Pour Etienne Saglio, l’au-delà c’est ici et maintenant | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Fabienne Darge pour Le Monde :

 

Sur la planète cirque, de plus en plus créative depuis vingt ans, Etienne Saglio se taille un joli chemin. Ce jeune magicien-jongleur-manipulateur avait déjà signé, en 2009, un spectacle beau et étrange, Le Soir des monstres, que l’on a pu voir au 104, à Paris, en décembre 2011 (et qui depuis n’a cessé de tourner). Le voilà de retour avec une création, Les Limbes, qui confirme sa manière singulière de mettre son talent d’illusionniste au service d’un univers au romantisme noir.

C’est bien à un troublant et magnifique voyage dans les limbes, les brumes de l’inconscient et les mânes des morts qu’il convie ici, à l’intérieur de la boîte noire du théâtre. Ballet de fantômes, dialogue avec la mort vêtue de velours rouge, conversation avec son double inanimé et bagarre avec ses démons intérieurs…

Tout cela se matérialise de manière impalpable et magique, dans la manière qu’a d’abord Etienne Saglio de jouer avec un grand pantin qu’il anime comme un autre lui-même, qui lui colle à la peau, qui le dompte et qu’il dompte tour à tour. Quel est le plus vivant des deux, de lui, jeune Hamlet fragile vêtu de noir, ou de la mort rouge théâtre ? Qui est la créature de l’autre ? Les deux se livrent une lutte sans merci.

Avec des sacs en plastique
Etienne Saglio fait naître comme par enchantement des images fantastiques et envoûtantes, baignées par la musique du Stabat Mater de Vivaldi. Le plus stupéfiant est la manière dont il fait apparaître et disparaître des formes volatiles et spectrales, petits fantômes dansants et moqueurs, ectoplasmes palpitant comme des méduses translucides, ou vastes manteaux de brume évoquant les voiles tournoyant de la danseuse Loïe Fuller, au début du XXe siècle.

Comment fait-il, pour donner ainsi forme aux esprits ? Mystère. En bon magicien, Etienne Saglio ne veut surtout pas dévoiler le dessous des cartes, les secrets de fabrication qui tueraient l’inquiétante étrangeté et le charme de son univers. Tout juste consent-il à dire que ces chimères sont créées… avec des sacs en plastique. Ou comment atteindre la poésie la plus aérienne avec le matériau le plus trivial…

Etienne Saglio utilise aussi des hologrammes, mais tout est si fondu et si maîtrisé, notamment grâce à la suprême utilisation de la lumière, que bien malin qui pourrait dire ce qui est vrai et ce qui est faux dans ce monde des ombres. Le jeune circassien est bien un maître de l’illusion. Hypnotisé, on ne sait plus dans quelle réalité on se trouve, mais ce qui est sûr, c’est que l’on est passé de l’autre côté du miroir, comme dans ces Contes d’Hoffmann qui doivent être une inspiration majeure pour l’artiste.

Etienne Saglio, qui a bien vite été surnommé « le petit prince de la magie nouvelle », en raison de son allure aérienne et rêveuse, jongle avec les disciplines avec une aisance confondante, du théâtre à la marionnette en passant par les techniques circassiennes. Qui gagnera dans Les Limbes, de la camarde ou du jeune homme ? C’est toujours elle qui gagne, au final, avec son masque en forme de crâne.

 

Fabienne Darge

Les Limbes, par Etienne Saglio. Le 104, 5, rue Curial, Paris 19e. Tél. : 01 53 35 50 00. A 20 heures jusqu’au 20 décembre, et dimanche 21 décembre à 16 heures. De 8 € à 18 €. Durée : 1 heure. Dès 8 ans. Puis tournée jusqu’en mai 2015, à Quimper, Pontault-Combault, Laval, Gap, Marseille, Draguignan, Annecy, Clamart, Strasbourg…