Revue de presse théâtre
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March 13, 1:42 PM
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Dans « Min el Djazaïr », la Compagnie Hékau et son théâtre d’ombres éclairent le passé des juifs d’Algérie

Dans « Min el Djazaïr », la Compagnie Hékau et son théâtre d’ombres éclairent le passé des juifs d’Algérie | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 13 mars 2025

 

Nicole Ayach et Sarah Melloul se sont inspirées d’archives historiques et de récits familiaux pour imaginer une fiction sur l’exil forcé de cette communauté, en 1962.


Lire l'article sur le site du "Monde' : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/03/13/dans-min-el-djazair-la-compagnie-hekau-et-son-theatre-d-ombres-eclairent-le-passe-des-juifs-d-algerie_6580354_3246.html

Dès son titre, Min el Djazaïr (2023), aux sonorités venues d’ailleurs – littéralement « de l’Algérie » –, et les premières notes de la musique judéo-arabe jouée en direct sur le plateau par la musicienne et compositrice Jina di Najma, la création de la Compagnie Hékau plonge le public dans un dépaysement sonore. Tandis que la voix de la narratrice, Jina di Najma, égrène les noms de différents lieux emblématiques de la ville d’Alger dans les années 1950 – le port, la casbah, la rue de la Lyre et son marché, la Grande Synagogue… – des silhouettes de bâtiments en papier découpé sont projetées sur des draps blancs, donnant peu à peu naissance à toute une architecture en théâtre d’ombres.

Pour évoquer un épisode souvent oublié de la guerre d’Algérie, le départ forcé, en 1962, au moment de l’indépendance, de plus de 100 000 juifs qui vivaient dans ce pays depuis l’Antiquité, Nicole Ayach, comédienne et cofondatrice de la Compagnie Hékau, en 2017, s’est associée à Sarah Melloul, autrice-dramaturge et chercheuse spécialiste de l’Afrique du Nord.

 

A partir d’archives historiques, visuelles et sonores, et de souvenirs familiaux, elles ont imaginé une fiction mettant en scène deux sœurs, Babeth et Simone, vivant à Alger au début des années 1950. Elles sont filles d’un marchand de tissus installé dans le quartier juif de la ville depuis cinq générations, et leur destin, sur une décennie, est emblématique de celui de ces habitants « trop juifs pour être pieds-noirs et trop français pour être algériens », comme le dit la narratrice au cours de la représentation.

Emouvante nostalgie

Une émouvante nostalgie se dégage de ce théâtre d’ombres délicatement colorées qui jaillit, au fil du spectacle, des mains expertes de deux marionnettistes, Nicole Ayach et Pascale Goubert. A la douceur de vivre dans l’Alger insouciante du début des années 1950 au rythme des concerts, au café de la casbah, de la chanteuse Reinette l’Oranaise (1915-1998) succède la violence des combats entre le Front de libération nationale (FLN) et l’armée française sur fond d’attentats de l’Organisation armée secrète.

Chacune des deux sœurs va prendre une voie différente dans ce conflit : Simone va choisir la lutte armée dans les rangs du FLN, tandis que Babeth va se marier et avoir une fille – devenue la narratrice de cette histoire – en essayant de continuer à faire vivre le magasin de tissus de leur père. Toutes deux finiront par devoir quitter le pays de leur enfance pour s’installer en France, l’une à Marseille dès 1957, pour échapper à la prison en raison de son engagement militant, et l’autre en 1962, après les accords d’Evian.

 

Des images d’archives projetées en arrière-plan des silhouettes des personnages témoignent de la vie quotidienne à Alger dans les années 1950-1960 et permettent de rattacher le récit intime de Babeth et Simone à la grande histoire collective des juifs d’Algérie sur fond de guerre d’indépendance. Une façon délicate et onirique d’évoquer l’exil douloureux d’une communauté déracinée malgré elle.

 

Voir le teaser vidéo 

 

Min el Djazaïr, par la Compagnie Hékau. Direction artistique, interprétation, construction de marionnettes : Nicole Ayach. Ecriture et dramaturgie : Sarah Melloul. Interprétation : Pascale Goubert. Musique et création sonore : Jina di Najma. Le Mouffetard. Centre national de la marionnette, 73, rue Mouffetard, Paris 5e. Jusqu’au 22 mars. Reprise, le 16 mai, à Houdremont. Centre culturel de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) et, le 21 mai, au Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) dans le cadre de la 12e Biennale internationale des arts de la marionnette (BIAM).

 

 

Cristina Marino / LE MONDE

 

Légende photo : Le théâtre d’ombres colorées de la Compagnie Hékau dans « Min el Djazaïr » (2023). Photo © JULIE BOILLOT-SAVARIN

 

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May 20, 2024 11:15 AM
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Vagues de glace au coeur de la Tempête

Vagues de glace au coeur de la Tempête | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Callysta Croizer dans Les Echos - 18 mai 2024

 

 

Au Théâtre de la Tempête, Elise Vigneron plonge dans « Les Vagues », l'oeuvre énigmatique de Virginia Woolf. La metteure en scène, également marionnettiste et plasticienne, confie le « poème-jeu » à des figures de glace et signe une adaptation à l'esthétique saisissante.

 

 

Publiée en 1931, « Les Vagues » est une oeuvre emblématique de Virginia Woolf. Inspirée par ce mystérieux « poème jeu », dans lequel l'autrice britannique a déployé la quintessence d'une écriture expérimentale, Elise Vigneron s'est jetée à l'eau. De la cité phocéenne à la Tempête du bois de Vincennes, la metteure en scène, marionnettiste et plasticienne, façonne un spectacle pour choeur de glace en une expérience sensible du temps qui s'écoule, de l'enfance à la maturité.

 

Dans un faisceau de lumière blanche, une boule de glace tournoie suspendue au bout d'un fil, avant de s'écraser en mille morceaux sur scène. Le geste, fatal, préfigure le destin des six marionnettes à taille humaine, chacune sortie par un interprète… d'un congélateur. Car ces poupées translucides, finement sculptées et articulées, ne sont pas de cire mais de glace. Doubles des personnages littéraires, elles se nomment Bernard, Susan, Rhoda, Neville, Jinny et Louis (seul Percival brille par son absence).

Mis en mouvement et en voix par les comédiennes et comédiens, qui tirent leurs longues ficelles dans l'ombre, ces pantins de gel oscillent entre gestes anthropomorphes et ballet aérien. Au son du roulement tantôt apaisant, tantôt menaçant des vagues, leurs flux de leurs consciences elliptiques traversent les questionnements existentiels d'amour et de haine, de vie et de mort.

 

Vague à l'âme

Adapter un texte de Virginia Woolf au théâtre est un exercice périlleux. La dramaturge Marion Stoufflet Un défi de taille relevé honorablement. Certes, l'écriture elliptique et diffractée entre six personnages peut laisser perplexes les moins familiers de l'autrice britannique. Mais ici, l'arrangement du flou spatio-temporel et narratif est au service d'une mise en scène qui parvient à capter de façon singulière l'obscurité du récit. Ainsi les longs silences donnent à sentir le vide laissé par la perte d'un être cher et l'arrachement brutal à une enfance insouciante.

Le travail d'Elise Vigneron frappe par sa sensibilité esthétique unique. Face à une quête de sens toujours fuyant, la porosité totale des marionnettes à l'atmosphère environnante saisit, par une métaphore matérielle originale, la fragilité d'une vie et d'une existence éphémère. Tandis que la glace fond sous la lumière des projecteurs, la précaution et la douceur des interprètes interagissant avec ces corps froids suscitent une empathie intrigante. Voltigeant avec grâce entre les doigts de Zoé Lizot et Chloée Sanchez, ou dans un fascinant pas de deux avec la danseuse Azusa Takeuchi, les figures finissent, inévitablement, par voler en éclats. Reste alors leur structure métallique à découvert et le clapotement des gouttes dans une piscine d'eau douce, symbole de finitude et de renaissance. Et d'un pari réussi.

LES VAGUES

D'après Virginia Woolf

Mise en scène Elise Vigneron

Paris, Théâtre de la Tempête - Cartoucherie

www.la-tempete.fr

Jusqu'au 26 mai, puis au Mfest - Amiens (10 et 11 octobre), Les Salins - Martigues (8 novembre), à la Scène 55 - Mougins (19 novembre), au Théâtre de Nice (22 et 23 novembre).

 

 

Callysta Croizer / LES ECHOS

 
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September 17, 2023 8:21 AM
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Sur les îles Lofoten, en Norvège, la nature et le théâtre en communion

Sur les îles Lofoten, en Norvège, la nature et le théâtre en communion | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge (Stamsund (Iles Lofoten, Norvège)) dans Le Monde - 16 septembre 2023

 

C’est dans un village de pêcheurs que la marionnettiste Yngvild Aspeli a créé son spectacle, présenté au Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/09/16/sur-les-iles-lofoten-en-norvege-la-nature-et-le-theatre-en-communion_6189716_3246.html

On scrute le ciel gris fer, cinglé de rafales de vent et de pluie, pour évaluer à quel moment on va pouvoir tenter une sortie et rejoindre le théâtre, distant d’à peine quelques centaines de mètres. Bienvenue à Stamsund. Ici, au-delà du cercle polaire, entre le 67e et le 68e parallèle nord, la canicule qui sévit sur le reste de l’Europe en ce début de septembre semble appartenir à un autre monde.

Logiquement, à Stamsund, le seul spectacle visible devrait être celui des aurores boréales, qui se déploient, telles des étoffes diaprées, dans le ciel nocturne dès l’automne venu. Mais ce charmant village de pêcheurs, situé sur la face sud de l’île de Vestvagoy, dans l’archipel des Lofoten, qui compte 1 200 habitants quand sa population est au complet, affiche un taux anormalement élevé d’infrastructures théâtrales : trois salles, dont une de renommée internationale, autant de compagnies, et un festival de printemps qui attire des professionnels venus de toute l’Europe. A notre connaissance, un cas unique au monde.

 

C’est là que la metteuse en scène et marionnettiste Yngvild Aspeli, devenue en quelques années une des figures du renouveau de l’art marionnettique, a créé son nouveau spectacle, Maison de poupée, une version avec pantins de la célèbre pièce de son compatriote Henrik Ibsen. Avant de faire l’ouverture du Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières (Ardennes), le 16 septembre, la pièce a été montrée au village. Dans la petite salle du théâtre se mêlaient des jeunes gens branchés – Stamsund est aussi doté d’une école d’art – et des habitants en bottes et coupe-vent techniques, dans une cohabitation qui visiblement n’étonne plus personne ici.

 

 

« Il faut que vous imaginiez à quoi ressemblait le village au début des années 1990, raconte Geir-Ove Andersen, le directeur administratif du Figurteatret, où a été produit Maison de poupée. La crise de la pêche qui a sévi à la charnière des années 1980 et 1990, en raison de la raréfaction du poisson, avait laissé le village sinistré. Il y avait moins de dix enfants à l’école – il y en a aujourd’hui soixante –, tous les commerces étaient fermés, c’était d’une tristesse infinie. »

Renaissance du village

Le renouveau, inespéré, est arrivé grâce à une conjonction de facteurs, comme c’est le cas parfois quand les planètes s’alignent mystérieusement. Les hangars et les usines à poissons désaffectés, propres à installer des ateliers, la lumière polaire, à nulle autre pareille, ont commencé à attirer des artistes sur l’île. Puis un groupe de jeunes gens présentant des difficultés d’insertion dans la société a été envoyé à Stamsund pour créer un spectacle de théâtre. Parallèlement, le gouvernement norvégien cherchait à installer dans le nord du pays un établissement national consacré aux différentes formes de théâtre visuel.

Les pièces du puzzle se sont emboîtées. Geir-Ove Andersen, Thorbjorn Gabrielsen, aujourd’hui directeur du Festival de Stamsund, et Andreas Eilertsen, qui possède son propre théâtre, installé dans l’ancien cinéma du village, se sont rencontrés dans le groupe de théâtre envoyé en réadaptation sur l’île : l’un faisait partie des jeunes, l’autre des artistes encadrant le groupe, le troisième de l’équipe technique.

 

 

 

Tous trois sont les pionniers de la renaissance de Stamsund, un nom qui existe désormais sur la carte des programmateurs de spectacles du monde entier. Ils ont créé le Figurteatret en 1991, dans la maison aux panneaux de bois bleu océan dans lequel il se trouve toujours aujourd’hui. Une maison consacrée au théâtre visuel pour répondre à la demande du gouvernement. Mais aussi parce qu’ils voulaient « s’inscrire contre le théâtre norvégien traditionnel, qui est très psychologique, et pour nous très ennuyeux », explique Thorbjorn Gabrielsen, qui ne cache pas son goût pour les formes ultrastylisées et performatives.

 

« Un théâtre situé dans un village au bout du monde ne peut exister que s’il a une vie internationale, précise Geir-Ove Andersen. Le théâtre visuel, on le définit comme un art où l’on anime des objets, que ces objets soient des corps, des ombres, des instruments ou évidemment des marionnettes. C’est un théâtre où l’expression verbale compte moins que le corps et l’image, ce qui fait qu’il peut être compris partout dans le monde. Que vous soyez en Norvège, à Cuba ou en Chine, le spectacle peut être reçu. Et, de fait, nombre de pièces créées ici depuis 1991 ont tourné dans le monde entier. »

Aujourd’hui séparés en raison de dissensions, les trois pionniers de Stamsund vivent désormais sur des planètes autonomes, comme il arrive parfois dans les petits mondes où les petites différences font les grandes fâcheries. Mais ils ont continué à faire du village un foyer théâtral actif et vivant, entretenant un écosystème unique en son genre, où l’infiniment local est relié au vaste monde.

« Un lieu pour l’âme »

« C’est important, ce qui a été créé ici », souligne Yngvild Aspeli, qui, en 2021, a été nommée directrice artistique du Figurteatret. La marionnettiste est née en Norvège, il y a quarante ans, mais loin des Lofoten, au milieu des montagnes de l’intérieur. A 20 ans, elle est partie pour la France, afin d’étudier à l’Ecole internationale de théâtre Jacques-Lecoq, à Paris, puis à l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette, à Charleville-Mézières. « En Norvège, il n’y a pas de grande tradition de théâtre de marionnettes, résume-t-elle. Et, à l’époque, il n’existait pas d’école pour le théâtre que je voulais inventer. »

 

Yngvild Aspeli a signé ses premiers spectacles en France, avec sa compagnie Plexus polaire. Mais elle a bien vite été repérée par l’équipe du Figurteatret, et c’est à Stamsund qu’elle a créé ses trois dernières pièces, Chambre noire (2017), Moby Dick (2020) et Dracula (2021), qui ont tourné de Dijon à New York.

 

 

Lire aussi le portrait (2020) : Article réservé à nos abonnés Spectacle : Yngvild Aspeli à l’assaut de la baleine de « Moby Dick »
 

« Stamsund est un lieu infiniment propice à la création, que les artistes adorent, se réjouit la metteuse en scène. On y est comme dans une bulle, coupé des sollicitations du monde urbain. Le rapport à la nature y est très fort. C’est vraiment un lieu pour l’âme. » On n’a aucun mal à la croire, devant le paysage grandiose de l’île, avec ses fjords interminables, ses montagnes d’une densité minérale presque inquiétante et ses eaux turquoise et transparentes – « Ici, c’est la Thaïlande version nordique », vous lancent invariablement les habitants de Vestvagoy avec humour.

 

 

D’Yngvild Aspeli, il se dit souvent qu’elle est une force de la nature, doublée d’une rêveuse capable de tourner son regard vers des outre-mondes. Les îles Lofoten semblent avoir été faites pour elle, avec leurs brumes impénétrables qui sans cesse se recomposent et s’animent en créatures étranges, leurs vents qui soufflent des histoires venues de temps infiniment anciens, préhumains. Un monde où la terre, l’air et l’eau se cognent en forces titanesques, et qui, dit Yngvild Aspeli, « ramène l’homme à l’essentiel, à sa juste place ». Une réflexion intéressante pour une marionnettiste qui crée le monde et les êtres à sa guise et à sa mesure.

 

Fabienne Darge  (Stamsund (Iles Lofoten, Norvège)) pour Le Monde 

 

Légende photo : Yngvild Aspeli, dans « Maison de poupée », à Stamsund (Norvège), le 4 septembre 2023. JOHAN KARLSSON

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July 6, 2023 7:24 AM
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Yngvild Aspeli met la marionnette au cœur de son art

Yngvild Aspeli met la marionnette au cœur de son art | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Olivier Frégaville - Gratian d'Amore pour le site L'Œil d'Olivier - 4 juillet 2023

 

 

À la manufacture à Avignon, la comédienne, metteuse en scène et marionnettiste norvégienne présente Dracula (Lucy’s dream), une évocation féministe et poétique du roman de Bram Stoker. Rencontrée lors du festival de Stamsund en mai dernier, Yngvild Aspeli ouvre les portes de son théâtre, un lieu de création sur les îles Lofoten, et nous invite à découvrir son univers créatif. 

 

Lire l'article sur le site d'origine : https://www.loeildolivier.fr/2023/07/yngvild-aspeli-met-la-marionnette-au-coeur-de-son-art/

 

 

Comment est née votre vocation de marionnettiste ? 

Yngvild Aspeli : Je dirais d’une envie mais aussi d’un besoin de conjuguer au plateau le théâtre, les arts visuels et l’art plastique. La marionnette est une des rares pratiques artistiques qui permet de combiner différents ingrédients tels que des objets, du son ou de la vidéo pour créer une expression complexe et multiple. De façon plus concrète, enfant, j’ai d’abord été attirée par tout ce qui tournait autour de la construction et de la sculpture, j’avais un goût prononcé pour tout ce qui était plastique. Et en parallèle, je faisais aussi du théâtre et de la musique. Venant d’une famille de grands lecteurs, bien qu’ayant grandi dans un tout petit village du cœur de la Norvège, je lisais aussi beaucoup. Certainement un moyen de m’évader. 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de venir étudier en France ?

Yngvild Aspeli : Le lycée où j’ai fait mes études, au sud de la Norvège, était spécialisé dans les arts vivants. Il y avait une option théâtre et une autre en musique. C’étaient des modules conséquents de plus de vingt heures par semaine. Cela m’a permis d’appréhender le métier. Après avoir obtenu l’équivalent du bac, j’ai suivi, durant un an, dans une école spécialisée, une formation en création de costumes et en couture. En Norvège, il est tout à fait possible de prendre ainsi une année pour réfléchir à ce que l’on veut faire. Cela permet de se poser les bonnes questions avant de choisir une carrière. J’ai d’ailleurs fait le choix de laisser de côté la partie manuelle pour me consacrer à l’art dramatique. À vingt ans, j’ai quitté mon pays direction Paris, où je m’étais inscrite à l’école Jacques Lecoq. 

Pourquoi la France ?

Yngvild Aspeli : Une amie d’adolescence de ma mère y vivait. À travers ce lien, j’ai développé une sorte de fascination. J’ai très tôt eu l’envie d’apprendre la langue. Et donc, très naturellement, j’ai également voulu y faire mes études. À l’époque, j’avais aussi envie d’une autre approche du théâtre que celle qui était délivrée en Norvège. Je souhaitais quelque chose de plus corporel, de plus visuel. C’est aussi cela que je suis venu chercher à Paris. Et puis très vite, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule étrangère. C’était très stimulant d’être dans un milieu international. Cela permettait de confronter les pratiques, les enseignements. C’était extrêmement riche. 

De là, comment êtes-vous arrivée à l’Ensam, l’école de marionnette de Charleville-Mézières ? 

Yngvild Aspeli : J’ai beaucoup étudié l’art du masque à l’école Lecoq. Cet objet constituait une matière que je trouvais passionnante à travailler. Cela ouvrait tous les imaginaires et les possibles. L’idée de pouvoir créer, grâce à cela, n’importe quelle créature me plaisait énormément. Un jour, en discutant, j’ai appris l’existence de l’école de Charleville. J’ai fait des recherches. Il y avait un examen d’entrée peu de temps après. C’est une école nationale mais il y a un pourcentage d’élèves étrangers – cinq en tout – acceptés à chaque session. Je n’avais rien à perdre, j’ai donc tenté ma chance, avec succès. Ce brassage culturel et l’enseignement qui m’a été dispensé ont été très stimulants. Je ne serais pas à l’endroit où je suis et mon approche artistique ne serait pas la même si je n’étais pas passée par là. 

Quel a été votre premier spectacle ? 

Yngvild Aspeli : Signaux en 2011, trois ans après être sortie de l’Ensam. Au départ, c’était mon projet de fin d’études. En 2008, j’ai présenté une petite forme, que j’ai par la suite développé pour en faire un spectacle. C’est une adaptation d’une nouvelle tirée du livre Fantomsmerter (1998), de l’auteur norvégien Bjarte Breiteig. Il y conte l’histoire d’un homme qui a perdu sa main dans un accident et qui est hanté par des douleurs fantômes. Un sujet que je trouvais passionnant à traiter avec la marionnette. Cela m’a permis d’explorer la relation entre l’homme et l’objet, entre la vie et la mort, entre le palpable et l’intangible. Comment peut-on être hanté par quelque chose qui n’existe plus et surtout, comment montrer au plateau quelque chose qui n’est pas ou du moins que l’on ne peut expliquer ? 

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Yngvild Aspeli : Elles sont multiples. Longtemps, j’ai pensé qu’à chaque spectacle, je développais une nouvelle thématique, j’abordais un nouveau sujet. Puis j’ai réalisé qu’en fait, cela tournait toujours autour des mêmes obsessions. Les formes sont différentes, les histoires aussi mais ce sont les mêmes questions existentielles autour de la vie, de la mort, qui alimentent mon travail et ma réflexion. C’est peut-être aussi pour cela que la marionnette est aussi importante pour moi. Le fait que ce soit un objet inanimé, mais qui prend vie quand on la manipule, me permet d’explorer la frontière entre les morts et les vivants. La marionnette permet d’ouvrir un champ sur l’invisible, un champ sur le mystère, un champ sur tout ce qu’on ne sait pas. C’est un médium qui nous met en contact direct avec ce qu’on ne connaît pas. Et puis cela permet de créer un trouble autour et à travers cette relation et cette interaction entre l’acteur et la marionnette. Qu’est ce qui est réel ? Qu’est ce qui ne l’est pas ? 

Vous venez de revenir en Norvège. Pourquoi ce retour ? 

Yngvild Aspeli : l’opportunité de diriger le Figurteatret i Nordland à Stamsund. J’étais déjà venue pour créer trois de mes spectacles. Le lieu est incroyable. Et à chaque fois, cela a correspondu à des moments importants dans mon parcours d’artistes. Alors quand on m’a proposé de postuler pour en prendre la tête, je n’ai pas hésité. Je voulais aussi pouvoir rendre ce qu’il m’avait donné et permis. Mettre l’artiste au cœur du système, en lui permettant de lui offrir de bonnes conditions de création, de répétitions, ce théâtre est à mon sens très précieux. Participer à son développement, à son rayonnement, est pour moi quelque chose à laquelle je voulais participer. Ce n’est pas qu’un lieu de diffusion, c’est véritablement un lieu de création. Chaque année, nous accueillons entre quatre et six compagnies norvégiennes et internationales souhaitant du temps de résidence pour développer un projet, et que nous aidons en coproduisant leur spectacle. 

Des derniers spectacles sont tirés de romans, le prochain d’une pièce, et pas des moindres, un monument du théâtre norvégien, La Maison de poupée d’Ibsen. Comme sont guidés vos choix ? 

Yngvild Aspeli : C’est au feeling de mes lectures. En relisant Moby Dick ou Dracula, j’ai trouvé matière à interroger le texte, à l’amener ailleurs. Pour La Maison de poupée, c’est différent. Des fois, je me demande ce qui m’a pris. Je pense que c’est une manière de me confronter enfin à mes propres démons nationaux. C’est un monument théâtral, qui est l’une des pièces les plus jouées dans le monde entier. Le fait de m’y atteler au moment où je rentre en Norvège est clairement très symbolique. Une manière de me réapproprier ma culture, de légitimer mon retour. Le personnage de Nora est d’une telle densité… Elle est à la fois très moderne, et en même temps, elle véhicule un certain nombre de clichés sur la société norvégienne du siècle dernier. Je trouvais donc intéressant d’essayer de comprendre ce qu’elle représente d’aujourd’hui, comment elle est perçue par les Norvégiens et ce que cela dit de nous. Ce qui est très drôle, d’ailleurs, c’est que lorsque je dis que je vais monter Ibsen, mes compatriotes ne semblent pas plus intéressés que cela, alors qu’en France, cela suscite tout de suite beaucoup d’excitation. Cela dit beaucoup du rapport que nous avons aux œuvres en fonction de notre identité. 

Avant d’ouvrir en septembre la Biennale internationale de marionnettes de Charleville-Mézières avec La maison de poupée, vous présentez à la Manufacture, à Avignon, dans le Off, votre vision très troublante du Dracula de Stoker, saisi par le prisme du personnage de Lucy…

Yngvild Aspeli : Comme je l’évoquais plus tôt, la marionnette, d’autant plus quand elle a une dimension humaine, permet de jouer sur la perception et donc d’instiller une forme de trouble. En jouant avec les lumières, en faisant en sorte que les comédiens et les marionnettes se confondent, il est possible de créer l’illusion d’optique, que l’inerte prenne vie. Je pense que c’est à cette endroit que le théâtre d’objets et de marionnettes offre une dimension d’étrangeté, de singularité que l’on ne pourrait difficilement obtenir dans du théâtre dit classique. La marionnette permet de déplacer le point de vue, de créer d’autres perspectives et donc d’autres sensations. 

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au personnage de Lucy ?

Yngvild Aspeli : Pour plusieurs raisons. Au départ, j’avais très envie de travailler l’œuvre de Stoker. Puis j’ai commencé à explorer le roman pensant naïvement qu’avec un spectacle, j’arriverais à le traiter dans sa globalité. Grossière erreur ! Quand on tente d’appréhender ce qu’est Dracula — un vampire, un transformateur qui a eu plusieurs vies et qui porte en lui plusieurs dimensions — cela se complique. C’est un mythe dont il est impossible de capter la vraie image tant elle est multiple. J’ai donc imaginé plusieurs entrées. Je n’étais jamais satisfaite. J’ai changé énormément de fois d’approche. L’idée est donc venue de m’attacher à un personnage en particulier. Encore fallait-il trouver lequel : Mina, Rentfield ? Lucy a fini par l’emporter. Elle m’a touchée pour plusieurs raisons, notamment pour ce qu’elle dit du pouvoir, de l’emprise… Et puis je trouvais qu’il y avait par son biais un moyen de basculer le point de vue d’un côté féminin. Il y a chez elle, à mon sens, une certaine forme d’émancipation. Et c’est cela que je voulais mettre en lumière. Elle lutte intérieurement contre le mal qui la ronge, contre ce vampire qui la fascine et la rebute. J’étais enceinte quand j’ai monté la première version du spectacle. Le fait qu’elle s’attaque à un bébé me troublait et me permettait au plateau d’exorciser mes peurs. 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Stamsund 

Dracula (Lucy’s dream) d’Yngvild Aspeli
 La Manufacture – Festival OFF d’Avignon
2 bis, rue des écoles
84000 – Avignon
du 7 au 24 juillet 2023 à 9h30
Durée 1h55

Mise en scène d’Yngvild Aspeli
Marionnettistes – Kyra Vandenenden, Dominique Cattani, Yejin Choi, Sebastian Moya, Marina Simonova 
Musique d’Ane Marthe Sørlien Holen 
Fabrication des marionnettes – Yngvild Aspeli, Manon Dublanc, Pascale Blaison, Elise Nicod, Sébastien Puech 
Scénographie d’Elisabeth Holager Lund en collaboration avec Angela Baumgart
Création vidéo – David Lejard-Ruffet
Régie lumière et plateau – Emilie Nguyen 
Régie son et vidéo Baptiste Coin

 

 

 


Photo : ©Kristin Aafløy Opdan

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May 10, 2023 5:58 PM
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Marta Cuscuna et ses marionnettes se font l’écho des luttes féministes

Marta Cuscuna et ses marionnettes se font l’écho des luttes féministes | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Cristina Marino dans Le Monde -   Publié le 10 mai 2023

 

 

L’autrice, comédienne et metteuse en scène italienne est l’artiste invitée de la 11ᵉ Biennale internationale des arts de la marionnette, à Paris, avec une trilogie sur la place des femmes dans la société patriarcale.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/10/marta-cuscuna-et-ses-marionnettes-se-font-l-echo-des-luttes-feministes_6172815_3246.html

Marta Cuscuna pourrait parler des heures de ses deux passions : les marionnettes et les résistances féminines. Née en juin 1982 à Monfalcone, dans la région autonome du Frioul-Vénétie julienne (Italie) – une « petite ville ouvrière connue pour ses chantiers navals où se construisent les plus grands paquebots de croisière du monde, mais aussi tristement célèbre pour son taux extrêmement élevé de décès liés à l’amiante », comme elle la dépeint sur son site Internet –, elle s’imaginait pourtant faire une carrière d’actrice classique et partager les planches avec des condisciples de chair et d’os.

Une rencontre décisive a bouleversé son parcours professionnel. On est au début des années 2000, Marta Cuscuna suit une formation de quelques semaines à Prima del Teatro, l’Ecole européenne pour l’art de l’acteur, à San Miniato, près de Pise, et elle croise le chemin d’un « maître catalan de la marionnette » : Joan Baixas. C’est grâce à lui et à son enseignement qu’elle découvre les arts de la marionnette et le théâtre d’objets. Elle n’en avait guère entendu parler auparavant, car, comme elle le souligne avec une pointe de regret, « ce type de langage artistique n’est pas du tout inclus dans les programmes d’études dans les écoles de théâtre italiennes traditionnelles ».

 

 

L’apprentie comédienne, qui se destinait à se faire l’interprète de textes écrits par d’autres, est alors repérée par son professeur. « Ecoutez, à mon avis, ce sont les modes d’expression qui vous conviennent, et si j’en ai la possibilité, je vous appellerai pour travailler à Barcelone avec moi », lui dit-il. Promesse tenue en 2006. Joan Baixas lui propose de travailler sur le projet Merma Never Dies, la reprise à la Tate Modern Gallery de Londres de l’un de ses spectacles-phares, Mori el Merma, créé en 1978 avec le peintre Joan Miro d’après les figures imaginées par Alfred Jarry dans Ubu roi.

 

A la fin des années 1970, dans une Espagne qui vient à peine de sortir de la dictature de Franco (mort en 1975), ce spectacle a une portée politique considérable et se moque férocement du « Caudillo ». Cette collaboration avec Joan Baixas dure jusqu’en 2009, date à laquelle Marta Cuscuna crée sa première œuvre en tant qu’autrice, metteuse en scène et interprète, E bello vivere liberi !

Un message politique

De cette première expérience, Marta Cuscuna retient deux leçons fondamentales : le théâtre est un lieu idéal pour transmettre un message politique, et les marionnettes, ces créatures inanimées auxquelles l’artiste donne vie, « permettent souvent de traiter des thèmes extrêmement politiques et peuvent même être plus efficaces que des êtres humains ». Parallèlement à un fort engagement militant personnel, la comédienne se passionne pour l’étude approfondie des luttes féministes à travers les siècles et finit par en faire sa source d’inspiration principale pour ses pièces.

 

 

Ses spectacles présentés dans le cadre de la 11e Biennale internationale des arts de la marionnette (BIAM) à Paris et à Pantin (Seine-Saint-Denis), de mercredi 10 à mercredi 17 mai, forment ainsi une trilogie « personnelle » sur la résistance des femmes face au patriarcat, à différentes époques et dans diverses sociétés : dans La Semplicita ingannata (2012), les Clarisses d’Udine, une communauté religieuse italienne du XVe siècle, ont transformé leur couvent en un espace de contestation et de liberté face à la domination masculine de l’époque ; dans Sorry, Boys (2015), une petite ville américaine du Massachusetts est confrontée, de nos jours, au pacte conclu par dix-sept lycéennes qui ont choisi d’accoucher simultanément pour élever leurs bébés en communauté (un fait divers bien réel, ayant inspiré films et romans) ; dans Il canto della caduta (2018), un peuple pacifique dirigé par des femmes et vivant en harmonie avec la nature est massacré par un roi belliqueux des temps préchrétiens, d’après le mythe ladin du royaume des Fanes.

« Côté performeuse »

Pour Isabelle Bertola, directrice du Mouffetard-Centre national de la marionnette, qui organise la BIAM, le choix de Marta Cuscuna comme artiste invitée de cette édition 2023 « fait réellement sens » dans une manifestation placée sous le signe des « résistances ». Séduite par les multiples compétences de cette artiste, à la fois autrice, metteuse en scène et unique interprète-manipulatrice de ses créations, et par son « côté performeuse » sur les planches, Isabelle Bertola voit dans sa trilogie une réflexion intelligente sur « le pouvoir des femmes à se mobiliser ensemble pour transformer les relations humaines ». Elle l’avait découverte au Théâtre de la Ville, à Paris, en 2015-2016 dans le cadre des Chantiers d’Europe, une programmation permettant à de jeunes artistes européens de se produire en France.

 

BIAM, Chantiers d’Europe, Festival mondial des théâtres de marionnettes à Charleville-Mézières… autant d’initiatives françaises auxquelles Marta Cuscuna a pu participer pour faire connaître ses spectacles à l’étranger et rencontrer d’autres artistes, et dont elle déplore l’absence en Italie. Elle qui est pourtant artiste associée au Piccolo Teatro de Milan depuis 2022 dénonce « la précarité du travail » et « la situation des travailleurs du spectacle en Italie, qui est décidément terrifiante, par rapport à la France ». A son grand regret, dans son pays natal, « le soin et le respect pour le travail artistique, qui existent encore ailleurs, ont complètement disparu ».

 
Toujours seule sur scène pour manipuler jusqu’à une douzaine de corps ou de têtes de personnages différents, Marta Cuscuna évoque l’importance d’un travail d’équipe en coulisses. Tout d’abord avec sa scénographe et conceptrice de créatures − et surtout des astuces pour les commander à distance, notamment avec un système à base de freins de vélo et de joysticks −, Paola Villani, rencontrée en 2009 dans les locaux de Centrale Fies, un centre de recherche sur les pratiques performatives contemporaines, à Dro, près du lac de Garde, dans la province de Trente, sa « maison », comme elle la surnomme, pendant près de dix ans.
 

Mais aussi avec Marco Rogante, son complice de toujours pour l’écriture et la mise en scène. Sans oublier son indispensable traductrice, Federica Martucci, qui fait « un merveilleux travail » pour aider à la diffusion des spectacles en France, notamment en suivant de près le surtitrage qui va permettre au public de la BIAM de découvrir, jusqu’au 17 mai, la trilogie dans sa langue d’origine.

 
La marionnette contemporaine voit grand

Annulée il y a deux ans pour cause de Covid-19, la Biennale internationale des arts de la marionnette revient en force pour cette onzième édition. Avec des chiffres impressionnants : 39 spectacles proposés par 33 compagnies françaises et étrangères (sept pays représentés), répartis dans 27 lieux partenaires à Paris et en Ile-de-France, soit dix-huit villes dans six départements, pour un total de 138 représentations sur vingt-trois jours, jusqu’au 4 juin. Avec au programme, entre autres, des focus sur les compagnies Agrupacion Señor Serrano, venue de Barcelone, avec les spectacles Birdie et The Mountain, et Tro-Héol, originaire de Quéménéven (Finistère), avec Everest, Scalpel et Plastic. A noter : une sélection de formes courtes du programme OMNIprésences sportives (dans le cadre de l’Olympiade culturelle) sera visible gratuitement à Paris et en Seine-Saint-Denis.

 

VIDEO

Interview de Marta Cuscunà,

artiste invitée de la BIAM

 

Biennale internationale des arts de la marionnette. En Ile-de-France, jusqu’au 4 juin. Lemouffetard.com

 

 

Légende photo : Marta Cuscuna et deux marionnettes animées de son spectacle « Il Canto della caduta », en octobre 2018. DANIELE BORGHELLO

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January 26, 2023 7:59 AM
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Dans « La (Nouvelle) Ronde », Johanny Bert et ses marionnettes font valser identités sexuelles et pratiques amoureuses

Dans « La (Nouvelle) Ronde », Johanny Bert et ses marionnettes font valser identités sexuelles et pratiques amoureuses | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 25 janvier 2023

 

Dans « La (Nouvelle) Ronde », Johanny Bert et ses marionnettes font valser identités sexuelles et pratiques amoureuses

 


Lire l'article sur le site du Monde : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/25/dans-la-nouvelle-ronde-johanny-bert-et-ses-marionnettes-font-valser-identites-sexuelles-et-pratiques-amoureuses_6159305_3246.html

Le marionnettiste et metteur en scène Johanny Bert ne cesse de surprendre par sa capacité à se renouveler de création en création, en inventant toujours des formes d’expression diverses. Il aime varier les plaisirs et évolue aisément d’un registre à l’autre, du solo de marionnette en mode cabaret déjanté avec Hen (2019) à l’œuvre hybride entre l’installation et le spectacle vivant avec Làoùtesyeuxseposent (2021), en passant par des projets plus classiques comme Le Processus (2022), d’après un texte de Catherine Verlaguet.

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Johanny Bert, marionnettiste, « J’aime le partage entre l’enfant et l’adulte lors de la découverte d’un spectacle »

Pour son dernier opus en date, La (Nouvelle) Ronde, créé au Théâtre de la Croix-Rousse, à Lyon, en octobre 2022, il s’est lancé un nouveau défi : l’adaptation scénique d’un classique du théâtre, La Ronde, d’Arthur Schnitzler (1862-1931), écrit en 1897, publié en 1903 mais censuré dès 1904, et ce jusqu’en 1920, date de sa création à Berlin. En collaboration avec l’écrivain Yann Verburgh, il en propose une (re)lecture résolument moderne, en tenant compte de l’évolution de la société et des pratiques amoureuses. Leur travail de réécriture se fonde notamment sur une série de rencontres avec des personnes ayant accepté de témoigner sur leurs relations intimes (hétérosexuelles, bisexuelles, asexuelles, polyamoureuses, etc.). Ces témoignages constituent un point de départ concret, ancré dans la vie quotidienne, permettant de nourrir la fiction du récit.

 

 

Reprenant la structure dramaturgique initiale de la pièce d’Arthur Schnitzler, à savoir une succession de dix courtes scènes avec toujours deux protagonistes vivant une relation sexuelle, La (Nouvelle) Ronde renouvelle totalement la distribution des rôles : les personnages blancs et hétérosexuels de Schnitzler (cinq hommes et cinq femmes stéréotypés, réduits à un statut social, comme la prostituée, le soldat, le comte, la femme de chambre, le poète, etc.) sont remplacés par des personnages censés refléter la diversité socioculturelle et ethnique de notre société. L’introduction notamment de plusieurs personnages transgenres invite les spectateurs à s’interroger sur les schémas de pensée classiques et sur la perception genrée des rapports intimes.

Onirisme à la Fellini

Un dispositif scénique original et innovant permet de faire défiler sous les yeux du public, sur une sorte de tapis roulant, les éléments de décor des différents tableaux qui composent le spectacle. Cela donne un sentiment de flux permanent, de défilement d’images en continu, comme dans un travelling cinématographique. Au cœur de ce dispositif, dix marionnettes de taille moyenne (1 mètre environ), aux visages expressifs et aux corps fortement sexués, sont habilement animées dans l’ombre par six acteurs-manipulateurs (trois filles et trois garçons) tout de noir vêtus, travaillant toujours en duo.

 

La performance réalisée par cette toute jeune troupe est à saluer car ils-elles doivent à la fois manipuler les marionnettes (un exercice auquel tous n’étaient pas habitués) et interpréter leurs textes pour donner vie aux différents personnages et les rendre crédibles. A souligner aussi la prestation musicale de Fanny Lasfargues, qui orchestre en direct les différents tableaux.

La performance réalisée par la toute jeune troupe de six acteurs-manipulateurs est à saluer

Très réussi sur le plan formel avec la beauté plastique de ce dispositif scénique et l’accent mis sur la dimension onirique des fantasmes sexuels des personnages, le spectacle crée cependant, parfois, une sensation de malaise en plaçant le public dans une position de voyeur de scènes érotiques. Mais ce sentiment est contrebalancé par une bonne dose d’humour, de second degré et d’autodérision (la devise de Johanny Bert pourrait être : ne jamais trop se prendre au sérieux).

 

Certaines séquences, comme l’exploration rocambolesque d’une boîte de nuit échangiste par un couple hétérosexuel, placées sous le signe d’un onirisme à la Fellini, viennent finalement rappeler le message principal de cette création : la recherche de l’amour reste au cœur de nos pratiques sexuelles, quelles que soient les multiples formes qu’elles peuvent prendre dans la société d’aujourd’hui.

La (Nouvelle) Ronde. Conception et mise en scène : Johanny Bert. Ecriture : Yann Verburgh, d’après Arthur Schnitzler. Avec Yasmine Berthoin, Yohann-Hicham Boutahar, Rose Chaussavoine, George Cizeron, Enzo Dorr, Elise Martin. Création musicale et interprétation en scène : Fanny Lasfargues. A partir de 16 ans. Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31, rue des Abbesses, Paris 18e. Jusqu’au 28 janvier. A 20 heures. Puis en tournée, les 2 et 3 février au Bateau Feu, à Dunkerque (Nord), du 15 au 17 mars au festival Marto, au Théâtre 71 (Scène nationale), à Malakoff (Hauts-de-Seine).

 

 

Cristina Marino / Le Monde 

 

Légende photo : Virginie, l’une des marionnettes de « La (Nouvelle) Ronde », de Johanny Bert, lors d’une répétition, le 11 octobre 2022, au Théâtre de la Croix-Rousse, à Lyon. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

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December 16, 2022 10:02 AM
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«La Flûte enchantée», on y trouve notre conte (mise en scène de Johanny Bert)

«La Flûte enchantée», on y trouve notre conte (mise en scène de Johanny Bert) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lucile Commeaux dans Libération - 15 décembre 2022

 

Dans une interprétation foisonnante du dernier opéra de Mozart, Johanny Bert subvertit les rapports de genre avec délicatesse.

 

 
 

Il arrive souvent qu’on découvre l’opéra avec la Flûte enchantée, régulièrement programmée dans les périodes de fête car souvent considérée comme «tout public». Pourtant, la partition de Mozart, dont c’est le dernier opéra, est redoutable, et le livret signé Emanuel Schikaneder, sous ses airs de conte enfantin, est ardu et opaque, parfois répétitif, en tout cas très difficile à appréhender sur scène. Soit un jeune prince, Tamino, lancé par une Reine de la nuit furieuse sur les traces de sa fille Pamina, qui a été enlevée par Sarastro, le grand ordonnateur d’une secte révérant Isis et Osiris. Parvenu au temple, Tamino est soumis à des épreuves afin d’être initié et d’obtenir ainsi la main de Pamina. Cette mystérieuse quête chevaleresque est doublée de son envers burlesque, celle de l’oiseleur Papageno qui cherche son âme sœur.

Sur la scène de l’Opéra du Rhin, alors que sur les places strasbourgeoises les marchés de Noël promettent un divertissement facile, le metteur en scène et marionnettiste Johanny Bert tente pour cette première expérience lyrique une interprétation foisonnante dont on interroge d’abord la cohérence. Sur la scène les idées fusent : la mise en abyme avec coulisses apparentes, le cirque avec des trucs un peu magiques (un serpent de papier s’élève dans les airs, une robe à paniers devient pour la jeune fille séquestrée une cage lumineuse), le burlesque assumé (Tamino déshabillé par les fées), le décalage contextuel (la Reine de la nuit apparaît dans un module figurant une chambre miteuse, clope et whisky à la main).

 

Il faut attendre l’apparition de Sarastro, personnage hiératique souvent maltraité par les metteurs en scène, pour que véritablement le sens de cette proposition fasse son chemin, et éclaire ensuite le celui de l’opéra : le grand prêtre mozartien est interprété par une marionnette monumentale représentant un vieillard assis dans un fauteuil roulant, manipulé par trois marionnettistes, et doublé par un chanteur qui lui sert en quelque sorte d’interprète. La marionnette est belle, et humanise paradoxalement les relations étranges qui lient ces deux couples contrariés ; on comprend dès lors comment, dans une subversion sensible et intelligente du conte qui exalte originellement les valeurs masculines et éreinte l’inconstance féminine, le spectacle de Johanny Bert travaille à adoucir les rapports de genre et de générations avec délicatesse, dans les décors, les costumes, les accessoires, les marionnettes, bref en homme d’un théâtre d’objets et d’artisanat. A la fosse, l’orchestre symphonique de Mulhouse soutient avec la même générosité le chœur de l’Opéra du Rhin et un plateau vocal parfois fragile mais qu’on sent soudé et enthousiaste, et la Flûte enchantée peut conquérir ce vaste public qu’elle intimide ou ennuie trop souvent.

La Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart à l’Opéra du Rhin et à la Sinne à Mulhouse, jusqu’au 8 janvier, direction musicale Andreas Spering, mise en scène Johanny Bert.

 

 

Légende photo : Sarastro est interprété par une marionnette. (Klara Beck)

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March 14, 2022 11:42 AM
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Au Théâtre Jean-Arp de Clamart, le songe d’une Nuit de la marionnette

Au Théâtre Jean-Arp de Clamart, le songe d’une Nuit de la marionnette | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 14 mars 2022

 

Légende photo : Une image extraite du spectacle d’Yngvild Aspeli (Plexus polaire), « Dracula » (2021) pour illustrer l’affiche de la 12e Nuit de la marionnette à Clamart, le 12 mars 2022. THÉÂTRE JEAN ARP

 

 

La 12e édition de cet événement, du samedi 12 au dimanche 13 mars, a marqué le week-end d’ouverture du 22e festival Marto dans les Hauts-de-Seine, qui se tient jusqu’au 26 mars.


 

Enchaîner en une seule nuit dix spectacles de marionnettes et de théâtre d’objets, tel est le rêve que les amateurs et amatrices de fils et autres techniques de manipulation ont pu de nouveau assouvir – l’édition 2021 avait dû être annulée pour cause de Covid-19 – lors de la 12e Nuit de la marionnette au Théâtre Jean-Arp de Clamart (Hauts-de-Seine). Les plus courageux sont restés éveillés pour un véritable marathon artistique, du samedi 12 vers 20 heures au dimanche 13 mars vers 7 heures.

 

Le principe est pratiquement toujours le même : il faut s’inscrire dans un groupe, identifié par une couleur – neuf pour cette édition 2022 –, qui correspond à un parcours de dix spectacles (sur les quatorze au programme), six créations étant présentes cette année dans tous les parcours. Chaque participant se voit remettre en début de soirée un bracelet de couleur et doit suivre durant toute la nuit le guide de son groupe dans les différentes salles dans lesquelles sont réparties les représentations.

 

 

 

Cela crée parfois une ambiance de colonie de vacances ou de voyage organisé avec des « troupeaux » de spectateurs suivant un GO brandissant un panneau coloré. Notamment lors de la déambulation nocturne dans les rues de Clamart, accompagnée pour la première fois en musique par les marionnettes de la compagnie Les Grandes Personnes, un oiseau géant tout illuminé et une grenouille également très colorée, pour se rendre du Théâtre Jean-Arp au conservatoire Henri-Dutilleux qui accueille chaque année plusieurs artistes de la programmation.

Voyages vampiriques et oniriques

La soirée a débuté sous les meilleurs auspices avec une figure emblématique des ténèbres, le bien nommé « prince de la nuit », Dracula en personne. La marionnettiste et metteuse en scène norvégienne Yngvild Aspeli, avec sa compagnie Plexus polaire, déjà remarquée pour son adaptation très réussie de Moby Dick au Festival d’Avignon en 2020, a, en effet, choisi de s’attaquer pour sa nouvelle création au célèbre vampire né sous la plume de Bram Stoker en 1897. A travers une succession de tableaux, certains très réussis sur le plan visuel, d’autres un peu moins convaincants car parfois trop répétitifs, l’artiste plonge le public dans l’inconscient de l’une des victimes du comte Dracula, la jeune Lucy en proie à des cauchemars et à des crises de somnambulisme. Les thèmes du rêve, du dédoublement de personnalité, de la folie sont très présents dans cette variation autour du mythe vampirique.

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La marionnettiste Yngvild Aspeli à l’assaut de la baleine de « Moby Dick »

es deux autres spectacles, présentés comme Dracula dans la Grande Salle du Théâtre Jean-Arp durant la nuit, Loco, de la compagnie Belova-Iacobelli (formée par la marionnettiste belgo-russe Natacha Belova et l’actrice-metteuse en scène chilienne Tita Iacobelli) et Sueño, de la compagnie Singe Diesel (fondée par le marionnettiste argentin Juan Perez Escala installé en Bretagne) ont également abordé les thèmes du rêve et de la folie. Le premier, librement adapté du Journal d’un fou (1835), de Gogol, nous transporte avec finesse et virtuosité, avec une marionnette très réaliste manipulée de main de maître par le duo Belova-Iacobelli, dans l’imaginaire torturé de Poprichtchine, un petit fonctionnaire à la vie étriquée qui, par amour pour la fille de son patron, va sombrer dans la démence. Le second embarque les spectateurs pour un voyage onirique et plein de poésie dans un univers étrange, peuplé de marionnettes de toutes tailles et de toutes sortes, fruit de l’imagination débordante de Tom (incarné par Juan Perez Escala), un aveugle qui vit dans la rue.

 
 

Magie et humour

Difficile de résumer en quelques lignes toute la richesse des sept autres propositions du parcours suivi. Dans Le Troisième Œil, version courte, conçue pour être jouée dans la rue, de leur première création Lazarus, Les Chevaliers d’industrie, une toute jeune compagnie implantée à Limoges, parviennent à mêler habilement magie, marionnette et théâtre, avec une bonne dose d’humour. Dans deux autres extraits de spectacles plus longs, Mulan (troisième volet d’Héroïnes) et Tout rien, les artistes Ornella Amanda (Art & Acte) et Alexis Rouvre (Modo Grosso) donnent un alléchant aperçu de l’étendue de leurs talents : théâtre d’ombres, masques, marionnettes, pop-up et origami pour la première et cirque (jonglage), manipulation d’objets, illusionnisme, le tout sans aucune parole, pour le second.

 

Enfin dans Mytho Perso, Myriam Gautier (Les Becs verseurs) revisite astucieusement la mythologie grecque en version comique et kitsch, sous l’angle des histoires de famille, avec un rouleau de papier essuie-tout, des gobelets et de la vaisselle en plastique.

 

Dans cette bulle hors du temps et emplie de rêveries, le monde extérieur a néanmoins fait irruption à plusieurs reprises, notamment quand un groupe d’élèves de la treizième promotion de l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières (Ardennes) a pris la parole sur scène pour lancer un cri d’alarme sur la situation de ce prestigieux organisme de formation confronté depuis la fin 2021 à une crise de gouvernance et financière qui met, selon eux, en péril leurs études et leur avenir professionnel. Mais aussi quand, à la fin de la représentation de son spectacle Le Mémorieux, une jeune artiste russe, Marina Simonova, elle-même diplômée de cette école en juin 2021, s’est adressée, d’une voix émue, au public pour condamner l’invasion menée par son pays en Ukraine et rappeler que Vladimir Poutine n’avait pas le soutien de tout son peuple, loin de là.

 

Vidéos de présentation

 

Dracula, d'Yngvild Aspeli - Cie Plexus polaire

 

Loco, Cie Bellova Iacobelli

 

Mulan, d'Ornella Amanda 

 

Tout rien, d'Alexis Rouvre - Cie Grosso Modo 

 

Mytho perso, de Myriam Gautier 

 

 

22e festival Marto (Marionnettes et objets), une quinzaine de spectacles répartis sur huit lieux des Hauts-de-Seine. Jusqu’au samedi 26 mars. Tarifs : de 5 euros à 20 euros, avec possibilité de passe à 10 euros la place à partir de trois spectacles.

 

Cristina Marino

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November 14, 2021 9:01 AM
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Rencontre avec la nouvelle direction du CDN de Rouen : "Nous voulons faire surgir le théâtre partout" 

Rencontre avec la nouvelle direction du CDN de Rouen : "Nous voulons faire surgir le théâtre partout"  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabien Massin dans 76 actu,  le 13 novembre 2021

 

Rencontre avec le duo de marionnettistes, Camille Trouvé et Brice Berthoud, qui succède à David Bobée à la tête du CDN de Normandie Rouen (Seine-Maritime).

 

Le duo qui succède à David Bobée à la tête du CDN (Centre dramatique national) de Normandie Rouen a pris ses fonctions : deux  marionnettistes, Camille Trouvé et Brice Berthoud, fondateurs de la compagnie Les Anges au Plafond, à Malakoff (Hauts-de-Seine). 

 

Entretien à deux voix avec la nouvelle direction du CDN, présente sur trois lieux : le Théâtre des deux rives (Rouen), le Théâtre de la Foudre (Le Petit-Quevilly) et l’Espace Marc-Sangnier (Mont-Saint-Aignan). 

 

« La marionnette contemporaine est un langage transdisciplinaire »

76actu : Camille Trouvé et Brice Berthoud, qui êtes-vous ? 


Camille Trouvé : Nous sommes deux artistes multi-casquettes, à la fois metteuse/metteur en scène et interprètes, et surtout auteurs de nos spectacles. Brice est scénographe, et moi constructrice de marionnettes, 200 en 20 ans, la particularité des marionnettes contemporaines étant qu’elles sont à taille humaine.  

Brice Berthoud : Aujourd’hui la marionnette contemporaine est un langage transdisciplinaire, qui mélange les arts du mouvement, les arts plastiques, les arts visuels, les nouveaux médias, le cirque et la musique. La marionnette est sortie du carcan et du castelet, elle est complètement à la croisée des arts, et son image a d’ailleurs changé.

 

Qu’est-ce qui vous a conduit à venir ici ? 
C.T. : La compagnie Les Anges au Plafond est très attachée à Malakoff, mais elle s’est développée sur tout le territoire français, avec des associations fortes dans des grandes maisons de production et dans des scènes nationales. Donc quelque part, on a rayonné avec notre esthétique partout en France. Puis il y avait cette envie, dans un parcours de compagnie, de s’implanter durablement sur un territoire, en contact avec des populations, et de pouvoir mener un travail de long terme.

B.B. : Au ministère déjà ils nous appelaient le « CDN nomade »… Parce qu’avec 13 spectacles au répertoire, l’aide à des compagnies en production déléguée, des heures consacrées à l’action d’éducation culturelle — sur tout le territoire français —, des formations professionnelles, etc., nos missions s’apparentaient à celles d’un CDN. 
Cela fait ainsi des années qu’on nous poussait à aller dans un lieu. Et nous avons fait une rencontre très forte ici, dans ces trois lieux. Là, nous nous sommes dit que l’opportunité était magnifique de poser un projet artistique.  

 

• Découvrez une création des Anges au Plafond :

 

 

Qu’avez-vous défendu dans votre candidature ?
C.T. : Nous avons défendu un projet vraiment transdisciplinaire, un croisement des arts et des disciplines :  arts du mouvement — cirque et la danse —, musique en direct, art dramatique, évidemment, et l’axe marionnettes, qui constitue en soi un endroit de convergence de ces pratiques artistiques. Par ailleurs, nous avons une grande envie de travailler hors les murs et d’être à la rencontre des habitants. Nous voulons faire surgir le théâtre partout, surtout là où on ne l’attend pas : centres sociaux, prisons, hôpitaux, collèges et  lycées… Nous voulons être dans une forme de surprise par rapport à cet art, pour renouveler la curiosité du public.

 

Aujourd’hui vous vous insérez dans une programmation déjà établie : quel regard portez-vous  sur ce qui a été fait ? Connaissiez-vous David Bobée ?
B. B. : Oui bien sûr, nous avons d’immenses affinités avec David Bobée et nous allons défendre cette programmation comme si c’était la nôtre. Il y a une partie des projets que nous aurions pu programmer nous-mêmes, notamment le spectacle de Pierre Guillois Les Gros patinent bien [à l’affiche jusqu’à samedi 13 novembre Ndlr], qui fait partie de notre genre de beauté. Il n’y aura pas de rupture, mais des petits pas de côté, sur certaines choses. Le public, l’équipe, tout le monde attend cela. Nous ne serons pas des clones de David Bobée, nous avons notre identité.

 


Sur le public ne nous y trompons pas, la crise est là, il ne revient pas en salle et cela n’a rien à voir avec le Covid. Il y a des questions relatives au public qu’il faut remettre sur la table : les CDN ont été inventés il y a 70 ans pour décentraliser la culture, peut-être qu’aujourd’hui les centres dramatiques nationaux doivent-ils se décentraliser eux-mêmes. Il n’est plus question de faire venir 95 % de la population qui ne va pas au théâtre et qui ne viendra jamais. Or, tout le monde a le droit à la culture.

 

Dès lors, comment comptez-vous vous y prendre ? 
C. T. : Lors du week-end d’ouverture, fin septembre 2022,  qui marquera le lancement de notre saison, nous allons proposer un événement sur les trois lieux, à la fois dans les salles et dans l’espace public, avec des moments de convivialité pour se rencontrer. Je pense que dès le début, nous allons être à la rencontre des publics hors les murs, dans les structures, dans l’espace public et en milieu rural. Nous allons également créer des petites formes en appartement, pour changer la rencontre entre le public et les artistes. Le 20 heures, le grand spectacle sur le grand plateau, qui demeurera, va cohabiter avec de nouvelles formes de rencontre. 

B. B. : Nous voulons également proposer à un ou une auteure d’écrire une série, en trois épisodes, qui sera déclinée dans les trois lieux. La richesse de ce CDN est justement d’avoir trois lieux, un grand territoire et des partenaires très investis. 

« Chacun a son domaine de compétences »

Vous êtes une direction à double tête, vous en avez l’expérience de 20 ans dans votre compagnie, mais ici, comment allez-vous vous répartir les tâches ? 
C.T. : C’est vraiment une richesse d’être deux, et chacun a ses domaines de compétences. Brice est très attaché à la relation au public, il est très inventif dans ce domaine, il va trouver de nouvelles formes de rencontre avec le public, il est soucieux des outils de communication. Il est aussi scénographe, et maitrise tous les métiers du plateau. Moi je suis plus dans…

B.B. : …dans tout le reste (rires)

C.T. : Moi j’ai un rapport très fort à la pédagogie, je donne beaucoup d’heures de cours, dans les écoles nationales de théâtre et de marionnettes. J’ai aussi un rapport fort avec l’administration…

B.B. : …et les budgets, c’est très important ! Et sur toute la programmation, parce que tu vas voir quand même trois-quatre spectacles par semaine, quand tu ne joues pas. 

C.T. : Sur la programmation, nous allons proposer des choses, sachant que dans l’équipe il y a aussi de vraies personnes ressources. La force de notre duo, c’est une capacité à fédérer autour d’un projet, c’est en tout cas ce que nous avons expérimenté dans la compagnie. 

Que va devenir votre compagnie, justement ? 
B.B. : Elle va être mise en sommeil, nous sommes obligés de muter. Les 13 productions de la compagnie vont arriver au CDN, ce seront celles du CDN, tout comme les trois productions déléguées. Tout cela va se faire petit à petit, mais en juin 2022, normalement, tout appartiendra au CDN. C’est une mutation logique, mais aussi un deuil, évidemment. Aux Anges au Plafond, nous avons des bureaux, un atelier mais surtout des partenariats. Nous aimons travailler avec le lien, et associer plusieurs structures dans la production d’un spectacle : CDN, scène nationale, théâtre de ville… Cela apporte de la force dans le financement, et le spectacle tourne là où il a été coproduit, il va rencontrer des publics. Bien sûr, avec des grosses productions et des forces de production qu’ont les CDN, cela va plus vite. Mais à plusieurs on va vraiment plus loin, c’est plus profond. Ce maillage, nous aimerions le garder au sein du CDN. 

 

C.T. : La compagnie est mise en sommeil, en revanche nous en conservons le nom : elle possède une identité et est une force sur le territoire national ainsi qu’à l’international. Nous pensons que c’est une richesse d’apporter ce nom ici, il est porteur d’un « following » : il y a un public qui suit les Anges au Plafond et des programmateurs étrangers qui en suivent les projets. 

 

 

Autre spécificité de votre duo, vous êtes interprètes : allez-vous jouer ici ? 
C.T. : Oui, bien sûr. Nous continuons à être interprètes, ça nous donne beaucoup d’énergie, c’est un endroit de travail qu’on adore et ça permet au public de nous connaitre. 

B.B. : Notre propre saison commencera en septembre 2022, mais l’ancienne direction a eu la délicatesse de laisser un créneau, aux alentours du mois de février, pour que l’on puisse se présenter au public de l’agglomération, avec une ou deux pièces de notre répertoire. Nous n’avons pas encore choisi lesquelles, nous allons le faire avec toute l’équipe. 

 

Quel regard portez-vous sur le territoire rouennais, que vous découvrez ? 
C.T. : On découvre Rouen, on adore, c’est une belle ville, vivante, qui a une vie culturelle animée, beaucoup d’acteurs culturels, beaucoup de compagnies, un joli patrimoine. Nous découvrons également une terre où la solidarité a vraiment du sens. Il y a une attention particulière aux personnes en situation de handicap, on sent que la culture est très tournée vers les droits culturels, qui est une notion à la fois centrale, et finalement assez récente. Nous avons envie de la défendre et de continuer à la faire vivre sur le territoire. Donc les questions de parité, de visibilité des minorités, d’accessibilité de la culture aux personnes en situation de handicap, seront nos chevaux de bataille. 

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Légende photo : Le CDN de Rouen a désormais une direction à deux têtes, un duo aux compétences complémentaires qui travaille ensemble depuis 20 ans. (©FM/76actu)

 
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October 5, 2021 6:32 PM
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Des animaux errants à la retraite

Des animaux errants à la retraite | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Céline Nivière dans L'Oeil d'Olivier - 5 octobre 2021

 

Au Mouffetard, Ilka Schönbein revisite les Musiciens de Brême des frères Grimm.

 

Les créations de la marionnettiste Ilka Schönbein nous entraînent dans son univers bien particulier où le sombre se confronte à la féerie. Difficile, même des années après d’oublier les bouleversements qu’avait causés en nous le travail de son Theater Meschugge, comme MétamorphosesLe roi grenouilleLa vieille et la bête. Son nouvel ouvrage, Voyage chimère, invite à une balade singulière sur les rivages de la mort. Si le sujet semble noir, tout comme son décor, on peut compter sur l’artiste pour faire la nique à la faucheuse et nous faire passer (du rire aux larmes) des larmes au rire. D’ailleurs, les enfants présents dans la salle ne s’y trompent pas, et tels des anges font résonner leur voix. 

 

S’inspirant, très librement du conte de GrimmLes Musiciens de Brême, elle raconte l’histoire de quatre animaux qui vont échapper à la mort, ou pas, en devenant des artistes itinérants d’un cabaret bien spécial. Il y a le vieux chien de chasse, usé par ses bons et loyaux services, jeté après usage, qui cabotine à son piano. Il y a la chatte, une vieille star déchue qui minaude et évoque ses amants. Parce que ces deux bêtes-là font partie de notre vie, de notre quotidien, leur sort nous émeut. Et puis, il y a cette pauvre poulette de batterie qui n’a jamais connu le grand air ! Son numéro est un petit chef-d’œuvre ! Et la cruauté de l’homme se fait entendre, comme chez l’âne gris, pauvre bête de somme qui a trimé toute sa vie et qui pour un dernier tour de piste fait preuve de bien des talents. 

 

Dans une mise en scène, riche d’images et de sens, Ilka Schönbein et ses marionnettes, faites de squelettes, de pattes décharnées, sont accompagnées par un Maître Coq de cérémonie, Alexandra Lupidi, une chanteuse-musicienne fort talentueuse, et un drôle d’oiseau, tout aussi doué, Anja Schimanski. On en sort secoué et ravi, car si ce spectacle évoque la mort, il parle surtout de vie et d’amour.

Marie-Céline Nivière

Voyage chimère d’Ilka Schönbein / Theater Meschugge
Le Mouffetard, théâtre des arts de la marionnette
73, rue Mouffetard
75005 Paris
Du 2 au 14 octobre
Mardi, mercredi et jeudi à 20h, samedi et dimanche à 18h
Durée 1h15

Tournée
Les 16 et 17 novembre 2021 au Théâtre des 4 Saisons à GRADIGNAN
Le 19 novembre 2021 au Festival Marionnettissimo à TOURNEFEUILLE
Les 29 et 30 novembre 2021 à l’Espace Pierre Jéliote à OLORON ST MARIE
Le 4 février 2022 au Festival IMAGINALE à STUTTGART, Allemagne
Le 6 février 2022 au Festival IMAGINALE à MANNHEIM, Allemagne
Le 11 février 2022 au Festival IMAGINALE à SCHORNDORF, Allemagne 

 

Manipulation et mise en scène d’Ilka Schönbein 
Musique de scène d’Alexandra Lupidi et d’Anja Schimanski
Création musique d’Alexandra Lupidi
Créations des marionnettes Ilka Schönbein
Regard extérieur de Laurie Cannac
Création et régie lumière d’Anja Schimanski
Assistante à la mise en scène Britta Arste
Décors de Suska Kanzler

Crédit photos © Marinette Delanné

 

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July 24, 2021 8:07 AM
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L'animal, cet homme   - à propos de "Buffles" de Pau Miró, mise en scène Emilie Flacher 

L'animal, cet homme   - à propos de "Buffles" de Pau Miró, mise en scène Emilie Flacher  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer le 24 juillet 2021

 

Avignon le OFF, Le 11. Avignon , mardi 20 juillet, 9h45


Il est de ces spectacles dans le Off que l’on va découvrir par un concours de circonstances fort heureux. Ayant eu l’occasion de découvrir quelques extraits des pièces du catalan Pau Miró, Wanderer s’était promis d’en voir une sur scène prochainement. Découvrant que Buffles écrit en 2008, était joué par la compagnie Arnica au 11. Avignon et que l’acteur Guillaume Clausse déjà vu dans Ma Forêt fantôme était dans la distribution, nous nous sommes donc précipités, avant de quitter le Festival pour cette année. Pau Miró, acteur, auteur, metteur en scène et enseignant, est souvent considéré comme le dramaturge catalan contemporain phare. Buffles appartient à une sorte de « trilogie animale » comprenant aussi Lions et Girafes: on y découvre à la fois un certain réalisme qui côtoie le surnaturel, un ordinaire très humain dans un temps où les bêtes parlent – le sous-titre une fable urbaine, évoquant de manière lointaine un certain La Fontaine peut-être, rend bien compte de cette étrangeté. Associant manipulation de marionnettes et travail d’acteur, Émilie Flacher et la compagnie Arnica se sont formidablement emparé de ce texte et, comme nous le supposions, le résultat nous a vraiment enthousiasmé.

 

 

En ce milieu de matinée qui achève nos déambulations avignonnaises pour ce festival, on attend devant le 11. Avignon. Après avoir été appelé, on monte les escaliers qui conduisent à la salle 1 dans laquelle on pénètre pour gagner son siège. Sur le plateau éclairé, le dispositif est en place : un panneau avec des dominantes de vert, incluant une vitre en plexiglas ; des sièges alignés ; ce qui ressemble à de petits lave-linges à hublot, alignés également. Tout cela ressemble à l’intérieur d’une blanchisserie en attente de clients. On perçoit aussi un son s’apparentant à un beuglement. Lointain, régulier et mystérieux. Sur une étagère, ce qui pourrait être des têtes de buffles.

 

Les cinq comédiens entrent et ouvrent le panneau principal qui se scinde alors en deux. Trois hommes et deux femmes nous regardent. Un air latino monte d’un vieux poste de radio. Ils installent alors des marionnettes figurant des buffles sur les estrades du décor, marionnettes qu’ils manipulent eux-mêmes, à vue. Les mouvements des animaux, leur souffle, leurs beuglements étant extraordinairement bien restitués, on est tout de suite captivé, troublé même par ce qui se joue sous nos yeux. Les bêtes restent des bêtes mais parlent, travaillent. La blanchisserie est leur environnement naturel – ou presque. Tout cela, avec une humanité instantanément déconcertante. Un surgissement de l’univers référentiel de la fable dans un prosaïsme très actuel. Insolite et sombre. Comme ce grondement persistant en fond.

 

 

« Max est mort quand il avait huit ans ». La toute première phrase saisit. Les buffles sont une famille, les parents et la fratrie des petits. L’un deux n’est plus là. « Une nuit il a disparu ». Et le père justifie cet événement terrible par le fait qu’un lion l’a emporté. « Parce que quand les lions t’attrapent c’est impossible de leur échapper. » Dans ce clair-obscur au plateau fort bien composé par Julie Lola Lanteri, l’atmosphère devient lourde. Le règne animal et sa loi implacable s’invitent dans l’ordinaire humain. La menace permanente de la prédation, ses conséquences irréversibles. La tragédie par essence. À cela s’ajoute une part de mystère que l’on perçoit dans la disparition du jeune Max. Un non-dit. Une vérité enfoui sous les mots et dans la mise en scène devant laquelle on est impressionné.

 

 

La bonne fortune leur sourit ensuite et le père s’achète une guitare électrique dont il joue, pour laisser libre cours à sa « rage électrique » également. La famille est nombreuse – et de confession catholique manifestement. Les comédiens redimensionnent une fois encore l’espace, comme ils le feront au fil de la pièce. Un podium apparaît, sur lequel des figurines religieuses sont disposées. La mère a été chassée de l’église après la mort de Max et, par une manipulation particulièrement bien exécutée par trois des comédiens, on la voit avancer sur le podium. Elle a mangé les bougies à l’église, créature articulée à la fois animale et terriblement humaine dans la blessure causée par l’affront. La lumière descend. Ils n’iront plus à l’église. Après une nouvelle coiffure, dans un univers rosi par les projecteurs, elle semble prendre une forme de revanche joyeuse, la musique latino toujours en fond sonore. Et la marionnette se trémousse. Mais le texte apporte un bémol terrible qui sonne comme un funeste avertissement – pour la suite ? plus largement, pour nous ? « Il y a beaucoup de façons de sombrer, ne pas sombrer en est une, par exemple. Tous les comédiens manipulant les marionnettes buffles. »

 

 

 

La découverte des dessins de Max, sortis de sous les carreaux de l’estrade, accentuent le malaise. À travers les discours, on découvre un jeune buffle sensible, au regard acerbe et à la production iconographique très torturée. « Il nous avait dessiné nous tous sans tête ». Le dessin de l’atelier – dans lequel personne à part le père, n’a le droit de pénétrer – qu’il avait imaginé semble troubler tous ses frères et sœurs survivants qui découvrent cet espace à travers son imagination y faisant apparaître même un de ses dessins accroché au mur. Glissement par la mise en abyme dans une ironie cruelle – on apprend qu’il était le « préféré ». Étrangement disparu, il est le seul « voyant », l’individu qui savait ce qu’il se passerait après lui. Les dessins sont « là pour nous » dit d’ailleurs l’un des jeunes frères.

 

Les changements lumineux accompagnent certains nouveaux événements comme la disparition de la mère cette fois. Le décor – extrêmement modulable – et les éclairages laissent voir en ombre, la silhouette du père derrière une porte avec une vitre opaque – très belle image – sur des murs à la tapisserie vieillotte. Le prosaïsme reste toujours présent. Les bufflons grandissent et le récit contient des ellipses. Assis sur les sièges alignés à jardin, les comédiens attendent, l’un d’eux entamant un morceau de beatboxing. Le temps passe, les secrets durent. La fratrie se construit avec les disparitions, les silences autour de chacune d’elles, les vérités tues. Et comme semblent nous le dire les comédiens entre manipulation des marionnettes et jeu d’acteur, que l’on soit buffle ou homme, quelle différence ? La sauvagerie sera une alternative pour supporter tous les manques, le beatboxing et les beuglements des comédiens en sont certainement une première manifestation. Après une « période paisible à la blanchisserie » – nouvelle très belle scène avec les marionnettes qui s’affairent sous l’impulsion des comédiens – « une violence bizarre et accablante a explosé entre [eux]. » Tous se frôlent, courent, soufflent, font entendre des coups de sabots. « Ça a commencé comme un jeu entre nous ». Et on comprend pourquoi ils exercent cette violence les uns sur les autres, comment cette absence en eux conditionnent les échanges de coups. De poings ou de sabots, qu’importe ! Les buffles font voir les humains.

 

 

Autre scène tout à fait remarquable : les buffles désobéissent à leur père – les enfants désobéissent toujours semble-t-on nous dire – et vont à « l’esplanade qui borde la rivière », malgré les dangereuses créatures qui rôdent. La tension dramatique est parfaitement rendue par le positionnement des marionnettes derrières des grilles chromées sous un faisceau de lumière jaune. Le public « voit », « entend » les dangers de la jungle-urbaine, les proies et les prédateurs de toute catégorie vivante. Dans un suspense digne du cinéma, ils seront finalement épargnés contre toute attente. Et c’est alors que les questions vont ressurgir. Un nouveau « pourquoi ? » qui vient s’ajouter aux autres.

 

Les marionnettes sont ensuite abandonnées au profit des masques imposants derrière lesquels les comédiens vont se dissimuler. Chacun à leur tour, prenant le récit en charge, ils vont lever le voile peu à peu sur les secrets qui ronge leur famille. La chemise de Max tachée de sang réapparaît. Et on découvre le pacte passé avec les lions, l’horreur du sacrifice, le poids du remords et de la peur. « Papa, ce fils de pute… » On découvre les effets dévastateurs du secret qui les a tous sauvés pour la préservation du groupe. « Humain, trop humain » ? Sans doute.

Enfin, les masques sont déposés, les buffles ont quitté la scène. À visage découvert, les comédiens sont tous assis face au public et, tandis que la musique monte, ils esquissent quelques gestes les uns envers les autres. Avant le noir final, quelques caresses, quelques marques d’une tendresse sans désespérance. « Humain, trop humain », encore une fois, sans doute.

 

La mise en scène d’Émilie Flacher à la fois esthétique et ingénieuse est particulièrement réussie, permettant d’entendre parfaitement la grande qualité du texte de Pau Miró. Les comédiens, tous particulièrement justes, donnent vie à ses bêtes avec lesquelles ils se confondent subtilement. Et, quittant Avignon, on se prend à méditer sur le pouvoir intensément révélateur de cette fable urbaine et chorale, avec ses têtes animales au regard si brillant.

 

Thierry Jallet / Wanderer 

 

 

Buffles
Texte : Pau Miró

Mise en scène : Émilie Flacher
Traduction : Claire Plasteig (Éditions Espaces 34)
Dramaturgie : Julie Sermon
Collaborateur artistique : Thierry Bordereau
Avec Guillaume Clausse, Claire-Marie Daveau, Agnès Oudot,
Jean-Baptiste Saunier, Pierre Tallaron

Scénographie : Stéphanie Mathieu
Création sonore : Émilie Mousset
Création lumière : Julie Lola Lanteri
Construction : Florie Bel, Emmeline Beaussier, Pierre Josserand, Émilie Flacher
Costumes : Florie Bel
Régie générale : Pierre Josserand
Passeur de savoirs : Pascal Ainardi
Équipe technique : Alizé Barnoud, Pierre Josserand, Lionel Thomas
Diffusion : Maud Dreano
Production : Compagnie Arnica

Coproduction : Théâtre de Bourg-en-Bresse ; Maison des Arts du Léman-Thonon-Évian ; Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau ; Théâtre Jean Vilar de Bourgoing-Jallieu ; La Mouche – Espace Culturel de Saint Genis de Laval

Buffles bénéficie de la coproduction Groupe des 20 – Scènes publiques Auvergne-Rhône-Alpes, de l’aide à la création de l’ADAMI et de l’aide à la création du Conseil Départemental de l’Ain.

Partenaires de production : Am Stram Gram-Genève ; L’Espace 600-Grenoble ; Le Train Théâtre Portes-Lès-Valence ; Centre Culturel Pablo Picasso-Homécourt ; Le Polaris-Corbas ; Le Dôme Théâtre-Abbeville.

Le texte est publié aux Éditions Espaces 34

 

 

Création 31 janvier et 1er février 2019 au Théâtre de Bourg-en-Bresse

Jusqu'au 25 juillet au 11.Avignon

Légende photo : Agnès Oudot et sa marionnette, pendant la scène sur l'esplanade Crédits photo : © Michel Cavalca

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March 24, 2021 4:40 PM
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Johanny Bert, marionnettiste : « J’aime le partage entre l’enfant et l’adulte lors de la découverte d’un spectacle »

Johanny Bert, marionnettiste : « J’aime le partage entre l’enfant et l’adulte lors de la découverte d’un spectacle » | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Propos recueillis par Cristina Marino dans Le Monde - 23 mars 2021

 

Le metteur en scène a tenté de mener à bien son projet fleuve à visée familiale, « Une épopée », en dépit des contraintes liées à l’épidémie de Covid-19.

Le comédien, marionnettiste et metteur en scène Johanny Bert, 40 ans, a plus d’une quinzaine de spectacles à son actif, avec sa compagnie Le Théâtre de Romette, fondée en 2001 au Puy-en-Velay (Haute-Loire). Le dernier en date, Une épopée, est le fruit d’un long processus de création entamé il y a trois ans, et rendu compliqué par l’irruption du coronavirus, en mars 2020.

 

 

Lire la rencontre avec Johanny Bert (au Festival d’Avignon, en juillet 2019) : « La marionnette, une façon d’être moi sans être moi »

Comment est né le projet d’« Une épopée » ?

J’ai exploré dans mes créations à la fois les formes pour adultes et celles destinées à un jeune public. Je suis très intéressé par le partage entre l’enfant et l’adulte de cette expérience particulière qu’est la découverte d’un spectacle sur scène. Au départ d’Une épopée, il y a ce désir de faire vivre en famille une aventure hors du commun dans un théâtre : enfants et parents viennent voir ensemble le même spectacle, qui s’étale sur une journée entière. Avec, bien sûr, un propos adapté à ces différents publics.

Le processus de création a commencé il y a environ trois ans par un important travail d’écriture avec quatre auteurs et autrices [Arnaud Cathrine, Thomas Gornet, Gwendoline Soublin et Catherine Verlaguet] à qui j’ai demandé de réfléchir avec moi sur cette commande spécifique d’une épopée contemporaine. Nous avons d’abord essayé de dégager des thématiques communes, récurrentes dans les épopées, comme la figure du héros, la défense de grandes causes, les guerres, le mélange entre réel et merveilleux… Puis nous avons cherché un sujet qui pourrait toucher les familles d’aujourd’hui, et, très vite, la question climatique s’est imposée. Réchauffement de la planète, pollution, gestion des déchets… Autant de préoccupations qui touchent les enfants dans leur quotidien.

Comment le Covid-19 a-t-il modifié votre processus de création ?

Une fois achevé ce travail d’écriture préalable, qui a duré plus d’un an et demi, nous devions entamer les répétitions, et c’est là qu’est arrivé le premier confinement, en mars 2020, qui nous a bloqués pendant trois mois. Nous n’avons pu commencer ces répétitions qu’en juin, et nous avons répété d’arrache-pied pendant tout l’été, grâce au soutien des lieux partenaires de notre création, comme Le Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque [Nord], où je suis « artiste compagnon » depuis 2018, le Théâtre Paris-Villette et La Cour des Trois Coquins à Clermont-Ferrand [Puy-de-Dôme], où est implantée ma compagnie, Le Théâtre de Romette. Je tiens à souligner le rôle essentiel de ces structures durant cette période si compliquée.

 

Après un été passé en répétitions, nous avons pu jouer deux fois seulement Une épopée sur scène, à Dunkerque. Ensuite, toutes nos dates de tournée ont été annulées. A l’occasion de ces deux uniques représentations, l’accueil du public a été très positif, les enfants [à partir de 8 ans] se sont vraiment laissé embarquer dans l’histoire. La longueur d’Une épopée, composée de quatre parties d’une heure entrecoupées de plusieurs pauses (goûter et pique-nique partagés), et même d’une sieste acoustique en début d’après-midi, n’a posé aucun problème, même pour les plus jeunes spectateurs. Tout s’est déroulé dans un esprit festif, joyeux.

 

Cela a été assez frustrant artistiquement pour toute l’équipe d’Une épopée – sept comédiens et comédiennes sur scène, avec un musicien-compositeur multi-instrumentiste qui joue la partition en live, plus toutes les personnes qui interviennent en régie ou qui ont travaillé en amont sur les marionnettes, les décors, les costumes – de devoir tout arrêter. C’est pourquoi nous essayons de réfléchir à de prochaines séances de répétitions, c’est important pour nous de garder le spectacle actif dans les corps et dans les têtes pour pouvoir être prêts à le rejouer dès la réouverture des théâtres.

Que pensez-vous de la fermeture actuelle des lieux culturels ?

Lors du premier confinement, comme beaucoup de gens, j’ai accepté l’idée que la culture n’était pas une priorité en période de pandémie… Mais je pense aussi que nous avons, en tant qu’artistes, un rôle à jouer dans le débat public, une fonction importante dans la société. Il est extrêmement dommageable, me semble-t-il, de couper totalement les gens, et surtout les plus jeunes, de tout ce qui est art, échange, partage, communication.

 

Je suis actuellement sur un nouveau projet de création itinérante, Le Processus, à partir d’un texte inédit de Catherine Verlaguet sur le thème du désir amoureux et de l’avortement. Avec une comédienne, nous allons faire des lectures dans les collèges et lycées, ce qui nous permet de recueillir les réactions des élèves et de discuter avec eux autour de ces sujets du désir, de la première fois… C’est passionnant et très instructif, cela permet aussi de faire vivre la culture de manière différente.

 

 
 
 

Plus d’informations sur le site consacré au spectacle Une-epopee.com et sur le site du Théâtre de Romette Theatrederomette.com

 

Cristina Marino

 

 Présentation vidéo du projet d'Une épopée, par Johanny Bert

 

 

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October 23, 2020 4:29 PM
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Spectacle : Yngvild Aspeli à l’assaut de la baleine de « Moby Dick »

Spectacle : Yngvild Aspeli à l’assaut de la baleine de « Moby Dick » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Fabienne Darge dans Le Monde  23/10/2020

 

 

La Norvégienne présente, à la Semaine d’art en Avignon, son théâtre de marionnettes adapté du chef-d’œuvre d’Herman Melville.

 

Une grande Norvégienne au regard doux et rêveur part à la chasse à la baleine. Avec ses armes : ses marionnettes et son théâtre multisensoriel. Yngvild Aspeli est la découverte artistique de la Semaine d’art en Avignon, où elle présente rien de moins qu’une adaptation de Moby Dick, le titanesque roman d’Herman Melville, insondable comme la mer elle-même.

 

L’immensité ne semble pas faire peur à Yngvild Aspeli, née il y a 37 ans au milieu des montagnes norvégiennes. Le petit village est entouré de forêts, enveloppé de neige la moitié de l’année, et la maison remplie de livres, notamment les albums pour enfants qu’écrit le père d’Yngvild. « Le goût de la littérature et de la poésie m’a été donné d’emblée », note-t-elle.

« Théâtre à la croisée des arts »

Entre cette enfance magique et sa vie d’aujourd’hui, celle d’une marionnettiste et metteuse en scène dont on commence à beaucoup parler, il y a une jeune femme qui est partie seule à Paris, à 19 ans, pour entrer à l’Ecole internationale de théâtre Jacques-Lecoq, un endroit où l’on apprend le théâtre par le corps et l’image plus que par les mots.

Yngvild Aspeli faisait du théâtre depuis toujours, mettant en scène ses camarades d’école, un théâtre où elle fabriquait tout elle-même, comme elle le raconte au moins autant avec les mains, qui dansent dans l’air quand elle parle, qu’avec les mots. Chez Lecoq, elle a creusé son désir de « créer un théâtre à la croisée des arts » et d’« utiliser les outils visuels de manière dramaturgique ».

 

 

La marionnette est arrivée comme une évidence, et elle a alors intégré l’Institut international de la marionnette de Charleville-Mézières, dont elle est sortie en 2008 en créant sa compagnie, Plexus polaire. « Dès le début, j’ai voulu par le théâtre parler de ce qu’on ne dit pas, ce qu’on ne montre pas, de l’invisible, l’inexplicable, dit-elle. Je m’intéresse aux histoires qui ne sont pas racontées, et à ce qu’elles révèlent d’une société. »

 

L’inquiétante étrangeté de la marionnette s’est conjuguée chez elle à une recherche sur le son, la vidéo, la lumière et la scénographie. « Ce qui m’obsède, c’est la manière dont une histoire peut devenir une expérience physique, sensorielle, précise-t-elle. Il y a des choses que l’on peut comprendre par le ventre, par le cœur, et pas seulement par le cerveau. Le théâtre est un espace où tout ce qui est inexprimable peut être vécu, et pas expliqué. »

 

Yngvild Aspeli : « Je m’intéresse aux histoires qui ne sont pas racontées, et à ce qu’elles révèlent d’une société »

 

Dès son premier spectacle, Signaux, créé en 2008, son univers était là. Elle l’a rêvé d’après un recueil de nouvelles de l’auteur norvégien Bjarte Breiteig, intitulé Douleurs fantômes, un titre qui pourrait résumer toute la recherche de cette exploratrice de l’âme humaine dans ses recoins les plus secrets et les plus troubles. Dans Cendres, créé en 2014 et inspiré par le récit d’un autre écrivain norvégien, Gaute Heivoll, elle partait sur les traces d’un jeune pyromane. Dans Chambre noire, créé en 2017, et qui est toujours en tournée, elle a adapté le formidable roman que la Suédoise Sara Stridsberg a consacré à la féministe Valerie Solanas, prisonnière de son image de « femme qui a tiré sur Andy Warhol ».

 

Yngvild Aspeli s’interroge d’elle-même, elle qui vit en France depuis quinze ans, sur ce goût des artistes nordiques pour l’invisible, les créatures imaginaires, les présences absentes. « Sans doute est-ce lié à la nuit, qui chez nous règne une bonne partie de l’année, observe-t-elle, songeuse. Dans le noir, on s’imagine que l’on n’est pas seul, et on imagine des créatures d’autres mondes, des “sous-le-monde »comme on les appelle chez nous… Mais oui, je suis assez occupée par les fantômes de toutes sortes », dit-elle avec un rire léger, et ce regard qui sans cesse se perd vers des horizons lointains.

« Affronter le monstre »

Moby Dick, sans doute, rôdait depuis longtemps dans les parages, quand elle a décidé qu’elle était prête à s’attaquer au chef-d’œuvre de Melville, à « affronter le monstre »« C’est bien un monstre, inépuisable, que ce livre qui est aussi complexe que son sujet principal, la mer, médite-t-elle. La mer et l’humain s’y superposent, en une infinité de profondeurs inconnaissables. Le livre est si poétique et si concret, il arrive à rendre ses questionnements existentiels tellement vivants… »

 

Le grand-père d’Yngvild Aspeli était marin, il avait une femme nue tatouée sur le bras, sa petite-fille se souvient de sa maison, remplie de souvenirs de ses voyages. « Il y avait un bébé alligator empaillé, des petites tasses chinoises, un éléphant sculpté en bois indien… La mer était une ouverture vers le reste du monde. » Elle-même a passé des semaines à Stamsund, une des îles Lofoten, où elle était en création quand la Norvège a décidé de confiner sa population.

 

Elle sait que Moby Dick est un défi à la représentation : la mer, la baleine, le bateau, la folie d’Achab… La capitaine Aspeli affronte l’aventure avec un certain nombre d’atouts : son talent dramaturgique, ses marionnettes à taille humaine, qu’elle sculpte elle-même pour leur donner l’expression recherchée, le travail sur l’image sophistiquée de son vidéaste, David Lejard-Ruffet, la musique portée par Ane Marthe Sorlien Holen, forte personnalité à la Björk… « Il faut faire un voyage à la mesure de celui du capitaine Achab, il faut plonger… », conclut Yngvild Aspeli, une grande fille qui n’a pas peur de regarder le monstre en face.

Moby Dick, d’après Herman Melville. Mise en scène : Yngvild Aspeli. Semaine d’art en Avignon, du 27 au 31 octobre à 16 heures, à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon.

 

 festival-avignon.com.

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale)

 

Légende photo :  « Moby Dick », par la compagnie Plexus polaire. CHRISTOPHE LOISEAU

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May 23, 2024 3:39 AM
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«Les Vagues» sur scène : Virginia Woolf au fil de l’eau 

Par Lara Clerc dans Libération - 21 mai 2024

 

Dans une courte mise en scène et à l’aide de marionnettes de glace, Elise Vigneron retrace chaque étape de la vie des personnages du roman.

 

Une boule de glace se brise sur scène, et, au même moment, un frigo s’illumine. A l’intérieur, cinq enfants sont gelés, comme endormis. Une première vision presque horrifique de cette adaptation du roman expérimental les Vagues de Virginia Woolf, pourtant les gestes des marionnettistes sont tellement délicats quand ils viennent tirer leurs doubles de leur sommeil. Ils manipulent ces petits êtres de glaçons, qui bougent parfois par à-coups, parfois gracieusement, à l’unisson avec leurs maîtres ou non, ils voltigent, tombent… Et fondent, réchauffés par la lumière des projecteurs.

 

 

 

C’est sans doute à cause de ces marionnettes de glace que la mise en scène d’Elise Vigneron réduit le texte écrit en 1931 par Virginia Woolf à peau de chagrin – une heure de représentation seulement –, au péril de la profondeur de ses personnages. Si un des six protagonistes originels est effacé, les cinq restants peinent à devenir complexes, à quitter la surface, faute de temps, ce qui leur permet paradoxalement de mieux se fondre les uns dans les autres, devenant plusieurs facettes d’une même humanité, d’abord enfant puis adulte. A chaque étape de la vie, ils prononcent une courte tirade, peut-être même une réplique, s’attardant sur ces évènements qui sont presque des détails de l’enfance, mais qui forgent une personnalité (petite, Jinny a embrassé Louis, une heureuse découverte pour elle, mais une déchirure pour Suzanne, qui ne peut réfréner sa jalousie).

Une mare sur scène

Mais aux longs monologues originels, la mise en scène favorise souvent le mouvement. Celui de ses marionnettes, qui sont envoyées dans les airs, mettent un genou à terre, se recroquevillent… Mais aussi celui de ceux qui en tirent les (très nombreuses) ficelles, qui saisissent les corps gelés, les entraînent et dansent avec eux. On retrouve alors cette fragilité des personnages, comme celle de Rhoda alors qu’elle est tiraillée dans les airs, enfant proche d’Antigone qui se refuse au moindre compromis.

 

 

Elle, comme les autres, se désintègre à mesure que le temps passe. Une mare se forme sur scène, alimentée par les «plic-ploc» des gouttes qui tombent des blocs glaçons. Ça y est, les enfants amaigris sont devenus grands. Il leur manque un pied, un bras, un torse… Ils se réunissent une fois de plus, et découvrent le décès de Percival, personnage jusque-là jamais évoqué, mais l’évènement achève de les vieillir.

La brume qui entoure le récit prend un nouveau tour, alors que la marionnettiste Azusa Takeuchi dispose très lentement des corbeaux dans l’eau laissée par les marionnettes en suspension, dans un silence le plus complet. Elle aura magnifiquement dansé avec Jinny, la détruisant pour de bon dans la lumière crépusculaire. Comme ses quatre compagnons de scène, Loïc Carcassès, Thomas Cordeiro, Zoé Lizot et Chloée Sanchez, elle se sera aussi contorsionnée, manipulant les fils avec ses mains, ses bras, ses pieds. Les questions existentielles ont réduit les cinq enfants-glaçons en êtres de fils de fer.

 

Lara Clerc / Libération

Les Vagues mis en scène par Elise Vigneron, d’après Virginia Woolf, théâtre de la Tempête, 75012, jusqu’au 26 mai, puis les 10 et 11 octobre au Mfest (Amiens), le 8 novembre à Les Salins (Martigues), le 19 novembre à Scènes 55 (Mougins), les 22 et 23 novembre au Théâtre de Nice et les 27 et 28 novembre au Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence)
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September 18, 2023 3:03 AM
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Au Festival de Charleville-Mézières, Yngvild Aspeli tire les fils de « Maison de poupée »

Au Festival de Charleville-Mézières, Yngvild Aspeli tire les fils de « Maison de poupée » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Mondee - 16 sept. 2023

 

 

La marionnettiste signe un spectacle extrêmement fort dans lequel des pantins jouent aux côtés d’humains certains personnages de la pièce d’Henrik Ibsen.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/09/16/au-festival-de-charleville-mezieres-yngvild-aspeli-tire-les-fils-de-maison-de-poupee_6189714_3246.html

Monter Maison de poupée avec des marionnettes ? Aussi étrange que cela paraisse, personne ne s’y était risqué. L’idée a pourtant valeur d’évidence, ne serait-ce que dans le titre de la pièce, qui suggère d’emblée qu’est mis en jeu ici un monde de pantins, incapables de trouver le chemin de la vraie vie.

L’idée aurait pu être trop évidente, justement. Mais Yngvild Aspeli évite tous les écueils, et signe un spectacle extrêmement fort, qui met son intelligence de l’art marionnettique au service de la mécanique dramaturgique impitoyable inventée par son compatriote Henrik Ibsen en 1879.

 

 

 

L’histoire de Nora Helmer, qui prend conscience des mensonges sur lesquels reposent son mariage et sa vie bourgeoise, se déploie au fil d’une mise en scène qui tisse sa toile avec maestria. Le cœur en est le rapport entre les pantins à taille humaine, légèrement hyperréalistes comme toujours chez Yngvild Aspeli, et les acteurs. Le jeu qui s’instaure entre eux est virtuose et fascinant, et raconte mieux que tous les discours les manipulations à l’œuvre et la morbidité d’un monde patriarcal – déjà – miné de l’intérieur, et que Nora va abattre comme on le ferait de figurines au stand de tir.

Dédoublements entre humain et pantin

La marionnettiste norvégienne a le chic pour créer des images chocs, qui ne s’oublient pas. Dans la boîte noire du théâtre, qui peu à peu se transforme en gigantesque toile d’araignée, ses poupées prennent parfois l’allure de celles du surréaliste Hans Bellmer, avec ce qu’elles suggèrent de la maltraitance faite aux femmes. Les dédoublements entre humain et pantin, pris dans l’illusion théâtrale, donnent par moments le vertige.

 

Et puis il y a les araignées. D’abord minuscules et discrètes, elles deviennent au fil du spectacle énormes et envahissantes, renvoyant à la scène-clé de la pièce, celle où Nora vit une sorte de transe libératrice, en dansant la tarentelle. On le gardera longtemps au cœur, le combat mythologique entre Nora, magnifiquement incarnée par Yngvild Aspeli elle-même, et la bête aux pattes tentaculaires.

 

 

Maison de poupée, par Yngvild Aspeli, les 16 et 17 septembre au Festival de Charleville-Mézières (Ardennes). Puis en tournée française et internationale jusqu’en 2025.

 

Fabienne Darge  (Stamsund (Norvège)) / Le Monde 

Légende photo : Yngvild Aspeli dans « Maison de poupée », à Stamsund (Norvège), le 4 septembre 2023. JOHAN KARLSSON
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August 15, 2023 6:15 AM
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A Moulins, la marionnette sous toutes ses facettes

A Moulins, la marionnette sous toutes ses facettes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 14 août 2023

 

A travers quinze tableaux, plus de 200 objets et une centaine de photos, le Centre national du costume et de la scène retrace l’évolution esthétique et dramaturgique de cet art du spectacle.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/08/14/a-moulins-la-marionnette-sous-toutes-ses-facettes_6185374_3246.html

 

Derrière un intitulé qui pourrait paraître réducteur, « La Marionnette, instrument pour la scène », et une affiche intrigante, voire déroutante – la reproduction d’une petite marionnette sur table de Dom Carlos, très stylisée, conçue par Yann et Marianne Liébard, en 1976, pour le Dom Juan mis en scène par Dominique Houdart et Jeanne Heuclin –, se cache une exposition d’une richesse impressionnante.

 

 

Lire le reportage (en 2006) : Moulins, en habits de scène
 
 
 

Proposée par le Centre national du costume et de la scène (CNCS), à Moulins, elle permet, en quinze tableaux et plus de deux cents objets, de découvrir les innombrables facettes de cet art à part entière, et non mineur ou destiné uniquement au jeune public, qu’est la marionnette « de création » ou « contemporaine », à distinguer de la marionnette dite « de tradition » (Guignol, par exemple). Une spécificité artistique reconnue en novembre 2021 par la création d’un label Centre national de la marionnette, le treizième à être attribué par l’Etat dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques.

 

Pour l’une des deux commissaires, Aurélie Mouton-Rezzouk, maîtresse de conférences en études théâtrales à l’université Sorbonne-Nouvelle – associée pour l’occasion à Joël Huthwohl, directeur du département des arts du spectacle à la Bibliothèque nationale de France (BNF), partenaire de l’exposition –, l’objectif était de montrer non pas tant des techniques marionnettiques que la « tessiture » très large, pour filer la comparaison avec l’instrument de musique, des arts de la marionnette, en les inscrivant dans une dramaturgie d’ensemble, dans un dispositif de représentation scénique et un processus d’écriture dramatique. Les quelque deux cents objets présentés s’accompagnent ainsi d’une centaine de photos et d’une quarantaine de vidéos de spectacles, ce qui permet d’observer comment certaines de ces pièces sont manipulées sur scène par les artistes.

Ces marionnettes, archives, photographies et vidéos exposées proviennent à la fois d’institutions patrimoniales – de la BNF en premier lieu, mais aussi du Musée des arts de la marionnette de Lyon, de l’Institut international de la marionnette de Charleville-Mézières, de l’Opéra national du Rhin, entre autres – et de prêts d’artistes et de compagnies.

L’un des rares prêts provenant de l’étranger est celui du Hungarian Theatre Museum and Institute de Budapest pour des marionnettes – les plus anciennes pièces de l’exposition, qui remontent aux années 1920-1930 – de l’artiste hongrois Géza Blattner (1893-1967), considéré comme le père de la marionnette européenne moderne. En fouillant dans leurs collections, certains artistes ou compagnies ont redécouvert des spectacles oubliés et, finalement, plutôt que de prêter ces objets, ils ont préféré les faire revivre sur les planches.

Grandes tendances

La scénographie conçue par Flavio Bonuccelli est volontairement simple et épurée afin de mettre en valeur la richesse et la variété des œuvres exposées, qui sont de natures, de formes et de tailles très diverses. Elles sont regroupées, par artistes et par spectacles, dans des vitrines sur des socles de différentes hauteurs dans des tons gris assez neutres – des « plateaux », pour reprendre le terme utilisé par le scénographe – qui font ressortir leur impressionnante palette de couleurs. Dans chacune, la présence du corps de l’artiste manipulateur est rappelée soit par des mannequins, soit par des vidéos ou des photos de spectacle.

 

Plutôt qu’un ordre purement chronologique, le parcours conçu par Aurélie Mouton-Rezzouk et Joël Huthwohl suit une logique thématique avec quinze phrases pensées comme autant de pistes à explorer, de « fils à tirer » pour tenter de répondre à une question centrale : pourquoi faire de la marionnette aujourd’hui ? Sans viser l’exhaustivité en ce qui concerne les compagnies et les artistes présentés (impossible, tant la scène actuelle regorge de ressources), les deux commissaires ont tenté de donner la photographie la plus fidèle possible des grandes tendances de la marionnette contemporaine.

Le visiteur passe ainsi d’une première salle, consacrée aux coulisses de la création (sous l’intitulé plein de promesses « S’attendre à tout »), qui met l’accent sur la dramaturgie, à la mise en scène entourant la conception d’une marionnette – en écho à La Scène, nouvel espace du CNCS réservé à la scénographie, inauguré en avril –, à une dernière grande salle, la seule qui soit sans vitrines. Là, on se trouve plongé au milieu d’une foule de marionnettes de toutes tailles, dont certaines à échelle humaine, saisissantes de réalisme (comme celles du spectacle d’Yngvild Aspeli Cendres, créé en 2014), ou d’autres de taille disproportionnée (les adolescents trop grands imaginés par Bérangère Vantusso pour Violet, en 2012). Installée sur des gradins et démultipliée par l’effet réfléchissant de deux immenses miroirs, cette armada de personnages semble sur le point de s’animer pour entraîner le public dans un autre monde.

 

 

 

Entre ces deux salles, le spectateur aura traversé près d’un siècle de création, des années 1920 à nos jours, et profité pleinement du cadre somptueux du bâtiment du CNCS – une ancienne caserne militaire du XVIIIe siècle classée monument historique –, en particulier de son majestueux escalier de pierre central. Il aura pu admirer une variété impressionnante de marionnettes, non seulement des personnages, mais aussi des êtres humains ou des animaux, parfois hyperréalistes ou très stylisés, comme les créatures mécanisées conçues par le Théâtre La Licorne (compagnie créée par Claire Dancoisne en 1986).

Mais aussi des objets en tout genre, des formes abstraites, des ombres, des créations vidéo ou numériques. Même la matière la plus inattendue peut prendre forme et s’animer grâce à l’art de la manipulation : de la mousse de bain pour Johanny Bert ; de la cire chez Renaud Herbin ; du papier pour la compagnie Les Anges au plafond ; de la glace chez Elise Vigneron ou Emilie Valantin, dont les marionnettes éphémères fondent en cours de spectacle.

Une illustration parfaite de la réinvention permanente à l’œuvre dans la création marionnettique et de l’extraordinaire champ des possibles ouvert par cet art qui, pour Aurélie Mouton-Rezzouk, « vole de ses propres ailes ». A l’image des deux grands vautours, marionnettes à tiges, du Théâtre La Licorne (Les encombrants font leur cirque, 2012) ou de la chrysalide en cellophane échappée d’un spectacle de Philippe Genty (Désirs parade, 1986) installés dans l’escalier monumental, au cœur de l’exposition.

 

Teaser vidéo de l'exposition "La marionnette, instrument pour la scène"

« La Marionnette, instrument pour la scène ». Centre national du costume et de la scène, quartier Villars, route de Montilly, Moulins. Jusqu’au 5 novembre. Ouverture tous les jours, de 10 à 18 heures, jusqu’à 18 h 30 en août. Entrée : 9 euros (réduit : 5 et 6 euros, gratuit pour les moins de 12 ans).

 

Cristina Marino  (Moulins)/ Le Monde 

 

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June 22, 2023 4:29 PM
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«Dracula» : en Norvège, des mordus de théâtre

«Dracula» : en Norvège, des mordus de théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 22 juin 2023

 

 

Dans le cadre du Festival international de Stamsund, petit port de pêche du nord du pays, la directrice du Figurteatret, Yngvild Aspeli, a présenté son adaptation avec marionnettes et comédiens du mythe de Bram Stoker, qu’on pourra aussi découvrir dans le off d’Avignon.

 

Où sont les gens ? A quelques heures de la parade qui ouvre le Festival international de théâtre de Stamsund, un port de pêche d’environ 1 100 habitants, sur les lointaines îles Lofoten en Norvège, on s’inquiète. On a bien vu quelques flyers rose fuchsia collés sur des façades en bois, pléthore d’agneaux sur l’herbe vert fluo des montagnes qui tombent à pic dans l’eau, une famille d’orques s’ébattre, ô joie, sous le soleil de minuit dans la mer de Norvège, une loutre se sécher rapidement sur un rocher avant l’ondée suivante. On marche le long des maisons de pêcheurs en bois rouges rutilantes sur pilotis accordées à des bateaux de pêche tout aussi nickels – la saison est terminée –, on contemple des têtes de morue séchées suspendues comme des gousses d’ail sur des sortes d’étendoirs en bois. Mais les humains ? Les spectateurs du «Stamfest», et des trois théâtres que compte le village – bientôt quatre puisque le principal, le Figurteatret, a besoin d’une extension. D’où vont-ils surgir ? Même la Coop, l’unique magasin d’alimentation-presse-pharmacie de la ville, est déserte.

Combinaisons de ski

Vue de France, la stimulante appétence pour l’art vivant dans ce petit port de pêche, par ailleurs très actif, est énigmatique. Pour comprendre cette effervescence, il faut faire un détour par la «crise du poisson» qui a secoué le pays dans les années 80, au moment du krach boursier de 1987 avant que la Norvège n’exploite tous ses gisements de pétrole. Thorbjørn Gabrielsen, le directeur artistique du festival lancé il y a vingt-cinq ans, et propriétaire du Teater Nor, a été le premier artiste à s’installer dans la région. «Les lumières des maisons de Stamsund s’éteignaient une à une, les pêcheurs s’exilaient, il fallait sauver la région de la désertification», explique le sexagénaire à la longue silhouette fine et aux cheveux longs. Thorbjørn Gabrielsen d’abord, puis deux trois artistes amis puis une nuée de compagnies prennent donc le large vers Stamsund, s’aimantant les uns les autres. Une vieille dame, spectatrice de la première heure du festival et toujours fidèle, se souvient du choc vital produit par leur arrivée. «Du théâtre ici ? La région était pauvre et rude. Certains étaient sceptiques. Mais on a tous aidé les nouveaux venus à retaper les maisons et les friches, on leur offrait des meubles. C’était formidable de voir ainsi le port se repeupler. Ici, si l’on n’est pas solidaire entre nous, on ne tient pas.» Tout ne fut pourtant pas idyllique durant cet exode communautaire, si l’on en croit Thorbjørn Gabrielsen, qui nous raconte abruptement que, très vite entre les amis, «la haine» fit son apparition. Le mot «haine» fait lever le stylo, mais le directeur le maintient – et l’on se souvient alors qu’à part le fumage du saumon, l’autre spécialité norvégienne est le polar sanglant.

 

C’est le moment où la toute nouvelle habitante de Stamsund, Yngvild Aspeli, artiste, marionnettiste, directrice artistique de la compagnie Plexus Polaire – et dont le fantastique et troublant Dracula sera découvert très prochainement dans le off du Festival d’Avignon –, fait son entrée. Ouf, elle ne fait pas partie des personnes honnies… En septembre, la metteuse en scène quadragénaire, dont les créations oniriques tournent dans le monde entier, a plié bagage avec son mari vidéaste français et leurs deux très jeunes enfants, et quitté le dense XVIIIe arrondissement parisien pour diriger le Figurteatret, qu’on pourrait (mal) traduire par «théâtre d’objets», subventionné par la région de Nordland, la municipalité, et l’Etat. L’équivalent de nos centres dramatiques nationaux ou scènes nationales ? Pas vraiment. Ne serait-ce que parce que si le théâtre, qui dispose de son propre atelier de fabrication et de couture, a bien la charge d’accueillir quatre à six équipes artistiques en résidence par an et d’assurer des coproductions, la diffusion des spectacles n’est pas prioritaire. Il serait absurde de l’exiger dans une région si peu peuplée. Cependant, la construction d’un nouveau bâtiment identitaire, dont les travaux ont été retardés en raison de l’inflation du prix des matériaux, avec un grand plateau et plusieurs salles, devrait accroître le nombre de spectacles montrés.

 

Lumières aurorales

Avant cette «crise du poisson», la grande bâtisse en bois qui abrite le Figurteatret appartenait à celui qu’on appelait le «maître» de Stamsund, qui possédait également l’atelier de laine et l’usine de poissons de la ville et contrôlait tous les pêcheurs «selon une organisation quasi féodale», explique Yngvild Aspeli. Le théâtre qu’on visite jusqu’à son sauna, a gardé l’aspect cosy d’une maison : une grande cuisine, plusieurs ateliers de fabrication, une imprimante 3D dernier cri, un bureau-bibliothèque doté d’une curieuse cheminée ronde, et une marionnette de rat suspendu semblant saluer le visiteur. Il a «raté son casting dans mon dernier spectacle Dracula», sourit la jeune directrice. On note deux combinaisons de ski accrochées aux portemanteaux pour pourvoir au dicton local : «Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que des mauvais vêtements.» Une absence surprend le regard français : il n’y a pas de bar du théâtre ! Aucun lieu de convivialité où spectateurs et artistes se rejoignent après un spectacle. «J’y travaille», rétorque Yngvild Aspeli.

 

 

Yngvild a grandi dans un village encore plus isolé que Stamsund, elle allait à l’école en ski. Lorsqu’elle part en France faire ses études sans parler un mot de français, d’abord à l’école de comédiens Jacques-Lecoq à Paris, puis l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette (Ensam) à Charleville-Mézières. La ville natale de Rimbaud lui paraît immense et briller de mille feux avec tous ses cafés et la grande vie étudiante ! Avant sa nomination, Yngvild connaissait déjà bien les solitaires îles Lofoten et le Figurteatret pour y avoir été artiste résidente à plusieurs reprises depuis 2011. Qu’est-ce qui l’impressionne le plus, maintenant qu’elle y vit ? «Le vent ! Il me fait presque peur. Aucune tension ne tient face à la nature.» C’est cette «bulle créatrice quand on n’a rien d’autre à faire que regarder la mer et fabriquer de l’art» qu’elle souhaite offrir aux compagnies norvégiennes et internationales en résidence.

 

Où sont les gens ? Et bien, ils arrivent sans bruit et sans courir en même temps que le ferry quotidien de 19 heures, rupture sonore dans une journée sans nuit. Eux aussi surprennent. On n’a pas l’habitude de voir des gens marcher lentement lorsqu’ils vont au théâtre, ne pas craindre d’être en retard parce qu’ils ne sortent d’aucun bureau – la journée de travail est plus courte en Norvège – et à qui on ne demande jamais avant le début du spectacle de fermer leur portable parce que ça va de soi. La salle est comble, elle le sera pour tous les autres spectacles, alors même qu’aucune affiche ne les annonce. La sociologie du public, uniformément en tenue colorée imperméable, ne se laisse pas deviner mais le directeur du festival assure qu’il y a une bonne partie de pêcheurs parmi les spectateurs. Et puisque la scénographie de Dracula impose un large plateau, la pièce se joue dans un hangar à poissons bien aéré au bord de l’eau. Dans cette revisitation du roman épistolaire de Bram Stoker, Yngvild Aspeli emporte dans un monde hypnotique où les acteurs se confondent et se dédoublent avec leurs marionnettes à taille humaine aussi vivantes et expressives qu’eux. Des lumières ciselées et aurorales, des personnages qui se volatilisent le temps d’un battement de cils, des images vidéo comme en 3D : tout concourt à ce qu’on ne distingue plus le vivant de son avatar et Yngvild Aspeli n’a nul eu besoin d’actualiser le mythe pour que le contemporain s’invite. Dans ce spectacle quasi sans parole, l’inquiétude est accrue par le travail sur le son, la respiration rauque du vampire prédateur qu’on devine avant de le percevoir, la comptine rythmée qui évoque le compositeur polonais Krzysztof Komeda. Tandis que la précision tranchante des lumières n’est pas sans rappeler l’atmosphère concentrée des intérieurs dans certaines toiles de Hopper… Une mouette entre sur le plateau. Une marionnette ? Ou bien s’est-elle égarée ?

Cercle au feutre noir

Est-ce un vestige des anciennes dissensions ? La programmation du festival est conçue par les trois directions des théâtres, qui chacune suit une ligne spécifique. Le festival dispose de subventions – 400 000 couronnes, soit 34 000 euros environ. C’est peu pour un festival international, mais suffisant pour «inviter des jeunes artistes coréens si j’en ai envie», explique un brin bravache Thorbjørn Gabrielsen. C’est sous sa houlette que l’on découvre l’artiste la plus connue du festival, la Norvégienne Mette Edvardsen, installée à Bruxelles, qui nous fait malheureusement supplier le dieu de l’ennui que le temps de la représentation ne se confonde pas avec celui du coloriage d’un gigantesque cercle au feutre noir par sa fille adolescente. Les spectateurs déchaussés sont assis à même le sol autour du cercle, beaucoup ferment les yeux, certains s’allongent, s’étirent, mais nul n’envoie de textos en douce, ni, suprême stupeur, ne quitte la salle. Ou comment faire rejouer en live et à leur insu à une cinquantaine de spectateurs l’Ange exterminateur, le chef-d’œuvre surréaliste de Buñuel, symbole de l’impossibilité physique et psychique de quitter un lieu.

 

 

On ne s’y attendait pas, mais c’est bien au Stamfest, qu’on découvre le joyau Go ! de Polina Borisova, elle aussi formée à l’Ensam, à Charleville-Mezières. Le spectacle bref (quarante-cinq minutes salut compris) a l’ampleur d’une saga. Polina Borisova saisit, sans le moindre mot, la quintessence d’une existence à l’heure de son éclipse, la vie de ses aïeux et sa rémanence dans son propre corps. Inoubliable est cet intérieur rempli peu à peu à l’aide d’un ruban adhésif, qui dessine une fenêtre, un chat sur la fenêtre, une porte, une poignée sur la porte, l’art de quitter une pièce ou la vie. Go ! suscite un enthousiasme qui ne s’éteint pas au fil des années, il tourne dans le monde entier depuis sa création, il y a douze ans. On y retourne le lendemain. «Vous aimez Go ! ?» nous interroge Yngvild Aspeli qui l’a programmé au Stamfest. «Moi aussi, c’est mon spectacle préféré. Parmi tous ceux que j’ai vus dans ma vie.» Le spectacle n’a pourtant jamais été programmé ni au Festival d’Avignon ni à Paris.

 

 

On a eu tort de s’inquiéter. Les cuivres s’accordent aux mouettes, les drapeaux volent, les lettres en zigzag du Stamfest se dépareillent puis s’assemblent. La parade a bien lieu, elle est menée bon train par Thorbjørn Gabrielsen, en smoking et ongles fuchsia coordonnées à la couleur du logo. Quelques soirs plus tard, le hangar à poissons connaît une nouvelle métamorphose, en salle de concert flamboyante au sens propre, grâce aux féministes Witch Club Satan, toujours programmées par Yngvild Aspeli. Un théâtre nous manque, le E & G, un ancien cinéma devenu théâtre et lieu de résidence, qu’ont acheté un couple novergien-hispanique Andreas Eilertsen et Cristina Granados, mais ils sont bien là, fans des Witch Club Satan. Soudainement, c’est toute la jeunesse des îles Lofoten qui surgit, le son emplit l’espace terrestre et marin, ébranle les cageots à poissons. Les orques s’étonnent mais n’attaquent pas.

 

 

 

Dracula – Lucy’s dream à la Manufacture, au off du Festival d’Avignon du 7 au 24 juillet. 

 

Witch Club Satan, au off du Festival d’Avignon, le 12 juillet.

 

 

 Légende photo : Après plusieurs années en France, Yngvild Aspeli a pris la tête du Figurteatret de Stamsund, en septembre. (Olivier Frégaville-Gratian d'Amore)
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March 23, 2023 2:34 PM
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Odile Grosset-Grange met en scène la vie de famille en version « Cartoon », d’après Mike Kenny

Odile Grosset-Grange met en scène la vie de famille en version « Cartoon », d’après Mike Kenny | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Cristina Marino dans Le Monde - 22/03/23

 

 

La comédienne et directrice artistique de La Compagnie de Louise adapte un texte inédit du dramaturge britannique avec une multitude d’effets spéciaux.

Lire  l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/22/odile-grosset-grange-met-en-scene-la-vie-de-famille-en-version-cartoon-d-apres-mike-kenny_6166578_3246.html

La Compagnie de Louise, fondée en 2013 par la comédienne et metteuse en scène Odile Grosset-Grange, installée à La Rochelle, propose un répertoire de quatre spectacles jeune public, dont trois adaptés de textes du dramaturge britannique Mike Kenny, grand spécialiste du « young people’s theatre » : Allez, Ollie… à l’eau ! (2014), Le Garçon à la valise (2016) et Jimmy et ses sœurs (2019).

Sa cinquième et dernière création en date, Cartoon ou n’essayez pas ça chez vous !, dont les premières représentations ont eu lieu en février, au Théâtre de la Coupe d’or, à Rochefort (Charente-Maritime), s’inscrit dans cette lignée avec la mise en scène d’une pièce inédite. Comme elle le raconte dans sa note d’intention, datant de janvier 2020, Odile Grosset-Grange a découvert un peu par hasard l’existence de ce texte, jamais joué auparavant, lors d’une rencontre avec l’auteur : « Un soir, Mike me raconte cette pièce improbable d’une famille de personnages de dessins animés. La famille Normal. Je suis curieuse, car je n’ai jamais lu ça au théâtre. Il me l’envoie et je l’aime immédiatement. »

 

 

De ce coup de foudre entre la metteuse en scène française et le texte du Britannique est né un beau spectacle jeune public plein d’inventivité et d’effets spéciaux. Odile Grosset-Grange s’est donné les moyens de mettre en images les péripéties de cette famille Normal haute en couleur, sortie de l’imagination fertile du dramaturge. Elle mêle astucieusement théâtre d’objets, marionnettes, tours de magie (avec des séquences impressionnantes où les acteurs semblent marcher dans les airs), comédie musicale, jeux de lumière dignes d’une production hollywoodienne à gros budget.

Personnages hors norme

Dès le générique d’ouverture (qui n’est pas sans rappeler celui des films de héros Marvel), le ton est donné : nous sommes dans l’univers du dessin animé, placé sous le signe de l’exagération, de la démesure, de l’invraisemblable. Ainsi, par exemple, les deux animaux domestiques de la famille Normal – un poisson rouge, d’abord appelé Sushi, puis Bubulle, et un chien à poils longs – sont campés par des marionnettes surdimensionnées. Les références aux cartoons foisonnent, de la famille Simpson au poisson Nemo des studios Pixar. Avec, en prime, la projection, au cours du spectacle, d’un petit film d’animation avec ses images comme dessinées au crayon à papier.

 

Il faut une bonne dose d’énergie aux quatre comédiens et deux comédiennes de la troupe pour camper les nombreux personnages hors norme de ce dessin animé transposé de l’écran aux planches. Certains d’entre eux interprètent avec beaucoup de naturel des enfants ou des adolescents : Jimmy, le fils de la famille Normal, héros de la pièce (Pierre Lefebvre-Adrien) ; sa grande sœur Dorothy (Pauline Vaubaillon) ; Craig (François Chary), le cancre de service et caïd du quartier qui fait de Jimmy son souffre-douleur.

L’intrigue générale est simple, accessible pour les plus jeunes (à partir de 7 ans) et riche en rebondissements scéniques. Une famille en apparence bien sous tous rapports – le père, la mère et leurs trois enfants, un garçon, une fille et un bébé, au prénom, Bébé, aussi indéterminé que son sexe – se révèle avoir une existence beaucoup plus étrange qu’il n’y paraît. Ce sont en réalité des cartoons, des personnages fictifs qui, chaque jour, revivent indéfiniment les mêmes aventures que la veille, ne ressentent pas la douleur (ils peuvent tomber du dernier étage d’un immeuble ou se fracasser une poêle sur la tête sans souffrir), ne connaissent ni la vieillesse ni la mort.

 

Jusqu’au jour où tout bascule et se dérègle à cause d’une potion inventée par Norma, la mère de famille, et malencontreusement ingurgitée par Bébé et Jimmy. Ce dernier va commencer à ressentir des émotions « normales », comme la douleur ou la peur de la mort, jusqu’au choix final entre un retour à sa vie aseptisée de cartoon ou la poursuite de l’aventure en tant qu’être de chair et d’os.

 

 

Les petits y verront sans doute uniquement un réjouissant spectacle plein d’humour et au rythme entraînant ; les grands y discerneront peut-être une réflexion sur la normalité et ses limites, mais tous auront passé un bien agréable moment en compagnie de ces personnages de cartoon somme toute tellement humains.

 

 

Cartoon ou n’essayez pas ça chez vous !, de Mike Kenny (texte traduit de l’anglais par Séverine Magois). Mise en scène d’Odile Grosset-Grange. Avec François Chary, Julien Cigana, Antonin Dufeutrelle, Delphine Lamand, Pierre Lefebvre-Adrien, Pauline Vaubaillon. Le 22 mars à La Comédie de Valence-Centre dramatique national Drôme-Ardèche ; du 4 au 6 avril à La Coursive-Scène nationale de La Rochelle ; les 15 et 16 avril à La Ferme du Buisson-Scène nationale de Noisiel (Seine-et-Marne).

 

 

Cristina Marino / Le Monde

 

Légende photo : De gauche à droite : Craig (François Chary), Norman Normal (Julien Cigana), avec la marionnette Bébé, Antonin Dufeutrelle avec la marionnette du chien, Norma Normal (Delphine Lamand), Dorothy Normal (Pauline Vaubaillon) et Jimmy Normal (Pierre Lefebvre-Adrien, au sol), le 22 février 2023, au Théâtre de la Coupe d’or, à Rochefort (Charente-Maritime). CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

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January 14, 2023 8:13 PM
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Au Mouffetard, à Paris, Agnès Limbos manipule objets et symboles pour dénoncer les féminicides

Au Mouffetard, à Paris, Agnès Limbos manipule objets et symboles pour dénoncer les féminicides | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Cristina Marino dans Le Monde - 14 janvier 2023

 

Le spectacle « Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement », créé en septembre 2021, est une réflexion sur les violences faites aux femmes.

Lire l'article sur le site du Monde : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/14/au-mouffetard-a-paris-agnes-limbos-manipule-objets-et-symboles-pour-denoncer-les-feminicides_6157870_3246.html

Tout semble fait pour intriguer, et dérouter, dans la création – présentée pour la première fois en septembre 2021 au Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières (Ardennes) – de la Belge Agnès Limbos, virtuose du théâtre d’objets et fondatrice en 1984 de la compagnie Gare Centrale. Son titre lui-même, Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement, que l’on croirait tout droit sorti d’un journal intime ou d’une confession dans une émission de télé-réalité.

Mais aussi son dispositif scénique, qui confronte le public, dès son entrée dans la salle, à un corps de femme gisant sur la scène, tel un pantin désarticulé, avec son manteau de fourrure, son sac à main et une seule chaussure. Immobile, la « morte » semble assister à l’installation des spectateurs qui n’interrompent guère leurs conversations face à cette présence inhabituelle. Avant même le début de la représentation, le ton est donné : Agnès Limbos sait jouer à la perfection sur le décalage, le second degré, l’humour noir pour créer une sensation de malaise diffus mais omniprésent.

 

 

Interpellé par une voix off, le « cadavre » (Agnès Limbos elle-même) finit par se relever, et semble ne plus savoir ni qui elle est ni où elle se trouve. Commence alors une sorte de Cluedo grandeur nature dans lequel ce personnage va tenter de comprendre comment il en est arrivé là, gisant au sol sous les yeux du public. Sont explorés successivement les multiples scénarios, inspirés des faits divers les plus glauques, qui ont pu conduire à la mort de cette femme : a-t-elle été tuée par son mari, par un amant de passage, par un cambrioleur surpris en flagrant délit… ? Est-elle une épouse infidèle ou délaissée, une célibataire, une séductrice… ? Comment a-t-elle été assassinée, à coups de couteau, de hache, ou – plus insolite – de gigot congelé, noyée dans sa baignoire, poussée du haut d’une falaise… ?

La mise en scène mêle théâtre d’objets (Agnès Limbos manipule sur une table plusieurs accessoires miniatures évoquant la vie quotidienne d’une femme au foyer, la machine à laver, la baignoire, la coiffeuse, le lit, etc.), narration – entrecoupée de messages enregistrés, notamment de loufoques cours d’apprentissage de l’anglais type méthode Assimil – et apparition de différentes silhouettes (entre autres celle d’un homme qui pourrait être l’assassin).

Un puzzle macabre

Le public se trouve ainsi confronté à un puzzle macabre où les différentes pièces s’imbriquent les unes dans les autres pour aboutir toujours au même résultat : la victime finit par mourir. Un peu comme si les violences faites aux femmes se répétaient sans fin, quel que soit le scénario envisagé. Agnès Limbos remonte jusqu’aux sources symboliques de ces violences, jusqu’à l’enfance (plusieurs fillettes apparaissent sur scène comme autant de doubles de la femme assassinée et de proies potentielles pour des prédateurs en tous genres).

 

Elle se joue aussi habilement des clichés et stéréotypes sexistes véhiculés par certaines versions à la Disney de contes comme Blanche-Neige ou Cendrillon à travers des objets ou personnages très connotés, comme la chaussure, la pomme, le prince charmant (qui finit par se transformer en violeur)…

Même s’il peut déranger parfois par la radicalité de sa mise en scène, le spectacle d’Agnès Limbos a le mérite d’aborder de front un sujet délicat, et de faire rire (souvent jaune) de situations tragiques. La comédienne y déploie avec brio son humour grinçant et sa virtuosité à manipuler les objets du quotidien pour évoquer, avec ces quelques accessoires tout simples, une réalité plus complexe qu’il n’y paraît.

 

Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement, par la compagnie Gare Centrale. Conception et mise en scène : Agnès Limbos. Ecriture et interprétation : Agnès Limbos et Pierre Sartenaer. Le Mouffetard – Centre national de la marionnette, 73, rue Mouffetard, Paris 5e. Jusqu’au 19 janvier, du mardi au vendredi à 20 heures, le samedi à 18 heures et le dimanche à 17 heures. Puis en tournée, notamment au Théâtre de Châtillon (Hauts-de-Seine), les 23 et 24 mars, pour le festival Marto.

 

 

Cristina Marino

 

Voir la vidéo de présentation

 

Légende photo  : Agnès Limbos lors d’une représentation du spectacle « Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement », par la compagnie Gare Centrale, en août 2021. NICOLAS MEYER

 

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May 24, 2022 7:57 PM
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A Dijon, le festival Théâtre en mai entre poésie et documentaire

A Dijon, le festival Théâtre en mai entre poésie et documentaire | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge  (Dijon, envoyée spéciale) dans Le Monde 23 mai 2022

 

Sous la houlette de Maëlle Poésy, le rendez-vous de printemps fait la part belle aux projets internationaux, pluridisciplinaires et portés par des artistes femmes.


A Dijon, le festival Théâtre en mai fait sa mue et en ressort tout beau tout neuf. Ce rendez-vous de printemps a toujours été un jalon important dans le paysage théâtral, depuis sa création, en 1990, par François Le Pillouër. Aujourd’hui, il se renouvelle sous la houlette de Maëlle Poésy, qui fait de son premier festival l’acte fondateur de sa direction du Théâtre Dijon-Bourgogne-Centre dramatique national, dont elle a pris la tête en janvier.

 

 

Maëlle Poésy ne s’inscrit pas en rupture par rapport à son prédécesseur, Benoît Lambert. Mais elle appose sa patte, en ouvrant plus largement le festival sur l’international, sur le territoire de la ville de Dijon et sur les formes pluridisciplinaires. « Les écritures d’aujourd’hui, ce sont des artistes qui écrivent au plateau de multiples manières, avec une inventivité foisonnante, constate-t-elle. Je voulais aussi qu’il y ait une vraie diversité de choix entre des formes documentaires et des formes plus poétiques, qui transcendent notre réalité. On a plus que jamais besoin, en ce moment, de l’espace du rêve et de l’imaginaire qu’apporte l’art. »

 
 
 

Sans que ce soit revendiqué comme tel, ce premier festival version Poésy est aussi très féminin et féministe. On n’en est plus, ici, à tenter péniblement d’atteindre une parité femmes-hommes à coups de bricolages et d’affichages. La plupart des projets de ce Théâtre en mai sont conduits par des artistes femmes, qu’elles soient autrices, metteuses en scène, chorégraphes ou circassiennes.

Création en plein air

Jusqu’au 29 mai, on pourra voir des spectacles de la chorégraphe et performeuse néerlandaise Roshanak Morrowatian, de l’autrice-metteuse en scène Tamara Al Saadi, ou de Chloé Moglia, l’artiste qui fait exploser les frontières du cirque. Sans compter la recréation d’un spectacle culte de la reine des iconoclastes, la Belge Miet Warlop. Maëlle Poésy, elle, a fait le choix d’une création hors les murs, en plein air, avec Gloire sur la terre, un texte où l’autrice écossaise Linda McLean se penche sur la figure de Marie Stuart. Du côté des hommes, les artistes invités ne sont pas tout à fait des inconnus, puisqu’il s’agit de Tiago Rodrigues (avec son Chœur des amants) et de David Geselson (avec Le Silence et la peur, pièce inspirée par la chanteuse Nina Simone).

 

 

La grande marionnettiste norvégienne Yngvild Aspeli a ouvert le ban avec « Dracula Lucy’s Dream », soit sa vision du mythe vampirique

 

 

 

Ce sont des artistes femmes, aussi, qui ont signé les quatre spectacles d’ouverture. La grande marionnettiste norvégienne    Yngvild Aspeli a ouvert le ban avec Dracula Lucy’s Dream, soit sa vision du mythe vampirique passée au filtre de réécritures nordiques. La metteuse en scène n’a pas son pareil pour créer des univers oniriques et hypnotiques, armée de son talent visuel, de la musique de sa comparse Ane Marthe Sorlien Holen, sorte de Björk norvégienne, et de ses marionnettes à taille humaine, extrêmement expressives.

 

On retrouve ce sens de l’atmosphère dès le début de ce spectacle en forme de cauchemar, qui s’ouvre avec des loups hurlant dans la nuit, et qui mêle tableaux plastiques et cartons de cinéma muet. C’est beau. Mais sur le plan dramaturgique, cette création déçoit. Centrée sur la figure de Lucy, l’une des victimes du comte Dracula, elle donne l’impression de tirer sur la corde, de manière assez répétitive, de la relation, forcément complexe, entre le vampire et sa proie. C’est dommage : le talent qu’a Yngvild Aspeli pour orchestrer l’animé et l’inanimé avait évidemment toute sa pertinence, dans cette histoire où la vie et la mort se sucent le sang l’une l’autre.

Belle découverte

Cette ouverture de festival a par ailleurs offert une belle découverte, en la personne de Teresa Coutinho. Cette actrice, autrice et metteuse en scène portugaise a travaillé avec Christiane Jatahy, Gus Van Sant ou Tiago Rodrigues, avant de créer ses propres spectacles. Celui qu’elle a présenté à Dijon, Solo, est à la fois drôle, émouvant et percutant, en mettant en jeu de manière très personnelle les rôles qui enferment les femmes, les représentations de la féminité.

 

 

Si ce Solo touche aussi juste, c’est d’abord parce que Teresa Coutinho part d’expériences intimes, de la découverte de son homosexualité aux clichés qui ont pu lui être renvoyés pendant ses années d’apprentissage du théâtre. C’est aussi parce qu’elle trouve la forme pour le dire : une sorte de rituel qui mêle récit autobiographique, image vidéo, réflexion sur la question du miroir, dramaturgie du vêtement… Enfin parce que Teresa Coutinho a une présence scénique irrésistible : elle a quelque chose des grandes danseuses de Pina Bausch, auxquelles elle fait d’ailleurs allusion dans son spectacle.

Teresa Coutinho a quelque chose des grandes danseuses de Pina Bausch, auxquelles elle fait d’ailleurs allusion dans son spectacle

Les deux autres créations d’ouverture de Théâtre en mai ont nettement moins convaincu. Et toutes deux pour les mêmes raisons : des formes documentaires assez paresseuses, peinant à donner une forme au réel. Casa, de la dramaturge et metteuse en scène espagnole Lucia Miranda, aborde la question du logement, devenue si sensible pour la classe moyenne. L’Age de nos pères, écrit par l’autrice Julie Ménard avec le collectif l a c a v a l e, s’interroge sur la violence masculine, à partir d’un travail d’enquête mené dans un foyer accueillant des femmes victimes de cette violence. L’engagement des deux équipes dans leur sujet n’est pas en cause. Mais c’est le théâtre que l’on cherche, dans ces deux spectacles. Dans ces débuts de Théâtre en mai, nouvelle mouture, la poésie a gagné face au réel.

 

 

Théâtre en mai, au Théâtre Dijon-Bourgogne et dans divers lieux à Dijon. Jusqu’au 29 mai.

 

 

Fabienne Darge (Dijon, envoyée spéciale) / Le Monde 

 

Légende photo : « Dracula Lucy’s Dream », d’Yngvild Aspeli. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

 

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November 21, 2021 11:33 AM
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Dans « Battre encore », comédiennes et marionnettes font corps pour dénoncer les violences contre les femmes

Dans « Battre encore », comédiennes et marionnettes font corps pour dénoncer les violences contre les femmes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 20 nov. 2021

 

 

La compagnie La Mue/tte s’est librement inspirée de l’histoire vraie des sœurs Mirabal, assassinées en 1960 par le dictateur dominicain Rafael Trujillo, pour explorer les rapports de pouvoir entre les sexes.

Pourquoi la date du 25 novembre a-t-elle été choisie par les Nations unies pour devenir la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes ? Parce que c’est le 25 novembre 1960 que trois sœurs Mirabal, Patria (née en 1924), Minerva (1926) et Maria Teresa (1936), ont été assassinées sur ordre du dictateur Rafael Trujillo, qui régnait d’une main de fer sur la République dominicaine depuis un coup d’Etat, en 1930. Surnommées les Hermanas Mariposas (« sœurs papillons »), elles furent des figures de la lutte contre la dictature et l’oppression. Leur mort a indigné la population, renforçant le mouvement de contestation envers Rafael Trujillo, qui finira lui-même assassiné en mai 1961.

 

 

C’est de ce tragique assassinat politique des sœurs Mirabal que s’est librement inspirée la compagnie franco-argentine La Mue/tte, créée en 2014 et codirigée par Delphine Bardot et Santiago Moreno, pour sa nouvelle création : Battre encore. Elle y poursuit ainsi une réflexion sur les rapports entre les hommes et les femmes, sur la lutte des femmes contre la domination masculine, déjà abordée dans ses précédents spectacles L’Un dans l’autre (2015), Les Folles (2017) et Fais-moi mâle (un solo de 15 minutes, 2018).

 

Battre encore se donne à voir comme un anti-conte de fées, pratiquement sans paroles (mis à part une voix off qui intervient par moments pour fournir quelques repères narratifs), dans lequel trois jeunes femmes tentent de lutter, en vain, contre l’ogre-tyran qui les terrorise. Tout commence pourtant de façon quasi idyllique, par le classique « il était une fois… » : trois jolies roses, représentées par de petites marionnettes avec une tête de fleur et un corps de poupée, éclosent dans le jardin familial, entourées de papillons et protégées des dangers de l’extérieur par un père aimant, symbolisé par une tête et deux grandes mains. Les petites roses grandissent à l’abri des regards et au milieu des livres, avant de devenir trois belles jeunes femmes.

Théâtre d’ombres

Les trois comédiennes et marionnettistes, Delphine Bardot, Bernadette Ladener et Amélie Patard, leur donnent corps, silhouettes tout de noir vêtues. Leurs longues chevelures masquent d’abord leurs visages, avant d’être nattées, afin de les dévoiler. Cet envoûtant trio mène le bal sur fond de musiques d’Amérique latine, orchestrées par Santiago Moreno, et d’accords de violoncelle, interprétés par Bernadette Ladener. Des solos les montrent au corps à corps avec des figures masculines, représentées tour à tour par une marionnette miniature, un pantin désarticulé, une peau de bête au visage humain.

Les corps féminins donnent vie aux bustes inertes de leurs bourreaux, qui finissent par les agresser puis les tuer

Vient ensuite le tournant tragique de l’histoire des trois sœurs : leur rencontre au cours d’un bal avec l’ogre-tyran, le dictateur Trujillo, symbole de l’oppression masculine, avec sa taille démesurée et son filet de chasse aux papillons. Le trio de comédiennes se lance alors dans un impressionnant ballet mortifère avec les marionnettes qui représentent le despote et ses sbires. Les corps féminins donnent vie aux bustes inertes de leurs bourreaux, qui finissent par les agresser puis les tuer.

La mort particulièrement cruelle des sœurs Mirabal (après que Minerva eut repoussé les avances du dictateur, les trois femmes furent battues et achevées à la machette, puis leurs corps furent jetés dans un ravin à bord de leur voiture avec celui de leur chauffeur, pour faire croire à un accident de la route) est subtilement évoquée en un théâtre d’ombres final, à l’aide de silhouettes en papier derrière un paravent. Un spectacle puissant et émouvant, à voir pour ne jamais oublier toutes les femmes, militantes, résistantes, célèbres ou anonymes, qui ont payé de leur vie leur engagement.

 

"Battre encore" : la vidéo de présentation

 

 

Battre encore, par la compagnie La Mue/tte. Avec Delphine Bardot, Bernadette Ladener et Amélie Patard. Mise en scène : Delphine Bardot et Pierre Tual. Texte : Pauline Thimonnier. Création musicale : Santiago Moreno. Au Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette, Paris 5e. Jusqu’au 25 novembre, du mardi au vendredi à 20 heures, le samedi à 18 heures et le dimanche à 17 heures. Puis en tournée à travers la France en 2022, notamment samedi 26 mars au Théâtre Victor-Hugo de Bagneux (Hauts-de-Seine) dans le cadre du festival Marto.

 

Cristina Marino


Légende photo : De gauche à droite : Amélie Patard, Bernadette Ladener et Delphine Bardot dans « Battre encore », par la compagnie La Mue/tte au Mouffetard (Paris 5e). FRÉDÉRIC ALLEGRINI

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November 6, 2021 6:39 PM
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Avec son spectacle « Voyage chimère », Ilka Schönbein fait corps avec ses marionnettes

Avec son spectacle « Voyage chimère », Ilka Schönbein fait corps avec ses marionnettes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Cristina Marino dans Le Monde - 7 nov. 2021

 Ilka Schönbein derrière la marionnette de la chatte dans « Voyage chimère », par le Theater Meschugge. MARINETTE DELANNÉ

 

 

L’artiste allemande est en tournée en France avec sa dernière création librement inspirée du conte des frères Grimm, « Les Musiciens de Brême ».

 

 

 

Ilka Schönbein ne parle pas beaucoup, ni sur scène ni dans la vie, ou, plus exactement, elle recherche souvent le mot juste, l’expression adéquate. Et quand elle ne les trouve pas, elle préfère laisser s’exprimer son corps, qu’elle prête depuis toujours à ses créatures, ou mettre au premier plan la musique, omniprésente dans son œuvre. Rencontrée en octobre à l’occasion d’une série de représentations de sa dernière création, Voyage chimère, au Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, à Paris, l’artiste, née en 1958, à Darmstadt, en Allemagne, explique comment ce sont toujours les marionnettes, souvent faites de bric et de broc, à partir d’objets de récupération, qui sont à l’origine d’un nouveau spectacle.

 

Ainsi, pour Voyage chimère, librement inspiré du conte des frères Grimm, Les Musiciens de Brême, elle raconte : « Il y avait, dans mon atelier, deux ou trois marionnettes qui traînaient, qui n’avaient pas encore trouvé leur place dans un spectacle, qui attendaient le bon moment pour sortir de l’ombre. Ce sont elles qui ont choisi le conte, et non l’inverse. » C’est pourquoi le chat des frères Grimm est devenu, chez Ilka Schönbein, une vieille chatte (rescapée d’un précédent spectacle) et le coq une poule, aux côtés de l’âne et du chien, pour former le quatuor animalier du récit.

Le public est entraîné dans une danse macabre sur fond de chansons et de morceaux de musique interprétés en direct par deux complices

Et, comme toujours dans les spectacles d’Ilka Schönbein, on est bien loin de l’univers coloré et joyeux des contes pour enfants (Voyage chimère s’adresse aux plus de 10 ans). Les quatre animaux en question sont en effet réduits à l’état de squelettes ‒ des crânes et des pattes, auxquels Ilka Schönbein donne habilement vie avec son corps, en particulier ses jambes, maquillées de façon différente pour chaque personnage. Le résultat d’une existence de misère au service des hommes, marquée par les mauvais traitements et l’exploitation à outrance.

Le public est entraîné dans une danse macabre sur fond de chansons et de morceaux de musique interprétés en direct par les deux complices de la marionnettiste, Alexandra Lupidi (au registre vocal impressionnant, pouvant passer d’un chant populaire italien à un air d’opéra en allemand) et Anja Schimanski (également responsable de la création et de la régie lumière).

Ambiance de cabaret

La réussite de Voyage chimère tient beaucoup à cette ambiance de cabaret, de revue musicale, où chacun des quatre protagonistes est appelé à monter à tour de rôle sur une sorte de roue centrale tenant lieu d’estrade (ou d’échafaud) et à se produire dans un numéro « de la dernière chance », avant de partir pour Brême ou, plus certainement, dans l’au-delà.

 

 

Car la mort est présente au détour du chemin, comme souvent chez Ilka Schönbein. D’autant plus dans cette création née en pleine pandémie, alors que le trio était en résidence artistique au Monteil (Cantal), en mars 2020. « Cette première résidence devait durer seulement une semaine, explique la marionnettiste et metteuse en scène. Mais, avec l’arrivée du Covid-19 et le premier confinement, elle a duré près de deux mois, ce qui nous a donné un temps précieux, avec Alexandra et Anja, pour travailler sur le spectacle. »

 

Un spectacle fascinant à l’humour noir, et parfois grinçant, à découvrir à l’occasion de quelques (trop rares) représentations dans l’Hexagone en novembre, car comme le souligne Ilka Schönbein, beaucoup de théâtres, en France et en Allemagne, ont déjà rempli leur programmation pour la nouvelle saison avec les reports des dates annulées pour cause de pandémie en 2020-2021, ce qui rend compliqué, pour les compagnies, de trouver encore des créneaux libres pour se produire sur scène dans les mois à venir.

 
 

Voyage chimère, par le Theater Meschugge. Avec Ilka Schönbein (création et manipulation des marionnettes, mise en scène), Alexandra Lupidi (création musicale et musique de scène) et Anja Schimanski (création et régie lumière, musique de scène). Les 16 et 17 novembre au Théâtre des quatre saisons, à Gradignan (Gironde) ; le 19 novembre au festival Marionnettissimo, à Tournefeuille (Haute-Garonne) ; les 29 et 30 novembre à l’Espace Jéliote, à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques).

 

Cristina Marino

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September 20, 2021 5:17 PM
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Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières – Ardennes – Grand Est. Du 17 au 26 septembre 2021.

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières – Ardennes – Grand Est. Du 17 au 26 septembre 2021. | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 20 sept. 2021

Crédit photo : Dmitriy Dubinnikov.(Gerda's room)

 

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières – Ardennes – Grand Est. Du 17 au 26 septembre 2021. FMTM 25 rue du Petit bois – 08000 – Charleville-Mézières. Tél : 03 24 59 94 94. contact@festival-marionnette.com, www.festival-marionnette.com 

 

 

Le Festival Mondial des Marionnettes  2021, fondé en 1961 par Jacques Félix, fête non seulement son soixantième anniversaire mais aussi les quarante ans de l’Institut International de la Marionnette, installé depuis 1981 à Charleville-Mézières. Pour le nouveau directeur Pierre-Yves Charlois qui succède à Anne-Françoise Cabanis, c’est l’occasion de montrer, après les dures contraintes de la crise sanitaire, comment le Festival assume ses responsabilités, à la fois artistiques, professionnelles, sociales et politiques, au service d’un art, des artistes, d’une profession, d’une filière mais aussi d’un territoire et d’une population. Sont conviées moins de compagnies venues de loin, mais beaucoup de compagnies émergentes du milieu marionnettique.

Fantastique et magie, cabaret et curiosités, performance et matière, avec la présence des pionniers – la compagnie Emilie Valentin, le Théâtre du Mouvement de Claire Heggen, le Turak Théâtre, le Théâtre Meschugge – et nécessairement aussi, la relève – Renaud Herbin, Yngvild Aspeli, les Anges au Plafond, la Compagnie de l’Oiseau-Mouche avec la Compagnie Trois-six-trente de Bérangère Vantusso – et la nouvelle vague avec Compagnie Za !, le Blick Théâtre

Quelques spectacles à la hauteur des exigences artistiques attendues ont retenu notre attention.

 

 

Le Nécessaire Déséquilibre des choses par Les Anges au Plafond. Dès 13 ans. Marionnettes portées.

Le Nécessaire Déséquilibre des choses est un spectacle ambitieux qui parle d’amour et de désir, réunissant la scène et la salle, installant sur le plateau deux marionnettistes, une plasticienne, un homme-échelle et un quatuor à cordes.

La compagnie fondée en 2000 à Malakoff par Camille Trouvé et Brice Berthoud se lance avec humour et poésie dans une nouvelle épopée pour continuer d’explorer à travers le geste et la manipulation les méandres de l’être humain. Les marionnettes dialoguent avec les Fragments du discours amoureux de Roland Barthes, dans une grande fresque de lumière. Et les Anges au plafond descendent métaphoriquement jusqu’au coeur. Que dire du désir, du manque, de l’amour?

« Depuis longtemps, l’amour et la haine se confondent, s’employant à conquérir et à rendre l’autre captif ». Une expédition est organisée par des chercheurs : deux scientifiques descendent bien bas dans la région localisée du coeur de l’être pour examiner ce qui se trame en son for intérieur.

Fils rouges s’emmêlent sur le plateau – image des vaisseaux sanguins – et un coeur sanguinolent  suspendu dans les cintres pleure parfois, ce qui nécessite la présence incongrue de seaux rouges. L’aventure paraît approximative et aléatoire, livrée au hasard d’un jeu sans réelle nécessité

On ne peut qu’admirer et contempler la fresque horizontale sur l’histoire de l’humanité – guerre et amour – , éloquente et fabriquée à vue, entre ombres et lumières, par de vifs créateurs du théâtre d’objets – images et lettres en direct -, Amélie Madeline en alternance avec Vincent Croguennec. Présence attachante également de l’homme-échelle et régisseur plateau – Philippe Desmulie.

Les marionnettistes en déséquilibre, Camille Trouvé et Jonas Coutancier, en font un peu trop – entre déplacements précipités, mouvements démultipliés et déclamation un peu forcée d’un beau texte littéraire. Heureusement, le couple d’amoureux qu’ils manipulent tous deux, leur double – des marionnettes grandeur nature – offre une présence paisible et un supplément d’âme salvateur.

De même, le quatuor à cordes apporte son réconfort dans ce voyage dans l’imaginaire et le rêve : Jean-Philippe Viret à la contrebasse, Mathias Lévy au violon, Maëlle Desbrosses à l’alto et Bruno Ducret au violoncelle – improvisations, écriture musicale et présence scénique.

 

 

A ta place, conception et mise en scène de Vera Rozanova, texte de Christophe Moyer. Par la compagnie Za ! Dès 10 ans. Marionnettes et dessins projetés en direct.

Chaque chose à sa place. Chaque chose à sa place. Vraiment ? Tout doit-il être rangé ? Tout peut-il être rangé ? En mesurant combien la question du rangement est récurrente dans les expressions familières, et combien le fait de perdre sa place ou de ne pas la trouver peut déranger.

La compagnie Za ! a confié à Christophe Moyer l’écriture d’un texte original – ateliers et création. 

A ta place est le troisième spectacle de la compagnie installé à Nantes depuis 2017, veillant à réunir des artistes d’horizons différents pour mieux questionner les ressorts intimesdes enjeux de la société contemporaine. Tiroirs, marionnettes, dessins en direct…Tout est en construction. Une métaphore pour parler d’un monde dérangé et incomplet, susceptible à l’évidence d’être amélioré.

La construction de jolies marionnettes à l’allure facétieuse d’adolescents contemporains plutôt éloquents revient à Lucas Prieux qui se charge aussi de la construction de la scénographie, mais aussi à Vera Rozanova, Thaïs Trulio et Eve Bigontina. Se tient à la création vidéo, régie vidéo et jeu, Yasmine Yahiatène; et à la manipulation et au jeu, Eve Bigontina et Thaïs Trulio.

Un univers assemblé de tiroirs de rangements en bois, de caisses et autres meubles quotidiens, qui accumulent, en leur vide désuet, les traces dont on ne veut plus et dont on ne se sépare pas. L’esthétique malicieuse est soignée, volontairement décalée à travers ses rangements obligés.

Est dessiné à la création vidéo le bus qui accompagne la protagoniste au collège, transport commun où elle rencontre son alter ego qui n’a pas sa place ici – ni logis, ni foyer, ni demeure.

Elle va tout faire pour s’enquérir de l’adolescent trop facilement négligé et oublié par les autorités.

Non loin de là encore, marche sans s’arrêter un homme qui hante la rue, dont seuls les bras et les jambes en mouvement sont esquissés par des rais de lumière. Création onirique et significative.

Un joli spectacle sur la nécessité de prêter attention à l’autre, entre un décor daté XX è siècle – tiroirs de bureau -, et l’invention de marionnettes et de formes numériques qui expriment la vie.

 

 

Ici et là, conception, scénographie, sons-chants et jeu Katerini Antonakaki par la compagnie  La main d’oeuvres – Katerini Antonakaki. Dès 3 ans. Objets, images et sons. 

La main d’oeuvres est un laboratoire d’images, de sons et de sens en deux volets complémentaires. Forêt de murmures, une installation interactive, et le prologue ludique Ici et là.

Le chemin artistique de Katerini Antonakaki se poursuit dans la boîte à outils d’objets scéniques atypiques, créée à Amiens depuis 2008 et restructurée en 2020.

Dans ce projet, cette ex-élève de l’ESNAM puise son inspiration à la densité du détail de tout geste d’un quotidien revisité. Chorégraphié dans une scénographie mobile habitée, Ici et là est un poème en mouvement, conte sans paroles autour de la Maison et de la Nature, près des arbres… 

Le carnet de voyage est en trois dimensions : les paysages s’entrelacent avec les objets, les sons et les mélodies lointaines, univers onirique qui invite à se laisser porter dans mémoire et sensation.

Une maison transparente – voile blanc et léger – qui peut se laisser porter sur le dos si on la soulève, avec petits rideaux et volets légers de fermeture ou d’ouverture : le logis se laisse voir de l’intérieur, avec ses petits ustensiles de cuisine, livre de recettes, récipients et autres machines.

La dame qui hante les lieux est de blanc vêtue, comme le joli habitacle; elle aime particulièrement les chapeaux qu’elle porte avec élégance – oiseaux minuscules ou fleurettes colorées en décoration-, à moins qu’elle ne choisisse finalement de porter un chapeau d’apicultrice.

Alentour, des images vidéo n’en finissent pas d’égrainer la beauté de la Nature – le ciel, la neige et ses flocons, les oiseaux et leurs chants, les papillons blancs et leurs vols silencieux, les bouquets floraux et leurs tiges. Un lieu fantastique rien moins que réel avec la Maison à préserver.

 

Incertain monsieur TOKBAR Création 2018, Compagnie TURAK

39 rue Champvert 69005 LYON tél : 04 72 10 98 05 turak.theatre@orange.fr http://www.turak-theatre.com turaktheatre.canalblog.com Distribution ( en cours) Ecriture, mise en scène, scénographie Michel Laubu En complicité avec Emili Hufnagel Dramaturgie Olivia Burton Création et régie lumière Ludovic Micoud Terraud Avec Michel Laubu, Emili Hufnagel, patrick Murys, Charly Frénéa, Caroline Cybula Régie générale et plateau Fred Soria Régie son et vidéo Hélène kieffer Construction accessoires Charly Frénéa, Joseph paillard, Fred Soria, pierrick Bacher, Emmeline Beaussier, géraldine Bonneton Construction marionnettes audrey vermont, Simon Marozzi

Crédit photo : Romain Etienne.

 

 

7 soeurs de Turakie, écriture et mise en scène Emili Hufnagel et Michel Laubu par Turak Théâtre. Dès 8 ans. Marionnettes portées, théâtre d’objets, masque.

Dans un fabuleux monde de bric et de broc qui ressemble à notre mémoire, le Turak Théâtre déclenche un nouveau tourbillon de poésie. Et en Turakie, l’histoire aventureuse et savoureuse des sept soeurs – tremblements et espérances – relève autant de Tchékhov que des 7 samouraïs.

L’incontournable compagnie lyonnaise fondée en 1985 par Michel Laubu, poète de bouts de ficelle, à la croisée du théâtre de marionnettes, du théâtre d’objets et du théâtre gestuel, propose sa nouvelle création 7 soeurs de Turakie, issue de ce fameux pays imaginaire qu’elle n’a plus quitté depuis que le comédien mosellan l’a inventé en 1992, avec Lucile Bodson, directrice du Théâtre de la Marionnette à Paris.

Terre non répertoriée sur les cartes du globe, aux frontières mouvantes, et disposant de son propre langage et de ses codes, la Turakie est le royaume de la folie douce. Peuplé d’étranges marionnettes et d’objets recyclés de toutes sortes, il ouvre sa porte aux rêves beaux et fous.

Sept soeurs éparpillées de par le monde reviennent un jour pour protéger la maison familiale prise dans la tempête. Louisa arrive à la gare, Mitzi en sac à dos, Leone en kayak à roulettes, Tona en solex élastique, Millie en canoë gonflable, Raymonde en essoreuse à salade, et Margot par les bois et les champs. Mais les bandits des courants d’air rôdent, il faudra les affronter dignement. 

La mémoire des sept soeurs est menacée, tel un iceberg portant le panneau « A vendre ». Qu’à cela ne tienne, les frangines qui ont pris de la graine organisent leur résistance, capables de jouer autour du baby-foot de leur enfance, selon les grandes figures d’une mythologie réinventée.

La scène – espace et volume – est entièrement cernée par les marionnettes et les figurines de Turak. Un immense lapin debout, un troupeau de cerfs inénarrable – des planches à repasser recouvertes de pelisses de fourrure déposéeset des morceaux de bois pour ramure impériale. 

Les interprètes-manipulateurs jouent les fameuses soeurs de Turakie, vieilles dames malicieuses en robe de dentelle blanche et à la tête masquée – large et grand sourire moqueur à la bouche.

Le public ne peut qu’être enchanté par tant de bonhomie et de facétie, de volonté de s’amuser au-delà d’un monde pris de folie – banquise immobilière et ses panneaux insolites de vente, et les portes d’une immense armoire qui tourne sur elle-même – formes géométriques et drôle de foyer.

Un spectacle accueillant, coloré et bon enfant, qui ne trompe pas ses spectateurs souriants.

 

Natchav, conception et réalisation Les Ombres portées. Dès 8 ans.Théâtre d’ombres, musique.

Alors que se déploie la grande toile le long des mâts dressés vers le ciel au coeur de la cité, le cirque Natchav se voit soudain sommé par les autorités de décamper vers un terrain périphérique. L’un des acrobates se retrouve emprisonné pour outrage et rébellion…

Comment accepter de « faire son cirque » sur la Rocade Nord alors que les circassiens étaient prévus de jouer Place de la Mairie ? La police regarde d’un mauvais oeil ces drôles d’artistes.

Qu’à cela ne tienne, les manipulateurs de ce théâtre d’ombres talentueux et bien-nommé Les Ombres portées sont la métaphore même de l’habileté et de la souplesse des acrobates, entre trapèzes balancés et escalades d’échelles haut placées dans les hauteurs célestes. Une gestuelle et une esthétique en mouvement que l’on retrouve à l’intérieur même de la prison, quand, pour s’enfuir, on circule dans des couloirs et des coursives – silences lourds et tours de clés sonores.

Une histoire mêlant deux univers que tout oppose, le cirque et la prison, que la compagnie créée à Paris en 2009, entreprend de raconter ici en ombres et en musique pour mieux parler de liberté, spectacle créé en décembre 2019, juste avant la pandémie, à la Maison de la Culture de Nevers.

« Natchav » signifie « s’enfuir, s’en aller » en rromani. En jouant avec les codes du cirque et du cinéma dans une scénographie dynamique faite d’images créées en direct, le spectacle des Ombres Portées parle d’un nomadisme porteur de merveilleux, hélas aujourd’hui tragiquement mis à mal par un monde qui contrôle, qui compte, qui soumet. La technique admirable de la compagnie subjugue le spectateur à travers la fabrication magnifique d’un univers fictif aux formes éloquentes.

Un spectacle à la précision d’horloger – jeu d’échelles, images de foules et d’un public de cirque, solos vertigineux des artistes, découpe urbaine des immeubles, grandes envolées dans les rêves.

Les spectateurs se laissent bercer par le ravissement de cette étude précautionneuse – sons, bruitages et musiques en direct, suspens, attente de l’impossible : le gardien de prison est moqué.

 

Pinocchio, mise en scène et scénographie de Matteo Spiazzi, interprétation Miha Bezeljac par le Maribor Puppet Theatre. Dès 10 ans. Théâtre d’objets.

La métaphore des aventures de Pinocchio se résumerait ainsi : rien de tel que d’apprendre de ses propres erreurs. Installé depuis le début des années 1970 en Slovaquie dans la ville dont il porte le nom, le Théâtre de Marionnettes de Maribor construit un répertoire pour un public de tous les âges, sur la base d’un savant dosage entre marionnettes traditionnelles et nouvelles technologies.

Superbe mise en abîme de la marionnette, cette adaptation de Pinocchio mêlant figurines en cours de fabrication et marionnettes de collection commence par « Il était une fois un morceau de bois »…, comme l’histoire originale écrite en 1881 par Carlo Collodi.

Outils de menuiserie – maillet, ciseau à bois, rabot -, les copeaux sont au rendez-vous du plateau dans la mise en scène et la scénographie de Matteo Spiazzi où Miha Bezeljac interprète le menuisier italien Geppetto, plein de vie, vêtu d’une redingote et d’un gilet XIX è siècle, arrimé à son établi, et jouant, grâce à ses instruments de travail, d’éléments d’un beau bois brut et rustre.

Le manche du maillet tient lieu de nez significatif tandis que le corps est un cube de bois. Et, comme on le sait, Pinocchio est têtu : l’école ne lui dit rien qui vaille, apprendre à lire et écrire lui déplaît. Attiré par les forces du Mal – facilité, paresse, évitement du labeur -, il se laisse entraîner par les dorures du cabaret : claquettes, chansons glamour et danses sous la lumière et la musique. Le chapeau de l’interprète fait danser avec bonheur les visages rieurs des choristes.

Pinocchio n’est plus qu’un âne, la métamorphose surgit d’abord de ses oreilles développées. L’enfant prend conscience de ses erreurs, regrette et demande à redevenir un humain. C’est fait.

Un vrai plaisir d’invention souriante dans le jeu d’acteur, l’échange des voix, le théâtre d’objets.

Ce spectacle avait pour prologue une petite forme marionnettique   Souterrains, d’après Le Souterrain de cristal de Giambattista Basile par Teresa Ondruskova. Une proposition de théâtre d’ombres et d’objets – jeux de lampe et de lumière, mains ouvertes ou fermées et doigts évoquent les personnages, les méchants ogres, les deux soeurs jalouses de la soeur pure, cette jeune fille elle-même, tel est ainsi le fils du roi… Une proposition d’une délicatesse rare et fort expressive. 

 

 

Gerda’s room, mise en scène de Yana Tumina et interprétation de Alisa Oleinik et Evgenii Filmonov. Par le Osobnyak Theatre. Dès 10 ans. Théâtre de papier, objets, magie.

Un « conte d’horreur lyrique inspiré de textes de Rilke et d’Andersen », précise le sous-titre. Une adaptation marionnettique de La Reine des Neiges.

Dans l’histoire originale, Gerda part à la recherche de son ami Kai pour le sauver des griffes glacées de la cruelle souveraine. En réalité, ce périple par monts et par vaux n’a peut-être lieu que dans son imaginaire et dans l’espace clos de sa chambre.

En partant de l’hypothèse qu’une pièce peut devenir au fil du temps le témoin de toute une vie, de la même façon qu’un corps, le Théâtre Osobnyak fait de ce conte une métaphore du voyage intérieur. Spécialiste des créations issues d’un questionnement existentiel, la compagnie vient pour la première fois de Moscou en France.

Le public se retrouve immergé dans un monde d’objets. Ici Gerda est seule. Elle ne voit pas le temps passer. Alors elle joue avec sa mémoire. Et les spectateurs peuvent aussi tout imaginer.

L’atmosphère conduit le public dans une maisonnette russe en bois, avec ses lambris intérieurs éloquents –  confort modeste et chaud avec ses petits cadres de photos familiales, les souvenirs d’une grand-mère quand elle était petite fille, la mémoire-même et active de Gerda, enfant. 

Les personnages des photos s’expriment ; la femme âgée revit le moment où ses parents ont offert une luge à son frère, à présent disparu. Elle revit le Noël où elle recevait ses souliers rouges.

A cette époque, subsistait une terreur enfantine – que la Reine des Neiges ne vienne les enlever.

Rêve ou non, le frère disparaît un beau jour : sa soeur fera tout pour le retrouver; l’objet du spectacle au cours duquel le quotidien prend des allures de fantastique dérangeant : petites trappes fabriquées à même les murs, bruits de chaînes métalliques qui traversent l’habitat, corbeaux et oiseaux viennent énoncer leur oracle et les roses rouges et parlantes poussent à vue.

Un univers de conte poétique et de petits détails qui démasquent un quotidien rude et qu’il faut bien transcender par le songe et l’imaginaire : la jeune fille galopera même sur un rêne – cavalcade de marionnettes minuscules en perspective qui montent les chemins enneigés et montagneux.

Un spectacle inventif, attentif à la beauté de la nature – faune et fleur -, et des sentiments. La comédienne Alisa Oleinik explore toutes les cachettes du plateau et de la maison, tandis que son acolyte technicien, non visible, hors de la masure, manipule les objets de l’installation onirique.

 

Hamlet Manipulé(e), mise en scène, scénographie et interprétation par Jean Sclavis, comédienne Claire Harrison-Bullett.   Marionnettes Emilie Valantin avec l’atelier de la Compagnie Emilie Valantin. Dès 15 ans. Marionnettes portées, gaine.

Le mystérieux personnage qu’est Hamlet, hanté par le spectre de son père, roi du Danemark qui l’encourage à venger sa mort, alimente la polémique depuis des siècles. Le rôle-titre est confié par la compagnie Emilie Valentin à une femme, Claire Harrison-Bullett.

La thèse selon laquelle Hamlet serait en réalité une femme permet d’apporter un passionnant nouvel éclairage à ce grand classique. Autrefois, le Théâtre du Fust, créé en 1975 à Montélimar, la compagnie ardéchoise  rebaptisée du nom de sa fondatrice confie l’interprétation du spectre à son co-directeur artistique et porteur du projet, Jean Sclavis – le manipulateur principal des neuf marionnettes au sens propre… mais aussi d’Hamlet, au sens figuré.

Des marionnettes à taille humaine, un(e) Hamlet décidée plus que mélancolique, déterminée dans ses choix et qui passe de la langue française à la langue anglaise – un charme envoûtant, quand elle explore son âme. Une figure convaincante à dimension shakespearienne, qui s’amuse et se moque de tous ses interlocuteurs, un peu figés dans leur réalité de marionnettes, in-sincères et hypocrites, si ce n’est la douce Ophélie, comme l’ami de toujours, le vaillant et fidèle Laertes.

Quant à l’interprète-manipulateur et metteur en scène Jean Sclavis, il ne quitte jamais le plateau, droit derrière ses marionnettes, les déplaçant, les exposant ou bien les recouvrant d’un voile noir. Sa diction claire et grave sied à l’ampleur d’un drame sensible à connotation universelle.

Un spectacle fort qui restitue l’univers de Hamlet – jeux de pouvoirs et interrogation existentielle.

Imprint, Imagine absence par la compagnie Jan Jedenak. Dès 15 ans. Masques, marionnettes de taille humaine, bunraku.

Acteur, marionnettiste et metteur en scène vivant aujourd’hui à Stuttgart tout en collaborant avec de nombreux artistes à travers le monde, Jan Jedenak a fondé son collectif de théâtre en 2008 pour questionner notre relation au monde, de façon picturale et ludique.

Nouvelle performance en forme de miroir tendu aux spectateurs,Imprint permet d’évoquer l’indescriptible et l’inimaginable puisque trois comédiens imaginent et projettent sur le plateau de scène leur propre disparition à l’aide d’une marionnette, de masques et d’objets divers.

En faisant l’hypothèse d’un monde qui n’est pas seulement visible, cette fascinante création de Jan Jadenak dialogue avec l’inconscient en s’inspirant de l’esthétique de la photo post mortem d’autrefois, connue sous le nom de photographie funéraire. On imagine facilement ce que cette pratique très courante au XIX è siècle peut avoir de troublant.

Une atmosphère ironique de fin d’humanité –  fin de vie ou fin d’un monde – à la Beckett, avec des personnages-interprètes qui portent un masque funéraire ou bien le retirent. Ces figures jouent avec l’existence, entre interprètes vivants et marionnette à échelle humaine : il est peu de différence apparente entre la vie et la mort, le mouvement et son arrêt, le bruit et le silence.

Un spectacle rigoureux à l’extrême, qui joue du blanc et du noir, d’un coeur qui bat et qui s’arrête, si près et si loin de l’existence à la fois, mystérieux et énigmatique comme un jour qui passe.

 

Moby Dick 150, conception Blanche Lorentz, écriture et interprétation, Blanche Lorentz et Yrjan Charpentier, par la Compagnie Granit Suspension. Dès 8 ans. Ombres, muppets.

« Tout le monde est au courant de rien » B. Montjoie – artiste à la S Grand Atelier – Centre d’art brut & contemporain à Vielsam (Belgique). Cette phrase écrite par un artiste en marge est le point de départ du spectacle. Cette phrase dit qu’il y a quelque chose d’insoupçonnable, peut-être de tout près : il y a une mouche. Elle s’appelle Moby Dick comme l’énorme cachalot furieux qui fracasse les bateaux de pêche à la baleine en plein océan. Elle s’appelle Moby Dick parce que personne ne la voit. Elle se tient sur le pull bleu marine d’un être humain B. Invisible sur la scène.

Entre réel et fiction, le spectacle tente d’émettre un éclat de fracture imminente. Un questionnement sur la part sauvage qui habite au fond de nous. Poésie, brutalité, marionnette, théâtre et défi se mêlent ici pour effleurer la surface de ce qu’on ne sait pas dire, ce qu’on tient enfermé à l’intérieur de soi seul. 

Ecran de papier et jeux de lampe et de lumière, cachalot peint sur un lai de papier qui se déroule, bocal de verre et petites mouches enfermées à l’intérieur, projet d’invasion du Palais de Matignon.

La proposition manque de corps, réduite à un amusement enfantin dont on attendait bien plus.

 

 

Le Garçon à la valise, texte de Mike Kenny, traduction de Séverine Magois, mise en scène Christophe Sauvion, comédiens marionnettistes, Thomas Cordeiro et Aude Rivoisy, scénographie, marionnettes, costumes, Einat Landais par la compagnie Grizzli. Dès 8 ans. Figurines, muppets, ombres, pop-up.

Veillant toujours à offrir aux jeunes spectateurs des créations interrogeant avec sensibilité et poésie les problématiques actuelles, convaincu de la capacité du spectacle vivant à ouvrir les consciences d’un large public, Christophe Sauvion a trouvé dans le texte de Mike Kenny l’écriture et le regard qu’il recherchait pour explorer dignement la question des migrants dont la réalité des parcours inspire les situations et les personnages du texte.

Le metteur en scène, dirigeant depuis 2011 la compagnie Grizzli implantée à la Roche-sur-Yon, fait de ce récit initiatique du parcours de deux enfants traversant les frontières et fuyant les violences vers un eldorado illusoire, une proposition artistique sensible et poétique, où des formes marionnettiques variées associées au jeu d’acteur racontent le récit fictif de Nafi, le garçon à la valise.

Comme dans Sindbad le marin, le héros-personnage et narrateur accomplit les sept voyages emblématiques. Et le comédien Thomas Cordeiro est attachant, il accorde au héros de ce conte initiatique l’engouement et la passion que le public attend. Nafi raconte le voyage obligé que ses parents ont imaginé pour lui afin qu’il se rende à Londres pour rejoindre son frère aîné déjà parti. 

Désenchantement, difficultés du parcours, rencontre d’une amie – l’actrice Aude Rivoisy dans le rôle est parfaite – mais aussi rencontres malheureuses de tristes hommes-bandits, passeurs et manipulateurs qui forcent les jeunes gens à travailler pour un salaire de misère ou bien les volent.

Des têtes – masques inquiétants diaboliques – figurent ces personnages « opposants » et négatifs.

Un spectacle engagé contre les horreurs des temps, avec tact, bonhomie et sens de l’esthétique.

Un Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes décidément riche en créations pertinentes.

 

 

Véronique Hotte

 

 

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, Charleville-Mézières – Ardennes – Grand Est.

Du 17 au 26 septembre 2021. FMTM 25 rue du Petit bois – 08103 – Charleville-Mézières. Tél : 03 24 59 94 94. contact@festival-marionnette.comwww.festival-marionnette.com

 
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April 30, 2021 5:53 PM
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54 X 13 de Jean-Bernard Pouy, mise en scène de Guillaume Lecamus

54 X 13 de Jean-Bernard Pouy, mise en scène de Guillaume Lecamus | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Christine Friedel dans Théâtre du blog, 26 avril 2021

 

54 X 13 de Jean-Bernard Pouy, mise en scène de Guillaume Lecamus Une histoire de braquet, comme chacun sait... et donc de rapport qu’utilise un coureur cycliste sur terrain plat. Plateau: 54 et pignon: 13 : il parcourt un peu moins de neuf mètres à chaque tour de pédale. Simple calcul. Mais celui qui s’extrait du peloton, qui s’échappe, ne calcule plus. Dans la douleur de plus en plus mordante, dopé à l’exaltation et aveuglé par l’effort, il avance, il devance,  désobéit aux consignes de course mais presque sur le fil, sur la ligne d’arrivée se fait manger par celui qui devait gagner l’étape. Tous ceux qui ont suivi le Tour de France ou toute autre grande course populaire, le savent : ces héros de l’échappée sont sacrifiés, mais quelle épopée ! Jean-Bernard Pouy connaît bien cette gloire fatale. Il rejoint Antoine Blondin (Le Tour de France), Roger Vailland (325.000 francs), Paul Fournel (Les Athlètes dans leur tête) dans un  hommage littéraire aux éternels martyrs de la petite reine.

 

Le défi : en faire un spectacle de théâtre d’objets ou marionnettes. Deux petites tables, l’une, côté jardin : celle du metteur en scène pour son acteur, manipulateur des sons, images et lumière. L’autre, au centre, le support de la course  avec une figurine immobile de coureur cycliste en plein élan. Avec lui, le manipulant ou non, Samuel Beck qui  lui donne vie et mouvement, souffle et puissance.  Il le fait avec l’engagement physique, l’endurance de ce sportif et insuffle au récit une  énergie constante. A un rythme parfait, haletant, il nous emmène dans la tragédie : on sait que la gloire du coureur échappé, si dure, si longue à gagner,  va tourner court : il va perdre,  sera deuxième, « le pire classement », autant dire rien. Mais nous l’aurons suivi dans son moment d’immortalité.

54 X 13 a déjà été joué en public mais le spectacle marque aussi l’inauguration des noces du sport et de la marionnette. Et Guillaume Lecamus prépare 2h 32 de  Gwendoline Soublin sur la marathonienne Zenash Gezmu, morte assassinée en 2017. Il était une fois une jeune femme de ménage venue d’Ethiopie et qui s’entraînait seule à ses moments de loisir, avant d’être repérée par un club. Elle avait trouvé dans son corps fin et délicat les ressources d’une puissance et d’une endurance exceptionnelles qui l’ont menée aux premières places. C’est le vrai thème de la pièce, qui va de l’épopée à la tragédie, puisqu’un féminicide a interrompu sa course.

 

Beau projet. Tous ne seront pas si graves, des Jeux Olympiques de Tokyo qui n’auront peut-être pas lieu, ou pas comme prévu, à ceux de Paris, en 2024. Glorieuse incertitude du sport, en pleine incertitude de la Culture… Et les spectacles resteront-ils longtemps virtuels ? En attendant, les artistes s’entraînent et  s’échauffent.

 

Christine Friedel

 

Une autre critique de ce spectacle par Véronique Hotte dans son blog Hottello

 

 

Spectacle vu au Mouffetard-Théâtre de la marionnette, rue Mouffetard , Paris (V ème). Reprise en mars 2022.

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March 11, 2021 4:26 PM
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Buffles de Pau Miro, mise en scène de Emilie Flacher

Buffles de Pau Miro, mise en scène de Emilie Flacher | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello 10 mars 2021

 

Créée en 1998, la compagnie Arnica – théâtre de marionnettes & écritures contemporaines – , dirigée par Emilie Flacher, metteuse en scène et constructrice de marionnettes, s’empare du réel pour raconter les histoires d’aujourd’hui. Son théâtre prend sa source dans la singularité des territoires et explore les voies du jeu de l’acteur et de la marionnette. Avec les auteurs vivants, la compagnie Arnica sonde le vécu, travaille la matière pour mettre en scène un regard sur le monde.

L’auteur catalan Pau Miro écrit entre 2008 et 2010 une trilogie animale, Buffles, Lions et Girafes, traduite par Clarice Plasteig aux éditions ESPACES 34. Ces pièces partagent une unité de lieu, la blanchisserie d’un quartier populaire espagnol à différentes époques. Les personnages ne sont pas semblables, ni l’histoire : reste la disparition de Max créant un manque avec lequel il faut vivre.

Buffles a été écrite plus précisément en pleine crise économique. Pau Miro est né juste après la mort de Franco, dans une société encore marquée par la dictature alors qu’aujourd’hui encore des pans de l’Histoire ne sont pas rigoureusement éclaircis ni nombre de disparitions élucidées.

Une famille de buffles tient une blanchisserie dans un quartier où des lions menaçants rôdent dans les impasses. Une nuit, Max, le plus jeune des fils, disparaît. Interrogations, silences, secrets et non-dits énigmatiques, les jeunes doivent grandir en transcendant la blessure de l’absence.

La pièce est sous-titrée « fable urbaine » dans laquelle des figures animales sont réinventées pour la scène. L’animal représente l’étrangeté, une autre présence au monde déstabilisante. Et les buffles sont des animaux solidaires, capables de collaboration pour faire face aux prédateurs.

Le public se trouve confronté à un choeur polyphonique de bêtes et de machines installées sur la scène, une fable contemporaine insolite et cocasse. La pièce chorale montre une fratrie « parlant d’un seul bloc et dans l’urgence, tel un long poème rock partagé entre plusieurs gueules, plusieurs corps, plusieurs souffles à l’intérieur du paysage sonore de la blanchisserie d’abord, et ses machines à tambour, et celui de la ville – passages de voitures, manifestations, radio… ».

Chaque buffle affirme son point de vue et consent, au-delà de son intérêt individuel, aux sacrifices nécessaires, pour l’équilibre collectif. En troupeau serré ou dispersé – moments de complicité et coups de cornes -, cinq frères et soeurs buffles racontent la disparition inexpliquée de leur frère. Pour une double réalité, réelle et symbolique, l’auteur explore un univers de temporalité fluctuante.

Il n‘est guère habituel de voir se déployer sur la scène non seulement un buffle mais cinq – soit un troupeau quelque peu envahissant et lourd dont chaque corps donne à voir sa carapace sombre et brune, articulée comme l’apparence d’un énorme hanneton, dotée d’une tête cornée majestueuse.

Aussi l’animal est-il d’emblée perçu comme une étrangeté ou une aberration – bel objet de cirque. 

Les premiers instants de surprise passés, le public adhère à cette communauté encombrante et disproportionnée sur une scène, réalité éloignée qui peu à peu revêt les caractères de l’humanité.

Des éléphants dans un magasin de porcelaine qui font pourtant tourner la boutique et s’expriment de manière éloquente, analysant leur situation, racontant leurs malheurs et leurs craintes amères : enfermement volontaire du père dans son atelier, disparition de la mère qui oublie son malheur en jouant, rencontres hasardeuses avec des lions qui les laissent étrangement en vie, émancipation progressive des enfants buffles qui iront chacun de leur côté en s’extrayant de la blanchisserie.

Un spectacle musical où le grotesque – énormité et encombrement des corps, déplacements ardus, voix off trop sonorisées – s’impose grâce au jeu délié de comédiens physiques – athlètes qui portent les masques et manipulent les corps animaux, se faisant tout petits à côté d’énormes carcasses imposantes qu’ils servent avec brio : ces interprètes-marionnettistes talentueux sont Guillaume Clausse, Claire-Marie Daveau, Agnès Oudot, Jean-Baptiste Saunier, Pierre Tallaron.

Les buffles sont des constructions de marionnettes belles en soi, qu’on a plaisir à regarder – des pièces d’exposition à admirer, des objets insolites, des spécimens de zoo étalés sur un plateau.

Véronique Hotte

Présentation professionnelle du 9 mars au Théâtre de Châtillon (Hauts-de-Seine) initialement dans le cadre du Festival Marto ! Tournée prévue en juillet 2021 au 11. Avignon; à La Maison de la Culture de Nevers, le 14 octobre 2021; au Mouffetard, Théâtre des arts de la marionnette Paris 05, du 7 au 23 janvier 2022; à Hectare à Vendôme (Loir-et-Cher), en mars 2022.

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