Revue de presse théâtre
2.5M views | +1 today
Follow
Revue de presse théâtre
LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
Your new post is loading...
Your new post is loading...

Quelques mots-clés

Current selected tag: 'Portraits d'actrices / d'acteurs'. Clear
Scooped by Le spectateur de Belleville
June 3, 5:07 AM
Scoop.it!

Vincent Garanger, l’acteur qui aime disparaître derrière les auteurs

Vincent Garanger, l’acteur qui aime disparaître derrière les auteurs | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde  -  2 juin 2025

 

Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, le comédien, qui excelle dans la représentation des grands textes, porte avec toute sa justesse l’adaptation du roman de Tanguy Viel, « Article 353 du code pénal ».

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/06/02/vincent-garanger-l-acteur-qui-aime-disparaitre-derriere-les-auteurs_6610212_3246.html

 

Vincent Garanger, diction au cordeau et physique râblé qu’il qualifie de « passe-partout », n’est pas un comédien ordinaire. Au Théâtre du Rond-Point, à Paris, où se reprend le spectacle Article 353 du code pénal – d’après le roman de Tanguy Viel (Minuit, 2017), adapté et mis en scène par Emmanuel Noblet –, cet acteur, dont la discrétion est l’élégante armure, se dessaisit de lui-même pour habiter le corps d’un personnage de fiction. Il a 65 ans dans la vie, mais pourrait en avoir vingt de plus (ou de moins) tant il s’oublie pour entrer dans la peau et les mots de Kermeur, précaire parmi les précaires, assassin par désespoir et perdant magnifique d’un drame intime et social sur les gens de peu broyés par le cynisme des puissants.

Sur le plateau, on ne voit que lui. Et pour cause. Il s’y campe dans une solitude tragique, son dos courbé esquivant la bienveillance d’un juge (Emmanuel Noblet) qui recueille son récit sans presque l’interrompre. Une heure et quarante-deux minutes d’une confession où la langue qui se délie subjugue l’écoute. Une heure et quarante-deux minutes d’une bouleversante logorrhée tenue en laisse par l’exactitude de la profération. Si le spectateur a le temps d’observer les fissures qui lézardent le meurtrier au moment des aveux, il vérifie aussi la solidité de l’acteur qui l’incarne. Vincent Garanger est l’exemple même de ce que le théâtre public peut et sait fabriquer lorsqu’il vise et pratique l’excellence.

 
A la sortie d’une représentation, Tanguy Viel l’a félicité d’un compliment d’écrivain : « Moi qui ne visualise jamais mes personnages, maintenant, je sais qui est Kermeur. C’est toi. » Emmanuel Noblet renchérit : « Nous arrivons à la soixante-dixième représentation, et pas une seconde je ne m’ennuie. J’en ai les larmes aux yeux tellement il est à ce qu’il fait. »

Etat de vérité

Etre à ce qu’on fait : la méthode a l’air simple, mais combien y parviennent ? Pour accéder à cet état de vérité, ce fondu enchaîné de l’être et du paraître, ce ni trop ni trop peu qui tient l’équilibre entre l’artifice de la composition et le leurre du naturel, il a fallu des heures, des mois, des décennies de travail. Son parcours est, de ce point de vue, emblématique de la belle histoire d’un spectacle vivant cherchant sa légitimité dans la représentation des grands textes et son assise dans la proximité des publics.

En 1987, coopté par Roger Planchon pour jouer un petit rôle dans Georges Dandin, de Molière, le comédien connaît le Graal en guise de baptême du feu. Une tournée d’un an : « On se déplaçait à 50 ! », se souvient-il. Et des artistes qui, à l’époque, jouissaient du soutien protecteur de leurs tutelles politiques. « Lorsque j’en parle, j’ai l’impression d’évoquer la préhistoire », soupire celui qui sait sa dette pour la décentralisation et l’éducation nationale.

 

On ne dira jamais assez l’importance d’enseignants qui ont su faire surgir dans les écoles de campagne l’existence du théâtre et les promesses dont il regorge. Né en 1960 dans les Pays de la Loire, Vincent Garanger découvre les planches à 12 ans. En classe de 5e. Parce qu’un professeur de français passionné lui confie le rôle d’Argan dans Le Malade imaginaire, de Molière. Rien que de très banal dans cette initiation, que complétait, à sa manière, la diffusion hebdomadaire, le vendredi, de l’émission de télévision « Au théâtre ce soir ».

 

Sauf que Garanger, une fois contaminé par la scène, ne la lâche plus. « Après mon bac, en 1978, mon prof m’a emmené au Festival d’Avignon, où j’ai pu voir les quatre Molière montés par Antoine Vitez, ainsi que Michel Bouquet dans En attendant Godot, de Beckett. » Oubliés, les décors de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell du petit écran : le spectateur en herbe qui ne savait pas qu’on pouvait « faire du théâtre comme ça » vit un « ébahissement ».

Les chocs que provoque l’art sont de taille à changer le cours d’un destin. Pas simple, pour autant, de convaincre des parents inquiets. « Hors de question », lui rétorque son père, pourtant comédien amateur au temps de sa jeunesse. « J’ai fait du droit pour le rassurer, pendant que, clandestinement, je prenais des cours à la maison de la culture voisine. » Appel de la vocation ? Besoin de défier ses limites ? L’envie consciente et la nécessité inconsciente se bousculent chez celui qui, une fois le conservatoire d’Angers achevé, postule aux écoles nationales. « A 18 ans, je suis reçu à la Rue Blanche et pris au premier tour du Conservatoire. Ma vie change. Tout devient possible. »

 

 

Direction Paris. Le jeune homme solitaire et timide qui rasait les murs déploie ses ailes sous la vigilance du pédagogue Michel Bouquet. « Lorsque nous passions une scène, il nous demandait : combien de fois as-tu lu la pièce ? Quarante ? Ça ne suffit pas. Tant que tu ne l’as pas lue 1 500 fois, ce n’est pas la peine de monter sur le plateau. » Bouquet exagère. Mais à bon escient. Son exigence marquera au fer rouge des générations de disciples. « Pas un jour où je ne repense à son enseignement, affirme Garanger. Ce qui me reste de lui, c’est cet amour des auteurs. Nous, les acteurs, nous sommes des laborieux. Je ne me prends pas pour un artiste, mais pour un interprète. »

 

Lire la rencontre (2006) : Article réservé à nos abonnés Michel Bouquet : « C’est tout ce qui échappe à l’acteur qui fait le grand acteur »

Virtuose de la profération

Interprète : cinq définitions dans le Larousse. Du commentateur à l’exégète, en passant par l’intermédiaire, le porte-parole ou le traducteur, toutes coïncident avec la personnalité de ce perfectionniste qui s’enferme dans sa chambre pour apprendre ses pages et ne les lâche pas avant d’avoir compris « organiquement » la façon dont les phrases sont écrites. « Il peut tout faire, il ne triche pas, il est sans complaisance, commente Arthur Nauzyciel, qui, en 2012, le dirige dans La Mouette, de Tchekhov. Il se met au service du projet et du groupe. Mais il est aussi dans une quête intime de sens. C’est un être spirituel. »

Spirituel ? Le qualificatif déconcerte avant de livrer ses lumières. Et si la singularité de l’acteur, cette étonnante présence qui opère la synthèse entre le terrien et l’aérien, relevait d’un secret mysticisme. Et si ce virtuose de la profération, dont le fantasme est de « disparaître au profit des auteurs », devait l’étoffe de son jeu à la dimension sacrée du théâtre, « cette grande prière collective ». Lui qui attend de ce « métier si dérisoire » une sorte de « communion utopique » ne recherche pas la gloire mais la grâce. Plus il la frôle, plus il veut la revivre. Pour y parvenir, pas le choix : « Il faut tout désapprendre tout le temps », dit-il. L’humilité est un impératif. Et l’apanage de ceux, suggère Nauzyciel, qui « en ont sous le pied ».

Parce qu’il sait ce qu’il doit, à qui et à quoi, Vincent Garanger n’hésite pas à dire ses reconnaissances. Gratitude absolue pour la décentralisation et le théâtre public (« J’en suis le pur produit »), souvenirs heureux des dix années passées au Préau, théâtre de Vire (Calvados), un centre dramatique national qu’il codirige avec l’autrice Pauline Sales de 2009 à 2018. Joie d’y avoir invité Jean-Pierre Vincent, qui le met en scène dans le rôle-titre de Georges Dandin en 2018, l’un des derniers grands spectacles de l’artiste mort brutalement en 2020. « J’aimais cet homme », soupire l’interprète dont ce portrait serait incomplet s’il ne convoquait la figure d’Alain Françon, le metteur en scène qui a fait des écritures, classiques ou contemporaines, l’alpha et l’oméga de sa quête.

 
 

C’est en jouant pour lui dans Pièces de guerre, du dramaturge anglais Edward Bond, en 1994, que Garanger affronte les foudres du public mécontent du Festival d’Avignon. La violence dénoncée par l’auteur fait tache sous le soleil de Provence. Sur le trottoir, les gens s’invectivent. « Certains ont refusé d’entendre le message de Bond : inventez la justice et il n’y aura plus la guerre. » Le festivalier échauffé peut se montrer impitoyable. Mais pas au point de le faire douter : « Je vais le dire bêtement : cette rencontre avec l’œuvre de Bond, grâce à Alain Françon, est une charnière dans mon parcours. J’ai compris pourquoi je faisais du théâtre et pourquoi il était nécessaire de défendre les auteurs contemporains. Ce sont eux qui pensent et nomment le monde d’aujourd’hui. »

 

En 2023, lorsqu’il revient dans la cité des Papes, il assume, une fois de plus, de se faire le passeur d’un monde qui va mal, en portant entre les murs de la Cour d’honneur, la parole des déshérités. Welfare est adapté par Julie Deliquet du documentaire de Frederick Wiseman tourné en 1973. Pour cette plongée dans la pauvreté, la misère, la déchéance, la metteuse en scène a choisi son équipe avec soin. Elle salue en Vincent Garanger « un joueur, un bosseur et un endurant ». Et avoue que son « humanité poétique » la fascine.

 

 

 

Article 353 du code pénal, de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet. Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet. Théâtre du Rond-Point, Paris 8e, du 3 au 14 juin ; dans le « off » du Festival d’Avignon, au Théâtre 11, du 5 au 24 juillet.

 

Joëlle Gayot

---------------------- https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/01/25/avec-article-353-du-code-penal-emmanuel-noblet-met-en-scene-un-perdant-magnifique_6515839_3246.html

Avec « Article 353 du code pénal », Emmanuel Noblet met en scène un perdant magnifique

Au Théâtre du Rond-Point, le metteur en scène adapte le roman de Tanguy Viel, récit universel d’une existence écrite à l’encre de la malchance.

Par Joëlle Gayot

Publié le 25 janvier 2025 

Article réservé aux abonnés

 

Sauvetage in extremis d’un perdant magnifique au Théâtre du Rond-Point, à Paris. Comment le miracle a-t-il lieu ? Inutile d’en dire trop. Ce serait priver le public du trouble qui l’attend à l’issue d’Article 353 du code pénal, roman de Tanguy Viel (Minuit, 2017) qu’adapte et met en scène avec intelligence Emmanuel Noblet. Ce spectacle saisissant convoque, à peine terminé, l’envie de le revoir. Pourquoi ? Parce que si le récit de l’écrivain répare les blessures que la fatalité n’a cessé d’infliger à un homme, cette réparation, aussi jouissive soit-elle, pose problème tant elle repose sur l’arbitraire.

 

L’histoire est d’une simplicité trompeuse : Martial Kermeur a tué Antoine Lazenec. Il s’en explique devant un juge. Long déroulé d’une existence écrite à l’encre d’une malchance obstinée, une déveine si têtue qu’elle en devient ontologique. Père élevant seul son enfant, socialiste et chômeur, locataire d’une bicoque sur une île superbe située en rade de Brest, Martial Kermeur ne fait de mal à personne. Mais le malheur, d’où qu’il vienne, semble avoir décidé de lui coller à la peau. C’est ainsi qu’il oublie de jouer sa grille de loto la semaine où sortent ses numéros. Ainsi que sa femme le quitte. Ainsi qu’il se fie à un promoteur immobilier véreux qui lui extorque ses indemnités de licenciement pour l’achat d’un appartement resté à l’état de mirage. Ainsi que le fils, qui a voulu venger le père, croupit dans une prison.

 
Les fondations du chantier occupent la totalité de la scène. Un trou de terre dans l’herbe verte. Un tombeau en friche, où gisent les espoirs des hommes trop crédules. Ici, c’est un Breton sans malice. Ailleurs, partout dans le monde, ce sont d’autres braves types que l’existence malmène, comme si leur raison d’être était de subir, à l’infini, les coups du destin. Mais le destin n’a pas toujours le dernier mot. La preuve avec la rédemption, par la fiction, d’un héros coupable et victime à la fois.

Bloc d’humanité fissurée

En dressant ce portrait d’un perdant magnifique, Tanguy Viel touche à l’universel et surfe loin des écueils du misérabilisme. Son roman se tient dans un équilibre subtil entre la littérature, le documentaire et l’allégorie. Une prouesse que le comédien Vincent Garanger (auquel fait face Emmanuel Noblet dans le rôle du juge) ne trahit pas. L’acteur, courbé par le poids des épreuves, est impérial dans le rôle du meurtrier. A la lisière du naturalisme, dans un corps à corps d’une extrême loyauté avec le personnage, il prête sa voix aux mots du romancier en se coulant dans les sinuosités de son écriture. Il donne sa charge de vérité à un être de pure fiction. Il est un bloc d’humanité fissurée. Et un comédien net, qui sait tenir à distance le pathos.

 

Surplombant l’espace, trône un immense écran vidéo sur lequel surgissent de rares projections. La rade de Brest, le vent, les phares d’une voiture, la silhouette d’un homme qui titube. Autant de pupilles qui s’entrouvrent sur de brèves visions intérieures. Ces vidéos (pas la meilleure part du spectacle) ne donnent pas d’air. Elles forment le mur contre lequel bute l’imaginaire. Ce n’est pas d’elles que vient la délivrance. Mais du juge. Et d’une loi, qui n’est pas celle des dieux, mais des hommes. Tanguy Viel met les points sur les i : la justice a parlé, c’en est fini de la tragédie.

 

Article 353 du code pénal, d’après Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet. Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet. Théâtre du Rond-Point, Paris 8e. Jusqu’au 15 février. Theatredurondpoint.fr

Joëlle Gayot

 

Légende photo : Emmanuel Noblet et Vincent Garanger dans « Article 353 du code pénal », d’après le livre de Tanguy Viel, mise en scène d’Emmanuel Noblet, au Théâtre Durance, scène nationale, à Château-Arnoux-Saint-Auban (Alpes-de-Haute-Provence), le 15 octobre 2024. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
March 20, 1:32 PM
Scoop.it!

La comédienne Dominique Reymond ou l’éloge de l’ombre

La comédienne Dominique Reymond ou l’éloge de l’ombre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 20 mars 2025 

 

 

A l’affiche au théâtre avec « L’Amante anglaise » de Marguerite Duras et au cinéma dans « La Cache », de Lionel Baier, l’artiste fait partie des grandes actrices formées par Antoine Vitez.

 

 

 

 

Dominique Reymond fait son apparition dans le café parisien où on lui a donné rendez-vous, ondoyante et souple comme une liane brune, avec ce quelque chose d’asiatique dans le regard. C’est une de nos plus grandes comédiennes, mais elle reste mystérieuse, insaisissable. Et c’est tant mieux : insaisissable, l’héroïne qu’elle joue sur la scène des Ateliers Berthier à Paris l’est aussi. Ainsi l’a voulue Marguerite Duras, qui, dans L’Amante anglaise, extrait son personnage, Claire Lannes, de la boue du fait divers pour l’élever au rang des grandes figures tragiques. Ce quelque chose en Dominique Reymond de l’ordre de l’oblique, du clair-obscur, ne pouvait mieux convenir à l’opacité travaillée par Duras, celle d’une femme qui tue sans savoir pourquoi.

 

La comédienne est au cœur de ce spectacle signé par la jeune metteuse en scène Emilie Charriot, avec Nicolas Bouchaud et Laurent Poitrenaux. Elle joue, par ailleurs, dans La Cache, le film de Lionel Baier inspiré par le livre de Christophe Boltanski avec Michel Blanc dans l’un de ses derniers rôles. A 68 ans, elle appartient, en compagnie de Valérie Dréville, à la dernière génération des grandes actrices formées par Antoine Vitez, dans les années 1980. « Ce que j’ai appris de Vitez m’a marquée à vie », dit-elle de sa voix ensorcelante, à la fois grave et aérienne, une voix qui vous conduirait sur les chemins les plus obscurs. Ensuite, elle a croisé la route de Klaus Michael Grüber, qui fit d’elle une magnifique Marie dans La Mort de Danton, de Büchner, et celle de Bernard Sobel, de Luc Bondy, Alain Françon, Arthur Nauzyciel ou Daniel Jeanneteau.

 

Mais le théâtre s’était invité bien avant, dans son enfance genevoise. On a du mal à le croire au vu de ce qu’elle est aujourd’hui, mais c’est parce qu’elle était une « enfant insupportable, envahissante, née en colère », que sa mère l’avait envoyée prendre des cours de théâtre. L’oncle de Dominique Reymond s’appelait Thierry Vernet – celui-là même qui fut le compagnon de voyage de l’écrivain Nicolas Bouvier, et qui signa les dessins de ce livre culte qu’est L’Usage du monde (1963). Peintre, illustrateur, Thierry Vernet était aussi décorateur pour la Comédie de Genève. Quand Germaine Montero lui a dit qu’elle cherchait une petite fille pour jouer dans La Maison de Bernarda Alba, de Garcia Lorca, il lui a envoyé sa nièce.

 

Forces secrètes

Le théâtre et la peinture, qu’elle pratique depuis toujours, ont été les anges salvateurs de la jeunesse tourmentée de Dominique Reymond, entre révolte intérieure et timidité maladive à l’extérieur. A 20 ans, on lui a proposé une bourse pour partir à Paris, et elle a pu se glisser, en auditrice libre, dans la classe d’Antoine Vitez au Conservatoire. Puis elle l’a suivi au Théâtre de Chaillot, où elle est devenue une des « reines » – ainsi que Vitez appelait ses comédiennes – du palais enchanté. « Vitez a été le premier à casser les emplois pour les comédiens et surtout les comédiennes, ou plutôt à les dépasser, explique-t-elle. Il lisait en nous au-delà des apparences, il y voyait ce que l’on ne voyait pas nous-mêmes. Quand il m’a proposé de jouer Marthe dans L’Echange, de Claudel, je me suis dit que ce n’était pas moi, que j’étais trop rebelle pour ce rôle. Et pourtant c’était moi, et il l’avait vu : dans le côté indien en phase avec les éléments du ciel et de la terre. Ce qui m’intéresse dans le théâtre, c’est le rapport qu’il entretient avec l’invisible, l’ailleurs, ce qui n’est plus, ceux qui ne sont plus là. Et Marthe est comme ça : c’est une visionnaire. Vitez avait vu chez moi cette curiosité pour l’invisible, avant que je ne la voie moi-même. »

 

 

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés Au Théâtre de l’Odéon, une « Amante anglaise » follement incarnée

 

Dominique Reymond, dont l’art, on ne peut plus subtil et volatil, ne se laisse pas facilement attraper – elle-même n’aime pas beaucoup parler de sa cuisine d’actrice –, sait se laisser conduire par les forces secrètes, qu’elle semble écouter en musicienne ou en sourcière. Ce tropisme s’est renforcé quand elle a travaillé avec Klaus Michael Grüber, et ne l’a plus quittée. « Ce qu’il voulait, c’était voir la grâce, se souvient-elle, rêveuse. Il composait des tableaux, c’était comme si on avait travaillé avec le Caravage. Il dirigeait au geste et à l’image, et le texte coulait de lui-même dans cet écrin magnifique. Il entretenait une forme d’inquiétude, de déséquilibre, qui chassait toute forme de fabrication et rendait chaque moment unique. »

 

Et puis il y a eu la passion de Dominique Reymond pour le Japon, et pour un autre livre culte, Eloge de l’ombre, de Tanizaki (1933), qu’elle a porté au théâtre, sous la direction de Jacques Rebotier, en 1997. « J’aime tout dans ce livre : l’éloge de la méditation, de la contemplation, la manière dont il invite à entrer dans ce qu’on regarde, dans les objets, et dans l’ombre. Le mystère de ce Japon ancien, où les corps étaient cachés, où l’éclairage à la bougie entretenait le clair-obscur. » Depuis, la comédienne a semblé travailler de plus en plus comme un calligraphe oriental, affinant son art notamment dans le compagnonnage avec le metteur en scène Daniel Jeanneteau, lui aussi un grand japonisant.

 

« Un mystère insondable »

Avec Duras, elle entre dans un tout autre univers, dont elle dit n’avoir pas été familière au départ. « Comme beaucoup de gens, j’avais des a priori sur elle, je n’étais pas sensible à cette poésie éthérée qui lui a été attachée et qui est devenue un cliché. Ce que j’aime en elle, c’est ce qu’il y a de dur, de concret. Avec L’Amante anglaise, j’ai l’impression d’être dans un grand classique, qui a quelque chose de racinien. Elle s’attaque à un mystère insondable, et elle le fait avec des mots très simples. Mais ces mots mis l’un à côté de l’autre parlent avec une force incroyable : c’est comme si elle inventait une forme de faux réalisme de la parole de tous les jours. »

Comment aborder une telle héroïne, dont l’acte demeure jusqu’au bout inexplicable ? « Duras ouvre des champs infinis sur la folie, vue sous différents angles, comme diffractée. Jamais elle ne dit que Claire Lannes est folle : elle met en place un jeu qui montre que la folie vient d’en face, d’ailleurs. Il y a une forme d’innocence chez cette femme. Elle a tué, elle le dit, elle le raconte. Elle devrait être détestable, mais elle ne l’est pas. Je trouve très beau ce que Duras dit sur les criminels, cette phrase, notamment : “Dans le sublime fatras des religions anciennes, le crime visite le criminel, opère à sa place et s’en va en le laissant parfois sans mémoire aucune de l’avoir commis”. » Lâcher l’ombre pour la proie ? Très peu pour Dominique Reymond.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE

 

Légende photo :

Dominique Reymond dans « L’Amante anglaise », de Marguerite Duras, au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse), en novembre 2024. SÉBASTIEN AGNETTI

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
January 6, 6:24 AM
Scoop.it!

Charlotte Issaly, le théâtre comme viatique

Charlotte Issaly, le théâtre comme viatique | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 6 jan. 2025

 

« Promesses de 2025 » (1/12).

 

Douze artistes ou personnalités de la culture à suivre cette année. Aujourd’hui, la comédienne de 25 ans, remarquée dans les deux derniers spectacles de Sylvain Creuzevault.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/01/06/charlotte-issaly-le-theatre-comme-viatique_6483341_3246.html

 

« Theater is not dead ! » C’est la jeune Charlotte Issaly qui le proclame, et la référence au mouvement punk est tout sauf fortuite. Que le théâtre ne soit pas mort, la comédienne, âgée de 25 ans, en est la vivante incarnation. On l’a remarquée d’emblée, dans deux spectacles de Sylvain Creuzevault, L’Esthétique de la résistance, d’après le livre-somme de Peter Weiss (qui sera repris à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, en mars), et Edelweiss [France Fascisme], dans lequel elle incarnait, parmi toute une constellation de fascistes français, Robert Brasillach (1909-1945). Dans les deux cas, elle a marqué par sa présence, irréfutable, et par la profondeur de son jeu. De quoi lui valoir une avalanche de propositions : d’ici à janvier 2026, elle sera à l’affiche de pas moins de six spectacles.

 

 

Le slogan punk, et la rage de vivre qu’il exprime, n’est pas, chez Charlotte Issaly, une coquetterie de bourgeoise en mal de révolte. La jeune femme revient de loin. D’« un milieu familial violent », qu’elle a fui dès qu’elle a pu, à l’âge de 15 ans, se réfugiant chez des amis ou vivant parfois dans la rue, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Le théâtre et l’art en général sont venus très tôt, « comme une bouée de sauvetage, au sens strict du terme », dit-elle. « J’ai découvert le théâtre au collège, à 11 ans, quand ma classe a travaillé sur Cyrano de Bergerac. Tout s’est cristallisé pour moi autour de cette pièce : j’ai pris conscience qu’il n’était pas normal de se faire battre dans son cadre familial. Cyrano m’a sauvée : dès que j’allais mal, j’en apprenais des passages entiers par cœur, et je surmontais ce qui m’arrivait. Pourquoi Cyrano ? C’est quelqu’un qui porte une difformité, qui ne se sent pas appartenir au même monde que les autres et qui choisit le langage pour s’en sortir. C’est mon viatique dans la vie, cette pièce. »

 
Les mots lui ayant « donné le droit de vivre », l’adolescente s’est acharnée à pratiquer le théâtre le plus vite et le plus intensément possible, ce qui n’a pas été simple : en France, les conservatoires d’art dramatique n’acceptent les élèves qu’à partir de 15 ans, alors que l’on peut commencer la musique dès le plus jeune âge. « J’ai toujours voulu apprendre, m’exercer. J’ai eu conscience très tôt que la technique était fondamentale, qu’il existait un solfège du théâtre, et que la vision française, stanislavskienne, romantique du théâtre, consistant à se reposer sur ses émotions, était très limitée. Les émotions, de toute façon, je les ai, j’en ai même trop. Ce qui m’intéresse, c’est d’apprendre à en faire une forme. »

Tutoriels déjantés sur YouTube

Vivre en passant de manière précaire d’un hébergement à l’autre ne l’a pas empêchée d’obtenir son bac avec mention très bien, et, d’emblée, elle s’est débrouillée pour gagner sa vie, grâce à son deuxième viatique : l’humour, qu’elle pratique comme un sport de survie ou de combat. Elle s’est d’abord fait un nom, sous le pseudonyme de Charlie Rano, en signant des vidéos pour le Web du magazine féministe Madmoizelle, puis en participant à des soirées de stand-up à Bobino ou à La Nouvelle Seine. Aujourd’hui encore, elle a près de 100 000 abonnés sur sa chaîne YouTube, où, sous le titre générique Theatre is not dead, elle poste des tutoriels déjantés et drôles sur les techniques théâtrales – « Comment pleurer sur commande ? » ou « Improviser sans bégayer ? »

« Je n’ai jamais voulu être humoriste toute ma vie, mais l’adresse directe du stand-up, sa simplicité, sa vivacité m’ont beaucoup appris. Cela m’a vraiment formée à adresser ce que l’on a à dire à un public, et donc à établir un véritable lien avec lui. » Mais c’est à l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS), où elle est entrée en 2020, qu’elle fait deux rencontres décisives. Celles de Nicolas Bouchaud et de Sylvain Creuzevault. Avec le premier, elle s’est immédiatement reconnue dans « ce jeu entre distanciation et incarnation, cette manière d’être à la fois très intense, totalement dans la scène, et légèrement en dehors ». Avec le second, elle s’est d’emblée accordée avec sa vivacité d’esprit, son engagement, et celui qu’il demande à ses acteurs dans l’improvisation.

 

L’année 2025 la verra sauter d’une création à l’autre, de L’Homme sans qualités (1930), de Robert Musil, créé avec ses camarades de l’école du TNS emmenés par Julien Vella, à On ne badine pas avec l’amour (1834), de Musset, vu par Emilie Lacoste, en passant par Ivanov (1887), de Tchekhov, sous la houlette de Jean-François Sivadier, où elle jouera Sacha – « le premier personnage féminin de l’histoire à ne pas être défini par sa beauté mais par son intelligence », observe-t-elle.

 

Son enfance saccagée a laissé des traces, qu’elle soigne non seulement en jouant mais aussi en écrivant – de la poésie aussi bien que des formes théâtrales. Elle a mis en route une création placée sous le signe de la couleur bleue : « Le bleu de la peau sous les coups, le bleu du ciel, et le bleu de la page blanche qui se colore au fur et à mesure que je la remplis de mots », souffle-t-elle.

 

Fabienne Darge : LE MONDE

 
Légende photo : Charlotte Issaly, à Lyon, en 2023. PH. LEBRUMAN

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
November 22, 2024 12:27 PM
Scoop.it!

Marcial Di Fonzo Bo, vif Argentin 

Marcial Di Fonzo Bo, vif Argentin  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Rencontre avec l’acteur et metteur en scène, qui convoque les fantômes de la dictature dans «Portait de l’artiste après sa mort» au théâtre de la Bastille et observe depuis la France, entre colère et inquiétude, la présidence de Javier Milei.

 

«Je m’appelle Marcial Di Fonzo Bo ; je suis acteur, metteur en scène et directeur du Quai, Centre dramatique national d’Angers. Je suis né à Buenos Aires le 19 décembre 1968…» Ça commence comme ça : seul en scène au théâtre de la Bastille à Paris, Marcial Di Fonzo Bo décline son identité devenue texte pour la pièce Portrait de l’artiste après sa mort de Davide Carnevali. Le reste se joue dans une histoire à tiroirs à la Borges, retour sur les années de dictature en Argentine, les enlèvements, les desaparecidos, avec cette idée que le théâtre peut mener l’enquête, faire parler les fantômes, au moins leur donner une identité. Bien sûr que ce que raconte Marcial ne lui appartient pas, quand bien même il est dans le texte comme dans la vie «Argentin mais Français d’adoption […] arrivé à Paris à la fin des années 80». Carnevali s’appuie sur les codes du théâtre documentaire pour mieux les détourner, créer des effets de réel qui embarquent même les spectateurs invités à monter sur scène, entrer dans le décor, à ne plus savoir ce qui est vrai.

«Car il y a une vérité historique, celle de la dictature, qu’on enterre aujourd’hui sous des tonnes de mensonges», embraye immédiatement Marcial Di Fonzo Bo, rencontré dans un café parisien, qui, plutôt que de parler de lui, fonce sur la situation de son pays d’origine, l’Argentine de Javier Milei, élu président il y a un an. «Un monstre de fiction inventé par le capitalisme ultraviolent, un Joker avec mèches folles et tronçonneuse, tout y est, un type délirant qui communique avec son chien mort, censé lui donner des ordres depuis l’au-delà.»

«Une société qui explose à tous les niveaux»

Bienvenue dans l’ère de l’ultrafiction au service d’un programme concret : destruction définitive de l’Etat, discours négationniste de la vice-présidente, fille de militaire, qui fait des selfies avec les tortionnaires en prison et raconte qu’il y aurait moins de 3 000 disparus pendant la dictature alors qu’on estime qu’ils étaient plus de 30 000, enrage Di Fonzo Bo. «Ce type est en train de vendre son pays à des entreprises étrangères qui auront le droit de puiser le pétrole argentin sans employer la population locale, le dollar va remplacer la monnaie nationale… Ça produit une société qui explose à tous les niveaux : mes sœurs restées en Argentine appartiennent à des camps totalement opposés et les voisins commentent nos origines italiennes, ça, je ne l’avais jamais vu.»

 

Marcial Di Fonzo Bo reprend son souffle, la colère ne retombe pas, cette colère qui l’anime depuis son adolescence sous la dictature militaire, à grandir et traîner dans la rue, les bars homos. Mais à l’époque, la colère était joyeuse «dans un mouvement de contestation génial qui passait par la scène rock. J’y ai appris qu’on pouvait dire une chose tout en faisant croire qu’on en disait une autre ; j’ai choisi de le faire au théâtre». Marcial a 18 ans, il commence le Conservatoire, et puis c’est l’exil, comme son oncle et sa tante Facundo et Marucha Bo, comédiens de la bande des Argentins de Paris, celle d’Alfredo Arias ou de Copi, l’avaient fait à la fin des années 60. Il lui faut deux ans pour apprendre le français, avant d’intégrer l’école du Théâtre national de Bretagne de Rennes à 22 ans. L’élève va vite, surdoué. Le conteur extraordinaire au phrasé envoûtant – il hypnotise chaque soir les spectateurs du théâtre de la Bastille – se révèle metteur en scène inventif au sein du Collectif des Lucioles. On est en 1994, il vient de rencontrer Claude Régy, enchaîne avec Matthias Langhoff et devient ce héros baroque du théâtre des années 90, installé trente ans plus tard à la direction du Quai, Centre dramatique national d’Angers, en successeur de Thomas Jolly.

 

 

«Aujourd’hui j’ai 55 ans et je suis très inquiet sur l’avenir des jeunes qui choisissent le théâtre, ici en France, plus encore en Argentine. Comment vont-ils résister ? Javier Milei a braqué la presse qu’il a rachetée, puis les artistes en coupant toutes les subventions. Maintenant il s’attaque aux universités, donc à la jeunesse. Mais il y a des signes qui me rassurent. En octobre dernier, pour la deuxième fois, des milliers d’étudiants étaient dans la rue. La prochaine fois, il faut espérer qu’ils vont tout casser.»

 

 

Portrait de l’artiste après sa mort de Davide Carnevali au théâtre de la Bastille (75011), du 25 au 27 novembre. Puis en tournée à Montluçon, Liège, Angers. Reprise de Dolorosa de Rebekka Kricheldorf, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo du 24 au 28 février au Quai CDN Angers-Pays de la Loire puis au théâtre du Rond-Point, à Paris ; et au TNB à Rennes.

 

 

 
Légende photo : Marcial Di Fonzo Bo décline son identité devenue texte pour la pièce «Portrait de l’artiste après sa mort» de Davide Carnevali. (Victor Tonelli/Victor Tonelli)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
September 18, 2024 3:51 AM
Scoop.it!

Jean-François Sivadier, « accoucheur des possibles de l’acteur »

Jean-François Sivadier, « accoucheur des possibles de l’acteur » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 17 septembre 2024

 

L’auteur et metteur en scène, qui signe avec « Portrait de famille, une histoire des Atrides » l’un des meilleurs spectacles de la rentrée, cultive l’éclectisme et se plaît à transformer la scène en espace de plaisir et de joie.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/17/jean-francois-sivadier-accoucheur-des-possibles-de-l-acteur_6321963_3246.html

A l’heure de parler de Jean-François Sivadier, on se retrouve face à un paradoxe. L’homme est à la fois transparent en apparence et énigmatique. Lumineux et semblant préserver jalousement ses zones d’ombre et de secret. Sa présence, minérale, massive, habite l’espace, banal, où il a donné rendez-vous, tout en se dissolvant de manière aérienne et rêveuse. Il est l’un des plus grands metteurs en scène français de théâtre et d’opéra, l’un des plus célébrés, doublé d’un auteur, mais… Mais quoi ? Il échappe, y compris à ses proches, qui témoignent de cette dimension insaisissable.

En attendant, l’impétrant signe l’un des meilleurs spectacles de la rentrée, avec ce Portrait de famille, une histoire des Atrides, à voir au Théâtre de la Commune (jusqu’au 29 septembre), à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), puis en tournée partout en France jusqu’à la fin de la saison : quatre heures de plaisir chimiquement pur, qui retournent les spectateurs comme une crêpe entre rire et effroi. Le spectacle, créé avec une promotion d’élèves-acteurs du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, s’offre comme une quintessence de son art de metteur en scène-auteur, où les paradoxes dansent la sarabande, entre tragédie et comédie, théâtre savant et fête populaire, énergie fracassante et mélancolie.

 
A 61 ans, il semble avoir encore gagné en liberté. Il n’en manquait pas, pourtant, dans les spectacles montés avec la troupe emmenée par son alter ego Nicolas Bouchaud, du Mariage de Figaro (2000) à Othello (2022), en passant par La Vie de Galilée (2002) ou Le Roi Lear (2007), de même qu’à l’opéra, où il a imposé d’autres codes, aussi bien avec La Traviata (2011) qu’avec Don Giovanni (2017) ou Carmen (2010).

« Espace de liberté »

Est-ce parce que le théâtre lui colle à la peau depuis toujours ou presque qu’il peut ainsi en faire un vaste terrain de jeu où tout est possible, pour la plus grande joie des spectateurs ? « Je ne sais pas ce qui a tissé cette fibre artistique qui nous a contaminés, mon frère [Pierre-Michel Sivadier, pianiste, compositeur, chanteur et auteur] et moi, s’interroge-t-il. Peut-être s’est-elle formée dans un épisode un peu mythique de notre famille : avant notre naissance, nos parents ont sillonné l’Afrique centrale, de village en village, avec leur petite entreprise de cinéma ambulant. »

 

 

Quand les deux frères Sivadier naissent, l’aventure est terminée, qui laisse sans doute ses effluves de nostalgie. Les parents gèrent un garage station-service au Mans. Du plus loin qu’il s’en souvienne, Jean-François Sivadier a créé des pièces pour marionnettes dans sa chambre et fondé un club théâtre à l’école dès l’âge de 10 ans. Premier spectacle : une adaptation de Peau d’âne, assortie d’imitations de Claude François. Cet éclectisme et ce goût pour la variété française seront toujours là, au fil d’un parcours où le théâtre a été comme un ventre maternel qu’il n’a plus jamais quitté.

 

Jouer, mettre en scène, écrire, associer théâtre et musique, tout était là depuis le départ. « Le spectacle, c’était un espace de liberté incroyable, un peu transgressif. Une manière d’être au monde plus intense, plus déraisonnable, plus folle », note-t-il. A partir de là, il a traversé des univers de théâtre très différents, qui semblent s’être agrégés pour former sa propre pelote, dans cette ville du Mans où, dans les années 1980, se côtoient le classicisme du metteur en scène André Cellier (1926-1997), qui dirige le Centre théâtral du Maine, et la radicalité du Théâtre du Radeau, avec l’artiste François Tanguy (1958-2022) à sa tête. Le Mans où, surtout, une météorite du théâtre français commence à débouler : Didier-Georges Gabily (1955-1996).

 

 

L’auteur et metteur en scène, à la fois star et un peu maudit, est l’un des trois grands dramaturges apparus dans ces années 1980, avec Koltès et Lagarce, mais c’est aussi le moins connu, en raison de sa mort prématurée, à 40 ans. « Sa rencontre a changé ma vie et ma vision du théâtre, assure Jean-François Sivadier. Il avait un rapport au texte, à la langue, à la prise de parole totalement différent de l’approche classique. Quelque chose d’archaïque, de “tripal”, de tribal, d’organique. Un rapport au corps qui faisait qu’on était toujours d’une certaine manière en train de danser. Il nous dirigeait comme des danseurs, lourds, puissants, un peu comme des monstres. Il n’expliquait rien, mais il portait sur nous un regard on ne peut plus amoureux et intense : on commençait un mouvement, et lui le continuait, nous suggérait sa suite, et c’était exactement ce qu’on avait envie de faire sans le savoir. Il mettait les acteurs au centre et les rendait immenses. C’est vraiment ce que j’ai gardé de lui : quelque chose de l’ordre d’un accoucheur des possibles de l’acteur. »

« Fête du plateau »

Jean-François Sivadier a fait mieux que retenir la leçon. Après la mort de Gabily, en 1996, il aurait pu se contenter d’être l’héritier en chef de cette étoile filante. Mais il avait d’autres désirs. Celui d’un théâtre plus ludique, plus joyeux, plus composite, notamment. « Le rapport au plaisir, il est fondamental pour moi. Brecht explique très bien à quel point le plaisir au théâtre est un outil de travail, qui permet au spectateur de rentrer dans la fable et dans les personnages. Et je me dis toujours qu’il y a peut-être un enfant de 10 ans dans la salle, qui ne va pas forcément comprendre telle pièce de Shakespeare ou d’Ibsen, mais qui, en éprouvant cette fête du plateau, pourra avoir un chemin avec le théâtre. Ce qui fait la principale particularité du jeu dans mes spectacles, c’est que le plaisir et la joie de prendre la parole sont le premier enjeu. »

Alors ce grand admirateur d’Antoine Vitez et d’Ariane Mnouchkine a inventé son propre théâtre, un théâtre où les cloisons tombent entre les acteurs et les spectateurs, qui sont convoqués comme des participants actifs à la représentation – sans qu’il s’agisse aucunement de théâtre participatif. « C’est une façon de mettre en scène le public tout en respectant sa place de public, détaille-t-il. De titiller sa capacité, son désir de jouer. Michel Bouquet disait que, au théâtre, on ne va pas assister à une représentation, mais jouer la représentation avec les acteurs. C’est tellement vrai… C’est une façon de dire aux spectateurs qu’on n’est pas là parce qu’on a un produit à leur montrer, mais pour faire une expérience qui ne peut advenir que parce qu’ils nous regardent. Cette idée de faire de la représentation un moment d’expérience, c’est un moteur extraordinaire : il s’agit de montrer les hypothèses que l’on met en jeu, plutôt que de définir une logique du comportement des personnages, et de créer un espace qui n’est qu’un décor, des accessoires qui ne sont qu’accessoires. On fuit alors l’illustration pour mettre en jeu l’énergie que l’on prête aux auteurs, la joie de leur geste originel d’écriture. »

 

 

 

 
 

Ce postulat mené tambour battant a produit nombre de spectacles réjouissants, qu’il s’agisse de pièces personnelles comme Italienne avec orchestre (1997) ou Sentinelles (2021), ou des mises en scène de grands classiques de Molière, de Shakespeare ou de Brecht. Des spectacles où, toujours, se mêlent le tragique et le comique, qu’il s’agisse d’injecter toute la dimension dérisoire et folle de l’humain dans La Mort de Danton (2005) ou dans Le Roi Lear, ou de gratter l’abyssale noirceur de Feydeau tout en laissant le public plié en deux de rire, dans une Dame de chez Maxim (2009) d’anthologie.

 

 

 

Lire la critique (2024) : Article réservé à nos abonnés « Sentinelles », trois partitions théâtrales pour un même amour de la musique
 
 

Ce mix and match comico-tragique a pu être reproché au metteur en scène, qui l’assume pourtant totalement, de même que le travail sur le clown, qui sous-tend son parcours et celui de ses acteurs, Nicolas Bouchaud en tête. « On ne parle pas là du clown à nez rouge, mais de ce qu’il en est pour un acteur de trouver son clown, précise-t-il. C’est comme un garde-fou : le meilleur moyen d’aller très loin dans la tragédie ou dans une figure d’une extrême violence, c’est d’avoir son clown en tête. D’avoir conscience qu’on pourrait faire la même chose de manière dérisoire, ridicule, grotesque. C’est lié à notre manière de mettre en jeu le rapport au public, aussi : les spectateurs savent très bien que, dans la vie, la comédie et la tragédie sont inextricablement mêlées. Pourquoi voudrait-on qu’au théâtre elles soient séparées ? »

 

Dont acte, avec ces Atrides en folie qu’est Portrait de famille. Jamais on n’avait autant ri devant la tragédie grecque. Et jamais, pourtant, on n’avait aussi bien compris l’enchaînement fatal des violences et des vengeances, en son mélange indissoluble d’intime et de politique. « Les Atrides parlent de toutes les formes de guerre, observe Jean-François Sivadier : entre les hommes et les dieux, entre les peuples, entre parents et enfants, frères et sœurs, hommes et femmes… Il y a en eux un motif universel, qui est celui de la famille comme premier foyer du rapport à l’autre, du traumatisme. Mais, pour autant, on est au théâtre et nulle part ailleurs, donc dans le jeu. Le philosophe Jacques Rancière dit que l’art n’est pas politique quand il essaie de retranscrire les conflits du monde mais, au contraire, quand il s’en écarte : en s’écartant, il leur donne plus de présence. »

 

Le paradoxe est bien le motif central du théâtre de Sivadier, tout autant que de sa personne. « Il y a chez lui une forme d’opacité, confirme son ami Nicolas Bouchaud, qui le connaît depuis plus de trente ans. Il garde une part d’enfance, d’innocence, et je crois que le mystère qui l’entoure sert à cela, à défendre ce noyau de l’enfance. »

 

Fabienne Darge / LE MONDE

Légende photo : Jean-François Sivadier, à Paris, le 9 septembre 2024.  ADRIENNE SURPRENANT/MYOP POUR « LE MONDE »

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 24, 2024 4:30 AM
Scoop.it!

Un apéro avec Philippe Torreton : « J’ai été assimilé grande gueule, réduit à l’acteur engagé »

Un apéro avec Philippe Torreton : « J’ai été assimilé grande gueule, réduit à l’acteur engagé » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde - 17 mai 2024

 

 

Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Dans son dernier roman, « Un cœur outragé », Philippe Torreton raconte la vengeance d’un comédien mis au ban par le milieu du cinéma. Toute ressemblance avec sa vie n’est pas fortuite.

 


Lire l'article sur le site de "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2024/05/17/un-apero-avec-philippe-torreton-j-ai-ete-assimile-grande-gueule-reduit-a-l-acteur-engage_6233886_4497916.html

 

Quand on demande à Philippe Torreton pourquoi il a choisi Fulvio pour notre apéro, ils sont deux à répondre, le comédien et le patron de ce petit restaurant italien niché dans le quartier du Marais, à Paris. « On s’est connu en 1998 sur le tournage de Ça commence aujourd’hui, de Bertrand Tavernier. Dans une scène d’anniversaire, on chantait La Traviata », se souvient le restaurateur, Fulvio Trogu. « C’est ici que Bertrand m’a proposé ce scénario », complète Philippe Torreton, un verre de pinot grigio à la main. Depuis trente-cinq ans, Fulvio, un Sarde à la barbe fournie digne de celle d’Hagrid dans Harry Potter, tient la barre de cette bonne adresse de pâtes qui a vu passer quelques célébrités. Convivial, il pose au milieu de notre table une appétissante assiette de jambon cru et parmesan, et se retire derrière son comptoir. Il est à peine 19 heures, les clients ne sont pas encore arrivés, il peut écouter tranquillement son ami Philippe.

 

 

A 58 ans, Philippe Torreton se fait rare au cinéma mais devient coutumier des rayons de librairie. C’est pour son dernier roman, Un cœur outragé (Calmann-Lévy, 190 pages, 19,90 euros), qu’on a eu envie de le rencontrer. Dans cette fable enlevée et truculente, un comédien désillusionné décide de se grimer pour s’offrir une seconde chance et se venger, grâce à un formidable stratagème, de la cruauté du milieu du cinéma qui lui a fermé les portes. Toute ressemblance avec l’auteur n’est pas purement fortuite. « Le pourquoi de ce livre est multiple. J’avais raconté un jour à mon maquilleur, qui m’a notamment transformé en Cyrano pour le théâtre et en Michel Fourniret pour un téléfilm, mon vieux fantasme de jouer un jour sous une fausse identité. Puis il y a eu ma mise à l’écart du cinéma après ma tribune sur Depardieu, en 2012 [une charge contre l’exil fiscal de l’acteur], et ma lecture, sur le tard, de Romain Gary. Tout s’est imbriqué et ça a fait tilt dans ma tête », développe-t-il.

 

« En écrivant, j’ai tout autant questionné le monde du cinéma que je me suis questionné sur moi-même. Ce livre est aussi introspectif », reconnaît-il. Mais à la différence de son personnage de roman, Albert Stephan, il jure ne ressentir « ni aigreur, ni amertume, ni sentiment de solitude ». Malgré la « frustration » de ne pas avoir eu, depuis douze ans, de rôle important au cinéma (« le temps long passé à tourner me manque »), de seulement « picorer » des rôles secondaires, il n’a pas de « comptes à régler » et est « heureux » dans sa vie. Parce que le théâtre est toujours là. Sur la table est posé Le Funambule, de Jean Genet, dont il s’imprègne avant de le jouer la saison prochaine à la MC2 de Grenoble puis à Paris. Et parce qu’il y a l’écriture, arrivée par le hasard d’un journal de bord (Comme si c’était moi, Seuil, 2004) et qui, en 2014, grâce à Mémé (éditions de l’Iconoclaste), lui a offert les joies d’un best-seller. Son hommage à sa grand-mère maternelle s’est écoulé à plus de 200 000 exemplaires.

Trop de « suspicion », de « jalousies »

Comme son personnage d’Un cœur outragé, Philippe Torreton s’est toujours senti « dépareillé » dans ce petit monde du cinéma où l’« allégeance » est la norme. « Quand j’ai déboulé de ma banlieue de Rouen et de mon club de théâtre amateur dans cet univers-là, je n’ai eu que des affolements », résume-t-il. Son admission au Conservatoire national d’art dramatique est un tel « chamboulement »  qu’il en fait de la tachycardie. « Je n’en revenais pas d’avoir réussi ce concours. Nous n’étions que trois provinciaux sur une promotion de trente. » Puis, quand, en fin de troisième année, grâce au soutien de ses professeurs (Catherine Hiegel, Daniel Mesguich, Madeleine Marion), il intègre la Comédie-Française, alors dirigée par Antoine Vitez, c’est encore une étape « joyeuse » mais « perturbante ». « C’est le combat qu’on mène tous avec l’estime de soi, c’est une lutte éternelle », analyse-t-il.

 
Scapin, Lorenzaccio, Hamlet, Tartuffe… le pensionnaire puis sociétaire du Français enchaîne les grands rôles mais finit par claquer la porte de la vénérable institution, en 1999. Trop de « suspicion », de « jalousies ». Philippe Torreton est, à l’époque, l’un des rares comédiens de la Comédie-Française à faire du cinéma. Et le premier d’entre eux à décrocher, en 1997, à l’âge de 32 ans, le César du meilleur acteur pour Capitaine Conan, de Bertrand Tavernier. « Cette récompense a été le comble du comble ! Je n’avais pas envie de me justifier, j’ai préféré partir pour préserver ma joie de faire des choses. »
 

Sans regret, il poursuit sa route, alternant tournages (Monsieur N, d’Antoine de Caunes, L’Equipier, de Philippe Llioret, Ulzhan, de Volker Schlöndorff) et scène (Henri V, Richard III). Alors qu’il est en train de répéter le rôle de Cyrano de Bergerac sous la direction de Dominique Pitoiset, l’actualité le rattrape. La politique a toujours intéressé ce fils d’une institutrice et d’un pompiste, engagé à gauche. Alors, quand il découvre, dans Le Journal du dimanche, la lettre de Gérard Depardieu en réponse au premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, qui a jugé « assez minable » que la star parte en Belgique pour échapper à l’impôt, le « citoyen » Torreton ne peut s’empêcher de réagir.

 

 

Lui qui a soutenu Ségolène Royal en 2007 et François Hollande en 2012 prend la plume et publie, en décembre 2012, dans Libération, sa tribune devenue fameuse titrée « Alors Gérard, t ’as les boules ? ». Sans détour, en dégustant son second verre de vin blanc, il accepte de revenir sur cet épisode qui lui a valu une flopée de réactions négatives dans le landerneau cinématographique. « Je n’avais pas l’impression de m’adresser à un monstre sacré du cinéma mais à un citoyen. Il y avait de l’indécence de sa part à se poser comme la victime d’une cabale. Cette tribune, j’aurais aimé que ce soit un ministre des finances qui l’écrive. Cette léthargie autour de l’exil fiscal… merde quoi ! Je viens d’un milieu où on comptait ses sous, où payer ses impôts avait un sens. Ce texte, je l’avais réfléchi, les conséquences, non. »

« Marre d’être tout seul »

Deneuve, Luchini, Gad Elmaleh, plusieurs célébrités critiquent vertement sa prise de position. « Personne n’a répondu sur le fond. C’était : “Qui es-tu pour t’attaquer à Depardieu ?” Benoît Jacquot m’a même reproché mon manque d’“inconditionnalité” vis-à-vis du monstre sacré ! Le seul a m’avoir soutenu publiquement a été Magyd Cherfi, du groupe Zebda. Le plus douloureux, ça a été ces producteurs et metteurs en scène avec qui j’avais travaillé et qui ne m’ont plus fait tourner. Est-ce qu’on a reproché par le passé leur engagement à Simone Signoret, Yves Montand, Daniel Balavoine ? Ces artistes citoyens font partie de mon patrimoine. »

L’éphémère conseiller de Paris, époque Delanoë, ne souhaite plus commenter la politique, mais il continue à s’y intéresser. « J’ai été assimilé grande gueule, réduit à l’acteur engagé, j’en ai eu marre d’être tout seul. » De toute façon, face aux enjeux du monde, en particulier celui du réchauffement climatique, il ne croit plus qu’à une alliance transpartisane, « à l’image de l’union sacrée qui prévalut lors de la guerre de 1914-1918. Malheureusement, l’être humain ne se réveille que face à la catastrophe ».

 

Quant au #metoo du cinéma, l’auteur de Lettre à un jeune comédien (Tallandier, 2022) s’en félicite et ne craint pas le grand déballage. « Le phénomène a été tellement tu. Après des décennies de non-dits, de gens bafoués, on ne va quand même pas reprocher aux victimes de parler. Cette parole va se libérer encore et encore, jusqu’à ce que les choses changent. »

 

 

Sandrine Blanchard

 

Légende photo : Philippe Torreton, au restaurant Fulvio, Paris 3ᵉ, le 7 mai 2024. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE »

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 12, 2024 5:54 PM
Scoop.it!

Zakary Bairi, un comédien mû par le désir

Zakary Bairi, un comédien mû par le désir | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde  12 mai 2024

 

A 21 ans, le performeur franco-algérien autodidacte, qui enchaîne les projets depuis ses 14 ans, est à l’affiche de « Plutôt vomir que faillir », de Rébecca Chaillon, et de « Cabaret Khalota », de David Wampach.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/12/zakary-bairi-un-comedien-mu-par-le-desir_6232839_3246.html

Zakary Bairi ne compte plus les kilos de purée de pomme de terre qu’il a ingurgités pour les besoins de la cause. La cause ? Celle du spectacle Plutôt vomir que faillir, dont le titre vous projette illico au bord des toilettes régulièrement récurées sur le plateau. Créée en 2022 par la metteuse en scène et performeuse Rébecca Chaillon, cette pièce nerveuse sur l’adolescence, l’identité, le genre et la nourriture compte déjà 114 représentations et des dizaines de sachets de flocons déshydratés. « Plus de quatre cents saladiers de purée pour le moment, car je mange vite, et j’ai parfois le hoquet en parlant en même temps, déclare Zakary Bairi, tout sourire. Une chose est sûre, je ne peux plus voir une assiette de rosbeef-purée au restaurant. Sans compter que j’avale aussi du ketchup, de la moutarde, et que j’ai des boutons sur le torse. »

 

Faire la connaissance de Zakary Bairi autour d’un café en hiver, le rencontrer au printemps entre un jus d’orange et un verre de vin blanc, promet au moins deux choses : passer de très bons moments et repartir en pleine forme après chaque conversation. Entre anecdotes existentielles, commentaires artistiques et tirades inopinées tirées du solo Klein, conçu en 2020 autour d’Yves Klein par la chorégraphe Olivia Grandville, le jeune homme, qui a fêté ses 21 ans le 14 avril, aime se raconter. « Au début, je ne parle pas trop et, une fois lancé, je ne sais plus m’arrêter », reconnaît-il.

 
Il faut dire qu’avec déjà sept ans de travail derrière lui auprès d’artistes de tout poil, ce fan d’Alain Cuny, de Gérard Philipe et de Jacqueline Maillan ne manque pas de munitions. « Parfois, j’ai l’impression d’avoir 70 ans et je me sens très vieux, poursuit-il. Je suis tiraillé entre ma vie d’adulte et le fait que je me sente encore ado. J’ai beaucoup de chance, le luxe de vivre mon désir. Même si je ne me sens pas légitime, car je ne sors pas d’une école, comme certains. »

Syndrome d’illégitimité

Un coup d’œil sur son agenda gomme pourtant vite le syndrome d’illégitimité de celui qui « traverse les formes ». Théâtre, danse, performance, vidéo, il enchaîne les projets et rêve de cinéma. Parallèlement à la tournée de Plutôt vomir que faillir, où il irradie auprès de trois comédiens aussi épatants que lui, il va participer à un spectacle de cabaret intitulé Khalota, avec le chorégraphe David Wampach, connu pour ses expériences extrêmes. « Je serai présentateur avec mon amie la chanteuse Dalila Khatir, indique Zakary Bairi. Nous allons travailler à partir de slogans des manifestations algériennes de ces dernières années. » En ligne de mire de l’automne, les répétitions d’Edouard III, de Shakespeare, avec le metteur en scène Cédric Gourmelon. « Ce sera la première fois que j’interpréterai un classique, encore jamais monté en France », se réjouit-il avec gourmandise.

 

Zakary Bairi est né et a grandi à Pessac (Gironde), près de Bordeaux. Père algérien et mère française. Il a une sœur aînée, Anissa, et un petit frère, Ilhan, handicapé, de sept ans plus jeune que lui, dont la naissance et les difficultés ont concentré l’attention maternelle. « Je me suis mis à faire l’intéressant pour attirer les gens, confie-t-il. Je jouais tout le temps, je me déguisais… » Le regard qui sauve est celui de la grand-mère maternelle, Michèle, qui entend le désir brûlant de son petit-fils de faire du théâtre et l’encourage à s’inscrire à l’atelier de son collège. « Elle m’a également abonné au magazine L’Avant-Scène, glisse-t-il. J’étais assez déprimé ado et le théâtre est la seule raison pour laquelle je suis resté vivant. »

 

Il a 14 ans lorsqu’il auditionne pour la pièce Cheptel, conçue en 2017 avec des adolescents par Michel Schweizer. « Je jouais un peu trop comme “Au théâtre ce soir”, que je regardais sur YouTube, mais Michel m’a engagé quand même, raconte-t-il. On a tourné pendant quatre ans. Je voyageais, je gagnais de l’argent, je n’allais pas souvent au lycée. J’ai commencé à me gaver de spectacles et à aller au théâtre régulièrement. » Quant à Michel Schweizer, il se rappelle que « Zakary détonnait parmi les autres par sa maturité intellectuelle et émotionnelle ». Il ajoute : « C’est un phénomène. Ça va très vite pour lui, car c’est vital. Il a un élan relationnel incroyable et ne veut rien rater. Il possède une lucidité sur la vie et le milieu assez rare pour un jeune de son âge. »

Talent et persévérance

Comment fonctionne donc Zakary Bairi, nourri à YouTube et grand lecteur depuis l’enfance, qui semble déjà connaître toute la planète spectacle de France ? « J’écris des mails aux personnes que je rêve de rencontrer. J’adore écrire, c’est mon truc », dit-il. Il a 16 ans lorsqu’il prend contact avec Marie-Noëlle Genod, avec qui il entretient une correspondance pendant deux ans avant de jouer dans une performance au Carreau du Temple, à Paris. « Vous parlez aussi bien que vous écrivez », le complimente Genod, qui le fait improviser au milieu de cent danseurs.

 

Quelque temps plus tard, il lui propose de lire le Kama-sutra avec l’accent arabe pour Ainsi parlait Kamasutra (2021). A 17 ans, en janvier 2021, Zakary Bairi envoie une lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, publiée dans Mediapart, dont le contenu trouve un écho chez le chorégraphe François Stemmer. « Et on parle, on parle, on parle », se souvient-il. Jusqu’à la création, en 2022, de RIMB, sur Rimbaud.

 

De ces années de jeunesse, Zakary Bairi a conservé des soutiens plus qu’indéfectibles. A 12 ans, il participe au festival Les Toiles filantes, piloté par le cinéma Jean-Eustache, à Pessac. Il fait partie du jury d’enfants et visionne des films pendant une semaine. C’est là qu’il croise Florence Lassalle, conférencière et au conseil d’administration du cinéma. « Il donnait son opinion avec beaucoup de précision et a suivi deux éditions du festival, souligne-t-elle. On est devenus amis et je l’ai emmené au théâtre. Zakary sait se faire aimer, et rencontrer quelqu’un comme lui n’arrive pas souvent dans une vie. »

 

 

Mais ce réseau ne serait rien sans talent ni persévérance. Celui qui veut « apprendre des choses qu’[il] ne sai[t] pas faire » donne des ateliers autour des thèmes présents dans la pièce de Rébecca Chaillon. Il a écrit une autobiographie, intitulée Testament Adolescent, pendant le Covid-19 et vient de livrer un manifeste : Je fais de l’art pour que les méchants se suicident. « Pourquoi certains continuent-ils de vouer leur existence à l’acte de création quand n’importe quel morceau de musique peut être fabriqué par un ordinateur et un texte pondu par une intelligence artificielle ?, y demande-t-il. Peut-être parce que l’Art n’est pas une option, parce que l’Art n’est pas un “plus” ni un divertissement ni même un passe-temps… Peut-être aussi parce qu’il y a des virtuoses et que cette virtuosité a une fonction dans nos sociétés : nous prouver qu’au-delà de ses petites bassesses biologiques, l’Homme est capable de grandes choses. »

 

Plutôt vomir que faillir, de Rébecca Chaillon. Du 14 au 16 mai au Théâtre Sorano, à Toulouse ; du 24 au 26 mai à La Minoterie, à Dijon ; du 29 mai au 2 juin, au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse).

Cabaret Khalota, de David Wampach. Le 16 mai au Cratère, à Alès (Gard) ; le 17 mai à La Berline, à La Grand-Combe (Gard).

 

Rosita Boisseau

 

 

Légende photo : Zakary Bairi, à Paris, en février 2023. MÉLODIE LAURET
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 26, 2024 12:35 PM
Scoop.it!

Juliette Binoche, de ses débuts à #MeToo : «Toutes ces blessures provoquent une rage, mais aucune envie d’arrêter» 

Juliette Binoche, de ses débuts à #MeToo : «Toutes ces blessures provoquent une rage, mais aucune envie d’arrêter»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Anne Diatkine dans Libération - 26 avril 2024

 

 

Dans un entretien exclusif, l’actrice revient sur ses débuts au cinéma à la lumière de la révolution #MeToo. Evoquant les nombreuses scènes de nu, les rôles systématiquement sexualisés ou encore les agressions sur les tournages.

 
 

C’est une parole qui va vite, aussi rapidement que la jeune actrice au milieu des années 80 qui veut exercer son art – au théâtre d’où elle vient car ses deux parents sont comédiens, et au cinéma, peuplade étrangère dont elle ignore alors totalement les codes, les coutumes et le vocabulaire. «Casting» fait partie des mots inconnus. C’est l’histoire d’une jeune fille animée par une nécessité intérieure que rien ne peut décourager. Elle découvre un monde, certes brillant et désirable, mais constamment susceptible de malmener son intégrité ou la mettre en danger. Où mettre les limites ? Comment les appréhender quand on a 18, 20 ans, avec pour seul guide son intuition ? C’est la parole d’une actrice devenue star, à la filmographie internationale, époustouflante en raison de la diversité des grands cinéastes qui jalonnent sa route – Leos Carax, Krzysztof Kieślowski, Michael Haneke, Abbas Kiarostami, Claire Denis, Olivier Assayas, André Téchiné pour n’en citer que quelques-uns, et récompensée par les prix les plus prestigieux (oscar, coupe Volpi à la Mostra de Venise, césar, prix d’interprétation à Cannes).

Juliette Binoche a une particularité : même quand elle était très jeune, elle n’a jamais fait du silence sa loi. Ne pas s’encombrer, mais revisiter sans anachronisme ses débuts à la lumière de la révolution #MeToo : tel est le pari de cette rencontre avec  Libération. En France, aucune actrice de renommée internationale n’avait jusqu’à présent pris la parole. L’entretien s’est fait en plusieurs temps, et Juliette Binoche, qui l’a relu et peaufiné pour préciser certaines formulations ou détails, s’est investie largement dans son écriture.

 

 

«Mes tout débuts se résument à deux questions : Comment survivre ? Comment faire de ce désir de jouer une réalité ? Encore au lycée, j’ai eu la possibilité de prendre un café avec Dominique Besnehard qui m’a proposé de passer à son bureau pour apporter une photo de moi nue, précision qui m’avait embarrassée, dans l’éventualité d’être prise dans Mortelle Randonnée de Claude Miller au début des années 80. Je n’ai pas accédé à ce (petit) rôle, mais Besnehard m’a fait un cadeau inespéré : les coordonnées d’un agent. A partir de là, bac en poche, je me suis mise à courir les castings à droite à gauche tout en étant caissière au BHV et en poursuivant mes cours de théâtre le soir chez Véra Gregh, ma boussole. Les réponses étaient souvent négatives. Je passais parfois plusieurs tours, mais dans cette grande foire aux enchères des actrices, je ne parvenais jamais à la dernière étape. Le tout premier casting (je ne connaissais pas encore ce mot) c’était pour les Meurtrières, un film que Maurice Pialat n’a finalement pas tourné. Au mur, était placardée une affiche de Diva de Jean-Jacques Beineix avec le profil d’un comédien que je venais de croiser, Dominique Pinon. Pialat a suivi mon regard : “Vous aimez ce film ?” J’ai répondu «oui !» «Eh bien, prenez la porte.» J’ai pris la porte sans l’emporter, la tête brouillée. Puis on m’a rappelée peu de temps après… pour me poser des questions sur mon rapport à la mort.

 

 

«Jean-Luc Godard a vu une photo de toi, il aimerait te voir»

«Quelques mois plus tard, j’ai tourné deux jours dans Liberty belle. Le réalisateur Pascal Kané m’invite à dîner à l’hôtel Nikko dans les hauteurs d’une tour pour me parler, m’avait-il assuré, d’un autre projet. Alors qu’il me désigne la vue sur le front de Seine, il se jette sur moi pour m’embrasser. Je l’ai repoussé vigoureusement : “Mais j’ai un amoureux !” Je n’en revenais pas. J’avais quelques repères de méfiance, une première fois pour avoir été touchée par un maître d’école à 7 ans qui m’apprenait à lire en caressant mon sexe derrière son bureau devant la classe. Le choc était de m’apercevoir que ce réalisateur se servait lui aussi d’un stratagème et de ma bonne foi pour arriver à ses fins. Quelques années plus tard, j’ai relaté l’agression de Kané dans une revue de cinéma, et il a exigé que je demande un rectif, pour dire que la journaliste m’avait mal comprise. Refus de ma part. En plus il faudrait se taire ?

«Vient le jour où mon agent me dit : “Jean-Luc Godard a vu une photo de toi, il aimerait te voir.” A l’époque, il fallait avoir ses propres photos qu’on déposait dans diverses officines, ça coûtait une blinde. J’avais transformé ma salle de bains en labo et développais moi-même les images que prenait mon amoureux. J’avais réussi mon premier rendez-vous, je devais passer mon deuxième examen. J’étais obnubilée par une infection oculaire attrapée trois jours avant au BHV et la crainte de n’être pas choisie à cause de cet œil déformé. J’arrive, Jean-Luc me donne les instructions. Me déshabiller, tourner autour d’une table toute nue en lisant un poème tout en me peignant les cheveux pendant qu’il filme. S’il avait exigé que je décroche la Lune, j’aurais sans doute trouvé le moyen d’y parvenir. Je n’ai pas eu le rôle. Quelques jours plus tard, un message m’apprend que Godard avait créé un rôle «rien que pour toi», précise le répondeur, «tu seras la copine de Marie». C’était pour Je vous salue Marie. On est restée plusieurs mois à attendre dans un hôtel en Suisse, sans scénario, avec en prime, pour moi, des cours de basket. J’étais impressionnée par la présence de Jean-Luc, il baillait à l’intérieur des phrases, son regard paraissait inatteignable derrière ses lunettes fumées, mais il avait la main généreuse quand il signait nos chèques. On pouvait survivre. Pendant le tournage, j’ai couru ramasser une balle de basket qui était partie hors champ à la fin d’une prise. Réaction cinglante du cinéaste : «Fais pas semblant d’aider.» J’avais justement appris à aider ou être aidée dans les cours de théâtre, mais là, plus de prévenance, ni de bienveillance, il s’agissait de ne pas s’approcher, saisir la bonne distance, sans père ni maître, seule. Dès lors, j’ai compris qu’il n’y avait rien à attendre d’un metteur en scène, je devais être grande à 20 ans. La violence d’un Pialat ou d’un Godard me disait : tu es sur ton chemin, fais de cette solitude un art.

 

«Juste après l’épisode Kané, j’ai obtenu un petit rôle l’été 84 dans la Vie de famille de Jacques Doillon, avec Sami Frey. Doillon, c’était une référence pour les actrices de ma génération. Sur place, tout de suite je devais retirer ma robe tee-shirt dès la première scène en hurlant. J’étais cap, c’est ce qui comptait. Pas consciente du méli-mélo de répliques perverses, trop émue d’avoir été choisie face à Juliet Berto, ma mère dans le film. Rétrospectivement, certaines répliques que m’adresse Sami Frey, qui joue mon beau-père, font froid dans le dos : “Ta mère veut que je t’aime. Elle rêve que nous fassions l’amour ensemble. Alors je vais t’aimer.” Pas sûre d’avoir compris ces répliques à l’époque. J’ai pourtant gardé un bon souvenir de ce tournage. Sami Frey était très respectueux avec moi. Et d’ailleurs, quand il a vu Rendez-Vous, le film d’André Téchiné qui m’a fait connaître, il m’a drôlement engueulée : “N’accepte jamais de te laisser filmer comme ça, il ne faut pas te laisser faire.” L’avait particulièrement choqué un gros plan de mon pubis avec la tête de Lambert Wilson à côté dans l’autre sens. C’est filmé de haut, bien cadré. J’étais surprise par son indignation. Je ne voulais pas de conflit avec le réalisateur. Ma mère aussi a poussé un cri que j’ai pris pour de l’admiration, quand elle a découvert Rendez-vous à Cannes : «Comment t’as fait ?» Elle était horrifiée, je ne l’ai compris qu’après. Moi, j’étais au-delà de la joie. Le film était grandement accueilli à Cannes.

 

«Pendant ces deux ans interminables où je me suis débattue pour survivre dans ma quête d’être actrice, il était souvent demandé de se déshabiller pour passer un casting. Je m’exécutais. Mais il y a eu une fois de trop : sous le regard de Sébastien Japrisot, auréolé du succès de l’Eté meurtrier qu’il avait écrit, nous devions jouer les mêmes scènes encore et encore en sous-vêtements et jarretelles. Je suis sortie en plein milieu de ce casting en rage, j’avais compris que le dessein poursuivi n’était pas celui du film.

 

«Pour Rendez-vous, je n’ai pas passé d’essai. André Téchiné m’a choisie contre la volonté du producteur Alain Terzian, trois jours avant le début du tournage. André m’a demandé d’aller le voir à son bureau. J’avais investi dans une robe et un manteau Alaïa, que je portais dans les moments importants. Je me revois remonter l’avenue Messine en pleurant à l’idée de me présenter, afin, j’en avais conscience, de me vendre. Il m’a bien détaillé des pieds à la tête en insistant sur les parties qui l’intéressaient. On a parlé quelques minutes à peine et il m’a congédiée.

 

«Il ne m’échappait pas complètement que ce besoin effréné de corps nus au cinéma dans les années 80-90 ne concernait que les jeunes femmes, rarement les hommes, sauf avec Chéreau et par la suite Téchiné. Ça ne me révoltait pas, je prenais cette exigence en patience. Il n’y avait pas un scénario sans une scène nue. A chaque fois c’était difficile. J’ai appris à sauter dedans, comme on plonge en mer froide, tête la première. Je voyais la date des scènes nues arriver avec effroi sur le plan de travail : plus qu’une semaine, plus que deux jours… L’angoisse montait comme le courage.

 

Sur Rendez-vous, pendant l’hiver glacial 84, j’avais assimilé les exigences du tournage : froid, nudité, humilité. Et parfois humiliation. J’acceptais tout avec fougue. A chaque fois qu’on tournait une scène de sexe, le producteur Terzian s’installait devant sur le plateau avec son gros cigare à la bouche. Mais sa présence ne pouvait entamer ma ferveur, j’étais trop occupée à tourner les scènes difficiles qui m’attendaient : me faire cracher dessus, mimer une pipe et prétendre faire l’amour sur des escaliers. Il y a une scène où Nina, le personnage que j’interprète, dit à Jean-Louis Trintignant : “C’est ma chance et je ne la laisserai pas passer.”   C’était tellement extraordinaire d’avoir été choisie qu’il fallait que je donne tout ce que je pouvais. Si je ne m’étais pas engagée physiquement autant, peut-être que ce rôle n’aurait pas été investi complètement.

«La marchandisation de mon corps s’est reproduite»

«Ces épreuves m’ont rendu plus forte : je plaquais au sol ma vulnérabilité. Mais je savais qu’il y avait des interdits : on ne touche pas aux parties intimes. Ce qui m’avait attristée à l’époque de la sortie du film de Doillon est que même avec un tout petit rôle, j’apparaissais seins nus sur l’affiche. Cette exposition me mettait très mal à l’aise. La marchandisation de mon corps s’est reproduite ensuite avec l’affiche de Rendez-vous d’André Téchiné où je suis de dos cabrée totalement dénudée. C’était la machination consensuelle d’Alain Terzian, de Bettina Rheims la photographe et du graphiste Benjamin Baltimore. Il fallait vendre, que ça marche, que ça marque. Cette séance photo avec la présence du producteur où j’étais déshabillée face à Lambert Wilson habillé me laissait démunie, désespérée au fond, sans voix. Scandale : des gens l’arrachaient sur les colonnes Morris. Et dans ma famille paternelle, cette exposition associée au nom de Binoche fâchait. André Téchiné, lui, était contre tout ce marketing, il ne voulait pas de cette affiche.

 

 

«La focale, le cadre, les mouvements de caméra : tous ces mots m’étaient inconnus. Je remarquais à peine la caméra. On tournait bien sûr en pellicule, il n’y avait pas de retour vidéo à montrer aux acteurs. Ma bouée de secours, c’était la confiance. Elle le reste ! C’est elle qui permet de se donner corps et âme, de rester solidaire avec le film quoi qu’il advienne. Cette confiance a été trahie quelques années plus tard, sur le deuxième film qu’on a fait ensemble, André et moi, pour Alice et Martin. L’idée d’un plan dénudée ne me plaisait pas. André a juré qu’il l’enlèverait si je le lui demandais une fois le film monté. Il n’a pas tenu parole. Il a fallu l’intervention du producteur. Cette trahison m’a vraiment déçue, peut-être plus encore que le plan lui-même. Une première fois déjà, sur Rendez-vous, il y a eu un geste que je préférerais oublier. Une main, tandis qu’on tournait, est venue me toucher subitement le sexe. On ne m’avait pas prévenue, et encore moins demandé mon accord. J’étais stupéfiée. Mais je n’ai pas été capable de le dire. Je n’ai jamais su si cette main provenait d’une demande du metteur en scène, ou si c’était l’acteur qui avait pris cette liberté et je n’ai pas trop envie de le savoir. Focaliser ma colère sur une personne précise ? Pourquoi ?

 

 

«Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que je pouvais exiger quand les scènes l’imposent, un plateau fermé. Ou remettre en question dans un scénario une scène nue que je ne trouvais pas nécessaire. J’ai pu le faire sur Bleu de Krzysztof Kieślowski. J’ai été tellement rassurée sur l’Insoutenable légèreté de l’être, quand j’ai réalisé que le producteur Saul Zaentz était absent quand on tournait les scènes nues alors qu’il était sur le plateau tous les autres jours. L’Insoutenable légèreté de l’être était mon premier film à gros budget, à l’étranger, avec une star montante, Daniel Day-Lewis. Là aussi j’ai été choisie une semaine avant le tournage et les scènes nues étaient nombreuses… Même sur ce film, le réalisateur est entré dans ma caravane pour me peloter. Je l’ai repoussé, il n’a pas insisté. Lena Olin, qui tenait l’autre rôle féminin, m’a dit qu’elle avait eu droit aux mêmes tentatives.

«Au fond, tout est pardonné. Tout est transformé, tout m’a sculpté»

«Toutes ces blessures provoquent une rage, une révolte. Mais aucune envie d’arrêter. Les coups bas, les gestes déplacés, les remarques sexistes : je ne les oublie pas, elles empoisonnent la vie, mais elles restent secondaires. Au fond, tout est pardonné. Tout est transformé, tout m’a sculpté. Le désir de me donner à travers le jeu reste plus fort, l’art du jeu est une forme de connaissance jubilatoire secrète, impossible à saisir, à voler.

«Je n’ai pas toujours su protéger mes camarades. Avant Rendez-vous, j’avais rendu visite sur un tournage à une amie actrice de mon âge alors très en vogue. Son partenaire de jeu avait sa tête dans son entre-jambe. Elle était nue sans aucune protection. Ils filmaient sans gêne, je suis restée sans voix. Je n’ai pas su trouver les mots, elle semblait si insouciante. Je suis partie vite, défaite. Une autre fois, j’ai compris avec le recul, c’était à peine perceptible, qu’une figurante se faisait violer par un acteur dans les Enfants du siècle au cours d’une scène d’opium dans un bordel. J’ai aperçu la jeune femme partir sonnée une fois le tournage terminé, comme si elle avait reçu un coup de poing. J’avais la haine. Cet acteur est mort aujourd’hui.

 

 

«Peut-être en raison de mon histoire personnelle, j’ai vécu dans une idéalisation du metteur en scène et défendu les cinéastes auteurs et indépendants. Avec une certaine soumission que j’associais à de la protection. J’avais le sentiment d’appartenir à une caste, d’approcher au plus près une forme artistique, nouvelle, vibrante. Obéir était une façon aussi de ne pas être totalement moi-même, d’être dans une dépendance qui me rassurait. Au fil du temps, cette relation est devenue plus égalitaire, circulaire. Mais j’ai dû gagner cette indépendance, par des combats, des crises, des séparations. J’ai encore du chemin à faire. Aujourd’hui je n’ai plus besoin d’être sauvée par cette image masculine du père protecteur ou de l’amant qu’il faut satisfaire.

 

«A l’époque de Mauvais Sang, rien ne me semblait plus merveilleux que d’être filmée par Leos Carax, par l’homme que j’aimais et qui m’aimait, de faire œuvre avec lui. Et de me battre pour notre film, notre enfant. Quand Téchiné a vu le film, il a critiqué fermement la façon dont Leos m’avait filmée, l’image de la femme parfaite, icône de beauté. J’étais idéalisée. Sans doute enorgueillie par cette nouvelle image, j’ai avancé dans le cinéma avec un certain poids : le désir de perfection. Par la suite, j’ai poussé Leos à créer des personnages plus réels, qui transpirent, qui se lavent, dans les Amants du Pont-Neuf. Leos avait horreur de toutes ces scènes nues “hystériques” comme il disait. Il n’en voulait pas. C’est moi qui lui ai demandé de tourner cette scène dans les Amants où je me lave dehors nue, de loin. Scène que j’avais vue dans la rue quand j’étais en préparation.

 

 

«Sauter en parachute, plonger dans la Seine à 6 degrés, s’épuiser à la mesure des personnages qu’on joue : pendant des années, ne pas faire semblant était pour moi la moindre des choses. J’adorais ces challenges physiques. Sur les Amants du Pont-Neuf, pendant ma préparation du film, j’ai accompagné une jeune femme Véronique qui vivait dans la rue, ancienne toxico. Elle faisait la manche, pendant que je dessinais. J’avais gardé le patch sur l’œil que je porte dans le film. Ça me semblait important d’éprouver la vie de mon personnage, même si à la grande différence de tous ceux que je côtoyais, j’avais une carte de crédit dans la poche arrière de mon pantalon. Deux fois, durant ces immersions qui pouvaient durer plusieurs semaines, j’ai été agressée, et une autre fois, j’ai vraiment eu peur, j’ai failli me faire violer dans un hôtel misérable à Strasbourg-Saint-Denis qui s’est révélé être un hôtel de passe.

«Maintenant, c’est la vie ! Rien que la vie»

«Sur les Amants du Pont-Neuf, un événement fatidique est survenu. Lestée de douze kilos autour de la taille pour pouvoir descendre cinq mètres sous l’eau, d’une perruque, d’un lourd manteau, de bottes, j’ai échappé d’un cheveu à la noyade. Denis Lavant et moi étions censés être en sécurité, sous le regard de deux plongeurs professionnels. Il était convenu qu’on fasse le mouvement de la main des plongeurs si on manquait d’oxygène. Quand je suis arrivée au fond de l’eau, je n’avais plus du tout d’air. J’ai fait le signe. En vain. J’ai été obligée de batailler de toutes mes forces en apnée, sans qu’aucun secours ne me soit apporté, pour parvenir à la surface malgré mon barda et les cinq mètres d’eau au-dessus de moi. Au moment de la remontée, qui m’a parue si longue, j’ai pris une décision : “Maintenant, c’est la vie ! Rien que la vie !” Le premier assistant me voit bouleversée en train de reprendre mon souffle difficilement : “On y retourne. — Sans moi.” Non seulement personne ne m’a présentée d’excuses ou a paru comprendre à quoi je venais de réchapper, mais quand je suis allée voir le plongeur responsable de ma vie, il m’a expliqué qu’il avait ordre d’attendre que le metteur en scène lui donne l’autorisation pour venir à mon secours. Et quand j’en ai parlé à Leos, il m’a dit ne pas s’en souvenir. Etait-ce imputable à la mauvaise organisation du premier assistant ? Etait-ce autre chose ? Je ne le saurais jamais mais ce jour-là, mes limites encore mal définies jusqu’alors sont devenues brusquement nettes.

 

 

«La solidarité entre actrices n’a pas attendu ces dernières années pour se manifester. En 2003, je devais travailler avec Arnaud Desplechin. Mais lorsque j’ai découvert le scénario de Rois et Reine – il m’est apparu flagrant que certains épisodes de la vie de son ancienne compagne, l’actrice Marianne Denicourt, étaient utilisés et instrumentalisés. Il me paraissait évident qu’il fallait que je m’assure que Marianne était au courant de ce projet et pleinement en accord. Son fils n’étant pas encore majeur, les conséquences pouvaient être dramatiques. Je l’ai appelée, elle ignorait tout du film en préparation et était extrêmement blessée. Je n’ai pas eu d’autre choix que de refuser ce projet quoi qu’il m’en coûte. Comme d’ailleurs l’avait fait Emmanuelle Béart avant moi. Comme l’ont fait après d’autres actrices.

 

«Je suis soulagée de voir et d’entendre les témoignages de femmes et d’hommes qui osent exposer les abus qu’elles et qu’ils ont subis. Ce n’est pas facile d’exposer sa vie intime, et nous devrions tous les remercier. C’était une première notable et très joyeuse qu’aux césars, les cinq actrices en lice pour la meilleure interprétation le soient pour des films signés par cinq femmes et pour des rôles étonnamment forts.

 

«Quand on est acteur on signe un contrat d’amour avec un metteur en scène, qu’il soit homme ou femme, qu’on forme un couple ou pas, peu importe, il y a cette joie d’élever une partie de soi vers un ailleurs, vers soi-même aussi, mais unis dans un mystère, qu’on découvrira plus tard. Ne pas se méprendre : je sais très bien quels abus sont susceptibles de générer ce pacte, quelles impostures aussi. On développe une intuition de plus en plus fine du seuil à ne pas laisser franchir. J’ai dû apprendre à dire non, à reconnaître ce que je devais quitter.

 

«Quand la jeune actrice, mutante, hésitante se donne à travers un rôle, elle se tend vers son réalisateur pour avoir son approbation. Entière, elle est à lui, à elle-même, au monde. Cette demande de la jeune actrice ne donne-t-elle pas l’illusion au cinéaste que tout est pour lui ? N’a-t-il pas perçu que cet extrême désir de l’actrice en cache un autre, qui n’est pas forcément charnel, mais invisible, intouchable, un désir d’absolu qui le dépasse et la dépasse ? Peut-être se joue un nouvel horizon, un désir de connaissance, une consécration qui échappe, par une grâce inexplicable. Il ne voit pas encore l’artiste dans l’actrice. Il croit l’actrice instrument de possession. Il ne voit pas encore une égale. Faire le chemin ensemble, unis dans l’œuvre, est long, ardu et parfois si simple. Si par bonheur on trouve ce chemin, on se dit que rien n’est plus beau.»

 
 
Légende photo : Juliette Binoche à Paris, le 17 avril. (Jérôme Bonnet/Modds pour Libération)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
March 18, 2024 7:41 PM
Scoop.it!

Victoria Quesnel : «J’ai toujours voulu faire du théâtre pour être moi» –

Victoria Quesnel : «J’ai toujours voulu faire du théâtre pour être moi» – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre dans Libération-  18 mars 2024

 

 

   La comédienne hyperactive porte seule en scène «Nom», de Constance Debré. Une déconstruction du discours sur la famille qui l’a «bouleversée» et «libérée».

 

Début mars, elle tuait chaque soir son mari avec les mots, la langue de Pascal Rambert dans Finlandia au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris. L’après-midi, c’était répétitions et improvisations avec Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix, dans une pièce pressentie pour le Festival d’Avignon. Pas de pause, aujourd’hui Victoria Quesnel enchaîne seule en scène dans Nom de Constance Debré, mis en scène par Hugues Jourdain. «Au départ je suis dans le train, je lis Love Me Tender [de Debré, ndlr] et pour la première fois de ma vie, moi qui suis une interprète heureuse, je me dis, il faut passer ça au plateau. La déconstruction du discours sur la maternité, moi qui suis une femme de plus de 30 ans sans enfant, je me dit ouf ! on a droit de toucher à ce rapport-là.»

 

 

L’histoire aurait pu en rester là, à cette lecture, mais il y a Constance Debré qui lit Nom, son roman suivant, à la Maison de la poésie à Paris. Une déflagration pour Victoria Quesnel qui entend une parole sans affect, directe, «débarrassée de la question de l’acteur, comme quand j’avais vu Christine Angot dire le Voyage dans l’Est, la même fulgurance». Hugues Jourdain a déjà monté les textes de Guillaume Dustan, cette parole il en connait la violence sans détour : ce sera face public, direct, pas de sentimentalisme, «mais je ne veux pas faire l’économie de ce qui m’a bouleversée dans Nom, de ce que j’ai vécu pendant cette lecture, qui m’a atteinte et libérée : comment dire “non” aux injonctions d’amour, sous toutes ses formes, familiales, amicales, amoureuses, comment je peux penser par moi-même».

Choc thermique

C’est toute l’histoire de Victoria Quesnel, qui remonte aux années Biarritz, sixième-terminale, après une première enfance sage à Reims. Le choc est thermique, la fillette fringuée en robe Jacadi va se construire sirène de plage : «Mon corps, mon scoot, mon surfeur, les fêtes de Bayonne, la plage entre les cours. Et le sens de la fête que j’ai gardé.» Mais, au fil des années bimboland, quelque chose vacille, le sea, sex and surf ne suffit plus, il lui faut retrouver la pensée mise de côté. Après une année de droit – pourquoi pas –, Quesnel prend la vague théâtre, reçue au conservatoire de Bordeaux avec une scène prise au hasard dans Oncle Vania de Tchékov – «alors même que je ne lisais jamais de pièces, aucune culture théâtrale, à part quelques vagues souvenirs d’ateliers scolaires, et sans antécédents familiaux» –, puis l’Ecole du Théâtre du Nord à Lille, sous la direction de Stuart Seide.

 

Sa devise : «A ne pas savoir être mauvais, on n’est jamais excellent.» «Ça m’a libérée, moi qui cherchais la performance, qui me posais tant de questions, et qu’est-ce qu’on pense de moi ? est-ce que je suis là au maximum ? Moi qui répondais toujours à la demande, je commence à lâcher, à ne plus avoir peur de mal dormir, de ne pas être en état. J’arrête de penser que la représentation du soir est l’événement de toute la journée. Surtout quand on joue souvent. Ou alors on n’a pas de vie à côté. Ce que je ne veux pas. Je suis vivante.»

«Voix cassée»

Lille, c’est surtout la rencontre de toute une promotion qui avance ensemble, avec en meneur de troupe Julien Gosselin, des amitiés fortes de cours, de plateau, de tournées, «quelque chose qui m’a définitivement construite, et donné confiance pour aller aussi loin que je le voulais». Avec un tournant : 2021, le Passé mis en scène par Julien Gosselin sur un texte de 1912 de Leonid Andreïev. Victoria y est Ekaterina Ivanovna, se révèle en transe à soi-même et aux autres. Pascal Rambert, Lorraine de Sagazan et Hugues Jourdain l’ont vue là – Hugues Jourdain qui lui envoie un mot : «Je suis fou d’administration.» Victoria adore la faute, ils seront amis.

«Je suis d’abord allée à la rencontre du personnage, et j’ai ramenée Ekaterina Ivanovna à moi. J’ai senti que je touchais des choses intimes avec l’histoire de sa destruction psychique. Mieux, j’ai trouvé là une voix qui était la mienne : cette voix rauque, grave qui me faisait honte depuis l’enfance – on m’appelait “Stallone”, on disait “Marge Simpson”. Cette voix monstrueuse, inadaptée à la petite fille que j’étais, me revenait du “passé” et je l’ai mise sur le plateau. Ça avait donc pris des années avant que je puisse m’autoriser. J’y ai tout mis, mon enfance, mes rêves, mes terreurs, dans cette voix cassée dont je me disais qu’elle devait peut-être bien dire quelque chose de mon âme… cassée elle aussi ? Alors que je suis joyeuse dans ma vie, que j’ai la joie en moi. Pendant tout ce temps, j’ai été un bon petit soldat au théâtre, j’ai tout bien fait, et puis le Passé est arrivé. J’ai su là que ce qui était l’horreur dans ma vie serait magnifique sur un plateau. A Bordeaux, j’entendais toujours les autres dire : “Je fais du théâtre pour être quelqu’un d’autre.” Pas moi. J’ai toujours voulu faire du théâtre pour être moi.» Elle, Victoria Quesnel. C’est son «nom».

Nom, d’après Constance Debré, mise en scène de Hugues Jourdain, avec Victoria Quesnel, jusqu’au 6 avril au Théâtre du Rond-Point, 75008 Paris.

Laurent Goumarre / Libération 

 

 

Légende photo : Victoria Quesnel, fin février. (Photo © Pauline Roussille)

 
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
January 1, 2024 10:01 AM
Scoop.it!

En jouant, en écrivant, avec Denis Podalydès : entretien radiophonique à écouter en ligne 

En jouant, en écrivant, avec Denis Podalydès : entretien radiophonique à écouter en ligne  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Sur le site de l'émission de Marie Richeux sur France Culture, le 1er janvier 2024

 

 

Pour ce premier janvier, votre Book Club invite Denis Podalydès pour partager avec nous son goût, son appétit pour celui qui fut “sa porte d’entrée au théâtre” : Molière.

 

Avec

  • Denis Podalydès Acteur, metteur en scène, scénariste et écrivain français, sociétaire de la Comédie-Française

 

Un premier Book Club de l'année sous le signe de la passion. Pour les textes. Pour la chimie toujours réactivée des mots de Molière quand ils passent par le corps, au présent. Ces mots matière que notre invité articule, admire sans sacraliser, porte sur scène depuis bien des années. Denis Podalydés dit qu'il est annexé à Molière, comment lutter contre cela et rendre grâce au plaisir extrême qu'il a à le jouer ?

 

 

De jouer à écrire il y a un chemin, que Denis Podalydes traverse dans un livre à la grande vitalité, intitulé En Jouant, en écrivant (Seuil) il est notre invité. Avec ce texte Denis Podalydès partage l’élan vital que produit un compagnonnage d’une vie avec Molière. L’occasion pour lui de redéfinir la notion même de "classique" et de mettre en lumière l’énergie contemporaine et subversive contenue dans son théâtre.

 

Ecouter l'émission en ligne (59 mn)

 

Le nouveau livre de Denis Podalydès : "En lisant en écrivant avec Molière", de Denis Podalydès, Ed. Seuil

https://www.seuil.com/ouvrage/en-jouant-en-ecrivant-denis-podalydes/9782021538793

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
September 28, 2023 5:06 PM
Scoop.it!

Après un malaise sur scène, le comédien Pierre Arditi prend une semaine de repos

Après un malaise sur scène, le comédien Pierre Arditi prend une semaine de repos | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Libération et AFP, le 28 septembre 2023

 

Mercredi soir, le comédien de 78 ans a eu un malaise sur la scène du théâtre Edouard-VII à Paris, où il joue «Lapin» aux côtés de Muriel Robin, qui est suspendue pour une semaine.

 

Le comédien a fait un malaise sur scène, environ vingt minutes après le début de la représentation de «Lapin», une pièce de Samuel Benchetrit. (Photo Lucie Choquet /ABACA)

Un bégaiement qui ne fait pas partie de la mise en scène et puis le rideau rouge qui tombe. Le comédien Pierre Arditi, 78 ans, a eu un malaise sur scène mercredi soir à Paris. Il a été hospitalisé mais ses «jours ne sont pas en danger», selon son entourage. «Il est conscient, il a été hospitalisé pour passer des examens», a précisé cette source, selon laquelle il ne s’agit «pas d’un AVC» mais d’un malaise vagal.

 

«J’ai eu un malaise vagal en scène et une hypoglycémie, donc évidemment j’ai perdu le fil… Mais il n’y a pas d’AVC, pas de chose comme ça. Ça fout la trouille quand même, parce que ce n’est quand même pas rien. Mais ça va, c’est fini. Je vais me reposer cinq jours et je recommence à jouer mercredi», a-t-il expliqué jeudi sur BFMTV.

 

Le comédien a fait un malaise alors qu’il était sur la scène du théâtre Edouard-VII à Paris, environ vingt minutes après le début de la représentation de Lapin, une pièce de Samuel Benchetrit. La représentation de cette pièce en duo avec Muriel Robin a été immédiatement interrompue, le rideau a été baissé et les spectateurs invités à quitter la salle. «La pièce est interrompue pour respecter une période de repos et reprendra mercredi soir», a souligné l’entourage du comédien.

 

Pierre Arditi, né le 1er décembre 1944 à Paris, est une figure populaire de la vie culturelle française. Il a plusieurs fois collaboré avec des cinéastes comme Alain Resnais et Claude Lelouch, tout en poursuivant une intense carrière sur les planches et sur le petit écran. Récompensé de deux César et d’un Molière, il est connu pour sa voix grave et ses rôles de séducteur.

 

Il a été vu ces dernières années dans la série le Sang de la vigne, dans la Belle Epoque (2019) de Nicolas Bedos ou plus récemment, dans Maestro(s) (2022), où il jouait un chef d’orchestre aux côtés d’Yvan Attal.

 

 

Mise à jour à 11 heures avec déclarations de Pierre Arditi, précisions sur le malaise et arrêt de la pièce pour une semaine.

 
 
 
 
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 18, 2023 2:05 PM
Scoop.it!

Au Théâtre de l’Atelier, à Paris, Hortense Belhôte donne une conférence vraiment spectaculaire

Au Théâtre de l’Atelier, à Paris, Hortense Belhôte donne une conférence vraiment spectaculaire | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sandrine Blanchard dans Le Monde  18 mai 2023

 

Avec « Portraits de famille. Les oublié.es de la révolution française », la comédienne et spécialiste d’histoire de l’art réalise un spectacle atypique.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/18/au-theatre-de-l-atelier-a-paris-hortense-belhote-donne-une-conference-vraiment-spectaculaire_6173889_3246.html

C’est un objet théâtral peu ordinaire que propose Hortense Belhôte. Enseignante d’histoire de l’art et comédienne, elle a choisi de combiner avec ingéniosité ses deux compétences pour créer ce qu’elle appelle, à juste titre, une « conférence spectaculaire ». Soit un concept mêlant vulgarisation historique, vidéoprojection, récit personnel et familial, le tout emmené avec pédagogie, drôlerie et pétulance.

 

 

 
 

En tenue de sport aux couleurs de la France, Hortence Belhôte attend en bordure de scène que le public s’installe. Petite télécommande cachée dans sa main, cette créatrice de Merci de ne pas toucher − une websérie diffusée sur Arte.tv dans laquelle elle décrypte les chefs-d’œuvre de l’art classique européen et en dévoile la puissance érotique − ouvre cette fois un album de famille historique, soit une galerie de douze portraits des « oublié.es de la révolution française ».

 

 

De Madame du Barry et son page Zamor à Thomas Alexandre Dumas, de Claire de Duras à Marie-Guillemine Benoist, de Jean Amilcar au chevalier de Saint-George et au chevalier d’Eon, tous ont pour point commun de ne pas correspondre aux critères du héros national, soit parce que noirs, soit parce que femmes émancipées, soit parce que non-binaires, bref, parce qu’en dehors des canons de l’historiographie officielle.

Un tourbillon de récits

Partant de son propre arbre généalogique, une « dynastie de nobodies », Hortense Belhôte bascule dans un tourbillon de récits à la fois très documentés et emballés dans un environnement modernisé mêlant jeux vidéo, chansons contemporaines et « cancel culture ». Organisé façon poupées russes, son spectacle mêle avec adresse petite et grande histoire, culture élitiste et populaire. On y croise aussi bien Mylène Farmer que Le Radeau de La Méduse, de Géricault, ou encore les Pokémons et le karaoké.

Même si on peut parfois se perdre entre toutes ces aventures individuelles de « marginaux », « bizarres » ou « perdants » de la Révolution française, la comédienne, au faux air de Camille Cottin, développe une énergie tellement communicative et une mise en scène si truffée d’astuces qu’elle nous bluffe, nous intrigue et nous embarque. Surtout, elle nous fait gamberger : et si nous vivions une époque pas aussi inédite que nous le croyons ?

 

Avec cette « conférence spectaculaire », Hortense Belhôte entend se glisser « dans un rôle de petit trublion qui vient mettre en branle la culture établie ». C’est à la fois instructif, pop, impertinent, gaguesque, et a le mérite de renouveler le genre de la conférence performée. A travers ce format atypique, la comédienne creuse son sillage depuis quelques années. Après l’histoire du football féminin (2019), des graffeuses (2021) et des performeuses de la danse contemporaine (2022), elle s’attaque donc à la révolution française mais toujours avec la même veine féministe.

 
 
Portraits de famille. Les oublié.es de la révolution française, écrit, conçu et interprété par Hortense Belhôte, création vidéo : Théodora Fragiadakis. Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles-Dullin, Paris 18e. Jusqu’au 27 mai. Tarifs de 10 € à 25 €.
 
 

Sandrine Blanchard

 

 

Légende photo : Hortense Belhôte dans « Portraits de famille. Les oublié.es de la Révolution française », à l’Espace 1789, à Saint-Ouen, le 14 mars 2023. FERNANDA TAFNER

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 24, 2023 7:34 AM
Scoop.it!

Catherine Hiegel, clown, magicienne et sorcière, la femme aux cent visages

Catherine Hiegel, clown, magicienne et sorcière, la femme aux cent visages | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 23/04/2023

 

Nommée aux Molières pour son rôle dans « Music-Hall », de Jean-Luc Lagarce, mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo, la comédienne a cultivé son art sur la frontière entre tragique et comique.


Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/04/23/catherine-hiegel-clown-magicienne-et-sorciere-la-femme-aux-cent-visages_6170720_3246.html

Lundi 24 avril au soir, après la cérémonie des Molières, Catherine Hiegel aura peut-être ajouté une statuette à toutes celles, nombreuses, qui peuplent son appartement du 6e arrondissement de Paris. Si c’est le cas, il faudra faire de la place sur la cheminée du salon, déjà surchargée de figures, de figurines, de visages, qui essaiment aussi en bande organisée dans les autres pièces de ce repaire d’artiste à l’ancienne, rempli de livres et de secrétaires où se poser pour écrire.

 

La comédienne en plaisante, elle qui ne goûte ni les honneurs ni les récompenses officielles. A 76 ans, elle est toujours aussi peu rangée, aussi joueuse, libre et rebelle, dans son petit pull noir et gris très rock’n’roll, pour ne pas dire un peu punk.

 

 

Un Molière de plus (elle en a déjà eu deux), ou pas, dans la catégorie meilleure comédienne dans un spectacle de théâtre privé, ne changera pas grand-chose à l’affaire. « Hiegel », comme on l’appelle dans la profession – l’abandon du prénom étant la marque des grands –, est, une fois de plus, géniale dans Music-Hall, la pièce de Jean-Luc Lagarce mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo, dont elle vient juste de terminer la tournée, qui l’a menée partout en France. Géniale, c’est-à-dire aussi bouleversante que flamboyante, avec ses faux cils et sa robe à paillettes, dans cette partition qui s’offre comme une métaphore des grandeurs et des misères du métier d’actrice.

 

 

Lire aussi la critique : Article réservé à nos abonnés Catherine Hiegel dans « Music-hall », misère et grandeur d’une fille sur les routes
 

De ces grandeurs et de ces misères, elle a tout connu, peu ou prou, depuis ses débuts, à 18 ans à peine, en 1965, dans Fleur de cactus, de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy, les rois du théâtre de boulevard. Elle avait arrêté l’école à 16 ans, encouragée par son père – c’était une autre époque –, qui rêvait de la voir devenir comédienne, lui qui avait eu le désir, déçu, d’être acteur. Pierre Hiegel (1913-1980) était musicologue, producteur pour la radio et directeur artistique de maisons de disques. « J’ai passé mon enfance à m’endormir et à me réveiller dans la musique », raconte Catherine Hiegel.

« Une musique intime »

Dans le vaste appartement familial passaient aussi bien les chanteuses Lucienne Delyle ou Barbara – d’ailleurs découverte par Pierre Hiegel – que les pianistes Samson François et György Cziffra ou la cantatrice Jane Rhodes. Catherine Hiegel pense que cette présence de la musique dans sa vie « a beaucoup compté » pour la comédienne qu’elle est. « Surtout dans le rapport à la justesse. J’entends quand c’est faux, tout de suite, assure-t-elle de sa voix grave de fumeuse. Tout est musical dans nos vies, et donc en scène aussi, bien sûr : chacun d’entre nous a un rythme personnel, intérieur, une musique intime. Le rapport au corps en scène, au silence, au temps, est aussi important que la phrase. Il faut savoir entendre quand un temps est trop long ou trop court, il faut savoir le mesurer par rapport à la densité de ce qui a été dit ou de ce qui va se dire. »

 

Dans ces triomphantes années 1960, Catherine Hiegel n’en est pas encore à réfléchir sur son métier d’actrice. Elle sait faire rire, elle a depuis l’enfance un côté clown : elle est immédiatement accueillie à bras ouverts par Jean Poiret et Michel Serrault, et d’emblée on la compare à Jacqueline Maillan, qui règne alors sur le vaudeville. La jeune femme à l’air espiègle aurait pu s’en tenir là – « j’avais une autoroute comique devant moi », constate-t-elle –, mais la Comédie-Française l’a appelée et, après avoir longuement hésité, elle est entrée dans la vénérable maison le 1er février 1969.

Elle va y rester quarante ans, jusqu’à son éviction absurde, le 6 décembre 2009, par le comité qui préside aux destinées des membres de la Société des comédiens-français. Et elle va y jouer toutes les Toinette, Lisette, Marinette et autres soubrettes du répertoire, de Molière à Marivaux. A l’époque – « mais c’est encore le cas maintenant ! », soutient-elle –, les « emplois » pour les actrices étaient très codifiés, dépendant de critères physiques rigides plus que de la richesse de leur jeu.

 

« Si vous étiez petite, blonde, avec un nez retroussé, eh bien c’était les soubrettes, s’insurge Catherine Hiegel. La jeune première, l’amoureuse, devait forcément être grande, mince et belle selon des critères ultraclassiques. Dans les années 1960, les critères ont commencé à changer pour les hommes, avec l’apparition d’acteurs comme Belmondo, mais pas pour les femmes. Au Conservatoire, je n’avais tout simplement pas le droit de travailler autre chose que des servantes. Ce fut une souffrance, au départ, parce que ce sont des interdits qui vous limitent et qui viennent vous désigner physiquement. Mais rapidement, avec les soubrettes de Molière, de Marivaux et surtout de Goldoni, j’ai vu que la richesse de ces rôles était immense, bien plus complexe que l’emploi de la jeune première qui doit pleurer au bout de trois répliques. »

Profondeur humaine inégalée

De cette doxa issue d’un autre âge, et particulièrement prégnante en France, Catherine Hiegel a fait une force. C’est en jouant les servantes goldoniennes avec une profondeur humaine inégalée, notamment dans La Serva amorosa, mise en scène par Jacques Lassalle, en 1992, qu’elle va s’installer dans le paysage comme une comédienne majeure. Et qu’elle va être de plus en plus demandée à l’extérieur du Français, pour jouer de tout autres partitions, souvent très contemporaines, et de tout autres rôles.

 

 

 

En 1986, Patrice Chéreau l’appelle pour jouer dans Quai ouest, de Bernard-Marie Koltès, au côté de Maria Casarès, qu’elle admire infiniment. Ensuite, il y aura Une visite inopportune, de Copi (1988), ou La Veillée, de Lars Noren (1989), toutes deux par Jorge Lavelli ; J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, de Jean-Luc Lagarce (2005), ou Embrasser les ombres, de Lars Noren encore (2005), avec Joël Jouanneau ; Les Bonnes, de Genet, avec Philippe Adrien (1997), ou Savannah Bay, de Duras, avec Eric Vigner (2002) ; ou encore De beaux lendemains, de Russell Banks (2011), où Emmanuel Meirieu avait su, magnifiquement, mettre en avant sa douceur et sa délicatesse, derrière les armes de la guerrière.

Autant de rôles de femmes sauvages et déchirées, ravagées et fortes, généreuses et amoureuses, ou folles et monstrueuses, comme la Vera d’Avant la retraite, de Thomas Bernhard, jouée sous la direction d’Alain Françon, en 2020. Pour Catherine Hiegel, d’ailleurs, la frontière entre comique et tragique est souvent artificielle, tracée de manière bien trop rigide. Pour elle, « le rire vient toujours d’un fond tragique ».

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Avant la retraite » ou la folie douce de Catherine Hiegel
 

Elle a travaillé son art d’actrice inlassablement, au fil des rencontres avec les metteurs en scène qui ont compté pour elle : le corps avec Dario Fo (Le Médecin malgré lui, de Molière, en 1990), le sens du geste juste avec Giorgio Strehler (La Trilogie de la villégiature, de Goldoni, en 1978), l’intelligence du texte, «éblouissante » , avec Patrice Chéreau. Cherchant toujours, jamais satisfaite, dans cet art fragile qu’est celui de l’acteur, lequel est à lui-même son propre instrument et doit apprendre ses secrets, soir après soir, comme un virtuose avec son violon ou sa clarinette.

« Une évidence dans le phrasé »

Catherine Hiegel a aussi beaucoup regardé les acteurs qu’elle admirait, notamment le grand Philippe Clévenot (1942-2001), que tous les vrais amoureux de théâtre regrettent. « Il y avait, chez lui, une intelligence de l’incarnation, une voix, un phrasé très particuliers, une construction de la pensée simple et dense, se souvient-elle. C’est toujours ce que l’on recherche : arriver à la simplicité de l’incarnation, sans esbroufe. Quand Clévenot entrait en scène et qu’il commençait à parler, on écoutait : il y avait une évidence dans le phrasé, le chemin de pensée, la présence. » On peut en dire autant, mot pour mot, de Catherine Hiegel.

Le mystère de cette présence, la comédienne ne sait pourtant pas l’expliquer. « C’est une harmonie, probablement, entre la voix, le corps et la pensée, qui avancent ensemble, se hasarde-t-elle. Ce n’est pas l’envie d’être regardé, je ne crois pas… Mais l’envie d’éprouver, peut-être. Et de partager ce qu’on éprouve, ce qui est essentiel. » Peut-être est-ce là ce qu’elle interroge, dans les multiples visages sculptés qu’elle collectionne, mais aussi les pantins, les marionnettes et autres mannequins de procession ou de parade. Autant de figures, plus ou moins réalistes ou abstraites. Mais pas de masques. Catherine Hiegel les chine dans des brocantes, inlassablement, depuis des années.

Elle dit qu’elle ne se lasse jamais de regarder les êtres. Dans la rue, dans le métro, dans les cafés, partout, elle regarde les visages. « Je vois des hommes et des femmes qui pleurent, et j’ai l’impression que je suis la seule à les voir. Souvent, des visages m’apparaissent, aussi, quand je regarde une pierre, ou le sol. »

 

Catherine Hiegel se fait rêveuse. Toute grande actrice est magicienne et sorcière, comme l’était Jeanne Moreau, dont elle est aussi une héritière. « Petite, je fabriquais des marionnettes qui devaient être des princesses, mais se transformaient inévitablement en sorcières », se rappelle-t-elle dans un souffle, avant de jouer mezza voce, rien que pour nous, le monologue final de Music-Hall : « Et jouons quand même et faisons semblant,/ tricheurs aux extrêmes, (…)/ et remplissons le temps,/ faisons semblant d’exister,/ et jouons quand même – j’en pleurerais, n’ai pas l’air comme ça mais en pleurerais et en pleure parfois, mais discrètement, avec lenteur et désinvolture, (…)/ pleure sous maquillage et déguisement, (…)/ triche jusqu’aux limites de la tricherie,/ l’œil fixé sur ce trou noir où je sais qu’il n’y a personne. » Un frisson passe. Tout est dit, dans la caverne aux multiples visages de Catherine Hiegel.

 

 

 

Molières 2023 : les nominations

Dix-neuf récompenses seront attribuées lundi 24 avril lors de la 34e cérémonie des Molières

 

 

Molière du théâtre privé :

Big Mother, de Mélody Mourey, mise en scène Mélody Mourey

Glenn, naissance d’un prodige, d’Ivan Calbérac, mise en scène Ivan Calbérac

Oublie-moi, de Matthew Saeger, mise en scène Marie-Julie Baup et Thierry Lopez

Les Poupées persanes, d’Aïda Asgharzadeh, mise en scène Régis Vallée

Molière du théâtre public :

Amours (2), de Joël Pommerat, mise en scène Joël Pommerat

Le Bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort (Comédie-Française)

Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant, mise en scène Johanna Boyé

La vie est une fête, de Jean-Christophe Meurisse et Les Chiens de Navarre

Molière de la comédie :

Lorsque l’enfant paraît, d’André Roussin, mise en scène Michel Fau

No Limit, de Robin Goupil, mise en scène Robin Goupil

Le Retour de Richard 3 par le train de 9 h 24, de Gilles Dyrek, mise en scène Eric Bu

Une idée géniale, de Sébastien Castro, mise en scène Agnès Boury et José Paul

Molière du spectacle musical :

Les Coquettes – Merci Francis, de Lola Cès, Marie Facundo et Juliette Faucon, mise en scène Nicolas Nebot

Moi aussi je suis Barbara, de Pauline Chagne et Pierre Notte, mise en scène Jean-Charles Mouveaux

Starmania, de Michel Berger et Luc Plamondon, mise en scène Thomas Jolly

Tous les marins sont des chanteurs, de Gérard Mordillat, François Morel et Antoine Sahler, mise en scène François Morel

Molière de l’humour :

Florence Foresti dans Boys Boys Boys, de Florence Foresti et Pascal Serieis, mise en scène Florence Foresti

Laura Felpin dans Ça passe, de Laura Felpin et Cédric Salaun, mise en scène Nicolas Vital

Manu Payet dans Emmanuel 2, de Manu Payet, mise en scène Manu Payet

Stéphane Guillon dans Sur scène, de Stéphane Guillon, mise en scène Anouche Setbon

Molière du jeune public :

Gretel, Hansel et les autres, d’Igor Mendjisky, d’après les frères Grimm, mise en scène Igor Mendjisky

Odyssée, la conférence musicale, de Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey, d’après Homère, mise en scène Stéphanie Gagneux

La Reine des neiges, l’histoire oubliée, de Johanna Boyé et Elisabeth Ventura, mise en scène Johanna Boyé

Space Wars, d’Olivier Solivérès, mise en scène Olivier Solivérès

Molière du seul(e) en scène :

Coming out, avec Mehdi Djaadi, de Mehdi Djaadi et Thibaut Evrard, mise en scène Thibaut Evrard

Il n’y a pas de Ajar, avec Johanna Nizard, d’après Delphine Horvilleur, mise en scène Arnaud Aldigé et Johanna Nizard

Thomas joue ses perruques (Deluxe Edition), avec Thomas Poitevin, de Yannick Barbe, Stéphane Foenkinos, Hélène François et Thomas Poitevin, mise en scène Hélène François

Tout le monde savait, avec Sylvie Testud, d’Elodie Wallace, d’après Valérie Bacot et Clémence de Blasi, mise en scène Anne Bouvier

Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé :

Sébastien Castro, dans Une idée géniale, de Sébastien Castro, mise en scène Agnès Boury et José Paul

Michel Fau, dans Lorsque l’enfant paraît, d’André Roussin, mise en scène Michel Fau

Jean Franco, dans La Délicatesse, d’après David Foenkinos, mise en scène Thierry Surace

Thierry Lopez, dans Oublie-moi, de Matthew Saeger, mise en scène Marie-Julie Baup et Thierry Lopez

Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé :

Marie-Julie Baup, dans Oublie-moi, de Matthew Saeger

Catherine Frot, dans Lorsque l’enfant paraît, d’André Roussin

Isabelle Gélinas, dans Les Humains, d’Ivan Calbérac

Marie Gillain, dans Sur la tête des enfants, de Salomé Lelouch

Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public :

Jacques Gamblin, dans HOP !, de Raphaëlle Delaunay et Jacques Gamblin

Christian Hecq, dans Le Bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort

Denis Podalydès, dans Le Roi Lear, de William Shakespeare, mise en scène Thomas Ostermeier

Laurent Stocker, dans L’Avare, de Molière, mise en scène Lilo Baur

Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public :

Isabelle Carré, dans La Campagne, de Martin Crimp, mise en scène Sylvain Maurice

Sara Giraudeau, dans Le Syndrome de l’oiseau, de Pierre Tré-Hardy, mise en scène Sara Giraudeau et Renaud Meyer

Catherine Hiegel, dans Music-Hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Marcial di Fonzo Bo

Isabelle Huppert, dans La Ménagerie de verre, de Tennessee Williams, mise en scène Ivo van Hove

Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé :

Marie-Julie Baup et Thierry Lopez, pour Oublie-moi

Michel Fau, pour Lorsque l’enfant paraît

Mélody Mourey, pour Big Mother

Régis Vallée, pour Les Poupées persanes

Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public :

Jean Bellorini, pour Le Suicidé, vaudeville soviétique, de Nikolaï Erdman

Johanna Boyé, pour Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant

Christian Hecq et Valérie Lesort, pour Le Bourgeois gentilhomme, de Molière

Joël Pommerat, pour Amours (2)

Molière de la révélation féminine :

Vanessa Cailhol, dans Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant

Léa Lopez, dans La Reine des neiges, l’histoire oubliée, de Johanna Boyé et Elisabeth Ventura

Anna Mihalcea, dans Les Filles aux mains jaunes, de Michel Bellier

Lison Pennec, dans Glenn, naissance d’un prodige, d’Ivan Calbérac

Molière de la révélation masculine :

Alexandre Faitrouni, dans Smile

Thomas Gendronneau, dans Glenn, naissance d’un prodige

Mexianu Medenou, dans Tropique de la violence, d’Alexandre Zeff

Thomas Poitevin, dans Thomas joue ses perruques (Deluxe Edition)

Molière du comédien dans un second rôle

Kamel Isker, dans Les Poupées persanes

Jérôme Kircher, dans Biographie : un jeu, de Max Frisch

Benjamin Lavernhe, dans La Dame de la mer, de Henrik Ibsen

Bernard Malaka, dans Glenn, naissance d’un prodige

Teddy Mélis, dans Le Voyage de Molière, de Jean-Philippe Daguerre et Pierre-Olivier Scotto

Christophe Montenez, dans Le Roi Lear

Molière de la comédienne dans un second rôle :

Agnès Boury, dans Une idée géniale

Manon Clavel, dans La Campagne, de Martin Crimp

Marina Hands, dans Le Roi Lear

Karina Marimon, dans Big Mother

Elodie Menant, dans Je ne cours pas, je vole !, d’Elodie Menant

Josiane Stoléru, dans Glenn, naissance d’un prodige

Molière de l’auteur (trice) francophone vivant(e) :

Aïda Asgharzadeh, pour Les Poupées persanes

Ivan Calbérac, pour Glenn, naissance d’un prodige

Léonore Confino, pour Le Village des sourds

Elodie Menant, pour Je ne cours pas, je vole !

Mélody Mourey, pour Big Mother

Joël Pommerat, pour Amours (2)

Molière de la création visuelle et sonore
Big Mother, de Mélody Mourey, mise en scène Mélody Mourey

Le Bourgeois gentilhomme, de Molière, mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort

Smile, de Dan Menasche et Nicolas Nebot, mise en scène Nicolas Nebot

Starmania, de Michel Berger et Luc Plamondon

Fabienne Darge

 

 

 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 8, 3:30 AM
Scoop.it!

Guillaume Gallienne, Caucase départ 

Guillaume Gallienne, Caucase départ  | Revue de presse théâtre | Scoop.it
 
 

L’acteur et sociétaire du Français, en proie aux colères comme à la mélancolie, retrouve ses racines géorgiennes.

 

Il dit tout, dans le Buveur de brume, alors ne répétons pas ici ce que vous y lirez, ni ce que vous savez grâce au film les Garçons et Guillaume, à table !. Le sociétaire de la Comédie-Française s’est longtemps glissé dans la peau des femmes. A l’école, on le traitait de «tapette», de «pédale», et ses parents ne lui venaient pas en aide. Au contraire, son père «paranoïaque», écrit Gallienne, distribuait à sa progéniture (six enfants dont une fille) des coups de ceinture. Sa mère était «drôle» mais «sans tendresse». A 12 ans, le futur comédien fit une dépression. Dans ces pages autobiographiques ne pointent ni l’amertume ni le pathos, mais se répète la crainte de sombrer à nouveau dans une mélancolie déguisée en paresse, comme chez Oblomov. Alors il bataille contre la chute et lorsque la souffrance rejaillit, il explose. Ce volume de la collection Ma nuit au musée surprend car l’autoportrait n’y est pas flatteur.

 

 

Avant de rencontrer l’acteur dans un restaurant géorgien dont il est un habitué, près de la place de la République, j’avais des réserves. M’agaçait l’orgueil qui se dégageait de ce qu’il appelle de façon désuète son «lignage». L’acteur, par sa mère, descend d’une famille géorgienne aristocratique à laquelle il est très attaché. Le Buveur de brume se passe en partie à Tbilissi, où il se rend pour contempler  le portrait de son arrière-grand-mère surnommée Babou, peinte par le portraitiste Savely Sorine. Cette hérédité, écrit Gallienne, confère «une légitimité inscrite», «un honneur venu de très loin». Il consacre de surcroît plusieurs paragraphes à son propre caractère, colérique. Comment serais-je accueillie si je débarque au mauvais moment ? Il m’attend au restaurant, avec le sourire. La rencontre me restera en mémoire. Guillaume Gallienne est un écorché vif, précieux, grande diva, fébrile, généreux, singulier, très attachant.

 

 

L’heure et demie passée avec lui m’a «retournée», me fait remarquer le chef des pages «Portraits». J’ai bu deux verres de vin blanc en partageant un hatchapuri, délicieux pain fourré au fromage. Un peu ivre à la sortie, j’adressais par SMS au chef la liste des qualités de ce fils de l’Orient compliqué, chaleureux et sensuel dont la Géorgie est la fille. Le lendemain, je reprenais mes esprits mais demeurais enthousiaste. A deux reprises au cours de la conversation, Gallienne a littéralement ravalé un sanglot : la première fois en se souvenant de sa sœur et de son frère décédés, la seconde en évoquant le spectacle d’Alex Lutz sur son père - Sexe, Grog et rocking chair qui reprendra au Cirque d’hiver, à Paris, en juin.

 

 

Ancien sociétaire de la Comédie-Française, Philippe Torreton a peu fréquenté Gallienne, mais il l’apprécie : «Il existe plusieurs familles de comédiens. Vilar imaginait qu’il y avait les princes et les rois, distinguait les comédiens cérébraux, lunaires, ascétiques, des comédiens plus ancrés dans le sol, plus concrets. Pour moi, Guillaume est un peu le trait d’union ou le chaînon manquant entre ces deux catégories. Il y a chez lui du cérébral et en même temps un jeu puissant, du courage. Il y va, comme on dit. Ça passe ou ça casse, mais il y a une mobilité chez lui que j’admire. Son enfance protéiforme l’a fait emprunter des chemins singuliers. Il est mouvant et par là, pour moi, très émouvant.»

 

Gallienne s’est converti à la religion russe orthodoxe et s’est marié selon le rite avec Amandine Guisez, styliste spécialiste des couleurs. Ils ont prénommé leur fils de 18 ans Tado, diminutif de Thaddée. Saint-Thaddée aurait évangélisé le Caucase. Le Buveur de brume est dédié à Tado : «J’avais envie de lui dire : “Les archives, tu n’es pas obligé de te les trimballer. On n’est pas forcément prisonnier d’un truc préétabli.”» Pourtant Gallienne insiste : ses ancêtres l’«obligent», y compris son père. Je fais la moue. «Je vous assure que c’était un mec bien, très intelligent.» Jean-Claude Gallienne, très cultivé, comme son épouse, avait lui aussi fait les frais, enfant, d’une violence intergénérationnelle. Il dirigeait une entreprise de transports dont les bus circulaient en Seine-Saint-Denis et dans le Sud de la France : «Il était sur le terrain et fréquentait des hommes politiques de tous bords, même si on était plutôt à gauche.» Des politiques, son fils en côtoie également, mais il refuse de citer des noms et de dévoiler ses opinions : qu’apporterait ce déballage, se demande-t-il ? Bien que la situation française l’intéresse, il est «très concentré» sur la Géorgie, «parce qu’on a un gouvernement corrompu, reconnu par personne à part la Russie, la Corée du Nord et le Nicaragua. Le parti au pouvoir, Rêve géorgien, est une dictature déguisée à la solde totale de Poutine, et qui très vite sera à sa botte. J’ai un cousin de 20 ans qui est Rêve Géorgien. Il a la morgue des vainqueurs.»

 

 

Après son bac, Guillaume Gallienne étudie l’anglais et l’histoire. Sa cousine Alicia, qu’il adore, meurt en 1990, à 20 ans, d’une maladie du sang. C’est pour le jeune homme un tel tremblement de terre, qu’il ose parler à ses parents de ce qui le sauvera, lui : faire du théâtre. Entré à la Comédie Française, il incarne des personnages de Tchekhov et de Molière, dont un excellent Malade imaginaire. Il a été Lucrèce dans Lucrèce Borgia. Il s’est mis dans la peau de cette femme à un point tel qu’il a vécu dans sa chair la haine des autres personnages envers elle. Il travaille à un rythme soutenu. En ce moment, il tourne une comédie de Rémi Bezançon avec Lætitia Casta et Gilles Lellouche, réalise Cyrano de Bergerac en film d’animation avec des animaux, et depuis le 7 mai, reprend le Bourgeois gentilhomme au Français dans la mise en scène de Christian Hecq.

 

 

L’appartement parisien qu’il habite avec sa femme et leur fils lui plaît : il fallut cinq déménagements pour que l’acteur, enfin, se sente chez lui. Ils ont fui le bruit, le manque de lumière et le voisinage : «C’était la France en 1940. Je disais à Amandine : “Si l’Occupant débarque, on se retrouve au Vel d’Hiv dans la seconde.” Pour la première fois, I feel at home.» Adolescent, Gallienne a connu une parenthèse enchantée dans un pensionnat anglais, quitté à contrecœur à 16 ans. Il lui en reste une maîtrise parfaite d’une langue dont il parsème à petites doses son français.

Quand il ne travaille pas, il lit et emmène son fils à l’opéra, cet «endroit où les metteurs en scène sont libres de toutes les audaces». Récemment, Guillaume Gallienne était l’invité de la Conférence du stage, qui a pour tradition de convier un artiste. Les avocats candidats à ce concours de rhétorique devaient répondre en douze minutes à ces deux questions, adaptées à la personnalité  de leur hôte : «L’imaginaire est-il malade ?» et «Le genre est-il un jeu ?». «J’avais envie de leur crier : “Vas-y !”.» A Tado, il dit : «Prépare ta chance, fais des rêves, balance-les dans l’univers et ils te reviendront. Irradie de désirs, même fous.» A propos des fous, dont il dresse l’éloge, il cite Michel Audiard : «J’aime les fêlés, ils laissent passer la lumière.»

 
 

8 février 1972 Naissance à Neuilly-sur-Seine.

 

1998 Entre à la Comédie Française.

 

2014 Réalisation de les Garçons et Guillaume, à table !

 

Mai 2025 Le Buveur de brume (Stock).

 
Légende photo : Guillaume Gallienne à Paris, le 29 avril 2025. (Martin Colombet/Libération)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
March 18, 9:50 AM
Scoop.it!

Anna Mouglalis : « La domination patriarcale s'exerce partout »

Anna Mouglalis : « La domination patriarcale s'exerce partout » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Sophie Joubert pour l'Humanité magazine - Publié le 7 mars 2025

 

 

Popularisée par la série « Baron noir », la comédienne, actuellement sur les planches dans le rôle de « Phèdre », évoque pour « l’Humanité magazine » ses choix de carrière singuliers, son enfance pétrie de culture et son engagement au long cours pour toutes les émancipations. « Je me suis syndiquée à la CGT, c’est pour moi le seul discours audible, sans faille, contre l’extrême droite », explique-t-elle notamment.


 

On la rencontre chez elle, dans un appartement rempli de livres qui donne sur un petit jardin où un merle vient cogner consciencieusement son bec contre un miroir. Actrice au cinéma et au théâtre, Anna Mouglalis est à l’affiche de la Mer au loin, de Saïd Hamich, un très beau film sur l’exil qui traverse les années 1990, et tient le rôle-titre de Phèdre dans la mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.

Avec Lucie Antunes, P.R2B, Théodora Delilez et Narumi Herisson, elle forme le groupe Draga, qui a mis en voix et en musique les textes de Monique Wittig dans « Ô guérillères », un album qui sortira fin avril. Militante féministe, engagée dans le combat pour l’adoption d’une loi intégrale sur les violences sexuelles, elle a témoigné le 16 décembre 2024 devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les violences dans le secteur du cinéma.

 

 

Vous jouez « Phèdre », de Racine, en tournée. Comment vivez-vous ce compagnonnage au long cours avec ce texte et ce personnage ?

C’est merveilleux d’habiter avec un chef-d’œuvre. Racine demande d’aller très loin. C’est la rage ou l’égarement, on ne peut pas le jouer de façon tiède. « Phèdre » est une pièce de l’intime, mais d’un intime vertigineux. Elle est éprouvante physiquement. J’ai cru que je pourrais faire l’économie de la douleur du personnage, mais ce n’est pas le cas. Comme dit la metteuse en scène, Anne-Laure Liégeois, elle est un papillon de nuit qui va se brûler contre la lampe.

On revit chaque soir la violence masculine, avec ce personnage de héros, Thésée, qui apporte la mort partout où il passe. Les fils sont, avec les femmes, les premiers à souffrir de la violence patriarcale. C’est à la portée de tous les hommes de le reconnaître. On parle de Phèdre incestueuse, mais c’est surtout un inceste non consommé. Phèdre incestueuse non, scandaleuse oui.

 

Comment choisissez-vous vos rôles ?

J’ai besoin de pouvoir y mettre tout mon esprit et que ça me nourrisse dans tous les sens du terme. Je n’avais pas rêvé de jouer « Phèdre », mais c’est comme s’inscrire dans une historicité, avec toutes les traces des comédiennes qui l’ont joué avant moi. J’ai fait peu de théâtre, car j’ai du mal à me projeter à long terme. Au cinéma, j’avais envie de participer à des films qui cherchaient des formes nouvelles. J’ai fait ce qu’on appelle du cinéma d’auteur, de création. Bien sûr j’aime jouer, mais pas à tout prix.

 

Le désir de jouer vient-il de vos lectures, d’une cinéphilie née dans l’enfance ?

J’ai grandi à Nantes. Grâce aux politiques culturelles de gauche, j’ai vu sous chapiteau les premiers spectacles de Zingaro, des pièces d’Enzo Cormann, « Mars » de Fritz Zorn. Une troupe municipale, la Chamaille, montait des spectacles très divers. Mes parents ont tenu à ce qu’on puisse aller au cinéma, j’allais toutes les semaines au Cinématographe. Il pleut sur Nantes, tout le monde le sait, je me souviens d’une dame qui m’enlevait mes collants et les faisait sécher sur le radiateur pendant la séance. On avait aussi un compte en librairie pour prendre ce qu’on voulait. Mais j’étais surtout une spectatrice comblée, il y avait les Allumées, un festival de jazz… Et je suis venue vivre à Paris pour que la vie commence, pour voir encore plus.

 

C’est là que vous avez fait vos débuts d’actrice ?

J’étais avec un garçon qui est entré à la Fémis, j’allais au lycée et je ne faisais pas de théâtre. On m’a demandé de participer à un court métrage. J’ai eu une expérience d’assistante pour un metteur en scène, j’ai fait réciter leurs textes aux comédiens. Et j’ai rencontré le comédien Yann Goven, qui m’a parlé du Conservatoire et m’a aidée à préparer le concours. C’est lui qui m’a emmenée à la Fête de l’Humanité, il vivait ce métier comme un acteur ouvrier, il ne se serait jamais sali en participant à des projets qui allaient à l’encontre de ses idées.

En passant le concours, j’avais un trac monstrueux, que j’ai transformé en excitation puis en enthousiasme. L’assistante du cinéaste Francis Girod, qui faisait partie du jury, m’a demandé de passer le casting pour le film « Terminale » et j’ai été prise. J’ai aussi passé les auditions de « l’Éveil du printemps », de Wedekind, mis en scène par Yves Beaunesne. Le Conservatoire m’a accordé un congé d’un an pour que je puisse tourner le film et jouer dans cette pièce.

 

Quel souvenir gardez-vous de ce tournage ?

C’est là que j’ai rencontré le psychanalyste Gérard Miller, qui en était le scénariste. Le film raconte l’histoire d’une fille qui se suicide alors qu’elle a couché avec son prof de philo. Nous étions convoqués chez lui pour travailler sur les dialogues et les adapter à notre personnalité. J’ai appris des années après que les garçons n’avaient jamais eu ces rendez-vous.

 

 

Est-ce que cette expérience a abîmé votre désir d’être actrice ?

Non, je ne me suis pas sentie atteinte. C’était un vieux dominant qui faisait venir des jeunes filles chez lui pour les hypnotiser et les agresser sexuellement, je l’ai repoussé. Il a dit qu’il allait me retirer mes répliques pour les donner à d’autres et j’ai répondu : « Tant mieux. » J’ai essayé de disparaître le plus possible du film tout en étant payée. Francis Girod était élégant, respectueux. Il m’a appris qu’à partir du moment où on est convoqué le matin et qu’on passe au maquillage la journée est due.

En cours de tournage, on a fini par apprendre que Gérard Miller avait proposé à plusieurs filles de voir son home cinéma, puis de leur faire une séance d’hypnose, et qu’il les avait utilisées comme des objets. Elles avaient honte, se sentaient coupables. Quand on dit que la honte change de camp, ce ne sont pas des mots.

 

Cette expérience vous a-t-elle fait prendre conscience d’une violence patriarcale systémique ?

Non, c’est venu bien avant. Je viens d’une histoire de violence qui se répète de génération en génération. Je m’y suis même sentie chez moi. C’est une chose de la reconnaître, c’en est une autre d’avoir envie de vivre ailleurs. Dans ma famille, on avait accès à la culture, mais j’ai grandi avec un modèle classique où les femmes étaient à la maison. Tous les récits initiatiques, tous les films qu’on voyait ne parlaient que de ça. Ou bien de personnages féminins qui avaient une fin tragique.

J’ai grandi avec la misogynie et elle a grandi en moi. J’avais un mépris pour le féminin puisque tous les modèles étaient masculins. Quand je suis partie de chez mes parents, ma voix est devenue beaucoup plus grave, je me suis rasé la tête. Et c’est quand je l’ai fait qu’on m’a demandé de travailler dans la mode.

 

 

Votre rencontre avec Karl Lagerfeld a été décisive ?

Quand il m’a proposé d’entrer chez Chanel, je m’attendais à trouver tout ce qu’il y a de plus superficiel. Le réel est toujours surprenant. Le fait d’avoir rencontré cet homme tôt dans ma vie professionnelle m’a fait comprendre qu’il n’y avait pas que de la violence et des gens qui veulent nous utiliser. Il a été respectueux envers ma timidité, ma pudeur, ma discrétion.

Il a respecté mon choix de ne faire que des films d’auteur, expérimentaux, de ne pas sortir dans les soirées mondaines. Il avait un pouvoir immense, mais ne l’a pas utilisé contre moi. Quand il me photographiait, il choisissait toujours l’image où j’étais étrange, l’angle où j’avais le nez un peu long, il voulait voir le plus singulier en moi. Être regardée ainsi m’a donné de la force.

 

Votre voix grave vous a-t-elle posé problème ?

Dans tous mes premiers films, je chuchote. Au Conservatoire on m’avait proposé une opération en me disant que j’avais une voix qui ne correspondait pas à mon physique et que je ne travaillerais pas. Dans un film à gros budget, on m’a fait comprendre qu’il allait falloir que j’aie plus de seins. Quand j’étais dans une agence de mannequins, on m’a demandé de reboucher mon trou de varicelle, de remettre mes dents droites. Parfois, j’ai eu envie d’arrêter. On me proposait des rôles de femmes fatales ou de femmes « mystérieuses ».

 

Dans un scénario, si une femme est mystérieuse, ça veut dire qu’on ne s’intéresse pas à elle. J’en ai eu assez. J’ai dit stop, puis j’ai attendu. Et finalement on m’a proposé de jouer Simone de Beauvoir (« les Amants du Flore », 2006), ce qui a provoqué une levée de boucliers parce que j’avais été mannequin. Ce ne sont que des histoires de transgression : partir de chez ses parents, c’est bien ; garder sa voix, c’est bien.

 

 

On vous voit souvent dans les manifestations, d’où vient votre conscience politique et comment l’articulez-vous avec votre métier d’actrice ?

Mes parents ne votaient pas. Ils venaient de milieux prolétaires et ont réussi une ascension sociale. C’était important pour eux que j’aie accès à la culture et que je fasse de la danse. Mon grand-père était maçon, couvreur, zingueur, il est tombé et n’a pas pu continuer à travailler. Ensuite, en vivant seule, j’ai fait des petits boulots avant d’être majeure, payés à 80 % du Smic, parfois pas payés du tout. Cette conscience de l’injustice s’est aussi forgée grâce à la fiction. Enfant, si je regardais un film sur l’apartheid, je voulais être noire ; un western, je voulais être indienne.

Dans cette même perspective, j’ai compris que s’il y avait bien une chose intéressante c’était d’être femme, actrice d’une émancipation.  Je me suis rapprochée de milieux déjà organisés et militants quand j’ai appris que j’attendais ma fille. À partir de ce moment-là, je n’ai lu que des livres écrits par des femmes et j’ai essayé de me décoloniser. J’ai découvert des autrices exceptionnelles, des récits qui viennent remettre le monde à l’endroit : Goliarda Sapienza, Audre Lorde, Marina Tsvetaieva, Alexandra Pisarnik… La théorie féministe me porte : Andrea Dworkin, Silvia Federici, Virginie Despentes, Angela Davis, Rita Laura Segato ont changé ma vie.

 

 

Vous avez témoigné le 16 décembre dernier devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les violences sexuelles dans le secteur du cinéma, comment s’est passée cette audition ?

J’ai toujours parlé, à mon entourage, dans mon milieu professionnel. À partir du moment où les médias ont écouté, j’ai témoigné (à propos des agressions commises par Gérard Miller et Jacques Doillon – NDLR). J’avais déjà été auditionnée par le Sénat. J’ai suivi de près les travaux de la Ciivise, 82 recommandations ont été produites pour lutter contre les violences faites aux enfants, mais le juge Durand a été évincé et elles n’ont pas été appliquées.

Quand cette commission d’enquête sur le cinéma a été créée, j’étais un peu sceptique car on ne cesse de dire que les violences concernent tous les milieux. Parler spécifiquement du cinéma empêche de voir la dimension systémique. Mais j’ai été agréablement surprise par la pugnacité de Sandrine Rousseau et des autres parlementaires.

 

Lors de cette audition, vous avez retracé votre parcours d’actrice en montrant qu’à toutes les étapes d’un film les dangers sont présents…

La domination s’exerce à tous les endroits. Récemment, je me suis syndiquée à la CGT. C’est pour moi le seul discours audible, sans faille, contre l’extrême droite. Ce qui est terrible avec ce métier, c’est cette idée d’élections qui n’auraient rien à voir avec le travail. En tant que jeune acteur ou actrice, on pense qu’on a de la chance. Mais la chance est partagée. Le système pyramidal est puissant. Quand j’ai eu mon premier contrat au théâtre, on voulait me payer à 80 % du Smic, alors que j’étais majeure. On m’avait dit : certaines paieraient pour être à ta place. Je refuse cette idée construite par Hollywood selon laquelle il serait normal de sacrifier des personnes sous prétexte qu’on fait un métier qui brille.

C’est un métier encadré par le Code du travail, il faut le rappeler sans arrêt. Mais on peut dire non, ça m’est arrivé récemment : pour faire des économies de transport on m’a mise sur une branche nue, à 5 mètres du sol, on m’a fait monter par une colonne d’échafaudage et on m’a dit qu’on l’enlevait. J’ai crié : « Est-ce que quelqu’un peut prendre une photo de ce dispositif ? » On n’a pas tourné la scène. Très peu de comédiens sont syndiqués. Quand on fait des heures supplémentaires ou des castings, on n’est jamais payés. J’ai passé des essais avec Godard pour deux films différents, il payait la séance de travail et le ticket de transport de sa poche.

 

 

Vous qui avez fait votre formation de spectatrice à Nantes, comment réagissez-vous aux attaques menées contre la culture dans les Pays de la Loire et ailleurs ?

J’ai signé la pétition « Debout pour la culture ! Debout pour le service public ! ». Avant, quand on allait dans des théâtres subventionnés, il y avait des scolaires, des rencontres en bord de plateau. Mais, quand on joue une seule fois, ce n’est plus le cas. Partout où nous allons, Anne-Laure Liégeois arrive la veille pour rencontrer les collégiens et lycéens bénévolement, c’est tout le sens de l’utilisation de l’argent public, du commun. Et c’est complètement mis à mal. Les tournées n’ont plus rien à voir avec ce que j’ai connu à mes débuts. On faisait beaucoup de dates, j’étais très mal payée mais je l’étais mieux qu’aujourd’hui. On sacrifie l’hôpital, l’école, la culture et la jeunesse, en décidant de l’appauvrir et de la faire basculer dans l’obscurantisme.

 

 

Vous avez enregistré avec le groupe Draga « Ô guérillères », d’après les textes de Monique Wittig, comment ce projet vous porte-t-il ?

Nous sommes cinq, sans problème d’ego, avec une sororité qui permet la créativité. Tout est beau et joyeux dans cette histoire. Adolescente, j’aurais adoré connaître cette énergie et cette jubilation du combat. Nous avons une première date en juillet au festival Days Off, à la Philarmonie de ParisJ’aime sentir ces connivences de pensées, l’énergie des possibles. Je réalise un documentaire sur une autrice sicilienne magnifique, Maria Attanasio. Son livre « Concetta et ses femmes » (édition Ypsilon) parle de la création de la première section féminine du Parti communiste, une expérience qui n’a duré que trois ans. Ce sont des révolutions, de la politique de proximité qui fonctionne.

Elle est marxiste depuis toujours. Toute son œuvre s’appuie sur des archives locales de Caltagirone, où elle vit, des histoires de femmes effacées par la violence de genre. Elle a été prof d’histoire-géo et de philo pendant toute sa carrière. Son compagnon donne des cours de Pilates gratuits aux paysans qui ont mal au dos. Elle dit qu’en faisant ressurgir ces récits on se rend compte que, en tant qu’artiste ou femme qui lutte, on forme une chaîne de sœurs anonymes. Et qu’on n’est pas orphelines.

 

Propos recueillis par Sophie Joubert / L'Humanité magazine 

 

Légende photo : « Dans ma famille, on avait accès à la culture, mais j’ai grandi avec un modèle classique où les femmes étaient à la maison », raconte Anna Mouglalis, actrice et réalisatrice, ici le 18 février 2025 à Paris.

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
January 5, 3:24 PM
Scoop.it!

Le talent insolent de Camille Cottin

Le talent insolent de Camille Cottin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Grégoire Biseau dans Le Monde le 3 janvier 2025


PORTRAIT

 

Entourée par la même bande qu’à ses débuts au théâtre, la comédienne de 46 ans enchaîne les rôles au cinéma avec beaucoup de liberté. Aujourd’hui, elle renoue avec ses premières amours en interprétant un seule-en-scène adapté du roman « Jewish Cock », de Katharina Volckmer. Un texte provocateur, drôle et féministe autour d’une femme désireuse de se faire greffer un pénis circoncis.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/03/de-connasse-a-l-adaptation-de-jewish-cock-le-talent-insolent-de-camille-cottin_6479021_4500055.html

Devant un lourd rideau de velours pourpre tombé du ciel, une ­silhouette de femme portant des lunettes de soleil et coiffée d’un de ces grands chapeaux de paille glamour tournicote sur elle-même pour s’emmêler dans un drap. Elle est belle et ridicule. Star et cruche. « Est-ce qu’on comprend bien qu’elle est ligotée ?, demande Camille Cottin à son metteur en scène, Jonathan Capdevielle. J’aimerais qu’on voie une image de l’assignation. » Mais après plusieurs minutes de combat avec son drap, l’actrice rend les armes. Le tandem décide qu’il est trop tard pour garder l’idée pour ce soir, mais, promis, on fixera tout cela en vue des représentations aux Bouffes du Nord à Paris, dans trois semaines, à partir du 7 janvier.

 

 

Ce mercredi 18 décembre, sur la scène du Théâtre d’Arles, Camille Cottin répète le spectacle Le Rendez-Vous, créé en septembre à Aix-en-Provence. Adaptée du roman Jewish Cock, littéralement « bite juive », de la romancière allemande Katharina Volckmer, la pièce est le monologue d’une femme venue chez son gynécologue pour se faire greffer un pénis circoncis. Un texte monstre, farouchement féministe, provocateur et drôle. Une « caresse et une claque », selon les mots de Jonathan Capdevielle, où il est question de la culpabilité allemande liée à la Shoah, de Dieu, de l’amour du théâtre, de la transition de genre et, bien sûr, des hommes. Et plus exactement de leur bite, puisque c’est ainsi que l’autrice nomme leur pénis.

 

Quand elle a lu la première page du roman, il y a presque quatre ans, Camille Cottin s’est arrêtée et s’est demandé à haute voix : « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » Elle a posé le livre, comme s’il lui fallait prendre une grande inspiration, avant de poursuivre sa lecture. Lorsqu’elle a sollicité des agents littéraires pour trouver des idées de scénario de film avec de beaux rôles de femme à défendre, c’est le premier texte qui lui a été adressé. L’actrice ne sait pas quoi faire de cette bombe. Elle envoie un exemplaire à sa mère, Edith, grande lectrice, dont elle aime solliciter l’avis, et un autre à son meilleur ami, Benjamin Gauthier, acteur et metteur en scène. Leur retour est enthousiaste. « C’est un texte essentiel », assure ce dernier, qui la pousse immédiatement à l’adapter au théâtre.

Un nouveau départ

Si Camille Cottin avait bien caressé l’idée de remonter un jour sur des planches, ce n’était certainement pas pour un seule-en-scène. Pour elle, un projet théâtral est d’abord une aventure collective, une affaire de troupe. Et puis qui pourrait mettre en scène cette étrange logorrhée ? Benjamin Gauthier lui suggère le nom de Jonathan Capdevielle, marionnettiste de formation, acteur chez Gisèle Vienne, et grand metteur en scène de l’intime.

 
Leur première rencontre a lieu en 2022 par Zoom, alors qu’elle tourne en Angleterre dans un film de Kenneth Branagh (Mystère à Venise). Malgré la distance, le courant passe immédiatement. Ils décident d’adapter ensemble le livre pour la scène. Et en juin, dans la salle de répétition du théâtre des Bouffes du Nord, Camille Cottin commence à réciter son texte devant un drap miteux en guise de rideau.

« J’ai découvert en Jonathan un copain de jeu comme quand j’avais 10 ans et qu’on créait des spectacles avec mes cousins dans le grenier de ma grand-mère », confie-t-elle. « Immédiatement, j’ai vu une petite fille qui se remet à s’amuser avec un jouet qu’elle avait délaissé et qui se reconnecte à son passé avec une immense joie », renchérit Jonathan Capdevielle. Comme s’il y avait dans ce retour sur scène autre chose qu’un simple détour, pour une actrice de cinéma qui tourne trois à quatre films par an depuis dix ans et s’est déjà fait un petit nom à Hollywood.

Plus qu’un retour aux sources, une sorte de nouveau départ. Camille Cottin, dont l’image reste toujours autant associée au personnage de Connasse, apparu sur Canal+ en 2013, et à celui d’Andréa Martel de la série à succès Dix pour cent, ressentait le besoin d’ouvrir de nouveaux horizons. Et, finalement, quoi de plus radical quand on est une actrice de 46 ans, d’origine juive par sa mère mais baptisée, que de vouloir un pénis circoncis à la place du vagin, pour prendre son élan ?

 

Une scène de cinéma

L’histoire de Camille Cottin commence par une scène de cinéma. A la fin des années 1970, celle qui va devenir sa mère, Edith Yaffi, dîne seule à la brasserie Chartier, rue du Faubourg-Montmartre. Face à elle, un homme, Gilles Cottin, beau comme un dieu, accaparé par la lecture de son journal, ne lui prête aucune attention. Elle tape sur son journal, pour engager la conversation. Interloqué, il lui explique qu’il parcourt les petites annonces, car il cherche des peintres en bâtiment pour l’aider à terminer un chantier. Elle lui répond qu’elle tombe à pic, puisqu’elle connaît très bien trois peintres, qui se feront un plaisir de venir l’aider. Ils s’échangent leurs adresses et se disent à très vite. Il ignore évidemment qu’elle a tout inventé. Et le lendemain, la baratineuse envoie au rendez-vous trois copains déguisés en peintres.

L’histoire d’amour sera aussi intense que courte. C’est la rencontre de deux mondes. Lui, artiste, est issu d’une grande famille bourgeoise parisienne, catholique et intellectuelle. Elle, née d’une famille de commerçants pieds-noirs d’Algérie, a été envoyée à Paris à l’âge de 15 ans, car elle faisait le mur pour soutenir la cause indépendantiste du FLN. Insoumise, entreprenant mille choses sans en finir une seule, s’inventant des vies, Edith aime les hommes, les voyages et la liberté.

 

Le couple se sépare, juste à la naissance de Camille, mais reste très lié. Gilles propose à Edith de venir vivre avec leur enfant dans son appartement de la rue du Faubourg-Montmartre, lui occupant une chambre de bonne à l’étage au-dessus. Et quand elle décide, quelques années plus tard, de déménager pour s’installer avec son nouvel amoureux, Gabriel Besson, un analyste financier de 22 ans, de quinze ans plus jeune qu’elle, Gilles demande à les suivre, pour habiter sur le même palier. « Tout cela était très joyeux et finalement assez naturel », se rappelle Camille Cottin. Une demi-sœur, Avril, six ans d’écart avec elle, va naître dans la foulée.

Une relation mère-fille compliquée

La mutation à Londres de son beau-père, qu’elle appelle très vite « Gab », oblige toute la famille à rejoindre la capitale anglaise, mais cette fois sans Gilles, qui reste à Paris. C’est un changement de vie. L’argent coule à flots, la famille loge dans une maison du quartier chic de Chelsea, Camille fréquente le lycée français, des nounous s’occupent des filles. Ce sont les années d’adolescence, des premières amours, et souvent d’affrontement avec cette mère fantasque et rebelle, mais aussi très stricte avec ses propres enfants.

 

Camille fait le mur. Ce n’est une surprise pour personne : elle est la fille de sa mère, insolente et frondeuse. « A l’époque, ça monte souvent dans les tours », se souvient Avril. Très vite, les deux sœurs improvisent des spectacles dans leur chambre. Camille déguise sa cadette, la dirige, joue avec elle. On chante, on danse, on se travestit. La première montée sur les planches est restée mythique. Dans le cadre de l’association théâtrale créée au lycée français de Londres par sa mère, Camille répète le rôle d’Hélène dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, de Jean Giraudoux, celui de Pâris est incarné par un beau gosse de terminale.

Mais ce dernier se désiste quelques jours avant la représentation. Et c’est Edith qui le remplace au pied levé, une casquette sur la tête. « L’image de ces deux-là censées s’aimer sur scène alors que leur relation était à l’époque très difficile n’en finit pas de me faire rire », s’amuse Avril Besson. Camille attrape le virus. Après le bac, elle demande à rentrer à Paris pour faire du théâtre. Ses parents ne disent pas non mais lui demandent d’assurer ses arrières : elle s’inscrit en maîtrise d’anglais à la Sorbonne, et en parallèle à l’école d’art dramatique Périmony.

Une Kawasaki à la place d’un nouveau nez

Elle a 20 ans, la vie devant elle. Un soir, alors qu’elle revient de jouer une pièce devant cinq personnes, elle reçoit un coup de fil de sa mère : son beau-père est mort au travail d’un infarctus, à 38 ans. Une déflagration. Le lendemain, elle remonte pourtant sur scène. « Je me demande encore comment j’ai pu faire ça », se dit-elle. Gabriel était plus qu’un beau-père. Ensemble, ils adoraient les sensations fortes des sports de glisse, le ski, la planche à voile, la plongée, aussi. Elle entame une psychanalyse qu’elle arrêtera vingt ans plus tard. « C’était un moment difficile pour moi, j’étais encore en construction, je ne savais pas très bien ce que j’allais faire de mon existence », se remémore-t-elle. Pendant trois ans, elle gagne sa vie comme professeure d’anglais, puis arrête pour plonger la tête la première dans le théâtre. « Le plateau devient alors un espace sacré et réparateur pour elle », estime sa copine, la comédienne Camille Chamoux.

 

Camille Cottin n’a pas de temps à perdre. Elle roule dans Paris au guidon d’une Kawasaki 650, un modèle qui ressemble aux Triumph anglaises, qu’elle adore. Cette moto vient de loin, de son enfance, quand son père Gilles l’emmenait à la crèche sur sa grosse BMW. Mais surtout d’un pacte scellé peu avant ses 18 ans. Pour son anniversaire, son grand-père paternel lui propose de lui offrir une séance de chirurgie esthétique afin de corriger ce nez… trop droit, trop long, trop grand, qui l’enquiquine depuis l’adolescence. « Et si à la place tu m’offrais une moto ? », lui propose-t-elle. Va pour garder ce nez et acheter une Kawasaki.

Toutes les copines de l’époque adorent monter derrière elle et s’accrocher à sa taille. La vie devient tout de suite beaucoup plus excitante. La Kawasaki est volée deux ans plus tard, et remplacée par une Suzuki 250. « L’image de Camille reste très associée à sa moto. Celle d’une jeune femme toute fine, aux longs cheveux blonds, qui dégage une grande force et qui trace son chemin », confie la productrice Shirley Kohn, une de ses grandes amies.

Les années cachets minables et débrouille

Son chemin, c’est le théâtre. Pendant plus de dix ans, elle s’y adonne totalement. Et se construit une bande d’amis, des acteurs comme elle qui rêvent tous de se faire un nom (Benjamin Gauthier, Zoé Bruneau, Alexandra Chouraqui, Guillaume Mélanie, Cédric Moreau…). Elle joue tout et un peu n’importe quoi, du moment qu’elle joue. Elle est la militante Helen Keller, aveugle, sourde et muette, le chat Béhémot dans Le Maître et Marguerite, de Boulgakov. Elle passe du Cid, de Corneille, à la troupe de Pierre Palmade. Elle écrit une comédie potache avec sa grande copine Alexandra Chouraqui, Le Lifting de Madame Bénichou. Un petit succès. Une partie de la bande de copains y joue en alternance.

 

Chaque été, ils descendent, en transhumance, au festival off d’Avignon (Camille Cottin en compte sept à son actif). Ce sont des années de cachets minables, de débrouille et de bouts de chandelle. « Mais c’était très joyeux », sourit-elle. Elle en profite pour découvrir, dans la cour d’honneur du Palais des papes, le théâtre de l’Allemand Thomas Ostermeier et la trilogie de Wajdi Mouawad (Littoral, Incendies, Forêts). Même si elle rêve de cinéma, elle se rassure en se disant que le théâtre est suffisamment vaste pour y passer une vie entière.

 

 

A Paris, l’atelier d’artiste que lui a laissé son beau-père devient le QG de la bande. Camille y habite avec son amoureux, Benjamin (dont elle préfère taire le nom pour éviter d’exposer leurs enfants), un architecte, qui deviendra le père de ses enfants, et sa demi-sœur Avril. La bande d’amis décide d’y écrire sa première pièce collective, une comédie, Paris Dallas, pendant qu’Avril les filme lors de leurs séances de travail. Elle en fait son film d’études pour le concours d’entrée de la Fémis. Elle intègre la prestigieuse école de cinéma, mais Paris Dallas est un bide.

 

Depuis presque vingt ans, le groupe est resté intact, il a juste été rebaptisé sur WhatsApp « entourage », après s’être longtemps appelé « la bandoule ». Personne n’en est parti. Très vite, Camille Chamoux a été intégrée. Puis le duo à l’origine de Connasse, Noémie Saglio et Eloïse Lang. Et, plus récemment, Marion Cotillard. Chaque été, ils se donnent rendez-vous dans l’ex-maison varoise du beau-père de Camille Cottin à Cavalaire-sur-Mer, un coin de paradis, pour y passer une quinzaine de jours en juillet. Un rituel devenu immuable. Avril est là bien sûr, mais aussi Edith, et ses beaux-parents. De l’aveu de tous, il n’y a pas vraiment de chef. Juste une fédératrice : Camille Cottin.

 

La première fois qu’on rencontre cette dernière, le lundi 9 décembre, elle est Jeanne. Elle habite un petit pavillon de brique rouge à Cergy-Pontoise. Sa sœur vient de lui déposer ses deux jeunes enfants et de disparaître. Le film, Les enfants vont bien, le troisième de Nathan Ambrosioni, son deuxième avec Camille Cottin (après Toni en famille, en 2023), raconte cette « maternité » forcée par le destin et par cette mère volatilisée. L’équipe entame la dernière semaine de tournage.

« L’anti-connasse »

Camille Cottin nous accueille comme si elle était la maîtresse de maison. Elle est en chaussons et gros pull en laine. Elle nous fait la bise, presque maternelle. Nous demande si ce n’était pas trop long pour arriver jusqu’à Cergy, nous propose un café. Et nous tutoie au bout de la deuxième phrase. Il n’y a pas vraiment de calcul. Elle est pudique mais frontale, fonceuse mais traqueuse, sans concessions mais soucieuse des autres. « Elle veut tout le temps faire plaisir. Tout le monde compte sur elle. Alors, parfois, elle peut se faire bouffer », sourit Noémie Saglio. Camille Cottin a découvert récemment qu’elle souffrait depuis longtemps d’un trouble de l’attention. « J’ai toujours eu du mal à hiérarchiser les problèmes et les sollicitations. Toutes les préoccupations m’arrivent avec un même niveau d’intensité… », décrit-elle. Intranquille, elle ne sait pas rester en place, sauf sur une scène de théâtre ou un plateau de cinéma.

 

« C’est vraiment l’anti-connasse par excellence. C’en est troublant », renchérit Camille Chamoux. Leur première rencontre a lieu au théâtre Silvia Monfort, à Paris, où Camille Chamoux, 24 ans à l’époque, fait passer un casting pour une pièce qu’elle monte. Elle ne la prend pas. Elles se retrouvent ensemble dans la distribution de la pièce Love and Fish, d’Israel Horovitz, en 2004. Elles deviennent inséparables et décident de former une sorte de couple interchangeable. Même silhouette, même taille, presque même couleur de cheveux. Deux Camille dans un seul corps. Elles s’échangent les plans, les rôles, se remplacent au pied levé…. « Personne ne s’en rendra compte » est leur mantra.

Ainsi, quand, en 2013, Camille Chamoux, alors un peu connue, est appelée pour passer un casting pour un programme court de caméra cachée pour la télévision, elle envoie sa copine à sa place. Celle-ci débarque, tout en noir, dans une cave du 11e arrondissement pour passer son audition. On lui demande d’improviser, sur le canapé, une scène dans un taxi. « En cinq minutes, on a tout vu : le taximan, le siège à boules, le petit sapin qui pendouille au rétro central. On était avec elle », raconte Eloïse Lang. Contre toute attente, ces petites pastilles, diffusées pendant « Le Grand Journal » deviennent virales. Camille Cottin devient la Connasse, cette bourgeoise parisienne, sans filtre et sans gêne, qui ne pense qu’à sa gueule et qu’on adore détester. Sa carrière décolle.

Deux ans plus tard, en 2015, c’est la grande rencontre avec Andréa Martel, agente d’acteurs de cinéma au sein de la société ASK, dans la série Dix pour cent, créée par Dominique Besnehard et la scénariste Fanny Herrero. Cédric Klapisch, le réalisateur de la première saison, se souvient très bien du jour où il a découvert l’actrice : « Elle dégageait un truc cérébral et organique. Un côté punk et sophistiqué à la fois. »

 

Parmi une trentaine de comédiennes passées à la moulinette, elle fait l’unanimité. Andréa est lesbienne, ambitieuse, menteuse et horriblement attachante. Et par effet de ricochet, Camille Cottin devient un porte-drapeau de la cause queer. La vague #MeToo s’apprête à déferler. La comédienne est prête : elle a déjà lu King Kong Théorie, de Virginie Despentes, et les premiers livres de Mona Chollet. Au sein de la bande, on discute beaucoup de cette révolution qui vient, on s’échange les essais qui font référence, on manifeste, presque toujours ensemble. « On compare nos modèles, hérités de nos mères », décrypte Shirley Kohn, avec qui elle a créé une société, Malmö Productions, qui porte des projets engagés en faveur de la cause féministe.

 

A force de déclarer son admiration pour Mona Chollet dans des interviews, Camille Cottin finit par recevoir un SMS de remerciement de l’essayiste. Les deux femmes décident de déjeuner ensemble. « Elle m’a donné l’impression d’une actrice qui se posait beaucoup de questions sur sa carrière… Sur les choses qu’elle doit accepter ou non dans un milieu du cinéma encore très patriarcal. C’est vraiment une actrice qui fait du bien », se souvient l’autrice de Sorcières (La Découverte, 2018).

Le prix de la liberté

Shirley et Camille ont un moment réfléchi à adapter Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine (La Découverte, 2012), dans lequel Mona Chollet dénonce l’influence de l’industrie du luxe sur les représentations féminines. Mais c’était avant que Camille Cottin accepte de tourner une publicité, gentiment grotesque, flanquée de Jean Dujardin et George Clooney, pour vendre des capsules Nespresso. Et qu’elle devienne une égérie de la maison Dior et du joaillier Tiffany. Aujourd’hui, elle incarne un chic, une élégance bourgeoise, qui ravit la presse féminine.

Ses copines assurent qu’elle s’achète de la liberté et que c’est très bien comme ça. Mona Chollet a, elle aussi, mis de l’eau dans son vin : « Dans mon livre, j’avais eu la dent dure contre Anna Mouglalis, qui était à l’époque égérie de Chanel. Aujourd’hui je ne veux plus faire porter aux seules actrices la charge de tout ce système. L’industrie du luxe fait partie du jeu si on veut faire carrière dans le cinéma. » Camille Cottin assume : « Oui, je suis dans une forme de contradiction. J’en conviens parfaitement. Mais on peut avoir envie d’être plusieurs femmes, et ça ne m’empêche pas d’entendre et de comprendre la critique féministe de cette objectivation du corps des femmes par les marques de luxe. »

 

La « meilleure actrice de sa génération », selon la metteuse en scène Salomé Lelouch, qui l’a dirigée dans Justice, en 2018, avec Camille Chamoux, a ce truc énervant de certains premiers de la classe qui réussissent aussi à être très populaires ou très forts en sport. Elle est capable de faire entrer des carrés dans des ronds. Elle est une actrice grand public reconnue par le cinéma d’auteur, de gauche et aimée de la presse de droite, fidèle en amitié et épanouie dans sa vie familiale. Parfois, il arrive que ça coince.

Au début de l’été, le tournage en Arménie de Sauver les morts, le premier film de fiction de la documentariste Tamara Stepanyan, a été éprouvant. Huit semaines sans rentrer à Paris, même si ses deux enfants (15 et 9 ans) sont venus deux fois lui rendre visite. Elle a manqué la réunion de la bandoule à Cavalaire. « Je ne recommencerai pas », promet-elle. Elle court toujours après ce premier rôle d’un film qui mettrait tout le monde d’accord, le public et la critique, et qui la détache pour de bon de l’image d’Andréa Martel.

Un texte qui déconcerte

Cette année sortira Rembrandt, le prochain film de Pierre Schoeller, où elle interprète le rôle d’une ingénieure qui travaille dans le nucléaire et qui voit sa vie bouleversée par la découverte de tableaux de Rembrandt. Elle sera de tous les plans. « Comme les actrices américaines, elle a une puissance à l’image très impressionnante », s’enflamme Schoeller, convaincu que Camille Cottin est « la Meryl Streep française, [qu’]elle va magnifiquement vieillir ». En avril, elle tournera dans le prochain Olivier Nakache et Eric Toledano, une comédie située dans les années 1980 qui évoquera leur enfance, où elle formera un couple avec Louis Garrel.

 

Ce jeudi matin 19 décembre à Arles, elle s’est réveillée totalement enrhumée, le nez bouché. Un cauchemar pour une actrice de théâtre qui doit jouer le soir même. Elle a trouvé le public de la veille glacial. Elle a du mal à accepter que ce texte puisse décontenancer, voire provoquer du rejet, tant il résonne intimement, pour elle, et profondément « avec le procès Mazan et cette culture du viol ».

 

Pendant longtemps, le spectacle devait s’appeler Jewish Cock, comme le livre. Mais plusieurs théâtres l’ont alertée que, depuis le massacre du Hamas du 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza, tout pourrait être mal interprété. Ce sera donc Le Rendez-Vous, mais pour dissuader la venue d’adolescents qui espéreraient retrouver la Connasse, Camille Cottin l’a fait interdire aux moins de 16 ans. « La production m’a trouvée un peu maximaliste », rigole-t-elle, en commandant un grog.

 

Elle nous demande si on connaît les bienfaits de la rhodiole, car elle croit aux vertus des plantes et des esprits. Elle le tient notamment de sa mère et de ses différents voyages en Afrique et en Inde. Elle aime l’idée du pouvoir de la sorcellerie, puisque les sorcières ont toujours été des femmes libres. Pour convoquer des forces surnaturelles, sa mère a l’habitude d’allumer des bougies. « Elle en a allumé deux pour les copains et une autre pour Avril ; ils attendent tous une réponse importante », précise-t-elle. Camille Cottin ne se rappelle pas à quand remonte sa dernière bougie. Peu importe, les esprits doivent penser qu’elle n’en a plus vraiment besoin.

 

Grégoire Biseau / M le magazine du Monde 

 

Crédit photo : OTMAN QRITA POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
October 15, 2024 10:22 AM
Scoop.it!

Dimitri DORÉ - Entretien avec l'acteur 

Dimitri DORÉ - Entretien avec l'acteur  | Revue de presse théâtre | Scoop.it



DIMITRI DORÉ

ACTEUR ET COMÉDIEN

Propos recueillis par Bénigne Tainturier pour artefake.fr - 15 oct. 2024

 

 

Quel a été votre parcours professionnel ?

 

Je suis né en Lettonie en 1997, puis j’ai été adopté en 1998 à Reims par une famille aimante qui m’a choyé et comblé de bonheur. Pour tout vous dire, je suis un véritable enfant de la télé, c’est là que j’ai découvert Le Plus Grand Cabaret du monde, le Festival International du Cirque de Monte-Carlo et le Festival International du Cirque de Massy. J’étais émerveillé par chaque artiste. Depuis petit, je baigne dans l’univers du cirque, discipline que j’ai pratiqué durant cinq années. Mais le véritable déclic a été la découverte en 2001 du cirque Pinder Jean-Richard, puis la rencontre avec l’univers poétique de Hugues Hotier Monsieur Loyal du Cirque Éducatif.

 

Parallèlement à cette passion circassienne, l’enseignement m’a toujours plu, m’incitant très tôt à suivre cette voie. Cependant, quelques années plus tard, suite à une déception dans mon apprentissage de l’Italien, j’ai très vite bifurqué vers l’option théâtre. Un pur hasard, car je n’avais pas une appétence particulière pour cette discipline. Évidemment, mes références de l’époque étaient Au théâtre ce soir avec Micheline Dax, Robert Hirsch ou encore Jean Le Poulain. Très vite, lors des premiers cours de théâtre, on m’a confié le rôle de la belle-mère de Cendrillon de Joël Pommerat que j’ai incarné en m’inspirant du jeu comique de Muriel Robin. Ce mélange des genres ne fut pas sans surprendre mes camarades et mes enseignants de l’époque.

Puis, suite à l’obtention de mon baccalauréat, je suis monté à Paris en octobre 2016, en commençant mon apprentissage à l’école de théâtre l’Éponyme. Durant cette année, j’ai aussi décroché un casting avec le metteur en scène Jonathan Capdevielle me permettant de pénétrer dans le monde du spectacle vivant et ainsi d’obtenir le statut d’intermittent du spectacle. Quelques années plus tard, Jean-Luc Vincent, acteur également, qui m’avait repéré dans une pièce de Jonathan m’a contacté pour me soumettre le scénario de Bruno Reidal. Cette rencontre a été déterminante, me permettant de jouer mon premier rôle au cinéma.

 

 

En 2018, vous avez participé à l’une des adaptations de Peter Pan d’Andrew Birkin. Une pièce radiophonique accompagnée par l’orchestre national de Radio France sous la direction de Christophe Hocké. En effet, le monde du célèbre personnage de Disney est en lien direct avec le monde du rêve et donc de l’illusion. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

 

Comme Peter Pan, nous pouvons tout jouer lorsque l’on est enfant et ainsi devenir n’importe qui. Comme Peter Pan, aussi, nous pouvons également nous trouver une multitude de familles ! D’ailleurs, j’ai remarqué que j’ai pu découvrir mille et un parents dans les rôles que j’ai incarné. En effet, depuis 2017, j’ai déjà eu six mères : Clémentine Baert, Nelly Bruel, Isabelle Huppert, Camille Chamoux, Michèle Gurtner et la mezzo-soprano Sophie Koch. Mais, contrairement à Peter Pan, chaque âge a son intérêt. Il faut garder à l’esprit que les rôles vieillissent avec nous et qu’il est toujours possible de jouer à tout âge. Aujourd’hui, j’ai déjà réalisé mon premier rêve : faire ce que j’aime le plus dans ma vie. Désormais, je souhaite continuer à réaliser d’autres souhaits qui me permettront d’avancer dans ce métier. Comme dans un couple, à trop se connaître, on finit par se tuer l’un et l’autre ; Et à trop s’ignorer, on finit par se perdre. L’hygiène intime de l’acteur est dans le changement.

 

 

Comment façonnez-vous vos personnages ?

 

À vrai dire, le travail de recherche est fondamental dans ma conception de mes personnages. L’INA est une ressource inépuisable que je consulte fréquemment. Ce travail d’exploration me fascine, cela me renvoi à ma passion pour l’histoire. J’avais toujours une attirance à être ce que je n’étais pas dans mes jeux. Mon apprentissage de comédien était avant tout d’imiter les autres, avant même de créer ma propre signature. Imiter passe par le formidable pouvoir de la métamorphose. Imiter n’est pas de recopier mais bien de recréer. C’était le cas aussi pour Victor Hugo, Elvis Presley ou Picasso, car avant de peindre toutes ses périodes colorées, il s’était pris au jeu de l’imitation de tous les grands (Monet, etc.). Ce travail d’imprégnation est indispensable pour trouver sa patte, sans jamais tomber dans les travers du plagiat. L’apprentissage se construit par mimétisme et compagnonnage. Très tôt, j’ai eu mon premier coup de cœur cinématographique avec Les Grandes Vacances de Jean Girault, dont Maurice Risch incarnait le facétieux Stéphane Michonnet. La scène du déjeuner est terriblement drôle, Michonnet se voit contraint de goûter tous les plats, alors même qu’il est malade. Des plats totalement insensés, comme la viande saupoudrée de chantilly. Le tout, orchestré par l’indomptable Louis de Funès et son humour désopilant. C’est en réalité un véritable numéro de clown avant même d’être une scène de cinéma.

 

Avez-vous déjà incarné une voix, donnant l’illusion d’être un ou une autre ?

 

En effet, j’ai déjà eu l’opportunité de tenter cette expérience, c’est bien l’illusion au sens large du terme que de jouer un personnage simplement par la voix. Selon moi, Zouc (humoriste, autrice-compositrice-interprète suisse) demeure la reine en la matière. Elle est capable de modifier sa voix pour s’adapter à tout type de personnage. Comme Robert Hirsch adorait le faire, c’est surtout ce travail du masque que j’affectionne le plus. Mais, plus que tout, cette incarnation des rôles est beaucoup plus profonde selon moi, il s’agirait même de convoquer des voix qui ne sont pas les nôtres. C’est une forme de transcendance. Nous faisons un métier d’appropriation. Depuis petit, je travaille ma voix par plaisir, en imitant mes professeurs d’école par exemple, tout en gardant un regard bienveillant. Pourtant, au départ, j’étais un enfant très timide, j’observais beaucoup et j’adorais aussi les arts plastiques.

 

 

Pouvez-vous nous parler de la master class que vous avez animé sur l’intelligence artificielle (IA) en 2024 ?

 

Tout à fait, la thématique abordée était la suivante « La peur de l’intelligence artificielle & vôtre intelligence artistique créatrice ». L’IA est un outil formidable qui peut aider de nombreux jeunes à améliorer la qualité rédactionnelle de leurs écrits, mais aussi leurs recherches en entreprise par exemple. L’IA est comparable à un marteau, on peut construire ou détruire avec. Donc ce n’est pas l’outil qui pose problème, mais bien ce que l’on en fait. Les risques sont réels, mais les IA ne sont pas des créatures autonomes, mais bien un outil. Il est donc indispensable de prendre le train en marche et d’être en phase avec l’avancée de cette technologie, dans le sens positif du terme. Néanmoins, malgré les bénéfices inhérents à cette nouvelle technologie, j’ai récemment conseillé à des élèves, lors du César des Lycéens à Perpignan, de se nourrir également des ouvrages et supports papiers, qui restent et demeureront des sources inépuisables de connaissances.

 

Pensez-vous que l’intelligence artificielle puisse avoir un impact sur les doublures de voix ?

 

D’ici dix ans, un cahier des charges strict devra être établi, afin d’éviter des dérives. Demain, il sera possible de doubler un film de Glenn Close dans des dizaines de langues avec une voix identique à celle de l’actrice, tout en synchronisant ses lèvres avec son texte. Les directeurs de casting pourraient être remplacés par des algorithmes avancés. La start-up suisse Largo.ai utilise deux types d’intelligences artificielles, l’une générative et l’autre prédictive, pour aider les producteurs et réalisateurs à constituer le casting idéal. Cependant, ce qui fait défaut à l’intelligence artificielle, c’est la capacité à douter. L’IA ne remet jamais en question ses certitudes. Par conséquent, tout comme les bibliothèques, les dictionnaires et les encyclopédies, elle risque de n’être qu’un outil parmi d’autres. Et c’est tout !

 

Avez-vous un rapport différent dans votre approche de la comédie au théâtre ou du jeu d’acteur au cinéma ?

 

Mon jeu au théâtre et au cinéma est quasiment identique, il y a toujours une écoute qui vient soit du public, soit de l’équipe technique. Au théâtre tu es « le patron » sur scène, alors qu’au cinéma tu dois être en accord avec les attentes du metteur en scène, du directeur de casting et du script, afin de ne pas engendrer de faux raccords. Au théâtre, on joue. Au cinéma, on a joué. Vous avez quatre heures !

 

Parlez-nous de votre passion pour l’art clownesque et du maquillage. Le maquillage est un instrument vous permettant de donner l’illusion d’être un autre. Quel regard portez-vous aussi sur ce sujet ?

 

J’aime à prendre l’exemple de Michel Serrault qui se fondait aussi bien dans le rôle du Docteur Petiot que dans celui d’un personnage totalement excentrique comme dans La cage aux folles. Le maquillage est un masque, permettant de se dissimuler aussi bien derrière une cantatrice ou jouer la carte d’un personnage plus sinistre. Pour faire le parallèle avec le cirque, Jean-Claude Dreyfus s’était notamment grimé en dresseuse d’otaries lors du 49ème Gala de l’Union des artistes. Un délice !

 

Pour tout vous dire, nous sommes presque plus illusionniste qu’un magicien professionnel, car, autant on peut « laisser des bouts de soi » dans un rôle, mais cela n’engage que nous. Autant ce masque permet d’interpréter des « morceaux de soi », façonner des personnages de composition comme Bruno Reidal avec des accents du Sud de la France. Bruno Reidal restera toujours aux antipodes de ma véritable personnalité, au-delà même du fait qu’il était un criminel sanguinaire, dénué d’une quelconque empathie. Comme aimait le dire Pierre Arditi « on est des morceaux de soi sans que le public le sache ». C’est notre cuisine interne, Jean-Claude Brialy le savait.

 

Comment réussissez-vous cette dissociation dans votre vie privée avec le personnage incarné au cinéma ou au théâtre ?

 

Je m’efforce de rester le plus loin possible de mon rôle, afin qu’il n’empiète pas sur ma vie privée. Dès que la caméra se coupe je m’amuse. Cela me permet de maintenir une distance dans ma vie réelle et ainsi me protéger. Je ne parlerai pas non plus d’hypersensibilité, mais je reste très sensible à de nombreuses causes comme rester fidèle à ma légende (être « raccord » tant dans la vie que dans mon travail), le féminisme, l’égalité des genres dans le monde du travail et la lutte contre l’abandon.

 

Parlez-nous de votre passion pour l’art circassien et votre regard sur l’opéra ?

 

Certains numéros de cirque me bouleversent aussi, je pense notamment à ce magnifique duo d’artistes asiatiques lors d’une des précédentes éditions du Festival International du Cirque de Monte-Carlo, dont la performance exceptionnelle était en harmonie parfaite avec la musique. Un numéro de danse classique mis en scène sous forme de mains à mains, brillant ! Comme les clowns, certain(e)s comédien(ne)s et acteur(trice)s m’émeuvent, c’est le cas de Giulietta Masina dans La Strada ou encore Audrey Hepburn dans Summer Times. L’opéra me plaît aussi, je pense à Cecilia Bartoli, mais aussi à certaines mises en scène de Jean-Louis Grinda. J’ai même pu jouer dans un opéra intitulé Wozzeck, mis en scène par Michel Fau. Ces mises en scène sont teintées d’onirisme, un univers que j’affectionne particulièrement. D’ailleurs, lorsque j’ai participé à cet œuvre, je jouais le personnage central, le fils de Marie, rêvant dans son lit d’enfant toute l’histoire de Wozzeck. C’est véritablement la nature baroque de cette pièce qui m’a le plus enchanté. Je me surprends à m’évader aussi dans les ouvrages d’Albert Camus, c’est cet aspect brut ayant pour cœur la question même de l’existentialisme qui me fascine. Car, si le monde est absurde, à quoi bon vivre ? Une question lourde de sens, dont chacun(e) à sa propre réponse. D’ailleurs, j’adapte et mets en scène actuellement la nouvelle d’Andra Neiburga Pousse pousse au théâtre avec l’actrice Zahia Mekid qui traite de ce sujet. À titre de comparaison, le clown Grock incarnait à merveille cette dimension de l’absurde. Mais, c’est véritablement Charlie Rivel qui a été le facteur déclenchant de mon attrait pour l’art clownesque.

 

En abordant la thématique de l’illusion, celle « d’être un autre l’espace d’un instant », pouvez-vous nous présenter la pièce de théâtre Rémi mis en scène par Jonathan Capdevielle ?

 

Tout a commencé lorsque mon ami Jonathan Capdevielle a joué le rôle de Peter Pan, à ce moment précis, il a su qu’il souhaitait mettre en scène des pièces pour enfants. Puis, suite à la lecture du célèbre roman d’Hector Malot Sans famille paru en 1878, nous avons échangé et nous nous sommes mis d’accord sur la création d’une pièce de théâtre Rémi s’inspirant du manga adapté de l’œuvre originel. Ce maquillage de clown, cette forme de bleu au coin de l’œil n’est pas anodine. En effet, comme tous les enfants nous avons toujours eu ce péché mignon d’effrayer nos parents et grands-parents plus jeunes. Rôle que je reproduis avec Rémi, qui, grâce au maquillage, faire croire à sa mère qu’il a été victime de violences.

 

Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?

 

Mes sources d’inspiration outrepassent nos frontières nationales, comme c’est le cas d’Arlequin, héritage de l’Italie qui a nourri ma créativité. Sans oublier au Moyen Âge, le fou du roi, qui avait pour rôle de divertir. De nombreux écrivains ont notamment écrit sur cette thématique, par exemple, au sujet des jeux du cirque au temps de Jules César. Selon moi, l’humour sous quelque forme qu’il soit est fondamental dans nos sociétés contemporaines, il nous rend vivant. L’autodérision est aussi un véritable système de défense. Des penseurs m’inspirent également, comme Jean d’Ormesson, Gaston Bachelard, Jacques Attali ou Michel Simon qui avait ce souci de l’écologie, cause qui me tient à cœur.

 

Un film vous tient particulièrement à cœur ?

 

Le film Bagdad Café (1988) que j’ai découvert récemment est un hymne à l’amitié et à la magie des rencontres inattendues. Dans ce désert aride, Jasmine, avec sa joie de vivre, transforme un café désolé en lieu de renaissance. La simplicité des destins croisés devient extraordinaire, chaque personnage retrouvant, à travers le regard des autres, un éclat de bonheur perdu. Ce que j’ai aimé le plus, c’est cette alchimie délicate qui, sans artifices, offre une chaleur humaine contagieuse et l’émerveillement dans les regards de chacun des personnages de Percy Adlon. Une leçon douce sur l’art de rendre heureux. C’est ça aussi la magie et notre métier. 

 

Vous avez joué récemment dans le film La Petite Vadrouille de Bruno Podalydès qui est également magicien. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre ?

 

Je me baladais au Jardin des Tuileries, lorsque j’ai pris connaissance du scénario de La Petite Vadrouille. Suite à cette lecture, j’ai trouvé l’idée géniale. Très vite, avec la personne qui partage ma vie, nous avons réalisé une courte vidéo de présentation sur le toit du BHV à Paris. Nous l’avons ensuite transmise à la directrice de casting, qui, deux jours plus tard, m’a contacté pour une audition. Enthousiaste, je me suis alors prêté au jeu, devant Bruno Podalydès en personne, en jouant le rôle d’un mousse maladroit, j’ai alors fait semblant de m’étrangler avec un fil de chargeur en nouant un faux nœud marin. Tout n’était qu’improvisation. C’est alors, que ma candidature a été retenue. Nous avons tout de suite accroché, partageant notamment la même vision du cinéma. Puis, tout s’est enchaîné très vite. Quel bonheur, cela a été de travailler avec Denis Podalydès, Florence Muller et les enfants de Bruno. Chaque prise était un véritable divertissement, nous permettant d’être le plus naturel possible devant la caméra, et ainsi, concevoir un film de qualité. Cette comédie m’a offerte l’opportunité rêvée de jouer enfin mon premier rôle comique. L’illusionniste Yann Frisch a également participé à ce film, j’adore son travail, j’ai d’ailleurs été chamboulé par l’une de ses pièces de comédie magique au Théâtre du Rond-Point.

Quelles sont vos inspirations artistiques ? Il me semble que le célèbre magicien ukrainien Voronin et l’illusionniste/comique Mac Ronay vous inspire quotidiennement ?

 

Tout à fait, ces deux comédiens/magiciens m’ont beaucoup inspiré, Voronin, par son imaginaire singulier me fascine. Encore une fois, la fiction nous renvoie à l’univers de Peter Pan. Les numéros de Voronin m’ont profondément touché, en raison également de la musique de Raimond Pauls, célèbre compositeur letton, dont la musique populaire a bercé mon enfance. Le parcours de Raimond Pauls est d’autant plus remarquable qu’il a été ministre de la Culture en Lettonie. L’illusionniste Jérôme Murat avec son numéro atypique de La Statue, alliant magie et poésie a aussi exercé une influence non négligeable dans ma construction d’artiste. Cela me touche d’autant plus, que ces deux artistes ont cette qualité inouïe de savoir équilibrer leurs numéros avec une bande-sonore parfaitement adaptée. Créant ainsi une harmonie parfaite, que je souhaite aussi transposer dans mon prochain seul en scène Latvian Boy.

 

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce seul en scène, intitulé Latvian Boy ?

 

Le fil rouge de mon spectacle sera constitué d’un ensemble de personnages retraçant mon histoire personnelle et mêlant mes diverses passions, celle du cirque notamment. Il a été temps pour moi de retourner sur les terres où je suis né, en rendant hommage à mes parents russes qui m’ont fait naître à Jelgava. J’ai découvert une nouvelle culture et un nouveau monde. C’est un appel de mes racines, un besoin de comprendre ce que j’y ai trouvé. Dans le cadre du seul en scène, mis en scène par Jonathan Capdevielle, je vais explorer une culture fantasmée, celle de la Lettonie. L’humour est un élément clé que nous souhaitons développer dans cette pièce, un aspect que nous n’avons pas eu le temps d’explorer dans notre précédente collaboration sur À nous deux maintenant ou encore Caligula.

 

Cet été, je me suis interrogé également sur la manière dont je vais aborder la figure du clown, en jouant sur son côté populaire, le travail corporel, et la vivacité de la fiction, tout en intégrant des références personnelles. Peut-être développer ma première vision du théâtre, avant de choisir cette voie. Ce solo représente une sorte de mise à nu. Je pense aussi à l’idée de la marionnette comme un élément à explorer, en jouant avec les personnages que j’imite, que ce soit à travers leurs paroles ou mon propre texte, qui peut donner une signification différente. Je me vois comme un médiateur entre toutes ces voix.

Ma première spectatrice a été ma mère, et je ressens toujours ce désir de lui faire plaisir. Cela crée une contradiction entre les aspirations professionnelles que mes parents avaient pour moi (devenir clown ou travailler dans un cirque) et mon propre désir de devenir professeur. Dans ce contexte, je réfléchis à la manière de capter l’attention du public. Tout un programme ! Je n’en dirais pas plus et je vous donne rendez-vous au théâtre prochainement !

 

Vous appréciez aussi beaucoup le travail de Louis Jouvet, notamment dans le film L’entrée des artistes. Dites-nous-en un peu plus ?

 

Effectivement, j’ai récemment revu ce film magnifique qu’est L’entrée des artistes, dans lequel on perçoit le « côté pharmacien », si je puis-dire de Louis Jouvet. Le tout mettant en lumière des actrices de l’époque dont le jeu est une véritable source d’inspiration. J’aurais également rêvé d’assister à un cours de Tania Balachova (comédienne française) ou de Stella Adler (actrice et professeur d’art dramatique américaine). J’ai aussi un goût prononcé pour les cours de théâtre, transmettre me plaît beaucoup. Je salue le travail de ces enseignants qui réussissent à faire émaner de nous quelque chose, sans pour autant nous partager beaucoup de connaissances. Ce sont des véritables chefs d’orchestre, un métier que j’admire, car l’on doit fédérer une équipe, présenter une œuvre qui n’est pas la nôtre, mais que l’on doit servir. C’est comme si on convoquait des énergies pour répondre à la commande et ainsi, toucher les étoiles.

 

Quel est votre regard sur l’art de l’illusion ?

 

L’art de l’illusion m’intéresse et j’adore observer les attitudes des magicien(ne)s, certain(e)s surjouant parfois. Il est vrai que c’est le principal problème de certain(e)s magicien(ne)s qui n’ont pas forcément reçu de formation théâtrale, tout comme certain(e)s chanteurs/chanteuses d’opéra. Néanmoins, j’apprécie beaucoup le duo de magiciens américains Siegfried & Roy, dont l’interaction sur scène était excellente et dont les grandes illusions étaient aussi époustouflantes. Le magicien Garcimore demeure mon coup de cœur de la magie : « oh, bah ça marche pô ! »

 

Avez-vous quelques anecdotes au sujet des différents Prix que vous avez reçu ?

 

 

Effectivement, en 2016, j’ai reçu le Prix du civisme à la mairie de Reims, par surprise, à l’initiative de ma proviseure de l’époque, qui avait fortement apprécié ma démarche d’entraide à l’égard de mes camarades de Seconde et Première. Ma passion pour l’enseignement était déjà très marquée à l’époque, et il est vrai que cette approche pédagogique m’a beaucoup aidé à travailler mes rôles par la suite. Enfin, en 2023, j’ai eu la chance inouïe d’être nommé dans la catégorie Espoirs masculins aux Césars pour mon rôle principal dans le film Bruno Reidal, réalisé par Vincent Le Port. Mais, la véritable consécration a été lorsqu’il m’a été décerné le Prix Lumière, que la presse internationale m’a remis à l’unisson pour ce film.

 

Propos recueillis par Bénigne Tainturier

 

À lire :

 

Merci à Dimitri Doré pour cet échange ayant eu lieu en septembre 2024. Crédits photos – Documents – Copyrights avec autorisation : © Victoria Vinas / Dimitri Doré / Christophe Raynaud de Lage / Mirco Magliocca / Yannick Doré / Pierre-Emmanuel Urcun / James J. Weston (photo de couverture). Tous les documents et archives sont proposés sauf avis contraire des ayants droit, et dans ce cas seraient retirés.

 
 
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
June 18, 2024 8:47 AM
Scoop.it!

Anouk Aimée, immense actrice française, est morte

Anouk Aimée, immense actrice française, est morte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Noémie Luciani dans le Monde le 18 juin 2024

 

En plus de soixante-dix ans de carrière, elle a tourné dans 74 films et séries et reçu de prestigieuses récompenses. Elle est morte, mardi, à l’âge de 92 ans, a annoncé sa fille.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/06/18/l-actrice-anouk-aimee-est-morte_6241061_3382.html

Anouk Aimée n’aimait pas qu’on parle de son âge. Rencontrée en 2012, à l’occasion de la ressortie en salle de Lola, de Jacques Demy, elle avait inauguré l’entretien d’une requête : « Je vous en prie, ne parlons pas de mon âge. Cela n’intéresse personne. » Ce qui était troublant, c’est que, disant cela, elle avait exactement la même voix que Lola cinquante et un ans plus tôt. Aussi était-il si charmant de l’entendre dire au présent « Lola, c’est moi », comme si le temps n’avait en effet pas eu d’importance. C’était une coquetterie, sans doute, que ce présent sans âge, et la coquetterie cependant en disait long sur la dame, et la manière qu’elle avait eue de mener sa barque sans grand souci des embruns, de l’opinion ou d’une carrière, avant de s’éteindre, mardi 18 juin, à l’âge de 92 ans. « Nous avons l’immense tristesse de vous annoncer le départ de ma maman Anouk Aimée, a écrit sa fille, l’actrice Manuela Papatakis, dans un message publié sur Instagram. J’étais tout auprès d’elle lorsqu’elle s’est éteinte ce matin, chez elle, à Paris. »

 

Elle avait commencé très tôt, et n’avait plus voulu s’interrompre, à sept ans près : le temps d’une parenthèse londonienne et conjugale à la fin des années 1960, auprès de l’acteur Albert Finney, pour lequel elle avait souhaité ne plus jouer qu’un rôle, celui d’épouse, dans la vraie vie.

 

Née Françoise Dreyfus, le 27 avril 1932, à Paris, Anouk Aimée était fille de comédiens, mais disait ne rien avoir de l’« enfant de la balle ». Elle avait poussé comme une fleur sauvage loin des projecteurs, élevée en partie par un parrain et une marraine, à la ferme. Elle n’avait eu d’abord pour le cinéma qu’un intérêt si distant qu’il existait à peine. Il avait fallu que le destin lui force la main, en la mettant sur le chemin du réalisateur Henri Calef, qui lui demanda abruptement si elle ne voudrait pas faire du cinéma. Elle n’avait jamais vraiment su d’où était venu ce oui qui lui avait éclos sur les lèvres.

 

 

Pour ce premier film, La Maison sous la mer (1946), Françoise a 13 ans, et son personnage s’appelle Anouk. Le prénom d’artiste trouvé avec ce premier pas, reste le nom : Jacques Prévert le lui offre. L’histoire est connue. Ils se rencontrent l’année suivante sur le tournage d’un film de Marcel Carné, La Fleur de l’âge, où elle joue avec Arletty, Serge Reggiani, Martine Carol. Le film reste inachevé : on en aurait monté une vingtaine de minutes et tourné la moitié, avant que la production n’arrête les frais. En reste les photographies de plateau d’Emile Savitry d’une Anouk ravissante et alors très en joues, et ce nom : « Aimée », « parce que tout le monde l’aimait », selon Prévert. On ne refuse pas semblable baptême.

S’inventer soi

Pendant la guerre, Françoise avait déjà cessé de s’appeler Dreyfus pour devenir Françoise Durand et esquiver l’étoile jaune. « Anouk Aimée », ce n’était plus une question de survie, mais cela obéissait encore à un principe vital : changer de nom pour s’inventer soi, sans qu’il s’agisse de devenir autre. « Je n’ai jamais fait de totale composition. Il y a toujours un morceau de moi dans mes rôles », disait-elle. L’un d’eux, tout de même, manqua de lui faire oublier Anouk au profit d’un autre prénom, Lola, celui de l’héroïne du film de Jacques Demy. « Je ne sais plus où commence Anouk et où commence Lola, où finit Lola et où finit Anouk », disait-elle toujours, cinquante ans après.

 

 

 
 

Sorti l’année suivant La dolce vita, Lola (1961) avait autant sinon plus que le film de Fellini participé à l’avènement cinématographique d’Anouk Aimée, si singulier dans sa nonchalance. Quand La dolce vita s’enivrait à capter la silhouette, les angles du visage qui avait perdu ses joues d’adolescente, une main aux longs doigts courbés sur une cigarette, Lola célébrait la naissance à l’écran d’un corps, de ceux que le cinéma n’oublierait jamais plus : une entraîneuse en guêpière et collants résille, aussi épargnée par la vulgarité que la Vénus nue dans sa chevelure de Botticelli. Impossible à concevoir, et pourtant Demy l’avait fait. Anouk Aimée avait simplement fait confiance, et n’essayait pas d’expliquer le miracle. Elle observait seulement : « Il y a des gens qui peuvent tout faire. Des femmes qui disent : “Oh merde, vous me faites chier.” Certaines choquent, d’autres pas. Lola peut le faire sans choquer, être grossière sans qu’on le remarque, parce qu’il n’y a en elle aucune vulgarité. »

 

Après Demy, Anouk Aimée semblait porter un morceau de Lola dans tous ses autres rôles, ce morceau-là : une sorte d’état de grâce, qui lui permettait de tout faire et tout jouer, sans jamais être touchée par la crasse ou la médiocrité. Non qu’elle ait jamais eu à cœur de tenter le diable, mais qu’elle ait presque toujours joué les élégantes, ou qu’elle ait fait des élégantes de toutes celles qu’elle jouait, c’était encore et toujours l’élégance, même – c’est loin d’être donné à toutes – chez Jean-Pierre Mocky (Les Dragueurs, premier film du cinéaste, sorti en 1959).

 

 

 

Très vite, sa carrière prend un essor international. A 17 ans, elle joue au côté de Trevor Howard dans La Salamandre d’or (1950), du Britannique Ronald Neame, producteur des premiers films de David Lean. En 1955 et 1956, on peut la voir dans deux films allemands, L’amour ne meurt jamais, d’O. W. Fischer, et Nina, de Rudolf Jugert. En 1959, elle tient un petit rôle dans Le Voyage, film américain d’Anatole Litvak, qui avait, six ans plus tôt, pour Un acte d’amour, fait jouer la toute jeune Brigitte Bardot, de deux ans la cadette d’Anouk Aimée.

 

 

Catherine Deneuve, 16 ans, attend alors son heure : la blonde Bardot, la brune Aimée incarnent à l’étranger les deux visages de la beauté à la française, qu’on ne saurait imaginer plus différents. D’un côté, la baby doll en bikini, la tignasse ensauvagée nourrie de soleil, les courbes. De l’autre, le halo mystérieux d’une chevelure sombre, la peau d’albâtre, la ligne, avec ce seul et étonnant trait hollywoodien des paupières lourdes sous le grand trait de noir, à la Monroe.

Sur les écrans du monde entier

Si l’aura internationale de Bardot doit assez peu à ses rares collaborations cinématographiques hors de France, Anouk Aimée rayonne plus durablement sur les écrans du monde entier, où elle trouve quelques grands rôles. Moins, sans doute, que ceux que son absolue justesse de jeu, sa maîtrise si fine de l’émotion contenue méritaient. Citons, sans surprise, Fellini : la grande bourgeoise épuisée par l’ennui de La dolce vita, l’épouse trompée et souriante de Huit et demi. Plus tard, Bellocchio, pour lequel elle interprète la dépressive Marta habitée de vertiges, qui lui vaut en 1980 le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour Le Saut dans le vide.

 

 

Les Etats-Unis lui font également la cour, affichant des attraits et des atours plus inattendus (en 1962, elle joue une reine de péplum pour Robert Aldrich et Sergio Leone dans Sodome et Gomorrhe) ou directement inspirés par son aura d’icône de mode, lorsqu’elle interprète un mannequin dans Le Rendez-vous, de Sidney Lumet, en 1969. Elle a 37 ans à la sortie de ce film, et le personnage résume bien son statut singulier dans le paysage cinématographique : la mystérieuse Carla, officiellement modèle, y est soupçonnée par ses fiancé ou mari jaloux de se prostituer.

D’un côté, l’icône, l’intouchable, celle qui semble n’exister que sur le papier glacé des revues élégantes. De l’autre, le corps public, achetable, disposable. Deux fantasmes contradictoires, ou peut-être complémentaires, qui continuent de dessiner de conserve l’image d’Epinal que l’on se fait souvent de la belle Française en Amérique.

 

Bardot était déjà « la » femme dans Et Dieu… créa la femme (1956), lorsque dix ans plus tard Anouk Aimée devint « une » femme pour Claude Lelouch, dans Un homme et une femme (1966) : une femme, n’importe quelle femme (l’inconnue que croise Lelouch sur une plage, et qui lui inspire le film), et finalement celle que l’on n’oubliera jamais plus – dans la romance que le film raconte, et depuis son fauteuil de spectateur enchanté.

 

Anne Gauthier (son nom n’importe guère), technicienne de cinéma, héroïne de la plus simple histoire et de l’un des plus beaux films d’amour du monde. Il gagne les cœurs dans le monde entier, amasse les récompenses, l’Oscar et le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, le Golden Globe de la meilleure actrice pour Anouk Aimée, et la Palme d’or au Festival de Cannes. Ce récit en forme d’hymne à l’amour, qui était pourtant destiné à Romy Schneider, semble taillé sur mesure pour la grande amoureuse qu’Anouk Aimée est alors et sera.

 

Elle s’est mariée trois fois, avec le cinéaste grec Nico Papatakis à 19 ans, le musicien Pierre Barouh, rencontré sur le tournage d’Un homme et une femme, dont il était l’auteur et interprète de la célèbre ritournelle en « chabadabada », l’acteur anglais Albert Finney. Vécut avec Elie Chouraqui, eut une liaison avec Omar Sharif, son partenaire dans Le Rendez-vous – autant de pages de sa vie qu’elle aura constamment gardées sous un voile de mystère, bien qu’elle ne se soit jamais interdit d’en parler.

Le goût du secret

L’évocation la plus éloquente qu’elle a pu en faire n’employait pas ses mots, mais ceux du dramaturge américain Albert Ramsdell Gurney, dont elle – qui n’était pas une habituée des planches – a joué inlassablement au théâtre, entre 1990 et 2014, les Love Letters, avec Bruno Cremer, puis Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Jacques Weber, Alain Delon, Gérard Depardieu…

Anouk Aimée aimait parler, mais elle méprisait les mots qui dévoilent, déchiffrent, déflorent. Elle n’était pas femme à donner des recettes. Interrogée sur le succès immense d’Un homme et une femme, dont on lui demandait si elle l’avait pressenti, elle répondait, à 80 ans, avec une candeur adolescente : « On ne sait jamais ces choses-là, mais on est heureux. C’est un bon signe, je crois. »

 

 

 
 

En cette occasion, comme elle l’avait toujours fait, elle avançait dans l’interview à rebours de toute analyse ou exégèse, qui ne semblaient pas revêtir à ses yeux le moindre attrait. Le ragot en avait moins encore, pas plus pourtant, sur l’autre face de la pièce, que le politiquement correct ou la langue de bois. Seulement, elle répondait à chaque question par une formule qui avait la forme grammaticale d’une réponse, et dans ce qu’elle disait triplait, malicieusement parfois, les points d’interrogation.

Etait-ce le signe d’un goût pour ce rôle vrai de femme mystère, « une » femme, qui pourrait être n’importe quelle femme et reste pourtant la femme que l’on n’oublie pas ? Plus simplement, au-delà de tout rôle, un goût du secret, et de toutes ces choses d’autant plus belles qu’on ne les explique pas ? Peut-être, plus simplement encore, le secret de cette élégance inégalée et pérenne, qui faisait d’elle une présence si singulière, paisible dans son naturel, et trouvant cependant dans sa transparence même l’impossible matière de son mystère.

 

 

Anouk Aimée en quelques dates
 

27 avril 1932 Naissance à Paris

 

1946 « La Maison sous la mer »

 

1960 « La dolce vita »

 

1961 « Lola »

 

1966 « Un homme et une femme »

 

1990 « Love Letters » (théâtre)

 

2003 « La Petite Prairie aux bouleaux »

 

18 juin 2024 Mort à Paris

 

Noémie Luciani / LE MONDE

 

_______________________________________

 

 

L'hommage publié par Libération : 

 

Visage élégant et éternel de la «Lola» de Demy, star planétaire depuis «Un homme et une femme», l’actrice mystérieuse, entrée en cinéma par accident, baptisée par Prévert et révélée par Fellini, est morte ce mardi 18 juin à 92 ans.

 

par Anne Diatkine

publié le 18 juin 2024
 
 
 
 

Anouk Aimée n’avait pas de téléphone portable. C’était une femme qui ne se laissait pas déranger. Elle vivait à Montmartre avec ses chats, sortait peu, recevait encore moins, ne changeait pas, n’avait rien perdu au fil des décennies de son mystère et de sa superbe, élégante jusqu’à la pointe de ses cheveux, qui lui permettaient de masquer en partie son visage, tandis qu’elle parlait, hésitante et tranchée, dans un double mouvement de retenue et de don, le regard tourbillonnant comme voyageant dans le monde de ses pensées.

 

Elle disait qu’elle n’avait rien décidé, que le hasard avait été salvateur et qu’elle avait eu beaucoup de chance. Elle riait alors, main sur la bouche, comme pour s’en excuser. La chance n’était pas un vain mot, une légèreté, mais renvoyait au contraire au pire du pire, l’effroi le plus terrible, à plusieurs reprises, comme le montre un beau documentaire de Dominique Besnehard et Muriel Flis-Trèves, la Beauté du geste, pour la collection Empreintes. La fillette a une dizaine d’années, elle est à la sortie de l’école communale de la rue Milton à Paris, et voici qu’une bande d’élèves la pointe du doigt en clamant «elle est juive, elle est juive, elle est juive» à l’officier allemand chargé de ramasser les enfants juifs. Elle pleure, il lui prend la main. Mais plutôt que de l’embarquer vers un ailleurs, il la ramène chez elle, ou plutôt chez sa grand-mère, où elle vivait. Quand il lui demande comment elle s’appelle, l’enfant refuse de lui répondre. Il s’en va, laissant la petite fille et la grand-mère, libres et tremblantes. Un peu plus tard, à Marseille, en 1944, où elle a rejoint sa mère et son beau-père, elle insiste contre la volonté de ce dernier pour aller en cours un samedi matin. A son retour de classe, il ne reste rien de l’immeuble. Le quartier a été bombardé.

 

 

A lire aussi, son portrait dans «Libération» en juillet 2012

Anouk Aimée, initiales A.A

26 juil. 2012
 
 

L’actrice ne dissipait pas le trouble sur son prénom. En 2012, dans une interview à l’Humanité, elle a cette réponse étrangement évasive comme si le péril n’avait jamais complètement disparu : «Mon vrai nom est Judith Dreyfus, quelquefois mon état civil est Nicole Dreyfus. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais petite, on m’appelait Françoise et Fanchon. Jusqu’à ce qu’on m’appelle Anouk.» Lorsque neuf ans plus tard, intriguée, on la joint pour lui demander comment elle s’appelle, elle délivre une version de son état civil d’autant plus déterminée qu’elle est peut-être inexacte : «Je ne me suis jamais appelée Nicole.» Puis méfiante et surprise : «Comment savez-vous que j’ai refusé de répondre à l’officier allemand qui me demandait mon prénom ?» Avant d’ajouter : «Vous savez, j’étais si jeune quand je suis devenue Anouk. Quelle importance ? Quelle importance cela peut-il avoir pour une petite fille qu’on la nomme Fanchon, Judith, ou Anouk ?» Anouk Aimée était ainsi : à la fois au plus loin et au plus proche du cœur atomique de son enfance.

 

«Vous voulez faire du cinéma ? J’ai un rôle pour vous»

Anouk Aimée est donc née Nicole ou Françoise Dreyfus, mais lorsqu’elle était enfant, tout le monde l’appelait Fanchon, jusqu’à ce qu’elle commence à faire du cinéma, où, à 13 ans, elle devient Anouk pour toujours, du nom du personnage de son premier film, la Maison sous la mer de Henri Calef. Ses parents, tous deux comédiens, sont séparés. Son père, qui travaille sous le pseudonyme de Henry Murray, qu’elle voit rarement et qu’elle adore, s’engage dès 1941 dans la Résistance, alors qu’il a été dénoncé comme juif «par soixante-et-onze lettres» qui proviennent de Français, adressées au responsable allemand des théâtres parisiens. Ce dont elle aura la confirmation soixante-dix ans plus tard en lisant les mémoires du comédien Paul Meurisse. A 13 ans, dans l’immédiat-après-guerre, elle se balade avec sa mère rue du Colisée quand Henri Calef, cinéaste aujourd’hui oublié, salue sa mère et aborde l’adolescente qui en paraît seize : «Vous voulez faire du cinéma ? J’ai un rôle pour vous.» Non, elle ne veut pas faire du cinéma. Elle rêve d’être danseuse classique – ce qui est d’ailleurs perceptible à l’écran dans ses premiers films. Sa mère l’encourage à accepter la requête de Calef. Au générique de la Maison sous la mer, la jeune actrice est créditée sous le nom de son personnage, Anouk. C’est son nom de scène, celui derrière lequel elle se cache, et l’année d’après, sur le tournage de la Fleur de l’âge, un film interrompu de Marcel Carné, Jacques Prévert y ajoute Aimée, car tout le monde l’aimait, qu’elle aimait être aimée et qu’«on ne peut pas rester avec un seul prénom durant toute sa vie», lui disait Prévert. Elle accepte avec joie : «Quoi de plus beau qu’être baptisée par Prévert ?» Rien ne va, cependant, sur ce tournage à Belle-Ile, d’après l’histoire vraie d’une révolte dans un bagne d’enfants et dont il ne subsiste que des photos magnifiques et une vingtaine de minutes de plans montés. Rien ne va, mais deux ans ans plus tard, la jeune fille qui ne veut pas faire du cinéma, est de nouveau recrutée grâce à Jacques Prévert qui signe l’adaptation et les dialogues, pour jouer la seule Juliette qui ait jamais eu l’âge du rôle dans les Amants de Vérone d’André Cayatte, au côté de Serge Reggiani, si jeune lui aussi.

«C’était merveilleux, tous ces génies ! Mais quand on mange du caviar tous les jours, on ne sait plus que c’est du caviar.»

—  Anouk Aimée à propos de ses fréquentations dans les années 1950 (Queneau, Genet, Picasso, Prévert...)

Pendant une dizaine d’années, jusqu’à sa rencontre avec Fellini en 1959, Anouk Aimée enchaîne les tournages sans réel plaisir d’actrice. Quelques rencontres fondamentales tout de même dont l’une, Alexandre Astruc, qui la recrute pour jouer Albertine dans le Rideau cramoisi, d’après Barbey d’Aurevilly, moyen métrage mythique, resté dans la mémoire cinéphilique grâce à l’admiration des cadets de la Nouvelle Vague pour l’inventeur de la «caméra stylo». Ce n’est pas que ses partenaires manquent de classe : comment refuser d’être Jeanne Hébuterne, la dernière compagne de Modigliani dans Montparnasse 19 de Jacques Becker quand c’est Gérard Philipe en personne, autant dire le dieu vivant de l’époque, qui incarne le peintre ? Mais le cinéma ne sait pas encore filmer la grâce sauvage de ses gestes. Si elle diffère nettement des comédiennes de sa génération, la caméra est un carcan et les nécessités du septième art emprisonnent sa beauté et sa jeunesse derrière un maquillage trop lourd. Plus cruciales sont les rencontres avec les écrivains dans un Saint-Germain-des-Prés qui exulte. C’est par l’intermédiaire de Nico Papatakis, le patron du cabaret la Rose rouge, qui deviendra son mari et le père de sa fille Manuella, mais qui en attendant ne sait pas comment parvenir à convaincre la jeune femme solitaire et timide de dîner, qu’elle fait la connaissance de Jean Genet chez Picasso. Anouk restera proche de Genet, qui écrira pour elle les Rêves interdits – il vendra son script à Tony Richardson qui le tournera avec Jeanne Moreau sous le titre de Mademoiselle. Toujours dans le documentaire de Dominique Besnehard et Muriel Flis-Trèves, elle se souvient de leurs promenades dans Paris : «Vous savez pourquoi j’aime marcher serré contre vous ? Parce que les hommes vous regardent et que moi, je les choisis.» Dans la même galaxie, elle fréquente Raymond Queneau et tout ce que la France compte d’existentialistes et d’avant-garde. Anouk Aimée : «C’était merveilleux, tous ces génies ! Mais quand on mange du caviar tous les jours, on ne sait plus que c’est du caviar.» Peut-être surtout qu’il est difficile de se contenter d’admirer. Manque encore le film qui la dévoile comme actrice, aux yeux du monde et aux siens. Ils seront deux coup sur coup, deux chefs-d’œuvre : la Dolce Vita de Fellini en 1960 et, un an plus tard, Lola, le premier long-métrage de Jacques Demy.

«Fellini, c’était une bombe !»

Anouk Aimée a beaucoup raconté sa rencontre avec Fellini, combien elle espérait être capable de résister à son propre enthousiasme afin de se prémunir d’avance contre la déception de ne pas être choisie pour le rôle, alors que le maître italien auditionnait foule d’actrices partout dans le monde. Il lui envoie un télégramme. Elle est prise sans faire d’essai. Elle découvre une manière de tourner inédite. «En France, le moindre bruit sur le plateau virait au drame. Avec Fellini, la cohue ne posait pas le moindre problème. Le premier jour, je ne comprenais rien. Tout le monde travaillait, mais sans se prendre au sérieux.» Puis le lendemain, processus qui reste un mystère, elle entre dans le monde de Fellini pour ne plus en sortir. Et se découvre bouger, respirer, sourire, fumer, devant la caméra, comme elle ne l’a jamais fait. Le cinéaste lui demande de marcher pieds nus dans une élégante robe du soir pailletée et lui apprend à s’exprimer avec le mouvement. «Fellini, c’était une bombe !» A ses côtés, il y a celui qu’elle considérera toute sa vie comme son frère de cinéma, Marcello Mastroianni, et qui contribue grandement à cet esprit festif et dépourvu de tout esprit de sérieux.

Puis, c’est Lola, et la rencontre avec un jeune cinéaste à la ténacité exceptionnelle : Jacques Demy l’impose contre l’avis de la production, laquelle, qui a une conception du sexy conventionnelle, exige Sophia Loren. Jacques Demy qui veut une interprète dont la caméra puisse capter les failles, ne cède pas. Avec Lola, Anouk Aimée renoue avec la danse. Elle met en jeu tout ce qu’elle vient d’apprendre sur le mouvement chez Fellini quand elle chante en dansant : «Lola, celle qui rit à tout propos, celle qui dit l’amour c’est beau, celle qui plaît sans plaisanter, celle qui rit de tout cela, qui veut plaire et s’en tenir là.» Les paroles sont signées Agnès Varda, et la musique manque encore car Quincy Jones qui devait la composer a fait faux bond. A la place, on a posé sur la platine un air des Platters, et Varda mime les gestes de ce qui ressemble à un slam très rythmé. La chanson, dont finalement Michel Legrand écrira la musique, est encore fantomatique. C’est elle, c’est Lola, et réciproquement. Anouk Aimée reprendra le rôle, dix ans plus tard, dans le beau et mélancolique Model Shop où, là encore, Jacques Demy se plait à la montrer filante et marchant, tout en blanc, à travers Los Angeles qu’on découvre pour la première fois «en décors naturels», une incongruité pour les Américains.

Les propositions pleuvent, notamment italiennes, et Anouk Aimée s’installe avec sa fille à Rome. De Sica, Lattuada, Risi, de nouveau Fellini pour Huit et demi, les années 1960 lui sourient. Difficile d’imaginer mieux. Ou plutôt : impossible de prévoir qu’elle va devenir une star internationale encore plus gigantesque, grâce à un tout petit film fauché d’un inconnu, Claude Lelouch, que Jean-Louis Trintignant – qui a déjà soufflé son nom à Demy pour Lola – lui présente. Peut-il exister pire offense ? A la veille du tournage, quand le cinéaste lui raconte enfin Un homme et une femme sur les lieux mêmes du tournage, elle le reçoit dans sa chambre d’hôtel, allongée sur son lit, et elle s’endort, bercée par son récit. Il n’est rien, il n’a donné aucun scénario à ses acteurs, et elle est la Grande Actrice. Mais tout même, il cherche illico à la remplacer, appelle toutes les comédiennes qu’il connaît. Mais comme dans les films qu’il tournera inlassablement, tout finit par s’arranger, et dès le deuxième jour du tournage, elle tombe amoureuse de Pierre Barouh qui a écrit la chanson du film – ne pas le confondre avec Francis Lai – et ils convolent ensemble après le tournage qui ne dure que treize jours.

Et ensuite ? Et ensuite, on n’imagine pas, et d’ailleurs elle non plus. Un homme et une femme ne rapporte pas tellement d’argent à ses deux interprètes principaux qui ont refusé d’être payés en pourcentage, mais la palme d’or, l’oscar du meilleur film étranger, et une myriade de prix d’interprétations à Anouk Aimée, dont un Golden Globe – elle rate de peu l’Oscar attribué cette année là à Elisabeth Taylor. Comment vit-on après un triomphe international ? Quelle est la suite ? A Los Angeles, lors d’une party organisée en son honneur, on lui demande qui elle aimerait inviter. Elle répond : Groucho Marx. C’est inattendu et en tout cas, sans esprit de calcul. Il laisse son cigare. Elle le garde en relique. Après des incursions chez Sidney Lumet (The Appointement) et George Cukor (Justine), mais aussi chez le Belge André Delvaux (Une femme, un train), elle décide de tout arrêter. Refuse entre autres, le Conformiste, le meilleur film de Bertolucci. Epouse l’acteur Albert Finney. Ils s’installent à Londres, et elle apprend un nouveau rôle qu’elle ne connait pas, puisqu’elle travaille depuis ses treize ans : celui de la femme au foyer. Une dizaine d’années sans jouer. Est-ce une traversée du désert ? Fut-elle choisie ? On ne sait pas très bien à quoi l’actrice passait ses journées dans les années 1970. Elle entame la décennie 1980 avec un nouveau film important, le Saut dans le vide, de Marco Bellocchio, avec Michel Piccoli, ils sont frère et sœur, pris dans une relation quasi incestueuse. Et tous deux sont récompensés du prix d’interprétation au festival de Cannes, en 1980. Manière de souhaiter la bienvenue à Anouk Aimée, qui signe son come-back. Sinon, ces années-là, elle est fidèle professionnellement à Claude Lelouch, et vit avec Elie Chouraqui.

«Un gentil fantôme»

L’un des derniers films qu’elle a tourné est la Petite Prairie aux bouleaux de Marceline Loridan-Ivens. A propos de ce tournage, où elle interprète le double de la cinéaste rousse, survivante de Birkenau, qui revient sur les lieux de l’horreur soixante ans plus tard et qui ne reconnaît rien et tout à la fois, elle confiait dans Elle : «A Birkenau, la terre parle, elle a une odeur différente, celle des cadavres entassés et jetés dans les fosses creusées par les déportés. On est restés trois semaines dans le camp, ce qui est beaucoup. J’ai longuement regardé Marceline caresser l’herbe, saisir la boue du lac faite des cendres des exterminés. Car toutes les cendres du crématoire étaient reversées dans le lac.» Le tournage marque considérablement son interprète qui est soudain renvoyée au plus tragique de son enfance et aux disparus dont les contours restent indistincts.

Sur France Culture quelques années plus tard, à Laure Adler qui lui demandait quel rôle elle aimerait jouer aujourd’hui, Anouk Aimée répondait : «J’aimerais bien être un fantôme. Un gentil fantôme j’espère.» Elle avait raison. Ses films et sa présence, son incroyable photogénie qui se démultipliait avec les années si bien qu’elle a toujours refusé de signer le moindre pacte faustien, nous hanteront tant que durera le cinéma.

 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 23, 2024 10:51 AM
Scoop.it!

Stéphane Freiss, ô capitaine, lui capitaine 

Stéphane Freiss, ô capitaine, lui capitaine  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nathalie Rouiller dans Libération - 23 mai 2024

 

 

Rayonnant sur scène dans «le Cercle des poètes disparus», le comédien de 63 ans injecte de la sérotonine dans sa vie.

 
 

En préambule, il y a la Nuit des Molières, grand-messe que l’on suit généralement d’un œil morne. Le 6 mai, tempo lento bazardé, le molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé a été décerné d’entrée. «Séché», Stéphane Freiss, que le public ovationne depuis janvier dans le Cercle des poètes disparus, a dû s’improviser une contenance, tandis que Vincent Dedienne se levait pour récupérer le trophée.

 

 

Le lendemain, on retrouve le comédien au théâtre Antoine, à Paris. Couché à 4h30, horaire presque classique pour qui carbure à l’adrénaline, il n’a ni les cernes mordorés ni le teint œuf brouillé des marathoniens de la nuit. On lui imaginait la veste velours de son personnage, le professeur Keating, libertaire patché aux coudes. Il habille son dynamisme de basiques sans esbroufe, jean, chemise de lin blanche, Nike à virgule orange. Les positions sont vite définies, à Roméo, le bichon, la moquette, à l’artiste, le sofa, qu’il ne quittera que pour défenestrer ses volutes de fumée. On dévide quelques souvenirs en accéléré. 1989. Césarisé meilleur espoir pour Chouans ! l’histrion déboule sur scène pendu à une corde. Une audace de timide qui vaut au Tarzan en costume de dîner en tête-à-tête avec sa compression. Formé au Cours Florent, puis au Conservatoire et au «Français», il alterne plateaux et tréteaux. Varda, Miller, Ozon, Spielberg, Eastwood ou Yasmina Reza lui font confiance. Mais, imperceptiblement, l’envie s’effiloche. A la cinquantaine, il surnage dans les baïnes de ses questionnements, cale ses respirations sur des engagements plus ou moins motivants. Comprend qu’à se noyer dans d’autres identités, il ne fait que fuir la sienne.

 

Quoique le sexagénaire ait raté le film de Peter Weir à sa sortie, l’assertion de Robin Williams, «je suis le capitaine de mon âme, le maître de mon destin», reflète ses propres évolutions. Aux collines molles de la routine, qui doucement descendent vers l’absence, il a préféré l’escarpé des remises en question. Séparé de sa femme, Ursula, mère de ses trois enfants, il s’affiche désormais avec Delphine Horvilleur, rabbine et intellectuelle d’envergure.

 

Du coin de l’œil, on le regarde lisser le drap qui recouvre son canapé. Systématiquement, le tissu glisse de l’accoudoir, systématiquement, il le recale. Son histoire à lui, fuyante, s’est construite en creux, autour d’une impossibilité à verbaliser. Le grand-père paternel est mort à Auschwitz. Le père de sa mère, tailleur en Pologne, juif et communiste, a survécu en traversant les frontières. Cachés pendant la guerre, ses parents ont intégré le mode de survie des rescapés. Se taire, ne jamais se plaindre. «A la maison, il n’y avait pas de religion, ni de politique», constate le non-pratiquant qui ne mange pas casher mais s’évite le porc. «D’un côté, je trouve parfaitement exemplaire de ne pas avoir transmis ce chagrin. Et en même temps, peut-être que ça nous a manqué. Tout le monde a joué à cache-cache.» Chirurgien-dentiste, hédoniste à Jaguar rutilante, son géniteur va sur ses 92 ans. Celui-ci ne s’est jamais soucié d’obédience, la Shoah ayant, à ses yeux, définitivement disqualifié toute présence divine. Face à nous, gobant ses gélules de maca, un ginseng péruvien certifié sans pesticides, son fils s souvient du divorce de ses parents et de la quête ésotérique de sa mère entre yoga, méditation zen et préceptes tibétains. Avant qu’elle n’entre «de manière totale, comme une presque noyée, dans sa religion». A l’adolescence, sujet aux crises d’angoisse et de tétanie, Freiss vit des moments chaotiques qu’il narre avec humour. De la colonie dans un centre ultra orthodoxe en Israël à l’école Steiner, où on lui attribue brouette et lopin de terre avant l’interro écrite. «On se retrouve face à un mec, Krivine, mais en plus fou, qui nous regarde et dit : “La propriété, c’est le vol”, Proudhon, vous avez six heures. Et pour ceux que ça n’inspire pas, je suis en bas, à jouer au foot.» Son «Keating», il le rencontre en terminale, un illuminé vêtu du même complet toute l’année, revers maintenus par des agrafes, Grâce à lui, il effectue une incroyable remontada en physique-chimie. «Sa foi me parvenait à son insu. Du fait de sa théâtralité inconsciente, sa discipline devenait un art.»

 

 

Buvard autoproclamé, il se compare à Zelig, l’homme-caméléon de Woody Allen, et adore s’entourer de réflexifs de haut vol. La journaliste Caroline Fourest, l’humoriste Sophia Aram, l’écrivain Kamel Daoud, le directeur du Théâtre de la Colline, Wajdi Mouawad, évidemment Delphine Horvilleur. «Ils ont souvent en commun d’avoir été déracinés, et de s’en sortir sans jouer le misérabilisme.» Son sentiment d’imposture bâillonné, il avoue sa fierté d’avoir récemment participé à l’émission Talmudiques de Marc-Alain Ouaknin sur France Culture et à la Conversation scientifique d’Etienne Klein. Quant à son pouvoir d’attraction, il le malmène avec ruse : «On peut être le pire des cons, et être séduisant. Ça fait partie de l’ADN de l’acteur. J’aime ce trouble qu’on peut créer […]. Je ne m’en sers pas de manière putassière, c’est une constituante de ce que je suis, ça se fait malgré moi.»

 

 

Incapable de faire des choix, animal à la fois social et contemplatif, il s’est fait violence en réalisant. Tu choisiras la vie, son beau long métrage, met en scène deux personnages qui se débattent sous le joug des traditions, une juive orthodoxe, un cultivateur italien attaché à ses terres. Il avait envisagé le film comme un pont affectif, une bouteille à la mer, mot à orthographier avec un accent grave et un «e». Son inspiratrice est hélas morte pendant le montage. Sinon, malgré son indécision constitutive, celui qui truffe sa pensée de «et si» dévie peu de sa ligne sur l’actualité. Choqué par les bloqueurs de Sciences-Po, keffieh autour du cou, «prisonniers de mensonges assénés comme des vérités», il tacle «l’islamo-gauchisme qu’[il] exècre». On comprend vite qu’aux européennes, La France insoumise n’aura pas son vote.

 

Logiquement, il devrait aller vers Glucksmann. Sinon, au chapitre de ses détestations, le wokisme et l’identitarisme tiennent la corde.

Nul en matières financières, il avait investi dans un fonds immobilier, sans doute à cause de l’adjectif. Il a tout perdu, est locataire d’un cinquième sans ascenseur près d’Odéon, et ne possède qu’une Fiat 500 vieillissante. Son retour dans les faveurs devrait lui permettre d’acheter une résidence secondaire sur une île éolienne. Non par instinct propriétaire, mais pour qu’existe un lieu infusé de souvenirs, où ses trois enfants, une chanteuse-comédienne, un bourlingueur, une lycéenne, pourraient se réunir.

Sa bibliothèque déborde d’ouvrages non lus. Trop respectueux du travail d’écriture, il ne grappille jamais en diagonale. En interview, il est intarissable sur l’esprit Charlie et l’importance du cadre de la parole, sujets largement débattus dans son cercle d’amis pas du tout disparus. En œillade décalée, signalons pour finir que l’homme se démaquille avec une lotion 3 en 1 de… Vichy, et s’asperge d’une fragrance qui résume son état d’esprit : Heaven Can Wait.

 

Nathalie Rouiller / LIBERATION

 

22 novembre 1960 Naissance à Paris.

 

2004 5x2 (François Ozon).

 

2008 Bienvenue chez les Ch’tis (Dany Boon).

 

2023 Réalise Tu choisiras la vie.

 

2024 Le Cercle des poètes disparus au théâtre.

 
Légende photo : Stéphane Freiss à Paris, le 22 mai 2024. (Cyril Zannettacci/VU' pour Libération)
No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 1, 2024 5:10 PM
Scoop.it!

Isild Le Besco, rescapée de la violence : « Prisonnière de mes manques matériels et affectifs, j’étais le terrain parfait pour toutes les maltraitances »

Isild Le Besco, rescapée de la violence : « Prisonnière de mes manques matériels et affectifs, j’étais le terrain parfait pour toutes les maltraitances » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lorraine de Foucher et Jérôme Lefilliâtre dans Le Monde - magazine - publié le 1er mai 2024

 

PORTRAIT

 

Après le témoignage de Judith Godrèche, l’actrice et réalisatrice dévoile à son tour ses blessures intimes et les mécanismes de la prédation dans un récit autobiographique, « Dire vrai », à paraître aujourd’hui.

 

Lire l'article sur le site de M le magazine du Monde : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/05/01/isild-le-besco-rescapee-de-la-violence-prisonniere-de-mes-manques-materiels-et-affectifs-j-etais-le-terrain-parfait-pour-toutes-les-maltraitances_6230849_4500055.html

Tous les matins, quand le réveil déchire le brouillard de son sommeil agité, Isild Le Besco se demande pourquoi elle a décidé de publier un livre. Pourquoi elle s’apprête à déposer sur les tables des librairies du pays son intimité percutée par la violence. Pourquoi ­s’imposer tout ça, les médias, les inévitables réactions virulentes de ses proches, les controverses pénibles. Le fil de ses pensées l’emmène toujours au même endroit : elle n’a pas le choix, il y va de sa survie. « Chacune des femmes poussées dans l’horrible, qui a réussi à se récupérer, parce que certaines ne se récupèrent pas et en meurent, a le devoir de parler pour les autres. Moi, c’est grâce à mes enfants que je ne me suis pas suicidée. Je ne serai pas tranquille tant que je n’aurai pas restitué ce que j’ai réussi à surpasser », affirme-t-elle, dans une de ces envolées affûtées qu’elle formule parfois.

 

Ce livre, Dire vrai, qui paraît aux éditions Denoël ce 1er mai, n’aurait peut-être jamais existé sans un voyage en train. Celui qui relie la Drôme, où vit, depuis le confinement, l’autrice et réalisatrice de 41 ans, et Paris, qu’elle rejoint pour ses obligations. A bord de ce TGV, en avril 2023, une passagère très agitée agresse les passagers. Isild Le Besco se lève et lui demande de partir. La femme, âgée d’une vingtaine d’années, l’insulte, lui assène des coups de poing, lui plante un doigt dans l’œil. Elle s’en sort avec une cornée abîmée, vingt-quatre jours d’incapacité temporaire de travail et le besoin de répéter en boucle au téléphone à sa petite sœur qu’elle n’est « pas une victime ».

 

 

Son agression dans le train constitue la scène d’ouverture de son livre. Cet événement est aussi le début d’une prise de conscience : les violences qu’elle a subies ne sont pas des incidents isolés, mais des événements liés qui s’autoengendrent. « Prisonnière de mes manques matériels et affectifs, j’étais le terrain parfait pour toutes les maltraitances », écrit-elle. Isild Le Besco trace une continuité entre son enfance, ses débuts dans le cinéma français, la relation de sa sœur aînée, l’actrice et réalisatrice Maïwenn, avec le metteur en scène et producteur Luc Besson, la prédation exercée sur elle par le cinéaste Benoît Jacquot (au début de leur relation Isild Le Besco a 16 ans, lui 52), l’histoire avec le père de ses enfants et le fait qu’aujourd’hui elle en ressorte broyée mais portée par la nécessité d’écrire pour se reconstruire. Son ouvrage vient s’ajouter à d’autres récits similaires produits ces dernières années par des femmes telles que Flavie Flament, Vanessa Springora, Camille Kouchner, Hélène Devynck ou Judith Chemla.

 

Elle n’était pas encore prête

Il y a à peine trois mois, nous avions déjà voulu rencontrer l’actrice, alors que nous enquêtions sur le cinéaste Benoît Jacquot, contre lequel la comédienne Judith Godrèche s’apprêtait à porter plainte pour « viol et violences sur mineure ». Mais Isild Le Besco, qui a joué le rôle principal dans Sade (2000) et Au fond des bois (2010), de Benoît Jacquot, qu’elle finira par quitter à 24 ans, n’était pas encore prête à « dire vrai ». Elle voulait trouver ses mots à l’écrit avant de les prononcer publiquement. Cette mère de deux adolescents de 12 et 14 ans s’était contentée de nous faire parvenir quelques phrases, où elle évoquait entre les lignes les atteintes subies. Cette phrase, notamment : « Comme pour beaucoup [de comédiennes], mon histoire personnelle me prédisposait à être utilisée, objectifiée ».

 

Quelques semaines après la tempête qui s’est abattue sur le cinéma français, devant la gare où nous l’attendons, Isild Le Besco apparaît au volant d’une voiture familiale. Sous le vent froid et le soleil, elle s’enquiert de la qualité de notre voyage, regrette une météo décevante pour la saison. Des échanges de banalités pour commencer, comme s’il fallait recouvrir l’intimité de son livre. La voiture grimpe un chemin escarpé, franchit un portail en fer forgé pour se garer à proximité d’une grande maison des années 1960 aux volets lavande. La piscine n’a pas encore été remplie, l’herbe est haute. Des chiens et des chats s’ébrouent au milieu de jeux d’enfants. Dans la cuisine, les murs sont recouverts de tableaux peints par la propriétaire des lieux et où figurent souvent des personnages sans visage. Les meubles aussi sont peints, bleu roi, pourpre, doré. Isild Le Besco porte une chemise rose fluo, propose un thé vert fluo, qu’elle sert en cherchant une feuille pour écrire.

 

L’entretien n’a pas démarré, mais c’est elle qui s’attache à prendre des notes de la discussion informelle, au revers d’un dessin de son fils. Elle y inscrit des expressions comme « le viol est une annexion mentale » ou « la parole des victimes génère un effet de rupture de sens ». Elle commence à préparer le déjeuner, taille un con­combre en biseau, s’interroge : « Faut-il avoir été soi-même victime de violence pour comprendre son fonctionnement ? » La violence vécue attaque la capacité des victimes à se lier. Pour Isild Le Besco comme pour les autres, il y a toujours un saut à faire, un pari à prendre : celui de faire confiance à son interlocuteur et de sauter dans le vide. La cucurbitacée prête, elle décide de tutoyer.

« Les blessures physiques au moins, ça se voit, ça donne le droit d’être victime », dit-elle, revenant sur son agression dans le TGV. A la suite de cet événement, elle s’enferme chez elle, délaisse son portable et dort pendant trois semaines. Quand elle se réveille, elle se demande ce qu’elle a fait de mal pour mériter tout ça, puis contacte une amie médecin à l’étranger qui dresse ce diagnostic : « You don’t embrace yourself. » Elle se met à noircir les pages de son ordinateur, pour tenter de « s’aimer » elle-même. Elle réfute toute impudeur. « Les faits que j’ai subis n’ont rien à voir avec mon intimité, revendique-t-elle. Ça n’est pas évident de s’en défaire, mais ce n’est pas ma vie, cela ne me définit pas. »

La violence, une langue natale

La violence est une langue natale que l’on apprend dans les maltraitances de l’enfance, dans les négligences du quotidien. Avec ses frères et sœurs, Maïwenn, Jowan, Léonor et Kolia, Isild grandit à Belleville, dans la précarité d’une vie parisienne ballottée entre ses parents séparés. Dans le même immeuble vivent alors ses grands-parents maternels au premier et son père, au quatrième. Depuis la séparation, sa mère a déménagé quelques rues plus loin. Le père, Patrick Le Besco, un ethnolinguiste brillant et cultivé, parle une dizaine de langues mais peine à s’adresser à ses enfants, à s’en occuper même, et donne des coups. Ce Franco-Vietnamien, issu d’une famille de militaires affectés en Indochine, n’a pas assez de lits pour accueillir ses petits et, selon sa fille, ne leur sert à manger que du riz au nuoc-mâm et des yaourts nature. « Je n’ai pas le souvenir de m’être endormie dans un lit propre, avec des draps frais », écrit l’actrice, qui ménage malgré tout son géniteur : « Il nous a donné toute l’affection dont il était capable. »

 

Elle garde aussi de la bienveillance pour sa mère, Catherine Belkhodja, fille d’un Berbère combattant du côté du FLN pendant la guerre d’Algérie et d’une infirmière issue d’un milieu ouvrier qui se sont rencontrés dans une cellule du Parti communiste. « Une marginale, une femme libre » et une « beauté puissante », qu’Isild Le Besco trouverait « fascinante » si elle n’avait pas également un rôle de mère à tenir. Car elle aussi est violente, écrit-elle. « Je me souviens de la dernière fois : ma mère m’avait tapée si fort que je m’étais évanouie. Je m’étais dit que c’était fini, que je me défendrais désormais. Elle n’a plus recommencé. » Elle ajoute : « On ne sait pas vraiment comment c’était, la vie de notre mère avant nous. ».

Enfant, Catherine Belkhodja subit les coups de son propre père autoritaire, quand sa mère s’enfonce dans la dépression. Sa sœur finit par se suicider au Destop après de nombreuses poussées psychotiques. Dans la case « profession de la mère », sur les fiches à compléter pour l’école, Isild Le Besco n’a pas assez de place pour donner la liste des métiers exercés par la sienne, ex-égérie du cinéaste Chris Marker : « actrice, réalisatrice, journaliste, peintre, architecte, philosophe… ».

Une non-éducation sauvage et destructurée

Catherine Belkhodja ne remplit pas le frigo de l’appartement, n’offre aucune sécurité affective ou économique à ses enfants, mais elle leur donne accès aux meilleures formations artistiques, dans le but assumé qu’ils deviennent des stars, quel que soit le domaine. « Mes parents étaient autoritaires et violents. (…) Ils m’ont transmis autant leurs schémas toxiques que la force de ne pas m’en contenter », proclame dans son livre l’autrice, qui les remercie néanmoins pour leur transmission d’une « liberté créative et profonde ». Cette non-éducation sauvage et déstructurée, Isild Le Besco l’a racontée dans son premier film, Demi-tarif (2003), tourné avec une seule caméra alors qu’elle avait 17 ans. Un moyen-métrage brut et bouleversant, filmé à hauteur d’enfant, qui dépeint l’existence de trois gamins livrés à eux-mêmes, obligés de survivre dans l’absence obsédante de leur mère. Œuvre saluée à sa sortie par Chris Marker, Jean-Luc Godard et la presse.

Catherine Belkhodja a lu le livre d’Isild Le Besco il y a quelques jours seulement. Jugeant certaines anecdotes « parfois légèrement exagérées », elle salue néanmoins le résultat auprès de M Le magazine du Monde : « La démarche d’Isild me semble d’une très grande sincérité. Ce qui compte surtout, c’est sa perception et son vécu sur les choses, qu’elle analyse et décrypte avec beaucoup de lucidité et de courage. (…) Je trouve ce livre merveilleusement écrit. Par ces pages, on peut mieux comprendre le processus de l’emprise. Isild a ­toujours refusé de se considérer comme victime. C’est un vaillant petit soldat qui affronte tous les obstacles en refusant d’écouter ses faiblesses. » Interrogée sur les maltraitances qui lui sont reprochées, elle reconnaît « une certaine rudesse, pour que [ses filles] soient fortes et autonomes ». Et regrette que, du fait de sa vie « un peu acrobatique », elle n’ait « peut-être (…) pas su leur exprimer tranquillement tout [son] amour et [son] affection. »

Le père, Patrick Le Besco, n’a pas eu connaissance du texte avant sa sortie. « Bien que je n’aie pas lu le livre d’Isild, je respecte infiniment son ressenti, ainsi que celui de tous mes enfants. Je soutiens ce travail de réparation qu’elle entame car c’est aussi une forme de réparation pour moi », écrit-il à M. Il tient à évoquer le contexte post-colonial de l’époque : « Je me suis marié en 1975, moi, venant d’une famille de militaires ayant effectué leur carrière aux colonies, avec une femme dont le père avait été militant actif du FLN en région parisienne. Deux mémoires conflictuelles. Le contexte dans lequel nous vivions était à fleur de peau, marqué par la mémoire de nos parents que, sans nous en rendre compte, nous reproduisions. »

Les membres de la fratrie ont lu le livre avant sa publication. Le plus jeune demi-frère, Kolia Litscher, 33 ans, salue le travail entrepris : « Isild a pris pleinement conscience de ce qu’elle a vécu. Avant, elle savait que quelque chose n’était pas normal. Elle est en train de ranger ses pensées, elle est sur la bonne voie. » Jowan Le Besco, 42 ans, se montre admiratif : « Je la soutiens complètement. Elle ne fabule pas. C’est très courageux de sa part, se livrer ainsi n’est pas naturel pour elle, c’est difficile. » La cadette d’Isild, sa demi-sœur Léonor Graser, 39 ans, a participé à l’accouchement de ce texte rédigé en quelques mois, en aidant l’autrice de Dire vrai à mettre ses notes en forme. Elle constate avec joie que sa grande sœur n’est plus aussi fragile et hermétique que par le passé. « Le changement est radical, extraordinaire », observe Léonor Graser.

Un réflexe de soumission

Il n’y a que l’aînée, la plus célèbre de la famille, qui n’a pas lu le texte avant sa parution. Réalisatrice à succès du cinéma français, autrice des films Polisse (2011), Mon roi (2015), Jeanne du Barry (2023), Maïwenn, 48 ans, apparaît pourtant dès la quatrième page du récit d’Isild Le Besco, avec l’évocation d’un souvenir récent. En 2019, les deux sœurs marchent dans la rue avec une amie, à la sortie d’une projection. La plus âgée se décrit soudain en enfant battue, dit vouloir porter plainte contre leurs parents. Elle craque, tape contre un arbre. Isild étreint Maïwenn, la console – « Je t’aime, ne m’en veux pas, ne disparais pas », sanglote l’aînée.

 

S’ensuit une nuit blanche passée ensemble consacrée « à pleurer [leur] drame commun ». C’est aussi la dernière fois, selon Isild Le Besco, que les deux femmes ont réussi à s’accorder. Aujourd’hui, elles ont coupé les ponts, ne se voient plus, ne se parlent plus. « Elle manque à notre radeau de survivants », écrit la plus jeune. « Enfant, Isild était en admiration de Maïwenn, c’était fusionnel, se souvient une amie des deux sœurs, qui ne ­souhaite pas être nommée. Mais aujourd’hui il y a une incompatibilité entre elles, car Isild n’est plus docile. Et Maïwenn a besoin de gens qui valident sa façon d’être et de faire. »

 

L’héritage traumatique légué par les parents peut provoquer un réflexe de soumission à plus fort que soi pour survivre. C’est ainsi qu’Isild Le Besco relit aujourd’hui la rencontre de sa grande sœur, Maïwenn, 15 ans à l’époque et aspirante comédienne, avec un homme de 31 ans, déjà célèbre, Luc Besson. Pour elle, la différence d’âge et de situation sociale était telle que la relation entre sa sœur et le réalisateur à succès de Subway (1985), du Grand Bleu (1988) et de Léon (1994) n’a cessé d’être déséquilibrée. Isild Le Besco n’a jamais accepté non plus que Luc Besson quitte sa sœur, alors jeune mère. Sollicitée pour cet article, Maïwenn n’a pas répondu. « Nous n’avons rien à voir l’une avec l’autre. Je ne veux pas qu’on m’associe à elle », a déclaré, le 20 avril, Maïwenn à propos de sa sœur dans le journal en ligne britannique The Independent.

Maïwenn, la deuxième maman

En 1991, Maïwenn, la deuxième maman des « enfants sauvages de Belleville », quitte le désordre et la pauvreté de l’appartement du 19e arrondissement de Paris pour rejoindre son compagnon et le luxe dans lequel il baigne. « Luc incarnait le rêve d’un ailleurs, une porte de sortie qui s’est avérée être une boucherie », éclaire Isild Le Besco au cours de notre conversation. Elle se souvient des appartements aux couloirs immenses, des séjours à Eurodisney et des vacances dans la demeure avec piscine du réalisateur : « Nous passions du confort des somptueuses propriétés de Luc à notre taudis. De ma grande sœur adorée, chaleureuse et joueuse, au vide affectif et à la violence. » Sur les tables de nuit du cinéaste, la jeune Isild tombe sur des grosses coupures. Elle culpabilise en pensant à son père qui, lui, dit ne vivre qu’avec 1 franc par semaine et elle dépose parfois dans son portefeuille un billet subtilisé.

 

Quelques mois plus tard, lors d’un voyage de classe, la maîtresse de l’un des membres de la fratrie découvre, en guise de contenu de sa valise, un tas de vêtements sales. Elle fait un signalement à la DDASS, qui n’aboutit pas en placement car, écrit Isild Le Besco, « Luc s’est présenté avec ma sœur à un rendez-vous pour s’engager à protéger l’équilibre de notre vie. Maïwenn était encore mineure, et lui, il allait devenir notre garant parce qu’il était riche et connu. » Avec vingt-cinq ans de recul, Isild Le Besco se réjouit de ne pas avoir été placée, mais regrette que les services sociaux ne se soient pas interrogés sur l’âge de ce « sauveur ».

 

1993. Maïwenn, 16 ans, accouche de Shanna, la fille du couple qu’elle forme avec Luc Besson, et part vivre à Los Angeles avec le cinéaste. Le réalisateur travaille alors sur Le Cinquième Elément (1997), qui deviendra à l’époque le plus grand succès commercial d’un film français à l’étranger. Sur le tournage, il rencontre Milla Jovovich, 21 ans à l’épo­que, l’actrice principale, pour laquelle il quitte Maïwenn. Isild Le Besco ressent encore aujourd’hui dans son propre corps l’humiliation de sa sœur : « Après coup, cela donne l’impression qu’on faisait partie d’un film où Luc se donnait le beau rôle et où nous étions le prolongement de notre sœur aînée. Et puis, il a zappé le film. »

 

Adolescente, celle qui adore garder sa nièce voit sa grande sœur, revenue seule des Etats-Unis, devenir mère célibataire précaire. Isild Le Besco se retrouve à jouer les intermédiaires avec Luc Besson. « Ma sœur voulait que je demande à Luc de faire quelques courses : la pension alimentaire qu’il lui versait était insuffisante », raconte-t-elle. Elle se rend chez lui, lui demande d’acheter du lait de soja pour la fillette. « D’un air de chien battu, il me répondait comme un pauvre homme qu’il ne pouvait pas se permettre ça. Il avait fait un enfant à ma sœur de 16 ans, l’avait trompée, puis abandonnée, et rechignait désormais à dépenser pour que son enfant mange », poursuit-elle. Contacté par l’intermédiaire du porte-parole de sa société, Luc Besson indique « attendre la parution du livre » pour réagir.

Emmanuelle Bercot et la sexualisation des jeunes filles

Sur la terrasse de sa maison drômoise, Isild Le Besco porte alternativement un chapeau pour se protéger du soleil et un manteau quand les nuages s’amoncellent. Elle hésite de la même façon quand il s’agit d’aborder ses débuts de comédienne dans le cinéma français auprès de réalisatrices : « Elles ont probablement été traitées comme des choses dans leur jeunesse, peut-être pire même, mais c’est l’illustration d’une époque, de comment on traite une petite fille sur un plateau et plus largement dans le monde. »

En août 1997, l’été de ses 14 ans, elle tient le premier rôle du film d’une jeune metteuse en scène de même pas 30 ans qui sort tout juste de la Fémis, Emmanuelle Bercot. Le scénario du moyen-métrage La Puce (1998), dans lequel jouent plusieurs membres de la famille d’Isild, dont sa mère, n’a rien à envier à ceux de ses homologues masculins de l’époque, comme Benoît Jacquot ou Jacques Doillon, en termes de sexualisation des jeunes filles. C’est l’histoire d’une adolescente qui se donne à un homme bien plus âgé. La comédienne se rappelle encore le malaise qui l’avait saisie au moment de tourner la scène du dépucelage de son personnage, lorsqu’elle est confrontée à l’érection de son partenaire.

 

 

Deux ans plus tard, elle tourne pour Emmanuelle Bercot dans Le Choix d’Elodie (1999), un téléfilm qui sera diffusé sur M6. « Elle m’avait fait jouer la première, j’étais prête à tout pour elle », déclare-t-elle. Peut-on filmer la violence sans être violent ? Isild Le Besco en est convaincue. Elle raconte la trentaine de gifles de plus en plus fortes, comme autant de prises nécessaires, pour la scène où la mère d’Élodie lui met une claque. L’adolescente ressent trop d’admiration à l’endroit de la réalisatrice pour oser lui dire stop et qu’elle a mal. « J’étais dans un état de survie émotionnelle, j’étais choisie plus que je ne choisissais ». Emmanuelle Bercot n’a pas souhai­té réagir : « Je ne saurais vous être utile », nous a-t-elle répondu.

Grâce à ses premiers cachets, Isild Le Besco peut aider sa mère à payer le loyer de l’appartement, où elle vit désormais en autonomie avec ses frères et sœurs. Parfois, un directeur d’école appelle à la maison pour leur demander d’arrêter de sécher les cours ou la police intervient après des vols dans des magasins. Rares souvenirs d’autorité pour l’artiste, qui arrête l’école après avoir raté son brevet.

Benoît Jacquot, rencontré à 16 ans

L’entretien, suspendu à la tombée du jour, n’a pas permis d’épuiser tous les sujets. Le lendemain, il fait toujours aussi froid et Isild Le Besco n’a plus de voix. Dans les ruelles étroites de la ville où elle vit, elle se demande si c’est le fait d’avoir tant parlé après un aussi long silence qui lui cause cette extinction. Un confortable salon de thé offre le cadre rassurant pour parler d’un autre personnage cardinal de sa vie et de son livre : Benoît Jacquot. Contactés, ni le cinéaste ni son avocate n’ont répondu à M.

Isild Le Besco rencontre le réalisateur dans un café. Il a aimé sa prestation dans La Puce et convainc la jeune première de 16 ans de jouer Emilie de Lancris dans son prochain film consacré au marquis de Sade. Il met en place avec elle la même stratégie de conquête qu’avec Judith Godrèche sur le tournage des Mendiants, en 1986 : « Il a demandé à la production de me prendre une chambre dans le même hôtel que lui. Le soir, nous dînions en tête à tête. Il disait qu’il m’aimait beaucoup », développe-t-elle dans son livre. Sa mère l’a prévenue, cet homme-là a été avec toutes ses jeunes actrices : « Ça m’avait gênée qu’elle m’imagine cédant à ce vieux monsieur », écrit-elle.

 

Elle se rappelle : « Benoît Jacquot avait l’obsession qu’on me voit nue, allongée, face caméra. Je ne le voulais pas et l’avais annoncé dès le départ. » Le week-end précédant le tournage de cette scène, en 1999, il lui donne sa carte bancaire et, raconte-t-elle, l’autorise à acheter tout ce qu’elle veut : « Une carte bleue contre mon corps d’adolescente et le dépassement de mes limites. » Isild et sa fratrie dévalisent le supermarché de bonbons, de gâteaux et de boissons. La semaine suivante, l’actrice accepte de jouer la scène érotique tant désirée par le réalisateur. Mais, juste après, il porte plainte pour le vol de sa carte de crédit et elle se retrouve au commissariat, convoquée pour un interrogatoire qui dure des heures. À la demande du cinéaste, assure-t-elle, elle devra dire aux policiers qu’elle lui a emprunté sa carte pour lui faire une blague.

Contrôle des vêtements, de la nourriture, du corps

Le tournage achevé, Benoît Jacquot continue de solliciter Isild Le Besco. Il insiste pour l’emmener dans sa chambre d’hôtel, raconte la jeune femme, lui proposant de devenir son professeur, de lui apprendre à écrire des scénarios – il l’aidera notamment pour l’écriture de son deuxième film, Charly (2006). Immature, traumatisée par l’abandon de sa sœur par Luc Besson, Isild Le Besco pense se protéger de la blessure amoureuse en veillant à ne pas s’attacher à Benoît Jacquot.

 

Le réalisateur l’emmène à Venise, comme il l’a fait avec Judith Godrèche et le fera plus tard avec Julia Roy, qui ont toutes deux porté contre lui des accusations recueillies par le parquet de Paris dans le cadre d’une enquête préliminaire. « C’est sur l’un de ces si jolis ponts, au-dessus des gondoles, que Benoît m’a giflée pour la première fois », écrit Isild Le Besco. Il lui a promis de ne jamais la toucher mais se montre de plus en plus pressant pour obtenir des rapports sexuels. Ils finissent par avoir lieu, sans tendresse dit-elle, sans baisers ni mots doux. Elle l’a vécu avec souffrance et le sentiment d’être en apnée, dans l’attente que ça passe.

Leur relation se poursuit plusieurs années, même s’ils ne vivent pas ensemble et que Benoît Jacquot est marié. Il établit des règles identiques à celles qu’ont vécues d’autres de ses compagnes, sur le contrôle des vêtements, de la nourriture et du corps, le tout s’accompagnant du dénigrement permanent des femmes ayant le malheur d’avoir plus de 25 ans. Lors d’un voyage au Japon, le réceptionniste refuse qu’ils fassent chambre commune : la jeune femme est encore mineure. Ailleurs, en Italie, et à une autre époque, Judith Godrèche a vécu la même scène.

 

« Avec Benoît Jacquot, c’était une relation d’emprise, juge Léonor Graser. Il était devenu la personne de référence. Tout ce qu’il disait, elle le répétait ensuite. Elle était coupée de tout le monde à l’époque, elle ne faisait que travailler. On se voyait, certes, mais il n’y avait pas d’espace pour parler, pour commenter son mode de vie, tout ça était complètement normalisé. » A l’époque, le comédien et réalisateur Jérémie Elkaïm était proche d’Isild Le Besco et « militai[t] pour qu’elle fasse des rencontres » : « Je voyais que cela n’allait pas, il était indéniable que tout n’était pas dans les bons écrous. Mais il était aussi indéniable que cette histoire lui donnait une force spectaculaire. Je la trouvais absolument incroyable. Ce mélange de liberté et de sauvagerie chez elle vous donnait l’impression d’avoir pleinement affaire à une artiste. »

Isild Le Besco a d’autant plus de mal à quitter Benoît Jacquot – auquel elle se réjouit de n’avoir jamais dit « je t’aime » – qu’il lui fait du chantage au suicide. Une nuit de 2007, alors que la séparation est enfin enclenchée, il l’appelle, désespéré, dit qu’il ne peut pas vivre sans elle et qu’il va sauter par la fenêtre. Elle traverse tout Paris pour le calmer. Il finit, selon elle, par la pousser dans les escaliers du cinquième étage. Elle rentre brisée et secouée, le poignet et le bras douloureux, comme l’a confirmé une amie témoin de la scène qui a souhaité rester anonyme. « Quand je l’ai quitté pour de bon, Benoît a juré de me nuire, écrit Isild Le Besco : je ne ferais plus de films, ni comme actrice, ni comme réalisatrice. Mon génie, c’est lui qui l’avait créé. » Cette phrase, Julia Roy aussi l’a entendue. Impossible de mesurer les conséquences de ces menaces, mais les deux femmes n’ont presque plus tourné après avoir quitté Benoît Jacquot.

Une histoire trop douloureuse pour être racontée

Dans les années qui suivent la rupture, Isild Le Besco peint, écrit, poursuit sa carrière de réalisatrice, avec le film Bas-Fonds (2010), qui se distingue par sa noirceur dans la description de l’enfance. Dans son livre, elle reconnaît avoir eu des comportements abusifs en tant que cinéaste, notamment sur son petit frère de 14 ans quand elle le fait tourner. « Qui suis-je pour dénoncer les autres si je n’étudie pas ma propre domination ? » Après Benoît Jacquot, elle se met en couple avec un photogra­phe, le père de ses deux garçons. La violence l’avale de nouveau. Sur cette histoire, trop douloureuse, Isild Le Besco n’est pas encore prête à parler.

 

 

En 2018, un an après l’explosion du mouvement MeToo, elle voit Natalie Portman, sa copine d’adolescence rencontrée par l’intermédiaire de Luc Besson, dénoncer le mauvais souvenir de l’hypersexualisation subie sur le tournage de Léon. Tous ces instants de prise de conscience s’agrègent peu à peu, jusqu’à la bascule opérée à la suite de l’agression dans le TGV. A l’origine, Isild Le Besco a écrit son texte pour elle, et non pour le publier. Mais Judith Godrèche rend les choses urgentes.

Benoît Jacquot a vu Icon of French Cinema, la série de cette dernière pour Arte, et s’inquiète pour sa réputation. Il envisa­gerait de porter plainte pour diffamation, comme il l’explique en décembre 2023 à Isild Le Besco autour d’un café qu’elle a accepté de prendre avec lui. Tandis qu’il cherche son soutien, elle tente de lui expliquer le mal qu’il lui a fait : « J’aime bien les oppositions civilisées, j’essayais de remettre les choses à leur place, pour ne pas être encombrée par la colère après ce qu’il m’a fait », argumente-t-elle aujourd’hui. Il s’excuse vaguement, lui propose, dit-elle, de réaliser avec elle un film sur une femme de Picasso anéantie par la toxicité du peintre. « Les prédateurs n’intègrent jamais la version de leur proie », relève dans son livre Isild Le Besco.

Que faire de ce mot « viol » ?

En février 2024, les enfances volées par Benoît Jacquot sont donc devenues une procédure judiciaire. La policière chargée de l’enquête appelle plusieurs fois Isild Le Besco pour l’auditionner – en vain, jusqu’à présent. « Ça m’énerve ce traitement de faveur qu’on accorde aux stars », justifie-t-elle. Elle se pose des questions. La première : contre qui doit-elle porter plainte ? Contre ses parents violents ? Contre Benoît Jacquot ? Contre Luc Besson, coupable à ses yeux d’avoir « con­damné Maïwenn à voir [leur] histoire comme une histoire d’amour » parce qu’ils ont eu une fille ensemble ? Contre la sexualisation des jeunes filles par le cinéma français ? « Ou suis-je victime de n’avoir pas habité mon propre corps quand d’autres l’utilisaient ? Suis-je victime de n’avoir pas su me défendre moi-même ? »

 

A l’endroit de Benoît Jacquot, l’autrice et réalisatrice se trouve face à sa deuxième interrogation : la qualification des faits. Que faire de ce mot, « viol », qu’elle écrit en toutes lettres mais considère trop réducteur ? « Dire que Benoît m’a violée, c’est évident », juge-t-elle, mais aussi approximatif, car il a d’abord, selon elle, « violé [son] esprit » pour obtenir son corps. « Comme tout prédateur, Benoît ne fait pas l’amour. Le sexe n’est qu’un outil, comme on ferait des trous avec un marteau-piqueur pour fragiliser les murs d’un édifice. Ce n’est pas le fait de faire des trous qui importe, c’est le résultat. L’acte sexuel permet de s’emparer de l’autre jusque dans les profondeurs de l’être. » Ecrire ces lignes a été violent pour Isild Le Besco. Douleurs au ventre, insomnies : les symptômes classiques du traumatisme réactivé.

 

Le salon de thé s’est vidé. Il ne reste plus que nous, dissertant sur l’existence de traces matérielles de ses affirmations : des fragments, des lettres ou des documents qui renforceraient son récit. Tout est stocké dans des boîtes fermées, qu’elle ouvre sitôt rentrée chez elle. Isild Le Besco nous envoie des photos de cartons ouverts, d’albums jetés par terre. Le lendemain, lors d’un dernier déjeuner, elle arrive le sac à main lourd des images qu’elle veut nous montrer. On la voit, si juvénile, sur ses tournages d’adolescente. Ou en compagnie de ses frères, de Maïwenn et de Luc Besson attablés dans un restaurant aux Etats-Unis, dans une étrange image de recomposition familiale. Isild Le Besco nous raccompagne à la gare où des trains de marchandises passent sans s’arrêter. Le fracas masque le bruit de ses larmes. Bientôt, c’est elle qui montera à Paris, pour porter sa volonté de « dire vrai ».

 

Lorraine de Foucher

Jérôme Lefilliâtre  pour M le magazine du Monde 

 

Légende photo  : Isild Le Besco, chez elle, dans la Drôme, le 22 avril 2024. BETTINA PITTALUGA POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
April 18, 2024 10:44 AM
Scoop.it!

Virginie Colemyn, une comédienne en ses variations poétiques

Virginie Colemyn, une comédienne en ses variations poétiques | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 18 avril 2024

 

L’actrice, dont le jeu marie précision et virtuosité, tragique et comique, est à l’affiche du Théâtre de l’Odéon, à Paris, dans la reprise de la pièce d’Arne Lygre, « Jours de joie », mise en scène par Stéphane Braunschweig.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/18/virginie-colemyn-une-comedienne-en-ses-variations-poetiques_6228522_3246.html

Virginie Colemyn s’assied en face de vous, dans un grand café du centre de Paris, et d’emblée s’installe un sentiment de douce étrangeté. Sur elle, vous ne trouverez ni fiche Wikipédia ni notice biographique. Pas de traces non plus sur les réseaux sociaux. Pour un peu, la comédienne de 52 ans passerait sous les radars. Et pourtant, depuis vingt ans, les critiques de théâtre rivalisent de superlatifs – dans ces colonnes et ailleurs – pour saluer son talent : « subjuguante », « bluffante », « irradiante », « hors normes », « formule 1 », « douée d’une infinie palette de jeu »… N’en jetez plus.

A chacune de ses apparitions – trop rares –, Virginie Colemyn imprime quelque chose de fort et d’inédit. C’est le cas dans Jours de joie, d’Arne Lygre, un spectacle de Stéphane Braunschweig aujourd’hui repris aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, à Paris, que l’on peut aller voir pour elle. Pour voir ce qu’est un rire gorgé de larmes : l’incarnation d’une joie qui se cherche et résiste au milieu de l’impuissance éprouvée face à un monde qui semble chaque jour courir un peu plus vers l’abîme.

 

De ce drôle de parcours dans le théâtre français, qui jusque-là ne lui a pas fait la place qu’elle mérite, malgré de beaux compagnonnages avec Ariane Mnouchkine, Gwenaël Morin ou le plasticien Christian Boltanski (1944-2021), elle parle avec des mots concrets et poétiques, entourés de silence. Elle ne prononcera pas le terme de « transfuge de classe », trop sociologique pour elle. Mais elle s’interroge sur une forme d’endogamie du théâtre français, elle qui est née dans les quartiers nord et gitans de Bordeaux, et dans une « grande famille du monde ouvrier ».

« En perpétuel décalage »

Sa mère tenait un salon de coiffure, et ce fut son premier théâtre. « Elle coiffait des entraîneuses et des bourgeoises. C’est l’endroit où j’ai beaucoup écouté et regardé la vie, un univers de femmes que j’ai retrouvées ensuite dans le cinéma de Chantal Akerman que j’aime tant », raconte-t-elle. Comme beaucoup d’autres à qui l’art n’a pas été offert en héritage, elle a découvert le théâtre grâce à une professeure de français. Et dès le jour de cette « épiphanie » vécue à 12 ans, elle s’est consacrée à l’art dramatique, corps et âme.

Le chemin ne fut pas simple. « Je n’avais pas les codes, j’étais en perpétuel décalage », constate-t-elle. Elle intègre néanmoins la classe libre du Cours Florent, où le célèbre pédagogue la surnomme sa « petite Meryl Streep ». « Je n’ai jamais compris s’il faisait allusion à sa capacité de convoquer l’émotion ou à sa faculté de transformation », s’interroge Virginie Colemyn. Elle, ce qu’elle veut, c’est entrer au Théâtre du Soleil : « J’avais vu Les Atrides mis en scène par Mnouchkine, qui avait provoqué chez moi une forme de sidération. L’impression d’une splendeur totale, d’acteurs comme des dieux volant sur le plateau… Une odyssée dans laquelle je rêvais de m’inscrire. »

Privilèges abonné
Le Monde événements abonnés
Expositions, concerts, rencontres avec la rédaction… Assistez à des événements partout en France !
Réserver des places

Le chemin sera encore long : il passera par l’Ecole Jacques Lecoq, ouverte sur d’autres formes de création que le théâtre classique à la française. Elle y découvre la notion de « fonds poétique commun », qui continue de la nourrir aujourd’hui. Et elle entre enfin au Soleil, en 2002, à 31 ans, où l’on découvrira son talent singulier dans Le Dernier Caravansérail (2003) et, surtout, dans Les Ephémères (2006), magnifique création collective de la troupe. « Les années les plus belles de ma vie, des années de rêve », dit-elle, songeuse. Se brûle-t-on quand on est trop près du Soleil ? Au bout de cinq ans, elle quitte la troupe d’Ariane Mnouchkine. « Je ne me voyais pas y rester trente ans, comme d’autres », répond-elle, laconique. « Mais j’ai gardé du Soleil le goût de l’exigence, de la discipline, du rituel. »

Goût de la troupe et de l’épique

Le goût de la troupe et de l’épique, aussi, qui l’amène à une autre rencontre capitale : celle, en 2009, avec le metteur en scène Gwenaël Morin, qui lance aux Laboratoires d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) son Théâtre permanent, un des rares gestes révolutionnaires qu’ait connus le théâtre français depuis trente ans. « Faire du théâtre avec lui, c’est un peu comme être à cru sur un cheval, s’amuse-t-elle. Morin est un metteur en scène nietzschéen : il lui faut du feu, de l’incandescence, et des acteurs peu soucieux de leur image. C’est très subversif et très reposant par rapport à l’imagisme actuel : c’est de nouveau l’enfance, le bac à sable. L’imaginaire carbure, tout est possible dans un grand dénuement. »

Virginie Colemyn accompagne l’aventure, avec ses hauts et ses bas, pendant quinze ans, jusqu’à ce Songe shakespearien en folie, créé au Festival d’Avignon en 2023, dans lequel elle atteint des sommets dans l’alliage entre l’improbable et le sublime, un art dans lequel elle est désormais passée maîtresse. « Comme le disent les sorcières de Macbeth, le beau est laid, le laid est beau », lance-t-elle comme un manifeste.

 

Entre-temps, elle a croisé l’univers plus sage de Stéphane Braunschweig, dans lequel elle amène une dissonance, une vibration poétique qui manquent parfois aux spectacles du directeur de l’Odéon. Qu’il s’agisse de jouer Tennessee Williams, Shakespeare, Racine ou les pièces ludiques, abstraites et mystérieuses de l’auteur norvégien Arne Lygre. « C’est un théâtre qui offre la possibilité de déployer une palette très riche. Tout miroite, tout est instable dans ses dispositifs textuels, c’est un peu comme un courant alternatif. Les deux mères que je joue sont malaisantes, à l’intérieur de codes assez classiques. »

Ce parcours à trous et à fulgurances a formé un art d’actrice bien particulier, qui marie précision et virtuosité, tragique et comique, avec une immense liberté. « Il y a quelque chose du clown chez elle, une part d’enfance très forte, très belle, une sorte d’étonnement fondamental », dit d’elle la réalisatrice Emmanuelle Mougne, qui l’a fait tourner dans son film La Vie naturelle du pou (2020). Sur le « fonds poétique commun », Virginie Colemyn joue bien ses propres variations. « La scène, c’est l’endroit du monde où je ne me sens pas errante », avoue-t-elle dans un souffle.

 

Voir le teaser vidéo de "Jours de joie" 

 

 

Jours de joie, d’Arne Lygre. Mise en scène : Stéphane Braunschweig. Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris 17e, du 20 avril au 5 mai.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE 

Légende photo : Virginie Colemyn, le 13 avril 2024, à Paris. CAROLE BELLAÏCHE

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
February 13, 2024 8:19 AM
Scoop.it!

L’enfance de l’art #1 / Laurent Poitrenaux 

L’enfance de l’art #1 / Laurent Poitrenaux  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

L' enfance de l’art
Les masterclasses de la Comédie, CDN de Reims

Episode 1 avec Laurent Poitrenaux ET les élèves de la Classe de la Comédie

Les élèves de la Classe de la Comédie vous convient à un entretien privilégié avec le comédien Laurent Poitrenaux.
Un dialogue entre deux générations explorant les débuts dans le monde du théâtre et le cheminement d’un.e comédien.ne.

AVEC
Laurent Poitrenaux, comédien
ET Kaito Berhart, Amélie Dupuis et Félix Hugue

 

 

Ecouter le podcast en ligne
 

Enregistré en public à la Comédie, CDN de Reims le vendredi 19 janvier 2024.


Episode réalisé par la Comédie, CDN de Reims avec Martin Quénéhen, Sur le vif studio, sur une idée d’Anne-Lise Heimburger, artiste associée à la Comédie.

 

Lien vers un article de Joëlle Gayot sur Laurent Poitrenaux, article du Monde : https://sco.lt/8kw8mW

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
October 14, 2023 4:13 PM
Scoop.it!

Les coups de théâtre du comédien Birane Ba

Les coups de théâtre du comédien Birane Ba | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Valentin Pérez dans M le magazine du Monde - 13 oct. 2023

 

A 28 ans, le jeune pensionnaire de la Comédie-Française vient de décrocher son premier rôle principal dans « L’Opéra de quat’sous », mis en scène par Thomas Ostermeier. Quelques mois après avoir fait sensation au cinéma dans « Je verrai toujours vos visages », de Jeanne Herry.


 

Lire l'article sur le site du "Monde" :

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/10/13/les-coups-de-theatre-du-comedien-birane-ba_6194213_4500055.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2cTqEArFZKDD9jkauts2IWNFJEEmkX5wT4o9IK8GMtZjTnKbBIbLpUko8#Echobox=1697247903

Lorsqu’il a appris qu’il jouerait Macheath, dans L’Opéra de quat’sous (1928), de Bertolt Brecht et Kurt Weill – soit son premier rôle principal sur scène –, Birane Ba n’a pas demandé au metteur en scène allemand Thomas Ostermeier pourquoi il l’avait choisi. Pourtant, ce rôle de malfrat échoit souvent à des quadragénaires à l’air louche, quand lui, à 28 ans, dents du bonheur et regard tendre, a les traits d’un gentil garçon. « Je ne demande jamais : “Pourquoi moi ?”, assure Birane Ba. Mais il peut m’arriver de demander : “Tu es sûr” ? » Le jour de l’audition, face notamment au codirecteur du Festival d’Aix-en-Provence – où la pièce a été créée cet été dans le cadre d’un partenariat avec la Comédie-Française, où elle se donne jusqu’au 5 novembre –, le comédien avait choisi, pour prouver qu’il pouvait chanter juste, Tout fout le camp, d’Edith Piaf.

 

Un an de préparation auprès de maîtres de chant lui a été nécessaire pour façonner le rôle de ce magouilleur et voleur qui cherche à sceller son ascension sociale par un mariage avec une fille bien née. Placer la voix, glisser de la mélodie à la réplique, se couler dans des allures de gentleman… Dans cet emploi tout en dualité, Birane Ba impose son habituelle présence lumineuse dans une variation plus trouble.

Des personnages complexes

Au printemps, le grand public a pu le découvrir en détenu résilient dans le film à succès Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry, ou à la Comédie-Française, incarnant une gueule d’ange bien élevé et canaille qui convertit toute une famille à la luxure, dans une libre adaptation du Théorème, de Pasolini. Comme si, après quelques années d’initiation, on lui réservait les personnages complexes qui permettent de déployer tout son art… Les critiques des journaux l’ont à l’œil. Ils peuvent se montrer louangeurs, et parfois tranchants, envers Birane Ba, qui quelquefois les lit (« Erreur à ne pas reproduire ! »), autant que leurs collègues reporters adorent raconter sa trajectoire aux allures de success story.

 

 

Fils d’un ouvrier reconverti en médiateur et d’une femme de ménage, tous deux d’origine sénégalaise, il grandit dans un appartement du quartier de la Poterie, à Vernon (Eure). Six sœurs, un frère, lits superposés, balles au prisonnier et parties de foot entre deux épisodes de la série d’animation Olive et Tom. La première suggestion vient de « madame Salomon » (les noms de ses professeurs sont des phares dans la mémoire de Birane Ba), après la récitation d’une poésie : « Tu devrais t’inscrire au club théâtre. »

 

Deux ans plus tard, encouragé cette fois par « monsieur Morio », il saute le pas et débute par du répertoire contemporain : Théâtre sans animaux, de Jean-Michel Ribes, ou Arnaque, cocaïne et bricolage, de Mohamed Rouabhi. Dix ans plus tard, il se liera d’amitié avec ce dernier en jouant un de ses textes à la MC93, à Bobigny : « Tu imagines ! La première pièce que j’ai jouée de ma vie, c’était la tienne ! »

 

Brille chez Birane Ba cette lueur rare de ceux qui rêvent très grand, flamme qui semble ne jamais faiblir sous la bourrasque. A 14 ans, il assiste, à la Comédie-Française, aiguillé par « monsieur Morio », à une représentation de La Grande Magie, d’Eduardo De Filippo, éloge doux-amer de l’illusion théâtrale. Le bâtiment est orné de bâches. « J’ai cru qu’il s’agissait de portraits de comédiens et j’ai pensé : “Un jour, ce sera moi !” » Il s’en donne les moyens.

Propulsé place du Palais-Royal

Classe théâtre, conservatoire municipal, régional… En parallèle, il entame un BTS commerce international, plus convenable aux yeux de ses parents. « Je ne leur ai pas dit, mais je ne me suis pas présenté aux épreuves du BTS blanc, relate-t-il. C’était le jour du concours de la classe libre du Cours Florent. Je me suis dit : “Mon rêve parisien de devenir comédien, c’est là et maintenant.” » Et il décroche son sésame, puis entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique.

 

Avant même son diplôme, Eric Ruf, administrateur général du « Français » depuis 2014, le repère dans un Dom Juan au Théâtre de la Tempête, à Paris. Birane Ba se pince de voir la Comédie-Française se rapprocher, mais rate son audition. « Je n’avais pas le bagage technique », convient-il. Il a fallu un second essai, quelques mois plus tard, des premiers pas en tournée en tant qu’auxiliaire (un statut non renouvelable d’apprenti), avant que, début 2019, Eric Ruf ne lui propose de l’engager comme pensionnaire en lui demandant de prendre le temps de réfléchir. Le jeune homme affecte de lui obéir. « Mais, bon, ma réponse était toute faite… »

 
 

Propulsé place du Palais-Royal, celui qui payait son loyer en étant vendeur chez Bouygues Telecom ou animateur en centre de loisirs, a dû se familiariser avec les codes de l’institution. Accepter les distributions, adopter l’esprit de troupe tout en se montrant autonome. Ce boxeur raconte s’isoler dans les salles de répétition et « se battre avec le texte, comme dans un combat physique », le déclamant afin d’en mémoriser les répliques, jusqu’à ce qu’elles puissent être prononcées sans effort, façon automate, en faisant la vaisselle ou en filant à scooter. « Ici, il ne faut pas avoir d’acquis, constate-t-il. Se faire à l’idée que l’on est toujours sur le fil, au travail. »

Des échappées belles sur grand et petit écran

Quand il le peut, Birane Ba s’autorise une échappée dans des séries (Sentinelles, de Jean-Philippe Amar, sur OCS) ou au cinéma, chez Cédric Kahn (La Prière, 2018), Jeanne Herry, donc, et bientôt chez son ami le comédien Anthony Bajon, qui tournera, en 2024, son premier film. « Sur grand écran, le personnage est intrinsèquement lié à ton identité de comédien, tandis qu’au théâtre le personnage est toujours là. Sitôt qu’on l’interprète, il se dit : “Tiens ! on m’appelle, j’arrive.” Puis il repart là-haut, comme un esprit avec sa propre vie. À partir de là, être comédien, pour moi, c’est faire surgir fidèlement un être, sans le trahir et surtout sans l’occulter. Tout acteur qui cabotine est une trahison du personnage. »

 

L’amateur de « rap conscient » (Kery James, Youssoupha, Dinos…), devenu seulement le cinquième comédien noir à être pensionnaire d’un théâtre public fondé en 1680, aimerait maintenant jouer du Victor Hugo, « parce qu’il est lyrique et surtout politique », ou se frotter à du Alfred de Musset. En attendant, après Brecht, on le verra cette saison se prêter à du Feydeau (La Puce à l’oreille), du Molière (Les Fourberies de Scapin), ou du Rostand (Cyrano de Bergerac).

 

« J’apprends à être patient », avoue-t-il, conscient qu’il lui faut canaliser son appétit. Que lui souhaiter, maintenant qu’il a atteint le Graal en entrant dans ce temple qu’il fantasmait adolescent et surnomme désormais « la maison » ? « Un rêve qui se réalise donne l’impression d’être irréel. Sitôt que c’est tangible, voilà, c’est fait, et il faut trouver un nouveau rêve auquel s’accrocher… » Si le prochain objectif n’est pas complètement défini, côté rêves, Birane Ba a de la ressource.

 

L’Opéra de quat’sous, de Brecht, mis en scène par Thomas Ostermeier, jusqu’au 5 novembre. La Puce à l’oreille, de Feydeau, mis en scène par Lilo Baur, jusqu’au 1er janvier 2024. comédie-francaise.fr

Valentin Pérez / Le Monde 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 30, 2023 4:41 PM
Scoop.it!

Laurent Poitrenaux, un comédien passeur des textes contemporains

Laurent Poitrenaux, un comédien passeur des textes contemporains | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 30 mai 2023

 

L’acteur interprète deux pièces d’Harold Pinter, « L’Amant » et « La Collection », au Théâtre de l’Atelier, à Paris.


 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/30/laurent-poitrenaux-un-comedien-passeur-des-textes-contemporains_6175479_3246.html

Cheveu brun coupé court, pupille sombre, chemise blanche sous blouson de cuir noir : les couleurs de l’acteur Laurent Poitrenaux sont invisibles à l’œil nu. Pour les trouver, il faut le faire parler, un exercice qu’il pratique volontiers à la ville comme à la scène. Dans les modulations d’une voix qui se balade entre le métallique et l’onctueux surgit alors l’arc-en-ciel des voyelles dont Rimbaud a si bien révélé les naissances latentes.

 

 

Depuis qu’il s’est lancé dans le théâtre, Laurent Poitrenaux est devenu le passeur des langues contemporaines. Celle de l’écrivain Olivier Cadiot notamment (mais pas exclusivement). Aujourd’hui, celle du britannique Harold Pinter dont il interprète, sous la direction de Ludovic Lagarde, deux pièces au Théâtre de l’Atelier, à Paris (L’Amant et La Collection). Qu’elles soient poétiques, sinueuses, lyriques ou économes, l’acteur s’empare des écritures sans trembler. La peur qui le taraudait à ses commencements l’a quitté avec la maturité (il vient d’avoir 56 ans).

 

 

 

A force d’un travail acharné, il s’est aussi débarrassé du sentiment d’illégitimité qui empoisonne les débutants et des mirages de l’inspiration dont se bercent les illusions. Il n’est pas du genre à soupirer en affirmant d’un rôle : « Je le sens. » Arrimé au rythme des phrases, vissé à leurs points et cramponné à leurs virgules, il fuit les « postures romantiques ». Il se situe « du côté de l’établi, de la bouture, de l’encoche, du faire ». Ce goût du détail, du concret et de l’artisanat éloigne le trac et laisse toute sa place à la jubilation.

« Elevé dans la joie »

Au fil des spectacles joués (une cinquantaine depuis 1990), ce natif de Vierzon (Cher) s’est glissé dans les proses de Samuel Beckett, Roger Vitrac, Luigi Pirandello, Michel Vinaver, Georg Büchner, Anton Tchekhov, Shakespeare, Molière, Racine, Jean-Luc Lagarce, Witold Gombrowicz, Yannick Haenel, Pascal Rambert, Bernard-Marie Koltès. « Ce qui m’excite, c’est de faire sonner les mots », explique le comédien en confessant sa dette : « Ces dramaturges m’ont rendu plus intelligent que je ne le suis. » Il a noué avec eux une liaison amoureuse qui l’occupe à plein temps, au point de vampiriser son cerveau même lorsqu’il fait silence : « Lorsque je marche dans les rues, je suis toujours en train de me redire mes textes dans ma tête, à toute vitesse. C’est ce qu’on appelle faire des italiennes. »

 

 

Lire l’entretien (2014) : Trois questions à Laurent Poitrenaux
 

Cette méthode n’a rien d’étonnant lorsqu’on songe au titre quasi programmatique de sa première apparition professionnelle. En 1990, il joue dans Pathologie verbale III. L’ordre du discours, une mise en scène de Thierry Bédard, comparse rencontré sur les bancs de Théâtre en actes, une école fondée par Lucien Marchal, dans le 11e arrondissement de Paris. C’est là que Laurent Poitrenaux fait ses classes : « J’ai été refusé aux écoles nationales. Un peu vexé mais pas traumatisé, j’ai dû passer par ailleurs pour apprendre le métier. » Recalé deux fois au Conservatoire national supérieur d’art dramatique et à l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg, il ne renonce pas pour autant à son rêve : « Je voulais grandir avec des gens, rencontrer une tribu. Je n’avais aucune appétence pour la figure de l’acteur solitaire. »

 

Son père est chansonnier à ses heures perdues. Sa mère adore l’opérette. Deux passions musicales qui enjolivent le quotidien. S’épanouir dans une famille heureuse est un passeport fiable pour l’avenir : « J’ai eu la chance d’être élevé dans la joie et tellement aimé que j’ai pu supporter les pires situations en étant protégé par cette bulle originelle. » Alors qu’il est adolescent, sa sœur aînée lui offre un séjour au Festival d’Avignon. Il n’en faut pas plus pour provoquer le destin. « J’ai découvert là-bas Le Mahabharata, de Peter Brook, les créations d’Antoine Vitez, Tadeusz Kantor, Merce Cunningham ou Patrice Chéreau. Je me prenais baffe sur baffe. Je ne comprenais pas tout, mais je suis reparti avec une certitude : c’est vers cela que je voulais tendre. J’ai été comblé au-delà de mes espérances. »

Demandé et redemandé

Voilà trente-trois ans qu’il enchaîne les représentations en évitant les traversées du désert. Laurent Poitrenaux est un acteur demandé et redemandé par les metteurs en scène. Fidèles d’entre les fidèles, Arthur Nauzyciel et Ludovic Lagarde, qui ont démarré avec lui leurs aventures artistiques. Le premier en le distribuant dans Le Malade imaginaire, de Molière (un spectacle qu’ils viennent de reprendre vingt-quatre ans après sa création et qu’ils joueront la saison prochaine au Théâtre Nanterre-Amandiers). Le second en le dirigeant, dès 1991, dans Trois dramaticules, de Beckett, prélude d’une collaboration au long cours à laquelle se greffera la plume d’Olivier Cadiot.

 

 

 

En 1999, Le Colonel des zouaves propulse face au public la force pérenne d’une hydre à trois têtes associant l’acteur, l’auteur et le metteur en scène : Lagarde équipe Poitrenaux de micros. La voix démultipliée par des effets sonores, le comédien dévide la parole de Robinson, héros imaginatif d’un récit vagabond. Il impressionne dans ce monologue. Immobile, il se plie aux consignes de la chorégraphe Odile Duboc. Elle lui montre comment « raffiner » ses gestes, économiser ses mouvements, substituer aux gesticulations le haussement d’un sourcil. Lui qui redoutait, l’âge venant, de manquer d’énergie découvre que son corps est un médium expressif qui « n’a pas besoin d’être jeté sur scène pour se faire entendre. »

 

 

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Laurent Poitrenaux en mage d'Olivier Cadiot
 

Aujourd’hui, il peut bien l’avouer : « Il y a eu un avant et un après Le Colonel des zouaves. » Cet après est sur le point de devenir un plus jamais. A la manière d’un danseur qui transmet son rôle à plus jeune que lui, il tourne la page du passé. Il confie le personnage de Robinson à Guillaume Costanza, un jeune comédien.

 

 

Depuis six ans, Laurent Poitrenaux est responsable pédagogique de l’école du Théâtre national de Bretagne aux côtés du directeur Arthur Nauzyciel. Lorsqu’il s’assoit dans le train pour se rendre de Paris à Rennes, il profite des deux heures de trajet pour se replonger dans une de ces « italiennes » qui musclent sa mémoire. « Parfois, je me demande ce que j’aurais fait de tout ce temps passé à dire et à redire des textes si je n’avais pas été comédien ! », s’exclame-t-il soudain. Le trouble le gagne. Comment pourrait-il en être autrement ? II est pour de bon immergé dans les vertiges d’Harold Pinter, ce maître absolu des réalités réversibles qui font passer pour vrai ce qui est faux, et pour faux ce qui est vrai.

 

 

 

L’Amant, dHarold Pinter. Mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux. La Collection, d’Harold Pinter. Mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot, Laurent Poitrenaux. Théâtre de l’Atelier, Paris 18e. Jusqu’au 25 juin. De 21 € à 41 €.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde

 

 

 

Légende photo : Laurent Poitrenaux au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, le 10 octobre 2020. LOUISE QUIGNON

 

 

No comment yet.
Scooped by Le spectateur de Belleville
May 9, 2023 6:46 AM
Scoop.it!

Adèle Haenel : «J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma» –

Adèle Haenel : «J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma» – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Marlène Thomas  dans Libération  publié le 9 mai 2023 

 

 

Dans une lettre à «Télérama», l’ancienne comédienne connue pour ses engagements féministes, sociaux, antiracistes et écolos assume et donne du sens à sa rupture avec le 7e art.

 

 

Adèle Haenel se lève et se casse du cinéma français. Dans une lettre à Télérama, l’ancienne comédienne explique l’arrêt de sa carrière d’actrice : «J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est.»

 

Depuis son départ fracassant des César en 2020 en réaction au sacre de Roman Polanski - visé par plusieurs accusations de viols, sa mue devenait de plus en plus visible. Militante active du Réseau pour la grève générale, présence sur des piquets de grève comme celui de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher en Normandie, soutien aux meetings d’étudiantes, alliée du Comité Adama, immanquable des mobilisations féministes et queers… l’ancienne comédienne de 34 ans est devenue l’un des visages de la lutte intersectionnelle.

 
 

Un virage amorcé dès novembre 2019 lorsqu’elle a accusé dans une enquête de Mediapart et dans une émission ayant fait date, le réalisateur Christophe Ruggia de l’avoir agressé sexuellement et harcelé sexuellement de ses 12 à ses 15 ans. Adèle Haenel avait choisi sciemment la voie médiatique plutôt que judiciaire. «La justice nous ignore, on ignore la justice», assénait-elle.

«Je vous annule de mon monde»

Le courrier de l’actrice de Portrait de la jeune fille en feu ou 120 battements par minute à Télérama n’est pas spontané. Il s’agit d’une réponse à une enquête que l’hebdomadaire publie aussi ce lundi. Celle-ci retrace «l’itinéraire d’une artiste en lutte», de cette femme issue d’une famille de classe moyenne politisée ne pouvant plus se contenter d’engagements symboliques, d’un soutien parallèle comme d’autres actrices politisées telles que Delphine Seyrig (connue pour sa lutte pour le droit à l’avortement au sein du MLAC) ou Simone Signoret avaient pu le faire avant elle. Elle veut agir, en être pleinement, se retrouver surtout en accord avec elle-même et avec son cheminement intellectuel engagé depuis plusieurs années.

 

«Face au monopole de la parole et des finances de la bourgeoisie, je n’ai pas d’autres armes que mon corps et mon intégrité. De la cancel culture au sens premier : vous avez l’argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m’aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde», écrit-elle dans sa lettre.

 

 

Son ancienne agente Elizabeth Simpson déplore auprès de Télérama qu’après son témoignage à Mediapart «on ne lui a plus proposé que des rôles de femmes abusées, des histoires d’inceste ou des films où elle servait de caution». Adèle Haenel a aussi lâché l’un des derniers rôles qu’elle avait accepté pour L’Empire de Bruno Dumont parce qu’elle jugeait son contenu «sexiste et raciste», souligne l’hebdomadaire. Cette rupture avec le cinéma ne l’éloigne pas totalement des pratiques artistiques, puisque Adèle Haenel explore désormais les champs chorégraphique et théâtral, indique l’hebdo. A l’heure où les enquêtes se multiplient dans les médias pour dénoncer les violences sexuelles et l’omerta du milieu du cinéma (Sofiane Bennacer, Gérard Depardieu…), cette prise de position puissante fera, sans nul doute, une nouvelle fois du bruit.

 

Légende photo : Adèle Haenel, en mai 2022. (Anna Margueritat/Hans Lucas. AFP)

No comment yet.