Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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March 3, 4:44 PM
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Bouffes du Nord Paris : « Tempest project », Shakespeare en condensé d’après Peter Brook 

Bouffes du Nord Paris : « Tempest project », Shakespeare en condensé d’après Peter Brook  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fatma  Alilate dans Educavox, publié le 3 mars 2025

 

Tempest project est une adaptation de La Tempête de William Shakespeare (1564-1616), conte fantastique et fable politique. La pièce revisitée par Peter Brook (1925-2022) et Marie-Hélène Estienne est issue d’une recherche collective avec un groupe de comédiens. Cette création sera à l’affiche des Bouffes du Nord, Théâtre ressuscité par Micheline Rozan et Peter Brook en 1974.

Le décor est épuré dans l’écrin des Bouffes du Nord dont le rouge pompéien des murs rappelle un Théâtre antique. La pièce Tempest project met l’accent sur la musicalité de la langue autour du thème de la liberté. 

 

Promesse de liberté

Prospero (Ery Nzaramba) a déclenché une tempête pour faire échouer dans l’île où il est exilé son frère qui lui a volé son royaume et le roi de Naples, l’allié du complot. Rongé par un désir de vengeance et prisonnier de son passé, Prospero est tout occupé par son « art » : la magie qui l’avait éloigné du pouvoir politique. Il capte l’attention des spectateurs à qui il s’adresse dès le début de la pièce. Il fait rire avec malice malgré certains moments tendus. Il est soutenu par Ariel, un esprit des airs bienfaiteur et coquin, interprété par Marilú Marini à la forte présence scénique et dont la gestuelle est constamment en mouvement. 

 

Ariel est un serviteur fidèle et loyal, touchant par sa sensibilité. Avec courage, il rappelle à Prospero, sa promesse de liberté. 

Caliban - Sylvain Levitte qui joue également le prince de Naples -, est l’esclave, sa colère gronde. « Cette île est à moi, par Sycorax ma mère, et tu me l’as prise », reproche-t-il à Prospero. Tous deux ne partagent pas le même niveau de langue et ne sont jamais en phase. Le dialogue écrit vers 1611 est étonnant de modernité. Il a été repris pour traiter des ambiguïtés de la colonisation notamment par Aimé Césaire (1913-2008). 

 

Caliban voudrait être libre mais très vite pour nuire à Prospero, il se soumet à de nouveaux maîtres, les pétillants Fabio et Luca Maniglio qui incarnent des ivrognes bêtes et avides. 

Sylvain Levitte est épatant dans deux rôles que tout oppose : Caliban, l’opprimé qui crie sa hargne, et Ferdinand, le fils du roi de Naples aux belles aspirations.

Un effet miroir

Prospero assiste à la rencontre amoureuse entre sa fille Miranda - la magnétique Paula Luna - et Ferdinand. Mais les épreuves s’abattent sur le jeune prince. Il parvient à résister : « La bassesse peut être vécue avec noblesse et une situation très dure peut contenir un riche espoir. » 

 

La scénographie dépouillée permet d’être au plus près du verbe. Pour Peter Brook, le comédien doit faire confiance à la résonance des mots et à la qualité du silence pour faire éclore l’imaginaire. La lumière crée un enchantement notamment pendant le moment de la « cérémonie de mariage », passant du rouge flamboyant à des jeux d’ombres, devenant bleutée. Le surnaturel est surtout représenté par le jeu d’Ariel, accompagné par la voix profonde d’Harué Momoyama. 

 

La pièce Tempest project regroupe les principaux thèmes de l’œuvre prolifique de Shakespeare : les jeux du pouvoir et des passions, la nature humaine… Le sujet de la fragilité du théâtre ou des illusions de la vie est évoqué de façon magistrale par Prospero, duc déchu qui pardonne à ses ennemis : « Ces acteurs n’étaient que des esprits qui se sont dissous dans l’air (…), tout va se dissoudre comme ce spectacle éphémère, ne laissant aucune trace. »

 

A l’épilogue, Prospero évoque le sortilège du spectacle et son souhait de s’en défaire. Ce sont les dernières phrases de Shakespeare dans son ultime pièce. Les liens établis par Brook avec Shakespeare créent un effet miroir troublant. 

Dès le début de son parcours, le dramaturge fasciné par Shakespeare inscrit son travail dans la recherche, il n’a jamais trouvé de réponse définitive : « Tous les sujets qui concernent l’être humain sont contenus dans ses pièces et dans chacune, il existe un sens mystérieux. » 

 

 

Les chants de la bande sonore ont été enregistrés il y a plus de vingt ans, la nuit, aux Bouffes du Nord. Ce Théâtre, ancienne ruine sortie de l’oubli par Peter Brook, à deux pas du Métro de La Chapelle, est une des plus belles scènes parisiennes. L’atmosphère y est à la fois intimiste et puissante.

 

 

Fatma Alilate / Educavox

 

Tempest project – Peter Brook et Marie-Hélène Estienne 

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Du 14 mars au 29 mars 2025

Avec : Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini et Ery Nzaramba

Adaptation et mise en scène : Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Lumières : Philippe Vialatte

Chants : Harué Momoyama

Tempest project, adaptation de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne d’après la version française de Jean-Claude Carrière de La Tempête de William Shakespeare, publié chez Actes Sud-Papiers

 

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August 22, 2024 2:45 PM
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Une salle oubliée utilisée par Shakespeare découverte derrière un mur dans un théâtre anglais

Une salle oubliée utilisée par Shakespeare découverte derrière un mur dans un théâtre anglais | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Mylène Wascowiski, publié par le magazine Geo  le 22 août 2024

 

 

Lors de fouilles au cœur du théâtre St George’s Guildhall, dans le comté de Norfolk en Angleterre, des archéologues ont découvert la présence d’une arche vieille de 600 ans. Celle-ci aurait, par le passé, mené à une loge utilisée par Shakespeare lui-même.

 

 

"Il est tout simplement stupéfiant qu’une légère bosse ou une forme étrange dans le mur se soit révélée être quelque chose de franchement extraordinaire." Tim FitzHigham, directeur artistique du théâtre anglais St George’s Guildhall, À King’s Lynn dans le comté de Norfolk, semble toujours sous le choc de la découverte.

Lors de récentes fouilles archéologiques menées au sein du théâtre, une arche vielle d'au moins 600 ans a été retrouvée derrière deux couches de plaques de plâtre et un mur de briques, datant lui du XVIIIe siècle. Selon les archéologues à l’origine des recherches, l'arche aurait mené par le passé à la loge utilisée par Shakespeare et ses acteurs en tournée à King’s Lynn, rapporte The Guardian.

Une loge où se changeaient les acteurs du théâtre

Les fouilles ont débuté suite à la découverte d’une forme "étrange" dans un mur du théâtre situé au rez-de-chaussée. En retirant les plaques de plâtre et le mur de briques qui recouvraient le mur, les archéologues en charge des fouilles ont découvert une arche vielle de 600 ans.

 

Celle-ci aurait, selon Jonathan Clarke, archéologue ayant participé aux recherches, conduit à une "salle de taille moyenne et de statut inférieur" et n’aurait probablement été, à l’époque, recouverte que par une tenture.

 

Une découverte "ahurissante", selon les mots du directeur artistique du théâtre, Tim FitzHigham, qui estime que l’arche retrouvée "doit être antérieure à 1405 car le toit médiéval de la salle est soutenu au-dessus".

"Nous avons ici une porte qui aurait donc certainement été là dans les années où nous pensons que Shakespeare a joué au théâtre et, selon toute vraisemblance, c’était la porte d’une pièce où les acteurs se changeaient et stockaient les accessoires", explique-t-il dans les colonnes de The Guardian. "Elle leur aurait donné un espace privé où ils pouvaient poser des affaires, se changer puis monter l’escalier pour apparaître au premier étage dans leur costume" précise Jonathan Clarke.

 

Avant cela, cette porte aurait mené selon FitzHigham à une sorte de "salle de vestiaire" pour les membres les plus hauts placés de la guilde de St George :

 

 

 

"Cette salle était utilisée par les membres les plus haut placés de la guilde pour s’habiller avant de festoyer à l’étage (…) Les guildes, apparentées aux clubs de membres des années 1400, ont cessé d’utiliser la salle, et la pièce a probablement pris le rôle de vestiaire ou de "salle de repos" pour les acteurs en visite."

 

Le plus ancien théâtre en activité du Royaume-Uni

Le St George’s Guildhall est le plus ancien théâtre en activité du Royaume-Uni, rappelle The Guardian. Considéré comme le plus grand hall de guilde médiéval intact d’Angleterre, le théâtre fait aujourd’hui l’objet d'importants travaux de conservation.

Le lieu, qui a accueilli sa première représentation en 1445, a été le théâtre d’événements culturels majeurs du pays : à la fin des années 1500, les Queen Elizabeth’s Men, troupe d’acteurs formée sur ordre de la reine Tudor en 1583, y auraient notamment joué une dizaine de fois.

 

En 1592 ou 1593, Shakespeare et sa troupe y auraient également joué alors que les théâtres de Londres étaient fermés en raison de l’épidémie de peste. C'est à cette époque que le dramaturge et ses acteurs auraient donc pu emprunter l'arche fraichement découverte. Selon des recherches menées l’année dernière, le théâtre accueillerait également des lames de plancher provenant d'une scène foulée par le poète. Le St George’s Guildhall semble avoir encore de nombreux secrets à révéler.

 

Mylène Wascowiski / GEO

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October 2, 2023 4:55 PM
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«Avant la terreur» : Vincent Macaigne prend «Richard» d’assaut 

«Avant la terreur» : Vincent Macaigne prend «Richard» d’assaut  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Ève Beauvallet dans Libération - 2 oct. 2023

 

Derrière l’acteur de cinéma mélancolique, un metteur en scène de théâtre hors norme à l’énergie gargantuesque. A l’occasion de sa nouvelle création, adaptation libre du «Richard III» de Shakespeare attendue depuis six ans, «Libé» s’est glissé dans le chaos des répétitions.

 

Ce dimanche de canicule, un matin de septembre, une abeille est entrée dans le hall de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, s’est dirigée vers la grande salle en bourdonnant, et a dévalé le gradin rangée par rangée pour venir piquer Vincent Macaigne, en pleine création de son nouveau spectacle Avant la terreur, adapté de Richard III. On est d’accord avec la victime : «C’est vraiment pas d’bol, non ? En plus, ça fait mal.» Mais… une abeille, vraiment ? Qui a bien pu se cacher derrière pareil avertissement ? La réincarnation de William Shakespeare, outrée de voir tous ces sauvages, sur le plateau, glisser à plat ventre sur son texte comme sur les toboggans d’une piscine ? L’esprit malin d’un technicien fatigué de déballer les semi-remorques de costumes, de faux sang, de paillettes et d’appareils à mousse depuis ce printemps ? Ou le propre moi de Vincent Macaigne, venu lui rappeler l’essence sacrée du métier : forcer la porte pour piquer, quitte à en crever ?

 

Après tout, c’est bien ce que cet artiste fait lui-même aux spectateurs depuis vingt ans. Ceux qui ont découvert Macaigne au cinéma l’ignorent encore parfois, mais avant de rejoindre les rangs des chouchous bichons préférés du cinéma d’auteur français, avant de balader sa voix de fumeuse de gitanes et son regard de bébé cocker abandonné au chenil chez les Justine Triet, Antonin Peretjatko, Garrel père et fils, Toledano et Nakache, cet ancien élève du Conservatoire de Paris a signé, en bande, des œuvres spectaculaires, hors-norme par leur degré de vitalité et particulièrement vénéneuses : Requiem 3 aux Bouffes du Nord à Paris, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre au Festival d’Avignon (2011)… Alors forcément, ça peut créer des confusions. «C’est très chouette, d’ailleurs : certains spectateurs viennent voir mes pièces parce qu’ils ont vu le Sens de la fête, alors ils sortent un peu surpris mais généralement très contents.»

 

Pourquoi surpris ? On vient pour voir en vrai sur les planches l’amant mélancolique aux cheveux essorés qu’il incarne souvent à l’écran, et on récolte des hectolitres de faux sang, d’insoutenables viols, du burlesque dégueu, des hurlements au mégaphone, des jeux crétins, l’enfance saccagée, la bêtise à chialer de rire et l’impression, au sortir de la pièce, d’avoir traversé la nouvelle tempête Xynthia en tricycle. Disons qu’on n’est pas tout à fait chez Emmanuel Mouret. Encore moins au théâtre des Trois Baudets. En plus, cette fois, Vincent Macaigne travaille sur Richard III. Alors, nécessairement, ça peut secouer.

 

 Texte « empoisonné »

 

Le nouveau spectacle, celui que les spectateurs de théâtre attendent depuis six ans, a longtemps censé être une adaptation de la Montagne magique. Macaigne tente de monter l’œuvre de Thomas Mann depuis des années. On disait le projet calibré pour la cour d’honneur du palais des Papes d’Avignon, puis pour le théâtre Vidy à Lausanne, mais la baleine blanche s’est jusqu’à présent fracassée sur des contraintes budgétaires, techniques et de production. Frustré ? «Non, c’est beau, aussi, de rêver à des projets, d’essayer, d’échouer.» Et puis Macaigne adore tourner avec ses copains au cinéma, se sent incapable de produire un spectacle par an comme l’exige stupidement l’institution théâtrale. Soudain, il divague sur son rêve irréalisé en croquant dans ses blancs de poulet Sodexo achetés chez Prisunic comme il dit – la chaîne de magasins de proximité a cessé son activité en 2003 –, à la pause de 20 heures : «La Montagne magique, c’est l’Europe qui s’effondre, c’est la douceur des gens qui sont malades, qui toussent dans un climat cotonneux…» Un temps. Il s’excuse, il se sent un peu sonné, il s’est fait piquer par une abeille ce matin en salle, répète-t-il, il a l’impression de faire une réaction.

 

 

En tout cas, il y a aussi dans Richard III, comme dans la Montagne magique, «quelque chose de psychiatrique». «Ce qui m’intéresse c’est que Richard III soit dans un monde dysfonctionnel où des gens veulent le tuer. Il ne produit pas lui-même la violence, il répond aux violences qui l’entourent.» Vincent Macaigne a été surpris, développe-t-il, de constater à quel point ce texte-là de Shakespeare était «empoisonné. C’est comme une sorte de prédiction, une malédiction qui nous prévient de la fin du monde». Il pensait trouver plus de burlesque dedans. Lui qui adore les Monty Python a dû faire face à une lame de fond autrement mélancolique avec Richard III. Silence. Un croc dans le poulet Sodexo. Et l’acteur ressemble alors à Jean-Hugues Anglade dans la scène de fin de la Reine Margot, annonçant la tragédie d’une voix flûtée : «Bon, après, un homme qui décide de tuer tout le monde, c’est quand même violent…»

 

 

 

En salle, on cherche justement à régler le juste son de la violence. «Trop de basses, dans les tirs, non ?» Avant scène, un acteur passe devant nous en slip, chaussettes hautes et mocassins, muni d’une batte de baseball. Son voisin cherche ses notes, dissimulé sous un casque de protection de boxe. Derrière le plateau, suivie par une caméra, la reine Elisabeth zone en robe de soirée armée d’une kalache. Macaigne crie, dans un micro réglé bien trop fort : «Vous m’entendez toujours pas ?» Il lance le top «et puis après on casse la télé !» La régie, en chœur, paniquée : «Comment ça, la télé ?» «Non pardon, je veux dire le mur.» Un énorme mur en placo : l’équipe a obtenu de pouvoir le casser en vrai à la batte deux fois par semaine seulement.

 

« Énergie créatrice incroyable »

 

Des bouquets de roses en plastique ont atterri un peu partout dans les gradins. Sur scène, volent actuellement toutes sortes d’artefacts : chaises de bureau, blocs de polystyrène. Soudain une poubelle de 100 litres remplie de détritus. Il faudra ramasser le marc de café étalé sur le blanc clinique du plateau dès que cette scène d’émeute, qui voit Richard III appeler à la destitution de sa sœur sur la pelouse du palais de Buckingham, aura été réglée. En attendant, on joue à mourir, en agonisant ou non, en hurlant un peu, beaucoup, passionnément, et on meurt souvent. Ici, Lady Anne, en l’occurrence. Tout le monde porte des genouillères pendant les répétitions.

 

 

 

Côté régie, Michael Petit, actuel directeur technique du Festival d’Avignon, dit qu’il s’était «bien marré» à travailler sur une création de Macaigne à Nanterre, même s’il fallait reconstruire le lendemain les décors détruits tous les après-midi. Son homologue au théâtre Vidy de Lausanne, Christian Wilmart, qui a suivi plusieurs créations de l’artiste depuis 2011, estime qu’il «fait partie des artistes vraiment intéressants à accompagner aux postes techniques : beaucoup de matériaux à traiter – eau, mousse, paillettes, faux sang –, beaucoup de lâchés d’objets depuis les cintres, beaucoup de défis». Reste que tous deux sont d’accord : il faut une équipe de techniciens solide et qui a envie. «Travailler avec Vincent, reprend Christian Wilmart, ça demande de s’adapter tout le temps, on est face à une énergie créatrice incroyable, il peut y avoir des résistances.» Au théâtre de Lausanne (dirigé par Vincent Baudriller, ancien codirecteur d’Avignon), riche d’une équipe technique de 45 personnes, le régisseur en chef donne la possibilité de refuser ce genre de projets «qui sont à la fois très motivants mais très mobilisants [onze semaines de création pour Avant la terreur contre les huit traditionnellement données, ndlr]. Et certains refusent. Après, quand tu vois l’accueil du public, que tu vois la tête des gens en sortant de salle, tu sais pour quoi tu travailles».

 

 

Côté jeu, «les créations de Vincent Macaigne, c’est l’inverse de Krystian Lupa [metteur en scène polonais] où les acteurs restent assis pendant des heures à écouter le monologue du maître», nous prévenait un metteur en scène. D’ailleurs, Thibault Lacroix, acteur et compagnon de toujours, surgit maintenant des coulisses pendant les réglages lumières avec un nouveau costume d’émeutier inventé minute : une moustache de José Bové, une perruque Mafalda, une robe d’hôpital, un fusil de chasse, et une jambe raide. «Haha, Thibault, il est con…» Vincent Macaigne le pointe du doigt en se retournant vers la régie pour chercher l’approbation. Il aime les acteurs, ses «cocréateurs».

 

Créer le jeu et la vie

 

En tout cas, c’est ce qu’il répète : ce qu’il aime, ce qu’il préfère, c’est voir jouer les acteurs. Sofia Teillet, «elle est géniale, non ?» – à Libé on est d’accord, on le disait dans un article publié en 2020. Max, un enfant repéré dans un film de Desplechin, «il est incroyable, non ?» Il n’est pas du genre à donner des indications psychologiques bien cérébrales. Ici, c’est moins une affaire de «compréhension des enjeux» que d’énergie, de rythme. Et si quelque chose ne fonctionne pas, ce n’est jamais la faute de ces acteurs – «ils sont géniaux, non ?» – mais la sienne, celle du texte. Car Vincent Macaigne, au théâtre, écrit, et il le fait au fil des répétitions, à partir des improvisations.

 

 

 

Est-ce vrai, demande-t-on à Sofia Teillet, que le texte est parfois susceptible de bouger à la dernière minute ? L’actrice nous arrête tout de suite : «Ce n’est pas que tout est susceptible de changer un peu, c’est que tout change tout le temps ! Par exemple, mon rôle a changé hier. La dernière fois que j’ai joué avec Vincent, pour En manque, mon texte a changé le soir de la générale [dernière répétition avant première représentation].» Si elle y revient, c’est que c’est excitant, bien sûr. Laure Calamy vantait elle aussi la «philosophie» du jeu de son cher ami et collaborateur, quand elle parlait à Libé, l’an passé de ses souvenirs de création avec Vincent Macaigne.

 

 

En 2011, au Festival d’Avignon, elle était l’inoubliable mère de Hamlet baisant dans une eau croupie avec le frère de son mari assassiné dans Au moins j’aurai laissé un beau cadavre. Son monologue de fin lui avait été dicté par Macaigne la veille de la générale. Flippant ? Laure Calamy avait bondi : «Ah moi, ça m’excite à mort. Le déséquilibre, c’est ce que je recherche. […] Les pièces de Vincent, c’était de la performance, on se mettait onze heures par jour dans des états pas possibles, les mecs avaient perdu 10 kilos. […] Quand c’est au service d’une aventure folle, c’est passionnant.» Le metteur en scène l’assume complètement : il provoque et pique ses acteurs en répétitions, sa façon à lui de créer le jeu et la vie, complètement partant pour se faire engueuler lui aussi. Pendant les représentations, pareil ou presque. Macaigne est trop stressé pour jouer dans ses propres créations au théâtre, alors il s’invente des exutoires à la pression : pendant les représentations de Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, il dévalait de la régie vers le plateau et remontait en furie, prenant les spectateurs à partie ou en otage, jouant au metteur en scène hystérique vociférant sur les techniciens qui lui gueulaient dessus en retour. L’abeille en train de tourbillonner, on vous dit.

 

Ève Beauvallet / Libération

 

Avant la terreur de Vincent Macaigne, du 5 au 15 octobre à la MC93, Bobigny - dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Puis Douai, Annecy, Rennes en novembre, Luxembourg, Lyon, Clermont-Ferrand en mai 2024.

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March 27, 2023 9:30 AM
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«Othello» à l’Odéon, un monument au Maure

«Othello» à l’Odéon, un monument au Maure | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 27/04/2023

 

Porté par des acteurs formidables, Jean-François Sivadier transforme sur la scène de l’Odéon la tragédie en pièce ultracontemporaine, en respectant pourtant à la lettre le texte de Shakespeare.

 
 

Qu’est-ce qui emporte dans cette mise en scène d’Othello par Jean-François Sivadier, comme si la pièce de Shakespeare était un bolide non répertorié qui traversait quatre siècles et quart pour atterrir sur le plateau de l’Odéon sous nos yeux ébahis ? Qu’est-ce qui nous met aux aguets immédiatement, alors que comme souvent chez Sivadier, la scénographie ne cherche pas à être belle – mais l’abstraction des cadres en bois, sorte de grands panneaux roulants qui cernent la scène ainsi que le brouillage de la perception induit par des voiles font merveille ?

Comment Othello devient une pièce ultracontemporaine alors même que cette modernisation tient plus à des hypothèses de lecture qu’à des gestes grossiers de réécriture ? Le moteur essentiel, ce sont les acteurs, leur manière de paraître découvrir chaque mot, chaque situation, en même temps que le public auquel ils s’adressent le plus souvent frontalement, en restant de bout en bout extrêmement perméables à la salle.

 

Un spectacle participatif ? Non, même si de manière inopinée, on y apprendra lors d’un bref prologue bien amené quelques phrases de wolof. Se profile une pièce absolument respectueuse de la langue de Shakespeare, mais dans laquelle on fredonne Jealous Guy de John Lennon et on se saoule en dansant sur un vieux tube de Queen. Se construit un labyrinthe où s’engage, tête baissée, Othello, valeureux général de la République de Venise, ancien esclave noir né dans des contrées lointaines, qui ne semble avoir d’autres choix que de se laisser manipuler par Iago, souscrire à ses insinuations, laisser ses paroles le détruire, la ciguë des mots excitant sa jalousie et agissant telle une drogue dure dont il ne peut plus se passer. Merveilleuse scène où Nicolas Bouchaud-Iago, et Adama Diop-Othello s’aimantent, sont accolés, corps à corps, et ne semblent plus former qu’un seul esprit divaguant dans une obsession commune et folle.

 

«Le Maure est d’une nature ouverte»

Au début de la pièce, Adama Diop, irrésistible dans le rôle-titre, incarne donc un jeune chef équanime, guerrier sportif et souple, et si peu doué pour les complots, que Iago lui-même semble le choisir pour son peu d’appétence à la persécution : «Le Maure est d’une nature ouverte et franche qui croit les hommes honnêtes pour peu qu’ils le paraissent.» L’histoire a retenu la tragédie d’Othello, marionnette commettant un féminicide, et beaucoup moins celle de Desdémone, première victime de la machination, qui finit étranglée.

 

Osons le dire, même si la mise en scène de Sivadier ne renverse pas cette perspective, c’est bien un sentiment de découverte que l’on éprouve à sa vision. La pièce est ici légèrement décentrée sur Iago, exceptionnel Nicolas Bouchaud, qui ne cesse de rendre plastique son personnage, de lui sculpter de nouveaux visages, au fur et à mesure qu’il improvise de nouveaux pièges infernaux. «Je ne suis pas qui je suis» prévient énigmatiquement son personnage au début de la pièce. Adama Diop joue lui aussi de la transformation  physique que suscite sa vampirisation, devenant une ombre torturée qui se couvre d’un châle blanc, se terre dans le public pour tenter d’entendre ce qui se dit sur scène lorsqu’il n’y est pas, et va jusqu’à se couvrir le visage d’une crème blanche, dans un genre de black face inversé avant de commettre l’irréparable au dernier acte. A lui seul, le masque blanc, saisissant, fait comprendre que lui aussi n’est plus qui il est, pour reprendre l’expression de Iago. Le génie de la pièce est d’exposer que la haine et la duplicité se nourrissent d’elles-mêmes et n’ont besoin d’aucun mobile pour entrer dans une phase dynamique.

Un effet de symétrie entre les deux couples

Othello est le seul grand personnage du répertoire classique à être noir. Cependant, depuis quatre cent vingt ans, il n’a été joué qu’exceptionnellement par des acteurs noirs. Dans la revue En attendant Nadeau, Dominique Goy-Blanquet nous apprend que Sidney Poitier, acteur afro-américain vedette dans les années 50 et 60, refusait d’endosser ce rôle pour ne pas présenter au public un personnage qu’il jugeait «dupe» et sans doute ridicule. De même, le Britanno-Ghanéen Hugh Quarshie, de la Royal Shakespeare Company, estimait que le rôle renforçait les préjugés racistes. Aujourd’hui, à l’inverse, on n’imagine guère un acteur blanc tenir le rôle-titre – et Luc Bondy enflamma les réseaux lorsqu’il envisagea de distribuer dans Othello Philippe Torreton.

Pour autant, comme le note Jean-François Sivadier dans le dossier de presse, il serait insultant d’en déduire que la couleur de la peau détermine le choix de l’acteur. Faut-il forcément accorder une intention à ce que Jisca Kalvanda, qui joue ici (merveilleusement) Emilia, l’épouse de Iago soit elle aussi une actrice noire ? Tout au plus, cette distribution produit un effet de symétrie entre les deux couples de la pièce et laisse supposer que Iago n’agit pas par racisme. Manipulée par Othello, Emilia est celle qui saisit avant les autres la vérité, quitte à se dissocier radicalement de son monstre d’époux. Ainsi l’actrice et Sivadier mettent-ils en avant un certain féminisme de la pièce. Mais c’est toute la distribution qu’il faudrait citer : longue silhouette cassante et cassée, Cyril Bothorel, qui joue Brabantio, le père furieux de Desdémone, est parfait, tout comme Gulliver Hecq, Roderigo, jeton malheureux dans la machine à concasser les esprits de Iago…

Othello de Shakespeare, mise en scène de Jean-François Sivadier. A l’Odéon-Théâtre de l’Europe (VIe arrondissement de Paris) jusqu’au 22 avril.

 

Légende photo : A l’image d’Adama Diop en Othello et Nicolas Bouchaud en Iago, les acteurs sont le moteur de cette adaptation. ( photo Jean-Louis Fernandez)

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March 16, 2023 12:02 PM
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Rencontre avec Adama Diop, star en toute discrétion

Rencontre avec Adama Diop, star en toute discrétion | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley, dans Les Echos 15/03/2023

 

Le comédien franco-sénégalais enchaîne les grands textes et les grands rôles sous la direction des metteurs en scène les plus en vue du moment. Puissance, clarté, simplicité, mais aussi humilité… l'artiste nous raconte son parcours, sa passion raisonnée du théâtre et ses projets à la veille d'incarner Othello à Paris, à l'Odéon.

 

 

Par Philippe Chevilley

Publié le 15 mars 2023 à 15:00

Woyzeck, Macbeth, Lopakhine, dans La Cerisaie, et maintenant Othello : il est impressionnant dans tous les grands rôles du répertoire et les metteurs en scène les prestigieux se l'arrachent. Pourtant Adama Diop n'a pas la grosse tête. L'acteur franco-sénégalais quadragénaire colle parfaitement à l'idée qu'on se fait de l'acteur cool tout au long de notre entretien qui a eu lieu dans un bistrot de Montreuil, sa ville d'adoption. Une rencontre qui ressemble plus à une conversation nourrie qu'à une interview.

Fort de son parcours, on s'imagine qu'il a été très tôt frappé par le virus du théâtre… Et bien, pas du tout. Lorsqu'à l'aube de ses 20 ans, il se voit proposer par l'attachée culturelle de son lycée à Dakar de participer à un festival de théâtre avec un autre étudiant, il y va en traînant les pieds : « Plus pour suivre mon camarade qu'autre chose. Je n'avais pas la vocation. À la base, je voulais devenir journaliste… On dira qu'avec le métier de comédien, j'ai trouvé une autre façon de questionner le monde… »

Le déclic

Dans la foulée du festival, Adama Diop débarque à Montpellier. « C'est là que le déclic a eu lieu. Lors de la visite du conservatoire, un jeune acteur sénégalais, Babacar M'Baye Fall, devenu un ami très proche par la suite, était en train d'apprendre son rôle. Quand je l'ai vu déambuler dans la cour, son texte à la main, je me suis dit : je veux faire ce métier-là. » Un peu plus tard, il est subjugué par La Vie de Galilée, la pièce de Bertolt Brecht mise en scène par Jean-François Sivadier. Cette représentation inoubliable le confirme dans sa voie. Vingt ans plus tard, la boucle est bouclée : le même Sivadier fait appel à lui pour jouer Othello…

 

Rentré au Sénégal, le jeune Adama a choisi : il deviendra comédien en France. Il prépare le concours du conservatoire de Montpellier qu'il intègre en 2002. Deux femmes de théâtre, Marion Aubert et Marion Guerrero, lui mettent très vite le pied à l'étrier en le distribuant dans leurs spectacles. À l'issue de ces deux années, ses proches lui conseillent de passer d'autres concours. Celui de l'école du Théâtre national de Strasbourg par exemple, où il est accueilli chaleureusement par Stéphane Braunschweig, aujourd'hui directeur de l'Odéon. Mais c'est au Conservatoire national d'art dramatique de Paris qu'il parachève sa formation de 2005 et 2008.

« À Montpellier, j'ai appris à être autonome, à être un acteur débrouillard. J'y ai bénéficié d'une grande liberté. J'étais dans l'action, l'apprentissage. Paris a été le temps de la pensée, du questionnement. Qu'est-ce que je veux faire en me consacrant à ce métier ? Je me suis alors essayé à la mise en scène et j'ai créé coup sur coup deux spectacles. »

Rencontres et retrouvailles

Pas besoin de se démener pour trouver du travail. Les metteurs en scène, intrigués et séduits par ce diamant brut, viennent à lui naturellement. « Tout s'est fait projet par projet, au gré de rencontres », explique-t-il modestement. « Certains m'ont sollicité parce qu'ils m'avaient apprécié dans un spectacle ; d'autres à l'issue de conversations dans un café, comme Julien Gosselin ou Frank Castorf. Avec Stéphane Braunschweig, que j'avais rencontré au TNS, ou Jean-François Sivadier, mon premier coup de cœur théâtral, on peut parler de retrouvailles. »

 

Chacun de ces maîtres l'aide à grandir. Adama Diop évoque sa découverte de Brecht et l'intensité des répétitions avec Bernard Sobel (Sainte Jeanne des Abattoirs). Sous la direction de Julien Gosselin et ses spectacles cosmiques inspirés de grandes oeuvres de la littérature (2666et la trilogie Don DeLillo) ou avec Cyril Teste, chantre du théâtre-cinéma (Sun), il prend conscience que « l'acteur fait partie d'un dispositif, où il est plus ou moins au centre ».

 

 

 

Stéphane Braunschweig (Macbeth) le séduit par son intelligence, son obstination « à ausculter chaque vers de Shakespeare, chaque mot pour en exprimer l'essence ». Frank Castorf (Bajazet, Racine) le plonge dans un maelstrom radical, « une forme d'improvisation permanente » où le comédien se débat et triomphe sans filet.

 

Enfin, il apprécie « l'humilité et la bienveillance » de Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du Festival d'Avignon, qui l'a mis en scène dans La Cerisaie de Tchekhov. Adama loue « sa façon de donner simplement des règles du jeu et de laisser toute liberté à l'acteur »… Le comédien s'adapte à tous les registres, à tous les systèmes de jeu. « J'aime bien le double sens du mot interprèteSelon moi, l'acteur a pour mission de traduire la langue du metteur en scène. »

Evidence et clarté

Il est toujours difficile de définir l'art d'un comédien. Notre premier choc date de 2016, lorsqu'il participe à la grande aventure de 2666, l'adaptation en douze heures flamboyantes (vidéo en « live », déluge de musique techno…) du roman de Roberto Bolano par Julien Gosselin. Voix puissante, diction naturelle, charisme… l'acteur brûle les planches et l'écran dans cette fresque où il doit notamment déclamer un monologue en anglais pendant de longues minutes.

 

Philippe Chevilley / Les Echos

 

Vidéo Adama Diop Avignon 2021

 

Légende photo : Le comédien Adama Diop photographié à Montreuil, en février dernier. (©Samuel Kirszenbaum pour Les Echos Week-end)

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October 5, 2022 8:21 AM
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Notre critique du Roi Lear: Thomas Ostermeier save the King !

Notre critique du Roi Lear: Thomas Ostermeier save the King ! | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anthony Palou dans Le Figaro - 2 oct. 2022

 

 

CRITIQUE - Avec le metteur en scène, la pièce de Shakespeare fait d'une manière brutale et expérimentale son entrée au répertoire de la Comédie-Française.

Le théâtre élisabéthain ne cherchait pas à localiser les faits et « Shakespeare n'enfreint pas l'unité de lieu, il la transcende ou il l'ignore », disait Jorge Luis Borges. Dans sa mise en scène du Roi Lear, Thomas Ostermeier occupe l'espace avec un seul décor dans lequel l'imagination prendra corps : une lande lunaire et aride que l'on dirait sortie du studio 5 de Cinecittà, époque Fellini. Une passerelle comme une veine prolonge la scène, scinde en deux la salle : les comédiennes et les comédiens en feront maintes fois leur podium.

 

Avec Thomas Ostermeier, Le Roi Lear fait d'une manière brutale et expérimentale son entrée au répertoire de la Comédie-Française et c'est une féerie lugubrement déjantée qui vous collera à votre fauteuil deux heures quarante-cinq durant. Le metteur en scène allemand, qui connaît son Shakespeare - il a monté Le Songe d'une nuit d'été, Hamlet, Mesure pour mesure, Richard III et La Nuit des rois –, sait que Shakespeare n'est jamais sobre, jamais.

 

 

À LIRE AUSSI  Denis Podalydès: «Je suis une chair à metteur en scène»

 

 

La fertilité, la force et l'exubérance font partie de son ADN. Ce Roi Lear d'après Shakespeare - insistons sur ce « d'après », car Ostermeier se donne quelques libertés et nonchalances (ainsi quelques coupes) qu'il serait trop long de recenser - hérissera les poils de quelques puristes. Quant à la traduction d'Olivier Cadiot - d'un accès plus facile au public sans nier la complexité de la langue -, elle ne manque pas d'audace.

Parti pris sans pitié

Dès le début, sonnez trompettes (en live) !, nous comprenons le parti pris d'Ostermeier : il sera sans pitié pour les petits ­estomacs. Dans des costumes plutôt modernes, les personnages évoluent sur la lande sur laquelle apparaît un trône solitaire et, plus tard, descendus du plafond, des cadres lumineux représentant des châteaux, derniers îlots de civilisation. Alors voilà Gloucester (Éric Génovèse) et son bâtard de fils, le perfide Edmund (Christophe Montenez), Edgar le frère aîné légitime (Noam Morgensztern), le fidèle Kent (Séphora Pondi), banni par Lear, et puis voilà les deux premières filles du roi, ce monstre à deux têtes : Goneril (Marina Hands) et Regan (Jennifer Decker).

 

Bientôt apparaît cette sublime création humaine, Cordélia (Claïna Clavaron), la cadette, l'âme pure dans ce chaos de crimes. Nous attendions Denis Podalydès dans le rôle du vieillard. Il s'est montré encore une fois un immense comédien. Tour à tour terrible, drôle, facétieux, émouvant, mesquin, grandiose. La barbe grisonnante et les cheveux en bataille du roi à la dérive l'adoubent : Lear-Podalydès est ébouriffant. La scène où il invoque la tempête résonnera longtemps dans la salle Richelieu. Seul son fou (Stéphane Varupenne) lui dit la vérité pure : là est le génie de Shakespeare.

 

 

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Sublime pièce sur la filiation, l'ingratitude - qui commence toujours par une caresse, le pouvoir, la trahison, la faim, l'isolement et surtout la vieillesse, ce massacre. Ostermeier et Podalydès nous invitent dans une danse spectrale et burlesque entre San Clemente, documentaire choc de Depardon, Artaud et Beckett. Ce n'est pas le roi qui est nu. Avec Lear, c'est l'humanité tout entière.

Le Roi Lear. Jusqu'au 26 février 2023 à la Comédie- Française (Paris 1er). Tél. : 01 44 58 15 15.

 

 

RÉSERVEZ VOTRE PLACE AVEC LE FIGARO

 

 

Le spectacle sera diffusé en direct dans plus de 200 salles de cinéma le 9 février. Réservations.

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March 1, 2022 1:14 PM
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Marcial Di Fonzo Bo : "C'est toujours d'actualité de monter Richard III malheureusement"

Marcial Di Fonzo Bo : "C'est toujours d'actualité de monter Richard III malheureusement" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Sur le site de l'émission d'Arnaud Laporte sur France Culture, "Affaires culturelles" -  28 février 2022

 

Comédien et metteur en scène incontournable du théâtre contemporain, Marcial Di Fonzo Bo est au micro d'Arnaud Laporte. Le temps d'un entretien au long cours, il nous raconte son apprentissage auprès de Claude Régy et Matthias Langhoff, son goût pour le théâtre de Copi, et son processus créatif.

 

Ecouter l'entretien (55 mn)

 

 

Légende photo :  Marcial Di Fonzo Bo   Crédits : Julien Prebel

 

 

Comédien argentin révélé sur les planches par Claude Régy et Matthias Langhoff, mais aussi metteur en scène qui s’est distingué pour son cycle de spectacles consacrés à Copi, Marcial Di Fonzo Bo a la part belle dans le paysage théâtral contemporain. Il retrouve le temps d'une tournée le Richard III de Shakespeare mis en scène par Matthias Langhoff, et est également à l’affiche de la pièce Portrait Avedon-Baldwin : Entretiens imaginaires qui se tient de 29 mars au 17 avril au Théâtre du Rond-Point à Paris. Deux occasions toutes trouvées pour découvrir les coulisses de son art et de son processus créatif.

 

« On a réactivé cette mise en scène de Richard III un peu comme cela peut se faire dans le milieu de la danse, où ce sont les interprètes qui prennent en charge certaines pièces. » Marcial Di Fonzo Bo

Sur les planches et les plateaux

Formé et révélé sur les planches par Claude Régy et Matthias Langhoff - avec l’un dans Paroles du sage en 1993 au TNB, avec l’autre dans un Richard III glamour en 1995 au Festival d'Avignon - c’est par la très grande porte que Marcial Di Fonzo Bo a fait son apparition dans le paysage théâtral. Le comédien, venu tout droit de Buenos Aires à la fin de l’adolescence, a fait de sa carrière d’interprète une suite de rencontres et un enchaînement de coups de cœur. Il a été dirigé aussi bien par Olivier Py et Rodrigo Garcia que Luc Bondy et Christophe Honoré.

 

« Ce que j'admire chez Matthias, c'est sa capacité à superposer des plans, à faire que le sens soit fracturé et qu'il passe par tout : l'amour du décor, des objets, des musiques, tout ça se superpose. J'ai l'impression que c'est ça, pour moi, le plus intéressant dans la mise en scène, à la fois d'avoir des objets qui soient absolument pleins et baroques et à la fois avoir une liberté d'interprétation. » Marcial Di Fonzo Bo

 

Côté cinéma, Marcial Di Fonzo Bo a joué pour la première fois devant la caméra dans Tango Nuestro de Jorge Zanada en 1987, avant de revenir dix ans plus tard en doux dingue passionné de pelleteuses dans Peau neuve, le premier long métrage d’Emilie Deleuze qui l’a réconcilié avec le cinéma.  Depuis, il a joué dans une quinzaine de films, notamment Non ma fille tu n'iras pas danser de Christophe Honoré, Minuit à Paris de Woody Allen, La Ligne blanche d'Olivier Torres, Polisse de Maïwenn, et Lost in Munich d’Édouard Daladier.

Le Théâtre des Lucioles

Le Théâtre des Lucioles, fondé en 1994 par Marcial Di Fonzo Bo aux côtés d’anciens élèves de l’école de Rennes dont Elise Vigier et Pierre Maillet, n’est ni une troupe ni une compagnie au sens classique du terme. Il s’agit plutôt d’une plate-forme qui replace le comédien au centre du théâtre. En tant que metteur en scène, Marcial Di Fonzo Bo s’est emparé de nombreuses écritures contemporaines parmi lesquelles celles de Rafael Spregelburd, Philippe Minyana, ou encore Lars Norén.

 

« Ça a l'air assez idyllique et utopique quand je le raconte, mais c'est beaucoup plus compliqué de se constituer en communauté, de vivre pas mal les uns sur les autres. Mais on a appris à vivre ensemble, à faire ensemble. Cette idée du commun a toujours été au cœur des projets. » Marcial Di Fonzo Bo

 

 


Réécouter La troupe des Lucioles, une famille d'acteurs   1H15

Copi, le dramaturge et dessinateur de la célèbre Femme assise, occupe une place singulière dans son parcours. Comme lui, une partie de la famille de Marcial Di Fonzo Bo s’est installée à Paris pour fuir la dictature en Argentine. C’est d’ailleurs auprès de ses oncle et tante Facundo et Marucha Bo qui avaient créé avec Alfredo Arias le groupe TSE et fait découvrir au public parisien les textes d’un Copi alors inconnu, que Marcial Di Fonzo Bo s’est formé à toutes les ficelles du métier. Au tournant des années 2000, engagé dans un travail de mémoire pour mieux comprendre celui qui a marqué l’histoire des siens, Marcial Di Fonzo Bo s’est entouré des Lucioles pour monter à son tour les œuvres de l’auteur, de Copi, un portrait à Eva Peron / L'homosexuel ou la difficulté de s'exprimer .

 

 

« En lisant L'Uruguayen, il y a une telle liberté. On y trouve cette phrase assez incroyable qui dit que " l'exil est une période de la vie où l'homme s'ouvre à la liberté ". Et pour moi, Copi a toujours été ça, une porte ouverte à l'imaginaire. Avec humour, avec culot. Une sorte de "terroriste" encore, comme Claude Régy à un autre endroit. » Marcial Di Fonzo Bo

 

Ses actualités :

  • Spectacle : « Glouster Time Matériau Shakespeare – Richard III » d’après la mise en scène de Matthias Langhoff par Frédérique Loliée et Marcial Di Fonzo Bo dans une nouvelle traduction d’Olivier Cadiot, en tournée : 8 et 9 mars, Le tangram, Scène nationale d’Évreux // 27 au 30 avril, La Comédie de Genève // 4 au 6 mai, La Comédie de Reims // 12 au 15 mai, La Villette, Paris.
  • Spectacle : « Portrait Avedon-Baldwin : entretiens imaginaires » - Texte : Kevin Keiss, Élise Vigier - Mise en scène : Élise Vigier - Avec : Marcial Di Fonzo Bo, Jean-Christophe Folly du 29 mars au 3 avril à 20h30 puis du 6 au 17 avril à 21h au Théâtre du Rond Point à Paris.

 

Sons diffusés pendant l'émission :

  • Archive de Claude Régy extraite de l’émission Surpris par la nuit, diffusée la première fois sur France Culture le 01/10/2007.
  • Archive d’Alfredo Arias extraite de l’émission Affaires Culturelles, diffusée la première fois sur France Culture le 22/09/2021.
  • « Las simplas cosas » de Chavela Vargas sur l’album « Macorina » (1994) | Label WEA International
  • Archive de Matthias Langhoff extraite de l’émission Le Bon Plaisir, diffusée la première fois sur France Culture le 16/06/1990.
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November 3, 2021 11:50 AM
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Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, un « Roi Lear » brechtien et bouleversant

Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, un « Roi Lear » brechtien et bouleversant | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge (Caen, envoyée spéciale) 3 nov 2021

 

Georges Lavaudant signe une mise en scène élégante et profonde de la tragédie de Shakespeare

 

Quand un Roi Lear de belle facture se présente, il ne faut pas le rater. Chef-d’œuvre d’entre les chefs-d’œuvre de Shakespeare, pièce monstre, pièce monde, elle est de celles qui travaillent le métier de vivre en humain avec une profondeur inégalable. Au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, où le Théâtre de la Ville se délocalise pour l’occasion, Georges Lavaudant signe une version empreinte d’élégance et d’intelligence, avec Jacques Weber dans le rôle-titre, et une distribution de haut niveau.

Georges Lavaudant recentre la pièce sur ce qui en fait le cœur : une tragédie de la filiation

Ce n’est pas une mise en scène révolutionnaire, mais trempée dans une modernité déjà classique, d’obédience brechtienne, ce qui implique que la distance et l’humour sont aussi au rendez-vous. Le plateau ne s’encombre pas de décor ou d’accessoires illustratifs et inutiles, pour laisser toute la place aux acteurs, aux relations entre les personnages, à l’implacable mécanique qui va entraîner une tragédie en cascade, mais aussi le dépassement de cette tragédie par une forme de maturité, certes chèrement acquise, mais d’autant plus bouleversante.

 

Sur le plateau quasiment nu, à la belle ambiance nocturne, on découvre donc Lear dans le grand marchandage qu’il est en train d’opérer avec ses héritières. Le vieux roi a décidé de se retirer du pouvoir et de diviser son royaume entre ses trois filles. Pour cela, il adopte une méthode simple : celle qui l’aime le plus aura la plus grosse part du gâteau. Sommées de déclarer – ou de déclamer, comme des comédiennes – leur amour, les deux aînées se livrent à la flagornerie la plus éhontée. Tandis que la cadette, Cordélia, s’en tient à une réponse simple et honnête – elle aime son père comme un père, ni plus, ni moins –, qui déclenche la colère de Lear.

Formidable troupe d’acteurs

Toute la tragédie naît donc du narcissisme et de l’aveuglement de Lear, qui vont l’entraîner loin sur le chemin de la folie, de la dépossession et, in fine, d’une forme de reconquête de soi. Georges Lavaudant recentre la pièce sur ce qui en fait le cœur : une tragédie de la filiation. Comme HamletLe Roi Lear met en scène un monde « hors de ses gonds », un monde qui craque de toute part parce que quelque chose s’est grippé dans le mécanisme familial. L’amour parental et l’amour filial, pervertis, sont à l’origine de malheurs incalculables, pour l’entourage de Lear comme pour celui du comte de Gloucester, son double plus ou moins inversé.

 

Le choix de Jacques Weber – acteur plus hugolien que shakespearien – pour incarner Lear, pouvait surprendre, mais ce choix démontre sa pertinence au fur et à mesure de l’avancée du spectacle. Dans la peau de Weber, Lear, plus bouffi d’orgueil que mauvais bougre, est avant tout un comédien, pour ne pas dire un bouffon, qui ne fait pas vraiment la distinction entre son petit théâtre intérieur et le monde réel.

 

Autour de lui se déploie une formidable troupe d’acteurs, à commencer par François Marthouret, comédien tout en sobriété et subtilité, qui, dans le rôle de Gloucester, offre un contrepoint passionnant avec Jacques Weber. Thibault Vinçon, dans le rôle clé d’Edgar, le fils banni qui va retisser les fils de l’humanité et de la dignité, est aussi intense qu’émouvant. Grace Seri est une étonnante Régane, comme manipulée par le mal. Quant à Manuel Le Lièvre, acteur souvent prodigieux, dans les spectacles de Valère Novarina notamment, il n’avait pas encore vraiment trouvé son Fou lors des premières représentations du spectacle, à Caen, où nous l’avons vu, mais on peut parier que ce n’est qu’une question de temps.

Limpidité parfaite

Ainsi va cette mise en scène tout en fluidité, qui s’appuie sur la traduction nette et sans fioritures de Daniel Loayza et assume les clins d’œil au style des années 1980, notamment dans les superbes costumes de Jean-Pierre Vergier. Les enjeux de la pièce y sont déroulés avec une limpidité parfaite. C’est la troisième fois que Georges Lavaudant s’attaque au Roi Lear depuis les années 1970 et on sent que sa connaissance de la pièce est profonde, intime.

Et dans ce chemin parcouru sur la lande en compagnie de Lear, le mystère représenté par Cordélia a de toute évidence particulièrement retenu son attention. Qui est-elle, cette Cordélia que joue Bénédicte Guilbert, loin de tout cliché, comme une femme forte, droite, et même un peu rugueuse ? Cordélia qui aime son père mais refuse de « faire théâtre » avec ce sentiment de le monnayer, Cordélia qui dit non à l’amour mal placé, narcissique, de son père. Il résonne fort, aujourd’hui, ce non-là.

 

 

Le Roi Lear, de William Shakespeare (traduit de l’anglais par Daniel Loayza). Mise en scène : Georges Lavaudant. Théâtre de la Ville hors les murs au Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin, Paris 10e. Tél. : 01-42-08-00-32. Du mardi au samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures, jusqu’au 28 novembre. De 12 à 41 euros. Puis à Vesoul le 7 décembre, et en tournée en 2022.

 

Fabienne Darge(Caen, envoyée spéciale)

 

 

Légende photo :  « Le Roi Lear », de Shakespeare. (c)JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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May 25, 2020 5:42 PM
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Regarde les hommes tomber –    A propos du "Roi Lear", de Shakespeare, mise en scène André Engel avec Michel Piccoli (2006)

Regarde les hommes tomber –    A propos du "Roi Lear", de Shakespeare, mise en scène André Engel avec Michel Piccoli (2006) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Lien pour visionner la captation du spectacle : https://vimeo.com/420340417

Article de Thierry Jallet dans Wanderersite, le 25 mai 2020

 


Alors que tout est accompli, que tout a été dévasté autour de Lear, les survivants – ne parlons pas de vainqueurs – sont peu nombreux. Interprété par  Jérôme Kircher, Edgar, le fils héritier de Gloucester vient de sortir. Alors qu’il s’apprête à le suivre, le duc d’Albany – joué par Jean-Michel Cannone – s’arrête après quelques pas. Il est attiré par une lettre opportunément laissée au sol. Il la ramasse et la lit à voix haute. « Et quand il a voulu retourner sur terre […] et il était tout seul […]] et il a pleuré […] et il est toujours tout seul. » Ces quelques mots tirés de Woyzeck qu’André Engel connaît bien pour l’avoir monté en 1998, sont ceux de la Grand-Mère dans le texte de Büchner : ils renvoient à un conte des frères Grimm, sombre et pessimiste. Présage d’une solitude irréversible, du meurtre de Marie, ce court récit métaphorise l’isolement de Woyzeck dans un état d’aliénation totale. Ici, ce bref ajout du metteur en scène semble avoir une autre fonction dans le prolongement de la pièce de Shakespeare : il en devient le point culminant. Le résultat même de la tragédie en quelques mots jetés sur la feuille. Une forme de surimpression intertextuelle insistant une toute dernière fois sur la noirceur absolue qui la recouvre au moment où elle s’achève. Pour autant, Albany ne peut saisir le sens de ces quelques lignes sibyllines. Au milieu de tous les morts, il ne perçoit pas leur sinistre résonance. Sans doute Edgar les comprendrait-il mieux puisqu’il est désormais définitivement seul. Mais il est parti, la pièce est finie et l’on est saisi par les ténèbres qui tombent sur le plateau au son des saxophones.

C’est toujours une gageure que de vouloir mettre une nouvelle fois en scène une pièce de Shakespeare. Celle-ci peut-être plus que les autres par ce désenchantement qui la rend si particulière. Si par exemple Macbeth se finit en fanfare, Le Roi Lear se ferme sur une marche funèbre. Et c’est bien cette tonalité qui domine dans la création d’André Engel qui nous révèle avec beaucoup de justesse la fin d’un monde sans dieux et presque sans hommes, l’espérance absolument vaine en une harmonie perdue après les « désordres destructeurs » qu’évoquent Edmond – exceptionnel Gérard Watkins dans le rôle du bâtard cruel, félon et revanchard.

Il est structurellement question de verticalité dans Lear – comme le suggèrent ici les nombreuses lignes dans la scénographie de Nicky Rieti. Parce que le roi abdique, il provoque sa déchéance. Parce qu’Edmond va tout mettre perfidement en œuvre  pour s’élever, il va finalement déchoir lorsqu’il est confondu. Leurs destinées lointaines suivent la même trajectoire. Tous deux tombent. Tous deux perdent même la vie. Reste après eux, l’horizon plat de la scène. Vide de tout.

Les choix de mise en scène habilement relevés par la réalisation vidéo de Don Kent renvoient au cinéma qui compose un univers référentiel important ici – on n’est jamais très loin de Coppola ou encore de De Palma. André Engel, soucieux de resserrer l’intrigue en un peu plus de deux et demie – comme pour un film, a fait le choix de supprimer certains passages en réduisant par exemple dans l’acte II, le monologue d’Edgar, à une seule phrase. Il a également redimensionné certaines scènes comme la toute première, très cinématographique dans sa dramaturgie précisément. Abandonnant le dialogue initial entre Gloucester et Kent, la pièce ici s’ouvre in medias res dans un décor industriel, caractérisé par de hautes fenêtres d’entrepôt sur lesquelles on découvre écrit en lettres imposantes le nom de Lear. On devine que la figure modernisée du monarque se confond ici avec celle d’un puissant chef d’entreprise à la réussite ostentatoire transposée dans ce vaste dispositif scénique. Mais l’inscription à l’envers inspire d’emblée l’idée d’un pouvoir sur le déclin. Le mouvement descendant se lit dans la forme scripturale inversée. Déjà. De surcroît, la lumière blafarde qui est jetée sur le plateau par les ouvertures laisse voir un espace vide de toute activité, de toute vie. Comme une image prémonitoire de la fin, une fois encore.

Par une porte latérale laissant passer un rai lumineux jaune à cour, Lear – Michel Piccoli entre, manifestement en proie à un malaise. La soirée de fête dont il semble s’être échappé fait entendre sa musique et son tumulte, derrière la porte refermée. Il va s’asseoir et convoquer chacune de ses filles pour leur révéler son intention de se retirer des affaires et de partager son empire entre elles.  Cependant, loin du monarque éclairé et juste, il décide de les installer au cœur d’une concurrence malsaine, expliquant que celle qui lui témoignera le plus fortement son amour aura la plus grosse part. Usant du noir au plateau comme du cut au cinéma, les filles se succèdent devant lui. Les deux aînées d’abord, venimeuses et séduisantes dans des tenues et des postures dignes d’un polar. Anne Sée joue Goneril et Lisa Martino, Régane et les deux comédiennes sont formidables tant les deux sœurs racées apparaissent scélérates, conspirant même l’une contre l’autre. Glaçantes. Oswald, l’intendant de Goneril dont le rôle est tenu par Lucien Marchal, l’est tout autant dans ses manigances servant ses propres intérêts. Lear lui-même semble sans grands états d’âme. N’utilise-t-il pas un magnétophone pour faire entendre à Régane l’entretien qu’il a eu avec Goneril ? Procédé bien douteux pour créer la discorde et développer l’esprit de compétition entre ses propres filles. La loi implacable des affaires s’appliquerait donc jusqu’ici.



Cependant, il reste Cordélia, la dernière et la préférée – Julie-Marie Parmentier lui donne l’authenticité de sa jeunesse. Celle qui est étrangère à toute malveillance, à toute tentation de manœuvre pour son propre intérêt. Contre toute attente, elle se trouve à l’origine de la tragédie du roi Lear. Parce qu’elle ne goûte pas ce jeu déplacé, elle refuse de se prêter à la flatterie afin d’obtenir la moindre grâce. Et lance malgré elle, la machine infernale. Le despotisme capricieux et obstiné de ce père omnipotent et à la fin de sa vie va prendre toutes les allures d’une fin de règne. Il prononce des représailles de condamnation sans appel, éructée contre la plus jeune des sœurs au profit des deux autres, qui entraîne l’effondrement du royaume-empire. Et les effets sonores très cinématographiques également, accompagnent la tragique débâcle, avec des cuivres aux sons graves entre autres.

Michel Piccoli s’est pleinement emparé de Lear. Il le porte magistralement et nous entraîne dans sa chute. La tension qu’elle fait naître est rythmée par les fluctuations de la voix de l’acteur : tantôt dans le murmure tantôt dans le cri. On le suit dans cette aliénation physique – son corps robuste vacille jusqu’à l’immobilité fatale. On le suit dans cette aliénation mentale qui le conduit aux confins de la folie, hors de lui-même, réduit à l’état de misérable créature se dénudant sous la neige. Bien sûr, la chute des flocons évoque celle du personnage. L’intérieur de l’espace industriel de la scénographie transcrit son déséquilibre intérieur, se teinte d’un onirisme à la fois beau et angoissant par son irréalité. La douce folie de Funiculi dans laquelle Jean-Paul Farré excelle, souligne la propre démence de Lear, son irrémédiable vulnérabilité, celle de son monde en perdition. Et ce, malgré la fidèle présence de Kent revenant dissimulé sous des sparadraps sur le visage et remarquablement interprété par Gérard Désarthe. « C’est la misère des temps que les fous aient à conduire les aveugles ». Comme Gloucester – très bon Thierry Bosc –  est privé de sa vue, Lear est privé de sa raison, de sa clairvoyance. Vient donc le temps de l’errance, de la déchéance loin de ses filles ingrates. Jusqu’aux brèves retrouvailles avec Cordélia. Jusqu’à l’extinction finale.

On a parfois opposé à André Engel des réserves quant à sa mise en scène, sa direction d’acteurs, y compris de Michel Piccoli. Pourtant, tout au long de la pièce, on est subjugué par la puissance de l’acteur, par sa capacité à passer de la fureur à l’anéantissement, de la dignité aux facéties de l’enfance. Et quand les premières notes du thème de Camille dans Le Mépris se font entendre, il s’arrête et fait dire à son personnage que derrière lui, il faut baisser le rideau de fer après qu’il sera avalé par les ténèbres. Étrange mise en abîme.

Ne ménageant pas sa fatigue au cours de la tournée du Roi Lear, l’acteur enthousiaste affirmait dans une interview  que « c’est une telle jouissance, ce métier ». Tout cela dans un sourire inoubliable. Merci, Monsieur Piccoli.

Lien : https://vimeo.com/420340417


 


Légende photo
Cordelia (Julie-Marie Parmentier) Michel Piccoli (Lear) Crédits photo : © Marc Vanappelghem

Cet article a été écrit par Thierry Jallet

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April 15, 2016 1:55 PM
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On reprend. Simple comme un piège (Roméo et Juliette, de W. Shakespeare)

On reprend. Simple comme un piège (Roméo et Juliette, de W. Shakespeare) | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Roméo et Juliette (Romeo and Juliet), de William Shakespeare, Folioplus, « Classiques  », traduit de l’anglais par Jean- Michel Déprats, dossier par Mériam Korichi, lecture d’image par Juliette Bertron, 272 p., 3,50 €.


C’est à Vérone, dans la perfide Italie de Machiavel et du pape. En été. Il y a une alouette le jour et un rossignol la nuit  ; des bals, des mises en terre  ; des épées prestes aux mains de jeunes emportés, car la ­noblesse est excès  ; le ciel, ici bas, sous forme d’une toute jeune fille  ; l’immensité de nos désirs et la nullité de nos moyens  ; et tout le branle-bas ­de l’imagerie du monde, saisons, étoiles et lunes, leur diversité sans fin dans le même  : on les surcharge de sens, mais elles ne signifient rien. Une précipitation des hommes, des actes, des hasards. Une grande hâte à aller au pire. Pour l’histoire, tout le monde la connaît. C’est dans Shakespeare, qui a pour tâche de divertir le peuple et la reine.

«  Le jour est-il si jeune  ? » Mais oui. C’est le premier coup de foudre de l’Occident, avec libre choix de part et d’autre, sans philtre ni magie. Réciproque, ­consenti, consommé. Le choix d’objet instantané et foudroyant – pas même un choix, puisqu’il n’y a pas d’alternative. L’amour fou vient à l’Occident dans un bal chez les Capulet de Vérone, vu des brumes de la Tamise.

Cette scène du bal, que chacun se croit depuis tenu de rejouer au moins une fois dans sa vie, est réglée comme une ­Annonciation italienne. Il la voit. Elle pend à l’oreille de la nuit. C’est la beauté en personne, et incarnata est. Il marche vers elle. «  Bon pèlerin  », dit-elle. A peine lui fait-on la cour, tout est donné. Elle veut. L’amour leur souffle les mots justes et beaux. Ils sont ange l’un à l’autre, ils voient l’autre tel que Dieu le voit. L’autre existe absolument, il n’y en a qu’un et c’est celui-là. Le souverain bien est de ce monde. Bons pèlerins  ! Un regard, un pas, des mots en accord parfait, deux mains, deux bouches. C’est tout simple. Comme cette simplicité est reposante.

Juvénilité de la douleur

Simple comme un piège  : on épouse, on déflore, et déjà chante l’alouette. Ils ont eu ce qu’ils voulaient, on n’a plus qu’à marcher au pire, car ce qu’on veut est par nature interdit. La loi est sénile. On a vu et touché la seule chose qui vaille en ce monde, et puis on ne voit plus rien. Adieu. «  Ces plaisirs violents ont des fins violentes. »

L’amour est un dit obscène qui fait s’attendrir les vieilles, un rentre-dedans à l’usage des valets. Le bon partenaire, c’est la mort. Il n’y a plus qu’à se ruer d’un imbroglio dans un malentendu, louer des chevaux, acheter à un gueux une mixture noire, galoper de nuit et sortir de cette chair lasse du monde. «  Come death, and welcome. »

«  Mais ces vieilles gens  ! Beaucoup font semblant d’être morts, inertes, lents, lourds et pâles comme le plomb. » Ce n’est pas à eux qu’est dédiée cette jolie édition en Folioplus, ornée d’un petit ­tableau de ­Delacroix où ce qui frappe, c’est la juvénilité de la douleur, du deuil, de la mort. Le lecteur jeune l’entendra.

Mais être lecteur de Shakespeare, comme nous le sommes tous, est une sorte d’hérésie ou de déchéance. Car cela n’a pas été écrit pour qu’on s’en ­délecte dans le silence, la solitude  ; mais pour qu’une foule mélangée y communie dans les mêmes rires, les mêmes larmes  : dans un théâtre populaire. On relève la tête du livre, on entend comme des larmes. Des fantômes de larmes. Les vraies furent versées à Londres, vers 1595.

Pierre Michon
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April 4, 2016 6:32 PM
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Parler sonnets par les sommets de Shakespeare (1/4) : La plus belle des déclarations (textes dits par Jacques Bonnaffé)

Parler sonnets par les sommets de Shakespeare (1/4) : La plus belle des déclarations (textes dits par Jacques Bonnaffé) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Jacques Bonnaffé dit la poésie sur France Culture :


Approcher les Sonnets de Shakespeare, c'est en apprécier au passage quelques traductions à l’oreille. 154 Sonnets forment cet ensemble publié en 1609, dix-sept années avant la mort du dramaturge. A qui sont-ils destinés?

Ecouter l'émission : http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/14484-04.04.2016-ITEMA_20953026-0.mp3

Leur grondement thématique est une déclaration d’amour qui se surpasse dans l’invention et la beauté des métaphores. Le sonnet c’est l’art de la lettre masquée, à chaque page se renouvelle le mystère jamais résolu du destinataire, un jeune homme ( un beau miroir ?) et dans les derniers sonnets une femme, la Dark lady semble vouloir capturer cet amour.

Tenons-nous à quelques points de repère :

La mode du Sonnet venu d’Italie (depuis Pétrarque vers 1360) connait un succès ravageur. Ceux de Ronsard datent de 1578. Cette édition de 1609 arrive après la vague, qui marque une rupture avec la poétique médiévale. Le sonnet c’est une écriture, un concentré.

Un sonnet pour William c’est 14 vers, trois quatrains suivis d’un distique final, tous composés en pentamètre iambique (un mètre poétique très utilisé dans les pièces de Shakespeare). La iambe c’est pas le pied.

La possibilité d’y lire des variations à l’infini, rend plus excitante la question de la traduction. Nous avons choisi quatre traducteurs pour cette semaine, de façon à réentendre parfois le même poème dans ses variantes : Jacques Darras, Yves Bonnefoy, Jean-François Peyret et William Cliff. Certains de ces traducteurs ont eux-même publiés des variations de leur traduction.
Plus qu’à d’autres poèmes la nécessité de voix est bâtisseuse de sens. Parler c’est donner forme au poème. L’interprétation ressemble à une un enquête, se doit de tenir les points de repères sonores sensibles, et les machines d'images n’ont point besoin d’émotions suggestives. Sonnet c’est à dire.

Textes du jour extraits de:

"Sonnets" Nouvelle traduction de Jacques Darras William Shakespeare Edition Grasset

Yves Bonnefoy "Shakespeare : théâtre et poésie", Gallimard

Intervenants
Jacques Bonnaffé : acteur et metteur en scène


Illustration : Ruth Gloess et Juergen Holtz dans 'Shakespeares Sonette' de R.Wilson 2009 • Crédits : TIM BRAKEMEIER/EPA/MaxPPP

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September 23, 2015 6:40 PM
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Les Sonnets de Norah : Shakespeare in love

Les Sonnets de Norah : Shakespeare in love | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Norah Krief - Photo Jean-Louis Fernandez

 

Publié par Philippe Chevilley dans Les Echos


« Alleluia, Shakespeare is a woman ! » Qui mieux qu’une femme pouvait chanter l’amour, le temps qui fuit, la jeunesse insolente ? Comédienne aussi à l’aise dans les grandes tragédies anglaises que dans Molière ou Feydeau, chanteuse arc-en-ciel, lyrique, réaliste et rock, Norah Krief se met dans la peau du grand Will pour interpréter ses « Sonnets ». En 2001, déjà, elle en avait donné une première version chantée. Mais, à la Comédie de Valence, c’est un tout autre spectacle qu’elle nous propose (avec les mêmes musiciens) : un véritable show pop-élisabéthain mis en scène par Richard Brunel.
Sur le plateau : une scène rêvée bordée de grands rideaux, derrière lesquels on imagine quelque spadassin caché, deux loges figurées avec leur miroir sans tain et des tapis d’Orient. Les trois troubadours s’installent dans la pénombre et l’artiste paraît en habit d’homme, comme jaillie d’une taverne du Londres d’il y a quatre siècles. Bientôt lady Norah, telle une star de music-hall, s’effeuillera, pour porter de vaporeuses robes glamour.
Au menu de ce voyage lyrique et théâtral, 17 sonnets-chansons (adaptés par Pascal Collin) qui épousent tous les genres : ballades à la Kurt Weill, ritournelles, world music, hymnes pop ou rock. Avec Richard Brunel – habitué à monter des opéras –, Frédéric Fresson, le compositeur-pianiste, et ses deux acolytes (Philippe Floris à la batterie et Philippe Thibault à la basse) ont épuré les arrangements pour épouser et rendre limpides les vers de Shakespeare. Norah Krief est à l’aise dans chaque registre : gouailleuse, charmeuse et rock.
Courses folles
Comme le poète égaré dans le monde qui puise sa force dans les mots, l’actrice se transcende, emballe le public, avec ses trilles, sa gestuelle et ses courses folles… avec, en point d’orgue, ce pur moment de rock and roll, où elle finit sur le dos. Les surprises s’enchaînent. les belles lumières de Kevin Briard agrandissent la scène, allongent les rideaux, démultiplient le rêve…
Ainsi transcendés par la magie du théâtre, les chants énigmatiques du grand Will défient les âges. Norah Krief porte toute la joie et la mélancolie des « Sonnets », nous fait sourire en un couplet et nous glace en un refrain : « Fatiguée de tout ça, je veux quitter ce monde/Sauf que, si je me tue, mon amour sera seul. » Elle est tout l’amour du monde, chanté par le poète. Elle est « Shakespeare in love ». Shakespeare fait femme, assurément.


LES SONNETS de William Shakespeare. Mise en scène de Richard Brunel. Comédie de Valence, le 18 décembre (04 75 78 41 70), Nice (29 au 31 janvier), Quimper (28 mai).


Philippe Chevilley

 

Et aussi : critique de Véronique Hotte dans son blog : https://hottellotheatre.wordpress.com/2015/09/23/les-sonnets-de-shakespeare-mise-en-scene-de-richard-brunel-avec-norah-krief/

 

AuThéâtre de la Bastille (Paris) jusqu'au 9 octobre

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September 21, 2015 4:59 PM
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Les Sonnets de Norah : Shakespeare in love

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Par Philippe Chevilley pour Les Echos :

 

La comédienne Norah Krief fait swinguer les sonnets du grand Will pendant trois semaines au théâtre de la Bastille. Ici, la critique du spectacle, lors de sa création en décembre 2014 à la Comédie de Valence.
« Alleluia, Shakespeare is a woman ! » Qui mieux qu’une femme pouvait chanter l’amour, le temps qui fuit, la jeunesse insolente ? Comédienne aussi à l’aise dans les grandes tragédies anglaises que dans Molière ou Feydeau, chanteuse arc-en-ciel, lyrique, réaliste et rock, Norah Krief se met dans la peau du grand Will pour interpréter ses « Sonnets ». En 2001, déjà, elle en avait donné une première version chantée. Mais, c’est un tout autre spectacle, créé à la Comédie de Valence, qu’elle nous propose (avec les mêmes musiciens) : un véritable show pop-élisabéthain mis en scène par Richard Brunel.
Sur le plateau : une scène rêvée bordée de grands rideaux, derrière lesquels on imagine quelque spadassin caché, deux loges figurées avec leur miroir sans tain et des tapis d’Orient. Les trois troubadours s’installent dans la pénombre et l’artiste paraît en habit d’homme, comme jaillie d’une taverne du Londres d’il y a quatre siècles. Bientôt lady Norah, telle une star de music-hall, s’effeuillera, pour porter de vaporeuses robes glamour.
Au menu de ce voyage lyrique et théâtral, une vingtaine de sonnets-chansons (adaptés par Pascal Collin) qui épousent tous les genres : ballades à la Kurt Weill, ritournelles, world music, hymnes pop ou rock. Avec Richard Brunel - habitué à monter des opéras -, Frédéric Fresson, le compositeur-pianiste, et ses deux acolytes (Philippe Floris à la batterie et Philippe Thibault à la basse) ont épuré les arrangements pour épouser et rendre limpides les vers de Shakespeare. Norah Krief est à l’aise dans chaque registre : gouailleuse, charmeuse et rock.
Courses folles
Comme le poète égaré dans le monde qui puise sa force dans les mots, l’actrice se transcende, emballe le public, avec ses trilles, sa gestuelle et ses courses folles... avec, en point d’orgue, ce pur moment de rock and roll, où elle finit en vrille, sur le dos. Les surprises s’enchaînent. les belles lumières de Kevin Briard agrandissent la scène, allongent les rideaux, démultiplient le rêve...
Ainsi transcendés par la magie du théâtre, les chants énigmatiques de Shakespeare défient les âges. Norah Krief porte toute la joie et la mélancolie des « Sonnets », nous fait sourire en un couplet et nous glace en un refrain : « Fatiguée de tout ça, je veux quitter ce monde/Sauf que, si je me tue, mon amour sera seul. » Elle est tout l’amour du monde, chanté par le poète. Elle est « Shakespeare in love ». Shakespeare fait femme, assurément.

 


SONNETS de William Shakespeare. Mise en scène de Richard Brunel. Paris, Théâtre de la Bastille (01 43 57 42 14), du 21 septembre au 9 octobre

 


Philippe Chevilley

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September 30, 2024 11:37 AM
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«Les Grands Sensibles» d’Elsa Granat, parentalité à la Shakespeare 

«Les Grands Sensibles» d’Elsa Granat, parentalité à la Shakespeare  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Sonya Faure dans Libération - 30 sept. 2024

 

Au TGP de Saint-Denis, la metteure en scène donne un Romeo et Juliette revisité, où des enfants trop vieux observent avec sévérité leurs parents immatures. Un spectacle fourmillant d’idées mais aussi de temps morts.

 
 

On y serait de toute façon allé rien que pour le titre. Les Grands Sensibles, ou la déconstruction /reconstruction, façon jeu de cubes, de Romeo et Juliette. Un Shakespeare mâtiné de Mary Poppins et de Maria Montessori : dans le dossier de presse, la metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants.

 

 

«Alors on est venu voir le chaos ?» provoque cette femme en peignoir, face public (Elsa Granat elle-même), qui se présente immédiatement : «Je suis mariée à Capulet.» Ici, les mères, globalement, ne vont pas bien. Frère Laurent est naturopathe et Roméo tient les murs avec Hamlet et Ophélie. Ils s’étonnent quand parfois de la «littérature leur sort de la bouche». Il y a beaucoup de générations sur cette scène, et cela, c’est beau : les parents et les jeunes Montaigu et Capulet donc, mais aussi des vieilles (actrices amatrices) qui passent en fauteuil roulant, brandissant des pancartes : «J’entends rien», et les enfants venus d’une classe du Conservatoire municipal de Saint-Denis. Une bande de putti et de pucks qui vient gaiement et régulièrement troller le spectacle.

Dans ce remake de Romeo et Juliette, des enfants trop vieux observent des parents immatures. Un fil narratif qui deviendra peut être un genre en soi, tant les œuvres sur les parents irresponsables se multiplient en ces temps de quel héritage-avons-nous-laissé-à-nos-enfants. Dans un moment creux du spectacle (il y en a) on a pensé au roman de Lydia Millet, Nous vivions dans un pays d’été. Là aussi, dans une bâtisse fin de siècle en voie d’écroulement, des ados regardent sévèrement leurs géniteurs boire et bavasser quand la planète sombre. Mais dans les Grands Sensibles, la charge politique est faible, et les récriminations des adolescents envers leurs parents sont plutôt de l’ordre de l’intime – ce que reproche surtout Hamlet à sa mère, c’est de coucher avec son oncle. Tandis que les parents, eux, plaident leur cause : n’ont-ils pas tout fait pour que leurs enfants n’aient pas d’allergie au gluten, pour retirer avant qu’ils ne puent les maillots de bain mouillés des sacs de piscines, bref, pour que leurs enfants «se réalisent» ?

 

 

On ne peut vraiment pas dire que le spectacle d’Elsa Granat manque d’idées, et les meilleures donnent lieu à des images éclatantes et folles. Mais les Grands Sensibles est un spectacle décousu avec un peu trop de vide entre les fils. Hyperactif et dissipé, que nous dit-il au final à part qu’il serait bon que chacun retrouve sa part d’enfance ? A la volée on gardera les adresses drôles au public, une vieille nourrice délectable (Bernadette Le Saché), les mères aussi défaites que leurs cheveux (Elsa Granat et Hélène Rencurel). Et leurs mots pour dire le manque terrible qu’elles ont de leurs enfants qui pourtant se tiennent devant elles, enfants qu’elles aiment à la folie mais à qui elles reprochent d’être là (pour tout ce que leur présence a fait à leur vie) et de ne déjà plus y être.

 

 

Les Grands Sensibles, ou l’éducation des barbares d’Elsa Granat, au TGP de Saint-Denis jusqu’au 6 octobre, puis en tournée à Thionville, Limoges, Dijon, Quimper…

 

 

 
 
Légende photo : La metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants. (Christophe Raynaud de Lage)
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April 1, 2024 4:20 PM
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Shakespeare était-il une femme ? Critiques de presse à propos du livre d'Aurore Evain :  "Mary Sidney, alias Shakespeare" 

Shakespeare était-il une femme ? Critiques de presse à propos du livre d'Aurore Evain :  "Mary Sidney, alias Shakespeare"  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Critique publiée par Stéphanie Janicot dans La Croix - 6 mars 2024

 

 

Alors qu’une enquête littéraire tente de prouver que l’œuvre théâtrale la plus célèbre au monde a été écrite par une aristocrate anglaise, un livre de poche réhabilite le roi Richard III… Plongée dans les mystères shakespeariens.

 

Depuis le XIXe siècle, la question de l’auteur des pièces attribuées à Shakespeare revient comme un serpent de mer. « On compte environ soixante-quinze prétendants », souligne François Laroque, traducteur, universitaire et lui-même auteur d’un Dictionnaire amoureux de Shakespeare, chez Plon. Mais pourquoi les doutes entourent-ils cette œuvre magistrale ? Premièrement, nous répond notre expert, parce qu’il était issu d’un milieu qui n’était pas intellectuel et ne disposait pas d’une bibliothèque personnelle, alors que son œuvre est truffée de références antiques, classiques, littéraires, issues de centaines d’ouvrages différents. « Un vieux préjugé d’ordre social voudrait que sans éducation, il n’y ait pas de culture possible », précise-t-il. Deuxièmement, il n’existe aucun manuscrit de Shakespeare hormis son testament (et une scène unique exposée au British Museum), dont les pattes de mouche laissent penser que ce géant de la littérature écrivait « comme un cochon ».

 

 

Ces raisons et bien d’autres sont évoquées en détail dans ce Mary Sidney, alias Shakespeare, écrit par Aurore Évain, laquelle est la directrice artistique de la compagnie théâtrale La Subversive qui s’est spécialisée dans la production de pièces du matrimoine. Son enquête est basée sur les recherches de l’américaine Robin P. Williams, publiées sous le titre Sweet Swan of Avon – Did a Woman Write Shakespeare ? Car cette thèse si troublante a déjà quelques adeptes aux États-Unis.

Fauconnerie

Mais qui est donc Lady Mary Herbert Sidney, comtesse de Pembroke ? Cette aristocrate est connue des spécialistes de la littérature anglaise des XVIe et XVIIe siècles. Issue d’une famille proche des Tudors, elle est née dans un manoir à la frontière du pays de Galles (trois ans avant Shakespeare), où elle reçut une éducation remarquable, poésie, rhétorique, sciences, médecine, langues anciennes ou étrangères, musique, fauconnerie – ce qui n’est pas un détail dans l’œuvre du dramaturge.

 

 

Ses parents, auteurs de poésie, l’initièrent tôt à la recherche littéraire. Appelée à 13 ans à la cour de la reine, elle y fut remarquée par Henry Herbert, comte de Pembroke. Mariée à 15 ans, elle fut mère à 18 d’un premier fils, William Herbert. Trois autres enfants suivront. Lady Mary possédait une bibliothèque riche de plus de 5 000 ouvrages dans différentes langues, et son frère aîné Philip Sidney fut, lui aussi, un écrivain célébré malgré son décès prématuré. Très jeune, Mary, fascinée par Cléopâtre, écrivit un Antoine en pentamètres iambiques. Une écriture que l’on trouve déjà chez Christopher Marlowe et qui deviendra propre à William Shakespeare.

 

François Laroque reconnaît qu’il est vraisemblable que la première pièce de Shakespeare ait été jouée à Wilton House, chez Mary Sidney, une mécène de premier ordre. Mais fut-elle encore plus que cela ? Aurore Evain déploie, avec une grande force de persuasion, l’ensemble des thèmes shakespeariens pour nous montrer à quel point ils épousent la biographie de Mary, ses deuils, ses doutes, ses passions.

Collaboration

Sammy Frenée, maître de conférences de littérature anglaise de la Renaissance à l’université d’Orléans est sceptique : « J’aurais bien aimé abonder dans ce sens mais, même si je crois beaucoup à l’idée d’une œuvre collective, rien ne prouve qu’il y ait pu avoir collaboration entre Mary Sidney et Shakespeare. Quant à l’idée qu’elle ait pu l’écrire seule, ça ne me paraît pas plausible. Elle n’avait pas accès au milieu social décrit par Shakespeare dont les pièces étaient assez vulgaires, très populaires, comme des best-sellers. C’était le grand cinéma de cette époque ! » Ce scepticisme est partagé par François Laroque. « Mary Herbert Sidney est d’une famille puritaine protestante proche des Tudors, alors que l’œuvre shakespearienne est empreinte de cryptocatholicisme. »

 

Le fait que Mary Sidney soit apparentée aux Tudors ne pourrait-il pas être rapproché de cet autre livre qui vient paraître en poche ? Réédition d’un polar des années 1950 qui avait alors fait scandale, La Fille du temps, de Josephine Tey (10/18) raconte l’histoire d’un homme hospitalisé qui, pour s’occuper, démontre que le dernier des Plantagenêts, le roi Richard III, n’était en rien le roi sanguinaire présenté par Shakespeare, mais un homme doux et bienveillant. La version théâtrale que l’on connaît est une manœuvre des Tudors pour justifier leur prise de pouvoir. « C’est tout à fait vrai, reconnaît François Laroque. Richard III a été réhabilité il y a une dizaine d’années. Shakespeare n’a pas été le premier à le salir mais il a certainement saisi cette opportunité pour flatter la couronne»

 

Shakespeare n’a pas fini de faire parler de lui. Et si le livre d’Aurore Évain mérite d’être lu, ce n’est pas forcément pour se convaincre de sa thèse mais parce que son raisonnement nous plonge dans la Renaissance anglaise, le règne élisabéthain, les cercles littéraires aristocratiques et, bien sûr, dans l’œuvre immortelle d’un auteur qui est, ou n’est pas, Shakespeare. Comme il vous plaira.

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Mary Sidney, alias Shakespeare

Aurore Evain

Ed. Talents Haut, 384 p., 22 €

 

 

Avant de devenir un essai foisonnant d’informations, cette hypothèse audacieuse fut une pièce de théâtre, et la forme de la narration s’en ressent, pour notre plus grand plaisir. Après avoir brossé le profil type de la personne susceptible d’avoir écrit les pièces de Shakespeare, l’auteure (dramaturge et metteuse en scène) passe en revue les suspects. Elle étudie à la loupe leurs affinités avec les thèmes shakespeariens, leur style, leur cercle de connaissances, leur biographie, presque année par année, leur rapport avec le pouvoir royal. Pour en discuter avec elle, elle convoque deux personnages, l’un à charge, l’autre à décharge. Cette forme rend la lecture vivante, presque ludique. In fine, chacun pensera ce qu’il veut de cette thèse mais on ne pourra nier l’immense intérêt de cette plongée dans le XVIe siècle anglais. Quoi qu’il en soit, revisiter l’œuvre de Shakespeare est toujours un grand bonheur.

 

Stéphanie Janicot / LA CROIX

 

 

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 Article publié sur le site de TV5 Monde Par Louise Pluyaud  le 24 février 2024, émission Terriennes 

 

 

 

Et si l’oeuvre de William Shakespeare avait en réalité été écrite par une femme ? Dans un livre enquête captivant, l’autrice française Aurore Evain avance un nom, Mary Sidney, aristocrate anglaise née au 16e siècle, proche d’Elisabeth Ière et l’un des plus brillants esprits de son temps.

 

Hamlet, Roméo et Juliette, Macbeth … Les pièces du plus célèbre dramaturge anglais n’ont pas livré tous leurs secrets. Encore moins la véritable identité de leur auteur (ou autrice ?). Justement, l’oeuvre de William Shakespeare aurait-elle pu être écrite par une femme ? C’est une théorie défendue outre-Manche, et par Aurore Evain. Dans un livre enquête captivant, l’autrice française, à l’origine des Journées du Matrimoine, avance un nom, Mary Sidney. 

 

 

Entre influence politique à la Cour d'Elisabeth Ière, passions amoureuses, épreuves familiales et travail d'écriture remarquable, la vie de cette comtesse semble étrangement synchronisée avec les cycles de l'œuvre de Shakespeare ...

 
 

Entretien avec Aurore Evain

Terriennes Pourquoi remettre en question l'identité du plus célèbre poète et dramaturge anglais ? Quel est le point de départ de votre enquête ?  

 

Aurore Evain : Je connais bien les autrices du théâtre classique, car j’ai consacré près de trente ans à l’édition et la mise en scène de leurs œuvres. Néanmoins, j’ai toujours buté devant ce mur du génie shakespearien… Certes, on veut bien concéder aujourd’hui que ces autrices aient pu écrire de bonnes pièces. Mais revient sans cesse l’idée qu’aucune n’aurait pu rivaliser avec Shakespeare. Virginia Woolf déclare dans Un lieu à soi que si la sœur de Shakespeare avait existé, même avec le talent de son frère, elle n’aurait pu créer une telle œuvre. Mais c’est oublier que Virginia Woolf écrivait à partir d’une Histoire amputée de la moitié de l’humanité…  

 

Et puis, dans les années 2010, je découvre l’essai de Robin P. Williams dans lequel elle attribue l’oeuvre de Shakespeare à une femme, Mary Sidney. Avant d’écrire cette enquête littéraire, j’en ai d’abord tiré une pièce, Mary Sidney Alias Shakespeare, qui a reçu un très bon accueil. Généralement, en sortant du spectacle, les personnes sont au minimum troublées, et le plus souvent secouées par la démonstration. Il leur devient soudain vraisemblable qu’une femme, au temps de Shakespeare, a eu le génie de Shakespeare… Un siècle plus tard, l’état des recherches nous permet donc de répondre à Virginia Woolf que Shakespeare fut peut-être sa sœur de plume ! 

 
 

Votre principale suspecte se nomme Marie Sydney. Qui était cette femme ?  

 

Mary Sidney, comtesse de Pembroke,  évolue dans les milieux de la grande aristocratie élisabéthaine. Elle est l’une des femmes les plus cultivées et brillantes de son temps, mais aussi l’une des plus illustres inconnues qui peuplent l’histoire littéraire… Elle et son frère ont l’ambitieux projet de créer de grandes œuvres en langue anglaise, à une époque où l’anglais était loin d’être une langue de premier plan. Il meurt jeune, et Mary Sidney va poursuivre seule cette mission : elle va alors développer le plus important cercle littéraire de l’histoire anglaise.  

 

Polyglotte, parlant couramment latin, et maîtrisant sans doute le grec, d’une érudition exceptionnelle, elle pratique l’alchimie et la médecine, la musique, la fauconnerie, la politique, l’occultisme… Elle est aussi la première femme dans son pays à publier une pièce en anglais : une tragédie traduite du français, qui fut une source d’inspiration pour ses contemporains et servit de modèle à l’Antoine et Cléopâtre de Shakespeare.  

 

Le génie littéraire et artistique de Mary Sidney était donc reconnu à son époque. Pourquoi n'aurait-elle pas signé de son nom les œuvres que l'on attribue à William Shakespeare ? Et comment a-t-elle pu tomber dans l'oubli ?  

 

 

A l’époque, il était impensable pour un homme de l’aristocratie de publier sous son nom des pièces de théâtre jouées par des troupes professionnelles. Et donc inimaginable de la part d’une aristocrate ! Les actrices elles-mêmes n’étaient pas autorisées sur la scène publique. En dehors même du théâtre, publier une œuvre pour une femme de son rang n’était pas admissible : afficher ainsi son nom, en faire commerce, c’était devenir une "femme publique", comparable à de la prostitution. Ou alors il lui fallait intervenir dans des genres bien spécifiques, comme la traduction, si possible d’œuvres religieuses ou morales.  

 

 

Il existait des hommes féministes à l’époque. On les appelait les "champions des dames"… Mais certainement pas ce William Shakespeare... Aurore Evain

 

 

Or Mary Sidney va être la première autrice à ne pas s’excuser de publier ses œuvres. En tant qu’éditrice de l’œuvre posthume de son frère, elle va également promouvoir une culture de l’impression qui va très vite remplacer celle du manuscrit, qui prévalait encore. En revanche, si elle est parvenue de son vivant à faire tomber une partie des barrières imposées aux femmes désirant écrire et publier, à sa mort, elles vont à nouveau retomber sur elle, et effacer son nom de la postérité. Seul son frère, Philip, décédé à 31 ans, est resté dans les mémoires de la littérature anglaise. 

 

 

"Shakespeare n'a pas de héros, il n'a que des héroïnes !", affirmait l'un de ses éminents traducteurs, Marcel Proust. Vous-même insistez sur le fait que ses pièces mettent en scène des personnages féminins "forts, agissants, indépendants d'esprit et qui se travestissent parfois en garçon pour faire ce qui doit être fait". Pour autant, cela prouve-t-il qu'elles ont forcément été écrites par une femme ?  

 

 

En effet, il existait des hommes féministes à l’époque. On les appelait les "champions des dames". Un auteur aurait donc très bien pu écrire une telle œuvre aux voix féminines puissantes… Mais certainement pas ce William Shakespeare né à Stratford-sur-Avon ! Le peu de choses que l’on connaît de sa vie laisse le portrait d’un homme qui n’a pas éduqué ses filles et qui suspend leur héritage à la condition qu’elles aient des descendants mâles.  

En revanche, un grand nombre d’aspects de la vie et des œuvres de Mary Sidney coïncident étrangement avec l’œuvre shakespearienne. Comme cette grotte dans Cymbeline qui correspond trait pour trait à celle du château de Pembroke où vivait Mary Sidney. Les éléments de sa vie, notamment son histoire d’amour avec son médecin, se raccordent au script de Tout est bien qui finit bien. Il n’existe pas de preuves irréfutables en soi, mais un amoncellement de faits documentés, d’arguments sourcés, de coïncidences troublantes, qui, mises bout à bout, interrogent, déconcertent, et finissent par convaincre de la vraisemblance de cette thèse. Au vu de tous ces éléments, à chacun et chacune ensuite de poser son propre verdict !  

 

Que répondre à celles et ceux qui accuseraient votre enquête de "théorie du complot" ou affirmeraient :  "Qu'importe qui a écrit les oeuvres ! Tant que nous avons les pièces" ?  

 

 

Face à la vacuité des arguments en faveur du William Shakespeare de Stratford, ses défenseurs se bornent à renvoyer la question de l’identité littéraire shakespearienne à une "théorie du complot". Or il n’est nulle part question de complot : personne n’est accusé de vouloir sciemment cacher la véritable identité de Shakespeare.

En revanche, le vide biographique qui entoure le fameux William Shakespeare de Stratford-sur-Avon soulève à juste titre des questions depuis plusieurs siècles déjà, et chez des esprits éminents. On devrait donc pouvoir interroger sereinement cette construction littéraire sans être dénigré.e ou taxé.e de conspirationnisme. D’autant que ce "mystère" auctorial est au cœur même de l’œuvre shakespearienne, qui ne cesse de questionner l’être et l’apparence, de cacher le vrai derrière le faux, et de travestir des filles en garçons… C’est aussi ce qui justifie la pertinence de cette question, du point de la vue de la recherche.  

 

 

Savoir qu’une femme est probablement à l’origine d’une telle œuvre ne changera pas sa puissance, mais renverse l’histoire de la littérature. Aurore Evain

 

 

Enfin, savoir qu’une femme est probablement à l’origine d’une telle œuvre ne changera pas sa puissance, mais renverse l’histoire de la littérature telle qu’elle s’est écrite. Cela remet en question son androcentrisme, et ses conséquences sur la légitimité des femmes à penser, créer, diriger, participer au mouvement du monde. Cela permet également de relire Shakespeare avec d’autres lunettes. Bref, c’est la promesse de redécouvrir une œuvre sous un autre jour, et de voir s’y déployer plus clairement la parole féministe de Shakespeare, de réaliser notamment combien elle est traversée par la Querelle des femmes, ce long débat sur l’égalité femmes-hommes qui occupait déjà beaucoup ses contemporain.es à l’époque. 

 

 

Si le fantôme de Mary Sidney pouvait apparaître à la barre, telle une mystérieuse héroïne shakespearienne, quelle(s) question(s) lui poseriez-vous ?  

 

 

Êtes-vous toujours d’accord avec Juliette quand elle déclare à Roméo : Qu’y-a-t-il dans un nom ? La fleur que nous appelons rose embaumerait autant sous un autre nom... Et bien sûr  : "Jurez-vous de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ?"… Mais surtout, pour pouvoir boucler notre enquête sur des preuves tangibles : où sont passés vos manuscrits ?! 

 

Propos recueillis par Louise Pluyaud / Emission Terriennes - TV5 Monde 

 
 

 

 
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April 12, 2023 1:07 PM
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Adama Diop au cœur d’Othello

Adama Diop au cœur d’Othello | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière dans le site "L'Oeil d'Olivier" - 12 avril 2023

 

Au théâtre de l’Odéon, le comédien franco-sénégalais incarne brillamment le Maure de Venise, dans la mise en scène réjouissante de Jean-François Sivadier. Rencontre autour de ce personnage mythique et complexe, qui du haut de ses 419 ans, demeure encore d’actualité.

 

 

Il est 18h30. Le théâtre s’anime. Nous sommes un mardi, et donc dans l’effervescence d’un lendemain de relâche. Jean-François Sivadier est là, sourire aux lèvres, accueillant. Il règne une joyeuse atmosphère, celle des succès. Le public parisien est au rendez-vous de cet Othello, comme il l’a été dans toutes les villes où le spectacle s’est joué, tel le TNP de Villeurbanne où j’ai découvert le spectacle. Adama Diop me reçoit dans sa loge à la fois moderne et monacale. Le comédien, lauréat l’année passée du Prix du Syndicat professionnel de la Critique du meilleur comédien, pour sa prestation dans La Cerisaie, mis en scène par Tiago Rodriguès, irradie de ce bonheur d’être sur scène, au service d’un texte et d’un metteur en scène.

Comment le projet d’Othello est arrivé-il jusqu’à vous ?

Jean-François Sivadier m’a vu dans un spectacle mis en scène par Arthur NauzycielMes frères, écrit par Pascal Rambert. À la sortie du spectacle, après m’avoir complimenté sur mon travail, il m’a dit qu’il avait envie que l’on se rencontre sur un projet commun. Je lui ai répondu, bien évidemment, que j’en serai très heureux. Quelque temps après, il m’appelle. Il pensait monter  Othello. Il voulait me proposer ce rôle et me précise que Nicolas Bouchaud serait Iago.

Quelle a été votre réaction ? Parce qu’Othello ce n’est pas rien dans sa signification.

Le fait que l’on accepte un rôle, comme le fait que cela fasse écho en nous ou pas, dépend du contexte. Il se trouve que là, il y en avait deux. Chacun coïncidait avec mon arrivée en France. Le premier était Jean-François Sivadier. Sa Vie de Galilée fut un des tous premiers spectacles que j’ai vus en arrivant. Un choc.
Le second est qu’à cette même époque, j’ai lu pour la première fois ce texte. Cela m’a intéressé de replonger, vingt ans après, sur cet Adama-là qui arrivait en France. Et quel meilleur rôle que celui d’Othello pour questionner son rapport à un pays où l’on n’est pas né, où l’on doit s’affirmer, où l’on doit être soi-même ? J’aime aller vers des projets complexes et difficiles. La facilité aurait été de me dire que c’est une pièce problématique et que j’ai autre chose à faire, que l’on me propose d’autres rôles où la question de la couleur de peau n’est pas du tout une question. Non, j’ai trouvé que cela valait le coup de me coltiner ce sujet-là, avec Jean-François, avec cette troupe.

Avec ses scarifications, ses longs cheveux crépus, L’Othello de Sivadier est un personnage qui retrouve ses origines et son passé…

Ce qui est passionnant dans notre métier, c’est de pouvoir ramener tous ces grands personnages, ces grandes œuvres, à nous-même. C’est mon histoire personnelle. J’avais envie que cet Othello porte fièrement ses cheveux, ses marques. C’est un homme qui n’a pas de problème avec ce qu’il est et d’où il vient. Son problème est que la société, dans laquelle il vit, ne veut pas de lui. Il y a une notion qui est celle de l’intégration. Cette notion complexe qui impliquerait que pour faire partie de nous, tu dois oublier quelque chose de toi.

 

Je trouvais aussi intéressant qu’il soit un Othello un peu plus insolent. Qui dit fièrement avoir traversé le monde, la mort, l’esclavage pour être là où il en est. Il ne doit aucun compte à personne. Il l’exprime dès le début : « Je tiens ma vie et mon être d’hommes de lignée royale et mes mérites peuvent d’égal à égal prétendre à une fortune aussi élevée que celle que j’ai acquise… » Une manière de dire : je ne rougis, je ne baisse les yeux devant personne ici. Même pas devant le Doge ! Je trouvais cela intéressant que cet Othello d’aujourd’hui, qui correspond à cet Adama de 2023, dise qu’il n’a pas de problème.

Et qui continue à parler sa langue maternelle…

Quand Jean-François m’a parlé de la question de la langue. Je lui ai répondu que je trouvais que c’était une bonne idée, mais que je ne voulais pas que cela soit utilisé de manière exotique. Il fallait qu’elle ait un vrai impact. C’est pour cela qu’elle est quasi réservée qu’à Desdémone. Cela raconte ce qu’ils partagent dans leur intimité.

Justement, un mariage mixte est nourri par cette mixité entre deux cultures. C’est d’ailleurs très joliment traité. Comment avez-vous travaillé cela ?

Deux êtres qui se découvrent, se voient, se comprennent, se sentent, c’est au-delà de la couleur de peau, de la langue. Ce n’est pas un frein ! Au contraire, c’est une richesse. Comment cet homme qui est né sur les terres africaines, on suppose la Mauritanie, qui a traversé le monde et la violence, a pu émouvoir une jeune aristocrate qui a priori n’a rien à voir avec son univers ? Ils se reconnaissent dans leur besoin de vivre autre chose. Elle en tant que femme. Tous les deux ont un mépris de la destinée et veulent vivre autre chose. Alors, pourquoi ne pas vivre ensemble ? C’est magnifique.
Quant au langage, c’est la possibilité de partager quelque chose qui nous est très intime, qui raconte d’où l’on vient. C’est accepter l’autre profondément, dans sa complexité et dans sa richesse. Lui, il a déjà fait une partie du chemin. Il a appris les codes du monde de Desdémone. C’est donc à son tour de rencontrer, par sa langue et sa culture, le pays d’où il vient. C’est une manière de l’aimer aussi.

Ce qui m’a impressionné, c’est que lorsque le Maure de Venise arrive, on est loin de l’image du grand chef, on songe à ces enfants soldats, à ces mercenaires…

Ce qui est sûr, c’est qu’il a été au contact de la violence assez tôt. Il dit au tout début : « Depuis que mes bras eurent leurs forces de 7 ans jusqu’à ces neuf derniers moi, ils ont déployé leurs plus précieuses actions dans des camps militaires ». Othello a toujours baigné dans un univers de violence. C’est Desdémone qui lui ouvre les portes d’un monde qu’il n’aurait jamais imaginé pour lui-même. C’est en ça que je trouve cette tragédie terrible. Le bonheur potentiel de ces deux êtres, qui défie le monde qui les entoure, est mis à mal. Parce que lorsque tu grandis avec cette idée que tu n’es pas légitime, que tu ne feras jamais partie d’une société, que tu seras toujours l’autre, et qu’enfin, tu aimes quelqu’un et que l’on te dit que cette personne te trompe, c’est alors le monde qui s’écroule.

Et c’est pour ça que le perfide Iago a pu œuvrer ?

C’est presque par accident. En-tout-cas, c’est ma lecture. Il me semble que la perfidie de Iago vient toucher un endroit insoupçonné d’Othello. Ce n’est pas une question de jalousie, mais une question d’appartenance, de confiance. J’aime la phrase où Othello dit à Desdémone : « Que le ciel prenne mon âme, si je ne t’aime pas et quand je ne t’aimerai plus, ce sera le retour du chaos ». Avant Desdémone, c’est le chaos. Après Desdémone, c’est le chaos. Et que cette personne-là, qu’il chérit, puisse potentiellement être comme les millions d’autres qu’il a croisés dans sa vie, ceux qui n’ont jamais voulu de lui, cette idée lui est insupportable. À partir de là, c’est foutu !

En vous regardant sur scène avec Nicolas Bouchaud, on sent un plaisir de jouer ces deux grands personnages…

Je ne vais pas parler à sa place, mais je pense que Nicolas a eu plus de plaisir à travailler Iago que moi Othello. Encore aujourd’hui, il y a plein d’Othellos. C’était pour moi un combat. Je ne suis pas tout à fait à l’endroit du plaisir. Je reconnais que l’acteur que je suis à la chance d’avoir à interpréter un grand personnage shakespearien. Mais il se trouve qu’il est complexe, qu’il remet en question un système qui existe encore aujourd’hui.
Tout ça passe par le travail, qui permet la construction du personnage. Celle-ci se fait en plusieurs étapes qui ne sont pas simples. Nicolas est un comédien extraordinaire. Son Iago est terrible. Il ne dit pas tout de suite : attention, vous allez voir, je suis très méchant. Au début, Iago a l’air presque nul. On a le sentiment qu’il ne sait même pas ce qu’il fait. Or tout cela n’a pour but que de fomenter sa trahison, pour installer ce chaos qui va engendrer tous ces morts. C’est terrifiant.

Certains pensent que la pièce aurait dû s’appeler Iago…

Non, je ne crois pas. Le sujet qui est au centre des réflexions, c’est Othello. Il n’y a pas d’Othello, il n’y a pas de pièce. C’est mon interprétation. Il y a dans l’œuvre de Shakespeare un personnage extraordinaire, Richard III, qui possède un côté Iago : Je ne suis pas bien alors il faut que je me venge sur le monde.

Avant d’arriver à l’Odéon, vous avez joué dans de nombreuses villes de province, quelles ont été les réactions du public et surtout de la jeune génération ?

J’ai la sensation que le public a été globalement enthousiaste. J’ai été particulièrement surpris par la réaction très vivace des lycéens. Ils avaient beaucoup d’interrogations et de questionnements, par rapport à ce que draine la pièce : le racisme, la misogynie, le patriarcat, les féminicides. Cette génération porte, sur ces sujets, un autre regard que la nôtre, par exemple. Je trouve que ces lycéens arrivaient à discerner la complexité du personnage. Othello est impardonnable d’avoir commis un féminicide, mais on peut comprendre son parcours et ce qu’il a traversé. À l’inverse, des jeunes, entre 20 et 25 ans, ont trouvé cela inadmissible de voir ça aujourd’hui sur scène. Parce que trop violent, mais surtout parce qu’ils trouvaient qu’il y a trop de rôles masculins et pas assez de féminins. On a dû rappeler que c’est un Shakespeare ! Je trouve ces débats passionnants !

Cela illustre bien, qu’en 2023, les pièces de Shakespeare, comme celle de Molière, peuvent encore nous parvenir…

C’est même ça qui est fascinant. Il y une relecture quasi infinie.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Othello de William Shakespeare.
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris.
Du 18 mars au 22 avril 2023.
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h.
Durée 3h20, avec entracte.

Traduction de Jean-Michel Déprats.mise en scène de Jean-François Sivadier.
Collaboration artistique de Nicolas Bouchaud et Véronique Timsit.
Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda et Émilie Lehuraux.
Avec la participation de Christian Tirole et Julien Le Moal.
Scénographie de Jean-François Sivadier, Christian Tirole et Virginie Gervaise.
Lumière de Philippe Berthomé et Jean-Jacques Beaudouin.
son d’Ève-Anne Joalland.
Costumes de Virginie Gervaise.

 

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March 23, 2023 1:28 PM
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A l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Jean-François Sivadier met en scène un Othello qui pourrait être notre contemporain

A l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Jean-François Sivadier met en scène un Othello qui pourrait être notre contemporain | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 21 mars 2023

 

Emmenée par un trio de comédiens : Nicolas Bouchaud, Adama Diop et Emilie Lehuraux, la version de la tragédie de Shakespeare jette des ponts entre la culture élisabethaine et celle du XXIe siècle.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/03/21/a-l-odeon-theatre-de-l-europe-jean-francois-sivadier-met-en-scene-un-othello-qui-pourrait-etre-notre-contemporain_6166423_3246.html

Acte V de la tragédie de Shakespeare : Othello étrangle Desdémone. La messe est dite et Iago peut sourire. Le Maure, son ennemi juré, vient de rallier le camp du mal. A son corps défendant, toute raison anéantie, dévoré par la jalousie, sourd aux suppliques de sa victime et innocente épouse, Othello se conforme, en bout de course, à l’image qu’avaient de lui les notables racistes de la République vénitienne : il est l’étranger, donc le danger. Il est le Noir, donc le sauvage. Cette tragédie d’un destin écrit à l’avance est emmenée par un mémorable trio de comédiens : Adama Diop en Othello, Nicolas Bouchaud en Iago et Emilie Lehuraux en Desdémone.

 

 

Peut-on échapper aux assignations brandies par la norme lorsqu’on incarne une différence qui menace cette norme ? La question agite nos sociétés occidentales, mais le spectacle proposé à l’Odéon-Théâtre de l’Europe rappelle qu’en 1603 Shakespeare en avait fait le levier d’un drame amoureux, social et politique. Nous sommes toujours les contemporains des personnages de l’élisabéthain, semblables dans la peur, égaux en abjection.

 

 

 

Les clins d’œil du metteur en scène Jean-François Sivadier à une culture du XXIe siècle jettent un pont entre les époques. Chansons pop du groupe Queen entonnées par les interprètes et apparition sur le visage de Iago du rictus du Joker (antihéros du film Batman) corrèlent le propos au présent et connectent ce spectacle populaire, passionnant et intelligent à une jeunesse qui aurait tort de lui préférer une sortie au cinéma.

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le comédien Adama Diop, l’Othello des temps nouveaux

Rappel des faits : Othello, général de la République de Venise, est un soldat valeureux promu pour ses faits d’armes par ses supérieurs mais honni des envieux, qui le tolèrent dans leurs rangs jusqu’au moment où ils le broient corps et âme. Ancien esclave né dans de lointaines contrées, il est noir. Sa réputation courageuse l’affranchit – croit-il – des règles et des lois. Il épouse ainsi Desdémone en cachette. Et refuse à Iago une promotion qu’il accorde à Cassio (Stephen Butel). Double offense. Son châtiment sera à la hauteur de l’outrage.

« Blackface » inversé

Haï par le père de Desdémone, Brabantio (Cyril Bothorel), qui ravale sa rage en rabattant sur ses mollets les pans de son peignoir dans une séquence parodique digne d’un vaudeville de Feydeau, Othello devient le jouet d’une manipulation diabolique. Celle qui est ourdie par le rusé Iago, à qui sont adressées (ce n’est pas un hasard) les premières répliques du spectacle : « Tais-toi ! », lui hurle son homme de paille, Roderigo (Gulliver Hecq). L’invocation reste lettre morte. Dommage, car la parole de Iago est la seule arme dont il dispose. Pour détruire l’époux de Desdémone, ce soldat de seconde zone ne recourt qu’au verbe. Mais quel verbe !

 

Le décor est un chantier précaire : suspensions de rideaux transparents derrière lesquels se discernent les coulisses d’actions silencieuses et statiques, immenses cadres de bois ajourés peu à peu hissés vers les cintres, ce qui donne l’impression que le plateau s’enfonce vers les bas-fonds. L’histoire démarre à la surface du sol, là où règne le sens commun. Elle s’achève sur le lieu de la mise à mort et dans la cave de la psyché humaine, là où la logique a abdiqué devant la folie.

 

Entre-temps, le cerveau d’Othello aura été vampirisé. Il aura même été colonisé à coups de suspicions perfidement créées par Iago, qui instille dans la tête du général vénitien le poison de la jalousie. Un harcèlement si bien mené qu’il pousse le mari au féminicide lors d’une scène éprouvante et traitée comme telle par le metteur en scène, dont le travail, d’une extrême subtilité, enchâsse les hypothèses de lecture.

Pour la troisième fois seulement dans l’histoire du théâtre, un comédien noir endosse le rôle-titre

D’où les interrogations qui assaillent un public interloqué par la rapidité d’Othello à basculer de la confiance amoureuse au doute dévorant. D’où son trouble lorsqu’il se grime le visage de blanc au moment d’étrangler Desdémone. Ce « blackface » inversé n’est pas neutre dans un spectacle où, pour la troisième fois seulement dans l’histoire du théâtre, un comédien noir endosse le rôle-titre. Alors qu’il devient meurtrier et quitte, par ce geste monstrueux, les rives de la civilisation, Othello cesse de s’appartenir. Il n’est plus Othello mais la créature de Iago. Il n’est plus noir mais blanc. Comme sont blancs les dignitaires vénitiens, dont la couleur de peau est un vernis trompeur.

 

 

Ce que Shakespeare abîme dans son drame (l’acceptation de la différence, le respect dû à l’altérité, la dignité des femmes bafouée par la misogynie patriarcale), cette mise en scène d’une virtuosité épatante le répare. La vérité éclate dans la bouche d’Emilia, l’épouse de Iago, qui prend sur elle de réintroduire un peu de justice dans le chaos. La comédienne Jisca Kalvanda est Emilia. C’est une femme. Elle est noire. Là encore, il n’y a pas de hasard. L’appartenance de l’actrice à ces deux minorités est un signal qui peut se décoder ainsi : ce n’est pas dans la majorité que se trouve actuellement la possibilité de l’équité.

 

 

Othello, de Shakespeare. Mise en scène : Jean-François Sivadier. Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Emilie Lehuraux. Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris 6e. Jusqu’au 22 avril. De 6 € à 41 €.

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

Légende photo : Desdémone (Emilie Lehuraux) et Othello (Adama Diop), le 12 novembre 2022, dans « Othello », mis en scène par Jean-François Sivadier, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

 

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October 10, 2022 7:00 AM
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«Le Roi Lear», Shakespeare en pire. Critique de Philippe Lançon dans Libération

«Le Roi Lear», Shakespeare en pire. Critique de Philippe Lançon dans Libération | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Lançon dans Libération - 9 octobre 2022

 

A la Comédie-Française, Thomas Ostermeier fait de l’œuvre mythique et complexe une pièce fade, sous prétexte de la rendre «actuelle». Une adaptation grotesque.

 

Le Roi Lear, une pièce de 1606, entre au répertoire de la Comédie-Française, mais elle y entre comme le chien d’un mauvais maître : mal nourri, battu et pelé. Ce traitement est annoncé en tête de programme : «D’après William Shakespeare.» Ce n’est ni nouveau ni surprenant. Le Roi Lear, œuvre mythique assez longue, sauvage, emphatique et compliquée, est souvent «adaptée», tant elle risque le désastre lorsqu’elle est montée intégralement. Ce qu’on voit ici est donc une version didactiquement abrégée. Elle est accommodée à la sauce transgenre et minoritaire du jour, avec les habituels écrans cacophoniques géants et les moments de stand-up, style Shakespeare Comedy Club, propres au metteur en scène allemand Thomas Ostermeier. Le tout semble destiné à évangéliser le public tout en flattant sa familiarité.

 

 

Ostermeier, qui a déjà raté dans la même salle la Nuit des rois, s’inspire de la nouvelle traduction de la pièce par Olivier Cadiot (1), mais il n’en a conservé guère plus qu’il n’y a de chair et de cheveux, dans Hamlet, sur le crâne du bouffon Yorick. Des personnages ont disparu, des scènes sont coupées ou travesties. C’est ici Goneril, transformée par Marina Hands en longue garce nazie, qui arrache le premier œil du duc de Gloucester, et non, comme dans le texte, son beau-frère le duc de Cornouailles, mari de sa sœur Regan. La guerre théâtrale au patriarcat est particulièrement efficace, à défaut d’être légère : les époux des deux vilaines filles du roi et le duc d’Albany se sont volatilisés. Quant à Kent, le bon Kent, fidèle à Lear d’un bout à l’autre, il est joué par une actrice noire (Séphora Pondi), tout comme la brave Cordélia (Claïna Clavaron) : l’intersectionnalité s’expose sur les planches. Le résultat est un spectacle coiffé d’une dentelle de plomb : tout ce que l’idéologie et la complaisance peuvent faire à une telle œuvre, sous prétexte de la décrasser et de la rendre «actuelle», on le voit.

 

Un seul personnage tire son épingle du jeu

Le premier à en souffrir, c’est le roi. Ostermeier en fait un vieillard ridicule, obsédé, rendu volontairement inaudible par l’écran vidéo lorsqu’il déclame sous l’orage. Ça va sans Lear, donc ça ne va pas. Rien ne rend sa folie à son mystère, ni à son drame. Il finit sa vie dans un fauteuil roulant, main tremblante, et il ne meurt même pas. Ach ! Mais qui va payer l’Ehpad ? La brave Cordélia, sans doute, puisqu’elle aussi dans cette adaptation survit. Shakespeare n’aurait pas dû les tuer, pense Ostermeier, qui explique son choix : «Dois-je prendre le parti de cette fin tragique, mais mélodramatique, ou bien imaginer, lorsqu’il est question de pouvoir, que tout bouge mais finalement tout demeure ?» On pourrait répondre que si, dans la pièce, Lear et sa fille Cordelia meurent, celui qui la conclut, le bon Edgar, fils légitime de Gloucester trahi et pourchassé, a peu d’illusion sur la malédiction du pouvoir et du temps : «Au fardeau de ce triste temps, nous devons obéir. Exprimer ce que nous ressentons, sans souci du bien dire. Les plus vieux ont le plus souffert, nous, les plus jeunes, ne verrons jamais autant de choses. Nous ne vivrons jamais aussi longtemps.» Mais cette réplique n’est pas dite sur scène.

 

Un seul personnage tire son épingle du jeu : Edmond, fils bâtard de Gloucester, frère d’Edgar. Celui qui par envie, frustration, ambition, cruauté, trahit le premier, calomnie le second, séduit les deux filles méchantes de Lear au point de les dresser l’une contre l’autre. Bref, le fouteur de merde. Dans son éclatante vilenie, on sent qu’il a les faveurs d’Ostermeier : c’est presque un personnage de Jean Genet, un monstre certes, mais engendré par une société jugée et condamnée. Christophe Montenez, abonné aux rôles de folles tordues, le joue si efficacement qu’il donne le ton du spectacle : celui du sarcasme. Il s’adresse au public, comme Iago, comme Frank Underwood, et le fait réagir, en lévitation diabolique, depuis une passerelle traversant l’orchestre. Le seul héros, c’est lui.

Aucune dignité dans le Lear qu’on voit

Revenons, pour finir, à celui qui n’en est plus un : Lear. Denis Podalydès l’incarne… l’incarne ? Ce grand acteur virtuose est coincé dans son personnage monocorde et inexistant, un pâle sourire errant sur son visage comme lui-même dans la lande. Inexistant, car, à part quelques rires, il ne provoque aucune émotion. Que reste-t-il de Lear, sans émotion ? Elle seule permet de sentir, de rejoindre son gouffre. Deux remarques éclairent, a contrario, la faute d’Ostermeier. Jean-Michel Déprats, traducteur de l’œuvre complète de Shakespeare dans La Pléiade, rappelle que «Lear entre dans la folie avec dignité. Gielgud et les meilleurs interprètes du rôle l’ont bien compris. Le grotesque est présent, mais à l’accentuer on affaiblit le tragique».

 

 

Aucune dignité dans le Lear qu’on voit : il est réduit par une sociologie militante à son pouvoir patriarcal. Le grotesque est si accentué que le tragique disparaît. Le poète Yves Bonnefoy, autre traducteur du Roi Lear, a défini ce tragique : «Derrière ce personnage si remarquable, mais dont les dimensions inusuelles signifient surtout l’ampleur des périls qui nous guettent, l’ampleur aussi des ressources que nous avons, le vrai objet de l’attention de Shakespeare, la vraie présence qui naît et risque de succomber mais triomphe, c’est cette vie de l’esprit dont témoignent Lear, mais aussi Edgar, et dans une certaine mesure Gloucester encore et même Albany : et que désigne le mot ripeness. Ripeness, la maturation, l’acceptation de la mort […] comme occasion de s’élever à une compréhension vraiment intérieure des lois réelles de l’être.» Dans le texte, c’est Edgar qui le dit : «Ce qui compte, c’est d’être prêt.» Sur scène, personne ne l’est.

Le Roi Lear, d’après William Shakespeare Mise en scène de Thomas Ostermeier. Comédie-Française, Salle Richelieu, 20h30. (1) Chez P.O.L. (251 pp, 16€). Une fois de plus, Cadiot parvient à rendre la puissance, la subtilité et la jeunesse de la langue de Shakespeare, en alliant fidélité, naturel, vitesse et poésie.
 

 

 

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October 3, 2022 10:25 AM
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Shakespeare se refait une beauté dans "la maison de Molière"

Shakespeare se refait une beauté dans "la maison de Molière" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par AFP pour le site France24 - publié le 27 sept. 2022

 

 

Paris (AFP) – Shakespeare, plus accessible en français que dans sa propre langue? En proposant une nouvelle traduction du Roi Lear, un éminent metteur en scène et un acteur star, la Comédie-Française offre une seconde jeunesse à ce monument théâtral du XVIIe siècle.

 

 

"Shakespeare échappe au traducteur par le style, il échappe aussi par la langue", écrivait Victor Hugo, dont le fils François-Victor a été un des grands traducteurs du Barde. Et pourtant innombrables sont les mises en scène de ses pièces dans la langue de Molière.

Difficile de croire donc que Le Roi Lear, qui fait partie de la trinité shakespearienne avec Macbeth et Hamlet, n'a fait son entrée au répertoire du Français qu'il y a quelques jours, avec son "roi" Denis Podalydès dans le rôle-titre, une mise en scène de l'Allemand Thomas Ostermeier, et une traduction de l’écrivain Olivier Cadiot.

 

 

- Ni vers ni octosyllabes -

 

Pour le trio, il n'y a aucun doute sur la nécessité de revisiter le texte en français pour qu'il parle au public d'aujourd'hui, tout en gardant la poésie.

 

"On a besoin aujourd'hui de retraduire les grands textes avec la société et le langage qui changent; une traduction plus ancienne parlerait plus de la société dans laquelle elle a été traduite", assure à l'AFP Denis Podalydès qui a déjà incarné "Hamlet" au Français ou encore "Richard II" (au festival d'Avignon).

 

"Ce n'est pas une question de modernité, mais de compréhension", souligne Ostermeier, dont c'est le deuxième travail avec la troupe après une production décapante de la comédie shakespearienne "La Nuit des Rois" en 2019, avec des scènes de drag queen, de concert techno et de strip-tease.

 

 

"Beaucoup de gens ont une mauvaise image de Shakespeare car ils ont vu de mauvaises productions avec de vieilles traductions", commente-t-il.

 

 

Il rappelle que le Barde a écrit en "vers blancs" (poésie sans schéma de rimes formel). "Dans d'autres langues comme le français ou l'allemand où il y a plus de syllabes, il faudrait réduire le nombre de mots pour respecter cela, mais ça enlèverait du contenu", affirme le metteur en scène qui a monté plusieurs pièces de Shakespeare.

 

Il veut avant tout "que le public comprenne l'intrigue complexe" autour de ce roi qui décide de partager son royaume entre ses trois filles mais qui demande en échange une déclaration d'amour, avant d'être déçu par la retenue de sa fille préférée, Cordélia, et de la bannir injustement.

 

 

"C'est très difficile pour les spectateurs de s'intéresser à la pièce s'il n'y a pas cette fluidité", renchérit Olivier Cadiot, qui avait déjà traduit la Nuit des Rois à la demande d'Ostermeier.

 

"Mon travail consiste non pas à rafraîchir au sens vulgaire ou à rendre moderne, mais à +dénuder+ un peu le texte pour qu'il puisse venir un peu rapidement vers nous; c'est comme si on décapait un parquet ou enlevait le vernis sur un tableau", poursuit l'écrivain.

 

 

Mais à quel point le texte qu'on entend est-il du Shakespeare?

Pour lui, c'est "une question de respect de la complexité du texte en anglais et non pas des vers". "Je traduis en prose; je n'essaie pas de trouver une fausse forme en vers en octosyllabes, sinon ça devient ridicule; il ne faut pas que ça sonne daté", souligne-t-il.

Il reconnaît avoir peut-être poussé le curseur un peu loin à une ou deux reprises dans le texte, notamment dans un passage célèbre de la pièce. "Quand Lear dit +Every inch a king+, une des phrases les plus sublimes qu'on puisse dire; j'ai proposé +total royal+" au lieu de propositions comme "roi de la tête aux pieds".

 

 

Pour Podalydès, le défi pour les comédiens dans une pièce de Shakespeare est de "rééquilibrer tout le temps (le jeu) entre un parlé apparemment du quotidien et des phrases qui sortent de la fin du XVIIe siècle".

 

 

© 2022 AFP

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January 21, 2022 6:54 AM
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Théâtre : à Sceaux, « Richard III » et la démocratie participative

Théâtre : à Sceaux, « Richard III » et la démocratie participative | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde - 21 janvier 2022 -

 

Légende photo : Lars Edinger dans « Richard III », de Shakespeare, mis en scène par Thomas Ostermeier, lors d’une représentation à Berlin, en 2015. ARNO DECLAIR

 

 

Le metteur en scène Thomas Ostermeier et le comédien Lars Eidinger présentent au Théâtre des Gémeaux la pièce de Shakespeare sous la forme d’un « laboratoire ouvert au public ».

 

Toutes les places étaient vendues pour Richard III, de Shakespeare, mis en scène par Thomas Ostermeier, avec Lars Eidinger dans le rôle-titre, qui devait être joué au Théâtre des Gémeaux, à Sceaux (Hauts-de-Seine), du 20 au 30 janvier. Les gens voulaient découvrir ou revoir ce spectacle-phare de la Schaubühne de Berlin, qui avait triomphé au Festival d’Avignon, en 2015, puis à l’Odéon, à Paris, en 2017. Mais, à une semaine de la première, le conseil de la Schaubühne a mis un veto à sa venue.

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés A Avignon, un roi boiteux règne sur la Cité des papes

Ce théâtre, un des plus prestigieux d’Allemagne, a un fonctionnement    démocratique participatif unique, hérité de son histoire. Excepté la direction, dont fait partie Thomas Ostermeier, l’ensemble de ceux qui y travaillent (à l’administration, à la technique ou dans la troupe, 220 personnes environ) élit neuf représentants qui forment le Betriebsrat (le conseil d’établissement), lequel prend, après concertation, les décisions importantes. « En matière de santé, et uniquement dans ce domaine et dans celui de la sécurité au travail, le conseil peut opposer un veto », explique Thomas Ostermeier dans la salle du Théâtre des Gémeaux.

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La passion Shakespeare, selon Thomas Ostermeier

En ce mercredi 19, ils se préparent donc pour un Richard III très particulier qu’ils vont proposer vendredi 21, samedi 22 et dimanche 23 janvier, sous la forme d’Improvisation autour de Richard III, en remplacement du spectacle initial. « Je ne contreviens pas à l’avis du conseil de la Schaubühne, qui s’est rangé à l’avis de ceux, très peu nombreux, qui ont pris peur en voyant que les chiffres de contamination étaient trois fois plus élevés en France qu’en Allemagne, note le metteur en scène allemand. Mais Lars et moi, qui sommes sur les routes depuis des mois, lui pour ses tournages, moi pour préparer la mise en scène du Roi Lear qui sera créé à la Comédie-Française en septembre, nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose pour le public français. Annuler dix représentations sold out, c’est une catastrophe. »

« Une responsabilité particulière »

Si la troupe berlinoise s’était déplacée à Sceaux, 37 personnes seraient venues. Pour l’Improvisation autour de Richard III, ils ne sont que six. « Ceux qui avaient peur sont restés à Berlin et nous représentons la troupe en France », poursuit Thomas Ostermeier. « C’est l’occasion de réaliser une chose que nous avons toujours eu envie de faire : du théâtre très minimaliste. Richard III s’y prête. »  Deux musiciens (l’Allemand Henri Maximilian Jakobs et le Français Blade Alimbaye) accompagneront sur la scène l’acteur et le metteur en scène, qui sera dans son rôle, jouant parfois certains personnages.

 

Pour 20 euros (tarif unique), le public pourra, privilège rare, entrer dans le laboratoire d’une création. « On lui proposera des scènes, il pourra intervenir, on lui demandera son avis. Cela durera une heure et demie, puis il y aura un entracte, suivi d’une discussion générale. » Thomas Ostermeier insiste : « Je me sens une responsabilité particulière envers le public qui a du mal à retrouver les salles, en ce moment. Il faut être là pour ceux qui viennent, malgré la pandémie. A la Schaubühne, nous n’avons annulé aucune représentation. Si un acteur est malade, on le remplace. Et nous avons décidé de ne pas prendre de vacances l’été dernier. » Et d’ajouter : « Les théâtres avaient rouvert en juin, pour moi, c’était impossible de s’arrêter un mois plus tard, après un an et demi de fermeture. Nous avons pu jouer parce que le conseil a donné son accord. » La démocratie participative, toujours.

 

 

Improvisation autour de Richard IIIThéâtre des Gémeaux, Sceaux (Hauts-de-Seine). Vendredi 21 et samedi 22 à 20 h 45 ; dimanche 23 janvier à 17 heures. Durée : 2 h 45.

 

Brigitte Salino

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May 6, 2021 9:07 AM
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« Antoine et Cléopâtre » : quatre heures d’amour fou et de guerres fratricides 

« Antoine et Cléopâtre » : quatre heures d’amour fou et de guerres fratricides  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 6 mai 2021

 

Photo : Scène de "Antoine et Cléopâtre" © Marion Lefebvre

 

Irène Bonnaud a traduit « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare avec la collaboration de Célie Pauthe enrichissant le texte de poèmes et de chansons venus d’Egypte. Dans la lignée de sa « Bérénice » et de ses séjours en Irak, Célie Pauthe met magistralement en scène cette histoire entre deux mondes et deux visions du monde.

 

 

 

Un buste de César. En pierre, en plâtre, peu importe. Il est là, posé sur une table, pesant de tout son poids de symbole et regardant comme nous la lutte pour le pouvoir suprême qui se dispute sous nos yeux avec l’amour comme mouche du coche. Le buste fait partie du décor puisqu’il est là. Mais on ne sait trop quoi faire de ce buste. Il encombre. On le déplace, on le met par terre, on le remet sur une table. Et puis, quand cela se corse, quand on se dispute la suprématie du « vaste monde », vingt ans après l’assassinat de Jules César, quand ça devient sanglant, le buste disparaît du paysage.

 

Un oiseau en bois coloré. On reconnaît un ibis. Oiseau qui, dans l’Egypte ancienne, tenait lieu de tête au dieu Thot, dieu de l’écriture, scribe des dieux et veilleur de la justice. L’oiseau se pose dans le décor quand les affaires de Cléopâtre et de son amant Antoine traversent une période de trouble qui s’achèvera par leur double suicide, mais pas ensemble, l’Histoire est mal faite. L’oiseau se pose dans le décor vers l’avant-scène, regarde du côté de Cléopâtre d’un air que l’on peut imaginer protecteur. Et puis, lui aussi s’envole, disparaît.

 

Le buste et l’oiseau

Entre la masse de pierre sculptée à la couleur terne et la légère sculpture en bois de l’oiseau bariolé, il y a tout un monde. Celui qui sépare Rome d’Alexandrie, deux empires et, entre les deux, l’arc tendu d’une histoire d’amour. Ces deux objets – au théâtre, on parle d’accessoires – sont inutiles, ils ne jouent aucun rôle dramatique, ils ne sont nullement déterminants dans le déroulement de la pièce et le cours du spectacle. Ils sont posés là. Shakespeare n’a pas besoin d’eux pour écrire Antoine et Cléopâtre, l’une de ses plus longues pièces. Mais Célie Pauthe a besoin du buste et de l’oiseau pour parachever sa mise en scène fourmillante de détails. Le buste et l’oiseau sont comme des talismans, des symboles, des indices, des porte-bonheurs, pourquoi pas. César et Ibis veillent au grain tout comme Isis. Ils participent au charme infini de ce spectacle, le plus accompli, le plus libre, le plus inventif jusqu’à aujourd’hui des spectacles mis en scène par Célie Pauthe (mais je n’ai pas tout vu) laquelle dirige de main de maître le CDN de Besançon.

 

La partie n’était pas gagnée d’avance car Antoine et Cléopâtre est une pièce monstre, rarement mise en scène. Pour l’apprivoiser, Célie Pauthe a demandé à Irène Bonnaud une nouvelle traduction de la pièce et a collaboré avec elle.

 

Tout est parti d’un de ses précédents spectacles, Bérénice (lire ici). En voyant évoluer sur le plateau, Mélodie Richard (Bérénice) et Mounir Margoum (Antochius), elle les a vus dans Cléopâtre et Antoine, poursuivant autrement et plus violemment le frottement entre l’Orient et l’Occident. Fortifiant cela, il y eut son expérience irakienne. Célie Pauthe a effectué plusieurs séjours à Bagdad en liaison avec l’association Siwa et décisive fut sa rencontre avec le foudroyant metteur en scène irakien Haythem Abderrazak (dont les grands festivals français continuent d’ignorer l’existence) autour de l’Orestie d’Eschyle (lire ici). Ce travail lui a « ouvert une porte vers Antoine et Cléopâtre », dit-elle. De là à enrichir le spectacle d’éclairages musicaux orientaux faisant écho à la pièce, il n’y avait qu’un pas, vite franchi, avec Cléopatra, chanson extraite d’un opéra égyptien (inspiré par la pièce La Mort de Cléopâtre d’Ahmed Chawqi) immortalisée par le chanteur et roi de l’oud Mohamed Abdel-Wahab. Ou encore la célèbre chanson Ya Habibi taala chantée dans les années trente par Asmalah. A cela s’ajoutent trois poèmes de Constantin Cavafy, le grand poète grec né en Egypte à Alexandrie, des poèmes faisant écho à l’histoire d’Antoine, traduits, bien sûr, par Irène Bonnaud.

 

Garce et bouffon

Cléopâtre, aux yeux des Romains ? Une métèque, une bougnoule (ces mots n’y sont pas, ils n’existaient pas encore mais c’est tout comme). Une « putain », dit Démétrius au tout début de la pièce qui voit son « capitaine » Antoine, l’« un des trois piliers du monde », il y a peu, flamboyant au combat sous sa cuirasse, « changé en soufflet et éventail pour refroidir les chaleurs d’une garce d’Egypte », cet homme qu’il admire est devenu le « bouffon d’une putain ». Antoine lui-même est pris au piège de son amour pour cette « reine ensorceleuse », dit-il, sa clairvoyance a laissé la place à ce qu’il nomme son « indolence ». Rome l’appelle, ses partisans l’appellent, Octave l’appelle, une guerre se prépare contre Sextus Pompéee qui tient « l’empire des mers ». Octave va informer Cléopâtre de son départ.

 

Elle apparaît, grande, élancée, son corps légèrement enveloppé dans des tissus vaporeux aux couleurs délicates, entourée des fidèles Iras ( Mahshad Mokhberi, actrice iranienne, qui jouait Phénicie dans Bérénice), Charmian ( Dea Liane, passée par l’école du TNS) et l’eunuque Mardian (Bénédicte Villain, violoniste). Plus tard, un témoin nous racontera la première rencontre entre Antoine et Cléopâtre sur une rivière, il la voit allongée dans une barque à la proue d’or martelé, aux voiles pourpres « si parfumées que le vent en était malade d’amour ».

 

A Rome, le sortilège de l’« ensorceleuse » s’estompe quelque peu. L’épouse d’Antoine, l’« indomptable » Fulvie, étant morte, on fait en sorte que le veuf épouse Octavie (Maud Gripon) , une sœur d’Octave (Eugène Marcuse). Ainsi Octave et Antoine scellent-ils leur « réconciliation ». Cela ne durera pas, sinon Shakespare n’aurait pas été chez Plutarque choisir cette histoire.

Toute la pièce oscille ainsi entre deux pôles : les couleurs flamboyantes et festives, le triomphe féminin de l’Égypte et de l’amour d’un côté, de l’autre l’empire romain affairiste, conquérant les pays et les marchés dirigés par des hommes (aucune femme et une bonne dose de misogynie). Tous, Octave le premier, en manteaux gris d’aujourd’hui , prêts à entrer dans un conseil d’administration du CAC 40. Subtils costumes signés Anaïs Romand (pléiade de merveilles pour Cléopâtre) et bel espace ouvert du scénographe Guillaume Delaveau où chaque accessoire a valeur de signe.

 

Antoine et Cléopâtre

D’un côté, un lit vaporeux (qui, plus tard, laissera place à un tombeau) entouré de coussins, de l’autre une table et des chaises spartiates. D’un côté l’amour et l’indolence, de l’autre le pouvoir politique ourlé d’une stratégie d’empire. D’un côté le chaud, de l’autre le froid. Et entre les deux, un Antoine à la fois indécis et déterminé, aux tenues un peu débraillées, courageux mais sur mer « abandonnant la bataille au moment crucial » pour rejoindre la flotte enfuie de Cléopâtre. D’où ce dialogue d’une rouerie sublime :

 

« CléopâtreOh mon seigneur, mon seigneur,/ Pardonnez mevoiles pleines de peur, jn’auraijamais pensé /Que vous me suivriez.

 

AntoineEgypte, tu ne le savais que trop bien/ - Mon coeur était attaché par des cordes à ton gouvernail - / Que tu me trainerais après toi. Sur mon esprit/ Tu connaissais ton pouvoir absolu, et qu’au moindre ./Geste de toi, j’en oublierais les ordres des dieux.

 

CléopâtreOh je demande ma grâce ! » 

 

 

Octave, stratège hors pair, aveuglée de politique, ne croit pas à la possibilité de l’ amour fou. Antoine plus lucide sait que son temps est passé, se sachant « sur le déclin ». Vaincu, devenu moins que rien, dernier coup de rein de l’ancien monde, il se retourne contre Cléopâtre, la traite de tous les noms, avant de se tuer, croyant, ultime stratagème de la reine d’Egypte, que Cléopâtre vient de se suicider. Il mourra dans les bras de la reine éperdument aimée, comme un vieil acteur retrouve son talent d’antan pour mourir en scène dignement (extraordinaire Mounir Margoum)  . A Cléopâtre (Mélodie Richard qui grandit et atteint les sommets au fur et à mesure que la pièce avance), celle qu’Antoine aimait à surnommer « mon serpent du vieux Nil », il ne reste plus qu’a offrir son sein au poison d’un aspic comme, avant et après elle, ses plus proches amies. Les derniers mots. c’est le devin (envoûtant Lounès Tazaïrt) qui les dira. Un poème de Constantin Cavafy, qui comme ses deux autres poèmes dits par le même acteur au fil de la pièce, se souviennent d’Antoine, de Cléopâtre, des enfants de cette dernière et d’Alexandrie.

 

Ce voyage inouï, ponctué de stupeurs et de tristesses, que nous offrent Shakespeare dans cette nouvelle traduction, la mise en scène de Célie Pauthe, le travail fantastique des treize actrices et acteurs et de la nombreuse équipe technique, n’aura duré que quatre heures.

 

Spectacle vu au CDN de Besançon en janvier lors d’une séance réservée aux professionnels et aux journalistes. Antoine et Cléopâtre devait être ensuite à l’affiche du CDN de Valence du 3 au 5 février, puis à la scène nationale d’Albi le 13 avril. Le spectacle devait enfin être à l’affiche du Théâtre de l’Europe-Odéon à Paris de ce 5 mai jusqu’au 5 juin. Toutes ces représentations ont été annulées Reprise et tournée la saison prochaine : du 11 au 14 janv 2022 au Théâtre de la Cité - CDN de Toulouse et d’Occitanie ; du 10 au 16 mars 2022 au Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté ; les 22 et 23 mars 2022 à la Maison de la Culture de Bourges: du 9 mai au  5 juin à l’Odéon-Berthier; les 13 et 14 avril 2022 à la La Comédie de Valence, Centre dramatique national de Drôme-Ardèche.

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May 25, 2020 4:40 PM
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Olivier Py : "Tous les philosophes ont plié le genou devant le génie d’Hamlet" - Ép. 1/4 - Du théâtre !

Olivier Py : "Tous les philosophes ont plié le genou devant le génie d’Hamlet" - Ép. 1/4 - Du théâtre ! | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Adèle van Reeth sur le site de son émission sur France Culture "Les chemins de la philosophie", le 24 mai 2020

 

 

La première représentation d’Hamlet de Shakespeare a lieu autour de 1600. Considérée aujourd'hui comme la Joconde du théâtre, pourquoi cette pièce est-elle devenue indépassable ? Sans la réplique "être ou ne pas être", Sartre aurait-il pu écrire L'Être et le Néant, ou Heidegger son Être et Temps ?

Ecouter l'émission en ligne (1h)

 


La pièce Hamlet est considérée comme étant la quintessence du théâtre mais cette lecture élogieuse n’apparaît qu’au 20ème siècle. Avant cela, elle n’est qu’une pièce parmi d’autres, un divertissement dont la puissance n’est pas reconnue à sa juste mesure. Pourtant, dans Hamlet, tout y est : de la réflexion existentielle sur le sens de la vie jusqu’à la proposition de dépasser les mots de la pensée pour mieux agir par le théâtre…

L'invité du jour :
Olivier Py, directeur du festival d’Avignon, homme de théâtre

Que serait la philosophie sans "Hamlet" ?
"Hamlet" est une gigantesque énigme, ou bien des énigmes entrecroisées, et on sait qu’elle a peut-être formaté la philosophie et la métaphysique du 19ème siècle, puis du 20ème siècle qui s’est inspiré directement de Hamlet. Sartre n’aurait pas écrit "L’être et le Néant" s’il n’y avait pas eu la réplique “être ou ne pas être”, et Heidegger n’aurait certainement pas écrit "Etre et temps". L’influence de cette pièce sur le monde de la pensée est unique dans l’histoire de la littérature et du théâtre.        
Olivier Py

La philosophie plie le genou devant Hamlet
La première réplique de Hamlet est adressée au public mais aussi à ses contemporains : qui est là ? Aujourd’hui, on dit cela de manière présentielle, la réplique révèle la présence réelle comme on dit dans la culture théologique, qui va permettre quelque chose qui est plus grand que la philosophie. On dit toujours qu’Hamlet est une pièce philosophique mais c’est bien plus que ça : c’est la pièce qui a mis en cause la philosophie et qui dit par le théâtre que nous allons faire un exercice plus grand que la philosophie discursive. C’est pour ça que tous les philosophes, à un moment ou à un autre ont plié le genou devant le génie d’Hamlet.        
Olivier Py

Hamlet, l'homme moderne
Le théâtre est une forme d’action particulière, qui n’agît pas directement sur le monde mais sur les êtres, la psychée. Toute la pièce est dans la méditation d’une action qui n’agît pas. Hamlet a un devoir éthique qui lui est apparu dans la figure de son père, la figure du spectre revenu pour lui dicter son devoir éthique : “fais quelque chose de toi même et de ta vie”. Mais il n’arrive pas à accomplir ce devoir éthique… Hamlet c’est le devoir éthique formulé dans la manière la plus radicale et l’impossibilité totale d’y répondre, c’est ça l’homme moderne, c’est ça notre histoire à tous.        
Olivier Py

Sons diffusés :

Extraits d'Hamlet, de Shakespeare, enregistré à la Comédie-Française le 21 février 1994, mise en scène par Georges Lavaudant, d'après la traduction d’Yves Bonnefoy, avec Redjep Mitrovitsa
Chanson de Serge Gainsbourg, La noyée

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Les mille et une définitions du théâtre
Olivier Py  - Actes Sud, 2013

 

"Hamlet" vu par Charlotte Mo• Crédits : copyright Charlotte Mo
Dessin de l'illustratrice Charlotte Mo : Insta @charlottemagicmo et Portfolio

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April 13, 2016 2:44 PM
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L’étoffe des rêves, chronique d’une aventure théâtrale - France 3 Limousin

L’étoffe des rêves, chronique d’une aventure théâtrale - France 3 Limousin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sylvain Antoine Publié le 05/04/2016  sur France 3 Limousin


Jean Lambert-wild est un homme de théâtre, comédien, poète, scénographe, performeur atypique dans le théâtre français.
| 01:36 , mis à jour le 12/04/2016 | 09:21


Depuis plus de dix ans, il trace un chemin foisonnant, ambitieux et très personnel sur les tréteaux de France et d’ailleurs. Au Théâtre de l’Union – Centre Dramatique National du Limousin, il entame la création avec ses camarades d’un monument du répertoire classique : Richard III, de William Shakespeare. C'est ce parcours, semé d'embûches et de rebondissements, que le film va faire vivre au plus près, au plus intime. Tour à tour drôle, épique, touchant... violent parfois mais vibrant toujours, le film nous emmène au cœur d’une aventure théâtrale singulière.

Un film de François Royet 
Coproduction : France Télévisions, Supermouche Productions, Théâtre de l’Union – Centre Dramatique National du Limousin
Avec le soutien de la Région Limousin, en partenariat avec le CNC
Avec la participation du Centre national de la cinématographie et de l’image animée
Écriture et réalisation : François Royet
Image : François Royet
Son : Christophe Farion
Musique : Jean-Luc Therminarias
Montage : Bernard Bats et François Royet
Montage son et Mixage : Michel Diviné
Étalonnage : Arnaud Gauchard


Voir le documentaire http://france3-regions.francetvinfo.fr/limousin/emissions/les-documentaires-en-limousin/l-etoffe-des-reves-chronique-d-une-aventure-theatrale-lundi-11-avril-23h20.html


Photo © Tristan Jeanne-Vallès

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November 9, 2015 5:02 PM
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Thomas Jolly électrise le théâtre en Richard III

Thomas Jolly électrise le théâtre en Richard III | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jacques Moulins pour Naja 21 :

Après son succès avec Henri VI, Thomas Jolly poursuit sa conquête de Shakespeare. Sa création de Richard III, faite à Rennes, poursuivie à Martigues, désormais en tournée nationale, est vivante, électrique, spectaculaire.
En avril dernier, encore dans l’élan de son succès en Avignon avec l’intégrale d’Henry VI, Thomas Jolly annonçait dans les pages de Naja21 n’en avoir pas fini avec Shakespeare : « Henry VI achèvera sa tournée en juin pour la reprendre en 2016. Et à l’automne, je monte Richard III ».

Ce qui fut fait. La première a eu lieu au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, le 2 octobre, mais c’est dans le vaste et très efficace Théâtre des Salins de Martigues que nous avons choisi de voir cet opus très attendu, avant la tournée nationale qui s’installera pour plus d’un mois à l’Odéon en janvier.

Thomas Jolly ne faiblit pas, ne dément pas le propos entamé avec Henry VI, n’abandonne pas le théâtre populaire. Il a dans la tête qu’une pièce de Shakespeare n’est ni un joyau en perdition, ni une œuvre sacrée dont les interprétations, à l’image des exégèses religieuses, demandent une infinité de précautions érudites. Il fait du théâtre vivant, bouillonnant, spectaculaire. Il fait rire, il fait trembler, il fait saliver. Les bouches des plus jeunes restent ouvertes par le suspens et l’intelligence des plus avertis en oublie le texte pour le redécouvrir.

 

Un roi mégalo et malin. Richard III est un roi madré, séducteur, aussi cruel qu’un dictateur contemporain, avide de revanche sur le ciel et la nature qui lui ont infligé ces difformités au siècle où la communication d’un roi le veut guerroyant avec panache et gouvernant avec superbe. Fourbe, déloyal, nulle qualité ne lui est connue, nulle traîtrise ne le rebute. Il est l’inventeur de la promesse jamais tenue, de la trahison de l’ami de trente ans, de la défiance envers ses proches, de la femme comme reconnaissance de pouvoir. Si l’on s’en tient à la France, le Mitterrand de l’Observatoire, le Sarkozy de 2005, le DSK de New-York. Il concurrence Machiavel dans l’invention de l’homme d’État moderne.

Une telle épopée, proche de Games of Thrones ou de House of Cards, a quelque chose de la série, c’est du moins ce qu’en pense Thomas Jolly. Le metteur en scène n’entend donc rien supprimer au texte originel. Ici, peu de raccourcis, peu de suppressions de personnages, pas même l’ignorance de ce qui fait le sous-titre de la pièce « le débarquement du comte de Richmond et la bataille de Bosworth ». Thomas Jolly veut tout montrer, dans une débauche de lumières, de sons et d’acteurs. Grâce à son immense troupe La Piccola Familia. C’est bel et bien le récit qui l’intéresse, sans rien en omettre, sans rien en éluder. Il le mène jusqu’au bout sans férir.

 

Une mise en scène redoutable. Le jeune metteur en scène de 34 ans ne cède pas pour autant au facile, à l’effet reconnu. Shakespeare (dans l’excellente traduction que réalise depuis des années Jean-Michel Déprats pour l’édition complète et bilingue des œuvres du dramaturge élisabéthain de La Pléiade) possède à la fois l’art du raccourci et celui de la réplique. Thomas Jolly sait les mettre en valeur, les gourmander pour le plaisir plébéien du public. Son interprétation de Richard, une véritable prouesse qui le met en scène quatre heures durant, est éloquente, son corps expressément parlant, sa diction souveraine, son costume, dû à l'artiste taxidermiste Sylvain Wavrant, époustouflant. Et sa vitalité nécessaire.

Sa mise en scène se nourrit de toutes les inventions de la scène contemporaine, tant sur le plan des décors, des lumières, des concerts rocks, des sons et des images, que du jeu des acteurs. La reine Elizabeth, avide de pouvoirs mais humiliée et privée, par sombres assassinats, de son mari et de ses fils, prend une singulière distance avec son rôle qui restitue à la fois cette avidité contrariée et ces outrages minimisés. La reine Anne grossit ses émotions sans grossièreté, comme s’il ne lui restait que ce cri permanent de douleur face à l’ignominie du sort. Quant à la reine Marguerite, qui lance la malédiction frappant tous les personnages, elle déclame avec la hardiesse décomplexée d’une intriguante déboutée sa détestation des Yorks et des Lancaster.

Les difficultés d’un texte qui alterne poésie complexe, vulgarités et redondances deviennent alors des merveilles de concision et de diversités, percutantes, éprouvantes, intelligentes. Enfin les décors, faits d’escalier et d’échafaudages en perpétuels mouvements sur un plateau vide seulement structuré par les lumières, garantissent le rythme rapide et la profondeur de l’action.

 

 

Richard III en tournée, mise en scène Thomas Jolly, Cie La Piccola Familia. Créé le 2 octobre 2015 au Théâtre National de Bretagne, (Rennes). En tournée nationale : Scène nationale de Martigues les 5 et 6 novembre ; Odéon Théâtre de l'Europe du 6 janvier au 13 février ; Scène Nationale Evreux-Louviers le 26 février ; L'Onde à Vélizy-Villacoublay les 18 et 19 mars ; Comédie de Caen – Centre Dramatique National de Normandie les 24 et 25 mars ; Théâtre Liberté à Toulon les 31 mars et 1 avril ; Théâtre National de Toulouse du 6 au 10 avril ; Les Célestins à Lyon du 17 au 20 mai et Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper les 25 et 26 mai.

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September 22, 2015 1:13 PM
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Le Roi Lear

De William Shakespeare Adaptation et Mise en scène Jean-Luc Revol Avec Michel Aumont, Marianne Basler, Bruno Abraham-Kremer, Agathe Bonitzer, Anne Bouvier,…
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