
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
June 5, 2016 4:53 PM
|
Rédigé par Décoloniser les arts, publié dans saphirnews.com
Touchi-Toucha : après les Molières, des professionnels des arts expriment leur colère
La présence de Touchi-Toucha lors des Molières 2016 doit-elle vraiment amuser ? La représentation de ce Noir, monté sur un segway et qui faisait irruption sur la scène, sans dire un mot, pour couper court aux discours trop longs des lauréats, a mis en colère le collectif Décoloniser les arts qui lutte contre l'absence de la diversité ethno-culturelle dans le monde du spectacle. Une semaine après la cérémonie, ses membres s'en expliquent dans une lettre ouverte à l'adresse de France Télévisions et de la direction des Molières.
Lire la lettre ouverte : http://www.saphirnews.com/Touchi-Toucha-apres-les-Molieres-des-professionnels-des-arts-expriment-leur-colere_a22444.html
*****
Décoloniser les arts est un collectif d’artistes et de professionnels des Arts et de la Culture qui agit contre les discriminations ethniques dans le monde du spectacle des arts. Parmi ses soutiens, on trouve Fabienne Pourtein, Françoise Vergès, Eva Doumbia, Myriam Dao, Françoise Sémiramoth, Léonce Henri Nlend, Marc Cheb Sun, Leila Cukierman, David Bobée, Yann Gael, Marine Bachelot Nguyen, Karima El Kharraze, Gerty Dambury, Jalil Leclaire, Chantal Loial, Sandra Sainte Rose Fanchine, Laurence Lascary, Mirabelle Rousseau, Blandine Pélissier, Malou Vigier, Karine Pédurand, Margaux Villain Amirat.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 23, 2016 7:26 PM
|
Paru dans l'Agenda culturel de Beyrouth :
Trois Libanaises sur quatre sont victimes de violences domestiques, d’après l’association de lutte contre les discriminations faites aux femmes Kafa. Pour endiguer le phénomène, le centre d’accueil et d’écoute, situé dans le quartier de Badaro, propose des ateliers thérapeutiques de peinture, poterie, photographie et art dramatique. Parmi lesquels, ceux de Lamia Abi Azar. Elle, combine la psychologie clinique et le théâtre expérimental.
Elles sont une vingtaine, assises en tailleur par terre, à former un cercle. Tour à tour, elles prennent la parole pour parler de leur histoire et de leurs aspirations. Plus ou moins jeunes, elles sont originaires de tout le pays. Certaines sont voilées, d’autres blondes décolorées et d’autres encore coiffées d’un serre-tête. ‘‘Toutes les femmes sont touchées par le fléau de la violence au Liban, commente Lamia Abi Azar. On pense souvent, à tort, que la pauvreté et l’islam enrichissent la violence, mais ce n’est pas vrai. La violence domestique existe dans toutes les sociétés et toutes les confessions’’. Mais dans l’atelier de la comédienne-thérapeute, les barrières tombent. Ici, il n’y a plus de différences culturelles, religieuses ou sociales. Les femmes, unies dans leur souffrance, forment un bloc dont la cohésion frappe par son évidence.
Toutes les semaines, pendant quatre heures, elles se retrouvent pour réapprendre à se connaître, identifier leurs envies et petit à petit, reprendre confiance en elles. ‘‘Au début de chaque nouvelle cession, c’est difficile, admet Lami Abi Azar. Elles ont besoin de se redécouvrir. Un geste simple comme rester en équilibre, se déplacer dans l’espace, écrire ce dont elles ont envie ou ce dont elles n’ont plus envie, mettre des mots sur leurs rêves, souvent passés sous silence, tout est douloureux’’. Elles travaillent alors sur une réconciliation et une réappropriation de leur propre corps. Elles réapprennent à identifier les différentes parties de leur corps en se massant les unes les autres. Elles réapprennent à respirer. A se relaxer. A percevoir la présence des autres. Et à faire confiance. En couple, Lamia Abi Azar les enjoint à faire des exercices dans lesquels elles sont tour à tour meneuses puis suiveuses.
Et après seulement un mois d’atelier, les résultats sont surprenants. ‘‘Lamia m’a aidée à m’aimer et à me connaître, confie Zeina, Beyrouthine de 23 ans. En développant un nouveau rapport avec les filles ici, les gens, à l’extérieur, ont vu que j’étais différente. Aujourd’hui, je parviens mieux à faire face à certaines situations. Par exemple, il y a cette femme, dans mon cours de lecture du Coran, qui essaie de me contrôler. Elle veut tout le temps que je reste avec elle mais, maintenant, je réussis à partir quand j’en ai envie’’. Guitta, 40 ans, en larmes, explique ‘‘Aujourd’hui, les pressions de la vie sont trop lourdes, tout le monde prend prend prend, mais personne ne me donne. Je suis heureuse de venir ici, ma vie retrouve un peu de valeur au sein de cet atelier’’, témoigne-t-elle. Hassina, 33 ans continue : ‘‘En quatre séances, je vois déjà beaucoup de différences ! J’essaie de me concentrer sur moi-même, sur ce que je veux et non sur ce que les gens demandent de moi. J’étais perdue, je ne savais plus, mais aujourd’hui j’arrive mieux à me fixer des objectifs. Je veux prendre mes propres décisions et m’occuper de mon enfant comme je l’entends, sans que personne ne me prenne sous son aile’’.
Les ateliers de Lamia se déroulent sur douze séances. ‘‘Les trois mois sont nécessaires, le travail est progressif, commente-elle. En quatre séances, ces femmes ont le sentiment d’avoir fait beaucoup de progrès car elles ont le désir d’aller de l’avant. Parfois, je me dis qu’elles exagèrent car elles me disent que tout a changé du tout au tout en l’espace d’un mois, elles vont peut-être un peu trop vite, mais la magie opère. Et ce sont elles, le moteur’’. Car, en venant aux ateliers de Lamia, ces femmes font preuve de courage, elles prennent part au combat et sont le déclencheur d’une lente mais solide révolution. ‘‘Les choses changeront avec elles, précise la comédienne-thérapeute. Le système patriarcal est transmis par les femmes, par l’éducation qu’elles transmettent à leurs enfants. Nous ne sommes pas des victimes. Nous nous battons pour transformer ce statut en celui de responsables qui devront simplement reprendre la responsabilité de nos vies’’. Grâce au combat de Kafa, entourée de ces femmes qui ont rompu la loi du silence, la législation libanaise sanctionne, depuis le 1er avril 2014, les violences verbales, morales et physiques au sein du noyau familial. Le texte adopté prévoit de nombreuses mesures de protection pour la femme telles que des injonctions d’éloignement du mari, la mise en place d’une unité psychologique dans les commissariats et l’instauration d’une caisse nationale financée par le gouvernement pour subvenir aux besoins des victimes.
[Photo : © Abdelhak El Idrissi - Radio France]
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 18, 2016 6:59 PM
|
Par Lorraine Rossignol dans Télérama :
Ils sont artistes et vivent à Calais ou dans ses environs. Chaque jour, la situation indigne qui se tient sous leurs yeux les terrifie davantage. Alors, ils résistent comme ils peuvent et font ce qu'ils savent faire pour tenter de redonner un peu d'espoir aux migrants : l'un monte un spectacle, l'autre écrit un roman… Impossible. Impossible d’être un artiste et de vivre à Calais ou ses environs, sans être infusé, gagné, bouleversé, par le drame humain, la jungle des questions sans fond qui se nouent là, à trois pas de chez soi. A son corps défendant, dans un sentiment d’impuissance écrasant. « Je subis cette situation indigne dans laquelle on s’enfonce chaque jour davantage », témoigne ainsi Guy Alloucherie, enfant de la région, fils de mineur de fond, qui, à Lens et alentours, se saisit du théâtre, « seule arme en [s]ma possession », pour lutter contre « le noir ». Le noir qui gagne Calais, « ville sinistrée », mais qui obscurcit aussi chaque jour davantage sa vie, au fur et à mesure que la situation des migrants devient plus critique, plus chaotique. Le dramaturge, fondateur de la compagnie HVDZ, prépare ainsi un spectacle pour fin 2017. Il en a confié l’écriture (en cours) à l’écrivain Nadège Prugnard, dans l’idée de « trouver une poésie, quelque chose qui sublime la réalité », pour en parler, mais autrement que les médias (le titre n’est pas encore arrêté : No Border ? Babylone ?). Tout en regrettant l’inertie, le « chacun pour soi » qui prévaut dans le milieu du théâtre de la région Nord-Pas-de-Calais : « Voir ces lieux magnifiques, où les gens se rendent pour oublier le quotidien, et, à quelques kilomètres de là, d’autres gens entassés, qui eux vivent dans la boue, c’est insupportable », dit-il. “Calais est une urgence humaine”,
« Mais la situation des migrants n’intéresse guère par chez nous », confirme l’acrobate lillois Anthony Lefebvre. « Les gens d’ici sont moins réceptifs, ils veulent profiter de leur théâtre.» Il le sait bien, puisque le spectacle qu’il est en train de monter avec sa troupe sur le sujet, Dites à ma mère que je suis là, commencera par être présenté dans le Sud, à Gap, les 14 et 15 novembre prochains, puis à Aix-en-Provence, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Apt… avant de regagner le Nord, à l’horizon de décembre 2016. Lassitude, saturation des habitants locaux ? Pas pour lui. Avec sa compagnie – la Compagnie Etat d’urgence, « créée bien avant que l’état d’urgence ne soit instauré en France : Calais est une urgence humaine », précise-t-il – a même fait, pendant un mois, une « résidence en immersion » dans les camps, se rendant tous les jours auprès des migrants. Voyeurisme ? « On peut effectivement se demander ce que l’on venait faire, en tant qu’artistes, dans un lieu à caractère humanitaire. Mais nous venions avant tout en êtres humains. Ensuite, l’avantage d’être acrobates-danseurs, c’est d’avoir un langage universel, celui du corps, pour prendre le relais. » Et donner, malgré tout, « une touche d’espoir » : « Ces gens-là n’en sont-ils pas puissamment pétris ? Sinon, ils ne seraient pas parvenus jusqu’ici, et auraient renoncé depuis longtemps à gagner l’Angleterre. Or, ils ne renoncent pas. Et sont prêts à risquer leur vie – même si l’on ne parle pas de tous ceux qui disparaissent. »
“Je veux que tout le monde voie ce que je vois”, Veronika Boutinova, auteure
C’est justement pour parler d’eux, et de tous les autres, qui attendent dans la « jungle », que la Lilloise Veronika Boutinova écrit inlassablement depuis vingt ans : « Le hasard a voulu que je m’installe à Calais en 1996, en même temps que le “problème” », raconte-t-elle. « A l’époque, c’étaient des Kosovars qui arrivaient. Aujourd’hui, les victimes sont devenues les bourreaux, puisque ce sont les mêmes qui font les passeurs. Mais les habitants de la ville les mettent tous dans le même sac : ils sont “les Kosovars”. Ainsi appellent-ils, de façon péjorative, les migrants. » Pour réagir à cette apathie – sur le terrain, 80 % des bénévoles sont des Anglais et non des gens du coin – mêlée de xénophobie – 50 % des Calaisiens ont voté FN aux dernières élections –, l’auteure militante, très engagée dans les camps, a écrit aussi bien des pièces de théâtre – NIMBY, lue au Théâtre du Rond-Point en 2010, ou Calais-Cul de sac, publiée chez l’Harmattan en 2015 –, que des romans. « C’est devenu tripal. Je veux que tout le monde voie ce que je vois. C’est là, devant moi. Comment ne pas en parler ? », explique-t-elle. Tout en ironisant : « Qui sait si, avec les changements écologiques et la montée du niveau des eaux annoncés dans un futur proche, les Calaisiens ne pas vont se retrouver dans la situation de migrants en 2050 ? » En attendant, pour pallier à ses insomnies, Veronika Boutinova organise un « Lancer de bébés » sur la plage de Calais, le dimanche 20 mars à 11 h. L’idée : « Que les gens apportent le plus possible de baigneurs et de poupées, et qu’ils les jettent à la mer, pour leur donner une chance de rejoindre l’Angleterre. » Le sort des enfants migrants l’interpelle particulièrement. « Qu’au moins, on fasse passer ces mômes ! »
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 5, 2016 11:07 AM
|
Festival art et déchirure Ne pas se voiler la face devant les troubles psychiques mais ouvrir les yeux devant les œuvres artistiques qu’ils suscitent… Voir le reportage vidéo : https://youtu.be/tqRtMkF110o
Depuis 15 ans, le festival Art et Déchirure présente cet art différent et singulier. Lybo alias Les yeux bien ouverts a assisté à l'une des répétitions de l'un des dix spectacles qui met en scène treize personnes soignées en hôpital de jour, au centre hospitalier du Rouvray. C'est l’atelier 231 à Sotteville-les-Rouen qui accueillera jeudi 10 mars la pièce de théâtre : « Jours de pluie ». Le festival Art et déchirure à Rouen a lieu jusqu’au 20 mars. Reportage de Virginie Ducroquet, Jérôme Bègue, Serge Brouze et Eric Tavennec. Avec les interviews de Christophe Duhamel, Sabrina Roussel, Chloé Lacherey soignante et comédienne. Nous avons rencontré aussi les deux co-directeurs du festival art et déchirure: Joêl Delaunay et José Sagit
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 3, 2016 7:41 PM
|
Par Brigitte Salino dans Le Monde
PLe dimanche 20 mars, un débat aura lieu au Théâtre national de Strasbourg (TNS) sur le thème : « Quotas, discriminations positives… quels outils pour la diversité dans le spectacle vivant ? » Ce ne sera pas un débat de plus, mais le point d’orgue de Premier acte, une action chère à Stanislas Nordey, qui l’a instituée en 2013 au Théâtre national de la Colline, où il était artiste associé avant de devenir directeur du TNS en 2014. Premier acte réunit des jeunes issus de la diversité qui font du théâtre dans des cours ou des associations et qui voudraient devenir comédiens. Pendant six mois, ils sont accompagnés par des artistes qui les emmènent voir des spectacles, leur donnent des master classes et des conseils, afin de les aider à se retrouver sur un plateau, ou à passer les concours des grandes écoles d’art dramatique.
Le débat du 20 mars clôt le parcours de la saison 2 de Premier acte, qui devient national. La saison 3 est organisée par le TNS, le Théâtre national de la Colline et le Centre chorégraphique national de Grenoble. Stanislas Nordey, qui fait partie du Collège de la diversité créé par Fleur Pellerin quand elle était ministre de la culture et de la communication, considère que son mandat de cinq ans à Strasbourg aura porté ses fruits s’il y a un véritable changement dans le public et parmi les élèves de l’école du TNS, une des plus prestigieuses de France.
Pas de discrimination positive
Avec son équipe, il s’y attelle, en travail sur tous les fronts : création d’une « Autre saison », qui propose des spectacles et des rencontres gratuits, développement des liens avec les acteurs sociaux, les collèges et les lycées, les associations. Cela s’est su et a déjà donné un résultat : en janvier a eu lieu le premier tour du concours d’entrée, pour les élèves comédiens, à l’école du TNS. Sur les 52 candidats, un tiers des reçus sont des jeunes gens et jeunes filles issus de la diversité. Ils n’ont pas été choisis par discrimination positive, mais parce qu’ils étaient bons. Et qu’ils se sont autorisés à se présenter.
C’est ce point qui réjouit le plus Stanislas Nordey. Dans les lettres de candidature, beaucoup ont écrit qu’ils voulaient faire du théâtre, mais qu’ils pensaient que ce n’était pas pour eux, que l’école du TNS leur était interdite, jusqu’au moment où ils ont entendu dire que c’était possible, et même souhaité, de se porter candidat. Combien seront choisis à l’issue du second tour du concours, qui aura lieu au printemps et retiendra le groupe de 12 élèves comédiens qui formera la promotion 44 ? Personne ne peut le dire aujourd’hui, mais Briac Jumelais, le secrétaire général du TNS, espère que, là aussi, un tiers des reçus seront issus de la diversité : « Si c’est le cas, on aura la même proportion que dans la société française. » Et ce serait un fameux bond en avant.
Actuellement, dans la promotion 43, qui compte 25 élèves (en jeu, régie, scénographie costumes, mise en scène dramaturgie), 3 seulement sont issus de la diversité – une expression qu’on rêve de n’avoir plus à employer.
Brigitte Salino (Strasbourg, envoyée spéciale) Journaliste au Monde
|
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
July 16, 2018 2:46 AM
|
Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 13 juillet 2018 Homme ou femme ? Trans ou les deux, répondent-ils en chœur. Transgenre ou transfrontière, c’est un même combat contre toutes les limites, les barrières, les préjugés et les drames que cela suscite. L’art aime se nourrir de transgression. C’est ce que nous racontent avec bonheur Didier Ruiz, Gurshad Shaheman et le fabuleux tandem que forment François Chaignaud et Nino Laisné.
Il, elles, elles, ils se nomment Neus Asencio Vicente, Clara Palau i Canals, Danny Ranieri del Hoyo, Raùl Roca Baujardon, Ian de la Rosa, Sandra Soro Mateos, Leyre Tarrason Corominas. Ils-Elles parlent en langue espagnole ou catalane et le sous-titrage en français rend imparfaitement compte de leur façon de s’exprimer. Didier Ruiz
Ce ne sont pas des acteurs professionnels, ni même amateurs. Certains sont militants, d’autres pas. Avant de rencontrer Didier Ruiz, ils ne songeaient pas qu’un jour ils se retrouveraient sur une scène pour parler de la vie jamais simple qui fut la leur, simplement parce que pour des raisons qui leur et nous échappent, on (dieu, la providence, l’antéchrist, le diable, la pierre philosophale, l’inconscient, le refoulé, etc.) eut tout faux à leur naissance en se trompant de sexe. Alors, leur nature profonde revenant au petit trot ou au galop, ils ont senti croître en eux non seulement le désir, mais l’impérieux besoin de changer de sexe. Certains ont poussé le bouchon jusqu’à l’opération, d’autres pas ; on peut être femme tout en étant fière de son pénis, dit en substance l’une d’entre elles née homme.
Didier Ruiz était loin de ces sphères jusqu’au jour où, à Madrid, il a rencontré une femme qui animait une association de parents d’enfants trans, étant mère elle-même d’un fils qui s’habillait en fille. Dans l’association, elle a été confrontée au cas inverse : une petite fille qui ne portait jamais de robe et jouait tout le temps avec les garçons. Pour en arriver à TRANS (mès enllà), Ruiz a beaucoup enquêté, beaucoup parlé, comme il l’avait fait pour son précédent spectacle, Une longue peine, traitant de l’enfermement en prison et de ses effets. Les sept choisis (sur trente-deux rencontrés) ne sont pas des marginaux, des trans de la nuit, des artistes. Ils, elles travaillent dans la coiffure, la manutention, le dessin industriel, les transports. Elles, ils ont de 22 à 60 ans.
Avec chacun, en parlant avec eux, en les questionnant, Ruiz a su affiner leur parole, qui reste leur parole, l’oralité est primordiale. Ruiz appelle cela « la parole accompagnée ». S’ensuit un travail de montage de ces paroles entre elles, en les découpant dans un subtil feuilletage ou maillage qui a pour vertu, passant de l’un à l’autre, de couper court à tout engluement pathétique. Chacun des sept cas est unique, mais tous pointent les mêmes obstacles, les continents d’idées toutes faites. Et pourtant l’Espagne est en ce domaine un des pays les plus ouverts. Gurshad Shaheman
On ne peut pas en dire autant de l’Iran (et de bien d’autres pays) comme l’a montré l’Iranien Gurshad Shaheman (qui ne peut plus retourner dans son pays) dans une trilogie dont lui-même, à l’homosexualité revendiquée, était le fil conducteur et le héros (lire ici) et dont le texte vient de paraître. Extrait (Gurshad est un jeune garçon et Jean-Louis, un ami de la famille, se glisse dans son lit) : « Ses lèvres descendent le long de mon index et se referment sur ma deuxième phalange. Je sens sa langue qui danse autour de mon doigt. Je n’ai pas de clé pour interpréter ce geste. Je ne l’ai vu dans aucun film. Lu dans aucun livre. Je retire mon doigt de sa bouche. Il rapproche alors son visage du mien, passe une main derrière ma nuque et me tire plus près. Nos souffles se touchent. Ma bouche est tout contre la sienne. Sa langue, lentement, se fraie un chemin à travers mes lèvres. » La voix de Gurshad, un fluide, accompagnait cette écriture délicieuse et délicate.
Son nouveau spectacle, Il pourra toujours dire que c’était pour l’amour du prophète, est à la fois comme le miroir du précédent et son opposé. La où Gurshad ne parlait que de lui et des autres à travers lui, cette fois il se met à l’écoute de personnes homosexuelles ou trans de seize à trente ans le plus souvent exilées du Moyen Orient rencontrées durant de longs séjours à Athènes et Beyrouth, en particulier des Syriens. Une vingtaine de témoins qui a trouvé en lui une écoute soutenue et complice. Ensuite, partant de ce matériau informe, il a tout fait traduire pour écrire en pleine empathie, un peu à la manière de Svetlana Alexeievitch. Et le mouvement du nouveau spectacle reprend la progression du précédent : l’enfance, l’éveil des sens, le trouble sur l’identité sexuelle mais aussi sur la croyance religieuse, le pays, puis le faisceau d’éléments complexes (familiaux, politiques, intimes) qui conduit à l’exil, et enfin la traversée vers l’Europe. Comme pour Pourama Pourama, ces histoires parfois tragiques sont de bout en bout traversées par l’amour, une ou des histoires d’amour.
Comme Didier Ruiz, Gurshad Shaheman fragmente ces histoires. Elles ne sont pas dites par leur auteur mais par des acteurs de l’ERAC (l’école de Cannes) accompagnés par quatre témoins (Lawrence Alatrash, Daas Alkhatib, Mohamad Almarashli, Elliott Glitterz) qui sont là comme des veilleurs, des éclaireurs, des balises. Ce jeu de décalage permet au spectacle de prendre la forme d’un oratorio avec en contrepoint une partition sonore et musicale de Lucien Gaudion qui nous arrive par vagues comme des bourrasques mais aussi comme le bruit d’un livre quand on tourne la page. Grâce à l’écriture de Gurshad Shaheman et cette mise en bouche, le témoignage s’éloigne d’un aplat naturaliste pour s’ouvrir au conte par le biais des histoires d’amour très étonnantes qui surgissent çà et là.
A une ou deux exceptions près (et c’est alors comme une fausse note), chacun des jeunes acteurs de l’ERAC (Tiebeu Marc-Henry Brissy Ghadout, Flora Chéreau, Sophie Claret, Samuel Diot, Léa Douziech, Juliette Evenard, Ana Maria Haddad, Zavadinack, Thibault Kuttler, Tamara Lipszyc, Nans Merieux, Eve Pereur, Robin Redjadj, Lucas Sanchez, Antonin Totot) n’incarne pas un personnage. Il l’accompagne comme un traducteur et mieux : un confident ; il parle en son nom. Les voix parfois se chevauchent ou s’éloignent devant la musique, puis cela revient ailleurs, la sensation prime sur l’information. Exemple. Un homme exilé se souvient de son premier amour lorsqu’il était là-bas à l’armée : « Aujourd’hui encore je n’oublie pas / Quand on prenait notre bain dans la forêt / On allumait un feu et on faisait chauffer l’eau dessus / Et on se lavait au milieu des arbres / Je lui savonnais le corps / Et j’embrassais chaque parcelle de sa peau / cette forêt c’était comme un temple pour notre amour / Et lui était le dieu que j’idolâtrais dans ce temple. » François Chaignaud et Nino Laisné
Le bruissement des deux gros arbres feuillus du cloître des Célestins accueillait les spectateurs qui prenaient place. Un bruissement léger, parfois presque impalpable, comme un moutonnement du temps. C’était un bon présage. Comme un instrument venu en amical renfort pour accompagner le bandonéon (Jean-Baptiste Henry), la viole de gambe (François Joubert-Caillet), la théorbe et la guitare baroque (Daniel Zapico) ainsi que des percussions sur peaux tendues, ces clochettes et autres tambourins venus des temps d’avant (Pere Olivé) qui allaient hautement contribuer à l’enchantement des chants et des danses de Romances inciertos, un autre Orlando.
Les musiciens habillés de noir étaient disposés chacun sur une île laissant vide le centre de la scène donnant sur les arches du cloître coiffées de touffes d’herbe. La musique commença. Les arbres se mettant à l’écoute s’apaisèrent au son du bandonéon. Il faudrait qu’un jour ces deux grands arbres, piliers du Festival, écrivent leurs mémoires. Je suis sûr qu’ils pensent souvent à cette nuit de musique pakistanaise où, vers quatre heures du matin, assis en tailleur, Nusrat Fateh Ali Khan vint prendre place entre eux deux et chanta jusqu’au lever du jour.
Quand Il-Elle entra à pas biaisés, portant un morceau d’armure de bois comme on en voit sur les tableaux inachevés d’autrefois, les deux arbres n’eurent d’yeux (tous les arbres ont des yeux, les jardiniers le savent bien) que pour cette créature au visage longtemps englouti sous un casque. Ce visage émacié, ces ongles longs, ce corps à demi cassé ou plutôt plié comme une feuille, ces battements d’oiseau blessé, cela vous creusait le ventre comme « Le dormeur du val » de Rimbaud quand on le lit pour la première fois. Elle-Il chanta d’une voix au-delà des sexes. Il-Elle reviendra avec des échasses puis en descendra pour danser sur la pointe de ses pieds, puis elle reviendra en gitane avec une robe d’une beauté indescriptible (ils sont sept à signer les costumes). Plus tard encore, elle ôtera cette robe et en justaucorps il nous offrira une dernière danse insensée. On aura tout le temps dans la nuit de feuilleter le petit livre donné aux spectateurs de Romances inciertos, un autre Orlando. On y lira le texte et la traduction de « la Tarara » chantée et dansée par la gitane : « No yores, tarta / con tanta aflirción / Mira que si yoras / también yoro yo... » (« Ne pleure pas, Tarara / Avec tant de peine / car si tu pleures, / je pleurerai avec toi » Comment ne pas pleurer devant tant de beauté ?
Le soldat, la gitane et les autres, c’est François Chaignaud. Il chante et danse homme et femme à la fois, donnant quelques lettres de noblesse supplémentaires aux beaux mots d’androgyne et de travestissement, guidé de main de maître (conception, mise en scène et direction musicale) par l’étonnant Nino Laisné. Tous les deux d’un même élan n’hésitant pas à associer chant séfarade et jota, flamenco et romance, à mêler les époques, des vers vieux de cinq siècles à une opérette des années 30. Tout comme sur scène la voix et le corps de François Chaignaud passent d’un corps et d’une voix à l’autre, ici femme, là homme, et le plus souvent les deux à la fois au même moment, donnant cette fois au mot de métissage, de nouvelles lettres de noblesse. D’où la référence à Orlando, le roman de Virginia Woolf dont le héros né homme renaît des siècles plus tard métamorphosé en femme.
TRANS (mès enllà), Festival d’Avignon, gymnase du lycée Mistral, 22h, jusqu’au 16 juillet (sf le 12), du 3 au 5 oct au Grand T de Nantes, puis tournée début 2019 : Châtenay-Malabry, La Norville, Ollioules, Théâtre de la Bastille à Paris, Chevilly-Larue, Fontenay-sous-bois, Barcelone, Choisy-le-Roi, Mulhouse, Evry…
Il pourra toujours dire que c’était pour l’amour du prophète, Festival d’Avignon jusqu’au 16 juillet au gymnase du lycée Saint Joseph, 10 et 11 nov au Phénix de Valenciennes, 13 et 14 nov aux Rencontres de l’échelle à Marseille, 16 nov au Théâtre des Treize vents à Montpellier, 22 nov Maison de la Culture d’Amiens, 6 et 7 déc au CDN de Rouen-Normandie puis en 2019 à Aubervilliers, Vandœuvre-lès-Nancy.
Pourama Pourama, éditions Les Solitaires intempestifs, 142 p., 15€.
Romances inciertos, un autre Orlando, Festival d’Avignon, jusqu’au 14 juillet, cloître des Célestins. Légende photo : scène de "Il pourra toujours dire ..." © Christophe Raynaud de Lage
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
July 10, 2018 8:40 PM
|
Par Joëlle Gayot dans Télérama Publié le 09/07/2018.
En treize épisodes à suivre jusqu’au 21 juillet au jardin Ceccano, David Bobée et Ronan Chéneau abordent toutes les facettes de la notion de genre. Et ouvrent les portes à des sujets polémiques.
En annonçant que l’édition 2018 serait traversée par les questions sur le genre, le directeur Olivier Py n’a pas menti. Il en a même fait le fil rouge quotidien de sa manifestation. Chaque jour à midi, le genre sera passé aux rayons x sur une place publique en forme d’agora : les jardins Ceccano. En 2017, Christiane Taubira y avait fait résonner ses talents de tribun devant une foule enthousiaste. Le relais est pris par les acteurs élèves de l’école de Saint-Etienne, des comédiens professionnels, des citoyens amateurs et des invités spéciaux parmi lesquels Béatrice Dalle ou Virginie Despentes. Une assemblée hétéroclite réunie par David Bobée, maître d’œuvre de l’aventure qui, avec l’aide d’Arnaud Alessandrin, enseignant à l’université de Bordeaux, a bâti le feuilleton à partir d’études sociologiques. Pour le metteur en scène, directeur du CDN de Rouen, pas question d’enfermer le genre dans la seule sphère de la sexualité : « Mon angle d’attaque est de montrer de quelle manière étudier le genre aide à lutter contre les discriminations. »
“Je souhaite parler du réel et de la vie des gens”, David Bobée Pour écrire les épisodes qu’incarneront les participants, l’auteur Ronan Chéneau n’a pas procédé de manière historique. Ancré dans le présent, il ouvre une après l’autre les portes vers des sujets polémiques : le féminisme, le matrimoine, les minorités, le corps et ses transformations ou bien encore le patriarcat seront abordés à l’ombre des platanes centenaires. « Chaque épisode a sa propre forme : participatif, performatif, documentaire », explique Bobée. Conscient de naviguer entre pédagogie et politique, il se refuse au militantisme : « Je souhaite parler du réel et de la vie des gens. » Il fait confiance aux possibles du théâtre pour mieux se faire comprendre : « Dans l’épisode intitulé “Tou.te.s minoritaires”, écrit en inclusive, nous séparerons le public en suivant les vingt-quatre critères reconnus par la loi française comme étant discriminatoires. Il y aura d’un côté les hommes, de l’autre les femmes, d’un côté les Blancs, de l’autre les non-Blancs, d’un côté ceux qui pèsent plus de x kilos, et ceux qui pèsent moins, etc. Façon de dire que nous sommes tous minoritaires et tous l’autre de quelqu’un. » Cette mise en jeu du concept de genre prône une approche ludique. On verra ainsi « des enfants d’une classe de Toulon poser à trois jeunes trans en transition les questions que tout le monde a en tête. » Bobée n’est pas là pour provoquer l’hostilité. Le feuilleton doit être une fête partagée. Cela ne l’empêche pas d’être lucide : « La fachosphère se répandra sans doute sur les réseaux sociaux. Mais nous ne sommes pas obligés de la lire. S’il y a des manifestations, nous assumerons la contradiction par le dialogue, le courage et la douceur. »
Mesdames, Messieurs et le reste du monde, feuilleton en treize épisodes de Ronan Chéneau, mise en scène de David Bobée, jardin Ceccano, du 7 au 21 juillet à 12h, relâche le 8 et le 15 (50 mn).
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
July 2, 2018 8:06 PM
|
Par Joëlle Gayot dans Télérama 26.06.2018 Pour sa 72e édition, le Festival d’Avignon, sous la houlette d’Olivier Py, explore la question du genre. Un sujet inhérent au théâtre, où, depuis l’Antiquité, les travestis occupent la scène. Quand les femmes n’y avaient pas leur place. ès le 6 juillet prochain, sous l’impulsion de son directeur, Olivier Py, le Festival d’Avignon s’arrimera au XXIe siècle en inscrivant les questions de genre au cœur de sa programmation. Ses scènes s’ouvriront ainsi à l’androgyne, au travesti, au transgenre. Rien de neuf sous le soleil, noteront les historiens. Et ils auront raison. Sauf que la manifestation entend mettre les points sur les i en portant le sujet au-delà de la sexualité. Le genre, affirme David Bobée qui met en scène, dans la Cité des papes, Mesdames, Messieurs et le reste du monde, un feuilleton quotidien dédié au thème, « est une clef de compréhension du monde et de l’humanité grâce à laquelle on peut tout traiter : le sexisme, le classisme et le racisme ».N’en déplaise à ceux qui voient dans le choix d’Olivier Py un recentrage dans le seul créneau des problématiques sexuelles, cette 72e édition s’empare du genre sur un plan philosophique, social et politique. Elle ne se contente pas de troubler le duo masculin-féminin, trouble auquel le spectacle vivant s’adonne, par ailleurs, depuis la nuit des temps. Voilà en effet des millénaires que le théâtre bouscule l’idée selon laquelle l’homme et la femme ne seraient que le produit de leur sexe biologique. Thèse réductrice qu’Olivier Py réfute dans un sourire : « Ce qui fait que nous nous sentons homme ou femme n’a que très peu à voir avec ce que nous avons dans la culotte. » Parce qu’il tend une passerelle où se brouillent les frontières du masculin et du féminin, le théâtre bouleverse l’analyse des relations nouées de l’un à l’autre. Dans son ADN figure une longue tradition de travestissement qui ouvre les perspectives. « Le théâtre est le premier à nous rappeler que toute identité est un arc entre masculin et féminin. Le seul fait de voir des hommes jouer des femmes, ce qui a été le cas des tragédies grecques et shakespeariennes, était en soi un discours politique »,rappelle Py. Du temps des Grecs, l’acteur portait un masque et des costumes de couleurs vives pour interpréter les rôles féminins. Antigone, Electre, Iphigénie, les héroïnes tragiques sont nées dans la peau de virils comédiens. L’époque antique a des œillères : les femmes, rarement admises dans les théâtres, n’ont pas le droit d’y jouer. Ni dans l’Italie romaine, où on ne les tolère que comme danseuses ou mimes. Quel paradoxe ! Alors que le travestissement témoigne, aujourd’hui, d’un coup de canif planté dans le clivage homme/femme, il doit ses origines à une mise au ban : « La femme grecque, première exclue de l’histoire du théâtre », relève ainsi la journaliste Chantal Aubry dans son ouvrage intitulé La Femme et le Travesti (éd. du Rouergue). Cette exclusion ne restera pas l’apanage des rives méditerranéennes. L’interdit frappe l’Angleterre élisabéthaine, où des hommes interprètent les Viola, Juliette, Ophélie à qui Shakespeare a donné corps. Il s’exerce avec une égale virulence en Orient, où le théâtre nô, bientôt rejoint par le kabuki, écarte les actrices de la scène japonaise dès le XVIIe siècle pour leur substituer des acteurs travestis triés sur le volet, héritiers d’emplois convoités qui se transmettent de dynastie en dynastie. Ces comédiens, que leur technique d’un raffinement inouï place au sommet de leur art, portent un nom. On les appelle les « onnagata ». Leur travail n’est pas d’imiter la femme mais de la recréer. Visage fardé de blanc, cils recourbés et lèvres peintes, ils incarnent la quintessence de la féminité. Considéré comme le plus grand travesti de son temps, Yoshizawa Ayame (1673-1729) écrivait de l’acteur : « S’il ne vit pas sa vie normale comme s’il était une femme, il ne lui sera pas possible d’être appelé un habile onnagata. » L’histoire du théâtre prouve une porosité croissante au mélange des genres Ces « hommes-femmes » (la formule est de Chantal Aubry) que n’effraie pas l’ambiguïté dans leur vie quotidienne ne sont pas les précurseurs des combats portés par les personnes LGBTQ (« lesbiennes, gay, bisexuelles, transgenres, queer »). Leur choix d’assumer à toute heure les codes féminins répond à des impératifs artistiques. Il n’empêche. L’histoire du théâtre prouve une porosité croissante au mélange des genres au point de faire de l’indifférenciation des sexes un postulat dramaturgique. « Il » et « elle » s’entrecroisent sous la plume des auteurs. Shakespeare, créant dans La Nuit des rois le rôle de Viola (une jeune femme qui échappe à la mort en se grimant en un homme prénommé Césario), est l’icône de fictions où féminin et masculin se percutent dans un vertige abyssal. La belle Olivia croit aimer Césario quand c’est en fait Viola qui est l’objet de ses soupirs. De l’autre côté de la Manche, quelques décennies plus tard, Marivaux use lui aussi de la mystification. A cette différence près que l’auteur de La Fausse Suivante, du Jeu de l’amour et du hasard ou du Prince travesti préfère intervertir les rôles des maîtres avec ceux des valets, des maîtresses avec ceux des soubrettes, plutôt que de substituer les filles aux garçons. A l’exception de sa pièce Le Triomphe de l’amour, le travesti chez Marivaux, écrit Chantal Aubry, « est un révélateur social ». Ce ne sont plus seulement les acteurs qui se déguisent sur les plateaux. Les personnages eux-mêmes endossent les habits du sexe opposé ou du puissant qui les dirige. Le travestissement devient une donnée fictionnelle subversive. Entré dans la chair textuelle du théâtre, il n’en sortira plus. Cette confusion identitaire qui contamine héros et héroïnes sert de loupe pour observer de près les rapports de force entretenus entre les hommes et les femmes. Thomas Cepitelli, spécialiste des questions de genre au théâtre, observe : « Ce qu’il y a de formidable chez Shakespeare, c’est que l’héroïne se travestit en homme pour savoir. C’est-à-dire que le savoir est supposé se situer du côté du masculin. » Loin d’être un artifice qui suscite de plaisants quiproquos, le travestissement permet de déconstruire les logiques de pensée émises sans partage depuis les rivages mâles dominateurs. C’est un outil émancipateur, dont les actrices (autorisées à investir pleinement les plateaux aux abords du xviiie siècle) ne tardent pas à se saisir. Virginie Déjazet (1798-1875) revêt plusieurs fois le costume de Napoléon, Sarah Bernhardt (1844-1923) se glisse dans celui de Hamlet avant de jouer, en 1900, L’Aiglon, d’Edmond Rostand. Le Festival 2018 s’engage auprès des féministes et des communautés LGBTQ Un siècle et dix-huit ans plus tard, le travestissement est un classique du spectacle contemporain. On ne compte plus les artistes qui aiment franchir le gué : dans les années 1970, Jean-Claude Dreyfus se rebaptise Erna von Scratch pour les besoins des spectacles de transformistes du cabaret La Grande Eugène. Puis Alfredo Arias fait scandale en attribuant à un homme le rôle d’Eva Perón, pièce de son compatriote argentin Copi. Olivier Py enfile une robe de lamé et, depuis trente ans, promène Miss Knife, son double féminin. Michel Fau, tout de rose vêtu, se coule dans la peau d’une diva pathétique (Névrotik-Hôtel). Jonathan Capdevielle porte perruque blonde, talons hauts, minijupe dans son solo Adishatz. Du côté des femmes, la traversée est moins systématique, donc moins repérable. Pourtant, c’est en partie grâce à elles que se déploieront, demain, dans l’enceinte d’Avignon, ces fameuses questions de genre. « Ce que nous vivons est une des révolutions symboliques les plus importantes du siècle, affirme Olivier Py. Liée à la révolution féministe, elle signe la fin du patriarcat. » La fin du patriarcat, rien de moins ? Comme l’explique Thomas Cepitelli, « le monde s’est construit sur la binarité homme/femme, noir/blanc, juste/vrai, etc. Dire que les frontières sont poreuses entre les classes sociales, les sexes, et même au sein de nos vies avec nos corps qui vieillissent, c’est faire vaciller ce socle rassurant qui voudrait que se tiennent, d’un côté, les hommes ou les hétéros et, de l’autre, les femmes ou les homosexuels. Ne plus savoir où placer le curseur participe de la lutte contre la domination masculine patriarcale. » “Il faut accepter que chacun se développe à sa manière et pour le bien de la société, plutôt que mettre l’individu dans une case où il cultivera son malaise”, l’artiste transgenre Phia Ménard. L’enjeu du Festival 2018 est de taille : en affirmant, depuis ses scènes, que le genre résulte d’une construction culturelle, il croise le fer avec les normes hétérosexuelles. Et s’engage auprès des féministes et des communautés LGBTQ. Certains lui reprochent son militantisme ? C’est oublier que l’art fuit les normes comme la peste. Présente à Avignon, l’artiste transgenre Phia Ménard (ex-Philippe Ménard) veut en finir avec les cloisonnements : « Il s’agit d’affirmer que nous ne sommes que des êtres en perpétuelle transformation. Cet état de transformation nourrit le théâtre. En créant l’empathie avec le spectateur, il lui donne la possibilité de s’imaginer autre que ce à quoi on le destine. C’est une façon de s’interroger sur les modèles auxquels on nous demande de nous conformer. » En optant pour la transition, Phia Ménard a perdu le fait « d’appartenir au pouvoir dans le corps d’un homme ». Mais elle a trouvé mieux : l’accès à la « sororité ». Est-ce de là qu’elle tire cette sagesse mâtinée de bon sens ? « Je n’ai choisi ni mon sexe, ni ma couleur, ni d’être hétéro, homo ou trans. Dans ces conditions-là, il faut accepter que chacun se développe à sa manière et pour le bien de la société, plutôt que mettre l’individu dans une case où il cultivera son malaise. » Ces phrases, Phia Ménard les répète au public qui l’interroge sur sa transformation. Mais, elle ne s’en cache pas, si le spectateur est de plus en plus tolérant, « il faut encore de la pédagogie ». Or le théâtre, regrette Thomas Cepitelli, n’est pas à la pointe de la lutte. « La littérature, par exemple Virginie Despentes, a beaucoup plus interrogé la question du “sexe social”, expression qui peut se substituer au mot “genre”. Seuls quelques spectacles l’ont abordée de manière poétique, intelligente et politique. C’était le cas de Gardenia, du Belge Alain Platel, dans lequel d’anciens acteurs travestis reprenaient le chemin de la scène pour raconter leur histoire. Ou de Regarde, maman, je danse, de Vanessa Van Durme, danseuse transgenre dont le monologue expliquait son choix de devenir une femme. » Il faut donc aller plus avant. Se souvenir de Jean Genet (1910-1986), qui avait écrit pour un homme le rôle de Madame dans sa pièce Les Bonnes. Invoquer Sarah Kane (1971-1999), dramaturge britannique dont le texte Purifiés donnait vie à une héroïne en transition sur fond de drame sanglant. Ouvrir les pages des fictions théâtrales à venir aux personnes LGBTQ sans que leur parcours rime avec tragédie, comme c’est encore trop souvent le cas. Normaliser des trajectoires de vie dont on espère qu’elles cesseront d’être ostracisées. « Peut-être que le Festival d’Avignon aidera à dire que ce n’est pas juste le fait de l’excentricité d’un artiste mais la réalité d’un sujet qui est une vraie question de société », espère Phia Ménard. Un jour viendra où les questions de genre traverseront les scènes sans avoir à être formulées, revendiquées, légitimées. Où le mot « genre » ne sera plus le bras armé de l’émancipation. Ce jour-là, nous vivrons dans une société de liberté et d’égalité de droits, identiques pour toutes et pour tous. Il va falloir être patient. A voir Mesdames, Messieurs et le reste du monde, de David Bobée, jardin Ceccano, Festival d’Avignon, du 7 au 21 juillet, 12h (relâche les 8 et 15), durée : 50 mn. Saison sèche, de Phia Ménard, L’Autre Scène du Grand Avignon, Vedène (84), du 17 au 24 juillet, 18h. (relâche le 19), durée : 1h30. Névrotik-Hôtel, de Michel Fau, festival de Figeac (46), 31 juillet, 21h30. www.festival-avignon.com A lire La Femme et le Travesti, de Chantal Aubry, éd. du Rouergue, 192 p., 16 €.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
April 1, 2018 7:04 PM
|
Par Pascal Paradou sur le site de RFI Publié le 29-03-2018
Pour sa 72e édition, le Festival d’Avignon présentera 47 spectacles dont plusieurs interrogent la jeunesse, la famille et le genre. Et c’est presque devenu une tradition, RFI y présentera six auteurs venus d’Afrique et d’Haïti dans le cycle de lectures Ça va, ça va le monde ! dirigé par Armel Roussel.
La conférence de presse du festival d’Avignon fait partie de ces rites qui annoncent l’été, le temps des vacances et des pérégrinations culturelles dans le sud de la France. Une mise en bouche ! Jusqu’à ce jour le secret était bien gardé et c’est Olivier Py, tel un cuistot qui « décloche », a annoncé le menu des réjouissances. 47 spectacles, dont un peu moins de la moitié sont mis en scène par des femmes, permettront de sacrées découvertes puisque 36 metteurs en scène sont invités pour la première fois au festival. C’est l’une des lignes de force de cette édition que de faire la part belle à une nouvelle génération, à l’image des deux stars actuelles de la scène française.
Thomas Jolly, 36 ans, monte Thyeste de Sénèque en ouverture du festival dans la Cour d’honneur du Palais des papes. Julien Gosselin, 31 ans, adapte trois romans de l‘Américain Don Delillo, Mao II, Joueurs, Les noms, proposant ainsi une trilogie sur le terrorisme, dans un spectacle-fleuve de 8 heures. Chloé Dabert, David Bobée, Richard Brunel, Gurshad Shaheman, Milo Rau, etc. flirtent tous avec la quarantaine donnant à Olivier Py, malgré son air d’adolescent virevoltant, des allures de patriarche, nouvellement moustachu.
Genre et singularité
Cette nouvelle génération en haut de l’affiche, la « marque Py » n’en est pas moins omniprésente. Il signe deux mises en scène : une tragédie contemporaine intitulée Pur présent dont on ne sait rien encore et une adaptation d’Antigone de Sophocle avec les détenus du Centre pénitentiaire d'Avingon-Le Pontet sur laquelle il dit que « c’est le spectacle dont il est le plus fier de sa carrière ».
La place du texte et le parfait équilibre entre classiques (Sénèque, Sophocle, Molière, Racine) et auteurs contemporains font partie de sa marque de fabrique. Enfin, le thème de cette 72e édition, le genre, lui va comme un fourreau, lui qui depuis vingt ans se travestit régulièrement sur scène pour faire vivre son personnage de cabaret Miss Knife. En résonnance avec les questions d’identité qui traversent les sociétés modernes, plusieurs spectacles témoignent ou interrogent cette autre façon d’être au monde, de le vivre, de le subir ou de le sublimer quand on n’est ni homme, ni femme, mais humain. Paroles de transgenres espagnols avec Trans de Didier Ruiz, témoignages d’hommes discriminés pour leur sexualité dans Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète de Gurshad Shaheman ou encore l’histoire d’Edward Manning devenu Chelsea Manning pendant son incarcération dans l’affaire WikiLeaks avec Pale Blue Dot d’Étienne Gaudillère. Avec ce thème, Olivier Py ne veut pas enfermer le genre à la question sexuelle, mais plutôt mettre en lumière des artistes singuliers, en rupture avec la mode du temps qui nous laisserait à penser qu’il n’y a pas d’alternative.
Un programme africain avec RFI
Côté international, cette édition verra le retour d’Oskaras Korsunovas. En mettant en scène Tartuffe, le Lituanien va redonner à Molière sa force corrosive et innovante. En Lituanie, comme dans plusieurs de ces pays de l’Europe de l’Est en proie à la morale la plus réactionnaire, dénoncer l’hypocrisie religieuse, même avec les mots de Molière, est un acte politique majeur. Place est faite aussi à l’Égypte et au monde arabe avec Mama d’Ahmed El Attar ou au musicien Abdullah Miniawy.
L’Afrique quant à elle, après le Focus de 2017, se fait discrète avec un seul spectacle, Ben et Luc, mené par un duo de danseurs burkinabè, Ben Salaah Cisse et Luc Sanou. En ces temps de Francophonie exaltée jusqu‘au plus haut sommet de l’État, le temps fort pour les artistes africains restera le cycle de lectures de RFI, Ça va, ça va le monde !, avec six textes d’auteurs confirmés comme l’Haïtien Guy Régis Jr ou l’immense poète congolais Tchicaya u Tam’Si dont on commémore le 30e anniversaire de sa disparition. Sa poésie et son théâtre n’avaient pas été entendus à Avignon depuis 1976.
Ce cycle de lectures enregistrées permettra aussi de retrouver Edouard Elvis Bvouma auréolé du Prix RFI Théâtre et dont la pièce La poupée barbue partira ensuite à la fin de l’année dans une dizaine de capitales africaines grâce à une tournée orchestrée par l’Institut français.
Le cycle de lectures de RFI, Ça va, ça va le monde !
14 juillet : La poupée barbue, d’Edouard Elvis Bvouma / Cameroun. Lauréat du Prix RFI Théâtre 2017.
15 juillet : Les cinq fois où j’ai vu mon père, de Guy Régis Junior / Haïti
16 juillet : Que ta volonté soit Kin, de Sinzo Aanza / RDC
17 juillet : Retour de Kigali. Texte collectif coordonné par Dorcy Rugamba et Olivia Rosenthal / Rwanda - France
18 juillet : Sœurs d’ange, d’Afi Gbegbi / Togo
19 juillet : Le bal de Ndinga, de Tchicaya U Tam’si / Congo-Brazzaville
► Lire aussi l'entretien avec Olivier Py sur l'édition 2018 du Festival d'Avignon : «Au théâtre, la vérité est face à nous», rfi, 29/3/2018 http://www.rfi.fr/culture/20180329-festival-avignon-2018-olivier-py-theatre-verite-face-nous
Légende photo : « Ahmed revient », d’Alain Badiou et Didier Galas, création d’un spectacle itinérant proposé au Festival d’Avignon 2018. Festival d'Avignon 2018
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 28, 2018 8:04 PM
|
Par Fabienne Darge (Avignon, Vaucluse, envoyée spéciale) dans Le Monde du 29 mars 2018
Le directeur du Festival a annoncé le programme de la cuvée 2018, mercredi, dans la Cité des papes. Une édition qui mettra en avant la question du genre.
« Mesdames, messieurs et tous ceux qui se définissent autrement, bonjour. Vous savez que le violet est la couleur des évêques, mais aussi celle du féminisme, notamment parce qu’elle mélange le rose, couleur attribuée aux filles, et le bleu, couleur attribuée aux garçons », a d’emblée lancé Olivier Py.
L’édition 2018 du Festival d’Avignon, qui se tiendra du 6 au 24 juillet, sera donc placée sous le signe de cette couleur mixée. Le directeur de la manifestation en a annoncé le programme, mercredi 28 mars, dans la Cité des papes.
Plusieurs lignes thématiques s’en dégagent : la question du genre, accompagnée par celles de l’enfance, de la famille et de l’individu ; l’interrogation sur l’information et la vérité, à l’heure des « fake news » ; l’exil, le racisme et l’identité. Et c’est au jeune (36 ans) metteur en scène Thomas Jolly que revient l’honneur de l’ouverture dans la Cour d’honneur du Palais des papes : il y mettra en scène Thyeste, de Sénèque, pièce sur l’enfance et l’irreprésentable.
Du côté de la jeune garde française, on retrouvera Julien Gosselin, qui, après son mémorable 2666, en 2016, signera une autre épopée au long cours, à partir de trois romans (Mao II, Joueurs et Les Noms) dans lesquels l’écrivain américain Don DeLillo affronte la question du terrorisme. Chloé Dabert, elle, a choisi Iphigénie, de Racine. Moins jeune, mais novice à Avignon, Richard Brunel portera au théâtre le beau roman de Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer.
Le Tartuffe d’Oskaras Korsunovas Concernant les grands créateurs étrangers, la voilure est réduite. Le Belge Ivo van Hove, un habitué du Festival, revient néanmoins, en compagnie de sa formidable troupe du Toneelgroep d’Amsterdam, avec De Dingen die Voorbijgaan (Les Choses qui passent), d’après l’œuvre du grand écrivain néerlandais Louis Couperus.
Autre retour, celui du Lituanien Oskaras Korsunovas, qui présentera sa vision de Tartuffe, de Molière. Dans la jeune génération européenne, on note la présence du Suisse Milo Rau et de son International Institute of Political Murder, et de la Belge Anne-Cécile Vandalem, avec sa nouvelle création, Arctique.
C’est le chorégraphe israélien Emmanuel Gat qui investira la Cour d’honneur après Thomas Jolly, avec Story Water. L’ouverture au monde se fait plutôt, avec Olivier Py, avec les artistes du Moyen-Orient qui, une fois de plus, sont très présents : une garde venue d’Egypte et du Liban, avec à leur tête l’Iranien Amir Reza Koohestani, qui présentera Summerless.
La question du genre, entendue non seulement au sens de trans-identité, mais aussi dans celui de la construction sociale et culturelle des rôles féminin et masculin, traversera tout le Festival, mais elle sera particulièrement incarnée dans Mesdames, Messieurs et le reste du monde, le feuilleton théâtral que conduira le jeune metteur en scène David Bobée. Ainsi que dans Saison sèche, la nouvelle création de l’indisciplinaire Phia Ménard, et dans Trans (Més Enllà), du Catalan Didier Ruiz.
Outre Emmanuel Gat, la danse sera représentée par la chorégraphe allemande Sasha Waltz, avec Kreatur, par l’Andalouse Rocio Molina, par les tandems François Chaignaud-Nino Laisné et Ben & Luc (une découverte), par Jan Martens et par Raimund Hoghe, qui sera là avec deux spectacles dont une création, Canzone per Ornella.
Deux spectacles pour le jeune public Très attaché à la « décentralisation des trois kilomètres », Olivier Py a demandé au philosophe Alain Badiou d’écrire une suite aux aventures de son personnage créé dans les années 1990, Ahmed, jeune homme de banlieue à l’esprit farceur : interprété par Didier Galas, Ahmed revient sera donc joué en itinérance.
Autre dada du directeur du Festival d’Avignon, le théâtre jeune public figurera avec deux spectacles, Au-delà de la forêt, le monde, signé (en français) par les Portugais Miguel Fragata et Ines Barahona, et Léonie et Noélie, par Nathalie Papin et Karelle Prugnaud.
Il y aura aussi des ovnis dans ce Festival qui mêle les genres à tous les sens du terme : une pièce justement intitulée Ovni(s), par Ivan Viripaev et le collectif Ildi ! Eldi ; Le Grand Théâtre d’Oklahama, d’après Franz Kafka, par Jean-François Auguste, Madeleine Louarn et son théâtre Catalyse, qui travaille avec des comédiens handicapés ; Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?, une proposition où Anouk Grinberg et Nicolas Repac liront des textes de « littérature brute » ; Pale Blue Dot, une histoire de WikiLeaks, par un jeune metteur en scène, Etienne Gaudillère…
Quant à Olivier Py lui-même, il signera une création, Pur Présent, composée de trois tragédies de cinquante minutes, et présentera son Antigone, créée en 2017 avec des détenus du centre pénitentiaire du Pontet. Last but not least, Isabelle Adjani et Lambert Wilson liront, un seul petit soir, la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus.
Le Festival « off », lui, commencera également le 6 juillet, mais durera jusqu’au 29 juillet.
Pour Olivier Py, un deuxième mandat à la tête du Festival d’Avignon A 52 ans (il en aura 53 en juillet, pendant le festival), l’auteur, metteur en scène, performeur et directeur Olivier Py débute son deuxième mandat de quatre ans à la tête du Festival d’Avignon, qu’il dirigera donc jusqu’en 2021. A l’heure du clap de début de cette seconde période, il poursuit les axes définis dès sa prise de fonction en 2014, et qui orientent le festival d’Avignon vers un axe plus populaire et socioculturel que vers la création la plus pointue. Le directeur du festival signe d’ailleurs, pour le document de présentation de cette 72e édition d’Avignon, un éditorial très politique, soulignant notamment que « l’art ne peut servir seulement de consolation au tout libéral, ni de supplément d’âme à des défiscalisations, ni d’arrangement élégant et luxueux avec notre impuissance ».
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
January 29, 2018 1:00 PM
|
Propos recueillis par Joëlle Gayot pour Télérama Publié le 29/01/2018. Mis à jour le 29/01/2018 à 18h17.
Le directeur du festival d’Avignon promène sur scène depuis près de trente ans son double féminin, Miss Knife. Alors qu’il remonte sur les planches cette semaine pour y faire ses “Premiers adieux”, entretien avec le poète, metteur en scène et chanteur, autour de cet autre lui-même.
Vous définissez Miss Knife comme votre double. Est-elle aussi un fantasme, que le théâtre a rendu concret ?
Le music-hall l’a rendu concret. Je reste un homme de théâtre convaincu par l’aventure du théâtre public, dont je suis amoureux comme d’aucune autre utopie réalisée. C’est l’histoire de ma vie. Mais j’ai une double vie et j’avais la volonté d’échapper au théâtre. Ca a été via le music hall, et Miss Knife.
Pourquoi cette volonté d’échapper au théâtre ?
Parce que, en tant que poète, ça me permettait de développer une écriture plus populaire, moins savante, référentielle et noble. Et parce que, en tant que personne et artiste, avec Miss Knife je me suis plus mouillé. Il est plus difficile de faire une tournée avec ce cabaret, que ce soit à Brooklyn ou Perpignan. C’est dur et âpre. Mais j’aime cette cette dureté.
“Parmi les menaces de mort que j’ai reçues, certaines disaient : « Va faire le travelo en Corée »”
Vient-elle du fait que le spectacle a suscité sur vous un regard particulier, notamment dans des villes où le public n’était pas préparé à vous voir apparaître en robe lamée ?
Oui. C’est devenu un spectacle gender fluid, ce qui était moins le cas lorsque j’avais vingt ans. Mais j’étais, à l’époque, crédible, désirable et jolie en femme. Maintenant je joue sur autre chose, sur un personnage dont le genre est assez flou. Est-ce une vieille chanteuse ? Un travesti ? On ne le sait pas trop. Peu importe. C’est un personnage de théâtre dont la dimension politique a augmenté avec le temps. Parmi les menaces de mort que j’ai reçues quand j’ai combattu le Front National à Avignon, certaines disaient : « Va faire le travelo en Corée ». L’élément de genre était central dans la haine de mes ennemis. J’ai compris que Miss Knife était plus politique que ne l’était le Directeur du Festival d’Avignon.
Avez-vous l’impression que Miss Knife a été rattrapée par ce qui s’est peu à peu imposé dans le débat public français, c’est à dire les études de genre ?
J’ai été rattrapé, c’est vrai. Dans ma jeunesse, la politique était encore totalement structurée par la lutte des classes, et pas par la lutte contre le patriarcat. Or ces dix dernières années, dans la vie de la gauche, la lutte contre le patriarcat a pris la place qu’occupait la lutte contre le capital.
Est-ce que ça a influé sur le cabaret et les chansons que vous écrivez et interprétez ?
Non ! Parce que il y a une légèreté profonde du spectacle qu’il faut maintenir. C’est quand Miss Knife parle d’amour, de musique, d’art ou de nostalgie qu’elle est la plus politique. Je n’ai jamais voulu alourdir son discours. Ca doit rester dans une légèreté dont certains verront la profondeur politique et d’autres pas. La différence c’est que, lorsque je faisais ce spectacle à vingt ans, il ne se destinait pas aux familles alors qu’aujourd’hui je vois des enfants dans la salle. C’est sympathique.
“La Manif pour tous, c’est le passage de l’homophobie de rue à l’homophobie politique” Si l’on peut aujourd’hui amener les enfants, cela veut dire qu’il y a eu une évolution des mentalités, ce qui est curieux au moment même où l’époque est aussi à la radicalisation de certaines positions morales ?
Ce paradoxe s’analyse facilement. Je fais un détour : en 1830 les Juifs obtiennent par la République des droits de citoyen. Or, c’est là que l’antisémitisme politique commence à se constituer. On voit la même chose aujourd’hui pour les personnes LGTBTQI. Ils sont sur le point d’obtenir des droits. Or, c’est au moment où ces droits sont reconnus que l’homophobie politique se met en place. La Manif pour tous, c’est le passage de l’homophobie de rue à l’homophobie politique. Cette dernière se croit sans haine parce qu’elle est rentrée dans un processus politique et médiatisé...
Justement, continuer à proposer ce spectacle, c’est aussi prendre position. La part de légèreté peut-elle encore faire abstraction de ce contexte ?
Elle n’a jamais fait abstraction. Lorsque je sortais dans la rue à Arcachon avec une robe à paillettes, la violence était palpable. Et elle l’est toujours. On la fréquente dès lors qu’on a une revendication de genre différente. Le quotidien d’une personne Trans est un slalom à travers des actes de violence. Ce qui semblait être un discours marginal il y a 25 ans devient un débat national. C’est intéressant. Il y a d’autres travestis, chanteurs et chanteuses qui font des choses comparables à ce que je fais. Mais ce qui trouble, avec moi, c’est ma double vie ; que l’on puisse me rencontrer, cravate autour du cou, discutant la journée de convention collective avec les techniciens d’Avignon, et le soir en robe à paillettes. Ca trouble plus que si j’étais uniquement enfermé dans une étiquette.
Est-ce que ce trouble s’est accru lorsque vous avez pris les directions, très visibles, de l’Odéon et d’Avignon ?
Lorsque je suis arrivé à l’Odéon, tous mes amis m’ont dit que je n’aurai plus le temps d’écrire et que je ne ferai plus Miss Knife. C’est exactement l’inverse qui a eu lieu. Je n’en ai jamais eu autant besoin. Il y a une sorte de fantasme qui voudrait que quand on prend des responsabilités dans la vie publique, on perdrait son énergie spirituelle ou artistique. Ce n’est pas si simple.
“ Ce qui importe, c’est l’art. Pas les nominations ou les intrigues de palais ” Vous êtes même allé jusqu’à faire vos adieux à l’Odéon avec Miss Knife. Etait-ce une provocation, un pied de nez ?
Une provocation, un peu, oui. Ce que je voulais dire c’est que, ce qui importe, c’est l’art. Pas les nominations ou les intrigues de palais. Avec Miss Knife, j’étais moi-même sur scène. Et il était important que j’aille sur scène pour dire que j’étais indestructible tant que j’avais encore cette force là.
Le théâtre a toujours eu affaire au travestissement qui constitue son ADN. Est-ce que ça fait de lui un espace privilégié pour travailler cette question du genre et la faire progresser dans l’esprit des gens. Est-ce que ça le met en situation de responsabilité ?
Le théâtre est le premier à poser les questions de genre. Le premier à nous montrer que toute identité est un arc. Le seul fait de voir des hommes jouer des femmes, ce qui a été le cas des tragédies grecques et shakespeariennes, c’était en soi un discours politique. Le genre est une révolution qui n’adopte pas les modes habituels et passe par des formulations nouvelles. Le mot « genre » est une formulation complètement inédite de ce qu’est un homme et ce qu’est une femme. C’est unique. Ce mot bouleverse complètement l’idée qu’on se fait d’un homme ou d’une femme parce que, tout simplement, il sort de la sexualité. Et quand il sort de la sexualité, que trouve-t-il ? Le théâtre. On posera dorénavant la question d’homme ou de femme non en terme de sexualité ou de sexuel mais de théâtre. C’est une révolution considérable.
Trouvez-vous que les artistes de théâtre s’emparent de la bonne manière de ce sujet ?
Non. Pour ma génération, les artistes de théâtre ont été la reproduction d’une élite blanche, bourgeoise et masculine, assez peu concernée par la diversité, et le nouveau féminisme ou les questions LGBT. Je me suis trop souvent entendu dire par mes ainés néo-marxistes que ce combat n’avait pas droit de cité, et particulièrement dans le monde du théâtre, car c’était une affaire privée.
Est-ce un spectacle féministe ?
Oui. Un activiste américain a dit : « un homme apprend plus sur lui-même en mettant une robe un soir qu’en portant un costard cravate toute sa vie. » J’adore cette formule. C’est ça le féminisme. Commencez par mettre une robe et on verra après si vous êtes féministe.
A VOIR : Les premiers adieux de Miss Knife. Théâtre de l’œuvre. 55 rue de Clichy. 9ème. . 2,3,9 et 10 février. 23 h. 22 à 37 €
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
December 1, 2017 6:24 PM
|
Par Clémentine Mercier dans Libération — 1 décembre 2017
Devant la Maison de la chimie, les militantes de La Barbe, tout sourire sous leur postiche, posent pour une photo souvenir. Le groupe d’action féministe contre la domination masculine fête le succès de son action : en s’incrustant sur scène sans être invitée aux 18e Rencontres de l’énergie, La Barbe a souligné le manque d’intervenantes. Ce 29 novembre, devant une salle à 90 % masculine, l’absence féminine était criante : 25 hommes pour une seule femme seulement. Installée dans un café pour un débriefing, La Barbe publie son action sur Facebook, tweete, et évoque sa vision d’une culture plus éthique. Position qui bénéficie d’une chambre d’échos après l’affaire Weinstein et les dénonciations en cascade de violences faites aux femmes. Pour elles, c’est un «bien sombre automne pour la masculinité».
Quelques militantes étaient présentes lors de la manifestation contre la rétrospective consacrée à Roman Polanski devant la Cinémathèque française, le 30 octobre. La Barbe avait appelé à la mobilisation aux côtés d’Osez le féminisme et du Collectif féministe contre le viol. «En onze ans, à la Cinémathèque, il y a eu six rétrospectives de femmes seulement. Bon, il y aura bientôt Agnès Varda… Mais la Cinémathèque n’aurait pas dû inviter Polanski, ni Jean-Claude Brisseau. On ne peut pas distinguer l’œuvre de l’homme. Il faut connaître les biographies des auteurs», soutient Blandine, par ailleurs militante au Mouvement HF pour l’égalité femmes-hommes dans les arts et la culture.
«Muse». «Ce qu’ils ont vécu et éventuellement les crimes qu’ils ont commis conditionnent leur art. Souvent, on voit les choses sous un autre angle quand on connaît les détails biographiques», poursuit Aurore, responsable communication dans une association.«Quand on est féministe, on déconstruit les choses. Et dès qu’on réfléchit à ces questions, on ne peut plus consommer pareil», avance Alix, consultante. La militante veut transmettre ce regard analytique : «Le but de La Barbe, c’est de rendre visible. On doit être informé des condamnations, des procès en cours et même des soupçons… Les commissaires d’expo devraient aussi intégrer des éléments biographiques. Une adolescente de 16 ans doit pouvoir voir une œuvre en pleine conscience.»
Au cinéma, souvent, les membres du groupe retrouvent ce male gaze théorisé par la critique de cinéma et féministe américaine Laura Mulvey. En question : un regard masculin à l’œuvre dans les films qui placerait les femmes dans une position inférieure pour le plaisir du mâle hétérosexuel blanc. Blandine soulève les notions de séduction et de domination qui régissent les rapports hommes-femmes dans la création artistique. «En France, il y a clairement une dichotomie muse-génie qui est très prégnante.» Pour Yuri, ingénieuse, «la figure de l’auteur s’est construite contre les femmes. La Nouvelle Vague a révolutionné le cinéma avec une figure forte de l’auteur intellectuel, où l’actrice campe une muse». Une muse, selon elle, violentée. Elle se souvient encore des gifles dans Alphaville de Jean-Luc Godard, une «caricature difficilement supportable».
Les représentations seraient peut-être en train de changer, notamment avec les séries. Clémence, journaliste, se réjouit de la future féminisation du héros de la série britannique Docteur Who et rappelle que dans Star Wars, Han Solo plaque la princesse Leia contre le mur. Elle s’emporte contre les rapports de domination qui irriguent le langage : «Un baiser volé n’est-il pas un baiser non consenti ?» Récemment, elle a été voir le film Battle of the sexes et a apprécié la scène où la championne de tennis Billie Jean King demande à son amante si elle peut l’embrasser : «A ce moment précis, j’ai eu envie de me lever dans la salle et crier : "Messieurs, cela s’appelle le consentement !"»
«Autrices». Certaines évitent des auteurs : «J’ai boycotté Lars Von Trier depuis Breaking the Waves car j’ai détesté sa vision des femmes. Les révélations de Björk ne m’ont pas vraiment étonnée. Au théâtre, je privilégie des mises en scène faites par des femmes. Par des autrices», précise Blandine. Si aucune ne réclame la censure des œuvres, le groupe soutient qu’il ne fallait pas mettre à l’honneur Roman Polanski en président des césars. Et pour faire progresser la place des femmes dans la culture, Blandine suggère l’anonymat des candidatures de l’aide à la création, afin de favoriser les femmes. Car le problème majeur serait l’accès au système de financement dans une organisation «en toile d’araignée» où les femmes peinent à accéder aux moyens de production. A La Barbe, le vocabulaire est aussi important. Il faut aider les «autrices» pour «se protéger des connards». En langage féministe, on n’utilise pas le mot «con» pour insulter. On dit des «bitards».
Clémentine Mercier
Légende photo : Devant la Cinémathèque le 30 octobre. Photo Albert Facelly Le collectif féministe, qui a manifesté contre la rétro Polanski à la Cinémathèque, lutte contre les inégalités hommes-femmes, particulièrement frappantes au cinéma.
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
November 25, 2016 5:52 PM
|
Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan
A l’affiche du festival musical « Mesure pour mesure » à Montreuil, le spectacle « MDLSX » de la compagnie italienne Motus tourne autour de la personnalité de Silvia Calderoni, seule en scène, entre deux sexes.
Lire sur le blog : https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/251116/silvia-calderoni-questionne-son-identite-hors-du-commun-dans-mdlsx
Silvia Calderoni sidère, séduit, secoue, trouble au plus profond, une fois encore. Que l’on soit homme, femme, gay, lesbienne, trans, bi ou quoi que le l'on soit, elle nous perce, nous transperce. Seule en scène, – à la fois machiniste, DJ, éclairagiste et accessoiriste –, elle parle de son corps comme d’un compagnon étrange, mystérieux, instable, insaisissable. Un « monstre », lira-t-elle un jour dans un dictionnaire en y cherchant la définition d’eunuque et d’hermaphrodite. Un corps tout en violence d’affirmations non contradictoires mais complémentaires, une femme dont le double est un homme. L’histoire non achevée d’un être né femme, devenu homme à l’adolescence, et aujourd’hui actrice c’est-à-dire aussi acteur, indomptable bête de scène.
« T'es quoi exactement ? »
C’est ce que raconte MDLSX. Un spectacle qui fait du bien là où ça fait mal, une performance. Méli-mélo de mots personnels ou référentiels, de vidéos familiales, de toiles, d’écrans et de chiffons. Le va-et-vient explosé et dansé d’un corps multiple. Une salve de souffles en 23 « tracks » ou séquences brèves, chacune portée et soutenue (comme un pieu soutient un arbre menacé par le vent) par une correspondance musicale : Buddy Holly, The Smiths, The Cramps (« Human fly »), Rodriguez (« This is not a song »), Stromae (« Formidable »), Talkings heads (« Road to nowhere »), etc.
« Est-ce que je peux te poser une question ? T’es quoi exactement ? », lui demande un être de passage. La réponse ne tient pas dans un mot, un sexe, un genre. MDLSX est sa réponse. Sans fard, sans plainte. Une réponse rageuse, comme toujours dès que Silvia Calderoni entre sur une scène, un des rares endroits où elle doit se sentir bien (j’imagine), le lieu de toutes les identités possibles et de tous les travestissements.
Vingt-cinq ans de Motus
La mise en scène de MDLSX est signée Enrico Casagrande et Daniela Nicolò. Ils ont fondé ensemble la compagnie Motus il y a vingt-cinq ans, Silvia Calderoni les a rejoints en 2006. C’est l’une des meilleures troupes italiennes, connue en Europe et dans le monde entier, mais trop peu vue en France (jamais invitée au Festival d’Automne, ce qui apparaît peu croyable) malgré la création de deux de ses spectacles, l’un au Théâtre national de Bretagne à Rennes, l’autre au Festival Théâtre en mai à Dijon. Dans ce dernier spectacle, Iovadovia contest#3, autour du personnage d’Antigone, le rôle était évidemment tenu par Silvia Calderoni (lire ici). La compagnie a aussi présenté en France Alexis. Une tragédie grecque (lire ici).
Pour ses vingt-cinq ans d’existence (anniversaire marqué par une rétrospective de neuf spectacles à Bologne réunis sous le titre « Hello stranger »), Motus comptait mettre en scène Splendid’s de Jean Genet avec une distribution entièrement féminine. Mais les droits n’ont pas été accordés à la compagnie en raison du changement de sexe des personnages. Alors Magdalena Barile et Luca Scarlini ont écrit Raf-Fiche qui reprend la situation de la pièce et constitue un hommage à Jean Genet, le rôle de Jean étant tenu par Silvia Calderoni. Le spectacle vient d’être créé en Italie.
MDLSX est programmé au festival de Théâtre musical « Mesure pour mesure » organisé par le musicien (batterie) et metteur en scène Mathieu Bauer, directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil. Le spectacle se donne pour une série de neuf représentations, ce qui est juste, mais c’est hélas devenu une rareté et pas seulement pour les troupes étrangères. Au salut, Silvia Calderoni qui aura passé son temps à se déshabiller et à s’habiller, revient en jean, revêtue d’un T-shirt : « My girlfriend is a marxist ».
MDLSX, Nouveau Théâtre de Montreuil, 20h les 25, 26 et 30 nov, 21h les 28, 29 nov, 1er et 2 déc. En 2017, le spectacle tournera en Italie, Australie, Canada, Suisse, et dans deux villes françaises : Montbéliard le 12 avril, Toulon les 27 et 28 mai.
Le festival « Mesure pour mesure » continue jusqu’au 16 décembre, programme détaillé ici.
Photo : Silvia Calderoni dans "MDLSX" © Ilariascarpa
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
May 14, 2016 6:29 AM
|
Par Claire Bonnot pour son blog Aparté
Il a la grâce d'un danseur, le magnétisme d'un félin et la voix d'un songe. Gaël Kamilindi, 29 ans, diplômé du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique en 2011, enchaîne les collaborations prestigieuses depuis sa sortie de l'école - Bob Wilson, Jean-Pierre Vincent, Krzysztof Warlikowski - et s'affirme de rôle en rôle comme un comédien plein de possibilités et de sensibilité. Apartés est heureux de continuer ce cycle d'entretiens avec un comédien d'une telle générosité et qui, en une scène, a su déployer force, beauté et fébrilité et faire vibrer l'âme d'une passionnée des planches.
Actuellement au Théâtre de l'Odéon dans le « Phèdre(s)» de Warlikowski, aux côtés d'Isabelle Huppert, où il joue le premier Hippolyte aux accents innocents et bouleversants, le comédien Gaël Kamilindi continue de tracer sa fulgurante carrière avec l'enthousiasme et la curiosité des plus grands passionnés. Apartés l'a rencontré à l'Odéon, deux heures avant son entrée en scène, délicat, disponible et captivant. Entretien.
Vous jouez le bel Hippolyte dans le premier tableau, écrit par Wajdi Mouawad, du « Phèdre(s) » de Krzysztof Warlikowski. Vous êtes magnétique et bouleversant, surtout projeté en grand écran. Qui est-il cet Hippolyte multiple, entre « jeune loup » et véritable chien noir ? Wajdi Mouawad a fait une réécriture de « Phèdre(s) » à partir de Sénèque et d'Euripide sur les origines de Phèdre. Tout ce premier tableau pourrait être un rêve, un prologue de ce qui va suivre - on le voit dans les répliques d’Hippolyte, « Nous ne sommes que le prologue d’un monde plus infâme encore » - et peut-être que ce monde plus infâme encore - c'est en tout cas ce que je me raconte - pourrait être celui de Sarah Kane (le 2ème tableau). Hippolyte serait comme un adolescent en qui gronderait une révolte sourde ou bien un jeune qui, peut-être, ne supporte pas de vivre dans ce monde. Au début, on le voit dans sa chambre (le grand bocal qui apparaît coté cour) répondre à Aphrodite. Il lui dit que ce qui compte c’est la beauté. Il parle de la pornographie du monde dans lequel elle vit. Et puis, ensuite, il y a ce chien (Gaël rampe gracieusement sur la scène, vêtu d'une sorte de fourrure velue noire) qui pourrait être l’univers mental de Phèdre : elle dit « j'aimerais quelque chose de concret, plonger un couteau dans le ventre d’un chien ou me frotter à son poitrail velu. » La signification est ici très ouverte : est-ce Hippolyte qui devient le chien pour aller attiser la brûlure de sa mère à son égard, blessure intime qui va l’amener jusqu'à sa propre mort ? Les choses s’entremêlent de la même façon que la structure du spectacle se fait avec trois versions différentes.
Vous interprétez donc le mythe de l'innocence, la « PURETÉ » comme il est écrit en grosses lettres sur la scène... La pièce comprend deux Hippolyte car on est dans deux écritures différentes. L’un - celui que j'interprète - joue sur une sorte de fin d’adolescence, un jeune homme sur la brèche, à l’endroit de la bascule entre l’enfance et l’âge adulte, période à laquelle on requestionne le monde. Je joue donc l’hypersensibilité de l’adolescence, cette faille que ces êtres ressentent par rapport à la société : « adolescents anorexiques qui ne veulent pas tremper leurs lèvres dans cette société qui est imposée… ». Je joue la pureté et l’innocence d'un Hippolyte en train de basculer et qui, s’il le fait, devient fou. Il vaut donc peut-être mieux qu'il meure après tout. Le deuxième Hippolyte, lui, (Andrzej Chyra) est passé de l’autre coté, là où il n’y a plus d’espoir (dans le monde de Sarah Kane). C’est beau cette totale bascule je trouve, lorsque l'on rentre dans cet univers plus décadent où Hippolyte se masturbe toute la journée dans une chaussette (adaptation de L'Amour de Phèdre écrit par Sarah Kane).
Votre « entrée en scène » projetée sur grand écran est incroyable de sensibilité, de fureur et de beauté. Comment avez-vous travaillé cette dynamique entre le corps totalement imprégné de grâce et de fébrilité et ce phrasé frénétique et comme hachuré ?
Ma toute première scène est effectivement filmée. Dans la cabine en verre, j'ai un regard direct à la caméra (posée devant lui) et si je bouge un œil juste pour regarder le mur sur lequel est projetée l’image, ça se voit tout de suite. Donc je n’ai aucune idée de ce que ça rend. Comme je réponds au monologue d'Aphrodite (Isabelle Huppert en perruque de « blondasse » et toute de cuir vêtue), il faut avoir une écoute particulière pour que ma réponse puisse résonner de la façon la plus juste.
Ça fait quoi d'avoir une scène d’amour (sublime et là aussi projetée en grand écran) avec Isabelle Huppert ?
C’est vraiment un plaisir, un honneur et une grande chance de pouvoir partager le lit de ma belle-mère qui se trouve être Isabelle Huppert. Une fois dépassé le fait que c’est Isabelle Huppert, qu’elle a la carrière qu’elle a, qu’il y a tout ce qu’on sait d’elle - il se dégage effectivement une telle aura autour d’elle, c'est une véritable athlète du jeu - on est dans un rapport de travail, on devient partenaire, collaborateur d’un spectacle, et on défend tous ensemble un projet. Donc oui, ça reste toujours intimidant, ça fait toujours quelque chose bien sûr et j'en profite tous les soirs. Je vis ce beau moment au présent.
Lire l'article entier : http://www.apartestheatre.com/apartes/2016/5/3/interview-gael-kamilindi-jai-ce-fantasme-du-jeune-acteur-que-je-suis-de-vouloir-messayer-a-tout
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 21, 2016 4:02 PM
|
Après les Oscars, la question de la sous-représentation des acteurs noirs s’étend au théâtre français. Un univers où la plupart des comédiens sont de bonnes familles et blancs. Alors qu’il y a belle lurette que la société française est "arc-en-ciel".
Comment expliquer cet état de fait? Le sociologue Éric Fassin estime que la monoculture blanche sur les scènes de théâtre relève en partie d’un déni de réalité.
Lancée par les metteurs en scène Stanislas Nordey et Stéphane Braunschweig, l’initiative "Atelier Premier acte" entend bien changer la donne, pour qu’enfin le théâtre donne une vision réaliste et multicolore de la société française. Ces deux figures majeures du théâtre français d’aujourd’hui soutiennent les acteurs noirs qui étaient jusque-là cantonnés à des stéréotypes.
Par Wolfgang Kabisch
Voir la vidéo du reportage : http://www.arte.tv/magazine/metropolis/fr/le-theatre-francais-est-il-trop-blanc-metropolis
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 17, 2016 6:37 PM
|
Eva Doumbia, metteur en scène d' "Une traversée aux disparus" au théâtre de la Criée à Marseille.
La Traversée 3 spectacles
Insulaires 29 mars Création à La Criée Textes de Jamaïca Kincaid, Fabienne Kanor
Deux auteures majeures pour deux monologues de femmes puissantes qui racontent deux moments de l’histoire des Antilles. Un parcours littéraire et musical où Eva Doumbia fait résonner magnifiquement le passé et le présent d’une histoire mal traitée, souvent oubliée.
La Vie sans fards (précédé de) Ségou 30 mars d’après Maryse Condé
L’oeuvre de Maryse Condé a embrassé l’histoire des Noirs, sur trois continents, des premiers jours de l’esclavage jusqu’aux décolonisations. En adaptant La vie sans fards, l’autobiographie de Maryse Condé, Eva Doumbia entremêle récit, musique et chants pour conter l’entrée en écriture de cette femme exceptionnelle. Des extraits de Ségou, l’oeuvre maîtresse de Condé, formeront un prélude à cette épopée : trois portraits de femmes noires dans la complexité de leurs destins comme une métaphore de cette vie littéraire aux prises avec l’Histoire.
La Grande Chambre 31 mars Texte de Fabienne Kanor
Où sommes-nous ? Dans un parloir ? Au tribunal ? Dans une chambre d’hôtel en 2013... Le Havre, qui s’enrichit jadis de la traite négrière semble avoir oublié son passé. Une femme « antillaise de France » fait alors entendre ce que fut l’histoire de ses ancêtres, ces premiers « Noirs de France », domestiques achetés au statut d’homme libre.
Compagnie La Part du Pauvre, Fondée en 2000 par la metteure en scène Eva Doumbia, la Compagnie La Part du Pauvre/Nana Triban s’applique à rendre visible les diversités culturelles en France et en Europe aujourd’hui, et tisse des liens poétiques, des collaborations artistiques avec le Continent Africain, les Caraïbes et les Amériques. Elle met en scène des auteur(e)s contemporain(e)s noir(e)s, en grande majorité des femmes, qui permettent la narration d’une histoire commune perçue sous un angle différent. Elle raconte des histoires intimes imbriquées dans la grande Histoire migrations, métissages, esclavage, révoltes, emprisonnements, amour.
Intervenants : Eva Doumbia : metteur en scène Gerty Dambury : dramaturge, metteuse en scène, romancière et poétesse française
|
Scooped by
Le spectateur de Belleville
March 5, 2016 5:22 AM
|
Par Clémentine Gallot dans Libération :
Il y a comme une odeur de chawarma au royaume du Danemark : Rodrigo García prépare dans un kebab d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) une version condensée et métissée d’Hamlet. Riche en clins d’œil à la culture populaire, la pièce, baptisée Hamlet Kebab en référence au Hamlet-machinedu dramaturge allemand Heiner Müller, sera filmée et retransmise en direct dans une salle de cinéma du MK2 Bibliothèque, à Paris, trois soirs de la semaine.
Bête noire des milieux catholiques radicaux depuis Golgota Picnic, le metteur en scène argentin, né en 1964, directeur depuis 2014 du CDN de Montpellier, est un habitué de la transgression contemporaine et paroxystique. Pour la première fois, il appréhende avec des amateurs un texte classique et, surtout, s’improvise cinéaste, le tout selon un timing «très stressant» de quelques semaines.
Pour mettre sur pied cet Hamlet aux allures de règlement de comptes familial à l’estaminet du coin, l’équipe répète soirs et week-ends après les heures de bureau chez Ayal, restaurant turc situé dans le quartier populaire des Quatre-Chemins, où une foule mélangée côtoie des vendeurs à la sauvette. Dans la grande salle sont disposées des tables et des chaises ainsi qu’un poste de télévision, face au comptoir, où l’on sert brochettes et boulettes d’agneau. Sur une table traînent des menottes en fourrure rose qui serviront aux ébats du couple royal maudit formé par Gertrude et Claudius. La régie qui monte en direct s’est installée en coulisses dans l’arrière-salle où elle reçoit les images captées par trois caméras.
Escrime. L’équipe artistique compte huit comédiens et une dizaine de figurants. Elle a redoublé de trouvailles pour investir chaque recoin du kebab, la grande table pour les discours, les toilettes où Hamlet et Ophélie fument des joints, et même le trottoir où se tiennent des conciliabules entre rivaux. Dehors, le spectre déboule dans une rutilante voiture de tuning, déclamant : «Si tu as jamais aimé ton tendre père, venge son meurtre atroce et contre-nature !» A l’intérieur du restaurant, Hamlet porte un masque d’escrime au travers duquel le roi et la reine chuchotent à son oreille. En bonnet et bottes noirs, Rodrigo García donne des instructions à la cantonade : «Les plans larges, c’est horrible !» «On me demande souvent mon point de vue politique ou philosophique sur les spectacles, très franchement, je n’en sais rien. Je ne suis pas un intellectuel, je ne suis pas très cultivé, je divertis», évacue d’emblée le metteur en scène.
«Le kebab, c’est ce qu’on voit dehors, en allant au théâtre», résume le directeur adjoint de la Commune, Frédéric Sacard. Cette invitation à une création hors les murs a été lancée par le théâtre dans le cadre de ses «Pièces d’actualité», cycle urbain initié pour fédérer la population autour de projets culturels, qui a compté dans ses rangs le collectif allemand Rimini Protokoll ou la chorégraphe Maguy Marin. Le casting hétéroclite rassemble aussi bien un prof de lettres, Razek Salmi, qu’un chauffeur de taxi Uber, Reda Sourhou. La plupart ne sont jamais montés sur scène. Quant à Hamlet, «c’est la même histoire que le Roi Lion», s’amuse l’un des comédiens. Mamadou Traoré, 27 ans, interprète longiligne du jeune prince détraqué du Danemark, est quant à lui employé dans une bibliothèque parisienne : «J’avais déjà fait du théâtre, mais l’expérience ressemble davantage à du cinéma. Jouer Shakespeare, c’est fort. Je découvre l’histoire d’Hamlet : il n’est pas fou, juste en quête de la vérité», commente-t-il.
Telenovela. De son côté, Rodrigo García, qui se dit modestement «pas plus cinéphile que la moyenne», a dessiné à la main un story-board et proposé avec ses deux assistants bilingues, Sarah Chaumette et Laurent Berger, une version expurgée du texte d’une heure trente. La principale tirade y est ainsi résumée à l’essentiel : «Etre ou ne pas être.» «Il a travaillé sur un scénario et réfléchi aux films [la pièce a été transposée au grand écran, entre autres, par Laurence Olivier et Kenneth Branagh]», indique Laurent Berger, bien que le résultat soit sans doute plus proche de la telenovela que du Parrain. García ajoute : «Le projet est intuitif, artisanal et fragile. Il joue sur le contraste entre une œuvre du répertoire et le lieu, choisi car il représente la réalité du quartier - que je connais très mal. Cela me paraissait drôle. Le problème étant que je n’ai jamais fait ni de télé ni de direct de ma vie. C’est comme un match de foot.» Il ajoute : «Cela ne va pas être parfait, le risque est double avec des acteurs non professionnels.»
A la captation retransmise en direct s’ajoutent des scènes déjà filmées en amont, insérées au montage le soir même : par exemple, Hamlet hagard traînant le corps ensanglanté de Polonius dans les rues d’Aubervilliers, au milieu des passants. Ou encore un court film porno entre le roi et la reine. Ainsi, la scène du trépas d’Ophélie, suggérée dans le texte original, a été tournée par l’équipe, pieds nus, à la piscine municipale.
A quelques jours de la première, si l’on suppose l’expérience concluante, au moins pour ses participants, «quelle est la place du spectateur qui va voir ça dans un cinéma de Paris ?» s’interroge pour sa part Laurent Berger. Une employée du théâtre est formelle, au moins ce huis-clos culinaire «sentira la frite, c’est garanti».
Clémentine Gallot Hamlet Kebab. Pièce d’actualité n°5 de Rodrigo García au MK2 Bibliothèque, les 7, 8 et 10 mars, à 20 heures. Rens : lacommune-aubervilliers.fr
|