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Le spectateur de Belleville
August 30, 2024 6:49 PM
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Par Cristina Marino dans Le Monde - 29 août 2024 Le comédien, conteur et metteur en scène, tétraplégique à la suite d’une chute, revient sur la scène du Théâtre du Nord-Ouest, à Paris, pour narrer la mythique quête de la Toison d’or.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/08/29/avec-gerard-probst-la-passion-de-conter-au-dela-du-handicap_6298580_3246.html
Gérard Probst a toujours eu en lui la passion de raconter des histoires, et ce depuis l’époque où il a suivi le cours Simon (de 1965 à 1969) puis des stages auprès d’Ariane Mnouchkine, Jacques Lecoq (1921-1999), Catherine Dasté ou Carlo Boso. Quand une chute dans les escaliers l’a laissé tétraplégique, il s’est battu pour pouvoir remonter sur une scène et continuer à vivre sa passion en la partageant avec son auditoire. Dans le cadre de l’Olympiade culturelle et en parallèle avec la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques de Paris 2024, mercredi 28 août, Gérard Probst a enfin concrétisé son rêve de revenir sur les planches, avec la première d’une série de neuf représentations (jusqu’au 17 septembre) de sa nouvelle création La Quête de la Toison d’or dans la petite salle (accessible de plain-pied) du Théâtre du Nord-Ouest, à Paris. Quoi de mieux, en effet, que de se glisser dans la peau d’un héros de la mythologie grecque comme Jason, pour faire oublier, le temps d’un spectacle, la situation de handicap et embarquer le public dans le récit d’aventures extraordinaires à bord du navire Argo en compagnie des Argonautes, ses célèbres compagnons de route. Voix mélodieuse Un pari un peu fou que le comédien a relevé avec panache et un brin d’humour en déclarant, dès le début de la représentation, à propos de son fauteuil roulant : « Moi qui ai toujours rêvé d’arriver en voiture jusqu’à la scène, je suis comblé. » Pendant un peu plus d’une heure, seule compte la voix de Gérard Probst, restée intacte, mélodieuse et envoûtante, pour conter les exploits de Jason, l’homme avec une seule sandale, qui doit affronter une série d’épreuves afin de rapporter la Toison d’or au roi Pélias et récupérer ainsi le trône du royaume d’Iolcos dérobé à son père. Pour les mener à bien, il reçoit en particulier l’aide de la fille du roi de Colchide, Médée, tombée amoureuse du jeune Argonaute. Une femme au destin tragique marqué par une succession de meurtres, dont ceux de ses propres enfants. Mais ceci est une autre histoire que Gérard Probst pourra raconter lors d’un prochain spectacle. Cristina Marino / LE MONDE La Quête de la Toison d’or, par Gérard Probst. Théâtre du Nord-Ouest, 13, rue du Faubourg-Montmartre, Paris 9e. Les 29 et 30 août, puis les 1er, 2, 3, 4, 7 et 17 septembre à 18 h 30. Dans le cadre de l’Olympiade culturelle. Tarifs : 11 €, 13 € et 25 €. Légende image : Affiche du spectacle. THÉÂTRE DU NORD-OUEST
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Le spectateur de Belleville
July 18, 2024 11:43 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 16 juillet 2024 Avignon. Avec des actrices et acteurs non voyants, mal voyants et voyants espagnols, la metteure en scène péruvienne Chela De Ferrari met en scène «La Gaviota » (La Mouette) de Tchekhov. On voit la pièce emblématique de l’auteur russe comme on ne l’avait jamais vue, tendue entre le visible et l’invisible, revisitée. Un moment fort du Festival. La péruvienne Chela De Ferrari avait fait sensation en présentant à Paris, deux soirs seulement, son Hamlet interprété par des actrices et des acteurs atteints de trisomie 21, en particulier le rôle-titre joué par un acteur porteur du syndrome de Down. Tiago Rodrigues souhaitait faire venir ce spectacle au Festival d’Avignon mais la metteuse en scène était à Madrid en plein travail sur son nouveau spectacle La Gaviota (La Mouette) interprété par des actrices et des acteurs espagnols pour la plupart mal ou non voyants. C’est donc ce seul spectacle qui est présenté en création mondiale au Festival d’Avignon. Et c’est assurément l’une des grandes dates de ce festival voué à la langue espagnole. Ne connaissant pas le travail de Chela De Ferrari, on ne s’y est pas rendu sans une certaine appréhension. La Mouette jouée par des aveugles. On craignait un déversoir de bons sentiments, une sensiblerie exacerbée, une prime au handicap. Rien de tel. C’est un spectacle d’une rare intensité qui - hormis quelques séquences où Chela De Ferrari cède à la facilité spectaculaire - atteint la pièce de Tchekhov au cœur. La Mouette est sans doute la pièce la plus connue du russe mais rappelons-en toutefois les grandes lignes sans oublier les personnages dits secondaires qui pour Tchekhov et pour la metteuse en scène péruvienne ne le sont pas. Tout se passe à la campagne dans la maison de la grande actrice Arkadina (Lola Robles) venue de Moscou avec son compagnon l’écrivain Boris Trigorine (Agus Ruiz). Vivent là une partie de sa famille dont son vieux frère Sorine (Domingo López) et son jeune fils Constantin Treplev dit Kostia (Eduart Mediterrani). Ce dernier veut être écrivain, il déteste les ouvrages, à ses yeux faciles et putassiers, qu’écrit l’amant de sa mère. Kostia veut trouver des « formes nouvelles ». Le titre de la pièce de Tchekhov vient d’un oiseau tué par Kostia qui émeut fortement Nina et donne à Trigorine l’idée d’une petite nouvelle. Kostia a donc écrit une première pièce et, pour l’interpréter, il a fait appel à Nina (Belén González del Amo), jeune fille qui vit de l’autre côté du lac bordant la demeure, un lac qu’elle n’a jamais vu car aveugle de naissance. Kostia est amoureux d’elle, Nina, elle, rêve d’être actrice. La pièce de Kostia va être jouée là dans un théâtre de fortune dressé au bord du lac, c‘est ainsi que commence la pièce et le spectacle. Mais dans la mise en scène de Chela De Ferrari, tout a commencé par un magnifique préambule : le salon qui est installé sur la scène lorsque les spectateurs s’installent disparaît aussitôt, emporté par les acteurs et les techniciens. Le spectacle est, si je puis dire, vu par un aveugle. Tout va se passer sur le plateau nu, le regard commun entre le plateau et la salle bascule implicitement du côté des aveugles, et tout commence dans le regard des aveugles. Sous la plume de Tchekhov, Sémione demande à Macha pourquoi elle s’habille toujours en noir, « je suis en deuil de ma vie », répond-elle ce qui, au pays des aveugles, sonne étrangement. Et quelques répliques plus loin Chela De Ferrari ajoute ces deux répliques entre eux : « - Je ne suis pas complètement aveugle.- Moi non plus, et j’aime ce que je vois. » Tout le spectrale oscille entre les mots même de Tchekhov et ses prolongements induits par Chela De Ferrari. Laquelle a sans doute tort de trop actualiser la pièce (en parlant de TikTok and co, en remplaçant le carnet où Trigorine prend des notes par une camera, etc.) mais le plus souvent, ce double-jeu ouvre des vannes, suggère des pistes, retrousse astucieusement des répliques, ouvre les sens, comme on ouvre les yeux pour mieux voir en ne voyant rien. Une voix se souvient du lac, le décrit alors que ses yeux au mitan de sa vie ont perdu la faculté de voir quoi que ce soit. Un lac que Nina, qui vit à ses pieds, n’a jamais vu, « ma mère m’a appris à connaître les choses qu’on ne peut pas voir », dira-t-elle. Arkadina et Nina sont interprétées par des actrices aveugles. Trigorine, lui, est pleinement voyant et Constantin quasi voyant. Le carré d’as de ces binômes amoureux induit la dramaturgie du spectacle et renverse la vision de plusieurs scènes emblématiques. Arkadina, aveugle et actrice, se moque des « formes nouvelles » de son fils et va le manifester pendant la représentation, bientôt interrompue. La jeune Nina, aveugle et qui veut être actrice, est impressionnée par la prestance, la réputation et la voix de Trigorine. Elle ne va pas tarder à tomber amoureuse de lui - une aveugle aveuglée par l’amour - et l’écrivain vieillissant se laissera séduire par l’attrait de la jeunesse. La pièce de Tchekhov ne se résume évidemment pas à ce maigre synopsis. Comme dans toutes ses grandes pièces, il y a bien d’autres personnages comme Macha (Patty Bonnet), intendante de la maison et qui boit en cachette ; Paulina, l’épouse de l’intendant du domaine (Paloma de Mingo) ; Dorn, le médecin (Miguel Escabias), Semione, le maître d’école (Domingo López)... C’est l’ensemble des personnages qui façonne le charme de la pièce et Chela De Ferrari ne l’oublie pas. Elle y ajoute un musicien, Nacho Bilbao, constamment présent sur scène et utile pour les actrices et les acteurs dont l’ouïe est primordiale. Elle y ajoute aussi Alicia, une régisseuse (Macarena Sanz) toujours prompte à guider ceux qui ne voient pas et d’abord Nina. Il y a ceux qui voient et peuvent s’aveugler et ceux qui, sans voir, possèdent une vue perçante. Kostia, malvoyant, étant celui qui, à la fin, ne voyant plus aucun sens à sa vie, se prive de ce qui reste de sa vue (il ne veut pas, il ne veut plus voir ça) en se donnant la mort. Avant de créer cette version de La Gaviota avec le Centro dramatico nacional d’Espagne, Chela De Ferrari avait travaillé durant cinq mois avec la compagnie péruvienne siVERquenzas, composée de treize acteurs non voyants. Le travail avec cette troupe lui a permis de corriger et de parfaire les idées qu’elle avait en tête au début de son travail, raconte-t-elle, et, sans doute aussi, de confirmer la condensation du temps de la pièce à laquelle elle procède. La pièce nous revient, à la fois telle qu’en elle-même et tout autrement, comme vue de l’autre côté du miroir, dans un temps ramassé. Kostia le mal voyant, écrivain en herbe, a le béguin pour une jeune fille aveugle, laquelle aime un homme plus âgé aux propos suaves sans cependant pouvoir le voir. Bien qu’aveugle, Arkadina voit tout. Comme Macha qui, elle, souffre de voir ses rêves s’étioler. Et ainsi de suite. La cécité entraîne une sorte d’étrange fragilité des êtres doublée d’une étrange détermination. Entre le visible et l’invisible, la tension n’a de cesse. C’est d’une sensibilité on ne peut plus aiguë, d’un tact constant et d’une bouleversante finesse. Festival d’Avignon, L’autre Scène de Vedène, 11h , jusqu’au 21 juillet sf le 17 Jean-Pierre Thibaudat - Le Club de Mediapart Légende photo : Scène de Gaviota, Nina © Adrian Saba
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Le spectateur de Belleville
April 11, 2023 5:49 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 11 avril 2023 L’acteur, âgé de 24 ans, impressionne dans le rôle muet qu’il joue dans la pièce « Kliniken », de Lars Noren, mise en scène par Julie Duclos. Lire l'article sur le site du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/04/11/maxime-thebault-un-comedien-au-puissant-magnetisme_6169117_3246.html
Comment expliquer le charme qu’exerce un acteur ? Pourquoi impose-t-il sa présence au risque d’estomper celle de ses partenaires ? Est-ce à la précision de sa profération qu’il doit d’être remarqué plus que ses camarades ? A son physique, son expressivité, sa créativité ? Il y a mille raisons de s’attacher à un comédien ; de guetter ses apparitions quand, grâce à lui, quelque chose se passe, qui sort de l’ordinaire. Maxime Thébault a ce talent, sans doute même ce don. A peine surgit-il que la question ne se pose plus : il est à sa place au théâtre. Il est chez lui sur scène. Cette certitude est d’autant plus troublante qu’elle se fonde sur un silence. Celui de Marcus, héros de Kliniken, une pièce de l’auteur suédois Lars Noren (1944-2021) qui raconte le quotidien de patients enfermés dans un asile psychiatrique. A son aise dans la peau de Marcus, le comédien traverse la représentation sans faire le moindre bruit. Il erre d’une salle blanchâtre à un hall d’accueil blafard : le décor du spectacle est d’un tel réalisme que, s’il tourne le dos au public, Maxime Thébault oublie la fiction au point de se croire cerné par de vrais murs d’hôpital. Membre d’une communauté émouvante réunissant soignants et patients qui parlent, hurlent et parfois même donnent des coups, lui se tait. Il n’a pour exister que l’éloquence de son corps et le tourment de son visage. Mais ce visage est un paysage qui fascine et inquiète. Et ce corps une silhouette obsédante qu’on ne quitte pas des yeux. Créée à Rennes en 2021, cette mise en scène saisissante de Julie Duclos est reprise actuellement au Théâtre des Gémeaux, à Sceaux (Hauts-de-Seine). Formé à l’école du Théâtre national de Bretagne (TNB) de 2018 à 2021, Maxime Thébault, 24 ans, a joué neuf spectacles à ce jour, presque tous accomplis dans le cadre de son cursus. Ancien élève de la promotion 10, il a expérimenté une méthode novatrice élaborée par les directeurs pédagogiques, Arthur Nauzyciel (patron du TNB) et le comédien Laurent Poitrenaux. Le saut dans le vide a démarré dès le concours d’entrée. Il a fallu remplir un dossier, activer l’imaginaire et se livrer à l’introspection. « J’ai eu la sensation que, pour la première fois, on me posait de vraies questions sur qui j’étais. Il était possible de se donner à voir au-delà d’une rédaction sur un bout de papier. » La perche était belle, il s’en est emparé, étoffant ses réponses d’enjeux qui excédaient le cadre officiel : « Je voulais lire un poème de Paul Verlaine. Je savais que, si je le faisais, alors j’enclencherais une sorte de nouveau départ de ma vie. » Apprentissage intensif La vie nouvelle a démarré. L’ancien étudiant en lycée horticole a troqué son BTS de commerce pour une carrière de saltimbanque. Jusqu’en 2018, il ignorait pourtant tout du théâtre. « Je ne lisais que des bandes dessinées, et mes parents mettaient plus d’argent dans le sport que dans la culture. » On ne le dira jamais assez : l’éducation artistique en milieu scolaire est capable de changer le cours d’un destin. La preuve : c’est en participant à un atelier mené par un artiste de Saint-Brieuc, Hubert Lenoir, et en jouant sous sa direction dans Fanny et Marius, d’après Pagnol, que le lycéen a découvert l’ivresse des planches. « Près de trois cents personnes nous scrutaient. La pression était énorme. J’en aurais presque vomi de peur. Mais mes amis m’ont incité à aller plus loin. » Campé à l’écoute de son imaginaire, il s’en remet à son corps pour écrire dans l’espace ce qu’il est en dedans. Le geste est son alphabet, les mouvements sont sa grammaire A Rennes, il s’est plongé dans les affres d’un apprentissage intensif. Il a lu Marivaux, Claudel, Racine. Travaillé les textes d’arrache-pied, apprivoisé la prosodie classique, fait l’expérience du collectif. Il a beaucoup écouté et beaucoup regardé. Parmi ses formateurs, les metteurs en scène Jean-François Auguste et Madeleine Louarn, qui le dirigent en 2020 dans Opérette, du Polonais Witold Gombrowicz. Le spectacle associe élèves du TNB et comédiens en situation de handicap mental de l’atelier Catalyse. Une hybridation fructueuse qui floute les frontières entre vérité de l’être et artifice de l’interprète. La grâce, la fragilité, l’instabilité de Marcus sont-elles nées dans les plis d’Opérette ? L’acteur a su saisir de quoi construire son personnage : « On ne sait jamais comment, ni même si les comédiens de Catalyse vont dire leur texte. Cela met forcément dans un endroit de tension et d’improvisation. Face à eux, pas le choix, il faut être présent à chaque seconde. » Etre présent suppose d’être disponible à ce qui peut arriver chez l’autre mais également en soi, là où l’inconscient n’a aucun besoin de l’articulation sujet-verbe-complément pour se faire comprendre. Raison pour laquelle Maxime Thébault ne ressent pas de frustration lorsqu’il est privé de texte sur le plateau. Répétant le rôle de Marcus, il s’est prêté à l’exercice conçu par Julie Duclos. Il a inventé de toutes pièces une existence à son héros. L’a nourrie à sa sauce, avec de l’amour, des ruptures, des bonheurs, des traumatismes, une famille, des amis, une enfance. Mais il a gardé pour lui ce monologue intérieur. Ce récit sans parole lui sert de colonne vertébrale. Campé à l’écoute de son imaginaire, il s’en remet à son corps pour écrire dans l’espace ce qu’il est en dedans. Le geste est son alphabet, les mouvements sont sa grammaire. Ce processus de construction lui va comme un gant : « Le travail corporel brûle en moi à un endroit plus intime que le théâtre. » Il ne veut s’enfermer dans aucune discipline. Il a l’âge des possibles et des commencements. Hier dirigé par Pascal Rambert (Dreamers), Mohamed El Khatib (Mes parents), Phia Ménard (Fiction Friction), il ignore de quoi demain sera fait. Pour l’heure, il est Marcus, ce « moi imaginaire » qui, en faisant silence dans l’obscurité du théâtre, lui permet, dans la vie, de s’exprimer à haute voix. Kliniken, mise en scène de Julie Duclos. Les Gémeaux, Sceaux (Hauts-de-Seine). Du 12 au 15 avril. De 18 € à 28 €. Les 11 et 12 mai à la Comédie, Reims (Marne). De 6 € à 23 €. Joëlle Gayot Légende photo : Maxime Thébault, à Rennes, en juin 2021. LOUISE QUIGNON
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Le spectateur de Belleville
November 21, 2022 2:05 PM
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Par Armelle Héliot dans son blog - 17 nov. 2022 Dirigée par un metteur en scène de Glasgow, Andy Arnold, patron du Tron Theatre, la merveilleuse comédienne et âme de l’IVT, International Visual Theatre, met ses pas dans ceux d’Arletty face à un Baptiste incarné par Ramesh Meyyappan. On pense aux Enfants du Paradis, mais c’est plus compliqué, La Performance ! C’est tout le cinéma du réalisme poétique français des années 30-45 qui a inspiré Andy Arnold, artiste d’Ecosse qui dirige à Glasgow le Tron Theatre, lieu très connu, souvent du côté de l’avant-garde. C’est là qu’a été créé le spectacle que l’on peut découvrir actuellement à l’IVT, aujourd’hui devenu un centre de ressources sur la langue des signes française (LSF) et dirigé par Emmanuelle Laborit et Jennifer Lesage-David. Dans un décor de coulisses de théâtre, avec, en fond, une toile peinte d’évocation urbaine en noir et blanc, et, devant les deux tables de maquillage des personnages, on suit, en une heure vite envolée, les faits et gestes des deux interprètes, Emmanuelle Laborit et Ramesh Meyyapan, comédien sourd, originaire de Singapour, et très connu partout à travers le monde, en particulier avec un solo qu’il a composé, Off Kilter. Ils sont accompagnés d’un pianiste spirituel, Ross Whyte, qui participe à l’action et apporte son esprit souriant, son énergie à la représentation. Pas ou quasiment pas de langue des signes dans la représentation. On est du côté des mimodrames. Cela fait d’autant plus penser aux Enfants du Paradis. On les voit s’échauffer, revêtir leurs costumes de scène, jouer. Se chamailler. Se réconcilier. On ne s’étendra pas plus sur les trouvailles joyeuses de ce moment délicat et heureux. Ramesh Meyyappan est très expressif, il impose sa présence virile et sa délicatesse. Elle, Emmanuelle Laborit, on l’admire depuis tant d’années, que l’on sait que l’on va être ravi par sa force, son engagement, son esprit insolent, espiègle. Et sa gravité. Elle est toujours aussi belle et dans son costume rouge, cette robe signée Victoria Brown (qui a imaginé tous les costumes), elle est encore plus séduisante. Les lumières de Benny Goodman, la scénographie de Jenny Booth, la composition du pianiste Ross Whyte, tout enchante. C’est doux, tendre, mélancolique, souvent très drôle, parfois heurté car le personnage d’Emmanuelle Laborit adore se mettre en colère, et cela lui va bien, c’est à découvrir pour le plaisir ! Et les enfants, dès l’âge de dix ans, sont les bienvenus. Armelle Héliot « La Performance » .Jusqu’au 20 novembre. International Visual Theatre, 7, Cité Chaptal, 75009 Paris. www.itv.fr Contact : contact@ivt.fr Tél : 01 53 16 18 18. Légende photo : Le charme, la grâce. PHOTO DE Mihaela Bodlovic
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Le spectateur de Belleville
May 5, 2022 6:17 AM
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Par Pierre Gelin - Monastier dans Profession Spectacle, le 5 mai 2022 VIDÉO – Depuis plus de 40 ans, la représentation du handicap dans le théâtre français a connu de grandes évolutions. Allons-nous vers une « normalisation » du handicap au théâtre ? Si oui, à quel prix ? Réflexions autour des enjeux artistiques, esthétiques, politiques, économiques et sociaux de l’inclusion. Depuis plus de 40 ans, la représentation du handicap dans le théâtre français a connu de grandes évolutions. Entre la promulgation de la loi « d’orientation en faveur des personnes handicapées » en 1975 jusqu’à la présentation de deux spectacles, par les compagnies inclusives L’Oiseau-Mouche et Catalyse, l’an dernier au festival d’Avignon, plusieurs étapes importantes ont été franchies, ainsi que le montrent les travaux de Marie Astier. Dans les années 1970, 1980 et 1990, on assiste à la création de plusieurs structures majeures : outre L’Oiseau Mouche à Roubaix et Catalyse à Morlaix, déjà citées, on peut également penser à l’International Visual Theatre à Paris, au Théâtre du Cristal dans le Val-d’Oise, au Théâtre Eurydice dans les Yvelines ou encore – pour s’ouvrir à l’international – aux « barboni » de Pippo Delbono, près de Naples, et la compagnie australienne Back to Back. On peut encore évoquer des spectacles de Bob Wilson, Peter Brook, Jérôme Bel, Madeleine Louarn, Mickaël Phelippeau, Romeo Castellucci, Emmanuelle Laborit, etc. En somme, la reconnaissance artistique et esthétique des spectacles interprétés par des comédiens et comédiennes en situation de handicap pourrait sembler être acquise. En apparence du moins… car, si le théâtre peut être, de l’avis de tous, un lieu inclusif, il peine encore à conquérir sa pleine et totale légitimité. Certains y voient une tendance au voyeurisme, telle une présentation de « monstres » héritée des siècles passés, quand d’autres la ramènent à une pratique sociale proche de l’art thérapie. Comment penser l’inclusion aujourd’hui ? Quels sont les éventuels combats artistiques et politiques encore à mener ? En quoi le handicap percute-t-il le regard des artistes, des professionnels et du public ? Nous pouvons encore citer les enjeux esthétiques, économiques et sociaux qu’amènent ces réalités dans le champ théâtral. La question, au fond, pourrait être la suivante : allons-nous vers une normalisation du handicap au théâtre ? Si oui, à quel prix ? INVITÉS – Olivier Couder, comédien et metteur en scène, fondateur du Théâtre du Cristal en 1989 – Aurore Boby, coordinatrice du Centre de Ressources Culture et Handicap de L’Évasion, ESAT artistique et culturel situé en Alsace – Richard Leteurtre, comédien, metteur en scène et directeur du Théâtre Eurydice Voir la vidéo du débat (55 mn) POINTS ABORDÉS DURANT LA TABLE RONDE – Spécificité du handicap dans l’acte de création artistique. – Évolution récentes perçues. – Théâtre comme lieu inclusif : enjeux de l’inclusion. – Réception : spectateurs, critiques, professionnels. – Objectifs artistiques et politiques à court et moyen termes. – … Table ronde modérée par Pierre GELIN-MONASTIER
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Le spectateur de Belleville
April 21, 2021 1:30 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde le 21 avril 2021 Légende photo : Françoise (gauche) et Alice Davazoglou, dans « De Françoise à Alice », aux Quinconces-L’Espal, scène nationale du Mans (Sarthe), en octobre 2020. © PHILIPPE SAVOIR La jeune artiste et pédagogue évoque sa trisomie à travers plusieurs projets : un ouvrage, des ateliers et un spectacle étonnant, avec sa mère Françoise.
Sur la couverture du livre, on peut lire ce titre : Je suis Alice Davazoglou. Sur l’autre face : Je suis trisomique normale mais ordinaire. Selon l’humeur, on peut choisir d’entrer par un côté ou l’autre de l’ouvrage. Les deux font miroiter des portraits d’Alice, de ses amis Didier, Frédéric et Léa, de sa compagne Agathe Lacorne et de sa mère Françoise, écrits et illustrés par des dessins peints très colorés, aussi épurés qu’aiguisés dans le trait. Aux manettes de cet objet littéraire et plastique, à savourer par tous les bouts, édité par L’échangeur-CDCN : Alice Davazoglou, 36 ans, porteuse de trisomie 21, danseuse et pédagogue. Elle se présente sur le fil de vingt et un mots ou idées comme « bonheur, colère, fêtes, gentillesse… ». Ses réponses, sortes de courts textes, proches de poèmes parfois, tissent le profil rayonnant d’une jeune femme décidée, fière, autonome qui « danse, lit, va au cinéma, est amoureuse ». Elle a d’abord écrit seule, puis relu ce que sa mère Françoise Davazoglou a finalisé sur ordinateur. Quant aux dessins à l’encre de chine et à la peinture, elle les réalise à partir de photos. Alice Davazoglou, danseuse : « J’ai eu envie que [les gens] apprennent et comprennent qui nous sommes, que nous avons des talents même si nous avons besoin d’aide pour certaines choses » L’ouvrage, elle l’a imaginé parce qu’elle s’est rendu compte que « des gens ne supportent pas notre différence, dit-elle dans l’introduction. J’ai eu envie qu’ils apprennent et comprennent qui nous sommes, que nous avons des talents même si nous avons besoin d’aide pour certaines choses. » Elle ajoute, lors d’une rencontre, le 12 mars, à Paris : « C’est très important que les gens sachent qui nous sommes, nous les personnes avec handicap intellectuel, pour qu’ils ne se moquent pas de nous. On a le droit d’être parmi vous. Nous sommes là et on reste. On est tous différents les uns des autres, avec un handicap ou la trisomie ou sans handicap. » Avec Agathe Lacorne, elles ont fait danser la foule, samedi 10 avril, lors de la manifestation organisée par la coordination des intermittents, Ramène ta chaise, à Laon (Aisne). Il y a six ans, Alice Davazoglou travaillait dans une entreprise de transports. Elle rêvait de « faire un livre, devenir danseuse et chorégraphe ». Elle démissionne et entreprend de décrocher son tiercé gagnant. Vice-présidente de l’association ART 21 (Association regard trisomie 21), créée en 2013 à Laon où elle vit, elle y propose des ateliers de danse pour des personnes porteuses de handicaps et des personnes dites valides. Celle qui a pris des cours au conservatoire de Laon dès l’âge de 12 ans, tout en assistant à des spectacles de danse contemporaine, ouvre sans cesse son champ d’exploration. Elle est aujourd’hui boursière pour la recherche du Centre national de la danse, à Pantin. « La danse, c’est très important pour moi, et aussi danser tous ensemble, précise-t-elle. Le dessin, c’est pour exprimer plein de bonnes idées, mais c’est le talent que j’ai en moi et j’aime ça. C’est aussi le talent d’écrire parce que j’aime écrire. Tout ça, c’est ma vie et c’est la mienne. » Un cocon de vide et de douceur Participer à l’un de ses cours, piloté par l’Atelier de Paris/CDCN, avec douze travailleurs en situation de handicap psychique d’un ESAT (établissement et service d’aide par le travail), à Paris, c’est se jeter à l’eau dans des improvisations qui vous tourneboulent. Le 12 mars, elle a ainsi demandé d’interpréter « une danse mal élevée » à partir d’une chaise. Et en avant la voltige, en avant, en arrière, jambes en l’air, à quatre pattes sous la chaise, et puis quoi encore ? D’ailleurs, c’est quoi au fond « une danse mal élevée » ? On se retrouve à s’arracher les cheveux sur ce sujet complexe et joliment inconfortable. Parallèlement à ces interventions, Alice Davazoglou joue dans le spectacle De Françoise à Alice, mis en scène par Mickaël Phelippeau. Elle a rencontré le chorégraphe à L’échangeur-CDCN, à Château-Thierry (Aisne), qu’elle fréquente assidûment et qui soutient ses projets. « Je connais Alice et Françoise depuis plus de vingt ans, explique Christophe Marquis, directeur de L’échangeur-CDCN. Elles venaient voir des pièces et participer à des ateliers avec les artistes invités. Et aujourd’hui, Alice revient chez nous en pédagogue et danseuse. Un jour de répétition avec Mickaël, elle m’a montré ses dessins et entretiens avec ses amis. Elle avait envie d’en faire un livre. Nous avons tout fait pour le réaliser. » Mickaël Phelippeau, chorégraphe : « Il faut s’adapter au rythme d’Alice qui ne peut pas enchaîner des répétitions de 10 heures à 18 heures comme on le fait d’habitude » Créé à huis clos le 28 janvier, à l’Espace 1789, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), dans le cadre du festival Faits d’hiver, De Françoise à Alice laisse advenir la personnalité secrète des deux femmes dans un cocon de vide et de douceur, régulièrement explosé par du rock. « On a commencé à travailler tous les trois en 2019, raconte le chorégraphe. On a pris du temps pour écrire et réaliser ce duo. Ce temps est un luxe mais indispensable pour avancer ensemble. Il faut s’adapter au rythme d’Alice qui ne peut pas enchaîner des répétitions de 10 heures à 18 heures comme on le fait d’habitude, mais a besoin de périodes plus courtes et plus distendues. Ce rapport à un autre temps est très important. Il m’a permis d’aborder la complexité et la constellation des liens qu’elles entretiennent, des divergences qui créent leur complémentarité, tant humainement que dans leur relation à la danse. » En tenue de sport, les deux femmes s’échauffent. Leurs mots simples et nets prennent un poids et une éloquence sans ostentation. Un laisser-vivre plein de délicatesse serti dans une partition néanmoins très écrite. Françoise Davazoglou y évoque en quelques phrases la naissance d’Alice et son « petit look asiatique ». « Il s’agit avec ce spectacle d’enlever cette couche d’ombre absolue qui enveloppe les personnes porteuses de trisomie, précise Françoise Davazoglou. On y parle avec Alice de filiation, d’émancipation bien au-delà du handicap. Par ailleurs, je tiens à dire que c’est un parcours en tant que mère qui peut être très joyeux. » Pleinement évident et beau lorsqu’on les voit et les entend sur scène comme dans la vie. Voir la vidéo : De Françoise à Alice (étape de travail) - teaser (1mn15) « Je suis Alice Davazoglou », d’Alice Davazoglou. L’échangeur-CDCN, 80 p., 10 €. « De Françoise à Alice », de Mickaël Phelippeau. Le 22 mai, June Events, Atelier de Paris/CDCN. Le 5 octobre, avec exposition des dessins du livre, festival C’est comme ça !, du 18 septembre au 9 octobre, L’échangeur-CDCN, Château-Thierry (Aisne). Rosita Boisseau
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Le spectateur de Belleville
March 14, 2021 12:23 PM
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Par Marie Sorbier dans AOC -11 mars 2021 Les projets contrariés naissent parfois des épiphanies. Le 16 janvier dernier, après un an de rêves avortés et d’incertitudes, Boris Charmatz présentait enfin sa Ronde dans un Grand Palais vide, totalement offert aux caméras et au ciel. Du lever du soleil rose flamboyant aux flocons de neige qui voilèrent quelques instants la verrière, l’espace tout entier semblait coïncider pour faire de ce moment unique un événement bien au-delà du cercle des aficionados de danse contemporaine. La représentation n’a lieu qu’une seule fois ; une boucle de vingt et un duos pour un peu plus de trois heures de spectacle répétés quatre fois, soit douze heures ininterrompues de l’aube à la nuit. publicité Peu importe alors la démesure des premières idées abandonnées, peu importe les compromis, les difficultés de répétitions, le chorégraphe parvient à créer un spectacle-monde, une chaîne contagieuse où les corps, humbles, se frayent un passage dans l’immensité de la nef. Un documentaire, « Boris Charmatz face au Grand Palais », sera diffusé en parallèle du spectacle pour raconter cet accouchement à rebondissement, mais en se voulant très didactique, il déflore un peu vite l’essence de ce qui advient au final. L’œuvre se suffit et ne nécessite pas d’exégèse tant elle sait s’exprimer avec force, humour et émotion par elle-même. Là se niche le coup de maître du chorégraphe, parvenir avec une forme exigeante à magnifier tous les corps en scène par la diversité des expressions et leurs confrontations à un environnement hors norme. Ce vaisseau déserté que le regard ne peut appréhender pleinement ressemble étrangement, en ce jour glacial de janvier, à cette chape invisible qui nous retient reclus depuis un an. On se sent dépassé, incapable d’en mesurer l’ampleur. L’ouverture, très intimiste, donne le ton : herses est l’un des premiers spectacles de Charmatz, qu’il danse ici avec Johanna Elisa Lemke, un des plus intimes et crus aussi. Deux corps nus qui luttent autant qu’ils s’étreignent, l’un servant toujours de sol à l’autre. On s’écrase, on prend le dessus et on se retrouve à plat, sur ce béton gelé. À l’autre bout de la boucle, le boléro 2 de la chorégraphe Odile Duboc et de sa complice Françoise Michel résonne comme une réponse, ce dernier duo, tout en douceur se laisse envelopper par la musique de Ravel sans être submergé. Boris Charmatz et Emmanuelle Huynh, debout, imposant leur rythme non pas contre mais par-delà la puissance entrainante du Boléro, les âmes ont repris possession de leurs peaux. On notera la dentelle de ce montage chorégraphique, chaque transition étant pensée pour surprendre et faire sens, l’une arrivant en courant, l’autre dévalant l’escalier, Salia Sanou en chantant et Djino Alolo Sabin, pieds nus, la tête enrubannée dans un jean. Les gestes précis qui s’amplifient dessinent des reliefs géométriques qui entrent en écho avec l’architecture de l’écrin, béton et Art nouveau, le frisson se propage. Le spectateur le comprend vite, il ne s’agira pas d’occuper l’espace mais d’imposer délicatement des corps à corps, des rencontres, des ruptures, des dialogues entre les arts, entre les danses, d’humains à humains. L’érection du Grand Palais en 1900 correspond à la publication du roman sulfureux La Ronde d’Arthur Schnitzler, qui servira de fil dramaturgique. Le principe de ces duos emboîtés, l’un reste et l’autre s’en va, établit un pacte avec le spectateur, à la fois rassuré par le systématisme et avide de connaître le prochain artiste à entrer dans la danse. Car Boris Charmatz a réuni une distribution à faire pâlir d’envie n’importe quel grand festival au monde : danses contemporaine, classique, urbaine, théâtre, chant, musique s’entrechoquent, entre reprises de morceaux du répertoire et créations. Ainsi, le danseur et chanteur François Chaignaud en arlequin à pointes partage la lumière avec le trompettiste Médéric Collignon, les danseurs de l’Opéra de Paris croisent les acteurs en situation de handicap de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche et Marlène Saldana et Johan Leysen prennent la parole pour interpréter un extrait du roman de Schnitzler où le désir contamine les esprits. Et puis un frémissement, elle arrive majestueuse et austère, son aura la précède et la poursuivra tant elle a donné à la danse contemporaine des paysages à explorer. Anne Teresa de Keersmaeker, chorégraphe flamande associée dans les mémoires à la musique de Steve Reich comme à celle de Bach, les premières notes de piano pour le légendaire Fase, le violon qui s’emballe pour cette relecture de Partita 2 et nous voilà happés par la rigueur de cette grammaire chorégraphique qui hypnotise autant qu’elle offre matière à gloser. Les gestes précis qui s’amplifient dessinent des reliefs géométriques qui entrent en écho avec l’architecture de l’écrin, béton et Art nouveau, le frisson se propage. Comme le soulignait très justement Florian Gaité dans son essai Tout à danser s’épuise, paru récemment, la danse est essentiellement l’écriture d’une perte : « Elle ouvre un espace où l’on fait ce que l’on veut de sa fatigue, donnant sa perte en spectacle pour mieux susciter le désir d’une autre économie corporelle. À chacun alors d’entrer dans la ronde et d’accepter l’idée : tout corps qui tend à vivre doit aussi consentir à perdre. » C’est un cadeau pour les temps contemporains, une invitation à entrer dans le cercle pour nous tous, reclus mais pas repentis, LaRonde comme manifeste d’une révolution possible. La captation du spectacle réduite à moins de deux heures permet de revivre au plus près des interprètes cette folie organique, sans perdre à l’image le gigantisme de l’environnement dans lequel ils se battent. C’est une lutte, un passage de témoin, une abolition de la distanciation sociale qui contamine avec douceur nos yeux et permet de croire, le temps d’une danse, aux prochains jours heureux. La Ronde, de Boris Charmatz, filmée par Julien Condemine, le 12 mars à 20h50 sur France 5. Ndlr : Boris Charmatz a participé à une rencontre en live organisée par AOC et le Festival d’Automne (coproducteur de La Ronde) le vendredi 5 mars 2021. « Faire connaissance : pour une hybridation des arts et des sciences sociales », moment de discussion et d’échange entre artistes et chercheurs et chercheuses, est à (re)voir en ligne.
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Le spectateur de Belleville
December 11, 2019 7:25 PM
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En écrivant et en mettant en scène « Des territoires (...et tout sera pardonné?) », Baptiste Amann et ses acteurs clôturent superbement une trilogie tissant et frottant l’histoire d’une fratrie à trois moments-clefs de notre histoire, cette fois la guerre d’Algérie nommée Révolution algérienne, à travers l’une de ses figures, Djamila Bouhired. A la fin, c’est toujours la fiction qui gagne.
Les hommes préhistoriques qui n’étaient pas les derniers des derniers savaient qu’en frottant deux morceaux de bois l’un contre l’autre, il se produit un réchauffement. Et en frottant deux silex, une flopée d’étincelles. Le feu était au bout du chemin, ils y puisèrent confort et consolation. Baptiste Amann qui a en lui, bien ancré, le feu sacré du théâtre, procède ainsi. Par frottement. C’est ce qui rythme et structure sa trilogie Des territoires dont il signe et met en scène le troisième et dernier volet : Des territoires (...Et tout sera pardonné ?). De Condorcet à l’Algérie
C’est l’histoire d’une fratrie. Mais on est loin, très loin de ces sagas, le plus souvent romanesques, racontant l’histoire d’une famille sur trois générations ou plus. La famille est là dans les trois épisodes, dans un temps restreint, elle ne vieillit presque pas. Mais il lui arrive bien des aventures.
Dans le premier volet, Des territoires (Nous sifflerons La Marseillaise), les enfants (adultes) sont tous là : les trois frères, Samuel, Benjamin (souffrant d’un handicap) et Hafiz (adopté quand il était petit), et leur sœur aînée, Lyn. Leurs parents viennent de mourir ensemble. Il leur faut gérer cette disparition et le pavillon au pied d’une cité de banlieue que les parents avaient acheté en contractant un long crédit. Cependant, dans le jardin attenant, on a découvert des os qui auraient appartenu à Condorcet, guillotiné sous la Révolution sans que l’on sache où il a été enterré. C’est le frottement entre ces deux histoires, l’une familiale et l’autre ce pan d’histoire, qui est à la manœuvre dans ce premier volet réussi (lire ici).
Dans le second volet (que je n’ai pas vu), le pavillon est toujours là, la fratrie s’accroche à un autre pan de l’histoire de France : La Commune de Paris. Louise Michel entre en scène. Dans le troisième et dernier volet qui vient d’être créé, le pavillon est hors champ. Nombre de scènes se passent dans une chambre d’hôpital : Benjamin, la veille, a été mordu par un chien dans un quartier en émeute, il est entre la vie et la mort. Ses deux frères et sa sœur sont à son chevet. Un médecin va leur apprendre que Benjamin est désormais en état de mort cérébrale, qu’il n’y a plus rien à faire, sauf à donner son cœur en parfait état, pour sauver la vie d’un autre. Ils ont quelques heures pour faire le deuil et prendre la décision concernant le don du cœur.
Dans ce même hôpital, pour en améliorer sans doute les finances, des espaces ont été loués à un cinéaste, Yacine, qui réalise un film sur, dit-il, la révolution algérienne, autour d’une de ses héroïnes, Djamila Bouhired, figure de la révolution et icône des actuelles révoltes algériennes. Les deux histoires se croisent et se frottent dans une salle d’attente où l’actrice qui interprète Djamila (Nailia Harzoune) croise Hafiz, le frère naguère adopté né de parents algériens qu’il n’a pas connus. Deux êtres en colère. Mort et condamnation à mort
Le dernier élément sera le procès de Djamila réécrit, fictionné par le réalisateur du film (joué par l’acteur qui interprète Hafiz, Solal Bouloudnine). Le cinéaste s’en explique lors de la scène introductive du spectacle : dans un studio de radio, il répond aux questions souvent agressives de deux journalistes qui lui reprochent, par exemple, d’avoir gardé le nom de Djamila Bouhired : « Changer les noms, ce serait hypocrite. Le décalage, je le cherche dans le champ esthétique. Je fais un cinéma très théâtral, aux antipodes d’un cinéma réaliste. (…) En gros, je travaille sur la friction entre le mythe et la réalité. (...) Et mes outils pour ramasser les morceaux sont ceux de l’artiste, pas de l’historien », dit le réalisateur sous la plume de Baptiste Amann, son frère de lait pour ainsi dire qui, lui, en artiste, travaille aux antipodes d’un théâtre documentaire et articule les morceaux entre l’histoire intime de la fratrie et ce qu’il nomme la Révolution algérienne, coagulant ainsi le passé au présent : Djamila Bouhired qui a été condamnée à mort lors de son procès pour avoir posé des bombes et en avoir fait poser d’autres sera graciée à la faveur des accords d’Evian. Ces derniers mois, elle était à Alger aux côtés des manifestants. Voir ce spectacle aujourd’hui, en ces heures de parodie d’élection en Algérie, procure une étrange saveur.
Baptiste Amann aborde l’histoire en biais. Djamila n’est pas l’héroïne de son spectacle, contrairement au film que Youssef Chahine lui consacra, pas plus que Jacques Vergès (Alexandra Castellon) son avocat, pas plus que Moussa (Yohann Pisiou) l’ami de la famille, pas plus que Hafiz, Lyn (Lyn Thibaut) et Samuel (Samuel Réhault) au chevet de leur frère mort. Tous les acteurs interprètent au demeurant plusieurs rôles, Olivier Veillon en joue trois : le journaliste, l’infirmier qui vient donner les derniers soins et le président du tribunal.
La force du spectacle réside dans la multiplicité des entrelacements et des jeux d’échos que l’auteur et metteur en scène Baptiste Amann met en place. C’est finement agencé, avec tantôt des monologues (un peu longs peut-être mais Amann aime la profusion), tantôt des jeux virevoltants de scènes simultanées, tantôt des scènes plus classiques où l’on retrouve les acteurs des deux volets précédents, et ce point d’orgue comme en apesanteur que sont les très belles scènes où l’actrice interprétant Djamila vient dans une salle d’attente répéter son texte et rencontre Aziz, cet Algérien sans ascendance, venu prendre un café pour se calmer, début possible d’une autre histoire, d’amour celle-là.
D’un volet l’autre, en quelques années, l’écriture de Baptiste Amann s’est musclée, affinée. Tout comme le jeu de ses acteurs. Même si chaque spectacle a sa propre logique narrative et sa clôture, on rêverait de voir ces trois spectacles présentés, l’un après l’autre, dans un court laps de temps. L’histoire inventée d’une fratrie traversée accidentellement par trois moments clefs de notre histoire, trois troublants frottements qui chauffent le théâtre en le mettant sous haute tension.
Théâtre de la Bastille jusqu’au 13 déc à 20h30. Suite de la tournée : du 28 janv au 1er fév au TNBA de Bordeaux, le 12 mars à l’Empreinte scène nationale de Brive-Tulle, du 18 au 20 mars du Théâtre Sorano de Toulouse, du 31 mars au 3 avril au CDN de Dijon-Bourgogne. Comme les précédents volets, Des territoires (...et tout sera pardonné ?) est paru dans la collection Tapuscrit de Théâtre Ouvert, 134 p., 10€. Légende photo : Scène de "Des territoires (tout sera pardonné?)" © Dester
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February 3, 2019 6:05 AM
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Par Stéphane Capron dans Sceneweb 3 février 2019
Il était de tous les spectacles de Pippo Delbono depuis 1995, depuis sa rencontre avec le metteur en scène italien. Il s’appelait Vincenzo Cannavacciuolo. Il avait 82 ans. Pippo Delbono l’avait sorti de son asile. Il est décédé des suites d’une pneumopathie bronchique.
“L’acteur est un oiseau dont une aile touche la terre, tandis que l’autre se tient dans le ciel …” écrit sur son site internet le théâtre Ert-Emilia Romagnal qui rend hommage à Bobò. Il devait accueillir le mois prochain La Gioia, le nouveau spectacle de Pippo Delbono, dont le Théâtre de Liège est chargé de la diffusion. Bobò s’appelait Vincenzo Cannavacciuolo. Né à Villa di Briano, dans la province de Caserte, il a vécu plus de quarante ans à l’asile d’Aversa. Pippo Delbono décide de le sortir de cet enfer en 1995 lorsqu’il le rencontre lors d’un atelier théâtral. Bobò acteur microcéphale, sourd-muet, devient l’un des piliers de la troupe. Son corps maladroit, ses pas traînants, ses silences en disant longs sur ses blessures. A la fureur et la rage de Pippo Delbobo répondait la tendresse et la poésie de Bobò qui était devenu au fil des années un acteur reconnu. Il avait été nommé chevalier des arts en France et avait reçu le titre de citoyen d’honneur d’Aversa, la ville où il avait été emprisonné pendant des années dans un asile: une revanche. Dans La Gioia, Pippo Delbono dit: “Après Bobò, il y a toujours un vide.” Ses spectacles ne seront plus jamais les mêmes.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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October 5, 2018 6:41 PM
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Par Roxana Azimi dans Le Monde 05.10.2018 Avec sa compagnie, Shonen, le danseur imagine des spectacles où se mêlent danse, arts visuels et nouvelles technologies. « School of Moon », qui associe petits danseurs et robots, et « Sous influence », transe techno, sont invités à la Nuit blanche, à Paris.
Le miracle artistique s’opère souvent là où on ne l’attend pas. C’est le cas dans cette exposition de talents sponsorisés par la firme Audi, organisée jusqu’au 14 octobre à la Friche la Belle-de-Mai, à Marseille. C’est au chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing, artiste associé au Ballet national de Marseille, qu’on doit cette épiphanie. Baptisée L’Age d’or, sa performance où s’enroulent les corps de danseurs professionnels et ceux d’enfants atteints de sévères troubles moteurs a tiré larmes et sourires aux spectateurs les plus blasés. Convié à la Nuit blanche le 6 octobre, le créateur promet aux insomniaques d’autres émotions fortes avec deux spectacles, School of Moon, associant enfants et robots dans une ode à la lenteur, et Sous influence, raout techno où danseurs professionnels et fêtards anonymes sont invités à communier dans une même transe. « MAIS L’AFFIRMATION D’UNE VIRILITÉ, D’UNE TONICITÉ, D’UNE BRUTALITÉ AUSSI, NE ME CORRESPONDAIT PAS. J’AI MIS DU TEMPS À COMPRENDRE QU’UNE AUTRE FORME D’EXPRESSION, PLUS SENSIBLE, ÉTAIT POSSIBLE. » Voix douce et gestes précis, rien ne semble ébranler le calme de ce danseur et chorégraphe né en 1979 à Villepinte, en Seine-Saint-Denis. Rien, pas même l’évocation d’une enfance à la dure. Ses parents, d’origine vietnamienne, ne jurent que par l’intégration silencieuse et la discipline – piano et arts martiaux. Un corset dont le jeune Eric tente de se libérer en rejoignant des groupes de hip-hop à la cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Dans ces territoires qui sentent la baston, il faut être physique pour en imposer. Lui boxe plutôt dans la catégorie des poids légers. « Je cherchais des modèles qui n’étaient pas dans ma culture. Mais l’affirmation d’une virilité, d’une tonicité, d’une brutalité aussi, ne me correspondait pas, confie-t-il. J’ai mis du temps à comprendre qu’une autre forme d’expression, plus sensible, était possible. » Cette expression, il la trouve d’abord dans le dessin. Enfant, il s’appliquait déjà à recopier des mangas en se chronométrant. Adulte, il tâte du cinéma d’animation, notamment comme assistant sur le film américain Moi, moche et méchant, en 2010. Son goût pour la création numérique ne lui fait pas perdre de vue la question du corps. Il écumera ainsi les cours de danse, s’initiant au butō comme à la danse-contact. Depuis, Eric Minh Cuong Castaing s’est placé à l’intersection entre la danse et les arts visuels. « C’est le seul endroit où je me sens légitime, dit-il. A chaque fois que je suis dans un milieu, je fais un pas de côté. S’installer, c’est s’endormir. » Dans ses films comme sur scène, l’enfance reste sa grande affaire. Elle l’obsède au point qu’en 2007 il baptise sa compagnie Shonen, qui veut dire « adolescent » en vietnamien, et en fait le cœur de son second spectacle, Lil’Dragon, en 2013, sur le thème de la transmission. Rien de plus complexe que ces esprits et corps insoumis. « Faire danser les enfants,dit-il, c’est se plier au réel. » C’est accepter les émotions incontrôlées, les susceptibilités impossibles à endiguer, les crises de larmes qui soudain interrompent un spectacle comme ce fut le cas lors d’une représentation de School of Moon. « JE VOULAIS DES LIEUX OÙ L’ON QUESTIONNE LA BEAUTÉ, LA NORME, UN LIEU PROCHE DU POUVOIR. » Les adolescents mis en scène dans L’Age d’or sont encore plus imprévisibles. Apathiques ou dystoniques, leurs corps leur échappent. Lorsque, en mars 2016, le jeune chorégraphe se rend pour la première fois au centre pour enfants et adolescents handicapés moteurs de Saint-Thys, à Marseille, il se sent démuni. Mais très vite une « bulle empathique » s’instaure entre parents, thérapeutes, danseurs et la douzaine d’enfants volontaires. Dans cette « danse d’aura », aussi respectueuse que tendre, les danseurs professionnels viennent conforter ou amplifier le mouvement que dessinent ces petits êtres aux membres rebelles. Les corps de poupées de chiffon soudain s’éveillent. Les yeux brillent de fierté comme de plaisir, d’une joie sans filtre ni retenue. Yannis, 13 ans, dont les cuisses se sont raffermies au gré des entraînements, en redemande. Maël, 8 ans, roule en cascade avant de se lancer dans un solo incroyable. Eric Minh Cuong Castaing ne veut pas garder ces prouesses entre les quatre murs d’un établissement thérapeutique. Audi entre dans la ronde en finançant un film et deux expositions, au Palais de Tokyo, à Paris, puis à Marseille. Pour le chorégraphe, L’Age d’or doit être vu dans le champ de l’art et non du spectacle vivant, encore moins des festivals sur le handicap. « Je voulais des lieux où l’on questionne la beauté, la norme, un lieu proche du pouvoir », explique-t-il. Les écueils sont nombreux, à commencer par le risque de voyeurisme. En braquant le projecteur sur des êtres qu’on voit de loin mais dont on évite le regard, L’Age d’or échappe à toute obscénité et chahute toutes les grilles de lecture. Nous voilà face à une œuvre qui ne s’achète pas et à des performeurs qui ne se posent pas des questions de carrière ou de marché. L’enjeu est ailleurs, dans le sociétal, l’humain, le droit au bonheur. Eric Minh Cuong Castaing ne s’en cache pas, ses spectacles sont sur le fil du rasoir. Au confort d’une représentation à guichets fermés, l’artiste préfère la friction avec le réel. Son nouveau spectacle, Phoenix, où il mobilise drones, danseurs in situ et performeurs de Gaza connectés en temps réel grâce à Skype, peut se gripper à tout moment. Un sursaut dans le conflit israélo-palestinien ou une coupure de courant risquent d’anéantir son rêve d’ubiquité. Qu’importe ! Eric Minh Cuong Castaing aime les danses de résistance avec leur part d’aléa et leur risque d’échec. Ses spectacles posent d’ailleurs la question du monde tel qu’il va, notamment du rapport homme-machine. Les enfants de School of Moon esquissent ainsi des gestes lents et parfois troublants (comme la mise en joue avec un revolver factice) au diapason de robots anthropomorphes. Son prochain projet, pour lequel il a commencé à s’immerger dans les services de soins palliatifs, traitera de la fin de vie, d’une « société hygiéniste qui exclut les seniors ». Un nouveau moment de grâce et d’émotions en perspective. « Chroniques parallèles », exposition des lauréats Audi Talents 2017, Friche la Belle-de-Mai, jusqu’au 14 octobre. www.lafriche.org « School of Moon » et « Sous influence », Nuit blanche, lycée Elisa-Lemonnier, 20, avenue Armand-Rousseau, Paris 12e, le 6 octobre.www.paris.fr/nuitblanche « L’Age d’or », ASSITEJ Festival, Tokyo, Japon, janvier 2019, et Tanzhaus NRW Düsseldorf, Allemagne, mars 2019.
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July 12, 2018 6:36 PM
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Par Aurélie Charon envoyée spéciale à Avignon pour Libération — 12 juillet 2018 Invités au in d’Avignon, les comédiens handicapés mentaux du groupe Catalyse, avec qui Madeleine Louarn travaille depuis trente ans, s’emparent de Kafka. Fils conducteurs : l’émancipation et la métamorphose.
S’en tenir à être soi-même, quel ennui. Il faudrait permettre à chacun d’endosser un costume plus grand que soi. C’est là que le théâtre intervient. Pour Madeleine Louarn, il est d’abord l’art de la métamorphose : «Il nous apprend que nous sommes plusieurs.» Chacun est multiple, avoir un handicap n’est pas une raison d’y renoncer. Louarn met en scène avec Jean-François Auguste les acteurs handicapés mentaux de son atelier Catalyse, créé en 1984 dans l’Etablissement et service d’aide par le travail (Esat) de Morlaix. Après deux ans d’immersion dans l’œuvre de Kafka, ils présentent le Grand théâtre d’Oklahama, titre du dernier chapitre du roman inachevé l’Amérique.
Pouvoir infernal Ça commence par une offre d’emploi et une promesse : le théâtre d’Oklahama «emploie tout le monde et met chacun à sa place». Le décor est onirique, le théâtre supposé être un refuge. Le jeune Karl Rossmann y croit, mais chacun des cinq candidats se heurtera au pouvoir infernal d’un lieu qui domine et écrase les désirs des humains. Il faudra montrer ses papiers, Karl l’immigré se retrouvera agent technique, l’impresario devient liftier et la cantatrice, lingère. La question «comment trouver une issue ?» n’est pas résolue. C’est l’émancipation qui intéresse Madeleine Louarn, souci central de ces vies à handicaps : «Une vie soumise à une organisation qui n’est pas soi, en collectivité. Ça ressemble à ce qu’on a vécu enfant.»
Si Madeleine Louarn avait acquiescé à l’ordre des choses, elle serait restée à l’écart de l’art. Elle grandit à Lannilis, village de 5000 habitants du Nord Finistère, avec un père paysan «qui a dû quitter la ferme. Il a eu la tuberculose, comme Kafka». A 18 ans, la mort de son père l’oblige à trouver de l’argent et donc un travail : elle commence à être éducatrice. C’est aussi l’âge où d’autres vies entrent dans la sienne : «Je me suis aperçue que le monde était plus grand que mon village. J’ai compris qu’il y avait des vies différentes, des homosexuels…» Etre artiste restait inenvisageable : aucun exemple autour d’elle. Elle a mis du temps à considérer qu’elle avait pu le devenir, elle se l’est autorisé «vers 50 ans, après vingt-cinq ans de pratique».
Dans les années 90, Madeleine Louarn quitte l’éducation spécialisée pour se consacrer au théâtre. «Une des grandes secousses, c’est ma première fois à Paris, en 1980. J’ai vu Wielopole Wielopole de Kantor. Je me suis dit : on peut faire du théâtre autrement.» Elle se met à lire Picabia, les dadaïstes, et ne s’arrête plus de rêver à toutes les langues qu’elle va pouvoir donner à découvrir à ses acteurs de la troupe Catalyse. Dans le spectacle, ils sont impeccables d’exigence. On les a réunis pour évoquer les thèmes de la pièce. Selon eux, «ça parle des artistes». «C’est politique», dit Guillaume. Christian ajoute : «C’est un monde impitoyable.»
Pendant les répétitions, ils ont tenu un journal intime. Il a fallu expliquer le mot «abandon» à Jean-Claude, «qui lui-même est parmi les êtres les plus abandonnés», dit Jean-François Auguste. Lors de notre rencontre, on évoque la liberté : «C’est quoi "être libre" ?» Manon répond : «La liberté, c’est quand je suis seule.» Pas de tutelles, pas d’autorité quand elle est sur scène. Un collégien leur a demandé si on les regardait bizarrement dans la rue. «Oui, mais ce n’est pas notre faute», ont-ils répondu.
Ils ont retenu des phrases du spectacle. Pour Sylvain c’est : «On restera toujours ensemble.» Pour Guillaume : «Ce que je suis à présent m’apparaît clairement.» Après une longue hésitation, Christelle opte pour le monologue qu’elle a écrit : «Je remercie la vie de m’avoir sauvée quand je suis née prématurée.» Enfin Tristan retient la scène où il sort de sa cage : «Derrière la planche, commence la forêt.» Ce n’est que quelques jours avant la première que ça a été décidé : le souffleur est à vue. Jean-François Auguste joue le rôle, mégaphone à la main. Ce qui permet aux acteurs de chercher son regard, et au metteur en scène de sourire calmement : oui, oui, tout va bien. «C’est un placebo, ils savent que je peux les rattraper.»
Vivant sur scène Madeleine Louarn se défend de faire du «théâtre du réel». «Les textes sont très importants. Ce n’est pas parce qu’on ne sait pas lire qu’on ne peut pas dire les mots d’un autre. Le langage a un effet puissant sur les gens.» Sur scène ils deviennent d’autres, ce qui la différencie du travail de Jérôme Bel avec Disabled Theater en 2012 : il portait sur scène la singularité des acteurs handicapés de l’ensemble Theater Hora. Louarn explique : «C’est autre chose que Jérôme Bel ou Pippo Delbono, qui demandent aux personnes d’être ce qu’elles sont. Ils "utilisent" leur aura comme un élément théâtral. Jérôme Bel continuerait de penser qu’on fait du vieux théâtre, mais moi je suis pour ce vieux théâtre !»
L’art de la métamorphose agit. Guillaume «ne parle pas vraiment dans la vie», mais se sent vivant sur scène, joue un Karl Rossmann fantastique. Tous ont créé des personnages sur mesure. Madeleine Louarn avoue que dix ans plus tôt, elle n’aurait jamais imaginé monter Kafka. Trop compliqué. Chaque fois, des limites sont franchies. Chaque fois, un pas de plus : «On ne voit pas où ça peut s’arrêter.» Le théâtre est puissant, l’émancipation a eu lieu sous nos yeux.
Aurélie Charon envoyée spéciale à Avignon Le Grand Théâtre d’Oklahama d’après Franz Kafka m.s. Madeleine Louarn et Jean-François Auguste. Du 4 au 11 octobre au TNB à Rennes, du 31 janvier au 9 février à la MC93 de Bobigny.
Légende photo : «Le Grand Théâtre d’Oklahama», à l’Autre Scène. Photo Christophe Raynaud de Lage. Hans Lucas
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July 4, 2018 5:09 PM
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Par Odile Morain avec AFP @Culturebox le 12/10/2017 "Dévaste-moi" le chantsigne d'Emmanuelle Laborit Voir le reportage vidéo de France 3 Reportage : V. Mathieu / R. Beaune / L. Bortolazzo / G. Malfray Dans "Dévaste-moi", en avant-première à Clermont-Ferrand, la comédienne Emmanuelle Laborit, sourde de naissance, incarne avec grâce et sensualité un répertoire musical autour du corps féminin. Une ode à la beauté de la langue des signes. De Carmen à Donna Summer en passant par Gainsbourg tout est exploré en "chansigne", entre danse et langue des signes. Le spectacle sera donné en novembre à Paris.
Emmanuelle Laborit comédienne sourde, chante en langue des signes... Certains spectateurs y verront une danse, d'autres un langage. "Dévaste moi" est l'histoire d'une rencontre entre la comédienne, le metteur en scène Johanny Bert et le groupe de rock clermontois The Delano Orchestra. Avant de partir en tournée, le spectacle est donné jusqu'au 13 octobre à la comédie de Clermont.
Le chansigne d'Emmanuelle Laborit "Dévaste-moi" est un spectacle hybride entre concert et théâtre qui passe du récital d'art lyrique au concert pop-rock, en laissant une petite place au cabaret des années 30. Sur scène, Emmanuelle Laborit, première comédienne sourde distinguée par un Molière, en 1993 pour son rôle dans la pièce "Les enfants du silence", interprète en "chansigne" une vingtaine de chansons allant de "Carmen" de Bizet à "Back to Black" d'Amy Winehouse.
Oubliées les mélodies ancrées dans la mémoire collective de Serge Gainsbourg, Alain Bashung ou Donna Summer, c'est un autre rapport au chant que propose la comédienne aux entendants : avec ses mains adaptant les paroles en langue des signes, elle donne vie à l'infinie poésie des textes choisis. Danse avec les signes C'est aussi une danse avec les signes que la comédienne interprète sur scène. Pour "Dévaste-moi", elle fait appel à un chorégraphe qui l'aide à se décoller de la langue des signes pour les transformer en chorégraphie.
"C'est comme un voyage d'Emmanuelle dans différents corps, libéré, sensuel, dominé, malmené ou violenté", explique Johanny Bert, artiste associé à la Comédie de Clermont, qui a voulu créer le spectacle après avoir rencontré la comédienne, "pour l'énergie qu'elle dégageait". "Elle signe du bout des cheveux jusqu'au bout des doigts de pieds. Quand on la voit, il y a tout qui vibre en elle. Emmanuelle a un rapport au corps beaucoup plus libre et affirmé que celui des entendants", souligne le metteur en scène, connu pour son travail sur les marionnettes.
Hommage aux femmes Le spectacle, dont le titre est tiré d'une chanson de Brigitte Fontaine, évoque pêle-mêle l'avortement, la ménopause, les violences conjugales ou la masturbation, entre rire et émotion. Côté gestuelle, Emmanuelle Laborit s'est inspirée de chanteuses iconiques comme Maria Callas, Edith Piaf ou Madonna, à la recherche de l'interprétation la plus évocatrice.
"Ce n'est pas une traduction littérale de la chanson en langue des signes. Il y a souvent beaucoup de jeux de mots, de rimes, de messages cachés. On a essayé de comprendre le sens de la chanson et de prendre en compte l'implicite en allant à la loupe dans un texte, en le décortiquant. L'important n'est pas de tout comprendre mais de ressentir une émotion", raconte Emmanuelle Laborit.
Est ensuite venu le temps du dialogue avec les cinq musiciens du Delano Orchestra qui l'accompagnent de leurs vibrations. "Quand je chantais au début, ils regardaient tous leurs instruments et rataient la moitié des choses. J'ai ri ! Il a fallu qu'ils apprennent à jouer en me regardant", ajoute la comédienne Une passerelle entre sourds et entendants Si le spectacle ne se présente pas comme un projet pédagogique sur le handicap, il est une passerelle entre sourds et entendants, auxquels il s'adresse sans distinction avec un sous-titrage volontairement partiel.
"Sourde comme un pot", selon ses mots, la comédienne, dont l'autobiographie "Le Cri de la mouette" a été traduite en 14 langues, explique combien sa découverte de la langue des signes l'a ouverte au monde, alors que seuls 5 % des enfants sourds scolarisés en France y sont formés.
Teaser du spectacle https://youtu.be/Y-gmHJc7MaI "Beaucoup de sourds sont proches de l'illettrisme. Pourtant, c'est une véritable double richesse d'être bilingue. Chez moi, mon français et ma langue des signes se nourrissent l'un l'autre", fait valoir la directrice de l'International Visual Theatre (IVT), centre de la "culture sourde", où le spectacle est programmé tout le mois de novembre à Paris, avant la Comédie de l'Est à Colmar. Emmanuelle Laborit présente "Dévaste-moi" un spectacle en "chantsignes" à la Comédie de Clermont-Ferrand © Thierry Zoccolan / AFP
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Le spectateur de Belleville
June 12, 2018 10:32 AM
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Par Jean-Pierre Thibaudat pour son blog Balagan Ailés des aléas de leur vie, bravant leur handicap, les acteurs des Volontiers réunis et accompagnés par Claudie Douet et Frode Bjornstad ont présentés à la Fonderie du Mans « Déroulé d’amours abricotinées ». Une soirée vraiment unique.
Un bandonéon entre les mains, l’homme chaloupe tout en s’arrêtant ici et là sur l’un des plateaux de la Fonderie au Mans. A chaque station, il déploie l’instrument, puis le referme. Aucune note de musique mais un souffle, ou plutôt une respiration ample, généreuse, apaisante, contagieuse sort de l’instrument et apprivoise l’air de la Fonderie que nous respirons. C’est ainsi que commence Déroulé d’amours abricotinées par Les Volontiers donné un soir, un seul, mais quel soir à la Fonderie. Une maturation lente
Les acteurs ne sont pas des comédiens professionnels mais des êtres à part entière, ayant chacun sa personnalité (affirmée, exubérante, rentrée, empêchée). Excepté deux d’entre eux qui sont en familles d’accueil, tous résident dans des foyers d’hébergement, de vie et d’accueil médicalisé de la Sarthe.
L’atelier de théâtre et de recherches les Volontiers est né en 2013 à la Fonderie du Mans sous l’impulsion de Claudie Douet (qui fait également partie du collectif Encore Heureux qui a aussi ses habitudes à la Fonderie et y reviendra prochainement) et de Frode Bjornstad. Elle est danseuse, il est acteur. Tous deux vivent au Mans et ont participé à différents spectacles du Théâtre du Radeau dont le dernier, Soubresaut, achève ces jours prochains son périple à la tente où le Radeau aime répéter.
Contrairement à d’autres qui, comme eux, travaillent avec des personnes en situation de handicap psychique ou intellectuel, les Volontiers ne partent pas d’un texte existant et n’ont aucun metteur en scène désigné. Dès le départ, la volonté de Claudie et Frode était de faire venir régulièrement ces personnes à la Fonderie et, se nourrissant de tout ce que ce lieu inspire et des inspirations et aspirations des uns et des autres, d’avancer ensemble. Dès lors, très vite, mais dans une maturation lente étalée dans le temps, ce que l’on nomme handicap n’en est bientôt plus un, c’est une source d’invention, un atout, un champ d’exploration, un tremplin. Chansons, danses, poèmes, traversées de Déroulé d’amours abricotinées, tout émane d’eux. Nommons-les : Frédéric Blottière, Linda Buain, Fabien Cassé, Stéphane Juglet, Jérôme Lebled, Jocelyne Lediguerher, Laurent Lemaitre, Lindsay Papin, Stéphane Perlinski, Clément Villa et Pascal Vovard.
Le titre du spectacle vient d’un poème de l’un d’eux, Clément Villa, 35 ans. Il ne sait ni lire ni écrire, mais des poèmes naissent en lui qu’il dicte à Victoria Horton qui mène des ateliers d’écriture au sein du groupe les Volontiers. « D’où est-ce que je viens ? / Je suis dans le givre de ma personne / N’appartenant qu’à moi-même », écrit-il dans son poème « Les profondeurs de la nuit et des étoiles et de la lune ». C’est un autre poème, « L’amour et la passion des abricots », qui a inspiré le titre du spectacle, lequel tourne autour de l’amour : « Pour tout le mal que tu te donnes à faire pousser des abricotiers / Je voudrais me prendre ton tricot et te caresser / Et t’abricotiner / Sentir ton doux parfum / Abricoté finement bien. / Que je t’aime Abricotine ! » Clément invente des mots comme « myrtillante » (à propos de Chloé, une femme aimée) ou crée le verbe « armoiser » : « Le soleil et l’orage s’armoisent comme des reflets. »
« Le théâtre a changé ma vie »
Stéphane Juglet qui écrit volontiers, intervient dans le livre que Victoria Horton a consacré aux Volontiers : « Quand je joue, j’oublie que je pourrais tomber. J’y pense un peu aux répétitions, pas du tout pendant le spectacle. Une fois, je suis tombé pendant le spectacle et je me suis relevé tout seul. C’était la chaise qui était derrière. Un petit problème de rien du tout : j’aurais pu m’effondrer, j’y pense maintenant. Mais non ! » écrit-il. Sur le plateau, un instant, Stéphane a vacillé, Linda était là pour le soutenir. Je le retrouve après le spectacle à la cantine de la Fonderie assis au bout d’une des deux grandes tables. Il est épuisé, heureux. « Le théâtre a changé ma vie », me dit-il. Sa voix grave, son visage émacié, ses yeux interrogateurs et comme inquiets me font penser au visage habité de Laurent Terzieff.
Tous n’ont pas le pouvoir d’invention langagière de Clément Villa et de Stéphane Juglet. Certains ont du mal à trouver le chemin des mots. Qu’importe. Celui-ci brandit une roue solaire, celle-là une mini guitare verte. Le spectacle Déroulé d’amours abricotinées est une promenade où comme des oiseaux les mots et les corps, même entravés ou difficultueux, se posent sur des fils, des clochettes, des tentures, un canapé ou un portique. Et volent vers nous. Accompagnés par la guitare électrique live de Pierrick Lefranc.
Parfois, le spectacle semble avoir germé des échauffements que mène Claudie Douet quand les Volontiers se retrouvent le samedi. Cela se fait, se défait, se reforme, se déforme ailleurs, autrement. Un air de ritournelle les réunit, passe une bicyclette, surgit une robe de mariée, chacun à son tour mène une danse bordée d’enfance. Ils sont là devant nous et, sans faire le mariole, atteignent une rare densité de présence. Ils débordent, ils accostent. Quelque part entre le souvenir mythique du Regard du sourd de Bob Wilson (spectacle né d’une rencontre avec un jeune autiste) et le souvenir récent de Soubresaut du Radeau. Vêtus de noir, Claudie Douet et Frode Bjornstad, restés sur le côté, les accompagnent de leur douce présence. Et quand un silence se prolonge, ils ne font rien pour le contrarier, au contraire. Les Volontiers sont chez eux à la Fonderie, ailés des aléas de leur vie.
Les Volontiers par Victoria Horton, éditions Les Contrebandiers, 116 p., 15€.
Une vie nouvelle de Clément Villa, éditions de La Corderie, 76 p., 8€.
Soubresaut, à la tente, lieu de création de la compagnie le Radeau, rue de la Foresterie au Mans, les 13, 14 et 15 juin à 20h, le samedi 16 à 17h suivi d’un bal.
Restitution de travaux d’atelier du collectif Encore heureux le 5 juillet à partir de 15h et le 6 juillet à partir de 11h à la Fonderie du Mans, entrée libre. Scène de "Déroulé d'amours abricotinées" © Pablo Melocco
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Le spectateur de Belleville
July 26, 2024 12:40 PM
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par Elodie Auffray, Correspondante en Bretagne,pour Libération - 25 juillet 2024 A Morlaix, la compagnie Catalyse emploie des comédiens en situation de handicap mental. «Libé» est allé suivre les répétitions d’un spectacle qu’elle monte avec les élèves du Théâtre national de Bretagne. C’est comme un chœur antique, bizarre et envoûtant. Répartis en pupitres, les quinze comédiens narrent, commentent, bruitent, scandent ou susurrent au micro l’histoire de Dédale, depuis les origines de sa lignée, issue d’un étrange homme-serpent, jusqu’à sa condamnation à l’exil après le meurtre de son neveu. «Bravo ! Ce qui était super, c’était l’énergie, la fluidité, l’écoute entre vous», salue la metteuse en scène Madeleine Louarn à la fin de la séance de travail, ce vendredi matin. La toute dernière d’une résidence de deux semaines pour monter, en version pièce sonore, le premier acte de Daedalus, la vie de quelqu’un, réinvention contemporaine du mythe grec signée Frédéric Vossier, mise en musique par Olivier Mellano. Sur la scène du Sew, à Morlaix, se mêlent des élèves du Théâtre national de Bretagne (TNB) et les acteurs, en situation de handicap mental, de la troupe Catalyse. L’une des rares en France, pionnière en son genre, qui a déjà joué trois fois au Festival d’Avignon, a monté Kafka, Shakespeare ou encore Tchekhov, collabore avec de grands noms et a entamé, depuis cinq ans, un compagnonnage avec l’école du TNB. C’est Guillaume Drouadaine qui interprète un Dédale froid et inquiétant, face à un neveu tout en candeur, joué lui par Sylvain Robic. Il y a aussi Manon Carpentier, qui déclame avec force certains des morceaux les plus homériques, avec son collègue Tristan Cantin. Barbe blanche au milieu de trois jeunes femmes, Jean-Claude Pouliquen capte l’attention par sa présence, silencieuse et comme habitée par les sonorités. Parfois, d’un murmure ou d’un geste discret, sa voisine de pupitre vient lui signifier que c’est son tour, qu’il faut se joindre au chœur ou dire sa réplique. «Dédale est un être à part», clame, soudain irradiant, l’acteur sexagénaire, figure de Catalyse. Une reconnaissance nouvelle «Il connaît bien son texte, mais parfois il faut lui rappeler que c’est le moment», explique Fanny Laborie, l’élève du TNB chargée d’être sa souffleuse. La jeune femme a adoré travailler avec les acteurs de Catalyse : «Nous, on peut vite rentrer dans quelque chose de psychologique, eux sont traversés par ce qu’ils disent. Ils sont entiers, on est obligés d’être à la hauteur. Plus que dans une représentation bien lisse, il y a toujours des petites étincelles, il faut être à l’écoute et parfois improviser. On est plus dans l’instant présent, on fait plus parler les tripes.» Un regard qui fait écho à la reconnaissance, assez nouvelle, dont bénéficient les artistes handicapés. Cette évolution, Catalyse en a été le témoin, née dans les années 80. Alors éducatrice spécialisée au sein de l’Etablissement et services d’aide par le travail (Esat) des Genêts d’or, à Morlaix, Madeleine Louarn y crée un atelier de théâtre amateur, qui se professionnalise en 1994. A l’époque, «c’était perçu comme un geste social et non artistique. La société n’était pas prête, la personne handicapée était vue par ses manques plus que par ses apports», dépeint Thierry Seguin, autre historique de Catalyse. Depuis cinq ans, «il y a une prise de conscience que cette vulnérabilité apporte quelque chose», goûte Madeleine Louarn. Pour elle, «ce sont des acteurs faits pour la poésie. Certains estiment qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils disent. C’est faux ! Ils comprennent, mais pas forcément ce que toi tu comprends. Ça crée un vrai truc», théorise la metteuse en scène autodidacte, inspirée par le surréalisme. Elle passe néanmoins beaucoup de temps à leur «expliquer les mots. Ce n’est pas que de la poésie sonore». «Ils ont un jeu d’une puissance invraisemblable, sans idées préconçues. Le texte, dit par eux, prend une autre dimension», admire aussi Thierry Seguin. Des dispositifs de soutien inadaptés «Ce que les autres nous disent souvent, c’est que notre façon de jouer les aide beaucoup dans leur travail, parce qu’on a une façon d’être vrais, libres. On apporte une autre façon de jouer, où tout n’est pas à construire, où on peut se laisser aller», raconte, à la pause Emilio Le Tareau, dernier recruté par Catalyse, âgé de 21 ans. «On ne ressent pas les choses de la même façon. Pour nous, le corps est très important», souligne de son côté Manon Carpentier, qui vit le théâtre «comme une décharge électrique». Bien sûr, des adaptations sont nécessaires. «Il faut un peu plus de temps, refaire plus souvent pour être sûr que ce soit bien», indique Madeleine Louarn, qui y voit aussi «une grande qualité» parce que, «quand ça s’imprègne, il y a une épaisseur». Deux éducateurs accompagnent les acteurs. Leur rôle est «essentiel», décrit Thierry Seguin : «Ils font un travail discret, pour que les acteurs arrivent à l’heure, intègrent les règles… Ils veillent à la compréhension des consignes, aident à l’apprentissage des textes, organisent des entraînements, des visites d’expos…» Pour développer les bonnes expériences telles que celles de Catalyse, le ministère de la Culture a créé en 2021 le Centre national pour la création adaptée, confié aux fondateurs de la troupe morlaisienne. Les premières années ont permis de recenser «beaucoup de projets talentueux», mais aussi «une grande précarité» et un «manque de reconnaissance quasi constant», dépeint Seguin, devenu son directeur. Parmi les obstacles relevés : la méconnaissance de la profession, l’accès compliqué aux écoles d’art ou encore des dispositifs de soutien inadaptés, qui «ne prennent pas en compte le temps et l’accompagnement nécessaires». L’enjeu, selon lui, est aussi de sortir les artistes handicapés du champ médico-social, pour les intégrer dans le milieu ordinaire. «La régie, l’accueil, les musées… Il faut que tout le monde s’y mette», considère-t-il. Bientôt, il ira rencontrer les écoles de théâtre, avec un exemple à montrer : dans sa nouvelle promo, le TNB intègre deux acteurs handicapés. Elodie Auffray / Libération Légende photo : La troupe Catalyse a déjà joué trois fois au Festival d’Avignon, et a monté Kafka, Shakespeare ou encore Tchekhov. (Vincent Gouriou/Libération)
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Le spectateur de Belleville
May 1, 2023 10:42 AM
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Article de Pauline Allione paru dans Konbini - 27/04/2028 Dans ses performances, l’artiste articule ses réflexions sur la représentation des "corps handicapés" et de la sexualité, ainsi que les luttes féministe, queer et antivalidiste. “Peut-être faut-il imaginer Quasimodo heureux ?”, suggère No Anger en introduction de sa performance chorégraphique qui porte le nom du célèbre personnage bossu. Dans ses œuvres, la chercheuse et danseuse qui a doucement glissé vers l’artivisme propose de nouvelles esthétiques du “corps handicapé”, selon ses termes. Sélectionnée pour le prix Utopi·e 2023, qui célèbre la création LGBTQIA+, l’artiste lie l’intime au politique et articule les luttes féministe, queer et antivalidiste dont elle est investie dans des performances poignantes et nécessaires. Portrait. “Quitte à ce que mon corps soit exposé, il me fallait une façon de l’exposer qui me soit plus confortable.” Docteure en sciences politiques et chercheuse à l’ENS de Lyon, No Anger est presque devenue artiste “sans le faire exprès”. “Je me destinais au métier de la recherche parce que, pendant très longtemps, je pensais qu’une profession intellectuelle – où le corps n’est pas au premier plan – conviendrait mieux, du fait de mon handicap.” Mais lors de ses premières conférences en tant que chercheuse, elle se sent embarrassée par son corps, en situation de handicap physique, notamment en comparaison à ses collègues valides qui mettent aisément en jeu leur corps, leur voix. “Quitte à ce que mon corps soit exposé, il me fallait une façon de l’exposer qui me soit plus confortable. Ne pas l’engager qu’à moitié, mais l’engager autrement.” Elle commence à danser et à nourrir ses réflexions de mouvements (et inversement) lors de performances. “J’ai mis très longtemps à me sentir légitime à me dire artiste, parce que, déjà, je n’ai pas fait d’école d’art. Et ensuite, mon corps ne ressemble pas aux corps des artistes et, même si, depuis l’enfance, j’écrivais et je dansais, j’avais du mal à me projeter dans ce mot d’artiste et dans cet imaginaire-là.” Comédienne, danseuse et performeuse, elle performe en 2015 dans le film My Body My Rules (2017) d’Émilie Jouvet, puis joue pour la première fois Quasimodo aux miroirs, l’une de ses œuvres les plus emblématiques, au MACVAL, en 2018. “Par cette cérémonie, je célébrais le fait de ne plus haïr mon corps, d’avoir appris à ne plus le trouver monstrueux.” Danseuse, mais également essayiste sur son blog À mon geste défendant, No Anger aborde dans son œuvre les questions de sexualisation des corps, de représentations des corps en situation de handicap, de rapports de domination, de lesbianisme ou encore d’émancipation des récits normatifs et hégémoniques. Sur scène, la performeuse traduit ses luttes et réflexions politiques, souvent tirées de sa propre expérience, notamment de son corps, qui se trouve au cœur de son œuvre et de son artivisme. En 2019, pour marquer symboliquement son amour pour son enveloppe corporelle, No Anger se marie à elle-même et se fait tatouer une alliance autour de l’orteil. “Par cette cérémonie, je célébrais le fait de ne plus haïr mon corps, d’avoir appris à ne plus le trouver monstrueux, d’avoir appris à lui rendre justice. Je formulais aussi l’engagement de toujours traiter mon corps avec tendresse.” “Je pouvais inventer ma propre sexualité, elle pouvait ne pas être figée dans des schémas hétérocentrés et validocentrés.” C’est quelques années plus tôt que l’idée de réinventer son corps devient centrale pour No Anger. Elle fait alors une rencontre déterminante, une amie avec qui elle fait son virage queer et qui lui fait découvrir Monique Wittig et Mutantes de Virginie Despentes. “Ces deux œuvres m’ont non seulement confortée sur l’idée de réinvention du corps, mais m’ont aussi permis d’élargir la question de la réinvention à la sexualité. Je pouvais inventer ma propre sexualité, elle pouvait ne pas être figée dans des schémas hétérocentrés et validocentrés”, nous confie-t-elle. Afin de faire passer ses messages sur scène, No Anger mobilise le langage et l’imaginaire dominants, et a souvent recours à l’humour. “Dans une séquence de Quasimodo aux miroirs, je parodie la scène du film Huit femmes où Fanny Ardant enlève ses gants… sauf que moi c’est avec mes chaussettes. Ça marque une sorte de rupture entre cette image hégémonique du corps féminin valide et celle de mon propre corps.” En perpétuelle exploration de son corps, No Anger vivait au départ l’écriture comme un costume de scène et une armure protectrice vis-à-vis des regards extérieurs. Puis, peu à peu, l’imbrication de l’écriture, de la recherche et de la danse a transformé sa grille de lecture et sa propre appréhension de son corps. “J’ai fait corps avec ce costume et j’ai affirmé, en même temps que je les apprenais, les possibles de mon corps.” L’exposition des dix artistes du prix Utopi·e se tiendra du 24 au 28 mai 2023, aux Magasins Généraux, à Pantin. Konbini, partenaire d’Utopi·e.
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December 2, 2022 8:33 AM
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Par Corinne Denailles dans Webthéâtre - 27 nov. 2022 Entre les lignes d’un dialogue entre Œdipe et le devin Tirésias, la lettre d’un homme en prison à sa mère. Tónan Quito, en survêtement et baskets, lit le texte qui défile en arrière-plan, sur deux lignes, lecture interminable dès la première minute jusqu’à ce qu’il pose son livret pour s’adresser au public, qui, soulagé, peut respirer à nouveau normalement. Le spectacle bascule provisoirement vers la comédie. Puis, le comédien portugais reprend la lecture. Au double récit s’ajoute l’histoire de la pièce en train de ne pas se faire, le dialogue entre Tónan et Tiago, la genèse rocambolesque de cette lettre écrite au centre pénitencier de Lisbonne qu’on a retrouvée dans une bibliothèque au Mozambique entre les pages d’Œdipe roi de Sophocle. Les connexions se font entre les récits comme autant de nouvelles synapses et déploient des mises en abyme en cascade. Tiago devient aveugle, Tónan confie à la fin ses problèmes de vue, le vieil aveugle à la bibliothèque de la prison commente un passage de Don Quichotte et dicte à son compagnon la lettre d’un prisonnier à sa dulcinée. Ces deux vieillards, ce sont Tiago et Tónan en train d’inventer l’histoire qu’on nous raconte. Tiago Rodrigues interroge les liens entre dramaturge et comédien, mais aussi entre fiction et réalité ; il métabolise le réel au profit de l’imaginaire, l’auteur et le comédien devenus personnages rejoignent Œdipe, Tirésias, Jocaste, Don Quichotte sans quitter la réalité puisque ce sont les manipulateurs qui se prennent eux-mêmes pour des marionnettes entre les mains de leur créateur. On admire la virtuosité et la complexité de l’écriture funambulesque, caractéristique de l’auteur, sans pourtant adhérer vraiment au spectacle. Par choix, le comédien tient le texte à distance. Quand vient s’ajouter une dimension supplémentaire avec les didascalies soi-disant écrites par la fille de Tiago, il les exécute à dessein de manière caricaturale, mais cela tourne à vide. Et il n’est plus personne quand, à la fin du spectacle, il explique au public que la pièce n’a pas eu lieu, qu’elle restera peut-être coincée dans le futur pour ne pas avoir pu s’inscrire dans un passé. Il reste extérieur au récit et nous aussi. On pouvait espérer qu’un grain de folie l’entraîne au contraire à prendre tous les partis, un peu comme Cyrano dans la tirade du nez, à s’engager également dans toutes les instances de lecture. Les options de jeu ne servent pas le récit pourtant riche de fortes potentialités. Entre les lignes, une création de Tiago Rodrigues et Tónan Quito. Texte, Tiago Rodrigues. Traduction, Thomas Resendes. Avec Tónan Quito. Décor, lumières, costumes : Magda Bizarro, Tiago Rodrigues, Tónan Quito. A Paris, A l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet jusqu’au 17 décembre 2022. Durée : 1h20. Crédit photo© Mariano Barrientos
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October 20, 2022 6:44 AM
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Par ARMELLE HÉLIOT dans son blog - 19 octobre 2022 Comédien et metteur en scène, il avait perdu la vue en 1981. Il ne quitta pas le théâtre. Philippe Adrien et lui travaillèrent ensemble. Il s’est éteint il y a plusieurs semaines. Il avait 67 ans. Quelques lignes dans le carnet du « Monde ». Il y a bien des jours. On a tardé à saluer Bruno Netter, car ce blog ressemble parfois à une série d’annonces funestes. Mais disons adieu avec un peu de retard à cet artiste singulier. Il était passé par l’ENSATT et avait commencé une carrière heureuse lorsqu’en 1981, une opération consécutive à une tumeur au cerveau, le laissa aveugle. On ne l’entendit jamais se plaindre. Il partit s’installer en Anjou, avec sa femme. Il ne pensait pas remonter un jour sur les planches. Mais la passion de la poésie était trop forte en lui. Il choisit Rimbaud pour dire La Lettre du voyant et fonda une compagnie, la Compagnie du Troisième œil. Il réunit des blessés de la vie. Tous ont une vitalité décuplée par le magnétisme, le charme, l’intelligence de Bruno Netter. Sa rencontre avec Philippe Adrien va être essentielle. En 1986, il adapte Des aveugles d’Hervé Guibert. Entouré de voyants qui jouent ceux qui ne voient pas, Bruno Netter incarne, lui, « le voyant ». Vingt ans après l’opération et la perte de la vue, un véritable compagnonnage s’établit entre le patron du Théâtre de la Tempête et la Compagnie du Troisième Œil. En 2001, Philippe Adrien monte Le Malade imaginaire, avec Bruno Netter dans le rôle-titre : Avignon, la Tempête, des tournées. Ensemble, ils créent ensuite Le Procès de Franz Kafka en janvier 2005, à la Tempête, avec reprise et tournée. Un Don Quichotte en 2007. Puis Œdipe de Sophocle (que Bruno Netter préparait en 1981, avant l’opération). On est en janvier 2009. Toujours à La Tempête, et, deux ans plus tard, Les Chaises d’Eugène Ionesco. Si Bruno Netter n’a jamais lâché sa troupe ni quitté la douceur angevine, c’est bien grâce à son ami Philippe Adrien qu’il aura été connu d’un large cercle de spectateurs. Il avait aussi son spectacle étendard, son manifeste : Chlore et froissements de nuit, qu’il jouait avec une camarade sourde, Monica Compays. Histoire de deux enfants oubliés à la piscine… Lui, Bruno Netter, on ne l’oubliera pas. Armelle Héliot
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November 4, 2021 9:06 AM
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Par Marie-Hélène Soenen dans Télérama 5 nov. 2021 Thierry Dupont est acteur dans une troupe de théâtre professionnelle composée de personnes en situation de handicap. En avant-première du festival Les Étoiles du documentaire, organisé par la Scam les 5, 6 et 7 novembre, regardez ce documentaire magique sur la liberté créative signé Anouk Burel. Sur notre site du 3 au 9 novembre inclus. Ancienne grande reportrice pour le magazine Envoyé spécial dix ans durant, Anouk Burel a eu un coup de foudre pour la Compagnie de l’Oiseau-Mouche lors d’un tournage à Roubaix. Cette compagnie de théâtre professionnelle singulière forme depuis 1978 des personnes en situation de handicap au métier de comédien. En 2019, Anouk Burel s’est immergée pendant plusieurs semaines dans la vie et les répétitions de la troupe et épouse, dans son très beau documentaire Le monde est un théâtre, la vision du pétillant Thierry Dupont, 50 ans, comédien depuis plus de trente ans. Elle met en lumière avec tendresse le vent de liberté créatrice apporté par ces personnes dotées d’une riche intériorité au métier de comédien. Comment vous êtes-vous intéressée à la Compagnie de l’Oiseau-Mouche ? Je suis allée plusieurs fois à Roubaix pour Envoyé spécial. J’y ai notamment passé des semaines en immersion à la CAF [La Vie sur un fil, en 2015, ndlr]) et réalisé le portrait d’un médecin de famille [Le Médecin des oubliés, reportage pour lequel Anouk Burel a été finaliste du prix Albert-Londres en 2018, ndlr]. Pendant un tournage, j’ai découvert le restaurant de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, tenu par des personnes en situation de handicap. J’ai immédiatement eu envie de faire un film sur cette compagnie, qui fut la première à former professionnellement des personnes en situation de handicap. Quels sont ses principes directeurs ? Ces femmes et ces hommes subissent au quotidien une marginalisation et une exclusion très puissantes. On dit qu’ils sont « différents », « bizarres », « pas normaux »… Or, ce qu’on appelle communément « un handicap », une faiblesse, dans notre société, est considéré comme une forme de génie artistique entre les murs de ce théâtre roubaisien. Le handicap devient la particularité de chacun, un rapport au monde singulier, riche et précieux. La compagnie de L’Oiseau-Mouche se repose sur leur créativité, et je trouve cette idée brillante. Thierry Dupont en studio. «Thierry, c’est Thierry. Peu importe le mot qui a été posé scientifiquement sur la façon dont il perçoit le monde.» Babel Doc Comment avez-vous eu l’idée de confier la narration à Thierry Dupont, pilier de la compagnie et personnage principal du documentaire ? Thierry a une personnalité très attachante, il est toujours heureux, toujours positif ! Surtout, ce qui m’a fascinée, d’un point de vue cinématographique, ce sont les techniques improbables qu’il a inventées pour apprendre ses rôles. Thierry ne sait ni lire ni écrire, mais il arrive pourtant à mémoriser des textes de théâtre classique comme Phèdre ou Le Roi Lear en faisant des dessins, qui sont comme des hiéroglyphes, un autre langage. J’ai choisi Thierry pour cette poésie. Il aime aussi beaucoup improviser, il peut se mettre à chanter au milieu d’une phrase, il invente sans cesse des mots… Souvent, les films sur les personnes en situation de handicap adoptent un point de vue extérieur. J’ai voulu renverser le regard, faire rentrer le spectateur dans sa perception du monde et raconter sa particularité de l’intérieur. Thierry voit réellement le monde comme un théâtre. Pour lui, sa collègue Marie-Claire, c’est Marilyn Monroe. Il la voit vraiment comme ça. Jonathan, c’est Zeus ! Un passant qui porte son sac dans la rue « joue le rôle » de quelqu’un qui porte son sac… Cela peut faire sourire, mais c’est très profond, quand on y réfléchit. Shakespeare le disait : « Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. » Et si Thierry, comédien, perçoit le monde comme un théâtre, alors cela veut dire qu’il y a sa place. À 50 ans, il exerce depuis trente ans au sein de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche. C’est un véritable lieu d’épanouissement. Certains n’auraient jamais cru pouvoir devenir acteurs, et ils y ont trouvé un sens à leur vie. Concrètement, comment a-t-il élaboré la voix off ? J’ai réalisé une très longue interview audio de lui, d’une durée de six ou sept heures. Je l’ai fait parler de tout, de son enfance, de son rapport au théâtre… Je l’ai retranscrite et j’ai restructuré un récit, en reprenant ses mots. Je lui ai relu, et il y a apporté ses corrections. Puis il est venu en studio enregistrer sa voix à Paris. Au cours de l’interview, il m’a dit : « Je ne sais pas ce que les gens pensent de moi. » À l’image, j’ai transformé cette interrogation en un aparté, comme dans la commedia dell’arte, quand Arlequin s’adresse directement au public. « Qu’est-ce que vous pensez de nous, les spectateurs ? » J’aime cette technique théâtrale, qui permet de souligner le rapport entre le comédien et son public. “Ce que nous appelons handicap, est-ce vraiment « quelque chose en moins » ?” Votre film démontre que ce ne sont pas les personnes en situation de handicap qui sont « limitées », mais bien notre regard. Si l’on pense en termes de création, leur espace mental est bien plus vaste que le nôtre, extrêmement normé, encombré de barrières sociales. Le metteur en scène Michel Schweizer le dit très bien dans le documentaire : « La notion de handicap, je peux l’élargir et me demander, moi, à quel point je suis handicapé par rapport à l’imaginaire, au laisser-aller, au lâcher-prise. » Bien sûr, ce genre de sensibilité, de rapport au monde, peuvent être handicapants dans la vie de tous les jours. Mais ce n’est pas qu’un fardeau, c’est aussi un don. Le terme « handicap » sous-entend que ces personnes auraient quelque chose en moins, de dysfonctionnel. Je le trouve d’une grande violence. Depuis qu’elles sont enfants, ces personnes sont définies par des termes négatifs. J’aimerais que le film aide à repenser cela. Ce que nous appelons handicap, est-ce vraiment « quelque chose en moins » ? Thierry : “La peinture, c’est comme un théâtre de couleurs.” Extrait du documentaire. Babel Doc Pourquoi jugeons-nous une personne qui voit le monde différemment ? Pourquoi considérons-nous que notre point de vue a plus de valeur que le sien ? Sommes-nous capables d’ouvrir notre esprit ? La direction du théâtre n’a jamais voulu me dire de quelle maladie mentale ou psychique souffrent les comédiens. Au début, je ne comprenais pas pourquoi. Mais de semaine en semaine, en restant auprès d’eux, j’ai réalisé que ça n’était vraiment pas important. Une fois que nous nous débarrassons des étiquettes que nous collons sur les gens, ils sont tout simplement eux-mêmes. Thierry, c’est Thierry. Peu importe le mot qui a été posé scientifiquement sur la façon dont il perçoit le monde. Si la vidéo ne s’affiche pas, veuillez accepter les cookies (cliquez sur ce lien si besoin) “Le monde est un théâtre ”, d’Anouk Burel
Thierry Dupont, 50 ans, est un pilier de la compagnie de théâtre roubaisienne L’Oiseau-Mouche, qui forme des personnes en situation de handicap au métier de comédien. Dans son langage imagé, il raconte en voix off son rapport vital à l’art de la scène. « Pour moi, le monde entier est un théâtre », dit-il d’emblée. Ses camarades de jeu, il les décrit comme autant de personnages qui peuplent son monde intérieur. Dolorès est « la fille du soleil », Frédéric, « l’homme-stylo ». Le metteur en scène, Michel Schweizer, « un magicien, Merlin l’enchanteur »…
Si les témoignages de ces sept comédiens sont si émouvants, c’est qu’ils permettent de mesurer l’importance de la pratique théâtrale et du travail de la compagnie dans leurs vies. Toute la troupe laisse libre cours à sa fantaisie, réinvente le monde et repousse sans cesse ses supposées limites grâce à l’amour du théâtre. Filmé avec une grande tendresse, le sémillant Thierry ne sait pas lire, mais apprend ses textes en les dessinant. Son imagination et sa liberté créative apparaissent sans bornes.
Anouk Burel interroge subtilement le regard posé par notre société sur le handicap. Musique veloutée quasi féerique, digressions inattendues et fabuleuses lors d’une excursion à la bibliothèque ou au musée, aparté malicieux de Thierry, qui s’adresse soudain à nous face caméra… Dans ce film aussi joyeux que poétique, la réalisatrice s’applique à mettre en images toute la magie de ces êtres à part et à nous embarquer dans leur belle et immense intériorité. M.-H.S. À voir Festival Les Étoiles du documentaire, vendredi 5 (à partir de 14h30), samedi 6 et dimanche 7 novembre, Forum des images, 2, rue du Cinéma, Paris 1er. Toutes les informations sur le site du festival : www.festivaldesetoiles.fr. Accessible sur présentation de la Carte Festival, gratuite sur réservation sur www.forumdesimages.fr à partir du 25 octobre. Ou à retirer sur place.
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Le spectateur de Belleville
April 2, 2021 7:04 PM
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Publié sur le site d'Artcena, le 29 mars 2021 NOMINATION À la tête du Centre dramatique national et de son École, le metteur en scène continuera de promouvoir un théâtre ouvert sur le monde, où les questions d’égalité et de développement durable occuperont une place centrale. Après huit années passées à la tête du Centre dramatique national de Normandie-Rouen, David Bobée aurait volontiers « joué les prolongations », s’il ne lui avait fallu tourner la page et surtout si « l’opportunité géniale » de diriger le Théâtre du Nord et son École ne s’était présentée. En succédant à Christophe Rauck dont il salue « le projet très ambitieux et la politique d’ouverture du Centre dramatique sur la ville et ses habitants », le metteur en scène se réjouit d’épouser l’histoire d’un théâtre (centrée sur le rapport au texte, les auteurs vivants et les œuvres du répertoire) qui correspond à sa propre ligne artistique. « Le format du plateau incite en outre à la présence de grandes équipes, d’un théâtre de troupe, voie que j’ai également envie de suivre », ajoute-t-il. Sa programmation s’annonce ainsi résolument théâtrale, mais placée sous le signe de la transdisciplinarité, c’est-à-dire composée de propositions intégrant des éléments issus des champs du cirque, de la danse, du cinéma ou encore des arts visuels. « J’ai toujours privilégié les objets artistiques hybrides, des démarches très contemporaines qui éclairent ce que de grands textes ont encore à nous apprendre aujourd’hui », précise David Bobée. Afin de défendre un théâtre en phase avec le 21e siècle, il s’entourera notamment de trois artistes associés : le metteur en scène belge Armel Roussel dont il apprécie la lecture dramaturgique des textes du répertoire empreinte « d’une grande finesse et énergie », la metteure en scène franco-ivoirienne Éva Doumbia, qui énonce à travers ses récits des questions, selon lui, trop peu souvent abordées sur les plateaux, et enfin la romancière Virginie Despentes ; laquelle, entre autres, signera et montera sa première pièce au Théâtre du Nord.
Durant son mandat, David Bobée souhaite, par ailleurs, accorder une attention particulière aux compagnies régionales, en initiant différents dispositifs, dont une plateforme de production régionale. « Elle permettrait à la fois de doter ces artistes d’importants moyens de production et de faire tourner leurs spectacles chez l’ensemble des membres de la plateforme, leur offrant ainsi un ancrage territorial précieux », souligne le directeur du Théâtre du Nord, qui n’en dévoilera pas plus sur les équipes artistiques concernées ni les modalités d’accompagnement. Participative, cette démarche reste en effet à inventer avec l’ensemble des partenaires de la Région et tous les acteurs qui voudront la rejoindre.
Son projet sera également traversé par d’autres enjeux qui l’animent depuis longtemps en tant que metteur en scène et directeur de lieu et au premier rang desquels figure l’égalité : égalité entre les hommes et les femmes (la programmation sera paritaire, de même que l’octroi des moyens de production), entre artistes d’origines ethniques différentes (se défaire de toute assignation dans les distributions, qui se doivent de refléter la réalité de la société française), entre personnes valides et celles en situation de handicap. « En tant que service public, il nous faut proposer des représentations dans lesquelles chacun puisse se reconnaître, des modèles positifs de la diversité », fait valoir David Bobée. Sans oublier l’égalité entre les générations actuelles et futures, qui incite le nouveau directeur à créer un laboratoire sur ce que pourrait être une politique culturelle durable. L’équipe du Théâtre du Nord, les partenaires, les élus et les publics seront invités à réfléchir aux moyens de réduire l’impact de leurs actions sur l'environnement. Le directeur songe bien entendu à des gestes écologiques – transition vers l’énergie verte, réduction et tri des déchets, recyclage du matériel informatique et des décors, éco-compensation de l’empreinte carbone, par exemple sur les transports – mais pas uniquement. « Il s’agit aussi de penser la dimension sociale et économique du développement durable », affirme-t-il.
Concernant la relation au territoire, David Bobée entend mettre en œuvre des actions en direction de tous les publics et notamment ceux les plus éloignés des pratiques culturelles et artistiques. Grâce à un dispositif d’itinérance, le CDN investira des lieux non dédiés établis sur des territoires privés d’offre culturelle et se portera également « à la rencontre des cultures, là où elles existent et se créent » ; par exemple, dans le quartier populaire de Tourcoing où se trouve le Théâtre de l’Idéal (deuxième site du Théâtre du Nord), appelé à s’ouvrir davantage encore aux acteurs culturels et associatifs. Enfin, parce que le mouvement doit s’opérer du centre vers la périphérie et réciproquement, l’ensemble des habitants du territoire seront conviés chaque été à découvrir un spectacle (un grand texte du répertoire) sur le parvis du théâtre.
Le programme pédagogique de l’École du Nord étant intrinsèquement lié au projet artistique du théâtre, David Bobée y poursuivra le même objectif de diversité : diversité des profils, déjà très bien amorcée ainsi qu'il a pu le constater « avec bonheur » lors du 1er tour d'admission, et diversité des disciplines enseignées. « La transdisciplinarité étant aujourd’hui au cœur des spectacles, nous voulons former des jeunes capables de dire un texte mais aussi d’engager leur corps, de découvrir leur rapport à l’espace et à leur propre créativité », assure-t-il.
Dès son arrivée le 1er mars, David Bobée a été confronté à l’occupation des lieux par des intermittents et a choisi de passer sa seconde nuit à Lille avec eux. Un contexte pour le moins inhabituel, quelque peu épuisant, mais qu’il juge « politiquement génial ». En affichant son soutien au mouvement, le nouveau directeur a d’emblée adressé un signal fort à son équipe, aux artistes, aux élus et à l’ensemble des partenaires du Théâtre du Nord.
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Le spectateur de Belleville
February 29, 2020 6:30 PM
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Propos recueillis par Cristina Marino Publié dans Le Monde le 27 février 2020 La comédienne marionnettiste évoque le parcours de sa compagnie Les Anges au plafond, qui fête ses 20 ans avec une nouvelle création pour le festival Marto !, également vingtenaire.
Coïncidence, la compagnie Les Anges au plafond et le festival Marto ! (Marionnettes et objets), du 29 février au 14 mars, fêtent tous deux leurs 20 ans d’existence. De quoi leur donner l’envie de célébrer cet anniversaire commun avec Le Bal marionnettique, créé spécialement pour l’occasion. Deux dates sont programmées dans les Hauts-de-Seine, lieu d’implantation de la compagnie et du festival : le dimanche 8 mars, au Théâtre Jean Arp (hors les murs, pour cause de travaux) à Clamart, et le samedi 14 mars au Théâtre 71 à Malakoff.
Pourquoi Marto ! a-t-il fait appel aux Anges au plafond pour célébrer ses 20 ans ? Nous partageons avec ce festival une histoire commune : notre compagnie est née en 2000, pratiquement en même temps que la première édition de Marto !. Les organisateurs nous ont laissé carte blanche pour fêter ensemble cet anniversaire. Nous voulons pour cette occasion célébrer la marionnette sous toutes ses formes et abolir totalement la frontière avec le public. La scène sera transformée en une grande piste de danse sur laquelle les spectateurs seront invités à monter pour participer activement à ce Bal marionnettique. Il y aura une cinquantaine de marionnettes à manipuler, de différentes tailles et avec plusieurs techniques (portées, à fil, etc.). Nous les avons toutes fabriquées nous-mêmes, en collaboration avec le Théâtre Eurydice – ESAT (Etablissement et service d’aide par le travail) Plaisir (Yvelines), qui emploie des travailleurs en situation de handicap.
Comment avez-vous préparé cette nouvelle création collaborative ? Nous avons organisé, depuis janvier, une série de master classes afin de former des « barons » au sein du public, qui seront des ambassadeurs, des intermédiaires entre la troupe des Anges au plafond et les spectateurs, pour rendre plus fluide la participation des uns et des autres à la représentation. Ça a été très intéressant de voir comment les gens se sont emparés du projet, nous avons eu tous les types de participants : des audacieux qui se sont jetés dans l’aventure sans limite ; des timides, plus en retrait, qui ont pris le temps d’observer avant d’oser bouger… Nous avons hâte de voir comment la sauce va prendre entre les différents acteurs de ce spectacle inédit, le public, les comédiens marionnettistes, les marionnettes.
La musique sera jouée en direct avec un orchestre de six musiciens et il y aura aussi des meneurs et meneuses de bal. Nous souhaitons transmettre notre savoir-faire dans l’art de manipuler les marionnettes et partager notre expérience avec le plus grand nombre de personnes.
Quels sont les éléments fondateurs de votre compagnie ? L’un des piliers des Anges au plafond – nés de la rencontre entre deux artistes, Brice Berthoud et moi-même – est le travail du comédien et son rapport de manipulation avec la marionnette. Dès notre première création, Le Cri quotidien (2000), nous avons mis en œuvre ce qui constitue l’ADN de notre équipe : en particulier, la part de jeu que le manipulateur délègue à l’objet marionnettique. Mais aussi le travail du papier, matière première de la plupart de nos marionnettes, et la musique jouée en direct sur le plateau, une constante dans nos spectacles.
Nous réfléchissons également sur la place des spectateurs dans le dispositif dramaturgique et scénographique. Pour notre deuxième spectacle, Les Nuits polaires (2004), nous avons tenté de déjouer les codes traditionnels de la représentation théâtrale en installant le public en cercle autour du comédien marionnettiste sous un igloo en toile, créant ainsi une grande proximité entre les deux. Pour R.A.G.E. (2015), une création sur la vie de Romain Gary et de son double littéraire Emile Ajar, nous avons proposé à une partie des spectateurs d’assister à la représentation depuis les coulisses, d’être dans l’arrière-scène pour découvrir l’envers du décor.
D’Antigone à Romain Gary en passant par Camille Claudel, pourquoi avoir choisi ces personnes mythiques ou réelles comme sujets de vos spectacles ? Nous avons un axe de travail commun à toutes nos créations : l’épopée. A savoir l’envie de présenter des récits de vie, des histoires articulées autour de grandes figures, que ce soit des héros ou héroïnes venus de la mythologie, ou des personnages historiques. Nous avons consacré un diptyque à deux figures antiques : Une Antigone de papier (2007) et Au fil d’Œdipe (2009). Puis nous avons recherché leurs pendants dans le monde contemporain. Depuis l’adolescence, j’ai une fascination pour Camille Claudel, une sorte d’Antigone moderne dans sa soif d’absolu, son refus des codes établis, sa révolte permanente, et une incarnation de la liberté de la femme dans un univers dominé par les hommes. Ainsi sont nés Les Mains de Camille (2012) et Du rêve que fut ma vie (2014).
Quant à la figure de l’écrivain Romain Gary, elle nous a permis d’explorer de nouvelles thématiques : la censure, la notion de double et les troubles d’identité. Nous l’avons fait une fois encore dans le cadre d’un diptyque, avec R.A.G.E. et White Dog (2017). Adapter Chien blanc, publié en 1970, nous a permis d’évoquer la société américaine des années 1960-1970 – il vit alors entre la France et les Etats-Unis avec son épouse, l’actrice Jean Seberg, très engagée dans la défense des droits des Noirs américains – et d’aborder des questions d’actualité : le racisme, la violence au quotidien, la haine de l’autre. Nous avons d’ailleurs décidé de créer White Dog le 13 novembre 2015 [le jour des attentats], qui a coïncidé avec la première représentation de R.A.G.E.
Deux créations sur mesure pour les 20 ans de Marto ! Outre Le Bal marionnettique, le festival Marionnettes et objets propose un deuxième spectacle spécialement conçu pour fêter son anniversaire : Salut public, de la compagnie aalliicceelleessccaannnnee&ssoonniiaaddeerrzzyyppoollsskkii, fondée par Sonia Derzypolski et Alice Lescanne. Autre moment fort, la 11e édition de la Nuit de la marionnette, à Clamart (Hauts-de-Seine), avec une quinzaine de spectacles, du samedi 29 février, 20 heures, au dimanche 1er mars, 6 heures. Durant quinze jours, huit autres compagnies se partageront l’affiche de ce 20e festival, pour une dizaine de représentations dans plusieurs théâtres et lieux répartis dans huit villes des Hauts-de-Seine (Bagneux, Châtenay-Malabry, Châtillon, Clamart, Fontenay-aux-Roses, Issy-les-Moulineaux, Malakoff et Nanterre).
Cristina Marino Légende photo : Lors d’une répétition du « Bal marionnettique » à la Fabrique des arts, à Malakoff (Hauts-de-Seine), en février. COMPAGNIE LES ANGES AU PLAFOND
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February 5, 2019 4:07 PM
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Par Brigitte Salino dans Le Monde le 05.02.2019 Microcéphale et sourd-muet, indissociable du metteur en scène et cinéaste Pippo Delbono, il pouvait tout être sur scène.
« La vérité au théâtre, c’est quand l’acteur réussit à faire un geste, à dire un mot comme si c’était la première et la dernière fois qu’il le faisait dans sa vie. C’est comme si quelque chose naissait et mourait à cet instant. Et toi, en tant que public, tu as la sensation de voir un geste qui est fait pour toi seul. En cela Bobo est un grand maître .» Voilà ce qu’écrit Pippo Delbono dans son livre Le Don de soi, paru chez Actes Sud en octobre 2018. Aujourd’hui, il faut mettre à l’imparfait la dernière phrase du metteur en scène italien : Bobo est mort, vendredi 1er février, d’une pneumonie, à l’hôpital d’Aversa en Italie, à 82 ans.
Pippo Delbono et lui étaient indissociables, depuis qu’ils s’étaient rencontrés, en 1996. A l’époque, Pippo Delbono traversait un de ces « trous noirs » qui jalonnent sa vie. Son psychiatre lui a conseillé de faire des stages avec des internés. Il est ainsi allé dans l’asile psychiatrique d’Aversa, près de Naples, où il a vu Bobo, qui y vivait depuis trente-cinq ans. « Il est destiné à être pour toujours un enfant », disaient les médecins.
Microcéphale et sourd-muet, Bobo – Vincenzo Cannavaccivolo, à l’état-civil – ne connaissait le monde que par la télévision quand Pippo Delbono l’a pris sous son aile. Ou l’inverse. Car les deux hommes se sont sauvés l’un l’autre. Dans l’exposition « Ma mère et les autres », présentée à La Maison rouge, à Paris, en 2014, on voyait sur un écran de télévision, Bobo et Pippo, en Vespa. Ils venaient de quitter l’asile d’Aversa, où ils étaient retournés, et ils roulaient sur un chemin caillouteux, au milieu des arbres.
Lire la critique de l’exposition « Ma mère et les autres » : Pippo Delbono enfouit ses souvenirs entre les murs de La Maison rouge Vent de la vie Passons au présent, parce que ce souvenir ne nous quitte pas : ils roulent, Pippo devant, Bobo à l’arrière. Après les longs couloirs terribles de l’asile, on sent sur leurs visages le souffle du vent. C’est le vent de la vie, plus fort que tout. Bobo l’avait en lui. Il a su l’insuffler à Pippo qu’il voyait prostré dans un fauteuil, après la mort de sa mère. Il venait tout près, poussant de petits cris, pour lui redonner ce désir de vivre qu’il avait perdu.
Sur scène, c’était pareil : Bobo ne jouait pas, il était, et cela seul suffisait pour que le théâtre advienne, comme il en va avec certains acteurs d’exception. Miracle de la présence immédiate : il suffisait à Bobo d’enfiler un costume pour qu’il soit le personnage. Et la salle ne voyait que lui. Là encore, les souvenirs affluent, au présent. 2002, le Festival d’Avignon découvre Pippo Delbono avec Il Silenzio, Guerra et La Rabbia, présentés dans la cour d’une école, avec un sol de terre et d’immenses platanes. A la fin d’Il Silenzio (Le Silence), qui fait entendre le silence de la mort après un tremblement de terre, un homme tout petit prend par la main la femme la plus grande, la plus belle. Une silhouette dans la nuit du temps. Bobo. Le même qui, dans Guerra (Guerre), fume sa cigarette, ou s’assied sur une malle et pose des masques sur son visage pendant que Pippo Delbono, de sa voix à la Carmelo Bene, raconte des fables en quelques phrases.
Emblème de la compagnie Il est toujours ainsi, Bobo. Si fortement ancré dans l’instant qu’il en arrive à effacer ceux qui voudraient immortaliser un instant, comme Yasser Arafat, auprès de qui il a été photographié quand la troupe de Pippo Delbono a joué Guerra à Ramallah, en 2003. Sur la photo, la star, c’est lui, pas le leader palestinien… Rien d’étonnant si, au fil du temps, Bobo est devenu l’emblème de la compagnie qui travaille à la frontière de l’art et de la vie. Sur le plateau, il sait être multiple, tout en restant lui, unique et semblable à ceux que Pippo aime réunir, des êtres loin de la normalité et proches d’une vérité immémoriale.
Bobo pouvait tout être : grand-père idéal dans une famille idéale qui vole en éclats, dans Gente di plastica (Gens de plastique), en 2003, Mozart dans l’opéra Don Giovanni, en 2014, fier comme un roi, filmé dans les galeries du château de Versailles, dans La Visite, en 2015… Mais, s’il fallait ne retenir qu’un souvenir, ce serait celui-ci, qui les contient tous. En 2009, à la fin de la pièce La Menzogna (Le Mensonge), Bobo s’approche de Pippo, qui est nu comme un vers. Il lui tend ses vêtements, le fait s’habiller, le prend par la main et le mène au bord du plateau, tout près des spectateurs. On croit alors regarder Bobo. C’est lui qui nous voit.
Lire la critique : « Vangelo », l’Evangile selon Pippo Delbono Sur le Web : www.pippodelbono.it
L’acteur Bobo en quelques dates 1937 Naissance de Vincenzo Cannavaccivolo à Villa di Briano (Italie)
1996 Rencontre de Bobo et de Pippo Delbono
2002 « Il Silenzio », « Guerra » et « La Rabbia » au Festival d’Avignon
2017 « Vangelo » au Théâtre du Rond-Point, à Paris
1er février 2019 Mort à Aversa (Italie) L’acteur Bobo dans « La Menzogna », de Pippo Delbono, au Festival d’Avignon, en juillet 2009. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
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November 23, 2018 8:02 PM
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Ysis Percq, correspondante à Montpellier de La Croix , le 22/11/2018 La Bulle bleue est l’un des six théâtres Esat en France. Il abrite une compagnie de comédiens en situation de handicap. La troupe, mêlée à des acteurs du cours Florent, donne Le Bouc.
« Nous sommes dans un endroit réflexif, où prime la place de l’individu dans le collectif et non la vulnérabilité du handicap. » Delphine Maurel, directrice artistique de La Bulle bleue, compagnie de théâtre constituée de comédiens professionnels en situation de handicap, met un point d’honneur au caractère « contemporain » des pièces jouées dans l’Esat (Établissement et service d’aide par le travail). Créée il y a six ans, La Bulle bleue est une compagnie singulière.
Le choix de Fassbinder Depuis plus de trois ans, comédiens et comédiennes s’approprient l’œuvre de Rainer Werner Fassbinder. « Le choix de Fassbinder offre la possibilité, avec sa générosité d’écritures et de formes, d’entrées multiples dans le travail. Cet écrivain s’est posé beaucoup de questions sur l’individu dans le collectif », justifie le metteur en scène associé à La Bulle bleue, Bruno Geslin, citant l’artiste allemand : « Le groupe n’existe pas mais c’est encore la meilleure façon de vivre ensemble. »
Adaptant librement le film et la pièce Le Bouc, Bruno Geslin a choisi l’environnement d’une chaîne de conditionnement de produits pharmaceutiques pour montrer les mécanismes de violence à l’intérieur d’un groupe à l’encontre d’un individu. Évoquant la question de la différence dans une société, de la capacité d’un être à sacrifier une partie de lui-même pour pouvoir intégrer un groupe, la pièce est en « résonance forte » avec ce qu’il se vit dans l’Esat.
Un théâtre politique « Les comédiens se sont appropriés les paroles et la thématique. Dès le début, j’ai répété aux acteurs qu’il n’y avait pas la possibilité de faire autre chose qu’un théâtre politique, engagé. Ils ont une responsabilité car ils portent une parole forte. Ils désamorcent tout ce qui est de l’ordre de la “surbienveillance“ » inhérente aux personnes en situation de handicap.
Après deux pièces jouées en 2017 et 2018, mises en scène par Jacques Allaire et Évelyne Didi, Le Bouc constitue leur troisième immersion dans l’œuvre de Fassbinder dont l’intégralité sera jouée en janvier au Centre national dramatique de Montpellier
Pour ce troisième volet, la troupe de La Bulle bleue partage la scène avec neuf comédiens issus du Cours Florent. Ce travail commun a permis un partage face au jeu d’acteur et à l’œuvre de Fassbinder. « Très vite, il s’est passé une dé-catégorisation du handicap. La différence était présente chez tous les acteurs », constate le metteur en scène.
Ysis Percq, correspondante à Montpellier Légende photo : La troupe de l’Esat artistique La Bulle bleue lors des répétitions du Bouc de Fassbinder. / Crédit : Bruno Geslin
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July 16, 2018 7:11 AM
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Par Rosita Boisseau Avignon, envoyée spéciale dans Le Monde 15.07.2018 La comédienne présente un récital en langue des signes sur des textes allant d’Anne Sylvestre à Amy Winehouse en passant par Boris Vian.
Emmanuelle Laborit est stupéfiante. Elle n’a peur de rien. Dévaste-moi, son nouveau spectacle musical mis en scène par Johanny Bert, le prouve formidablement. Sentimental, cru, rock et opéra, Donna Summer et Alain Bashung, L’amour est un oiseau rebelle et Tango ménopause, la comédienne y va franco. Ce concert-cabaret ne s’intitule pas pour rien Dévaste-moi, d’après une chanson de Brigitte Fontaine en 1965.Il ravage large, ouvre les vannes d’une tempête de désir et de brutalité arrosant le plateau d’eau de rose, de sueur, de sang, de champagne, et ça éclabousse ! « Sourde comme un pot », comme elle le dit elle-même, Emmanuelle Laborit se risque dans un show de « chansigne », autrement dit, chanté en langue des signes. Cette « discipline issue du champ de l’art sourd », la comédienne, codirectrice avec Jennifer Lesage-David de l’International Visual Theatre (IVT), première scène consacrée à la culture sourde et à la langue des signes, à Paris, la sublime dans ce drôle de récital qu’est Dévaste-moi. En compagnie des cinq jeunes musiciens du Delano Orchestra, épaulée par le metteur en scène Johanny Bert et le chorégraphe Yan Raballand, elle enchaîne vingt-quatre titres follement hétéroclites, poussant la chansonnette, gueulant l’opérette, maltraitant la valse musette, fouettant la varièt’avec un appétit tout bonnement jubilatoire.
Chansigner donc. De quoi s’agit-il ? Emmanuelle Laborit traduit non seulement chaque morceau en langue des signes, mais le joue, le danse, l’habille au gré de changements de costumes et d’un dialogue théâtral ininterrompu avec les musiciens. La langue des signes est une merveilleuse chorégraphie. Elle fait ruisseler The Man I Love, de Gershwin, elle bat comme plâtre Fais-moi mal Johnny, de Boris Vian, et n’y va pas par quatre chemins pour Masturbation Blues, de Candye Kane. Les mains, les bras y discourent en mode majeur avec une infinité de nuances dans la gestuelle, contractions des doigts, tremblements, courbes et droites, rythmes conflictuels. Art total, elle n’oublie pas le visage, très expressif. Bouche de travers, joues qui gonflent, front qui se tord, yeux comme des billes de loto, la figure tout entière met des accents, souligne, scande, insiste, au gré de grimaces ciselées de sens. Cœur et corps en vrac Ce visage sous pression contrecarre toute velléité d’être lisse et belle. D’ailleurs, Emmanuelle Laborit s’en moque résolument. Elle arrache l’élastique qui retient sa queue-de-cheval d’un geste violent, la remet vite fait, bien fait, lorsqu’elle change de personnage. Pas le temps ni l’humeur de faire semblant. Si elle est en représentation, Emmanuelle Laborit est d’abord une femme, cœur et corps en vrac. Elle tente par tous les moyens de piger comment ça marche et dans quel sens, l’amour, la mort, le sexe, le temps, en comptant sur la virulence de textes d’Anne Sylvestre, de Léo Ferré ou d’Amy Winehouse.
Avec Dévaste-moi, la comédienne, qui a fait ses débuts à l’âge de 9 ans, prend pour la première fois le risque d’un concert chansigné aux accents de one-woman-show. Pour la première fois aussi, vingt-quatre ans après la sortie de son livre Le Cri de la mouette, elle ose des confidences – en voix off – sur son enfance dans une famille d’entendants. « Je poussais des cris, j’avais envie de communiquer, mais les sons ne me revenaient pas, mes cris ne voulaient rien dire et mes parents m’ont surnommée “la Mouette”. Jusqu’à ce que je découvre la langue des signes… » Et se lance aujourd’hui dans cette aventure joyeusement dévastée où l’on entend évidemment chant et cygne. A la fin du spectacle, c’est la salle entière qui aura droit à son tube et à sa choré, chansignée en chœur avec elle, et c’est la fête ! Dévaste-moi, de Johanny Bert et Yan Raballand. Avec Emmanuelle Laborit. 17 juillet, festival Contre Courant, île de la Barthelasse, Avignon, www.avignonleoff.com. 24 juillet, festival Mimos, Périgueux, www.mimos.fr. En tournée en France à partir de la rentrée, ivt.fr/tournees/devaste-moi Par Rosita Boisseau Avignon, envoyée spéciale Publié À 07h34 Légende photo : Emmanuelle Laborit dans « Dévaste-moi », de Johanny Bert et Yan Raballand. JEAN-LOUIS FERNANDEZ
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Le spectateur de Belleville
July 10, 2018 8:21 PM
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Déclaration des actrices culturelles et des acteurs culturels de Normandie Pour une culture courageuse, généreuse et engagée. Nous ouvrons nos horizons. Nous décidons de nous engager avec une volonté significative et dans le respect de toutes et tous à plus de parité, de diversité et d’accessibilité dans nos domaines respectifs. Cette charte nous engage en 10 points à agir positivement contre les discriminations dans les pratiques culturelles et artistiques en Normandie. Parce qu’en 2018, les injustices culturelles ne sont pas acceptables, nous ne nous contentons plus d’intentions de progression vers l’égalité, nous passons aux actes pour l’égalité. Agir en faveur de l’accessibilité, de la diversité et de la parité c’est permettre à toutes et à tous - sans aucune distinction de sexe, d’origine géographique, socio-culturelle, ethnique ou religieuse, d’âge, d’orientation sexuelle, de genre, de handicap, de langue etc. - d’accéder à l’offre et à la pratique culturelle dans une juste et nécessaire égalité. NOUS… Administrateurs et administratrices, artistes, responsables de billetterie, de coordination, de diffusion, de mission, de communication, de relations presse, membres de comités d’experts et d’expertes, conseillers et conseillères, directeurs et directrices d’écoles d’art, des affaires culturelles, d’associations culturelles, de compagnies, de conservatoires, de lieux, d’institutions, dramaturges, élus et élues, ingénieurs et ingénieures, intermittents et intermittentes du spectacle, membres des jurys d’admission de conservatoires, médiateurs et médiatrices, responsables de festivals, d’événements culturels, de programmation, producteurs et productrices, techniciens et techniciennes, scénographes, scriptes, secrétaires, pouvoirs publics, services culturels … (liste non exhaustive). … NOUS ENGAGEONS À : Engagement 1 Respecter et promouvoir l’application des droits culturels, des droits humains. Nous nous donnons le respect de la loi pour horizon. Engagement 2 Accueillir tous les publics sans distinction, dans une volonté d’ouverture, de partage et de diversification en œuvrant à la réduction de ce qui peut constituer un empêchement à la pratique culturelle (qu’il soit physique, psychologique, géographique, social, culturel, linguistique ou lié aux origines, etc.) et en valorisant la diversité des œuvres et des pratiques. Nous avons le service public pour horizon. Engagement 3 Tout mettre en œuvre, depuis les postes qui sont les nôtres, pour réduire toutes les discriminations dans nos pratiques (inégalités salariales entre les femmes et les hommes, assignations, plafond de verre, etc.) et ne plus accepter, dans nos secteurs professionnels, quelque propos ou comportement sexiste, raciste ou classiste que ce soit. Nous nous offrons le respect des individus pour horizon. Engagement 4 Inciter les responsables des enseignements d’art et de culture à respecter la diversité humaine de la population dans la sélection de leurs élèves, dans les curricula étudiés ainsi que dans la lutte contre toute discrimination et assignation vis-à-vis du corps enseignant ou des élèves. Nous affirmons l’avenir pour horizon. Déclaration des actrices culturelles et des acteurs culturels de Normandie Engagement 5 Inscrire l’accessibilité des personnes en situation de handicaps, comme nécessaire au sein de nos politiques d’accès aux œuvres, aux bâtiments et à l’information dans le respect de l’usage. Nous nous fixons l’accessibilité universelle pour horizon. Engagement 6 Tout mettre en œuvre pour que la culture en Normandie soit un reflet plus juste de la composition ethnique et culturelle de sa population, historiquement et sociologiquement diversifiée. Lutter contre une culture qui exclue et offrir aux publics des représentations valorisées et des modèles positifs de la diversité de la population française. Rien d’autre que l’humanité pour horizon. Engagement 7 Offrir une meilleure visibilité de la multiformité des œuvres et des créateurs et créatrices d'origines diverses, en célébrant leurs récits, leurs pratiques, leurs esthétiques. Nous, hommes et femmes engagées, sommes convaincues du pouvoir symbolique de la culture et du rôle qu'elle doit jouer dans les évolutions des peuples et des sociétés. Nous nous donnons urgemment pour horizon les luttes contre les replis identitaires, nationalistes, racistes ou extrémistes. Engagement 8 Inciter les responsables de programmations culturelles à atteindre une juste parité entre les femmes et les hommes. Parité qui sera également l’objectif de celles et ceux responsables de constitutions de jury, de débats publics et autres assemblées censées être représentatives. Cet engagement paritaire appelle un juste partage des subventions et des moyens de productions alloués aux artistes hommes et femmes. Avec l’égalité réelle comme horizon. Engagement 9 Valoriser notre matrimoine, au même titre que notre patrimoine. Conscient.e.s de notre passé pluriel et du rôle des femmes dans l’histoire de l’humanité, nous voulons la justice pour horizon. Engagement 10 Réhabiliter les valeurs que sont la sororité et la fraternité, par la solidarité que l’on soit française, français ou que l’on vienne d’ailleurs. Avec la dignité humaine et l’hospitalité pour horizon. EN TANT QUE SIGNATAIRE, JE M’ENGAGE À : • Prendre des mesures concrètes en accord avec cette charte dans toutes les missions professionnelles pour lesquelles j’ai la possibilité d’agir. • Communiquer fièrement ces 10 engagements sur mes supports de communication. • Partager et impliquer mes collègues et partenaires à ces engagements pour des actions positives contre les discriminations plurielles. • Témoigner des avancées effectuées. Les signataires de Normandie appellent leurs homonymes de toutes les disciplines artistiques et culturelles voire au-delà, de tous les territoires, de tous les horizons à s’engager également pour un monde plus égalitaire. Pour voir la liste des signataires : c’est ici: https://lc.cx/m63S
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Le spectateur de Belleville
June 15, 2018 3:18 PM
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Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 15 juin 2018 Bruno Geslin mène depuis trois ans un parcours autour de Fassbinder avec la troupe permanente de l’ESAT La Bulle bleue de Montpellier. Parcours partagé avec Jacques Allaire et Evelyne Didi qui vient d’y créer « Huit heures ne font pas un jour », une soufflante déambulation.
C’est un recoin de nulle part. Un mur, plus loin une cabine téléphonique. Contre le mur, deux hommes assis par terre, côte à côte. L’un, maigre, tient une bouteille, il semble vidé de tout, un homme sans passé qui porte un costume râpé mais beau, reste d’une vie enfuie. L’autre, plus épais, plus noueux, plus tendre aussi, a laissé son caddie de clodo à deux pas. Il est plus désespéré, plus chargé d’angoisse, aussi laisse-t-il aller sa tête contre le bras osseux du premier. A demi-mots, ils parlent fric, filles, hommes. Phrases courtes, sèches, sans chiures de mouche. Et puis ce bref dialogue : « L’épais. Et la sympathie ? As-tu une idée de la sympathie ?
Le maigre. Je m’en fous.
L’épais. Pourquoi, tu as peur?
Le maigre. Oui, j’ai peur. »
« Il se passe quelque chose »
L’épais (Arnaud Gélis) offrira une cigarette au maigre (Philipe Poli). Bouffée de fraternité entre deux esseulés. Pendant ce temps, dans la cabine téléphonique, la blonde (Mireille Dejean) dit avoir eu le pressentiment de la mort de l’être qu’elle aimait. Trois vies à la manque. Les autres ne vont pas tarder à suivre, du même acabit.
Cela pourrait être la séquence d’un film. C’en est une aussi. Présentement, ce sont les premiers pas d’un spectacle errant, Huit heures ne font pas un jour où le temps semble s'étirer dans un présent sans fin et sans avenir. Un spectacle qui déambule dans les espaces (ateliers de conditionnement, de cartonnage, de cadre, salle de répétition, chai) d’un ESAT (Etablissement de service et d’aide par le travail) sur les hauteurs de Montpellier, quartier des Bouisses (au terminus du bus 11). Un spectacle interprété par la troupe permanente de La Bulle bleue de Montpellier, composée de comédiens « en situation de handicap », l’un des six ESAT-théâtre que compte la France, le plus ancien étant probablement celui de l’Oiseau Mouche (lire ici) et le plus récent (2012) celui de la Bulle bleue, mais chaque aventure a sa propre identité. Une mise en scène d'Evelyne Didi d'après des textes et des films de R.W. Fassbinder ( et d'autres apports) à commencer par son (presque) premier court-métrage Le Clochard (1966), le titre du spectacle emprunte celui d'un autre films de Fassbinder.
« Si tu peux venir, viens, il se passe quelque chose », m’avait dit Didi au téléphone. Je suis le parcours de cette actrice depuis des lustres et jamais elle ne m’avait passé un tel coup de fil. Je suis venu. J’ai vu. Et le lendemain, alors que l’on déjeunait à la cantine de l’ESAT avec Bruno Geslin, je l’ai remerciée de m’avoir téléphoné.
Tout commence peut-être le jour où Bruno Geslin décide de quitter Paris pour s’installer à Nîmes. Après Mes jambes si vous saviez quelle fumée... d’après les écrits et la personnalité de Pierre Molinier, un premier spectacle très remarqué créé au Théâtre de la Bastille, Geslin, avec Pierre Maillet, Marcial Di Fonzo Bo et le théâtre des Lucioles, avait continué à explorer des univers à part comme celui de Joe Bousquet. Il continue à Nîmes et à Perpignan (artiste associé au Théâtre de l’Archipel) en abordant des textes comme ceux de Georges Perec qu’il monte dans des maisons d’arrêt, des hôpitaux psychiatriques et c’est ainsi que sa route croise celle de la troupe de la Bulle. Formidable rencontre.
« Abattre les barrières »
Delphine Maurel, la directrice artistique de la Bulle bleue propose alors à la grande Mêlée, la compagnie de Bruno Geslin, d’être associée pendant trois ans (2016-2018) à la troupe permanente de l’établissement. Geslin choisit de consacrer ces trois ans à l’œuvre de Fassbinder sous le titre Prenez garde à Fassbinder ! et entraîne dans l’aventure Jacques Allaire et Evelyne Didi. Geslin a déjà signé Partenaire particulier, un moyen métrage. Il va monter Le Bouc en automne. Jacques Allaire a présenté Je veux seulement que vous m’aimiez à l’automne dernier. Les trois ont également proposé des formes brèves, Les Petits Chaos, toujours à partir de R. W. Fassbinder. Le tout sera invité durant un mois au CDN de Montpellier la saison prochaine.
« Il s’agit là non seulement de former des adultes en situation de handicap au métier de comédien mais de s’efforcer d’abattre les barrières existantes entre les mondes pour que le partage et la diversité viennent enrichir le spectacle vivant », écrit Bruno Geslin. Ou encore, dit autrement par le même : « nommer et tout se fige, se réduit et nous relègue chacun dans deux mondes en vis à vis sans porosité : le monde de la norme et celui du handicap. Une séparation qui fait s’enfuir la délicatesse nécessaire à tout rapport humain. »
Tandis que s’éloigne avec son caddie le gars épais – dont le regard, l’allure rappellent un peu Fassbinder lui-même et plus encore Didier-Georges Gabily ( le personnage semble sorti de L’Au-Delà, l’unique roman de Gabily, publié chez Actes Sud) – , une femme le suit (Laura Deleaz). Les bras le long du corps, les paumes tournées vers cet homme qui l’ignore mais ne la rejette pas, elle avance à l’instinct, animale, amoureuse, ne dit rien. On se tient derrière elle, on ne voit que son dos, ses jambes, ses mains et c’est infini ce que tout cela raconte. Passeront des poèmes de Brecht, des répliques de Marieluise Fleisser, un bout de scène de la pièce de Fassbinder Du sang sur le cou du chat.
Arnaud Gélis, le clochard de "Huit heures ne font pas un jour © dr Tout au long de la déambulation, un petit homme (Matthieu Beaufort) nous guide. Habillé moitié en groom, moitié en fanfare municipale, il dirige nos pas tout en dirigeant un orchestre imaginaire. Deux hommes en imper aux lunettes noires (Axel Caillaud et Steve Frick) et un géant crachant des propos venimeux (Mickaël Sicret) se posent ici et là dans le parcours, eux semblent échappés d’un film d’Aki Kaurismäki, avec lequel Evelyne Didi a tourné. Des pseudo-flics ramassent tout ce qui traîne et chargent les infortunés sur une camionnette à ciel ouvert comme les charrettes de la Terreur ou celles des rafles pendant l’Occupation ou la guerre d’Algérie. Une ambiance magnifiquement interlope. Nous voici maintenant devant un peep-show niché dans une roulotte devant laquelle danse une frêle robe légère (Sarah Lemaire). Un homme effilé au look poète romantique (Mélaine Blot) recroquevillé à l’arrière d’un pick-up dit un extrait du troublant poème de la Grecque Nikki Giannari, Passer quoi qu’il en coûte, préfacé par Georges Didi-Huberman, le frère d’Evelyne (Les Editions de Minuit, 2017). Tout se terminera dans un chai transformé en taverne à bière, ressac de solitudes. Tous les personnages s’y retrouvent avec un chien errant. Le clochard, fil conducteur de l’aventure tout autant que le comédien qui l’accompagne (plus qu’il ne l’incarne, il le transfigure), y achèvera son périple sous l’œil de celle qui le suivait au début et là, sert les verres de bière en les faisant glisser sur les tables comme un croupier pousse les mises. Impair et manque. Un dernier tableau aux lumières veilleuses de nuit (éclairages Hervé Audibert), d’une sombre splendeur toute grubérienne, du nom de Klaus Grüber, autre metteur en scène avec lequel Evelyne Didi a travaillé. En revenant dans le centre de Montpellier, je songe à ce que me racontait Didi en attendant que je prenne l’autobus : « avant de mourir à 37 ans, R.W. Fassbinder, en fonçant dans sa voiture, aimait à chanter à tue-tête : je suis le bonheur sur terre / Ah ce serait beau / Que cela soit vrai. ». Huit heures ne font pas un jour est un spectacle constamment vrai.
A La Bulle bleue, Montpellier, dernière ce soir vendredi 15 juin, 20h. Puis la saison prochaine dans le cadre de l'invitation de la Bulle Bleue au centre dramatique de Montpellier durant un mois.
scène de "Huit heures ne font pas un jour" © dr
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