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Le spectateur de Belleville
June 27, 1:36 PM
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Par Calypso Joyeux dans Le Monde - 27 juin 2025 Mi-juin, le Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, accueillait le troisième cycle de découverte d’œuvres contemporaines émergentes, consacré aux écritures théâtrales étrangères.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/06/27/avec-son-bureau-des-lectures-la-comedie-francaise-offre-une-porte-d-entree-a-de-nouveaux-textes_6616153_3246.html
La salle du Vieux-Colombier, à Paris, attend le silence. Dans la scénographie de bois sombre de La Souricière, d’Agatha Christie, pièce donnée dans la deuxième salle de la Comédie-Française jusqu’au 13 juillet, ont été installées une table et deux chaises. Aristeo Tordesillas, metteur en scène, dramaturge et élève à l’académie de la Comédie-Française, dirige, ce soir de juin, la lecture d’un texte de Paco Bezerra, traduit de l’espagnol par Clarice Plasteig. Accoutumée des mots anciens, la comédienne Françoise Gillard rejoint le plateau pour prêter sa voix à un texte d’aujourd’hui. Le contemporain a toujours eu sa place à la Comédie-Française, ne serait-ce que par les auteurs dits « classiques » qui, rappelons-le, ont écrit de leur vivant pour le Français. « Aujourd’hui, un théâtre de répertoire se doit de découvrir de nouveaux textes », affirme Laurent Muhleisen, conseiller littéraire à la Comédie-Française, président du Bureau des lectures depuis sa création, en 2007, par Muriel Mayette-Holtz. Contrairement au Comité de lecture, qui décide de l’entrée de textes au répertoire, celui-ci vise la découverte des écritures théâtrales émergentes. Cinq cents manuscrits d’œuvres dramatiques sont envoyés chaque année à la Comédie-Française et étudiés par les membres du Bureau. Comédiens et comédiennes de la troupe, poétesse, bibliothécaire, responsable du service éducatif… douze personnalités originaires de différentes branches du spectacle vivant débattent des qualités théâtrales et stylistiques de leurs lectures. S’il y a des thématiques éternelles (la famille, l’amour, la mort), d’autres résonnent avec l’actualité. « Depuis quelques années, nous recevons beaucoup de textes sur la domination masculine, la guerre, le climat, la question du genre, celle qui interroge la résurgence de formes d’oppressions de type fasciste », poursuit Laurent Muhleisen. Thème de la résistance A l’issue des sessions d’échange, les œuvres retenues rejoignent une sélection annuelle lourde d’une trentaine de textes, consultable sur le site Internet de la maison de Molière. Neuf font l’objet de lectures publiques au Vieux-Colombier et au Studio-Théâtre, organisées sous forme de cycles, respectivement consacrés aux écritures françaises, jeunesses et étrangères. Ce jour de juin, c’est au tour des littératures venues d’ailleurs d’être mises à l’honneur. Les trois textes sélectionnés pour l’occasion se retrouvent sur le thème de la résistance. Le premier, Le Poisson rouge de Berlin, de Pat To Yan, provient de Hongkong. Plume en exil, Natalia Lizorkina, autrice du deuxième (Vania est vivant), a quitté la Russie en 2022, dès le début de la guerre en Ukraine. Le cycle de lecture s’est clôturé avec Je meurs de ne pas mourir (la vie double de Thérèse), de Paco Bezerra, qui raconte la réincarnation de sainte Thérèse d’Avila, courant après ses reliques. La religieuse carmélite est junkie, prostituée, stand-uppeuse, en marge pour toujours. Pour l’heure, la création de la pièce ne peut avoir lieu en Espagne, le parti d’extrême droite Vox ayant exercé une pression qui a conduit à sa censure. Chaque mise en lecture est un pari. A l’approche d’un nouveau cycle, la distribution des directeurs et des interprètes s’opère par affinités électives. Aristeo Tordesillas a été conquis par la prose espagnole franche et vive de Paco Bezerra et la « grande force » avec laquelle celui-ci parvient à « rendre des conceptualités historiques de manière très simple ». Le metteur en scène ajoute : « Quand on associe une langue piquante à des idées pointues, ça réveille. » Et cela séduit également Françoise Gillard, elle aussi membre du Bureau, qui se propose pour interpréter Thérèse. Trois après-midi de répétitions Les directeurs de lecture disposent de trois après-midi de répétitions pour « pointer les intentions, la dynamique de l’écriture sans esquisser le moindre geste scénique », développe Laurent Muhleisen. Il ne faut pas perdre de vue que le texte sera lu dans un décor qui lui est étranger. Dans l’écrin de La Souricière, sainte Thérèse rencontre Agatha Christie. Et qui sait ce que pourrait provoquer l’entrée d’une sainte sur une scène de crime ? Aristeo Tordesillas maîtrise l’angle sous lequel il aborde le personnage : « Thérèse ne construit pas son identité autour de la révolte. » Ne pensant pas comme la majorité, elle se retrouve naïvement à ébranler ce qui l’entoure. « On l’entendrait presque dire : “Excusez-moi si j’ai changé le monde. Je n’ai pas fait exprès.” » Muée en sainte Thérèse d’Avila des temps modernes, Françoise Gillard opte pour une lecture expressive. Tranchants sont les mots qui coulent de sa bouche pour faire ressortir une littérature piquée d’humour. Il arrive que de belles découvertes adviennent pour certains metteurs en scène. « A la lecture de L’Arbre à sang, sélectionné par le Bureau en 2021, le metteur en scène Tommy Milliot, qui se trouvait dans la salle, a été envoûté par l’écriture d’Angus Cerini. Il a alors décidé de monter la pièce dans le cadre d’une collaboration avec la Comédie de Béthune [Pas-de-Calais] », raconte Laurent Muhleisen. De la même manière, il sera possible de découvrir, début 2026, au Studio-Théâtre, Bestioles, texte australien de Lachlan Philpott repéré par le Bureau des lectures, mis en scène par Séphora Pondi. Le public ayant assisté aux trois lectures du cycle est invité à prendre part à une discussion de laquelle ressortira un texte coup de cœur. Ce sera celui de Paco Bezerra, cette année. Avant de quitter le Vieux-Colombier, une spectatrice applaudit la volonté de la Comédie-Française de faire entendre des écritures venues d’ailleurs. Calypso Joyeux / Le Monde
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Le spectateur de Belleville
February 20, 9:37 AM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 19 février 2025 La troupe l’aime beaucoup, il connaît très bien la maison, et son nom a très tôt circulé. Il était un candidat légitime, naturel. Cela fait des mois, sinon deux-trois ans que l’on parlait de lui pour succéder à Eric Ruf. C’est fait.
Une décision attendue, espérée, une info qui n’est pas une info, mais qui est une bonne info. La plus logique, la plus légitime. On a entendu parler d’Arthur Nauzyciel, poussé par les tutelles, si on l’en croit, de Christophe Honoré, poussé par lui-même et l’assumant, persuadé qu’un bail de cinq ans, place Colette, c’était dans ses cordes. Pour une fois on n’attend pas la dernière limite pour nommer l’Administrateur Général de la Comédie-Française et Clément Hervieu-Léger aura donc un peu plus de temps que de coutume pour dessiner l’avenir de la première troupe de France. Le communiqué du ministère, glissé entre les hommages aux morts (Rachida Dati est sans doute la Ministre qui aura eu le plus de disparu(e)s à saluer), et les chroniques de son voyage au Maroc, est clair. Par la qualité de sa rédaction, on se dit que le principal intéressé a été mis à contribution. Mais qu’importe. En ce moment, dans les trois salles de la Comédie-Française, d’excellents spectacles, très différents, enthousiasment le public. C’est ce que l’on souhaite à Clément Hervieu-Léger : l’excellence sur tous les fronts, sur tous les tons. « Sur proposition de Rachida DATI, ministre de la Culture, le Président de la République confiera à Clément HERVIEU-LEGER la direction de la Comédie-Française, en tant qu’administrateur général. Il prendra ses fonctions pour un mandat de cinq ans, à l’issue du troisième et dernier mandat de Eric RUF qui se terminera en août 2025. Formé au Conservatoire du Xe arrondissement de Paris dans la classe de Jean-Louis Bihoreau, Clément HERVIEU-LEGER fait ses premiers pas à la Comédie-Française en 2000 dans L’Avare de Molière mis en scène par Andrei Serban. Il intègre la troupe de la Comédie-Française en 2005 et il en devient le 533e sociétaire en 2018. Dès lors il est régulièrement membre du comité d’administration. » Armelle Héliot
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Le spectateur de Belleville
February 16, 4:49 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 10 février 2025 Elle est Sociétaire de la Comédie-Française, joue et chante. Il est un musicien complet, compositeur, instrumentiste et proposent ensemble, au Studio-Théâtre, « Poètes, vos papiers ! », dans la lumière de Léo Ferré. Une merveille.
Sur le plateau du Studio-Théâtre, il y a de nombreux instruments de musique. Un piano classique, un piano électrique, un accordéon, une batterie, plusieurs guitares…Jouent-ils donc tous ces instruments les deux artistes que l’on vient applaudir ? Non. Juste avant leur Poètes, vos papiers ! leurs camarades de la Comédie-Française ont repris Les Serge (Gainsbourg Point Barre) et l’on ne peut que vous conseiller d’aller les voir ou les revoir ! Ils se produisent à 18h30. Marie Oppert et Stéphane Varupenne, Sébastien Pouderoux, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Yoann Gasiorowski. Des as.
C’est pourquoi, il faut attendre 21h00 pour découvrir Poètes, vo papiers ! Véronique Vella a conçu ce moment, elle a embarqué Benoît Urbain, pour musiques originales et arrangements. Ils jouent et chantent, tous deux. Ils sont vêtus simplement : chemise blanche, pantalon noir, chaussures souples qu’ils enfilent devant nous.
Le titre fait référence au Poète (au singulier) vos papiers ! de Léo Ferré, son premier recueil de poésies, publié en 1957 (La Table Ronde). Un 33 tours comportant certains des textes paraît juste avant et la chanson viendra plus tard, en 1970.
Il est très présent dans ce récital qui se déploie en une vingtaine de chansons. Véronique Vella s’est fixée une règle : tous les textes sont des poèmes mis en musique. Benoît Urbain a composé la musique de plusieurs délicates pages. Hugo et sa Chanson, Verlaine et Ces passions..., Baudelaire et Le Vin des chiffonniers, mais aussi Marie-Noëlle, Chanson, le cher Pierre Debauche, Je me rapproche, Lucette-Marie Sagnières (moins connue, avouons-le) et Sans titre, Clarisse Nicoïdsky, Poème. Soit sept en tout, avec des tonalités heureuses, tendres, mais des zones plus sombres également, selon la tonalité des oeuvres écrites.
Parfois, Véronique Vella joue un instrument, au piano, avec lui, ou s’essaye à une belle guitare basse, celle de Benjamin Lavernhe, ou joue l’accordéon. Quant à lui, Benoît Urbain, il entre dans le jeu, disant des textes, les chantant.
Il y a des moments bouleversants, comme Ame te souvient-il ? de Verlaine sur une musique de Léo Ferré qui joue toute seule. Magnifique. Des moments classiques, comme Je chante pour passer le temps d’Aragon, plus âpres comme Une charogne de Baudelaire, très touchants comme Je dis aime d’Andrée Chedid sur une musique de Mathieu Chedid.
On n’en finirait pas d’énumérer. Véronique Vella a toujours été une voix, une grande voix et une interprète d’une finesse bouleversante.
Genet avec Hélène Martin, Artaud avec C.Richard (saviez-vous qu’il a été mis en musique?). Il y a du Norge, une magnifique chanson de Nâzim Hikmet, il y a de l’émotion, de l’intelligence, du rire.
Et il y a Pierre Mac Orlan, que l’on aime tant. Une formidable recréation en blues de J’ai dans la Caroline. Composition de Philippe-Gérard, très présent dans ce récital, arrangements de Benoît Urbain, interprétation merveilleuse de Véronique Vella.
Et puis il y a Le Pont du Nord, Mac Orlan et Philippe-Gérard. La plus triste, la plus obsédante, la plus belle, peut-être, et qui revient, lancinante, dans la tête, dans le coeur…
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel du Louvre, à 21h00 ou 15h00. Jusqu’au 2 mars. Durée : 1h15. Tél : 01 44 58 15 15.
comedie-francaise.fr
Armelle Héliot
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February 8, 8:12 AM
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Par Lucile Commeaux dans Libération - 8 février 2025 Sous la direction de Tommy Milliot, la troupe de la Comédie-Française s’empare de deux pièces de l’écrivain belge. Une fiction d’épouvante réussie, pleine de tension dramatique. C’est un spectacle double, qui commence et s’achève dans le silence et la pantomime : le visage tendu, yeux fermés et joues gonflées d’un vieillard ; les bouches grimaçantes de tout un chœur. Sur le plateau du Vieux-Colombier, Tommy Milliot et la troupe de la Comédie-Française travaillent la prose de Maeterlinck moins comme une langue que comme une matière sonore et lumineuse, quelque chose qui s’extrait à peine du silence et des ténèbres pour y retourner aussitôt, comme une cavité dans un souterrain ou une lueur dans un ciel noir. Justesse exceptionnelle Pourtant le plateau, alors que le rideau ouvre sur la première des deux courtes pièces qui composent le spectacle, paraît bien civilisé : de grands pans de bois aux tons chauds entourent une salle à manger sobre qu’éclaire une lampe à la lumière légèrement vacillante. Dans l’Intruse, publiée en 1890, le jeune écrivain belge Maurice Maeterlinck, précurseur du symbolisme en théâtre, campe une famille qui attend. Une jeune femme est dans une chambre attenante, malade. C’est le soir, on discute de choses et d’autres, autour du grand-père aveugle, qui est de plus en plus persuadé, sans qu’on sache pourquoi, qu’il va se passer quelque chose de terrible. Les Aveugles, plus longue, plus peuplée, met aussi en scène l’imminence de quelque chose de terrible. Exit la salle à manger : la structure de bois accueille désormais des colonnes et de grandes marches, sur lesquelles est assis un groupe de non-voyants, femmes d’un côté et hommes de l’autre, abandonnés loin de l’hospice par le prêtre qui les menait, sans qu’ils sachent pourquoi ni pour combien de temps. Si le décor rappelle une sorte de temple grec, aucun dieu ne vient à la rescousse des êtres de Maeterlinck : les ténèbres dans lesquelles ils errent deux heures durant, et les visions qui paradoxalement les agitent, n’ont rien de mystique. Nul recours, nulle pitié pour eux, et le spectacle double conduit doucement son public aux confins d’une terreur sourde. Une fiction d’épouvante à bas régime s’élabore dans ce décor qui bientôt n’a plus rien de rassurant, sans haut cri, presque sans déplacement. Bakary Sangaré en particulier, trouve dans le rôle du grand-père aveugle de l’Intruse une justesse exceptionnelle. Il insuffle ainsi une sorte d’affolement statique qui rend – c’est peut-être une légère faiblesse du spectacle – la première pièce bien plus belle et saisissante que la seconde, où l’ennui guette parfois, menaçant de rompre la tension dramatique. Décor riche et signifiant C’est qu’il faut composer avec la pauvreté de ces textes écrits à l’os, dans un dépouillement antilyrique radical. La force de la proposition de Tommy Milliot réside grandement dans ce qu’il a choisi précisément un décor riche et signifiant pour y élaborer, en chimiste, une matière composée de signes, de musique et de lumière mêlés. Les comédiens chantent presque le texte qui devient, au contact d’une bande sonore composée d’accords orchestraux, de musique électronique, et du tic-tac d’une horloge bourgeoise, une sorte de partition bouclant les vaines interrogations des personnages. C’est comme une brume dont on s’extrait finalement, et dont on garde longtemps quelques impressions ouatées. «L’Intruse» et «les Aveugles» de Maurice Maeterlinck, mise en scène par Tommy Milliot, avec Bakary Sangaré, Gilles David, Dominique Parent, Claïna Clavaron, Charlotte Clamens… Au théâtre du Vieux-Colombier Comédie-Française jusqu’au 2 mars. Lucile Commeaux / Libération Légende photo : Bakary Sangaré en particulier, trouve dans le rôle du grand-père aveugle de «l’Intruse» une justesse exceptionnelle. (Photo : Christophe Raynaud de Lage)
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Le spectateur de Belleville
November 30, 2024 3:34 AM
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Par Clément Ghys dans M le magazine du Monde - 30 nov. 2024 PORTRAIT En dix ans à la tête de la Comédie-Française, l’acteur, metteur en scène et scénographe a profondément transformé l’institution théâtrale. Fin connaisseur de la maison, il a su y apaiser les tensions, et a contribué à la dépoussiérer. A quelques mois de passer le flambeau d’administrateur général, il s’attaque à l’œuvre monument de Paul Claudel, «Le Soulier de satin ».
Lire 'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/11/30/eric-ruf-l-homme-qui-a-insuffle-un-vent-nouveau-a-la-comedie-francaise_6421510_4500055.html
Marina Hands a arrêté de fumer. Elle a également cessé de boire de l’alcool et de manger du sucre. L’actrice met toute son énergie pour préparer un marathon. Mais la course dans laquelle elle s’apprête à se lancer est d’un genre particulier, elle durera plusieurs heures. Sept heures trente exactement, sur la scène de la salle Richelieu de la Comédie-Française, à Paris. A partir du 21 décembre, la 542e sociétaire de l’institution sera Dona Prouhèze, l’héroïne du Soulier de satin, monumentale pièce de Paul Claudel datant de 1929. Des onze heures prévues par le texte intégral, le metteur en scène Eric Ruf en a gardé les deux tiers. L’action, un amour impossible au temps des conquistadors, se déroule sur vingt ans et sur plusieurs continents. Les dialogues évoquent la foi catholique et la recherche de l’absolu, la grandeur de l’art et le poids du péché. Ce sera dur. « Eprouvant, même, précise la comédienne. Il faut adorer le théâtre pour accepter une chose pareille. » Elle sourit : « C’est mon cas. » Avec elle, ils seront une vingtaine, débutants comme vétérans, à interpréter rois d’Espagne, grandes dames de la cour, suivantes, soldats et aventuriers… Tous vêtus par le couturier Christian Lacroix, tous impressionnés par cette œuvre tentaculaire et tous très fiers. Comme Birane Ba, 29 ans, dont la vocation est née quand, collégien en sortie scolaire, il était venu à la Comédie-Française. « Dans une vie d’acteur, on se dit qu’on ne jouera jamais Le Soulier de satin. Là, on atteint le Graal. » Pièce mythique du répertoire La pièce est si longue, si complexe à mettre en scène, qu’elle a rarement été montée. Un bon mot circule à son sujet, tantôt attribué à Jean Cocteau, tantôt à Sacha Guitry. Sortant d’une représentation du Soulier de satin, l’un des deux aurait lancé : « Heureusement qu’il n’y avait pas la paire. » La première a eu lieu dans le Paris occupé, en 1943 à la Comédie-Française, mise en scène par Jean-Louis Barrault, qui reprend la pièce quelques années plus tard, à l’Odéon. En 1987, Antoine Vitez marque les esprits au Festival d’Avignon et Olivier Py propose sa version au Théâtre de la Ville, en 2003. La pièce est un mythe du théâtre hexagonal, la baleine blanche des metteurs en scène. « Ecoutez bien, ne toussez pas et essayez de comprendre un peu. » Le soir du 21 décembre, l’apostrophe de Claudel aux spectateurs lancera la course. En coulisses, Eric Ruf observera chaque détail. L’administrateur général de la Comédie-Française depuis 2014 sait que ce Soulier marque une étape dans sa carrière. A 55 ans, l’acteur, metteur en scène et scénographe, sociétaire depuis 1998, vit ses derniers mois à la tête de l’institution. Le 4 août 2025, son mandat arrivant à son terme et la durée totale de sa mission ne pouvant excéder onze ans, il quittera son poste. Après une décennie à tenir le gouvernail de la plus vieille institution théâtrale française, Le Soulier de satin est sa bulle d’air, son bouquet final. Dans son bureau aux murs couverts du trombinoscope de la troupe et où le célèbre portrait de Molière en costume antique semble le surveiller, ses yeux de félin s’animent quand il parle de Claudel. Depuis ses années de jeunesse, quand, débarqué de Belfort, il avait intégré le Cours Florent après des études d’arts appliqués, il a « joué et rejoué, écouté et réécouté cette langue lumineuse et mystique, profonde et drôle ». Claudélien comme d’autres sont shakespeariens, il dit avoir eu l’idée de monter Le Soulier de satin au printemps 2021, alors que l’épidémie de Covid-19 avait fermé les salles. Une lecture intégrale de la pièce par plusieurs comédiens de la Comédie-Française a alors été filmée et diffusée sur YouTube. « Ça aurait pu être l’Odyssée, la Bible, la Torah ou le Coran… » La journaliste Laure Adler, grande connaisseuse du théâtre et admiratrice d’Eric Ruf, se réjouit de voir « ce grand metteur en scène se lancer dans un pari supposément impossible. Il en a les capacités, avec son sens inouï de l’apaisement et de la diplomatie ». Calmer les ego La paix. C’est ce qu’avait promis Eric Ruf en 2014. L’institution est complexe et son fonctionnement unique au monde. La troupe, colonne vertébrale de la Maison de Molière, comporte deux grades, les pensionnaires, aujourd’hui au nombre de 23, et, au-dessus, les sociétaires, actuellement 38. Ce sont ces derniers qui votent pour l’admission des premiers au rang de sociétaires. Les rivalités peuvent être tenaces. A l’administrateur général la charge de veiller au bon fonctionnement, de calmer les ego. Il s’agit aussi d’équilibrer la programmation des 900 représentations annuelles, d’organiser les agendas, d’alterner classiques du répertoire et auteurs contemporains. A cela s’ajoute la supervision des trois salles : Richelieu, place Colette, le Studio-Théâtre, situé dans le Carrousel du Louvre, toutes deux dans le 1er arrondissement parisien, et le Vieux-Colombier, dans le 6e arrondissement… Il faut aussi encadrer les 400 employés de la maison, divisés en plus de 70 métiers, dont beaucoup au sein des ateliers de décors et costumes. Au début des années 2010, la Maison de Molière vit un moment compliqué. Administratrice générale depuis 2006, Muriel Mayette-Holtz (nommée par Jacques Chirac en 2006 et renouvelée par Nicolas Sarkozy en 2011) est contestée par la troupe, qui lui reproche son interventionnisme et ses choix artistiques. Le Français n’a plus la cote dans le paysage du théâtre contemporain, assurent sociétaires et critiques. En 2014, à l’issue d’un pataquès digne d’un vaudeville qui a vu s’opposer les défenseurs de Muriel Mayette-Holtz et plusieurs candidats, le président François Hollande nomme Eric Ruf (sur proposition, comme il se doit, du ministre de la culture, à l’époque Aurélie Filippetti). S’ouvre une décennie de plus grande sérénité et de succès pour la Comédie-Française. L’héritage de Vitez Après vingt-trois ans d’absence, la troupe fait son retour dans la cour d’honneur du Palais des papes, à Avignon, avec une adaptation du film Les Damnés, de Luchino Visconti, mise en scène par Ivo van Hove en 2016. D’autres grands noms du théâtre contemporain viennent monter des spectacles, comme les Français Julie Deliquet et Christophe Honoré, l’Allemand Thomas Ostermeier, la Brésilienne Christiane Jatahy. Récemment, en arrivant place Colette, Laure Adler a vu Eric Ruf accueillir les spectateurs. « La file d’attente était très longue et il passait de l’un à l’autre pour les rassurer, dire que cela n’allait pas durer. Eux ne le reconnaissaient pas, mais il tenait son poste, comme un artisan. » Le tableau en évoque d’autres, célèbres dans l’histoire du théâtre français : Peter Brook, qui, jusqu’à sa mort, en 2022, déchirait lui-même les tickets à l’entrée des Bouffes du Nord (Paris 10e) ; Ariane Mnouchkine, elle aussi systématiquement présente pour accueillir le public à l’entrée de la Cartoucherie de Vincennes, servant de la soupe après une représentation et remboursant les spectateurs si la pièce avait été mauvaise ; Antoine Vitez, obsédé par l’idée d’un « théâtre élitaire pour tous », écoutant les réactions du public à la sortie de Chaillot. Antoine Vitez… Ce sont ses traces qu’Eric Ruf essaie aujourd’hui de suivre. Mort en 1990 à l’âge de 60 ans, figure majeure du théâtre, connu pour avoir interprété les classiques de manière nouvelle, formé des générations d’acteurs et de metteurs en scène, son nom est encore omniprésent dans les conservatoires comme à la Comédie-Française (dont il a été l’administrateur de 1988 à sa mort). Ruf a monté en 2022 La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, trente-deux ans après Vitez, dans la même salle Richelieu. Et le voici qui dirige Le Soulier de satin, cette même pièce grâce à laquelle Vitez a, en 1987, bouleversé le public du Festival d’Avignon. Le comédien Marcel Bozonnet (administrateur général du Français de 2001 à 2006) revoit encore « les spectateurs, emmitouflés dans des couvertures, et, au lever du jour, les hirondelles qui s’envolent au-dessus des acteurs ». Eric Ruf, qui ne l’a pas vu à l’époque, en parle comme s’il s’agissait d’un épisode mythologique : « Les acteurs s’endormaient en coulisses, à même le sol. Il fallait les enjamber, comme des corps dans un champ de bataille, pour rejoindre les planches de la cour d’honneur. » Il s’inscrit à sa manière dans cette histoire. Pour le rôle de Don Pélage, le mari de Dona Prouhèze, qu’Antoine Vitez lui-même tenait en 1987, il a choisi Didier Sandre, qui, il y a près de quarante ans, était Don Rodrigue, l’amour impossible de Prouhèze. « Ce personnage est celui dont on me parle le plus, il n’a cessé de m’accompagner, confie le comédien au regard intense. Eric me fait un cadeau en m’offrant celui de Pélage, dont je découvre, des années après Antoine, la force. » Le théâtre est aussi fait de ces histoires intimes… La Dona Prouhèze d’Antoine Vitez, Ludmila Mikaël, est ainsi la mère de Marina Hands. « J’avais 12 ans, j’ai le souvenir précis d’être la seule enfant dans le public, raconte cette dernière. C’était vivant et c’était drôle. » Chef de troupe et mentor Comme son modèle autrefois, Eric Ruf fait aussi vivre des acteurs émergents. Ce qu’il était d’ailleurs lui-même à son arrivée dans la troupe, en 1993. « Des jeunes premiers aussi impressionnants, on n’en avait pas eu depuis bien longtemps », sourit Marcel Bozonnet. Aujourd’hui, pour le rôle de Rodrigue, il a choisi Baptiste Chabauty, entré à la Comédie-Française en novembre 2023 en tant que pensionnaire et qui s’apprête à jouer pour la première fois dans la salle Richelieu. « Et pas avec n’importe quel rôle ! C’est beau d’être, à peine arrivé, plongé dans une telle histoire du théâtre », sourit l’acteur à la longue silhouette et aux cheveux blonds décolorés – « Je ne les aurai plus dans Le Soulier, Eric me l’a demandé », précise-t-il.
Avec sa haute taille, son autorité naturelle, Eric Ruf joue à merveille le rôle de chef de troupe qui tente de désamorcer les moments de tension avec une blague. En répétition, ce jour d’octobre dans un sous-sol du théâtre, une expression de Claudel, « reprendre son âme », déstabilise les comédiens. « Je n’y comprends rien, s’amuse Eric Ruf. Est-ce qu’il y a des catholiques dans la salle ? » Surtout, il apprécie d’être un mentor. « Je m’adapte aux acteurs, explique-t-il. Marina, que je connais très bien, est comme un pur-sang pour qui je dois trouver le bon terrain. Avec Baptiste, c’est différent. » Il lui donne des conseils pratiques. « Dis le texte sans y penser, comme si tu récitais une formule mathématique. Deux plus cinq fois quatre plus cent divisé par six… » Baptiste Chabauty s’exécute. Le metteur en scène lui demande d’élever la voix : « Pense au public. Il est là depuis cinq heures, il s’endort. Il faut le réveiller un peu. » Même attention pour Edith Proust, la petite nouvelle de la troupe, entrée en avril. Elle joue la suivante de Dona Prouhèze. La jeune femme est impressionnée. « Mais je suis avec des pros, sourit-elle. Marina, une très grande dame du théâtre, m’emmène. Et Eric me guide. » Quand, au cours d’une scène, elle fait tomber une chaise, le metteur en scène fait une plaisanterie, comme pour la rassurer : « On va la laisser comme ça, on dira que c’est ma scénographie. » Des comédiens « bankables » au cinéma En dix ans, il a fait entrer de nombreux pensionnaires. Sa plus grande fierté est « l’ouverture à la diversité » : « C’est Marcel Bozonnet qui avait lancé cet élan révolutionnaire. Je l’ai suivi. Des acteurs noirs comme Birane Ba, Claïna Clavaron, Séphora Pondi ou Sefa Yeboah sont arrivés. C’est capital de les considérer comme ce qu’ils sont, d’excellents comédiens, et de leur donner des rôles classiques. » Ainsi de Birane Ba, qui s’apprête à jouer plusieurs rôles, dont celui du vice-roi de Naples. Il salive déjà à l’idée de ces moments où, assis en coulisses entre ses scènes, il ne perdra pas une miette des interprétations de ses camarades. Les jeunes assistent, fascinés, à l’aisance de leurs aînés. Ainsi de Serge Bagdassarian, sociétaire haut en couleur. Il répète une scène comique, puis décrit son costume : « Christian Lacroix m’a dessiné une gambas royale. C’est merveilleux. Mon chapeau ? Un Annapurna ! » Eclat de rire général.
Eric Ruf tient à faire de ces répétitions joyeuses le symbole de l’esprit apaisé qu’il a voulu insuffler à la Comédie-Française. Longtemps, la troupe s’est écharpée au sujet des « congés », ces moments accordés par l’administrateur général, au cours desquels pensionnaires et sociétaires allaient jouer dans d’autres théâtres ou dans des films. La direction doit trouver le bon dosage entre des absences à volonté, qui font exister la troupe par le biais de la mention « de la Comédie-Française » dans les génériques, et un agenda plus contraint, nécessaire à un bon fonctionnement. « Quand je suis arrivé, seule une poignée de sociétaires tournait des films. Aujourd’hui, ils sont partout », se réjouit Ruf. Certes, les grands noms (Denis Podalydès, Guillaume Gallienne, Michel Vuillermoz…) brillent, mais d’anciennes jeunes pousses ont réussi à se faire une jolie place : Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux… Au point que certains ont même quitté la Comédie-Française pour se consacrer au cinéma, tels Rebecca Marder, en 2021, et Laurent Lafitte, en 2024. Eric Ruf est ravi : « La troupe est bankable pour les directeurs de casting. » Quel successeur pour le « jardinier » Ruf ? Mais c’est une autre audition, très discrète, qui se joue en ce moment. Le Tout-Paris de la culture s’interroge sur le nom de son successeur, qui sera désigné par le locataire de l’Elysée. Le producteur de spectacles Jean-Marc Dumontet, proche du couple présidentiel, assure que « Brigitte et Emmanuel Macron sont des passionnés de théâtre et de la Comédie-Française ». « Ils s’y rendent souvent et le président suit de très près le dossier », dit-il. Selon l’usage, la nouvelle nomination devrait être annoncée peu de temps avant le départ d’Eric Ruf, soit au début de l’été. Dans les couloirs de la Comédie-Française ou à la terrasse du Nemours, café de la place Colette où la troupe a ses habitudes, on se perd en conjectures. L’acteur et metteur en scène Clément Hervieu-Léger, 47 ans, serait candidat et aurait les faveurs de la troupe. D’autres noms, qui ne sont pas issus du Français, circulent. Les questions se multiplient : Emmanuel Macron suivra-t-il, sur ce sujet précis, la proposition de la ministre de la culture, Rachida Dati ? Et écoute-t-il Guillaume Gallienne, l’une des rares personnalités culturelles présentes à son investiture, en mai 2022 ? Ou l’acteur et metteur en scène Christian Hecq, dont il apprécie le travail ? Eric Ruf, de son côté, se dit « prêt à donner son avis » au ministère ou à l’Elysée : « Je pourrais faire mine de ne pas vouloir savoir, mais nous avons la chance d’avoir une maison qui va bien. Autant en profiter pour que le tuilage se déroule correctement. » Il sait qu’à un moment « la tutelle [le ministère et l’Elysée] va me demander mon avis ». A-t-il un candidat en tête ? Il assure que non. Il se souvient de ses propres mots à François Hollande, lors de son entretien de candidature : « Vous avez le choix entre un jardinier et un paysagiste [Eric Ruf, donc, et le metteur en scène Stéphane Braunschweig]. Entre quelqu’un qui n’est peut-être pas révolutionnaire, mais qui connaît très bien le terrain, qui sait comment réagit l’humus, qui a l’historique des lieux, et un autre qui a une magnifique vision d’ensemble, mais qui risque de faire des erreurs avec les plantes. » Le pragmatisme l’avait emporté. L’époque est-elle la même ? Il ne répond pas, mais semble pencher pour qu’un « jardinier » – quelqu’un de la troupe – lui succède. Et donc, Clément Hervieu-Léger. « Par les temps qui courent, assure Eric Huf, Il faut savoir naviguer dans le monde politique, avoir quelques numéros de téléphone. Les montées de sève idéologiques, ce n’est pas nécessaire. » Sans le démentir, Laure Adler précise néanmoins : « C’est formidable que des jeunes metteurs en scène, des gens qui ont une vision nouvelle, candidatent à la Comédie-Française. Cela dit la vitalité de l’institution. » Jean-Marc Dumontet, adepte du « en même temps » macroniste, assure qu’il faut « mêler la tradition et l’audace ». Incertitudes budgétaires et politiques La réalité, elle, est incertaine. En avril, dans le cadre d’une baisse de crédits de 204 millions d’euros pour le ministère de la culture, la Comédie-Française s’est vue amputée d’une enveloppe de 5 millions d’euros, le budget de 24,6 millions d’euros devant être conservé pour l’année 2025. D’autres institutions parisiennes (l’Opéra, le Louvre, les théâtres nationaux de Chaillot et de la Colline, entre autres) ont également été affectées. Eric Ruf connaît « les coups de bambou des décisions budgétaires ». « La très grande déception » de ses mandats, comme il dit lui-même, aura été l’échec de la Cité du théâtre, ambitieuse opération lancée par François Hollande en 2016, visant à réunir sur le site des Ateliers Berthier (Paris 17e), le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, de nouveaux espaces pour le Théâtre national de l’Odéon (déjà présent dans les lieux) et une nouvelle salle pour la Comédie-Française. Le budget ayant explosé et les pouvoirs publics étant terrifiés par des accusations de parisianisme, le projet a été abandonné à l’automne 2023. « Je ne peux que souhaiter au Français d’avoir, enfin, cette nouvelle salle tant attendue. » En deux mandats, Eric Ruf aura vécu deux élections présidentielles, au cours desquelles Marine Le Pen a, à chaque fois, accédé au second tour. Lui-même a, à plusieurs reprises, évoqué la figure de son père, cardiologue à Belfort, homme de haute culture et adhérent du Front national (aujourd’hui Rassemblement national). En mai 2017, dans l’entre-deux-tours, il écrit dans Le Figaro une tribune où il raconte, « pour l’avoir vécu (intimement), ce que donneraient des générations nourries au lait empoisonné du Front national ». Il confie alors : « Mon père était un homme peu aimable, je l’ai aimé, je suis son fils, mais il m’a malheureusement légué une grande part de ses angoisses et de son incapacité au monde. (…) Mon métier, le théâtre, m’a sauvé. » En 2027, son successeur verra-t-il sa tutelle passer à l’extrême droite ? Place Colette, l’angoisse est la même que dans les autres institutions patrimoniales (Le Louvre, l’Opéra…), où l’on craint l’ingérence d’un pouvoir qui les instrumentaliserait et en ferait les modèles d’une culture française étroite et cocardière. Richelieu dans « Les Trois Mousquetaires » La dernière du Soulier de satin aura lieu le 13 avril. Quelques mois plus tard, Eric Ruf quittera Molière et son bureau. Il assure ne pas savoir ce qu’il va faire. Diriger un autre théâtre ? « Aucun ne vaut la Comédie-Française. » Il ne balaie pas l’idée de prendre la tête d’une école, d’une maison d’art lyrique. Devenu sociétaire honoraire au Français, titre prestigieux, il aimerait continuer d’y jouer et d’y faire des scénographies. Il voudrait faire plus de cinéma : l’exposition que lui a apportée son rôle du cardinal de Richelieu dans les deux volets des Trois Mousquetaires (2023), de Martin Bourboulon, n’est pas pour lui déplaire. Sur un mur qui jouxte le bureau de l’administrateur général, une plaque de marbre porte le nom de tous ceux qui ont dirigé la troupe, de Molière à Muriel Mayette-Holtz, Antoine Vitez inclus. Il n’y a plus de place pour aucun nom. Un panneau sera alors installé sur le mur d’en face, avec celui d’Eric Ruf inscrit en lettres dorées. Il sera en bois. « Le marbre, ça fait monument aux morts. Là, c’est une page qui se tourne et une autre qui s’ouvre. » Pour lui comme pour la troupe. Clément Ghys / Le Monde Légende photo : Eric Ruf Photo © BENJAMIN MALAPRIS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »
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Le spectateur de Belleville
October 11, 2024 12:24 PM
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Reportage de Fabienne Darge dans Le Monde - 11 oct. 2024 Pendant dix mois, dans les vastes hangars des ateliers de Sarcelles, dans le Val-d’Oise, des dizaines d’artisans spécialisés ont réalisé les éléments de scénographie imaginés par Eric Ruf pour la pièce de Nicolaï Erdman. Lire l'article sur le site du "Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/11/dans-les-coulisses-de-la-fabrication-des-decors-du-suicide-a-la-comedie-francaise_6349323_3246.html
Une pièce géniale entre au répertoire de la Comédie-Française : Le Suicidé, satire grinçante et drôle de la Russie stalinienne, écrite par l’auteur Nicolaï Erdman (1900-1970) en 1928. Eric Ruf, l’administrateur de la maison de Molière, qui est aussi scénographe, signe le décor de cette nouvelle création, à voir à partir du vendredi 11 octobre, salle Richelieu, à Paris. Nous avons suivi pendant plusieurs mois la production de ce décor de A à Z, de la conception à l’installation sur le plateau. 31 janvier. J − 254. Les joies de la maquette Un matin froid d’hiver, la Comédie-Française bruisse de l’excitation qui accompagne les nouveaux projets. Sous la coupole de verre et de métal, cocon en plein ciel surplombant la salle Richelieu, l’ensemble des métiers de la maison est réuni pour découvrir la maquette du décor qui sera réalisé pour Le Suicidé, de Nicolaï Erdman, mis en scène par Stéphane Varupenne. La première du spectacle est programmée pour le 11 octobre. « C’est toujours un moment très symbolique, très joyeux », dit Eric Ruf. L’administrateur de la Comédie-Française, en plus d’être acteur et metteur en scène, est aussi un scénographe reconnu, et c’est lui qui a conçu le décor de cette nouvelle production. « Mais c’est aussi un moment important sur un plan beaucoup plus concret, ajoute-t-il. Tout part de la maquette, pour la construction d’un décor, et elle doit être la plus précise possible, sinon on le paie plus tard, avec des retards de production. » Voilà donc l’objet, une boîte noire comme une maison de poupée, qui reproduit, à l’échelle 1/33, les proportions de la cage de scène de la Comédie-Française. Un décor à géométrie variable, avec ses fonds et ses doubles-fonds, dont Eric Ruf manipule les éléments, notamment les pièces de mobilier grandes comme des boîtes d’allumettes, avec un plaisir évident. A l’heure de la 3D, il fait partie des scénographes qui continuent à fabriquer leurs maquettes eux-mêmes, entièrement à la main. Il les bricole dans son grand bureau d’administrateur général, où s’entassent, dans un coin, colle et peinture en bombe, bouts de bois et de carton, ciseaux et cutters. « J’ai besoin de cette dimension artisanale, sensible, qui s’accorde mieux aux décors que je conçois, qui ont toujours un côté de bric et de broc. Et j’ai besoin de construire la boîte pour prendre la mesure de l’espace à remplir. La 3D est encore peu utilisée pour les maquettes de théâtre : elle est géniale pour les équations techniques, mais peu disante pour les matières et les couleurs. » Dans la conception d’un décor, tout part bien sûr du projet du metteur en scène, de la vision qu’il a de la pièce. « J’ai choisi de situer Le Suicidé à l’époque et dans le contexte où il a été écrit, en 1928 en Union soviétique, explique Stéphane Varupenne. Je ne voulais pas l’inscrire dans le contemporain pour ne pas établir de parallèles trop faciles. On a travaillé sur tout un imaginaire, sur cette ambiance particulière des appartements communautaires dans lesquels vivent les personnages. J’avais cette idée de la poupée gigogne – présente dans tous les intérieurs russes –, d’une boîte dans une boîte dans une boîte. Il y a dans l’écriture d’Erdman une grande netteté par rapport à l’espace, comme s’il était intégré à sa mécanique dramaturgique. Je voulais que l’on puisse jouer avec les faux-semblants, que tout ne soit pas ce qu’il paraît être, aussi bien qu’avec l’esthétique kitsch communiste. On est toujours dans cette pièce sur la frontière entre la réalité et la fiction, entre la vie et la mort, il y a une dimension à la fois très concrète et fantasmatique, kafkaïenne. » A charge pour Eric Ruf de traduire ces intuitions du metteur en scène en une « boîte à jouer » qui laisse toute leur place aux acteurs et à la fluidité du spectacle. « Un décor à la Comédie-Française, c’est un faisceau de contraintes, explique le directeur technique de la maison, Benoit Simon. En raison du système de l’alternance en vigueur au Français, où plusieurs spectacles sont joués et répétés alternativement au long de la semaine, une scénographie chez nous doit pouvoir se monter et se démonter en une heure, ce qui a de nombreuses implications. » « J’ai un rapport d’acteur avec le plateau de la salle Richelieu, où j’ai beaucoup joué depuis mon entrée au Français, en 1993, et je conçois toujours des espaces dans lesquels j’ai envie de jouer », assure Eric Ruf en manipulant les petites boîtes de son décor gigogne. L’administrateur ne cache pas son goût pour les espaces qui ont l’air d’avoir vécu, sur lesquels s’est déposée la marque du temps, et celui du Suicidé n’échappera pas à la règle, le contexte de la Russie soviétique de la fin des années 1920 étant du pain bénit pour les amateurs d’atmosphère décatie. « On va encore faire des patines formidables à Sarcelles », s’enthousiasme Eric Ruf en concluant cette présentation de décor. 8 mars. J − 218. Dans la caverne d’Ali Baba Sarcelles ? Les ateliers décor de la Comédie-Française y sont installés depuis 1974, dispatchés entre quatre hangars sur quelque 5 000 mètres carrés. Trente-deux personnes y travaillent en permanence, réparties entre le bureau d’études, les ateliers (menuiserie-construction, décoration-peinture-sculpture, tapisserie et serrurerie), la machinerie et le stockage. Une immense caverne d’Ali Baba, un lieu palimpseste où, sur les hauts murs du bâtiment principal, se côtoient les toiles peintes de précédents spectacles, formant des recompositions mystérieuses. Après sa présentation à Richelieu, la maquette d’Eric Ruf a migré ici, pour être interprétée, décryptée, mise à l’échelle et en plans par le bureau d’études, que dirige Cyril Thébaud, qui est aussi le directeur technique adjoint de la Comédie-Française. « Nous sommes un des rares bureaux d’études existant dans le théâtre français, explique-t-il. Dans notre cas, c’est indispensable : nous sommes obligés de tout dessiner, tout mettre en plans pour avoir la plus grande précision et la plus grande efficacité possibles. Cette contrainte que nous avons de devoir monter et démonter plusieurs décors par jour en raison de l’alternance ne nous laisse pas le droit à l’erreur. Avant même de se demander comment on va construire, on doit d’abord se demander comment on va ranger ces décors multiples, ce qui a une implication sur le choix des matériaux et sur l’agencement entre les différents éléments d’une scénographie. » En cette journée de mars, Eric Ruf est à Sarcelles pour y choisir les matériaux, les couleurs, les textures, qui seront utilisés pour traduire le décor tel qu’il l’a rêvé. Sur les grandes tables de bois tachées de peinture sont posés de multiples nuanciers de couleurs, et de gros cahiers sortis de la « matériothèque », où sont conservés des échantillons de toiles des précédents spectacles. Il faut deux heures au patron de la Comédie-Française pour choisir, parmi les propositions faites par ses équipes, le bon plancher – « un sol à l’ancienne de salle de sport ou de danse » –, le bon torchis pour figurer un mur mangé par le salpêtre, le verdâtre peu ragoûtant souhaité pour un carrelage, ou la matière et la couleur d’un rideau de douche. Sans compter le cercueil qui est un des éléments-clés de la pièce : faut-il le fabriquer pour l’ajuster à la taille du comédien – Jérémy Lopez – qui va interpréter Sémione Sémionovitch, l’antihéros du Suicidé, ou en sortir un des réserves, et le customiser ? Doit-il être en bois brut, avec les implications dramaturgiques que cela suppose ? Faut-il le capitonner ? « Le choix des matériaux est complexe, détaille Benoit Simon. Les décors doivent être légers, solides et facilement manipulables. Au théâtre, rien n’est ce qu’il a l’air d’être, et nos artisans sont des maîtres en matière de trompe-l’œil : une poutre métallique va être faite en bois, de même que pour des éléments de carrelage, le verre est proscrit, et va être figuré par du Plexiglas ou du cristal… Les choix se sont complexifiés depuis quelques années, avec la multiplication des normes écologiques et de sécurité : tous les textiles et les bois doivent être ignifugés, et il n’est pas toujours évident de trouver des colorants et des matériaux plus naturels qu’avant. » « Avec les décors d’Eric Ruf, on s’amuse beaucoup, se félicite Thérèse Perrot, la cheffe de l’atelier décoration-peinture. Il veut toujours que ses espaces aient l’air d’avoir vécu, on a donc un gros travail de patine, que l’on doit réinventer à chaque fois, en concevant de nouveaux mélanges et de nouveaux outils. On fait du vieux avec du neuf… » 25 juin. J − 107. Le carrosse et la citrouille Du vieux avec du neuf ? En cette journée de juin, le chantier est entré dans une nouvelle phase. Ça ponce, ça pique, ça coud, ça cloue, ça agrafe, ça boulonne et ça reboulonne de partout, dans une ambiance de ruche. « On va y arriver, mais on n’est pas en avance, soupire Cyril Thébaud. Avec Eric Ruf, il y a toujours beaucoup de travail, beaucoup de surfaces à traiter. » La plupart des éléments de base sont désormais construits, à l’image des murs à cour et à jardin, du mur de face, et du petit théâtre dans le théâtre, monté sur une estrade, qui est au cœur du décor pendant les deux premiers actes. Mais Eric Ruf, passé la veille, a trouvé le décor « trop propre, trop lisse ». Branle-bas de combat. « Il veut que tout soit beaucoup plus cracra », résume Cyril Thébaud. Dont acte. Marion Dassonville, peintre à l’atelier décoration, va ainsi passer son après-midi à « salir » le carrelage de la salle de bains du kommunalka (appartement partagé). Sur un échafaudage sont disposés des seaux remplis de différents « jus », très dilués, à base de peinture acrylique, qu’elle projette et travaille ensuite à l’éponge, au chiffon ou à la brosse pour figurer les couches de crasse. « On peut y aller, affirme-t-elle. C’est comme le maquillage : au théâtre, les lumières écrasent ce qui peut paraître trop appuyé vu de près. » « Marion, c’est Cendrillon à l’envers : elle transforme le carrosse en citrouille », la chambrent ses collègues, laissant la jeune femme imperturbable dans son travail pour créer de toutes pièces la saleté déposée par le temps. Pendant ce temps-là, Cyril Thébaud doit faire face à un autre problème. Dans un coin du décor, Eric Ruf a prévu un tas de planches et de gravats, un bête tas de bricoles que personne ne va remarquer, mais qui va participer à la perception de la vie sous la Russie stalinienne. Or, le tas ne peut en aucun cas être réassemblé tous les jours, dans le cadre d’un montage de décor qui doit avoir lieu en moins d’une heure. Il faut donc le construire. Cyril Thébaud se gratte la tête. « Je ne vais quand même pas faire un plan pour un tas ? Allez, on le fait en direct. » Et le voilà, avec trois de ses collègues, en train d’assembler, de clouer et de fixer la chose. Dans le même après-midi, sont validés un certain nombre d’accessoires, comme le cheval d’arçons du gymnase qui apparaît au troisième acte, ou le calicot de la salle des fêtes. Aucun détail de texture ou de couleur n’est laissé au hasard, sous la houlette de Dimitri Lenin (un nom prédestiné pour travailler sur une pièce sur la Russie stalinienne), l’assistant à la scénographie d’Eric Ruf. « Tous ces détails, le spectateur n’en aura pas conscience directement, mais ce sont eux qui, touche après touche, vont créer une atmosphère », justifie le jeune homme, qui a constitué de gros mood boards en allant se plonger dans les archives russes pour trouver des photos d’époque, et « nourrir l’imaginaire » de l’ensemble de l’équipe. Pour autant, et c’est là la noblesse paradoxale de leur métier, assurent-ils, les techniciens des ateliers n’interprètent pas les propositions du scénographe. « Ils restent, par fonction, dans le suivi scrupuleux et opiniâtre de sa volonté et des plans fournis par le bureau d’études. Leur véritable signature est l’absence de signature, elle est dans l’art de se fondre, de se conformer, d’épouser fidèlement. Cette vertueuse discrétion n’a pourtant rien d’une simple et arrangeante soumission et dépend d’une remise à niveau constante. Il faut beaucoup d’art pour ne pas le manifester, il faut une main très sûre pour ne pas laisser voir son geste. Nombre de techniciennes et de techniciens des ateliers de construction emploient la moindre heure perdue pour ne pas “perdre la main”, pour donner forme à ce qui n’a pourtant pas vertu à être regardé », écrivait Eric Ruf dans une note de présentation des ateliers en 2021. 4 octobre. J − 7. « Vas-y, charge ! » 9 heures du matin, salle Richelieu à la Comédie-Française. Le grand plateau de 19 mètres sur 16 est vide. La salle aussi, dans la magie de ses fauteuils de velours rouge et de ses ors, rendus à leur dimension un peu fantomatique. A 8 heures, le décor du Malade imaginaire, qui jouait la veille au soir, a été démonté. La cage de scène à nu laisse voir les niches qui, au fond et sur les côtés de la scène, servent à ranger les décors des différents spectacles qui jouent en alternance. Sur une des porteuses, ces longues perches de métal accrochées dans les cintres, qui servent à descendre et à remonter les éléments de décor, est accrochée une toile peinte représentant un paysage des Alpes suisses – vestige d’un autre spectacle, L’Avare, vu par Lilo Baur. Il s’agit maintenant de monter le décor du Suicidé, pour la répétition de l’après-midi. « Vas-y, charge ! », lance un technicien. « Charger », dans le jargon du théâtre : faire descendre des décors ou des accessoires des cintres. Les deux murs latéraux de la boîte conçue par Eric Ruf descendent, suivis par le mur de face, qui pèse plus de 1 tonne, et mesure 15 mètres sur 7. « A Richelieu, nous disposons de cinquante-deux porteuses, qui peuvent porter chacune 800 kilos, explique Balthazar Lesage, le régisseur général, à la tête d’une équipe de trente machinistes pour ce montage. Elles sont maniées par les cintriers avec un boîtier électronique, et elles peuvent bouger à une vitesse de plus de 2 mètres par seconde. Pour le mur de face de ce décor, on utilise en plus ce qu’on appelle un “ponctuel”, un autre appareil de levage qui a une capacité de 500 kilos. » « Vas-y, charge ! » – on entendra l’expression tout au long des deux heures que durera le montage. « On est encore en rodage, mais quand on l’aura dans les pattes, on le montera en dix minutes, ce gros machin », blague Balthazar Lesage. Une « ferme » – c’est-à-dire un élément de décor entier – en forme de poutre métallique descend et vient s’encastrer impeccablement entre les deux murs à cour et à jardin. Peu à peu, les éléments s’emboîtent les uns dans les autres, comme dans une maison de poupée géante. Le petit théâtre dans le théâtre situé sur l’avant-scène, qui pèse 850 kilogrammes, a, lui, été mis sur des élingues (des sortes de câble) qui sont actionnées par des poulies, pour pouvoir le faire glisser dans les coulisses de fond de scène à la fin du deuxième acte, où il disparaît du décor. Une fois tous les éléments en place, les accessoiristes entrent en scène. Ils forment une équipe de huit personnes, installée à Richelieu, et qui dispose de sa propre caverne d’Ali Baba, située dans les sous-sols de la maison. « Pour cette production, on a eu beaucoup de matériel à réunir, à chiner, à récupérer dans les réserves et souvent à retransformer, raconte Christophe Demoulin, qui dirige l’équipe. Beaucoup de valises, de boîtes, de cadres, de photos, de bibelots, pour arriver à rendre cette atmosphère russe un peu vieillotte, que l’on a travaillée avec Dimitri Lenin. On cherche souvent sur Leboncoin pour trouver des objets qui ont une patine, à l’image des poupées russes installées sur l’étagère de Sémione Sémionovitch. » A 11 heures, tout est en place, à quelques détails près. Deux heures auparavant, il n’y avait rien, et là tout un monde se déploie, qui vous emmène dans un autre temps. Deux heures, et plus d’un an de travail, depuis les premiers moments où Eric Ruf a rêvé, dessiné et construit la maquette de son décor. Une centaine de personnes à l’œuvre à tous les niveaux artistiques, techniques et administratifs de la maison. Un budget de 60 000 euros pour les matériaux. La Comédie-Française est une exception, une des rares maisons à pouvoir encore se permettre ce genre d’aventures, pour créer le sentiment du temps, le mentir vrai du théâtre. Une illusion consentie et éphémère, qui en fait toute la beauté. Fabienne Darge / Le Monde Légende photo : L’installation des décors du « Suicidé », dans la salle Richelieu, à la Comédie-Française, à Paris, le 4 octobre 2024. NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE » https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/le-suicide-2425
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Le spectateur de Belleville
June 29, 2024 1:38 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 29 juin 2024 Reportage lors des répétitions de la pièce montée par le directeur du Festival, Tiago Rodrigues, à partir du texte d’Euripide, avec la troupe de la Comédie-Française.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/29/festival-d-avignon-dans-les-sables-mouvants-d-hecube-pas-hecube_6245431_3246.html Tout filait vite, ce 23 mai, dans la salle de répétition de la Comédie-Française : « J’aimerais qu’on joue depuis le prologue et jusqu’au plus loin dans le texte », suggérait Tiago Rodrigues aux acteurs, qui aussitôt enchaînaient les scènes sur un tempo soutenu. Une semaine plus tard et un étage plus haut, salle Richelieu, la même équipe prenait cette fois le temps de dénouer les répliques une par une. Or des répliques, il y en a beaucoup dans Hécube, pas Hécube, première pièce qu’écrit (et met en scène) le directeur du Festival d’Avignon pour la troupe de la Comédie-Française. En un prologue, quatorze scènes et un épilogue, Hécube, pas Hécube va et vient du poème d’Euripide au drame humain né de la plume de l’auteur portugais. Un chassé-croisé d’écritures antique et contemporaine auquel l’artiste ajoute cette touche personnelle qui est devenue sa marque de fabrique : le théâtre dans le théâtre. « C’est l’histoire d’une comédienne qui joue une tragédie alors qu’elle en vit une dans sa vie. » Tiago Rodrigues connecte le sort d’Hécube, reine de Troie qui réclame justice pour le meurtre de son fils, à celui de Nadia, une comédienne qui porte plainte pour maltraitance de son enfant autiste. Le glissement d’une héroïne à l’autre est le nerf d’un spectacle qui pourrait bien entraîner le public vers une profusion d’à-pics émotionnels. « Hécube nous permet de saisir la force de l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils, explique le dramaturge. Ce qui m’intéresse, c’est de chercher comment une actrice qui sait cette tragédie par cœur peut mieux faire face aux coups du sort, comment le théâtre peut aider dans la vie. » Elsa Lepoivre est l’une et l’autre de ces mères en colère, dont la dignité ne concède rien au pathos. Autant dire qu’il lui faut se dissocier en permanence sans jamais s’égarer, quitte à frôler une forme de schizophrénie. Cette partie de ping-pong exige une concentration de chaque seconde : « Lorsque j’aurai construit mon parcours de A à Z en balisant chacune de ses étapes, alors je pourrai plonger dans l’émotion, la laisser déferler et puis la contenir la seconde suivante avant, de nouveau, de la pousser au plus fort », raconte la comédienne. Shoot de stress Fin mai, à Paris, elle doit encore mémoriser un texte rendu peu de jours avant par l’auteur. Une livraison tardive, à laquelle les comédiens du Français ne sont pas habitués. « Moi qui arrive toujours au premier jour des répétitions texte su, je consacre mes week-ends à apprendre ma partition », explique Elsa Lepoivre. Pas question, donc, de relâcher l’attention. Ce léger shoot de stress ajoute du piment au travail. Denis Podalydès a beau avoir tout (ou presque) connu du théâtre, lui aussi apprivoise « l’inconfort » que génère, dit-il, une pièce « parfois mouvante ». Cette instabilité le stimule, même si le défi l’effraie : « Je dois à un moment faire mine de lire sur mes paumes ouvertes le rapport très technique de plaintes déposées au tribunal, ce passage me terrorise. » Le sociétaire chemine sur une trajectoire parallèle à celle empruntée par Elsa Lepoivre. Il porte sur ses épaules les rôles d’Agamemnon et d’un procureur. Soit les deux hommes de loi auxquels se confrontent les mères. A un mois de sa création dans l’enceinte minérale de la Carrière de Boulbon, à quelques kilomètres d’Avignon, le spectacle se modèle non seulement mot à mot, mais aussi geste à geste. Un placement dans l’espace qui n’est pas ajusté et les équilibres se rompent. A qui s’adresse la parole ? Par où passe l’énergie ? Comment circulent les sentiments ? Tout est affaire de spatialisation. Jeunes pensionnaires, sociétaires aguerris, pas un qui ne se tienne aux aguets dans le dispositif. Nouvelle recrue de la maison où elle a fait ses débuts en 2021, Séphora Pondi observe ses aînés d’un œil attentif. « Ça va mieux aujourd’hui, mais au début, j’étais terriblement intimidée. » Elle ne tremble pourtant pas lorsqu’il lui faut, nécessité du récit oblige, pousser Elsa Lepoivre dans ses retranchements. Comme ses camarades, elle aussi change de peau plusieurs fois au cours de la représentation. Elle va même jusqu’à troquer des habits d’avocate au service d’une cause noble pour ceux, moins glorieux, d’éducatrice maltraitante. « Je ne sais pas pourquoi Tiago m’a distribuée dans deux rôles aux antipodes », sourit-elle. Monumentalité Le décor est planté : une longue table de travail, des chaises, des tulles en fond de plateau (ils ne seront pas présents à Boulbon, seulement dans les théâtres en intérieur) et l’impressionnante sculpture d’une chienne qui pointe sa truffe à plus de 3 mètres du sol. « Cette monumentalité est une réponse à la Carrière et à l’ampleur de la tragédie », explique le metteur en scène. Au pied de l’animal dont la verticalité évoque le divin, les humains se débattent. Au total, sept comédiens donnent vie à seize personnages. Lorsqu’il parle des interprètes, Tiago Rodrigues dit avoir l’impression d’entraîner le Real Madrid (l’excellence du foot, selon lui). A cette troupe de haut vol, il n’a pas eu à expliquer sa façon de concevoir le théâtre. « Je propose un voyage entre différents niveaux de discours, de temporalités et de réalités. Non seulement ils ont tout de suite compris mon projet mais en plus, ils sont force de proposition. » S’il signe la mise en scène, il ne ferme pas la porte aux idées qui surgissent du plateau. « Le principe qui m’anime est qu’un problème est toujours l’antichambre d’une trouvaille. » Celle-ci naît de cogitations collectives, quitte à interrompre le cours de la répétition, s’asseoir à même les planches, tourner et retourner les pages de la brochure, essayer une action, en tenter une suivante, jusqu’à ce que se dissipe le nœud sur lequel butaient les acteurs. Loïc Corbery, en tennis, jeans et tee-shirt, arpente la salle Richelieu d’un pas vif. Il assume avec jubilation d’être le salaud de l’histoire. Il est Polymestor, celui qui a assassiné froidement le fils d’Hécube. Un rôle « sombre et cruel », qu’il délaisse pour devenir un fourbe plus policé, mais aussi destructeur : un secrétaire d’Etat sourd aux plaintes de Nadia et à travers qui l’auteur fait le procès d’une institution défaillante. Corbery navigue lui aussi du lyrisme de la tragédie à l’âpreté du drame contemporain. « Le but est de montrer à quel point les choses diffèrent peu d’Hécube à Nadia », note-t-il. Ce glissement perpétuel entre l’hier et l’aujourd’hui donnera le « la » d’une représentation qui évolue d’état en état. Légèreté de comédiens qui jouent à jouer, douleur immémoriale des mères, froideur du politique face à l’ardeur de l’intime. Huit ans après avoir joué Les Damnés (d’après Visconti) dans la Cour d’honneur du Palais des papes, la Comédie-Française fait son grand retour à Avignon, dans une carrière de pierre où rien n’entrave le libre cours des pensées, des rires et, parions-le, des larmes du public. Joëlle Gayot / Le Monde Hécube, pas Hécube. Texte et mise en scène de Tiago Rodrigues. Avec la troupe de la Comédie-Française : Eric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Elissa Alloula, Séphora Pondi. Carrière de Boulbon, les 30 juin, 1ᵉʳ, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 15, 16 juillet à 22 heures. En tournée du 26 juillet au 31 janvier 2025. Durée : 2 heures. Légende photo : Eric Génovèse, Elissa Alloula, Séphora Pondi et Denis Podalydès dans « Hécube, pas Hécube », le 10 juin. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE
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Le spectateur de Belleville
April 10, 2024 4:03 PM
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Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 10 avril 2024 TTT Très Bien L’autrice Claudine Galea et la metteuse en scène Laëtitia Guédon revisitent le mythe. Face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé – Hécube, Calypso, Pénélope – on découvre un Ulysse tiraillé entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour. Jusqu’au 8 mai au théâtre du Vieux-Colombier.
C'est un spectacle-poème, un spectacle-rituel comme on n’en voit peu. Comme peu d’artistes ont le courage d’en rêver, d’en écrire, d’en mettre en scène en nos temps où l’emportent les obsessions et angoisses quotidiennes. Sauf que les mythes disent autant nos tourments que la photographie théâtralisée de nos existences actuelles. Depuis longtemps passionnée par ces légendes visionnaires, Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages à Paris, a l’habitude de commander à des dramaturges des pièces qui s’en inspirent. Ayant déjà travaillé sur la guerre de Troie (Troyennes. Les morts se moquent des beaux enterrements, en 2014), cité rayée de la carte par les Grecs sous prétexte d’y récupérer la belle Hélène, elle a ainsi demandé à Claudine Galéa, un texte sur Ulysse, tiré d’Homère. Et c’est merveille de redécouvrir grâce à la belle autrice féministe, un modèle masculin qu’on a tant dit « rusé, ingénieux, sagace, divin, unique, brillant, vaillant, avisé, subtil et à la langue de miel », et qui se révèle ici face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé — Hécube, Calypso, Pénélope — dans toute sa violence forcenée comme sa vulnérabilité, son désarroi comme sa solitude. Sur le sable pâle qui couvre la scène, le blanc squelette d’une énorme tête de cheval. Symbole de l’immense statue de bois laissée aux Troyens sur la plage par les Grecs faisant mine de s’enfuir après dix ans à assiéger la ville. Une ruse d’Ulysse : la statue est pleine de guerriers qui ravageront Troie dès qu’elle y sera emportée. Et sur le plateau, le crâne bougera selon les trois femmes confrontées à Ulysse dans une langue à la fois archaïque et pleinement actuelle, brutale et douce, incantatoire et guerrière. Derrière le squelette, un immense écran vidéo, comme un tableau aux couleurs changeantes et lancinantes : Laëtitia Guédon est fille du peintre martiniquais Henri Guédon (1944-2006). Un héros clé de notre humanité Tout au long du spectacle, se promènera encore de la salle à la scène le chœur chanté d’Unikanti, pour accompagner la tragédie. Ou plutôt la révéler. Car Hécube (Clotilde de Bayser, impressionnante de puissance meurtrie), Calypso (la spectaculaire Séphora Pondi, éclatante de sensualité), Pénélope (la lumineuse Marie Oppert) vont ici rendre Ulysse à sa vérité trop souvent tronquée. Face à celle qui lui a été donnée en butin comme esclave, Hécube, épouse aux dix-neuf enfants du roi de Troie Priam (la plupart massacrés par les Grecs), le premier Ulysse (Sefa Yeboah, étonnant tragédien) prend conscience de sa rage destructrice et combien l’instinct de mort, la mort même lui sont intimes. Face à l’amante Calypso qui aura su le retenir amoureusement sept ans avant de le laisser repartir, le second Ulysse (Baptiste Chabauty) endure le doute, l’angoisse de la séparation, le questionnement sur le retour, l’amour. Face à Pénélope, enfin, celle qui l’aura attendu vingt ans et sur laquelle, justement, le temps n’a plus de prise, le troisième Ulysse (Éric Génovèse, bouleversant) découvre l’énigme d’une existence : « qu’est ce que nos yeux nous empêchent de voir ? / qu’est-ce que nos paroles remplacent ? / as-tu remarqué : / dans l’obscurité le silence est plus vaste / le repos plus grand », lui murmure l’épouse. Prélude à une vie nouvelle, à la mort ? « Marchons », ainsi Pénélope conclut-elle cette épique traversée, où l’on aura avec beauté redécouvert un héros clé de notre humanité, de ceux qui ont forgé des millions de petits hommes après lui. Au travers de ses femmes délaissées ou maltraitées, Claudine Galea interroge majestueusement la masculinité. Non sans compassion et tendresse pour cet Ulysse ballotté entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour, toujours en quête de femmes protectrices que raconte vaillamment Laëtitia Guédon. Sacrée et dérangeante odyssée… Fabienne PASCAUD - Télérama Le texte est publié aux Éditions espaces 34. 13,50 euros.
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Le spectateur de Belleville
April 4, 2024 6:35 PM
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Par Olivier Milot dans Télérama - 4 avril 2024 INFO TÉLÉRAMA – Sous pression de Bercy, le ministère de la Culture est contraint d’effectuer 28 millions d’euros de réduction de subventions. L’Opéra et la Comédie-Française sont les plus touchés. Le couperet est tombé. Les grandes institutions culturelles qui doivent mettre la main à la poche pour financer en partie les 96 millions d’euros de baisse de crédits du ministère de la Culture dans le secteur du spectacle vivant savent désormais à quoi s’en tenir. Le plus touché est l’Opéra de Paris qui voit sa subvention réduite de six millions d’euros. Sans doute pour le récompenser d’avoir dégagé pour la première fois depuis six ans un bénéfice en 2023 (2,3 millions d’euros). « C’est une nette amélioration mais cette performance ne pourra pas être reproduite tous les ans », avait pourtant prévenu son directeur général Alexander Neef. La Comédie-Française est elle aussi lourdement ponctionnée puisqu’elle perd cinq millions d’euros sur une subvention de 25,5 millions. Un coup dur pour la prestigieuse institution qui ne dispose après paiement de ses coûts fixes (salaires, énergie…) que d’une marge artistique de deux millions d’euros. « Comme la Comédie-Française marche bien, qu’elle a un taux de fréquentation moyen de près de 95 % sur les quelque 900 représentations qu’elle donne chaque année, on a l’impression qu’elle est riche, ce n’est pas vrai du tout, s’agace Éric Ruf. Il faut en permanence faire un effort considérable pour arriver à équilibrer les comptes. Avec cette baisse de subvention, on a l’impression d’être complètement fragilisé. » Réserve de précaution D’autres établissements sont également touchés à des degrés divers : la Villa Médicis à Rome et la Manufacture de Sèvres pour un montant d’un million d’euros, le Théâtre de la Colline et le Théâtre national de la danse de Chaillot (500 000 euros), la Philharmonie (250 000 euros de crédit d’investissement). D’autres encore. Selon nos informations, la plupart des ces établissements ne verraient également pas la dernière tranche de leur subvention « dégelée » cette année. Cette « réserve de précaution » est généralement débloquée à l’automne et représente des montants non négligeables à l’échelle de certains lieux : 500 000 euros pour la Comédie-Française, 300 000 pour le Théâtre national de la Danse et 230 000 euros pour Le Théâtre de la Colline. « Au total, c’est une perte de 730 000 euros, soit un peu près la moitié de notre capacité de programmation », déplore son secrétaire général Arnaud Antolinos. À lire aussi : Rachida Dati envisage de “fermer certaines écoles” d’art en France « C’est beaucoup, confirme en écho Rachid Ouramdane, le directeur de Chaillot. Nous travaillons tous à plus d’élargissement et plus d’ouverture, notamment en direction des territoires fragilisés, explique-t-il. Une institution comme la nôtre dispose certes d’un ancrage parisien mais elle rayonne sur l’ensemble du territoire. Quand on touche à Chaillot, on touche un écosystème qui va bien au-delà du périmètre de nos murs. Et, c’est cela qu’on met en péril quand on baisse notre subvention. C’est incompréhensible, surtout dans le moment de tension sociale extrême que nous vivons. » Ces baisses de subventions qui n’ont pas encore été notifiées officiellement aux directions des établissements culturels, représentent en cumulé 28 millions d’euros. Pour le reste, le ministère de la Culture a, comme il l’avait annoncé, abondamment puisé dans sa réserve de précaution (47 millions d’euros), une enveloppe de crédits gelée en début d’année pour faire face aux aléas survenant en cours de gestion. Il a également utilisé ce qu’on appelle des « décrets de virement », un mécanisme qui permet de redéployer des crédits entre les différents programmes du ministère. Il est ainsi allé chercher sept millions d’euros dans le programme « livre » et sept autres dans celui dit des « industries créatives ». Ce mécano fait de baisses de subventions et de mesures techniques qui auront néanmoins un impact pour ces deux secteurs touchés, permet au ministère de la Culture « de ne pas enlever un euro au spectacle vivant en région » comme il s’y était engagé. Promesse tenue donc, du moins pour l’instant. Tant que tous les théâtres, les centres chorégraphiques, les salles de spectacles labellisées par le ministère n’auront pas touché l’intégralité de leur subvention, la prudence reste de mise. D’autant que de nouvelles coupes budgétaires sont à prévoir dans le projet de loi de finances rectificative qui s’annonce pour le mois de juin. De même si le ministère a promis à tous les responsables des établissements culturels qui voient leur subvention baisser cette année qu’il n’en ira pas de même en 2025, beaucoup se montrent circonspects sur une promesse qui n’engage que ceux qui la donne. Olivier Milot / Télérama Légende photo : La Comédie-Française perd cinq millions d’euros sur une subvention de 25,5 millions. Photo Vincent Loison/1h23 ----------------------------------------------------- par Ève Beauvallet A la suite de l’annonce d’une baisse de crédits de 204,3 millions d’euros pour le ministère de la culture, les établissements nationaux, essentiellement situés à Paris, voient leur budget 2024 amputé, de façon à réduire la casse ailleurs. Une décision qui affectera par ricochet les artistes indépendants. Depuis le décret d’annonce par Matignon et le ministère de l’Economie, fin février, de coupes historiques dans le budget de la Culture, à ventiler sur les programmes «création» (96 millions d’euros) et «patrimoine» (99,5 millions), une question planait comme une épée de Damoclès : quoi sacrifier ? Collée au pied du mur sitôt arrivée rue de Valois, la ministre Rachida Dati serait, dit-on dans son entourage, particulièrement échaudée de l’absence de concertation préalable et du fléchage imposé dans les coupes à opérer (le controversé Pass culture, lui, est entièrement préservé). En mars, la voici qui tentait cependant de rassurer un secteur qui, loin d’avoir rejeté en bloc sa nomination, avait au contraire placé en elle maints espoirs de victoire dans le jeu de bras de fer avec Bercy. Disant prendre au sérieux le degré d’asphyxie du secteur du spectacle vivant notamment, confronté à la hausse des coûts de fonctionnement de ses établissements, le ministère certifiait : «Pas un euro ne sera pris sur les crédits des réseaux et labels du spectacle vivant en région.» Traduction : c’est essentiellement aux structures parisiennes sous tutelle directe de l’Etat qu’un effort de «solidarité» sera, entre autres, imposé. Le reste des sommes à trouver sera notamment prélevé dans la réserve de précaution dont dispose chaque ministère pour faire face à l’«imprévu». Privilégier les «valeurs sûres» La logique est compréhensible : l’Etat ponctionne dans les établissements qu’il finance seul, pas dans ses «labels» déployés sur l’ensemble du territoire (scènes nationales, centres dramatiques nationaux, qui reposent sur l’association des collectivités locales). A quelques semaines du lancement d’assises nationales dévolues à la culture en ruralité, l’opération permet en outre, par ricochet, de conserver un semblant de cohérence. Ainsi, plusieurs navires amiraux de la capitale apprenaient-ils ces jours derniers l’ampleur exacte de l’amputation dans leur budget 2024 : 6 millions de crédits en moins pour l’Opéra de Paris, 5 millions pour la Comédie-Française, 3 millions pour le musée du Louvre, 1 million pour l’Académie de France à Rome, ou encore 500 000 euros pour le théâtre national de la Colline ou Chaillot, le théâtre national de la danse. Des coups de sabre que le ministère dit «soutenables», sans «conséquences opérationnelles» sur les projets en cours, pour des structures comme l’Opéra de Paris notamment, enfin redevenu bénéficiaire après plusieurs années noires. De quoi préserver les petits au détriment des grands ? Ce serait méconnaître le fonctionnement de la chaîne de fabrication. Mercredi 3 avril, invité de la matinale de France Inter, Wajdi Mouawad, directeur du théâtre de la Colline où il vient d’être reconduit pour un nouveau mandat, faisait exercice de pédagogie. Lorsqu’une baisse budgétaire est actée, ce n’est pas dans la plomberie, dans l’électricité, dans les emplois ou autres frais fixes qu’un théâtre peut couper, «c’est dans les artistes». Alors combien d’artistes indépendants seront touchés en bout de chaîne ? Le directeur adjoint du théâtre de la Colline, Arnaud Antolinos, dit en tout cas devoir refuser «bien plus qu’[il] ne le faisai[t] d’habitude» les sollicitations des compagnies «qui trouvent de moins en moins de lieux de diffusion». Une précision sur le montant de l’«effort» demandé, ajoute-t-il : «C’est 500 000 [euros], plus la réserve budgétaire, donc 730 000. Le seul levier qu’il nous reste au mois d’avril, dans l’urgence, c’est la programmation de l’automne 2024.» Cet hiver, l’Odéon, théâtre national de l’Europe, avait communiqué sur le fait que la totalité de sa subvention (13 millions d’euros environ) ne servait plus qu’au fonctionnement de l’établissement, et que rien ne restait pour la mission censée être la sienne : produire et montrer des œuvres d’art. La situation sera la même pour la Colline fin 2025 si la coupe est réitérée l’an prochain. A moins d’attendre de la billetterie qu’elle ne parvienne à couvrir l’entièreté des frais de programmation – ce qui ne peut être le cas qu’au prix d’un renoncement à une mission de service public. Les structures touchées seront donc contraintes, lorsqu’elles disposent d’un répertoire, d’augmenter les reprises d’anciennes pièces (dont la production n’a pas à être refinancée) pour pallier la diminution du volume des créations, de réduire drastiquement l’accueil aux artistes émergents, mais aussi la prise de risque artistique pour privilégier les «valeurs sûres» qui rempliront les salles. Disette non argumentée par Bercy Si les coupes se pérennisent, expliquent les acteurs concernés, les solutions à trouver devront être structurelles. Cela signifie : plan social, audit des dépenses, révision de l’activité, réduction du coût de fonctionnement. Est-il si exorbitant dans ces grosses maisons ? Ce serait oublier qu’en leur sein travaillent au quotidien des équipes de techniciens œuvrant pour une multitude d’artistes non programmés mais accueillis dans des salles de répétitions, de concepteurs de décors, de chargés d’actions culturelles dans les écoles, les hôpitaux, les prisons. «Bien sûr, on pourrait se transformer en autre chose, mais auquel cas, on ne répondrait plus à une politique culturelle d’Etat», poursuit Arnaud Antolinos. Ces annonces interviennent alors que deux programmes du ministère ont déjà été lancés en 2024. Nombre d’acteurs s’interrogent donc sur les crédits qui seront exactement alloués à ce «Printemps de la ruralité» voulu par Rachida Dati en faveur d’une nouvelle étape de la décentralisation, mais aussi au plan «Mieux produire, mieux diffuser», lancé pour enrayer un effet pervers diagnostiqué depuis vingt ans : une inflation d’œuvres qui peinent à jouer plus de quatre fois. A l’approche des festivals d’été, le milieu de la culture n’entend pas se satisfaire de cette disette pour l’instant non argumentée par Bercy. D’autant que le secteur apprenait que les crédits exceptionnels dont il avait bénéficié ces cinq dernières années avaient été fort mal utilisés, si l’on en croit un rapport cinglant de la Cour des comptes publié le 20 mars, attribuant en partie le naufrage à une fâcheuse tendance de Matignon à court-circuiter le ministère de la Culture. Eve Beauvallet / Libération
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Le spectateur de Belleville
October 25, 2023 3:46 AM
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Par Laurent Goumarre publié dans Libération le 23 oct.2023 Dans une pièce touchante et drôle jouée au Vieux-Colombier, les sociétaires du Français grimés en vieillards participent à une émission de téléréalité et règlent en toile de fond leurs comptes aux dérives capitalistes des Ehpad privés. Le nom de la salle a valeur de programme : le Vieux-Colombier. Sur scène ils sont effectivement vieux, du quatrième âge. Regard absent alzheimerien pour le couple Martin Lallemand-Francine Valia, béquilles et genouillères pour Patrick Darent, un reste de gloire passée dans les cheveux rouges et les bijoux d’une Judith Siquaire tremblante, Séraphin Bouderoux porte encore beau mais n’entend rien, quant à Armand Tresson il ne lâche pas, fringué sexy seventies, ce qui lui donne des allures de mort-vivant. Sarouel Voilà une belle équipe de seniors, tous «pensionnaires» de Pont-aux-Dames, la maison de retraite des sociétaires de la Comédie-Française, embarqués dans un show de téléréalité, «Et si c’était eux ?». L’enjeu ? Convaincre les spectateurs contribuables de maintenir le statut «privé non lucratif» de cette maison de retraite menacée comme deux autres établissements d’être avalée par le grand capital, en remportant une série d’épreuves : scène classique, monologue, chanson, improvisation. Et c’est pas gagné. Les cabots comiques retraités du théâtre privé de la Ménardière et les ex-fumeurs de joints en sarouel de la Cartoucherie de Vincennes abrités à l’hospice du Soleil ont marqué des points les semaines précédentes. C’est parti pour deux heures de farce pathétique dirigée par l’animateur Alban Vauquer (délirant Laurent Stocker flanqué d’une crinière blonde style Mon Petit Poney) et sa collabo d’assistante (formidable Elissa Alloula). Cynisme du charity business, obscénité des fameux «moments d’émotions», vulgarité du décor tout en rideaux dorés, tout est mis en place pour exhiber le spectacle hilarant de la vieillesse des six retraités de la Comédie-Française. Ils ont connu des heures de gloire, traversé des centaines de rôles, ils vous ont fait rêver, vous les avez applaudis, enviés peut-être ? Prenez aujourd’hui votre revanche en regardant ces mains qui tremblent, ces corps perclus, ces visages décharnés, tachés – le travail de maquillages et perruques de Cécile Kretschmar est déjà un show en lui-même, qui métamorphose la troupe géniale, Alain Lenglet, Florence Viala, Julie Sicart, Sébastien Pouderoux, Clément Bresson, Dominique Parent. Et la mémoire ? Elle flanche bien sûr, mais elle retrouve ses marques pour des comédiens habités par les textes qui les ont construits. Il suffit d’un mot et c’est Britannicus, Cyrano de Bergerac… qui reviennent. Kitsch La comédie de Jules Sagot et Christophe Montenez (lui-même sociétaire de la Comédie-Française) se regarde bien sûr comme un hommage affectueux et inquiet aux anciens qu’ils seront un jour. Et s’ils jouent, sur la fin, un peu trop la carte de l’émotion facile – ce fameux moment d’émotion qu’ils dénonçaient quelques minutes plus tôt dans la mécanique du show télévisé – avec une scène de couple de vieux évidemment amoureux comme au premier jour, on gardera en mémoire ce moment de bascule où le personnage de Judith Siquaire refuse le jeu, oppose à la violence kitsch de l’émission la radicalité d’un réquisitoire politique. C’est un coup d’Etat dans la pièce, qui vient régler son compte aux dérives capitalistes des Ehpad privés à but lucratif. Plus c’est cher, moins il y a de personnel, pas plus de trois couches par jour, les biscottes rationnées… rien qu’on ne sache déjà, après les révélations de l’enquête signée Victor Castanet, les Fossoyeurs. Mais il se passe quelque chose, là, face public, à regarder la comédienne Julie Sicard s’engager dans une prise de parole frontale sous le costume noir très Barbara de son personnage. La pièce vacille, la mise en abyme fonctionne à plein régime. Pour quelques minutes, les éclats de rire font place à un silence de mort. Laurent Goumarre / Libération Et si c’était eux ? Texte et mise en scène Christophe Montenez et Jules Sagot. Au théâtre du Vieux-Colombier Comédie-Française jusqu’au 5 novembre. Photo : "Et si c'était eux ?" de Christophe Montenez et Jules Sagot, par la Comédie-Française, au Vieux-Colombier. Laurent Stocker au premier plan. Photo © Vincent Bouquet
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Le spectateur de Belleville
July 4, 2023 8:24 AM
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Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 3 juillet 2023 A 54 ans, le codirecteur de la Schaubühne de Berlin livre, au Festival d’Aix-en-Provence, sa première mise en scène lyrique avec l’œuvre de Kurt Weill et Bertolt Brecht. Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/07/03/thomas-ostermeier-metteur-en-scene-l-opera-de-quat-sous-parle-de-notre-monde-actuel_6180377_3246.html
Longtemps, Thomas Ostermeier a arpenté les scènes du Festival d’Avignon, où il a présenté en presque trois décennies une vingtaine de pièces de théâtre. Il avait toujours décliné toutes les propositions d’opéras. Jusqu’à celle de Pierre Audi, directeur du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) : L’Opéra de quat’sous (1928), de Kurt Weill et Bertolt Brecht. Une entrée au répertoire pour les 75 ans de la manifestation aixoise, consubstantielle du travail du metteur en scène allemand, héritier d’une tradition brechtienne, dont il se dit l’un des derniers dépositaires. Nous avons rencontré l’actuel codirecteur de la Schaubühne de Berlin à trois semaines de la première au Théâtre de l’Archevêché. Quelles relations entretenez-vous avec l’opéra ? Assez complexe. J’ai toujours trouvé curieux, et un peu ridicule, qu’on regarde une tragédie et que les gens se mettent à chanter. Mais, après mon baccalauréat à Landshut, dans le sud de l’Allemagne, je suis allé à Hambourg, où j’ai travaillé pendant deux ans comme figurant au Staatsoper. Il y avait des productions comme Idomeneo, de Mozart, Tosca, de Puccini, L’Opéra de quat’sous, justement, ou Die Hamletmaschine, de Wolfgang Rihm. J’ai fréquenté les coulisses de metteurs en scène comme Harry Kupfer, Giancarlo del Monaco, Günter Krämer, Götz Friedrich. Cela m’a permis d’appréhender le fonctionnement des grosses machines du théâtre. J’ai tout de suite compris que la plus grande contrainte à l’opéra est le temps, qui n’est jamais assez long. Un facteur qui se double, selon vous, d’une omerta sur les conséquences du Covid-19… Le Covid-19 affecte directement la qualité des productions. Après Le Roi Lear à la Comédie-Française, où nous avons perdu un tiers du temps de répétition, nous avons eu à Aix plusieurs personnes malades. Je m’inquiète du déni qui règne autour de cela : il faut arriver au même résultat artistique avec moins de temps. Cela veut dire que le travail des trois dernières semaines, centré sur le rythme et la dynamique du spectacle, ne sera peut-être pas aussi abouti que je le rêve. Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par « travail sur le rythme » ? J’ai écrit un texte là-dessus publié en 2016 dans Le Théâtre et la Peur, aux éditions Actes Sud. La plupart des scènes de théâtre aujourd’hui utilisent un temps horizontal, plus large que celui de la vraie vie. Mon travail consiste à resserrer ce temps, et même à le presser un poil, afin de créer un espace de jeu plus vivant que la vie. Autour de nous, tout va plus vite. Les médias narratifs (sauf la littérature, car chacun peut décider de son rythme) sont accélérés, le montage dans les films, les réseaux sociaux (TikTok, Instagram). Il y a un mode où l’on peut écouter plus vite ses messages. Si le théâtre n’intègre pas cela, il devient anachronique et perd l’espoir d’intéresser les jeunes générations et les classes sociales qui ne viennent pas habituellement au théâtre. Vous êtes musicien (bassiste, contrebassiste, chanteur) et avez même envisagé un temps d’en faire votre profession. Quel rôle joue la musique dans votre théâtre ? Très important. J’ai toujours adoré assister aux répétitions d’orchestre, impressionné par la discipline, le niveau professionnel et la qualité artistique des musiciens. J’ai aussi un respect fou pour l’art lyrique, que j’aime bien voir en version de concert ! Malgré vos préventions, vous avez néanmoins accepté une mise en scène lyrique. Pourquoi ? Parce que L’Opéra de quat’sous n’est pas un opéra mais un stück mit musik, une « pièce avec musique », en même temps qu’une sorte de parodie de l’opéra. Il y a un orchestre, des airs, des grands finals, mais l’esprit épouse celui du théâtre et du cabaret des années 1920. Je travaille avec la troupe de la Comédie-Française et la musique a été écrite pour des acteurs. J’ai moi-même été formé à l’école de théâtre Ernst-Busch à Berlin-Est, dont l’œuvre de Brecht est un peu le catéchisme, avant de jouer dans la troupe du Berliner Ensemble. Je suis dans la filiation de cette tradition. Pourquoi rompre alors avec cette tradition allemande et monter « L’Opéra de quat’sous » en version française ? Parce que j’ai l’impression qu’elle me parle davantage. En allemand, je connais trop les chansons – la chanson. On a dans l’oreille les interprétations de Milva, Ute Lemper, des grands chansonniers italiens, allemands. Cela véhicule, au mieux, un petit côté nostalgique, au pire, un côté carrément ringard. Le français apporte un élan, une bouffée d’air pour le chant, notamment, grâce à la nouvelle traduction d’Alexandre Pateau, totalement en phase avec notre époque. Il s’agit avant tout de comprendre ce que chantent les gens. De quoi nous parle aujourd’hui « L’Opéra de quat’sous » ? D’un monde en crise comme en 1928, au bord d’une crise financière mondiale qui va faire basculer le monde. C’est le temps des « années dorées » (die Goldenen Zwanziger Jahre), dont l’hédonisme jouisseur et le luxe ostensible côtoient l’extrême pauvreté et la misère totale. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. J’en ai seulement pris conscience en travaillant. Brecht, qui n’a pas encore rencontré les idées de Karl Marx, y exprime un nihilisme désespéré qui va de pair avec une satire de l’opéra. Je retrouve ce sentiment d’impuissance à changer le monde que nous éprouvons aujourd’hui. Brecht n’avait pas encore de réponse. Nous n’en avons pas non plus. C’est pourquoi vous avez justement choisi cette première version ? Brecht a élaboré la dernière mouture de 1948 en réaction contre le fascisme. Quant à celle de 1931, elle ne fait que développer l’aspect psychologique des personnages. A tort. Pour moi, il s’agit en effet de typologies, de caractères, avec un côté Grand-Guignol qui est la plus grande qualité de l’œuvre. Et même dans la première version créée en 1928, j’ai fait pas mal de coupes. Nous essayons d’aller dans la direction d’un spectacle qui joue avec la salle et les spectateurs. Qu’apporte le chant dans le travail des comédiens ? Ils ont visiblement beaucoup de plaisir à chanter et jubilent à faire rayonner leur voix dans sa totalité. Cela libère aussi le jeu d’acteur car tout ce qu’ils doivent exprimer est déjà dans la musique. Ils ne doivent rien ajouter car cela sonnerait faux. Surtout ne pas surjouer le chant même si l’aspect parodique est présent, en particulier dans les trois finals. Le troisième, qui interrompt la représentation pour s’adresser au spectateur, est d’une liberté folle. On a du mal à imaginer aujourd’hui qu’un auteur ait cette fantaisie de remplacer la catharsis par une caricature de deus ex machina. Dans cet opéra sans pitié pour l’humanité, qui traite des bassesses les plus révoltantes de la nature humaine, y a-t-il l’espoir d’une transcendance ? Chaque fois que ça chante, il y a transcendance. Parce que la musique (et je deviens un peu pathétique en disant cela), si quelque chose de l’ordre du transcendantal existe, c’est elle qui le porte. On se demande d’où vient cette beauté métaphysique. Cela nous rendrait presque proches des dieux s’il y en a. La musique de Bach, par exemple, peut nous ramener à l’existence de la mort, de la pitié, de la grâce. Et à la Demut – l’« humilité », en allemand. L’Opéra de quat’sous, de Kurt Weill et Bertolt Brecht. Festival d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Théâtre de l’Archevêché. Du 4 au 24 juillet. Marie-Aude Roux Légende photo : Thomas Ostermeier (à gauche), lors d’une répétition de « L’Opéra de quat’sous », en studio à la Comédie-Française, à Paris, le 31 mai 2023. JEAN-LOUIS FERNANDEZ/COMÉDIE-FRANÇAISE
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Le spectateur de Belleville
May 17, 2023 4:20 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 17 mai 2023 La pièce réécrite par la metteuse en scène Lisaboa Houbrechts peine à ancrer ses personnages dans la tragédie d’Euripide.
Lire l'article sur le site du "Monde" :https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/17/une-medee-sans-amarres-a-la-comedie-francaise-a-paris_6173772_3246.html
Des comédiens qui jouent assis, prostrés ou couchés à terre, ce n’est pas un détail, c’est un écueil de taille. De là à déduire que Lisaboa Houbrechts, metteuse en scène de Médée, d’après Euripide, à la Comédie-Française, veut soustraire son spectacle aux regards du public, il n’y a qu’un pas. On comprendrait qu’il soit franchi par l’assemblée, qui doit se contorsionner pour apercevoir les corps présents sur la scène. Ces corps étant eux-mêmes contraints dans de rigides costumes taillés entre l’antique et le futurisme, la tragédie a bien du mal à se connecter à notre présent. Les ponts qui la relient au monde contemporain sont pourtant nombreux : quittée par son époux Jason, le père de ses deux fils, chassée de Corinthe par le roi Créon, Médée, fille du roi de Colchide, se venge de la plus terrible des manières. Elle assassine Créüse, nouvelle compagne de son mari (et fille de Créon), puis égorge ses enfants avant de se réfugier chez Egée, roi d’Athènes. Colère d’une amoureuse trahie, rage d’une reine constamment renvoyée à son statut d’étrangère : l’emboîtement des sphères privée et politique redouble l’impact du drame. Sans compter qu’à ce condensé d’ingrédients explosifs, s’ajoute le geste ultime, l’infanticide. Médée est un brasier qui n’attend que l’allumette pour prendre feu. Mais l’incendie ne prend pas, en dépit d’une musique apocalyptique dont le volume rivalise avec les hurlements de Médée. A l’image des « si seulement », réitérés par le comédien Bakary Sangaré (il joue la nourrice de la meurtrière), qui suggèrent que ce qui a lieu aurait pu ne pas advenir, le spectacle s’inscrit dans une sorte de conditionnel dubitatif, sans jamais vraiment affirmer l’ici et maintenant du théâtre. La faute à une représentation écartelée entre ses aspirations au sensible et la raideur stylisée de sa forme. La faute aussi à ces corps trop souvent invisibilisés au profit d’images qui cultivent la métaphore. Spectaculaires cérémonies visuelles L’œil fixé sur les cintres vers lesquels s’élèvent (ou dont descendent) des éléments de décor (longue traîne bleue, vêtements d’enfants, ballons de baudruche noirs, pluie de sable doré), Lisaboa Houbrechts semble suggérer qu’existe un conflit insoluble entre verticalité (lieu du divin) et horizontalité (siège du terrien, donc de l’humain). Ce qui se passe en altitude l’emportant en beauté, tenue et éloquence, les acteurs et leurs personnages errent sur les planches, l’air de se demander ce qu’ils y font, comme abandonnés par leur metteuse en scène. Si Lisaboa Houbrechts, née en Belgique en 1992, est indéniablement une femme de plateau qui sait organiser de spectaculaires cérémonies visuelles, son rapport à l’acteur reste à préciser. Un couple a toutefois retenu son attention : Médée et Jason. Coiffée d’une haute coupe en brosse à la Grace Jones époque Jean-Paul Goude, Séphora Pondi est une Médée somptueuse, tour à tour démunie et impitoyable, enjôleuse et féroce, vulnérable et guerrière. Cette récente pensionnaire de la Comédie-Française affiche une force brute, l’aplomb de la jeunesse et un charme qui désarme même au plus fort de l’abjection. D’où le regain d’intérêt lorsqu’elle se confronte à Jason, lequel est incarné avec une justesse émouvante par Suliane Brahim. Une femme, donc, pour être tout à la fois mari infidèle, amant ingrat, père distant et homme friable. Jason ne fait pas le poids face à la fureur et l’intelligence de celle qui, en tuant ses enfants, s’est mise hors-jeu de l’humanité. Tandis que Médée quitte le drame, juchée au sommet d’une sculpture (une tête ébréchée, où elle occupe la place du cerveau mis à nu), Jason ploie sous la coulée de sable qui chute depuis les cintres. Décidément, salle Richelieu, il ne fait pas bon vivre au ras du sol. Médée, d’après Euripide. Adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts. Comédie-Française, salle Richelieu, Paris 1er. Jusqu’au 24 juillet. De 5 € à 48 €. Joëlle Gayot / Le Monde Légende photos : « Médée », d’après Euripide, mise en scène par Lisaboa Houbrechts avec, de gauche à droite, Bakary Sangaré (la nourrice), Suliane Brahim (Jason) et Séphora Pondi (Médée), à la Comédie-Française, à Paris, le 10 mai 2023. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/HANS LUCAS
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Le spectateur de Belleville
February 2, 2023 6:29 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2/02/23 Géraldine Martineau met en scène et interprète le rôle principal de la pièce d’Ibsen sans parvenir à trouver le juste équilibre entre réalisme psychologique et symbolisme. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/02/02/une-dame-de-la-mer-entre-deux-eaux-au-theatre-du-vieux-colombier-a-paris_6160290_3246.html
Comme on les aime, ces héroïnes d’Ibsen, les Hedda, Nora et autres Rebekka, grandes sœurs venues d’un XIXe siècle nordique pour montrer la voie d’une libération féminine se levant comme une vague puissante… Celle que l’on retrouve aujourd’hui s’appelle Ellida, on la croise moins fréquemment sur les scènes que les autres héroïnes du grand dramaturge norvégien. C’est donc avec bonheur que l’on prend le chemin du Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, pour aller à la rencontre de cette Dame de la mer mise en scène et jouée par la jeune Géraldine Martineau. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Géraldine Martineau, la revanche d’une timide La dame de la mer, c’est elle, Ellida Wangel, autour de qui la pièce s’aimante et se joue. Quelques années auparavant, elle a épousé le docteur Wangel, un homme plus âgé qu’elle, qui avait déjà deux filles d’un précédent mariage. En apparence, rien ne vient troubler l’eau calme de cette vie de famille. Quelques signes, pourtant. Tous les matins, Ellida part se baigner dans cette mer à laquelle elle semble appartenir plus qu’à l’élément terrestre, une mer que, chaque jour, elle semble avoir de plus en plus de mal à quitter pour revenir à sa « vraie » vie. Ellida est là et pas là, dans cette famille qui n’est pas tout à fait la sienne – la pièce est, entre autres, une analyse d’une modernité percutante sur le rôle ingrat de belle-mère. Elle semble possédée par un mal insidieux qu’un certain docteur Freud ne va pas tarder (la pièce est écrite en 1888) à définir du nom de névrose. Sa parenté avec la Petite Sirène d’Andersen – que Géraldine Martineau a précédemment mise en scène, d’ailleurs – est patente : ce sont des femmes qui retournent à la mer, à l’élément liquide et à sa fluidité, tant l’existence terrestre leur est impossible, plombée par des formes sociales qui enserrent les femmes dans un faisceau de contraintes et de normes. Ici, l’état d’Ellida s’aggrave lorsque réapparaît, dans la petite ville au bord du fjord où vivent les Wangel, un marin qu’elle a aimé autrefois. Fantasme, fantôme, projection ? Qui sait… L’apparition de l’homme venu de la mer, fascinant et dangereux comme elle, déclenche une crise. Ibsen est un maître dans l’investigation de la psyché féminine telle qu’elle ressort de siècles de patriarcat, mais la pièce est bien plus que cela encore. Sa beauté tient à sa manière de s’approcher des confins de l’indicible, et La Dame de la mer scintille d’images et de symboles, profonds comme la mer et le temps. Spectacle bien joué Cet équilibre délicat entre réalisme psychologique et symbolisme n’est pas évident à mettre en scène, et explique sans doute que la pièce soit rarement jouée. Et c’est ce sur quoi le spectacle que signe Géraldine Martineau achoppe, sans pour autant démériter. La pièce est jouée avec une grande clarté, le spectacle est bien fait, mais il est un peu dommage que la metteuse en scène n’ait pas réussi à choisir entre un réalisme assez académique et une épure plus poétique. Sa mise en scène est à l’image du décor (signé par Salma Bordes), qui était suffisamment beau en soi pour n’être pas surchargé par des éléments kitsch et inutiles : une toile peinte suggérant le fjord en fond de scène, de fins troncs d’arbres comme une forêt de songes, les subtiles lumières en clair-obscur de Laurence Magnée… Pourquoi alors ajouter des fleurs en plastique et des fauteuils tapissés ? On chipote bien sûr, mais il est vrai qu’en matière de mises en scène ibséniennes, on s’est habitué dans les vingt dernières années à des sommets, notamment avec Thomas Ostermeier, Deborah Warner ou Alain Françon. Laurent Stocker ne saurait être autrement que parfait, avec son jeu si juste et sobre, dans la peau du docteur Wangel Le spectacle est bien joué, comme toujours à la Comédie-Française. Il révèle notamment deux belles actrices qui viennent d’entrer dans la troupe, Elisa Erka et Léa Lopez, dans les rôles, loin d’être négligeables, des deux filles du docteur Wangel. Laurent Stocker ne saurait être autrement que parfait, avec son jeu si juste et sobre, dans la peau du docteur Wangel. Clément Bresson, qui excelle dans ces rôles d’hommes qui viennent cristalliser les fantasmes des autres, est mystérieux à souhait. Mais Géraldine Martineau elle-même, qui est une excellente comédienne, souvent remarquée dans les productions de la Comédie-Française, n’embarque pas dans le rôle d’Ellida, dont elle fait un personnage assez lisse. Peut-être n’a-t-elle pas encore eu le temps, prise par son travail de mise en scène, de se donner tout entière à cette dame de la mer, passagère entre les mondes visible et invisible. Fabienne Darge / Le Monde
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Le spectateur de Belleville
June 22, 11:29 AM
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Propos recueillis par Sandrine Blanchard / Le Monde - 22 juin 2025 ENTRETIEN « Je ne serais pas arrivée là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. La comédienne, aussi à l’aise sur les planches que devant une caméra, revient sur un deuil qui a bouleversé sa vie.
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/06/22/marina-hands-actrice-la-vocation-se-mesure-a-la-maniere-de-se-relever-de-ses-echecs_6615216_3246.html
Sociétaire de la Comédie-Française, Marina Hands, 50 ans, a obtenu, fin avril, le Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public pour Le Soulier de satin, revisité par Eric Ruf. Cette pièce de Claudel sera reprise du 19 au 25 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des papes, lors du Festival d’Avignon. Pour l’heure, celle qui fut récompensée, en 2007, du César de la meilleure actrice pour Lady Chatterley, de Pascale Ferran, incarne avec majesté Arkadina dans Une mouette, d’après Anton Tchekhov, sur la scène du Français. Je ne serais pas arrivée là si… … Si je n’avais pas été confrontée, à 30 ans, au deuil brutal de Philippe, mon meilleur ami. On avait le même âge. On s’était connus au Cours Florent puis on était partis ensemble étudier à l’Académie de musique et d’art dramatique de Londres. C’était mon compagnon de route, on formait un binôme. Dans tous les moments de fragilité et de vulnérabilité durant ma jeunesse, il était mon bras armé. Philippe était un être très lumineux, solaire, il m’encourageait tout le temps. Il est mort du sida après s’être battu contre la maladie pendant plusieurs années. Il m’a laissé, d’une certaine manière, le goût du combat. Les grands chagrins modèlent la réflexion sur soi-même et sur le monde dans lequel on vit. Sa disparition m’a façonnée et a créé pendant très longtemps un certain décalage entre moi et mon entourage. Un décalage de quel ordre ? C’était comme une perte d’innocence, je suis devenue très sérieuse. J’avais plus de mal à communiquer avec les gens, j’étais très exigeante sur la profondeur des relations, trop sans doute. J’avais du mal avec une certaine forme d’inconséquence. La disparition de Philippe m’a poussée à me questionner et à me demander si j’étais vraiment contente d’être là où j’étais. Votre mère, Ludmila Mikaël, est actrice ; votre père, Terry Hands, était metteur en scène et pendant longtemps à la tête de la Royal Shakespeare Company. Vous ont-ils poussée vers un métier artistique ? Pas du tout. Il y a des familles qui ont envie que leur descendance leur ressemble. Dans la mienne, ce n’était pas le cas. Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils étaient en souffrance. J’ai vu l’envers du décor de la condition de l’artiste de théâtre, extrêmement instable, déstabilisante, fragilisante. Mon père était régulièrement en dépression. Quant à ma mère, je l’ai souvent vue pleurer, être très déçue, frustrée. Quand je leur ai annoncé mon souhait de devenir comédienne, la réaction la plus violente a été celle de mon père. Il s’est mis en colère et a été très dur. Il me disait : « Tu n’as pas assez souffert pour être une grande artiste. » Il venait d’un milieu ouvrier et avait un complexe social fort. Il me ramenait toujours au labeur et avait des jugements à l’emporte-pièce, très destructeurs. A ses yeux, j’étais une bobo, fille d’une actrice reconnue. Il y avait quelque chose d’insupportable pour lui dans le fait que je voulais être comédienne. Il m’a en quelque sorte reniée, il ne m’a plus parlé. Quant à ma mère, elle était un peu en sidération. En fait, je n’étais pas du tout prise au sérieux. Donc j’ai attendu un an, j’ai fait un peu d’études en fac, et puis, j’ai foncé. Pendant votre enfance et votre adolescence, vous étiez passionnée d’équitation et avez été une cavalière de haut niveau. Pourquoi avoir renoncé à en faire votre métier ? A cause d’échecs successifs dans des compétitions et surtout de beaucoup de malchance, notamment des blessures. Je me disais : « Ce n’est pas possible, cette poisse récurrente. C’est un signe. » A 15 ans, j’ai fait mes premiers championnats d’Europe. Puis, malgré mon travail et mon investissement, je n’avais pas de résultats suffisants pour avoir des sponsors et devenir professionnelle. Je n’ai pas eu les épaules pour l’équitation. Quelque chose m’anéantissait, je n’arrivais plus à trouver du sens. Je crois que je n’avais pas du tout l’esprit de compétition, ce qui est quand même un problème. Bifurquer a été un vrai constat d’échec et en même temps, ce fut salvateur. Quand j’ai commencé le métier d’actrice, tout me semblait facile. Les portes s’ouvraient et les petits déboires, les petits refus de castings n’étaient rien par rapport à ce que j’avais vécu avec l’équitation. Je pense que la vocation se mesure à la manière de se dire : « OK, je peux survivre à ça. » J’avais davantage la foi, je me relevais plus facilement des échecs dans ce métier-là que dans celui de cavalière. Votre grand-mère maternelle a eu beaucoup d’importance dans votre enfance… Elle s’occupait de moi tout le temps, m’emmenait à l’école, au parc, au cirque, partout. Et puis, avec elle, c’était la liberté, je pouvais faire ce que je voulais. Elle avait un goût pour les arts, la musique, jouait du piano. C’était une figure de femme très forte. Son histoire me bouleversait. Elle avait été abandonnée bébé. Sa mère, femme de ménage, l’avait confiée à ses employeurs, une famille bourgeoise qui avait décidé de garder cette enfant et de l’élever. Vos parents se sont séparés quand vous étiez très jeune. Vous viviez à Paris avec votre mère et votre père habitait à Londres. Alliez-vous voir votre mère sur scène et rendiez-vous visite à votre père ? J’ai toujours trouvé malaisant et compliqué de voir ma mère sur scène, et elle ne voulait pas toujours que je vienne. Elle me tenait à l’écart. En revanche, quand j’allais à Londres, mon père m’emmenait partout. Je baignais dans son univers de metteur en scène. J’ai le souvenir de gens au travail, de laborieux pour qui le théâtre était très sérieux, très important. Etre artiste était leur identité, leur religion, particulièrement pour mon père. Donc ça passait avant tout, évidemment avant moi. Lorsque vous réussissez à intégrer le Conservatoire national, votre mère vous donne-t-elle des conseils ? Si j’en demandais, bien sûr, elle m’en donnait. Mais j’avais envie de trouver ma propre identité. Autour de moi, tout le monde pensait que j’étais pistonnée. Dès que j’ai commencé à travailler, j’étais toujours « la fille de », il y avait un malentendu total. J’ai beaucoup pleuré et douté. Mais, quand j’ai commencé ce métier, j’ai eu la chance, durant les quatre premières années, de rencontrer les personnes les plus importantes de ma vie artistique, celles qui m’ont donné un sentiment de légitimité, m’ont confié des grands rôles, m’ont prise sous leur aile alors que je balbutiais. Au Conservatoire, j’ai rencontré le metteur en scène Klaus Michael Grüber. Puis, il y eut Nina Companeez pour la télévision, Andrzej Zulawski au cinéma, Robert Hirsch au théâtre. Et Patrice Chéreau. Sur le téléfilm de Nina Companeez Un pique-nique chez Osiris [2001], j’ai fait la connaissance de Dominique Blanc, Dominique Reymond et Eric Ruf. Ils sont tous devenus des amis, des inspirations. A l’époque, j’étais bébé et ces personnalités m’ont accueillie les bras ouverts. Dominique Blanc n’a cessé de m’encourager, de me donner des conseils comme si j’étais de sa famille. J’ai eu cette chance-là. J’ai cru que c’était la norme, alors que pas du tout. Est-ce Patrice Chéreau qui vous a donné confiance en vous offrant, en 2003, le rôle d’Aricie dans sa mise en scène de « Phèdre » ? Pour la première fois, j’étais dans un spectacle auquel j’adhérais complètement artistiquement. Je suis entrée en religion : j’arrivais au théâtre très tôt, je ne vivais que pour ça, je m’imprégnais de son univers et j’étais comme un poisson dans l’eau. Mais c’est grâce à Isabelle Adjani. Au départ, c’est elle qui devait jouer Phèdre. Elle s’était mise à chercher les jeunes acteurs qui seraient ses partenaires. Elle m’avait vue jouer au théâtre et avait dit à Chéreau : « Il faut que tu ailles voir cette fille. » Il est venu, puis m’a convoquée dans son bureau et m’a engagée. J’étais fan de son travail, mais je ne le connaissais pas du tout. Par la suite, Isabelle Adjani a quitté le projet et a été remplacée par Dominique Blanc. En 2006, vous entrez comme pensionnaire à la Comédie-Française, mais vous n’y restez qu’un an. Que s’est-il passé ? Marcel Bozonnet, alors administrateur de la Comédie-Française, avait été mon directeur au Conservatoire. On s’entendait très bien et il m’a proposé d’intégrer la troupe du Français, notamment pour deux projets de pièces de Claudel. Je commençais à répéter Tête d’or lorsque mon ami Philippe est mort. Ça a été une déflagration totale. Clément Hervieu-Léger, qui était sur le spectacle, m’a maintenu la tête hors de l’eau. Il est devenu mon meilleur ami depuis. Ensuite, il y a eu Le Partage de midi. J’étais alors dans les pas de ma mère, qui a joué cette pièce au Français en 1975. Quelques semaines avant la première, je recevais le César de la meilleure actrice pour le film Lady Chatterley. Tout s’entrechoquait. La pièce démarrait, marchait bien, mais j’ai craqué. Trop de pression. Tout d’un coup, je faisais des séances photo, des interviews dans les médias. J’avais deux heures de Claudel à haute intensité au moment où débutait mon exposition médiatique. Emotionnellement, je n’étais pas prête. Tout me terrorisait. Le succès était fort mais la puissance du négatif aussi. Avec Lady Chartteley, certaines réactions étaient violentes. Notamment sur la nudité, il y avait des réflexions horribles sur mon physique. Je faisais de grosses crises d’angoisse. J’avais des vertiges en montant sur scène. J’ai commencé à me médicamenter et j’ai complètement craqué. Donc j’ai décidé de rendre un grand rôle à la Comédie-Française, celui de Célimène dans Le Misanthrope, et de partir. Surtout, on me proposait un film international de William Friedkin. Je culpabilisais en appelant la Comédie-Française pour demander un congé. Ça ne se faisait pas pour des jeunes qui venaient d’intégrer le Français. Mais j’ai adoré cette troupe, je l’ai quittée en bons termes, sinon, je n’aurais jamais pu y revenir. Vous avez aussi joué avec votre père à cette époque-là… Oui et ce fut une très mauvaise idée. Je n’ai plus réussi à faire de théâtre pendant quasiment cinq ans, parce que j’étais devenue agoraphobe. En revanche, j’arrivais à tourner, ça me faisait moins peur. Lors de votre discours à la cérémonie des Molières, vous avez dit : « Jeune, j’ai perdu beaucoup de temps à essayer de plaire à des gens qui ne m’aimaient pas. » C’est-à-dire ? J’ai longtemps été très vulnérable, hantée par le rejet, par les attentes des médias, des agents, de l’industrie. J’étais devenue comme un petit caméléon qui s’adaptait à tout. J’avais tellement besoin d’être validée, de plaire que je me suis un peu perdue. J’aurais pu tomber dans l’alcool, la drogue, j’avais le profil. Mais j’ai eu un instinct de survie. J’étais très borderline quand j’étais jeune, l’expression artistique m’a sauvée. Mais il y a un fossé affolant entre le milieu du spectacle vivant et le milieu de l’audiovisuel. Que voulez-vous dire par là ? Je trouve totalement alarmant que l’industrie du cinéma et de la télévision soit écrasée par la quête du profit. J’ai vraiment assisté à cette évolution et aussi à l’arrivée d’une armée d’actrices et d’acteurs qui n’avaient aucune culture de l’art du comédien, qui n’avaient jamais mis les pieds dans un théâtre. Des gens ont pu penser, peut-être à raison, que j’étais dure, hautaine. Mais, pour moi, l’art, c’est un travail, ce n’est pas le culte de la personnalité. Toute la culture dans laquelle j’ai grandi a été totalement vulgarisée. Il y a eu une époque qui m’a vraiment dégoûtée. Je ne supportais pas la démesure du fric, et j’ai vu, sur des tournages, des attitudes indécentes. Je suis de la génération qui se tapait les premiers talk-shows comme ceux de Thierry Ardisson, où il fallait débarquer en décolleté plongeant. On commençait à vous dire : « Tu as réussi ta promo. » Ça a été un trauma. Des filles arrivaient de la télé, du sketch, du mannequinat, et prenaient le haut du panier parce qu’elles savaient se vendre. Je me suis perdue parce qu’il n’y avait plus de place pour les gens comme moi sauf au théâtre, qui est resté très protégé. Et, en 2019, vous êtes retournée dans la troupe de la Comédie-Française… Je pensais que je ne serais plus jamais heureuse dans ce métier. Je me disais que ça n’avait plus de sens pour moi de servir cette profession. J’ai appelé Eric Ruf, je lui ai dit : « Il faut que je te voie. » Quand je suis arrivée, j’ai fondu en larmes. A quoi on sert ? On ne peut pas faire ce métier essentiellement pour soi, il doit être dirigé vers les autres. A la Comédie-Française, cette question est quotidienne. La notion de troupe est capitale. Ce n’est pas rien de penser collectif. Ce quotidien-là, il est joyeux, humble, vivant. Là, je suis heureuse. « Une mouette », d’après Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène d’Elsa Granat, jusqu’au 15 juillet à la Comédie-Française.
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Le spectateur de Belleville
February 19, 10:36 AM
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par LIBERATION et AFP, publié par Libération le 19 février 2025 Le ministère de la Culture a annoncé ce mercredi 19 février la nomination de Clément Hervieu-Léger comme administrateur de la troupe. La Comédie-Française a un nouveau patron. Le ministère de la Culture a annoncé ce mercredi 19 février qu’il nommait Clément Hervieu-Léger à la tête de la troupe. Il prendra son poste d’administrateur en août, en remplacement d’Eric Ruf, qui occupait cette fonction depuis 2014. Il sera chargé de «poursuivre le rayonnement» de la Comédie-Française, explique le ministère dans un communiqué. Membre depuis 2005 de la troupe avant d’en devenir sociétaire en 2018, Clément Hervieu-Léger est un comédien et metteur en scène reconnu. Au cours des vingt années passées au cœur de la troupe Clément Hervieu-Léger a tour à tour incarné Robespierre dans La Mort de Danton de Georg Büchner, dirigé par Simon Delétang, Dorante dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière, créé par Valérie Lesort et Christian Hecq ou encore Günther von Essenbeck dans Les Damnés de Visconti distribué par le metteur en scène Ivo van Hove. Il a aussi mis en scène Le Petit Maître corrigé de Marivaux et La Cerisaie de Tchekhov, avec la troupe. Veiller à l’«élargissement» de l’institution Hors de la Comédie-Française, il a fondé en 2010 avec Daniel San Pedro la Compagnie des Petits Champs avec laquelle il présente ses propres projets, dont, dernièrement la pièce On achève bien les chevaux d’après Horace McCoy, avec le Ballet de l’Opéra national du Rhin. Clément Hervieu-Léger «œuvrera à la présentation et à l’exploitation du répertoire actuel de la Comédie-Française tout en veillant à son élargissement à des œuvres contemporaines ou anciennes qui n’y ont pas été encore présentées», précise le ministère dans son communiqué. «Il aura à cœur de piloter le développement des tournées, de la politique audiovisuelle, ainsi que de politiques en direction des jeunes et des publics éloignés de la culture.» Clément Hervieu-Léger aura aussi à mener d’importants travaux de mises aux normes, de restauration et de rénovation énergétique des différents sites de la Comédie-Française.
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Le spectateur de Belleville
February 13, 3:20 AM
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Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 12 février 2025 Présentées dans la même soirée, ces deux pièces de jeunesse de l’auteur belge, à la sobre scénographie, plongent le public dans un climat d’épouvante. Dans L’Intruse (1890) comme dans Les Aveugles (1890) minuit sonne pesamment. À l’horloge. Ou au clocher. Dedans ou dehors, il fait un froid hivernal et la nuit bruisse. Chez Maurice Maeterlinck (1862-1949), si souvent adapté par les musiciens, tout fait son. Comme rarement au théâtre. Des bébés solitaires pleurent dans l’obscurité, des portes et des fenêtres claquent au vent. Ici le tragique est quotidien, vivre est tragique. Une mère agonise (L’Intruse). Des non-voyants de naissance sont perdus dans la forêt où un vieux prêtre les a conduits et abandonnés (Les Aveugles). Après La Princesse Maleine, son premier drame (1889), Maurice Maeterlinck cultive dans ces pièces de jeunesse davantage encore terreurs secrètes et menaces diffuses. Conçues en un sombre diptyque aux dialogues minimalistes, aux mots simples et rares, L’Intruse et Les Aveugles noient peu à peu le public dans un climat d’épouvante. La mort en est la taiseuse et insaisissable prêtresse. Qu’elle se glisse à bas bruit dans la demeure d’une famille prostrée, où seul la pressent l’aïeul, justement aveugle. Ou qu’elle hante lentement une forêt, où elle massacrera six hommes et six femmes, sortis en promenade de leur hospice. Les douze derniers apôtres d’un monde que Dieu a abandonné ? Avec sa coutumière ferveur, son attention passionnée à l’écriture – d’habitude plus contemporaine –, le nouveau patron du Centre dramatique national de Besançon, Tommy Milliot, a mis en scène, ou plutôt en hiératique immobilité, les deux pièces symbolistes de Maeterlinck, annonciatrices d’une dramaturgie neuve. Où le silence règne autant que la parole, l’absence autant que la présence. Les idées, les croyances, le commerce des âmes y prennent certes corps et forme comme chez les symbolistes, et le monde y frémit sous d’invisibles puissances. Mais le futur auteur de Pelléas et Mélisande (1892) crée surtout un théâtre réduit à la pure présence, à l’incarnation radicale. Les mots n’y signifient plus rien (comme dans le théâtre de l’absurde) et il s’y passe peu de choses. Excepté le lent éveil des personnages au malheur d’exister, et qui deviennent « statiques » – selon les désirs mêmes de Maeterlinck – pour mieux se rendre disponibles, offerts à la cruelle puissance du destin. Pas rigolotes sans doute, mais fascinantes, mais envoûtantes, ces pièces que nourrit l’obsession de la mort. Que Maeterlinck tentera d’apprivoiser toute sa vie. Tommy Milliot, lui, nous y fait plonger sous des lumières imprévisibles, inquiétantes et irréelles. La scénographie de L’Intruse comme des Aveugles est minimaliste : une table et des chaises d’abord, des bancs superposés ensuite. Et des acteurs face au public, pour mieux lui inoculer leur désarroi, puis leur terreur ; et s’éteindre, la gueule ouverte, comme sur les toiles d’Edward Munch ou de Francis Bacon. C’est fort. De Gilles David à Bakary Sangaré, de Dominique Parent à Thierry Godard, dans une radicale économie de moyens, les comédiens semblent rigidifiés par le malheur. Au-delà du beau, du bien et du mal, figés dans l’indicible, l’innommable. Pénétrer cet univers-là est une expérience de l’infini, un voyage vers on ne sait quel mystère, flou et incontrôlable. Pas vraiment mystique – les dieux sont loin – mais d’un invisible, d’un sacré insondables et à briser le cœur. Parce qu’il nous confronte à notre condition d’humains. Mise en scène Tommy Milliot. 2h. Jusqu’au 2 mars, Comédie-Française, Vieux-Colombier Paris 6ᵉ. Fabienne Pascaud / Télérama TTT Très Bien Légende photo : Deux pièces symbolistes, annonciatrices d’une dramaturgie neuve. Où le silence règne autant que la parole. RAYNAUD DE LAGE Christophe / Christophe_Raynaud_de_Lage
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February 7, 5:03 PM
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Par Fabienne Arvers dans Les Inrocks - 7 février 2025 Avec Maeterlinck, tout est question d’atmosphère. Mais comment mesurer l’impalpable inhérent au ressenti d’une atmosphère ? En provoquant un effet miroir où se reflètent les motifs dramaturgiques qui la structurent, répond Tommy Milliot en montant en diptyque L’Intruse et Les Aveugles, les deux pièces en un acte que le dramaturge a écrites dans sa jeunesse. Un détail qui compte puisque naissance et mort s’y confrontent à chaque fois, mais en ordre inversé.
Avec Maeterlinck, tout est question d’atmosphère. Mais comment mesurer l’impalpable inhérent au ressenti d’une atmosphère ? En provoquant un effet miroir où se reflètent les motifs dramaturgiques qui la structurent, répond Tommy Milliot en montant en diptyque L’Intruse et Les Aveugles, les deux pièces en un acte que le dramaturge a écrites dans sa jeunesse. Un détail qui compte puisque naissance et mort s’y confrontent à chaque fois, mais en ordre inversé. Dans L’Intruse, un silence troué de paroles et des bruits du dehors enserrent comme un étau la réunion de famille regroupant le grand-père aveugle et ses enfants, attendant le médecin au chevet de la jeune femme qui se meurt tandis que son bébé dort, ignorant ce qu’il en coûte à sa mère de l’avoir mis au monde. Avec Les Aveugles, la mort est déjà là, mais les aveugles ne peuvent la voir et attendent vainement le retour du prêtre, qui gît à leurs pieds, pour rentrer à l’hospice. Dans les bras de l’aveugle folle, seul son bébé peut voir, mais ne peut ni guider la troupe ni la sauver du froid et de la nuit qui va l’engloutir. La similarité et la complémentarité des éléments constitutifs des deux pièces évoquent le célèbre palindrome attribué à Virgile : “In girum imus nocte ecce et consumimur igni” (“Nous tournoyons dans la nuit et nous voilà consumés par le feu”). Par la forme, le palindrome, et le fond, la métaphore de l’expérience humaine comme cycle bordé par la naissance et la mort, elle dit la vanité à se penser unique au cœur d’une incommensurable multitude. Pour sa deuxième création à la Comédie-Française, après Massacre de Lluïsa Cunillé en 2020, Tommy Milliot, qui s’était fait connaître par la pertinence de ses lectures d’auteur·rices contemporain·es – de Frédéric Vossier à Fredrik Brattberg ou Naomi Wallace –, a donc choisi un auteur classique. L’invitation de la Comédie-Française s’est depuis transformée en collaboration, notamment pour la construction du décor réalisé au Nouveau Théâtre Besançon, dont il a été nommé directeur en janvier 2024. Teinte sépia et lignes claires à la géométrie douce et arrondie par le velouté des ombres qui la peuple, la scénographie accentue l’immobilisme des corps, brisés dans leur élan par une menace invisible. Tous·tes impeccables d’ardeur contenue et de frayeur glacée, les interprètes, avec leur voix, incarnent la multiplicité des expériences vécues. Traumatismes et pressentiments, désirs et craintes y sont continûment balayés par l’impermanence des choses et la pesanteur d’un temps imperméable au mouvement de l’existence, qu’il écrase avec la même régularité que la pulsation de vie qui le précède. L’Intruse et Les Aveugles, de Maurice Maeterlinck, mise en scène et scénographie Tommy Milliot, avec la troupe de la Comédie-Française. Jusqu’au 2 mars au théâtre du Vieux-Colombier, Paris Fabienne Arvers / Les Inrocks
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October 18, 2024 7:01 PM
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Par Fabienne Darge dans Le Monde, le 18 oct. 2024 La mise en scène de cette pièce russe de Nicolaï Erdman, censurée aussitôt après sa publication, en 1930, en minore la dimension politique.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/18/a-la-comedie-francaise-un-suicide-de-vaudeville_6355330_3246.html
Et pan ! Un homme est mort. Un homme devait mourir. Mais est-ce bien le bon ? Le mort utile, celui qui devait servir à régler quelques petits problèmes ? L’humour grince et réjouit, dans ce joyau du répertoire russe qu’est Le Suicidé, de Nicolaï Erdman, que l’on était particulièrement heureux de retrouver à la Comédie-Française, dans une mise en scène de Stéphane Varupenne, un des comédiens de la troupe. Las ! Ce Suicidé est apparu bien poussif, se tirant une balle dans le pied en restant en surface sur la dimension vaudevillesque de la pièce. Nicolaï Erdman l’a écrite à la charnière de 1928 et 1929, au moment où la Russie stalinienne commence à basculer dans la terreur, cette comédie qui épingle aussi bien les dérives totalitaires de la révolution en cours que les médiocrités de l’esprit petit-bourgeois. Dans la lignée des grandes comédies de Gogol, l’auteur y déploie un humour russe noir, acide et absurde, à son summum. Il le paiera cher : dès sa publication, en 1930, la pièce est interdite par la censure. Nicolaï Erdman vivra en relégation jusqu’en 1949, où il sera autorisé à revenir à Moscou, et n’écrira plus rien de significatif. Il faudra attendre 1990 pour que Le Suicidé soit enfin monté en Russie. La pièce a donc une aura un peu mythique, et, ces dernières années, avec la montée d’une nouvelle forme de terreur en Russie, elle est revenue s’inviter sur les plateaux. Pour autant, elle n’est pas simple à mettre en scène. Ses fonds et doubles fonds politiques et métaphysiques en font toute la grandeur, derrière la mécanique du vaudeville à la Labiche. Tout commence d’ailleurs par une scène de ménage, dans le kommunalka (appartement communautaire) où vit Sémione Sémionovitch, l’antihéros de la pièce. Et tout commence avec un problème majeur : la faim – laquelle a autant d’importance chez Erdman que chez Brecht à la même époque, comme moteur anthropologique de la guerre de tous contre tous. Huis clos sans intimité Sémione, petit homme ordinaire, dévirilisé et déconsidéré depuis qu’il est au chômage, réveille sa femme en pleine nuit, parce qu’il veut manger du saucisson de foie. L’épouse l’envoie balader et, ni une ni deux, Sémione menace de se suicider. A partir de là, une folle mécanique s’enclenche, dans le huis clos sans intimité où vivent les personnages. La nouvelle qu’un homme veut mourir se répand comme une traînée de poudre, à tous les niveaux de la société. Le suicidé, une fois mort, va devoir parler, dans un monde où les vivants n’ont plus droit à la parole. Tout ce que Moscou compte de groupes de pression va donc tenter de s’approprier le message post mortem de Sémione : la religion, les intellectuels, les bourgeoises défendant l’amour romantique et la lingerie fine ou les artisans bouchers. L’ennui, c’est que Sémione n’a plus du tout envie de mourir, maintenant qu’il est devenu un personnage considéré et courtisé. Que faire ? Tic-tac, tic-tac, la pièce enclenche son compte à rebours. Le souci, c’est que la mécanique avance ici avec des semelles de plomb. Stéphane Varupenne, qui est non seulement acteur et metteur en scène, mais aussi musicien, peine tout du long à trouver le rythme, la vivacité, la légèreté indispensables à cette folle fuite en avant. Dans le même temps, s’attachant principalement à tenter de faire fonctionner la dimension vaudevillesque, il affadit considérablement la portée politique et existentielle de la pièce, sa manière d’affronter l’énigme de la mort. Malgré une distribution cinq étoiles emmenée par Jérémy Lopez (Sémione), malgré le décor plus vrai que vrai signé par Eric Ruf, ce Suicidé semble mener une course de lenteur vers sa perte, sans que l’on sache trop de quoi on nous parle avec ce spectacle. Fabienne Darge / LE MONDE Le Suicidé, de Nicolaï Erdman. Mise en scène : Stéphane Varupenne. Comédie-Française, salle Richelieu, jusqu’au 2 février 2025. Légende photo : Léa Lopez, Adrien Simion, Clément Bresson, Christian Gonon, Yoann Gasiorowski, lors des répétitions du « Suicidé », de Nicolaï Erdman, mis en scène par Stéphane Varupenne, à la Comédie-Française, le 4 octobre 2024. VINCENT PONTET
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October 7, 2024 10:20 AM
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Par Laurent Goumarre publié dans Libération - 6 oct. 2024 La mise en scène de Constance Meyer et Sébastien Pouderoux explore les relations critique-artiste à travers le couple mythique, sans verser dans l’hagiographie ni le déboulonnage. «Qu’est-ce qui peut bien se passer de tellement grave dans la vie de quelqu’un pour qu’il devienne critique ?» balance Sébastien Pouderoux en John Cassavetes à Dominique Blanc dans le rôle de Pauline Kael, critique de cinéma viscéralement opposée au cinéaste. Le ton est donné : Contre, la création écrite et mise en scène par le couple Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, sera l’histoire passionnante des liens «contre» et tout contre entre pensée critique et création artistique. Le choix de la distribution bipolaire pose d’emblée ce double point de vue pour une pièce où chaque interprète joue «contre» soi : Dominique Blanc sera donc tour à tour Pauline Kael et Lelia Goldoni, l’actrice de Shadows, Nicolas Chupin passe de Peter Falk à Alain Lartisan, admirateur du réalisateur rebelle, et Marina Hands de Gena Rowlands à Eloïse Cornet, critique cérébrale acquise à la cause cassavettienne. Coup de force dramatique Tous jouent double jeu, à l’exception de Sébastien Pouderoux, au rôle unique, parce que c’est celui d’un homme entier : John Cassavetes, réalisateur/acteur, ne se partage pas, rempli de son art au risque de s’isoler dans une posture «contre». Pouderoux le travaille en vrai personnage de théâtre à la colère parfois comique d’un nouveau Misanthrope, mâle alpha. C’est lui contre le cinéma hollywoodien, qui veut un début un milieu une fin, et un message clairement politique s’il vous plaît. Contre les producteurs qui bien sûr ne comprennent rien : ils ont adoré le premier montage de Husbands ? Le cinéaste revoit entièrement sa copie pour une version moins consensuelle. Contre les journalistes qu’il ridiculise et violente ici dans un affrontement physique au scénario pervers narcissique entre le cinéaste et son ennemie critique – aux sérieux arguments – génialement défendue par Dominique Blanc. Il est le seul et l’unique, dans une pièce où les autres sont divisés, et c’est là le coup de force dramatique de cette pièce qui, pour le coup, contre magistralement la dérive biopic, tendance «Casavettes-Rowlands, leur vie leur œuvre». En désaxant le couple star John et Gena, sur l’attelage acteur /critique, Pouderoux & cie balaient toutes les balourdises de ces pièces-images d’Epinal sur des personnages ayant existé, forcément élevés au rang de modèles, qui commencent à sacrément alourdir les scènes théâtrales après avoir plombé les productions romanesques et cinématographiques. Force documentaire Pas d’hagiographie sur le mode artiste révolutionnaire et génie incompris, ni déboulonnage d’un type manipulateur qui a le coup de poing facile et l’ironie péniblement adolescente, la pièce explose les cadres dans un espace unique, suffisamment ouvert pour être à la fois le lieu d’une scène de tournage d’Une femme sous influence, une émission de critiques «Pour ou contre Cassavetes», et un bureau de commissariat où tout le monde va défiler pour témoigner à la suite d’une plainte contre le cinéaste déposée par son chef op. Et c’est là, à cour, dans ce bureau à l’arrière-plan, que va se jouer le plus bel hommage du théâtre au cinéma. Les acteurs, techniciens, Cassavetes, Rowlands sont filmés gros plan face caméra, leurs Faces surdimensionnées envahissent l’espace. Chacun répond aux questions, dépose son récit «contre» ou tout contre le réalisateur. Seule Marina Hands se tait et projette une vision éclairante de sa Gena Rowlands. Son visage immobile est un spectacle inouï ; imperceptiblement travaillé de micro-mouvements, il devient une master class, le portrait d’une actrice dont on comprend la force documentaire. La Rowland de Hands est une machine célibataire, une femme à la fois actrice et metteuse en scène, qui connaît son rythme, le temps qu’il faut pour imprimer son image aux spectateurs. Et la pièce de révéler une femme «contre» l’influence. Contre, mise en scène Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, au Vieux Colombier-Comédie Française (75006) jusqu’au 3 novembre. Légende photo : Tous les acteurs jouent double jeu, à l’exception de Sébastien Pouderoux, qui interprète un homme entier : John Cassavetes. (Christophe Raynaud de Lage/Comédie Française)
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June 29, 2024 1:31 PM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 29 juin 2024 Dans sa dernière création, écrite pour la Comédie-Française, Tiago Rodrigues s’inspire d’Euripide et raconte la vie chamboulée d’une comédienne en soif de justice. «Libération» a assisté aux répétitions, percutées par la campagne législative. Est-ce une bonne journée pour faire la connaissance de Nadia Roger, comédienne qui joue du Euripide, mère d’Otis, 12 ans, victime de gravissimes maltraitances dans l’institution supposée sinon soigner son autisme sévère, du moins lui apporter protection et aide ? Est-ce une bonne journée pour rencontrer ce personnage de fiction qui n’est pas du tout en quête d’auteur puisque Tiago Rodrigues lui a écrit une pièce, Hécube, pas Hécube, ni en quête d’interprète dès lors qu’Elsa Lepoivre fait plus que l’incarner, qu’elle empoigne cette mère à bras-le-corps, comme on le découvrira lors des répétitions. Le besoin de justice de Nadia Roger est irrépressible. A travers son fils, c’est bien pour l’ensemble des plus vulnérables qu’elle se bat, ceux qui sont dans l’impossibilité de dire la négligence et les coups, et que la société maltraite le plus comme en témoignent les scandales dans beaucoup d’Ehpad, et donc certaines institutions qui accueillent des autistes, la pièce s’emparant d’un drame véritable dont Tiago Rodrigues a été témoin lorsqu’il répétait Dans la mesure de l’impossible à la Comédie de Genève et qui a secoué la société suisse. «Théâtre service public» La veille au soir, le président Macron a dissous l’Assemblée. Au matin de cette décision, lorsqu’on rencontre Tiago Rodrigues, et deux des sept interprètes, Elsa Lepoivre et Eric Génovèse, dans le foyer des comédiens du Français, impossible de faire comme si le théâtre était une bulle imperméable au choc collectif. Comment jouer ? Que faire de ce Festival ? Quel rôle pour les artistes ? Tiago Rodrigues, visage cerné, au débit toujours plus rapide qui laisse peu de place au silence, se décrit «plus combatif que jamais» pour poursuivre une pratique du «théâtre service public» et placer la culture au cœur de la citoyenneté – «ce que les candidats de tous bords politiques ont oublié pendant ces élections européennes» comme Boris Charmatz et lui-même l’écrivait dans une tribune parue dans Libé. Lui parle de «trahison» et aurait aimé que le modèle culturel français, hérité de quatre-vingts ans de décentralisation, serve d’inspiration y compris s’il doit urgemment être réinventé – la question irriguera sans doute cette nouvelle édition du Festival. A ce sujet, l’Association des centres dramatiques nationaux vient de publier un long texte qui explique comment la casse à bas bruit de ce modèle ne fait pas chambre à part, n’est pas dissociable du détricotage de l’ensemble des services publics par ceux qui en sont les garants. Eric Génovèse, un des interprètes de la pièce, songe à voix haute : «Je suis un enfant du service public. Je suis issu d’une famille d’immigrés qui ne mettait pas un orteil dans un théâtre. Sans l’école publique et la croyance en cette nécessité d’une culture pour tous, je ne serais jamais devenu comédien.» Et aussi : «Aujourd’hui au Français, on réussit à toucher un public très varié. Ce public diversifié peut venir nous voir parce que le prix des places reste abordable grâce aux subventions. La question n’est pas de remplir les salles, mais comment et par qui.» Public de plus en plus diversifié, répertoire qui ne l’est pas moins. La création Hécube, pas Hécube, que Tiago Rodrigues imagine pour des acteurs qu’il ne connaissait pas mais qu’il observe témoigne de cette évolution rapide de la Comédie-Française, alors que chaque pièce jouée salle Richelieu passe selon les rites maison devant un sourcilleux comité de lecture. Un paradoxe quand l’écriture ne préexiste pas à la création ? Une tendance en tout cas qui affirme le désir et besoin de l’institution de ne pas se couper d’une modernité très ancienne. Car elle renoue avec la manière dont Molière en personne, autrement dit le saint patron de la troupe, ne fixait pas ses pièces sur le papier avant qu’elles soient jouées, mais, comme nous l’avait expliqué Eric Ruf, écrivait une sorte de canevas nourri par d’incessantes improvisations en public. Elsa Lepoivre et Eric Génovèse ont chacun fait partie du comité de lecture. Ils attestent qu’il y a environ un projet par an qui suscite «un débat démocratique dans le comité car certains de ses membres ont besoin d’un support solide» pour trancher sa venue salle Richelieu. Porosité et submersion de la vie extérieure Ce matin-là, on est donc submergés. Les répétitions ont lieu mais avec l’arrière-fond de l’ouragan politique qui balaye le pays et les esprits. Tiago Rodrigues prévient : «N’hésitez pas à vous arrêter pour les raisons les plus diverses. N’hésitez pas s’il y a des scènes qui ne sont pas trouvées…» Au cours du filage, le comédien Gaël Kamilindi fait remarquer : «Donc la première a lieu le 30, à 22 heures, on aura déjà le résultat du premier tour…» Evidemment, chaque phrase de la pièce résonne. Nadia Roger, sous les traits d’Elsa Lepoivre, qui lance : «J’ai été trahie par l’Etat.» Ou encore, cette affirmation : «Au théâtre, il existe toujours des peines plus grandes que les nôtres.» La porosité et la submersion de la vie extérieure sur ce qui est joué sont précisément le sujet de Hécube, pas Hécube. Pièce qui ne parle que des allers-retours de ce personnage de comédienne, Nadia Roger, prise entre la tragédie de son enfant et celle du rôle qu’elle doit jouer, Hécube, reine, veuve de Priam, réduite à l’esclavage après la guerre de Troie, qui exige justice après l’assassinat de son fils par le roi de Thrace. Elsa Lepoivre : «Il est très difficile de ne pas relier la lutte de Nadia Roger à l’urgence de réveiller les consciences et d’avancer soudée.» Tiago Rodrigues explique : «Soudain, une comédienne regarde sa vie à travers les lentilles d’Euripide qui l’éclaire différemment et décuple sa force. Ce qui m’intéresse est de regarder le monde à travers Hécube. Le théâtre, quand on lui donne cette possibilité, change nos vies pour le mieux. Parce qu’Euripide lu et entendu au bon moment peut rendre justice.» Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues avec des interprètes de la Comédie-Française, du 30 juin au 16 juillet à la Carrière de Boulbon, Avignon. Anne Diatkine / Libération Légende photo : Elsa Lepoivre dans «Hécube, pas Hécube» de Tiago Rodrigues. (Christophe Raynaud de Lage)
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April 9, 2024 3:58 PM
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Par Nathalie Simon dans Le Figaro - 8 avril 2024 L'écrivain Claudine Galea et la metteuse en scène Laëtitia Guédon revisitent L'Odyssée d'Homère à travers un oratorio.
Le plateau du Vieux-Colombier est dans la pénombre. Se détache un crâne de cheval monumental avec les silhouettes blanchâtres de ses oreilles dressées. Incendiée, saccagée, Troie est tombée. Une mélopée lancinante et la voix de Clotilde de Bayser fait entendre la parole d'Hécube, qui a vu périr ses enfants et est donnée en « cadeau » à Ulysse. Martyre involontaire, elle harangue « cet ennemi du vrai, cette vipère sans loi ». « Pourquoi ne peux-tu pas te passer de moi ? », lui demande-t-elle. Mobile, le décor est retourné par le Chœur Unikanti (issu de la Maîtrise des Hauts-de-Seine), et révèle alors la grotte, sanctuaire de la déesse Calypso (Séphora Pondi en robe bleue), qui propose à Ulysse de « sortir du temps ». Suite à l'injonction d'Hermès, les larmes aux yeux, l'amante du héros grec l'autorise à la quitter après sept ans de vie commune. Enfin, le guerrier sanglant revient à Ithaque et retrouve sa femme, Pénélope (la blonde chanteuse Marie Oppert). Elle l'a attendu sans prendre une ride, mais reste d'abord muette. Dans le très exigeant Trois fois Ulysse (Éditions Espaces 34, représenté par L'Arche), Claudine Galea rend hommage aux femmes de L'Iliade et de L'Odyssée d'Homère. Elle redessine une image du personnage qui n'a rien à voir avec le « héros sans peur et sans reproche » des manuels scolaires. Joué successivement avec ferveur par Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty et Éric Génovèse, l'amant, époux et le combattant est tour à tour violent, hargneux, fougueux et amoureux, faillible, voire « en dépression ». « L'art, c'est la beauté quoi qu'on dise. Violence et désordre, mais beauté », assure l'auteur. Il y a tout cela dans ce spectacle plein de soufre, où la cruauté des cœurs le dispute à un infime espoir. Pénélope finit par s'exprimer. Les rôles s'inversent. L'homme dépend de la femme qu'il a cru soumise. Précision et raffinement Claudine Galea a travaillé en accord avec Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages, à Paris, qui signe sa première pièce dans la maison de Molière. Cette dernière illustre les intentions de sa consœur à travers une mise en scène d'une précision chirurgicale dans une scénographie d'un raffinement extrême (sur un panneau défilent des soleils rougeoyants et des vagues sombres). Trois séquences immortalisent le destin de trois couples qui, en l'absence des dieux, prennent leurs responsabilités, surtout les femmes. Les acteurs de la Comédie-Française prouvent, s'il en est besoin, qu'aucun registre ne leur résiste et qu'ils savent donner de la voix à tous les sens du mot. Alliant théâtre, musique et vidéo, le texte de Claudine Galea se déploie en majesté avec le risque que la forme prenne le pas sur le fond. Impossible d'être attentif tout du long de cet oratorio où les sentiments humains sont transcendés par la présence du Chœur Unikanti qui déclame aussi bien des chants du XIIe siècle, de l'araméen ou un Tri martolod. Beau comme l'antique ! Nathalie Simon / LE FIGARO Trois fois Ulysse, au Théâtre du Vieux-Colombier (Paris 6e), jusqu'au 8 mai. Rés. : 01 44 39 87 00. www.comedie-francaise.fr
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February 18, 2024 6:24 PM
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Par Laurent Goumarre dans Libération - 18 février 2024 Lorraine de Sagazan, dont c’est la première mise en scène à la Comédie-Française, et Guillaume Poix instaurent un face-à-face avec le public dans une fascinante pièce coupée en deux, remplie d’énigmatiques déflagrations et d’images suspendues. Est-ce qu’ils se taisent ? Est-ce qu’ils n’ont plus rien à se dire ? Ou peut-être que tout a déjà été dit ? Que plus rien ne peut se dire ? Autant de questions qui se posent face à ce qui ressemble encore à un couple. Elle, Marina Hands, semble hébétée dans son salon-salle à manger pas rangé, un cadavre de déjeuner sur la table pas débarrassée. Elle jette une balle devant son chien, sans mot dire, comme par réflexe : on trouve une balle, il y a un chien, on lance la balle. Lui, Noam Morgensztern, rentre des courses, parcourt la pièce comme une traversée en solitaire, droit devant toute, opaque. Ils sont deux sur le même plateau, mais ne le partagent pas, enfermés chacun en eux-mêmes. De notre côté, on tente de les réconcilier, au moins du regard. Impossible : quand on en regarde un, on perd l’autre de vue. La communication est rompue à tous les niveaux dans cette pièce littéralement coupée en deux par le dispositif bi frontal qui fait que personne n’est à la bonne place. Personne ne peut tout voir quand bien même on se tient au plus près des personnages. Visage enfoui dans le sable Un silence bourré à craquer : ils sont quatre maintenant, deux amis sont arrivés, qui tentent d’infiltrer le silence, mais pour ne rien dire. Julie Sicard peine à finir ses phrases, Stéphane Varupenne écourte une conversation au téléphone, «ce n’est pas le moment». Encore faut-il s’entendre sur ce silence rempli d’énigmatiques déflagrations, d’objets sonorisés, de peluche d’enfant – ou de chien ? – qui couine, un silence bourré à craquer, jusqu’à l’explosion de Marina Hands, impressionnante, hors d’elle-même, un silence qui épuise les mots quand ils arrivent. Et que pourraient-ils bien se raconter dans cet appartement plombé, surmonté d’un écran qui diffuse des images suspendues comme autant de sous-textes en noir et blanc – Marina à cheval, Noam immobile de dos dans les rayons d’un supermarché, un visage enfoui dans le sable, un manège d’enfants qui tourne à vide, gros plan sur un jeu d’échecs, focus sur un livre, la Révolution copernicienne édition les Belles Lettres. Hantés par le texte Bien vu, car c’est une fascinante révolution que mène Lorraine de Sagazan dans sa première mise en scène à la Comédie-Française. Alors qu’au théâtre, en principe, on voit ce qui se passe, ici on regarde ce qui a bien pu se passer, de quel drame ce silence étouffe le nom. Un enfant a-t-il disparu ? Chacun travaille sa propre histoire comme les comédiens ont dû le faire, hantés par le texte que leur a écrit Guillaume Poix, tous les quatre porteurs d’un récit qu’ils taisent, mais que la mise en scène donne à voir. La douleur ça doit être ça, regarder des gens en souffrance des mots pour le dire. A cet instant, il faut mentionner une cinquième présence, celle de Baptiste Chabauty, qui tourne intense et silencieux tout autour du plateau dans un jeu de face-à-face au public. Ce jeune pensionnaire vient d’intégrer la Comédie-Française, comme on entre dans les ordres : pour sa première pièce, il a fait vœu de «silence». Laurent Goumarre / Libération Le Silence de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, mise en scène de Lorraine de Sagazan, au théâtre du Vieux-Colombier, Paris, jusqu’au 10 mars. Légende photo : Marina Hands semble hébétée dans son salon-salle à manger pas rangé. (Crédit © Jean-Louis Fernandez)
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October 14, 2023 4:13 PM
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Par Valentin Pérez dans M le magazine du Monde - 13 oct. 2023 A 28 ans, le jeune pensionnaire de la Comédie-Française vient de décrocher son premier rôle principal dans « L’Opéra de quat’sous », mis en scène par Thomas Ostermeier. Quelques mois après avoir fait sensation au cinéma dans « Je verrai toujours vos visages », de Jeanne Herry.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/10/13/les-coups-de-theatre-du-comedien-birane-ba_6194213_4500055.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2cTqEArFZKDD9jkauts2IWNFJEEmkX5wT4o9IK8GMtZjTnKbBIbLpUko8#Echobox=1697247903
Lorsqu’il a appris qu’il jouerait Macheath, dans L’Opéra de quat’sous (1928), de Bertolt Brecht et Kurt Weill – soit son premier rôle principal sur scène –, Birane Ba n’a pas demandé au metteur en scène allemand Thomas Ostermeier pourquoi il l’avait choisi. Pourtant, ce rôle de malfrat échoit souvent à des quadragénaires à l’air louche, quand lui, à 28 ans, dents du bonheur et regard tendre, a les traits d’un gentil garçon. « Je ne demande jamais : “Pourquoi moi ?”, assure Birane Ba. Mais il peut m’arriver de demander : “Tu es sûr” ? » Le jour de l’audition, face notamment au codirecteur du Festival d’Aix-en-Provence – où la pièce a été créée cet été dans le cadre d’un partenariat avec la Comédie-Française, où elle se donne jusqu’au 5 novembre –, le comédien avait choisi, pour prouver qu’il pouvait chanter juste, Tout fout le camp, d’Edith Piaf. Un an de préparation auprès de maîtres de chant lui a été nécessaire pour façonner le rôle de ce magouilleur et voleur qui cherche à sceller son ascension sociale par un mariage avec une fille bien née. Placer la voix, glisser de la mélodie à la réplique, se couler dans des allures de gentleman… Dans cet emploi tout en dualité, Birane Ba impose son habituelle présence lumineuse dans une variation plus trouble. Des personnages complexes Au printemps, le grand public a pu le découvrir en détenu résilient dans le film à succès Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry, ou à la Comédie-Française, incarnant une gueule d’ange bien élevé et canaille qui convertit toute une famille à la luxure, dans une libre adaptation du Théorème, de Pasolini. Comme si, après quelques années d’initiation, on lui réservait les personnages complexes qui permettent de déployer tout son art… Les critiques des journaux l’ont à l’œil. Ils peuvent se montrer louangeurs, et parfois tranchants, envers Birane Ba, qui quelquefois les lit (« Erreur à ne pas reproduire ! »), autant que leurs collègues reporters adorent raconter sa trajectoire aux allures de success story. Fils d’un ouvrier reconverti en médiateur et d’une femme de ménage, tous deux d’origine sénégalaise, il grandit dans un appartement du quartier de la Poterie, à Vernon (Eure). Six sœurs, un frère, lits superposés, balles au prisonnier et parties de foot entre deux épisodes de la série d’animation Olive et Tom. La première suggestion vient de « madame Salomon » (les noms de ses professeurs sont des phares dans la mémoire de Birane Ba), après la récitation d’une poésie : « Tu devrais t’inscrire au club théâtre. » Deux ans plus tard, encouragé cette fois par « monsieur Morio », il saute le pas et débute par du répertoire contemporain : Théâtre sans animaux, de Jean-Michel Ribes, ou Arnaque, cocaïne et bricolage, de Mohamed Rouabhi. Dix ans plus tard, il se liera d’amitié avec ce dernier en jouant un de ses textes à la MC93, à Bobigny : « Tu imagines ! La première pièce que j’ai jouée de ma vie, c’était la tienne ! » Brille chez Birane Ba cette lueur rare de ceux qui rêvent très grand, flamme qui semble ne jamais faiblir sous la bourrasque. A 14 ans, il assiste, à la Comédie-Française, aiguillé par « monsieur Morio », à une représentation de La Grande Magie, d’Eduardo De Filippo, éloge doux-amer de l’illusion théâtrale. Le bâtiment est orné de bâches. « J’ai cru qu’il s’agissait de portraits de comédiens et j’ai pensé : “Un jour, ce sera moi !” » Il s’en donne les moyens. Propulsé place du Palais-Royal Classe théâtre, conservatoire municipal, régional… En parallèle, il entame un BTS commerce international, plus convenable aux yeux de ses parents. « Je ne leur ai pas dit, mais je ne me suis pas présenté aux épreuves du BTS blanc, relate-t-il. C’était le jour du concours de la classe libre du Cours Florent. Je me suis dit : “Mon rêve parisien de devenir comédien, c’est là et maintenant.” » Et il décroche son sésame, puis entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Avant même son diplôme, Eric Ruf, administrateur général du « Français » depuis 2014, le repère dans un Dom Juan au Théâtre de la Tempête, à Paris. Birane Ba se pince de voir la Comédie-Française se rapprocher, mais rate son audition. « Je n’avais pas le bagage technique », convient-il. Il a fallu un second essai, quelques mois plus tard, des premiers pas en tournée en tant qu’auxiliaire (un statut non renouvelable d’apprenti), avant que, début 2019, Eric Ruf ne lui propose de l’engager comme pensionnaire en lui demandant de prendre le temps de réfléchir. Le jeune homme affecte de lui obéir. « Mais, bon, ma réponse était toute faite… » Propulsé place du Palais-Royal, celui qui payait son loyer en étant vendeur chez Bouygues Telecom ou animateur en centre de loisirs, a dû se familiariser avec les codes de l’institution. Accepter les distributions, adopter l’esprit de troupe tout en se montrant autonome. Ce boxeur raconte s’isoler dans les salles de répétition et « se battre avec le texte, comme dans un combat physique », le déclamant afin d’en mémoriser les répliques, jusqu’à ce qu’elles puissent être prononcées sans effort, façon automate, en faisant la vaisselle ou en filant à scooter. « Ici, il ne faut pas avoir d’acquis, constate-t-il. Se faire à l’idée que l’on est toujours sur le fil, au travail. » Des échappées belles sur grand et petit écran Quand il le peut, Birane Ba s’autorise une échappée dans des séries (Sentinelles, de Jean-Philippe Amar, sur OCS) ou au cinéma, chez Cédric Kahn (La Prière, 2018), Jeanne Herry, donc, et bientôt chez son ami le comédien Anthony Bajon, qui tournera, en 2024, son premier film. « Sur grand écran, le personnage est intrinsèquement lié à ton identité de comédien, tandis qu’au théâtre le personnage est toujours là. Sitôt qu’on l’interprète, il se dit : “Tiens ! on m’appelle, j’arrive.” Puis il repart là-haut, comme un esprit avec sa propre vie. À partir de là, être comédien, pour moi, c’est faire surgir fidèlement un être, sans le trahir et surtout sans l’occulter. Tout acteur qui cabotine est une trahison du personnage. » L’amateur de « rap conscient » (Kery James, Youssoupha, Dinos…), devenu seulement le cinquième comédien noir à être pensionnaire d’un théâtre public fondé en 1680, aimerait maintenant jouer du Victor Hugo, « parce qu’il est lyrique et surtout politique », ou se frotter à du Alfred de Musset. En attendant, après Brecht, on le verra cette saison se prêter à du Feydeau (La Puce à l’oreille), du Molière (Les Fourberies de Scapin), ou du Rostand (Cyrano de Bergerac). « J’apprends à être patient », avoue-t-il, conscient qu’il lui faut canaliser son appétit. Que lui souhaiter, maintenant qu’il a atteint le Graal en entrant dans ce temple qu’il fantasmait adolescent et surnomme désormais « la maison » ? « Un rêve qui se réalise donne l’impression d’être irréel. Sitôt que c’est tangible, voilà, c’est fait, et il faut trouver un nouveau rêve auquel s’accrocher… » Si le prochain objectif n’est pas complètement défini, côté rêves, Birane Ba a de la ressource. L’Opéra de quat’sous, de Brecht, mis en scène par Thomas Ostermeier, jusqu’au 5 novembre. La Puce à l’oreille, de Feydeau, mis en scène par Lilo Baur, jusqu’au 1er janvier 2024. comédie-francaise.fr Valentin Pérez / Le Monde
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Le spectateur de Belleville
June 15, 2023 5:35 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde -15 juin 2023 Avec « Mémoire de fille », la metteuse en scène Silvia Costa explore la nature trompeuse du souvenir Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/06/15/avec-memoire-de-fille-la-metteuse-en-scene-silvia-costa-explore-la-nature-trompeuse-du-souvenir_6177819_3246.html
Une femme se parle à elle-même. Elle se vouvoie. Rien d’anormal : elle est multiple et donc diffractée, sur la scène du Vieux-Colombier, à Paris, dans le corps de trois solides actrices, Clotilde de Bayser, Anne Kessler et Coraly Zahonero. Cette femme parle depuis trois temps ou trois expériences de vie : la jeune fille qui, en 1958, connaît sa première – et calamiteuse – relation sexuelle alors qu’elle est monitrice de colonie de vacances ; la romancière qui écrit l’histoire de la jeune fille (le récit est publié en 2016) ; la femme qui projette cette confession intime vers une perspective sociale et politique tout en réglant, en route, ses comptes avec une mère envahissante. Annie Ernaux est l’autrice qui se souvient d’Annie Duchesne (son nom de naissance) dans ce Mémoire de fille, inscrit au singulier sur la couverture de son livre (paru chez Gallimard) mais qui pourrait s’envisager au pluriel. Écouter aussi Annie Ernaux, portrait d’une écrivaine en lutte Adapté pour le théâtre, le texte devient une suite de glissements d’un état à un autre. Il connecte les faits et les détails à leur saisie remémorative et à leur analyse, il relie passé et présent, il articule entre elles des voix qui se passent le relais de la narration. Tressage subtil pour un spectacle faussement serein qui héberge une réelle brutalité : l’humiliation vécue par Annie Ernaux a eu des conséquences physiques et psychologiques. L’expression de cette violence-là passe un peu à la trappe, dommage. Tenant la barre de ce retour sur soi, Silvia Costa agit en plasticienne et musicienne plus qu’elle n’opère en metteuse en scène. Elle n’illustre pas le propos. Elle ne vise pas son incarnation par les interprètes. Elle bannit l’expressivité de leur profération, elle évacue les émotions d’un jeu qui se veut neutre. Elle cherche à traduire, grâce à l’aménagement de l’espace et à l’usage du son, les processus souterrains d’une anamnèse (l’inverse de l’amnésie) et la complexité d’une figure qui se reconstruit entre le parcellaire, l’épars et le concassé. Effacement continu Cette démarche se matérialise dans un plateau habité par l’inanimé des objets (des pierres, des ficelles, des fleurs séchées, des verres, etc.) que manipulent les trois sociétaires du Français reconverties en maîtresses d’une cérémonie énigmatique. Rien n’est figé. Ni les corps qui se déplacent en permanence, ni les costumes enlevés à peine enfilés, ni les éléments scéniques apportés puis retirés pour être remplacés par de nouveaux. Seul le cadre ne varie pas : trois murs bleutés avec leurs ouvertures en forme de grandes meurtrières horizontales ou verticales. Entre les parois, le mouvement perpétuel crée une curieuse impression d’effacement continu. Et empêche que quoi que ce soit (image, idée, sensation) se fixe, avec netteté et certitude, dans la perception du public. Sans doute est-ce là le but de Silvia Costa : retrouver, par l’organicité même de sa représentation, la nature trompeuse et le caractère infidèle de la mémoire. Ce flou organisé en flux insaisissable est pour le spectateur un repos. Il peut laisser dériver son imaginaire sans être obsédé par la traque du sens. S’il est vrai que le dispositif dilue l’âpreté du récit, il est tout aussi vrai qu’on perd dans le domaine de l’explicite ce que l’on gagne dans le registre de l’implicite. Un rééquilibrage qui séduit. Ou pas. Le travail de l’artiste ne manque pas d’audace. Pas évident de poser un geste plus plastique que théâtral dans un Vieux-Colombier pas vraiment habitué à ce genre de radicalité. Or, les lieux de monstration, jamais neutres, agissent à bas bruit sur ceux qui les fréquentent et fabriquent leurs attentes. Ce Mémoire de fille version Silvia Costa n’a rien d’un produit formaté pour la Comédie-Française. C’est bon à savoir. Clotilde de Bayser, Coraly Zahonero et Anne Kessler, dans « Mémoire de fille », d’après Annie Ernaux, mise en scène par Silvia Costa, au Théâtre du Vieux-Colombier, à Paris, le 2 juin 2023. MONIKA RITTERSHAUS/COMÉDIE-FRANÇAISE
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Le spectateur de Belleville
February 12, 2023 3:54 PM
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Par Grégoire Biseau dans Le Monde - 12/02/23 Après le succès de plusieurs spectacles musicaux, la maison de Molière s’aventure plus loin sur le terrain de la chanson avec la sortie de son tout premier album, dans lequel ses pensionnaires réinterprètent des classiques de Serge Gainsbourg. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/02/12/la-comedie-francaise-connait-la-chanson_6161567_4500055.html
Ils sont forcément un peu énervants puisqu’ils sont beaux, talentueux et sympathiques. Ils s’appellent Sébastien Pouderoux, Stéphane Varupenne, Yoann Gasiorowski, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern et Rebecca Marder. Ils ont entre 27 et 42 ans et ne se contentent pas d’être des acteurs de la Comédie-Française, ils chantent, jouent de plusieurs instruments de musique et viennent de sortir leur premier album : une réinterprétation de plusieurs classiques de Serge Gainsbourg tirée de leur spectacle musical, Les Serge (Gainsbourg point barre). Une première dans l’histoire de la maison de Molière. Ce n’est pas encore tout à fait un vrai groupe de musique, mais c’est un peu plus qu’un collectif, que tout le monde surnomme, ici, « Les Serge ». Jeudi 2 février, trois d’entre eux sont là, au foyer des acteurs de la vénérable institution du Palais-Royal : les deux leaders (Sébastien Pouderoux et Stéphane Varupenne) et leur batteur, Yoann Gasiorowski (qui fait aussi office de clavier et de chanteur). C’est le grand jour : leur album, La Comédie-Française chante Gainsbourg, vient d’atterrir sur les plates-formes. On sent le petit frisson des premières fois, ce mélange de ne pas vouloir se prendre au sérieux, tout en caressant l’ambition de se faire remarquer. Ils sont acteurs, ils aimeraient qu’on dise qu’ils sont aussi musiciens. « On est à 45 fans sur Spotify. Ça commence à grimper fort », rigole Yoann Gasiorowski, les yeux sur son portable. Bob Dylan puis Serge Gainsbourg Cela fait quelques années déjà que la Comédie-Française chante. Du moins depuis que Muriel Mayette Holtz, la précédente administratrice générale (2006-2014), a lancé plusieurs cabarets musicaux. Il y a eu Ferré, Brassens, Barbara. Mais, jusqu’à présent, ses acteurs n’avaient jamais produit de musique. Cela a commencé en 2015 avec Comme une pierre qui…, un spectacle emballant où Sébastien Pouderoux incarne Bob Dylan en train d’enregistrer la chanson Like a Rolling Stone. Déjà son compère Stéphane Varupenne est là, lui aussi, à la guitare. Lire la critique (en 2015): Un petit miracle Bob Dylan à la Comédie-Française Dans la foulée, Eric Ruf, le nouvel administrateur général, leur suggère de monter un spectacle autour de Serge Gainsbourg. Aucun des deux n’est vraiment fan ni grand connaisseur. Mais le personnage inspire les deux acteurs. « Le fait qu’il ne soit pas pour nous une idole nous a donné une grande liberté », commente Sébastien Pouderoux. Le duo réunit les rares acteurs de la troupe qui jouent d’un instrument. Les Serge étaient nés. Après une année de répétition, leur création, en 2019, est un succès. Suit un DVD tourné au studio Ferber en 2020, puis la reprise du spectacle, fin 2022 (avec Marie Oppert en remplacement de Rebecca Marder, qui a quitté le Français depuis). Et enfin un album. Pour autant, l’idée de ce disque n’est même pas venue d’eux mais de la compagne de Sébastien Pouderoux. « Probablement par humilité, on s’était interdit d’y penser », souffle Stéphane Varupenne. Hommage à Alain Souchon Théâtre contre musique ? Chanson contre alexandrin ? « Avec la musique, quand on est sur scène, on sent bien que le plaisir du spectateur est quasi immédiat, alors que le théâtre, c’est forcément plus cérébral », analyse Sébastien Pouderoux. Françoise Gillard dirait très probablement la même chose. Entrée à la Comédie-Française en 1997, celle qui a interprété la Roxane de Cyrano de Bergerac chante jusqu’au début du mois de mars du Alain Souchon dans un spectacle qu’elle met en scène, La Ballade de Souchon. Cela fait longtemps qu’elle voulait rendre hommage à un chanteur vivant. Elle avait pensé à Anne Sylvestre (disparue en 2020). Puis elle a un temps hésité entre Alain Souchon et Francis Cabrel. Ce sera « la Souche ». « J’aime l’homme. On le connaît sans le connaître, il a traversé le temps et les générations. Tout le monde a son propre Souchon. » Autour de trois musiciens professionnels, elle a réuni cinq pensionnaires de la Comédie-Française, de tous les âges, dont Danièle Lebrun, 85 ans. « Ce n’était pas une démarche féministe. Mais, puisque Souchon a beaucoup parlé des filles, j’ai eu envie que les filles parlent de lui », sourit-elle. Françoise Gillard a tout réécouté, redécouvert des morceaux oubliés, lu toutes ses interviews… Comme dans Les Serge, elle a construit un spectacle qui devient autant un récital de chansons réinterprétées qu’un portrait en pointillé du chanteur. « L’ambition est d’abord de faire entendre les textes. Et que le spectateur se sente bien, que quelque chose de doux sorte de cette soirée », souffle la comédienne de 49 ans. Alain Souchon est venu. C’était la première fois que Françoise Gillard le rencontrait. « Il était très ému. Il nous a dit : “Mais je ne mérite pas cela”. » « Le rêve serait de partir en tournée » « Souchon, j’adore », s’exclame Sébastien Pouderoux, qui n’a pas encore eu le temps d’aller voir le spectacle. Avec son complice Stéphane Varupenne, il a bien cherché sur qui ils pourraient maintenant jeter leur dévolu. Ils ont réécouté Claude Nougaro, mais n’ont pas vraiment été convaincus par ses entretiens. Ils rêveraient de pouvoir faire quelque chose autour de David Bowie. « Ce qui nous excite en tant qu’acteurs, c’est autant le compositeur que le personnage. Et Bowie c’est quand même l’homme de tous les masques », souligne Yoann Gasiorowski. Mais, outre la question (très compliquée) des droits, l’esprit de la Comédie-Française est d’abord de jouer et de chanter en français. « Ça viendra quand ça viendra. Mais il faut qu’il y ait une évidence », lâche Stéphane Varupenne. Ils en sont là, c’est-à-dire nulle part, encore accrochés à leur Gainsbourg, qu’ils devraient reprendre la saison prochaine. « Le rêve serait maintenant de partir en tournée », ose Sébastien Pouderoux. De se lancer à l’assaut de vraies salles de concerts. De faire La Cigale ou l’Olympia. Avec le spectacle sur Bob Dylan, ils avaient eu l’occasion de jouer au Printemps de Bourges. « Un souvenir génial », dit-il. Mais, voilà, ils sont d’abord pensionnaires à la Comédie-Française, ce qui signifie un calendrier de représentations rempli à ras bords. « Pour l’instant, il faut poser la guitare », soupire Sébastien Pouderoux. Grégoire Biseau / Le Monde Légende photo : De gauche à droite, les comédiens Yoann Gasiorowski, Sébastien Pouderoux, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Rebecca Marder et Stéphane Varupenne, lors d’un enregistrement de « La Comédie-Française chante Gainsbourg ». LA COMÉDIE-FRANÇAISE & LA BELLE TÉLÉ
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