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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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Romeo Castellucci et son « Or du Rhin » magistral et transcendant, à Bruxelles

Romeo Castellucci et son « Or du Rhin » magistral et transcendant, à Bruxelles | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Aude Roux (Bruxelles, envoyée spéciale) dans Le Monde - 28 octobre 2023

 

Après un « Parsifal » remarqué en 2011, l’Italien met en scène « Das Rheingold », son premier « Ring » wagnérien au Théâtre royal de La Monnaie. A suivre, « La Walkyrie », en janvier 2024.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/10/28/romeo-castellucci-et-son-or-du-rhin-magistral-et-transcendant-a-bruxelles_6197029_3246.html

Un noir comme un sang d’encre. Dans le silence pétrifié tombe des cintres un immense anneau d’or dont la longue oscillation percussive (amplifiée) ira s’accélérant jusqu’à l’immobilisation dans un fracas sec. Du ventre des contrebasses peut s’émouvoir le mi-bémol grave des origines. Déjà, le prélude de L’Or du Rhin déborde du lit de la fosse, qui s’illumine de l’intérieur : 136 mesures modulant l’accord de mi-bémol majeur qui ouvre le prologue des trois journées scéniques que seront La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux. Cela faisait plus de trente ans que le flot de la Tétralogie wagnérienne n’avait pas envahi La Monnaie de Bruxelles, qui offre à Romeo Castellucci son premier « Ring ».

Du grand Castellucci. De hauts décors d’un minimalisme superbe, des lumières d’outre-monde, une direction d’acteur stylisée. Un savant alliage de mythologies, de symboles et de visions. Comme ces silhouettes miroitantes des trois filles du Rhin dans un vaste aérosol de vapeurs luminescentes, tandis que trois danseuses dessinent des figures de naïades. Ou ce lumineux rayon laser doré caressant les corps. Des corps enluminés que le nain Alberich, courbé sous une poutrelle métallique, convoite ardemment. Mais c’est pour s’emparer de l’or du Rhin qu’il entrera dans l’eau, acquérant son pouvoir au prix du renoncement à l’amour. Une malédiction. La main « bibliquement » dressée du nain verticalisera le monde des dieux.

Décor de musée antique

Le metteur en scène italien a revêtu les divinités de longues robes noires aux allures sacerdotales. Autour d’elles, des bruits d’eau et une marée de corps humains mouvants sur lesquels elles marchent comme au passage d’un gué dans un décor immaculé de musée antique, statues et frises helléniques. Tous attendent les géants, Fasolt et Fafner, qui, pour tribut de leur titanesque travail – la construction du Walhalla –, ont exigé Freia, la déesse de la jeunesse éternelle. Privés de ses pommes, les dieux vieillissent et s’étiolent. Tandis que leurs voix chantent en coulisses, Romeo Castellucci opposera tour à tour aux colosses des dieux enfants, puis des vieillards apeurés.

 

 

Appelé à la rescousse, Loge, dieu du feu, a débarqué avec sa dégaine de touriste, chemisette et short lie-de-vin, la main brûlant d’une flamme prométhéenne – en fait, un faux bras. C’est avec ce jovial et redoutable prestidigitateur que le dieu des dieux, Wotan, descendra dans l’antre obscur d’Alberich, où des machines high-tech, courbant les barres de métal, forgent un trésor d’anneaux. Bien sûr, le stratagème ourdi par les rusés compères fonctionnera : livré, par vanité, aux métamorphoses que lui permet son nouveau pouvoir (sulfuriques lumières vertes et rougeoiements magnifiques), le nain sera capturé, puis dépouillé, tel un Adam honteux chassé du Paradis terrestre. La scène suivante restera en mémoire.

 

 

Sous la défroque disgraciée du Niebelung est apparue la nudité tragique d’un homme aux proportions athlétiques (à la Michel-Ange), que les dieux supplicient sur la roue (l’anneau) après l’avoir enduit d’un visqueux liquide noir. Ils portent désormais des toges blanches. Mais ils sont marqués par la sémitique étoile noire à huit branches, symbole d’Eros et de Thanatos. Alberich se débat et maudit. Le meurtre originel de Fasolt par Fafner, géants que symbolisent d’énormes crocodiles, sera le premier d’une longue série.

 

Visionnaire sera également la « remontée » des dieux au Walhalla, chacun se jetant de dos, bras en croix, dans le vide creusé par un cercle d’or, tels des suicidés, dans la solennité des fanfares de cuivres. Les filles du Rhin pleurent au loin. Loge, sarcastique, pourlèche une assiette, refermant sur cette image enfantine l’Evangile wagnérien selon Castellucci.

 

Le directeur musical de l’Orchestre de La Monnaie, Alain Altinoglu, a déjà conduit dans la fosse bruxelloise Lohengrin (en 2018), Tristan (en 2019) et Parsifal (en 2022). Il dirige avec une fougue sensuelle, une fluidité et une finesse qui honorent la partition. Sur le plateau, le Wotan de Gabor Bretz séduit par sa prestance altière.

A ses côtés, la Fricka de Marie-Nicole Lemieux, toute de noblesse et de profondeur, à l’instar de l’Erda tragique de Nora Gubisch, tandis que l’émouvante Anett Fritsch prête à Freia son soprano tendre et vibrant. Elle est défendue par ses frères – le Froh pimpant de Julian Hubbard et le tonnant Donner d’Andrew Foster-Williams –, et saura charmer le Fasolt plus sentimental d’Ante Jerkunica face à l’implacable Fafner de Wilhelm Schwinghammer.

Si le ténor Peter Hoare offre à Mime des éclats puissants, les trois filles du Rhin (Eleonore Marguerre, Jelena Kordic et Christel Loetzsch) s’ébattent vocalement avec grâce. Mais les suffrages vont à l’Alberich de Scott Hendricks, passant avec intelligence de la vulgarité lubrique au poignant désespoir d’une âme dévastée. Même salutation pour le Loge de Nicky Spence, dont la décontraction et la versatilité manipulatrice offrent au drame un vivifiant contrepoint.

 

 

L’Or du Rhin, de Wagner, mise en scène, décors, costumes et éclairages de Romeo Castellucci. Orchestre symphonique de La Monnaie, sous la direction d’Alain Altinoglu. Avec Gabor Bretz, Andrew Foster-Williams, Julian Hubbard, Nicky Spence, Marie-Nicole Lemieux, Anett Fritsch, Nora Gubisch, Scott Hendricks, Peter Hoare, Ante Jerkunica, Wilhelm Schwinghammer, Eleonore Marguerre, Jelena Kordic, Christel Loetzsch. Théâtre royal de La Monnaie, à Bruxelles. Jusqu’au 9 novembre. De 16 € à 175 €. Lamonnaiedemunt.be

 

 

Marie-Aude Roux  (Bruxelles, envoyée spéciale)

 

Légende photo : « L’Or du Rhin », de Wagner, mis en scène par Romeo Castellucci, au Théâtre royal de La Monnaie, à Bruxelles, en octobre 2023. MONIKA RITTERSHAUS

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« Roméo et Juliette » dans l’écrin spectaculaire de Thomas Jolly à l’Opéra Bastille

« Roméo et Juliette » dans l’écrin spectaculaire de Thomas Jolly à l’Opéra Bastille | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 18 juin 2023

 

 

Absent de la scène lyrique parisienne depuis 1985, le chef-d’œuvre de Charles Gounod est présenté jusqu’au 15 juillet dans la deuxième mise en scène du Français à l’Opéra de Paris. A l’actif de la production, un couple de chanteurs exceptionnels formé par Elsa Dreisig et Benjamin Bernheim.

 


Lire l'article sur le site du "Monde": 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/06/18/romeo-et-juliette-dans-l-ecrin-spectaculaire-de-thomas-jolly-a-l-opera-bastille_6178134_3246.html

 

 

Si autour de lui ne se pressaient pas personnalités – dont la ministre de la culture, Rima Abdul Malak – et médias télévisuels, Thomas Jolly pourrait se confondre avec la juvénile assemblée réunie mercredi 14 juin à l’Opéra Bastille à l’occasion de l’avant-première jeunes – réservée aux moins de 28 ans – du Roméo et Juliette de Charles Gounod, qui sera à l’affiche jusqu’au 15 juillet. La petite quarantaine du metteur en scène français ne lui a pas fait perdre les traits de l’adolescence.

 

En 2016, la première incursion à l’Opéra de Paris de celui qui n’était pas encore le nouveau maître de la comédie musicale Starmania ou le grand chambellan des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 s’était soldée, avec Eliogabalo, de Cavalli, par un échec. Cette fois, avec Shakespeare, l’homme est sur son terrain. Il a également retenu la leçon lyrique apprise avec Fortunio, d’André Messager, à l’Opéra-Comique (2017) puis avec Macbeth Underworld, de Pascal Dusapin, au Théâtre de La Monnaie de Bruxelles (2019) : impossible de faire de l’opéra sans la musique.

 

 

 

Est-ce d’avoir trébuché en 2016 sur les marches du Palais Garnier ? Thomas Jolly s’offre une revanche avec Roméo et Juliette en conviant le spectaculaire décor du grand escalier d’apparat de l’opéra parisien (conçu par Bruno de Lavenère) monté sur une tournette. Triple volée de marches, rampes cintrées et balustrades, femmes-torchères et candélabres scénarisent tour à tour le palais des Capulet, les ruelles, les soubassements du « bâtiment » s’engouffrant sous un pont, où s’embarquera – au sens propre – le drame, du mariage secret au sépulcre en passant par le lit conjugal.

 

Après une sombre ouverture prémonitoire, qui voit des hommes en noir charger dans des charrettes les cadavres des rues victimes de la peste (Shakespeare fait brièvement allusion à l’épidémie à Vérone, précise le metteur en scène), la grammaire visuelle de Thomas Jolly s’inscrit dès la première scène du bal masqué au jardin des Capulet. Espaces fuligineux traversés d’une orgie lumineuse façon concert pop (de l’éclairagiste Antoine Travert), costumes hybridés de carnaval mêlant masques de commedia dell’arte et geste pictural, entre Bosch et Brueghel (Sylvette Dequest aux costumes), fureur épileptique des danseurs de waacking strictement chorégraphiés par Josépha Madoki sur la musique (une gestuelle volubile et violente, sensuelle, héritée des communautés gay, noire et afro-latino de Los Angeles).

De vrais moments de théâtre

Thomas Jolly l’affirme : pas question ici de livrer l’œuvre, absente au répertoire de l’Opéra de Paris depuis 1985, à une interprétation ou à une lecture nouvelle. Seulement « offrir à ce joyau du répertoire théâtral l’écrin scénique lui permettant d’être pleinement reçu ». Sans doute est-ce dans l’observance de cette prudence cardinale (d’un autre âge, même à l’opéra), autrement dit dans ce relookage « moderne » d’une vision traditionnelle que se noue le succès de la production, qui a soulevé le public d’enthousiasme.

 

 

 

Et il est vrai que les tableaux, jouant comme avec le souvenir d’illustrations d’époque, séduisent : la mutine scène du balcon, entre chien (le flirt à cache-cache des amoureux) et loup (les Capulet à la recherche de Roméo) ; la convocation de fantômes ancrés dans le réel, qu’elle soit traitée sur le mode fantastique (la danse du voile dans la Ballade de la reine Mab) ou de l’effroi – Tybalt, mort, apparaissant à l’esprit troublé de Juliette.

 

 

 

Les différentes atmosphères nocturnes, l’impressionnant réglage des combats entre mecs très énervés sont de vrais moments de théâtre. Tout comme le facétieux ballet des mariées derviches tourneurs, la sèche gifle de Capulet jetant à terre son enfant récalcitrante, ou encore l’effigie mortuaire de Juliette dans son flamboyant autel de bougies, avant la scène finale où seuls les candélabres brûleront dans la nuit. Thomas Jolly laisse respirer la musique, lui donne la main, la regarde s’épanouir. Il a, il est vrai, sur le plateau un couple d’amants resplendissant de jeunesse et de vie, de passion et de poésie.

Force et ferveur

A la tête de cette distribution qui fera date, le Roméo de Benjamin Bernheim tutoie les étoiles. Puissance, ampleur, finesse, élégance (un « Ah, lève-toi soleil » d’anthologie), le ténor français est dans la plénitude de ses immenses moyens. Son intelligence dramaturgique, sa grâce émouvante, et la séduction naturelle d’un timbre rond et soyeux enchantent. La Juliette d’Elsa Dreisig, qui fait ici une prise de rôle, est de la même eau. Gracieuse et fraîche, fragile et déterminée, elle partage avec Bernheim une intelligibilité prosodique rare, jusque dans de lumineux aigus portés avec force et ferveur.

 

Du côté de leurs partisans, la Gertrude de caractère de Sylvie Brunet-Grupposo s’impose sans caricature tandis que le frère Laurent de Jean Teitgen confère au religieux une sorte de componction compassionnelle. Si le Mercutio d’Huw Montague Rendall tient sans faiblir son rôle hargneux de petite frappe, le Tybalt déjanté de Maciej Kwasnikowski se dressera sur les ergots d’une intonation un peu haute dans les aigus. Patriarche inflexible, le père Capulet de Laurent Naouri a la vocalité de pierre qui tuera sa fille. Quant au Stephano gavroche de l’irrésistible Lea Desandre, il fera tout simplement un tabac.

 

 

Quelques décalages dans les chœurs aux taquets rappelleront que cette soirée était encore une ultime séance de travail. Dans la fosse, la direction de Carlo Rizzi se révélera aussi attentive à soutenir les voix que la richesse dramaturgique d’une partition qui signa en 1867 le dernier grand succès de Charles Gounod.

 

 

Roméo et Juliette de Charles Gounod. Avec Elsa Dreisig, Benjamin Bernheim, Laurent Naouri, Jean Teitgen, Thomas Jolly (mise en scène), Bruno de Lavenère (décors), Sylvette Dequest (costumes), Antoine Travert (lumières), Josépha Madoki (chorégraphie), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Paris, Carlo Rizzi (direction). Opéra Bastille, Paris. Jusqu’au 15 juillet. Operadeparis.fr

 

 

Transmission en direct le 26 juin à 19 h 30 sur Culturebox (France.tv) et dans les salles UGC, CGR et des cinémas indépendants en France et en Europe. Le 8 juillet, à 20 heures, sur France Musique.

 

 

Marie-Aude Roux / Le Monde 

 

Légende photo :

« Roméo et Juliette », mis en scène par Thomas Jolly, à l’Opéra Bastille, à Paris, le 12 juin 2023. VINCENT PONTET/ONP
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« La fermeture des opéras n’est pas inéluctable »

« La fermeture des opéras n’est pas inéluctable » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune de Thomas Dollé publiée dans Le Monde  - 19/02/23

 

La crise que traversent les maisons d’art lyrique, dont certaines vont jusqu’à suspendre leur activité, n’est pas seulement conjoncturelle. Leur modèle économique est obsolète et inadapté aux défis actuels, estime Thomas Dolié, chanteur lyrique dans une tribune au « Monde ».

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/19/la-fermeture-des-operas-n-est-pas-ineluctable_6162469_3232.html

Le 19 décembre 2022, un collectif d’élus locaux associé au syndicat Les Forces musicales signaient dans Le Monde une tribune alarmante. « 89 % de nos maisons s’apprêtent à suspendre leur activité, à couper une partie de leur programmation dès 2023. Certaines (…) pour des mois. » En cause, l’inflation des prix de l’énergie qui ruine les collectivités territoriales. Ces élus en appellent donc à l’Etat et à sa capacité à s’endetter pour assumer la hausse des subventions indispensable. Ils alertent la ministre de la culture : « Sans un réveil immédiat du ministère, nos maisons ne pourront que réduire leur activité ou fermer leurs portes ponctuellement. »

 

S’il ne fait aucun doute qu’une aide importante de l’Etat serait bienvenue, nous ne saurions en rester là. La situation critique des opéras et orchestres, la forte baisse du nombre de représentations, la chute de l’emploi artistique, les difficultés à élargir le public ne datent pas de la guerre en Ukraine ou du Covid-19. Certains s’inquiètent depuis longtemps des conséquences prévisibles d’un modèle économique obsolète et de pratiques inadaptées aux défis actuels.

 

La situation actuelle ne devrait surprendre personne. La fermeture des opéras est en réalité inscrite dans la logique de leur organisation. En effet, contrairement aux autres formes de spectacle vivant, l’opéra est organisé de telle sorte que la durée de vie des spectacles ne dépend pas de la demande du public. Une représentation coûte bien plus cher que les recettes de billetterie d’une salle pleine. Les subventions viennent combler ce déficit. On joue donc tant qu’on peut payer et non tant qu’il y a du public.

 

Les opéras sont des géants dont l’activité est structurellement limitée, car directement corrélée au niveau des subventions. Seule leur hausse permettrait un véritable élargissement du public. Or, ce sont déjà les premiers postes de dépenses culturelles des villes. De plus, en raison de coûts de fonctionnement importants, la moindre baisse de subventions a des effets disproportionnés sur la programmation, seule variable d’ajustement. La flambée des factures d’énergie accentue le problème jusqu’à envisager des fermetures temporaires, poussant les théâtres à se tourner vers l’Etat.

Alimenter un modèle imparfait

Mais est-ce la solution ? Un modèle aussi limitant, aussi dépendant de la hausse des subventions est-il viable dans une conjoncture de crise permanente (économique, sanitaire, géopolitique, climatique…) ? Quand la crise climatique réclame des investissements massifs, quand nos concitoyens comptent chaque euro pour se chauffer ou se nourrir, quand les services publics craquent, est-il raisonnable, osons le mot, est-il décent de réclamer toujours plus d’argent public pour l’opéra, un art certes merveilleux, mais à l’accès structurellement restreint et aux tarifs souvent prohibitifs ?

 

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés « L’art lyrique joue un rôle fondamental de miroir tendu à notre société »

En réclamant d’alimenter toujours plus un modèle aussi imparfait, ne sommes-nous pas, comme disait Bossuet, en train de chérir les causes dont nous pleurons les conséquences ?

 

Le cœur du problème tient donc dans le différentiel important entre le coût d’une représentation et ses recettes. Or, le fait est que de nombreuses solutions existent pour le réduire, voire l’inverser : imposer des contraintes de budget ou de soutenabilité pour les mises en scène, plafonner les plus hauts salaires ; planifier des tournées dans des villes n’ayant pas d’opéra et rémunérer les artistes non permanents au mois et non au cachet ; développer l’emploi permanent artistique et technique afin de jouer davantage à coût constant ; selon les cas, développer l’emploi permanent des chanteurs solistes ; utiliser ces forces permanentes pour des actions publiques… Les pistes sont nombreuses et peuvent s’adapter à chaque structure.

Précarité structurelle

Le constat alarmant des élus est indéniable mais trop parcellaire. Les solutions doivent être plus audacieuses, car le problème est bien plus profond. Les quelques gagnants du système, ces « stars » de l’opéra, artistes ou directeurs et directrices, cumulards aux salaires vertigineux et dont les trains de vie somptuaires s’étalent dans la presse, sont autant un symptôme de ce dysfonctionnement que la paupérisation grandissante de la masse des artistes et techniciens.

Pour quelques stars, combien d’artistes épuisés par des répétitions compactées, par les représentations enchaînées, par les voyages incessants, par l’éloignement permanent de leurs familles ? Combien de talents perdus sans travail, parfois dès la fin des études, du fait de la baisse d’activité générale ? Dans un marché du travail aussi tendu, fait de précarité structurelle et de « subjectivité artistique », combien de situations de harcèlement, d’abus de pouvoir, de violations du droit du travail ou des règles de sécurité ? Faudra-t-il attendre des incidents toujours plus graves pour enfin repenser tout cela ?

Aucun artiste n’a signé la précédente tribune. Que les auteurs n’y aient pas songé ou qu’ils aient refusé est significatif. Les artistes ne réclament pas davantage de subventions. Ils sont bien plus connectés à la société qu’on le pense et ont conscience des réalités de leur métier. Ils veulent travailler dans de bonnes conditions, faire de beaux spectacles, convaincre de nouveaux publics de venir partager leur passion. Les artistes voient tous les jours qu’il ne faut pas plus d’argent pour cela. Il faut précisément ce qu’ils ont à offrir : de la créativité.

 

 

« Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou », écrivait le psychologue Abraham Maslow. Mesdames et Messieurs, directrices, directeurs et élus, Mme la ministre de la culture, lâchez donc votre marteau et écoutez les artistes ! Pour retrouver une activité artistique intense dans nos opéras et pour que s’y développe un véritable opéra populaire, ils sont davantage prêts à tout changer que vous ne le pensez ! Et vous ?

 

 

Thomas Dolié est baryton. Il a été récompensé aux Victoires de la musique classique en 2008 dans la catégorie « révélation lyrique »

 

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Opéra : Phia Ménard a placé « Les Enfants terribles » en Ehpad

Opéra : Phia Ménard a placé « Les Enfants terribles » en Ehpad | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Aude Roux (Rennes, envoyée spéciale) dans Le Monde, publié le 26/11/2022

 

La première mise en scène d’art lyrique de la performeuse et jongleuse confère une revigorante radicalité au troisième des opéras de Philip Glass d’après Jean Cocteau.


Lire l'article sur le site du Monde 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/11/26/opera-phia-menard-a-place-les-enfants-terribles-en-ehpad_6151794_3246.html

 

Un train de trois pianos lancé sur une tournette extérieure, à l’intérieur ; un manège en sens inverse ; au centre, la valse centrifuge d’une chambre d’hôpital aux persiennes blanches : imaginé par Phia Ménard, ce triple dispositif met en scène et en mouvement la scénographie des Enfants terribles (1996), de Philip Glass, troisième des ouvrages consacrés par le compositeur américain à Jean Cocteau, après Orphée (1993) et La Belle et la Bête (1994). Vertige, vitesse, hypnose, les boucles répétitives de la musique propulsent un synopsis qui emprunte également au film éponyme de Jean-Pierre Melville (1950), relatant la violence d’un huis clos qui voit s’aimer et se détruire Elisabeth et son frère Paul. Un jeu dangereux dès lors que Paul tombera amoureux d’Agathe, double féminin du fascinant Dargelos qui l’a blessé alors qu’il était enfant, déclenchant le tragique passage à l’acte d’Elisabeth.

 

Les lumières d’Eric Soyer habillent le drame d’un étrange réseau d’ombres

 

La performeuse, jongleuse, chorégraphe et metteuse en scène, dont c’est la première incursion à l’opéra, a eu l’idée transgressive de replacer le quotidien fantastique et onirique des adolescents dans un Ehpad. Dans leurs vêtements d’intérieur surannés, ces enfants terribles sont de vieux enfants – Paul est en fauteuil roulant, livré aux maltraitances de sa sœur –, dont le jeu consiste à chausser des casques de réalité virtuelle, histoire de convoquer le temps de leur jeunesse. Ils sont veillés et surveillés par des pianos infirmiers, tandis qu’un comédien se fait tour à tour narrateur, médecin ou animateur (séance de pliage d’origamis), voire clone de Cocteau.

 

 

Les lumières d’Eric Soyer habillent le drame d’un étrange réseau d’ombres. Particulièrement frappant, le tournis affolé des dernières scènes, avec ses personnages costumés par Marie La Rocca en éléments de décors rappelant les pièces d’un jeu d’échecs. Paul et sa tour mauve de Moyen Age, Elisabeth en méchante reine des neiges, Gérard harnaché en cheval de parade rouge, Agathe en dame de cour déjantée aux couleurs de la folie. Le chaos accueillera la fin de Paul et Elisabeth.

Relation toxique

Sur leurs claviers numériques, les trois pianistes Flore Merlin, Nicolas Royez et Emmanuel Olivier (également directeur musical de la production) déroulent le continuum consonant de Glass dans une uniformisation de couleurs et de nuances propre à soutenir de manière presque oraculaire l’implacable progression du drame. Générale, la sonorisation expose particulièrement les voix, déjà très sollicitées par une écriture atonale, à rebours de la prosodie, comme si le compositeur francophile avait voulu illustrer dans la chair des mots la relation toxique entre les protagonistes.

Elisabeth très engagée scéniquement, Mélanie Boisvert compense un timbre acidulé par une incarnation vocale énergique et soutenue, cependant qu’Olivier Naveau dessine un Paul doloriste et résigné. Si le Gérard de François Piolino reste un peu falot, Ingrid Perruche campe une Agathe solide à la voix charnue.

 

Le comédien Jonathan Drillet observe une remarquable variété de tons

 

Quant au comédien Jonathan Drillet, il observe une remarquable variété de tons, même si le long passage où il présente l’extrait d’une interview réalisée par le poète français en 1962, Jean Cocteau s’adresse à l’an 2000, nous a semblé un peu déconnecté. Peut-être parce qu’en évoquant, entre peur de la robotisation et vœu pour l’humanité, un monde bien réel, il brisait en quelque sorte le pacte onirique de la musique.

 

D’ores et déjà programmés dans une dizaine de lieux, ces Enfants terribles, nouvelle production de la Co[opéra]tive, consortium de six scènes nationales et opéras fédérés depuis 2014 afin d’assurer un plus grand rayonnement à l’art lyrique, continueront de tourner. Après Quimper et Rennes, ils rayonneront d’abord à Tourcoing (Nord), Dunkerque (Nord) et Compiègne (Oise) puis, en 2023, à Besançon, Clermont-Ferrand, Grenoble, Bruxelles et Bobigny (Seine-Saint-Denis).

 

 

Les Enfants terribles, de Philip Glass. Avec Mélanie Boisvert, Olivier Naveau, Ingrid Perruche, François Piolino, Emmanuel Olivier, Flore Merlin, Nicolas Royez (pianos numériques), Phia Ménard (mise en scène et scénographie), Eric Soyer (création lumières), Marie La Rocca (costumes), Jonathan Drillet (dramaturgie). Opéra de Rennes, le 16 novembre.

 

 

Prochaines représentations : les 26 et 27 novembre à Tourcoing (Nord) ; les 1er et 2 décembre à Dunkerque (Nord) ; le 7 décembre à Compiègne (Oise) ; les 10 et 11 janvier 2023 à Besançon (Doubs) ; les 17, 19 et 20 janvier 2023 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; les 1er et 2 février 2023 à Grenoble (Isère) ; les 10 et 11 février 2023 à Bruxelles (Belgique) ; les 23, 24 et 26 février 2023 à Bobigny (Seine Saint-Denis).

 

 

Marie-Aude Roux  (Rennes, envoyée spéciale) / Le Monde 

 

Légende photo « Les Enfants terribles », de Philip Glass, dans une mise en scène de Phia Ménard, lors de la répétition générale au Théâtre de Cornouaille à Quimper, le 7 novembre 2022. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

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Natalie Dessay : « Je me suis réconciliée avec ma voix »

Natalie Dessay : « Je me suis réconciliée avec ma voix » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Marie-Aude Roux dans Le Monde 26/02/2021

 

 

En vingt ans de carrière, la cantatrice, qui a arrêté de chanter à l’opéra en 2013, a définitivement marqué le monde de l’art lyrique. Erato publie l’intégrale de ses enregistrements, soit 33 CD et 19 DVD.

Il y a juste trente ans, une voix nous était née. De l’allure, de l’allant. Des aigus aussi purs que des sommets alpins, quelque chose de fruité dans le timbre, une musicalité frémissante, une présence magnétique. La colorature Natalie Dessay stupéfie, étonne, enchante. Sa Reine de la nuit transformera à jamais le personnage mozartien, pétri de douleur et d’humanité. Sa Lakmé porte un rêve éveillé. Rien de simple pourtant. La cantatrice, devenue belcantiste, aspire à des rôles plus tragiques – Lucia, La Sonnambula. L’opéra français lui offre Manon, elle poussera jusqu’aux limites de La Traviata.

 

Lire l’entretien avec Natalie Dessay : « Quand on cherche la beauté absolue, on n’en a rien à foutre du reste »

Au début des années 2000, après deux opérations sur les cordes vocales, Natalie Dessay envisage peu à peu la fin de sa carrière lyrique. Elle y mettra un point final en 2013 au Théâtre du Capitole, à Toulouse, avant de se tourner vers le théâtre (un amour de jeunesse), le jazz auquel l’a initiée son mari, le baryton Laurent Naouri, et la chanson française, notamment auprès de son ami Michel Legrand. A 55 ans, la chanteuse, qui n’a jamais cessé de donner des récitals avec le pianiste Philippe Cassard, fourmille de projets. Bonne nouvelle : le confinement lui a enfin permis de faire la paix avec ce qu’elle appelait sa « voix de folle ».

Lire le récit (en octobre 2013) : Natalie Dessay met sa voix en sourdine

Warner salue vos vingt ans de carrière dans l’opéra avec un coffret de 33 CD et 19 DVD. Que ressentez-vous ?

Une certaine fierté. Je me dis que j’ai fait quelque chose dont il restera une trace. D’ailleurs, quand je m’entends par hasard à la radio, je trouve ça plutôt pas mal. Ce coffret tombe d’autant plus à point nommé que je me suis réconciliée avec ma voix, et me souviens surtout des bonnes choses. A l’époque, malgré le succès, je n’en avais pas conscience. J’aurais bien aimé le savoir, en profiter, avoir l’esprit plus tranquille.

Quelques-unes, parmi les bonnes choses ?

Les quatre ou cinq productions avec Laurent Pelly – nous avons travaillé dans une complicité joyeuse. La Traviata, avec Jean-François Sivadier, et sa façon très ludique de diriger les acteurs. La Lucia, avec Andrei Serban, qui était un facétieux, un original, un provocateur. Et puis Robert Carsen : La Flûte enchantée,   AlcinaLes Contes d’Hoffmann. Il y a très peu de déchets.

Vous avez arrêté en 2013. Aucun regret ?

Non. Le chant, c’est un métier de jeunes. D’ailleurs, je l’ai fait pour incarner des personnages, pas tellement pour faire de la musique. Et puis, je ne me suis pas arrêtée de chanter…

Oui, des lieder allemands, de la mélodie française, du jazz, de la chanson. Toujours aussi stressée à l’idée d’être en scène ?

Les concerts, c’est resté très compliqué, même le jazz ou la chanson car on ne répète pas beaucoup. Par contre, au théâtre, le fait d’avoir beaucoup travaillé en amont m’aide. Mais j’aime surtout les répétitions : déjà à l’opéra, ce temps, toujours trop court à mon gré, était celui que je préférais.

 

Lire l’entretien avec Natalie Dessay (en avril 2016) : « Au moins, au théâtre, j’éprouve »

Vous avez recommencé à chanter avec votre voix lyrique ?

Depuis la pandémie, je me suis remise à travailler ma voix, que j’avais laissée en jachère depuis sept ans, me contentant de maintenir un niveau suffisant pour les concerts avec le pianiste Philippe Cassard. Le fait d’avoir participé au spectacle d’Amos Gitaï, Exils intérieurs, à l’automne 2020 au Théâtre de la Ville – je chantais et disais des textes –, m’a donné un coup de fouet. J’ai demandé à mon mari, le baryton Laurent Naouri, de me refaire travailler. Et j’ai enfin récupéré cette première octave grave de ma tessiture, qui m’échappait totalement. Je peux désormais chanter le Ch’io mi scordi di te ? de Mozart ou Pleurez mes yeux du Cid de Massenet. Tout comme La Mort d’Isolde de Wagner que j’ai fait en concert avec piano, et que je ne chanterai par contre jamais avec orchestre.

Ce coffret incite à revenir sur le déroulé de votre carrière. Comment se sont passées vos années d’apprentissage ?

Je fais partie de ceux qui ont beaucoup travaillé. Je ne connais personne qui se maintienne à un certain niveau sans travailler. Mais cela se fait plus ou moins dans la joie. Pour moi, c’était douloureux. Certes, j’avais un don, mais une toute petite voix et pas de médium. Je n’avais pas la vocalise facile : je n’ai jamais fait de Rossini par exemple, et pas beaucoup de Mozart seria. Ce qui m’allait était le bel canto et Haendel, que je n’ai pas assez chanté, hélas.

Votre carrière a démarré après votre succès au concours Mozart de Vienne en 1990. Quels rapports entretenez-vous avec ce compositeur ?

C’est toujours un compagnon de route, une musique qui me fait du bien. Quant à la Reine de la nuit, je l’ai chantée comme si je devais la jouer, refusant de protéger ma voix dans le récitatif pour préserver l’air. La colère peut faire de nous des monstres. Je voulais garder une voix grave et criée afin de mieux atteindre quelque chose de surhumain dans les vocalises.

Vous avez fait vos adieux avec Massenet en 2013. Quel rôle l’opéra-comique français a-t-il joué dans votre carrière ?

C’était mon répertoire naturel et j’adorais chanter en français. Mon seul regret dans le sublime enregistrement de Lakmé, de Delibes, avec l’Orchestre du Capitole sous la direction de Michel Plasson, c’est d’avoir roulé les « r ». Certes, cela facilite l’émission vocale, mais ça fait vieillot. Roberto Alagna, par exemple, n’a jamais roulé les « r », et c’est magnifique.

 

Lire le portrait (en juillet 2018) : Aix-Avignon, Natalie Dessay saute le pont

Pourquoi détestiez-vous votre voix ?

Je ne la déteste pas : elle ne m’a pas permis de m’exprimer comme je l’aurais voulu. J’aurais préféré – au hasard ! – la voix d’Anna Netrebko, qui a débuté avec presque une voix légère, et chante maintenant Aïda. Elle a pu balayer le répertoire. Moi, je suis restée à la marge, malgré tout. Malgré Lucia, La Sonnambula, La Traviata, ou Manon.

Déplorez-vous toujours de ne pas avoir chanté la « Lulu » de Berg ?

Je n’en ai pas eu le courage. C’était trop difficile à apprendre. J’ai commencé la musique trop tard. J’ai fait un peu de piano et, à 20 ans, un an de solfège pour chanteurs. J’ai dû tout apprendre en même temps, le chant, la musique. C’est même étonnant d’y être arrivée si vite. Dans ma famille, on allait voir des ballets parce que je faisais de la danse. Le premier titre que j’ai vu à l’Opéra de Bordeaux, c’est Tristan. J’avais 15 ans et j’ai détesté.

Dans le coffret figurent les versions française et italienne de « Lucia di Lammermoor », de Donizetti. Pourquoi avoir choisi de l’interpréter d’abord en français ?

Par manque de confiance. Je ne me pensais pas suffisamment armée pour me confronter directement à la version italienne. Et aussi pour faire mon originale ! Mais c’était une très mauvaise idée : la parole française sur cette musique italienne, cela ne va pas.

Savez-vous pourquoi, à l’orée des années 2000, vous avez déclenché coup sur coup un œdème et un nodule sur les cordes vocales ?

Parce que je souffrais psychologiquement. Mais ces deux opérations m’ont permis de mettre les choses en perspective. J’ai commencé à me dire que c’était possible d’arrêter de chanter. Je me suis certes rééduquée, mais n’ai jamais plus retrouvé vocalement une sensation d’insouciance.

Comment analysez-vous, avec le recul, les rapports conflictuels que vous entreteniez avec le monde de l’opéra ?

Comme toutes les passions, c’est violent. Beaucoup de choses me tiraillaient. Une frustration par rapport à ma voix. Une frustration par rapport au théâtre, même si je sais désormais qu’on ne peut pas jouer de la même façon à l’opéra et au théâtre. L’art lyrique est un métier qui vous absorbe et vous empêche de vivre. Je ne l’acceptais pas. Je vais jusqu’à employer le mot « sacrifice ». Pour ce qui concerne la vie familiale, en tout cas. J’ai eu la chance d’avoir un mari qui a su pallier mes absences. On essayait de ne jamais partir ensemble. Le fait aujourd’hui de faire de la musique avec lui et mes deux enfants, c’est un sacré retournement de situation !

Justement, parmi vos nombreux projets, celui d’un spectacle à quatre voix avec Laurent Naouri, Neïma et Tom. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’aimerais faire quelque chose dans le genre famille von Trapp [la famille de la chanteuse autrichienne Maria Augusta von Trapp, dont l’autobiographie inspira, en 1965, le film de Robert Wise La Mélodie du bonheur]. J’ai trouvé un superbe arrangement pour quatre voix de Smile par Ben Bram, et je voudrais qu’avec mon mari, ma fille Neïma, qui va sortir un disque avec les Voice Messengers, et mon fils Tom, qui chante et joue du saxophone, on monte quatuors vocaux, trios, duos et solos. Le plus difficile était de réussir à attraper les enfants. Mais on a eu un allié avec le Covid-19.

 

Grand coffret Natalie Dessay  The Opera Singer, 33 CD et 19 DVD Erato/Warner Classics. Petit coffret Natalie Dessay  A l’opéra, 3 CD Erato/Warner Classics.

 

Marie-Aude Roux

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Opéra : « La Clémence de Titus » de Mozart au tribunal de Milo Rau

Opéra : « La Clémence de Titus » de Mozart au tribunal de Milo Rau | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 23 février 2021

 

Le Grand Théâtre de Genève a accueilli une version jouée à huis clos sous la direction de Maxim Emelyanychev, à voir en replay sur différentes plates-formes.

 

Elle a été sauvée de la grande faucheuse pandémique qui a d’ores et déjà coupé l’herbe sous le pied du Candide de Bernstein, ou de Parsifal, espéré à la fin du mois de mars (le gouvernement suisse vient de prolonger la fermeture des établissements culturels jusqu’au 1er avril), cette nouvelle production très attendue de La Clémence de Titus, de Mozart, dont la générale s’est tenue, mercredi 17 février, au Grand Théâtre de Genève, le temps d’une captation sur Mezzo Live TV. D’autant plus attendue que le directeur de l’institution, Aviel Cahn, en a confié la mise en scène à son compatriote suisse, Milo Rau. Une première incursion dans le domaine lyrique pour l’essayiste, réalisateur et metteur en scène bernois, directeur du théâtre NTGent à Gand (Belgique) depuis 2018.

 

Lire le portrait (en mars 2015) : Milo Rau, metteur en scène de notre temps

Milo Rau n’allait pas abandonner l’axe socio-historique qui fonde son travail de dénonciation politique depuis quinze ans – des derniers jours des époux Ceausescu au génocide rwandais, de la guerre civile congolaise à un crime homophobe en Belgique, en passant par la tuerie de Breivik en Norvège. Nulle clémence donc pour cet ultime opera seria mozartien que traverse l’idéal éclairé du Siècle des Lumières : un despote survit à une tentative d’attentat et s’ouvre à la clémence en pardonnant aux criminels. Pour Rau, un « simulacre de tolérance car la clémence est seulement possible dans un régime absolutiste ». La messe est dite.

 

Lire l’entretien avec Milo Rau, metteur en scène (en septembre 2019) : « Si Jésus vivait aujourd’hui, il serait du côté des migrants »

Dans un décor de bidonville vit et meurt le peuple des miséreux que réprime, voire exécute, la milice armée de Titus, un aréopage d’esthètes, d’artistes et d’intellectuels rassemblés devant la monumentale façade néo-classique d’un bâtiment qui s’apparente à la Haus der Kunst munichoise. Coups de feu, arrestations, sévices, exécution (une très réaliste pendaison avec deux circassiens) rythment la route mozartienne qui charrie pêle-mêle, avec un système incursif de vidéos et caméras au plateau, rites sacrificiels humain et animal, rituel de guérison chamanique africain sans oublier les références vivantes à l’art que sont ces tableaux de miséreux tels Le Radeau de la Méduse, de Géricault, ou La Liberté guidant le peuple, de Delacroix.

 

« Comment peut-on transformer la douleur des autres en art ?, s’interroge Milo Rau. Dans La Clémence de Titus, je veux montrer que les élites transforment leurs émotions (intimes) en art (qu’on peut même acheter), puis en produit purement commercial. L’art me permet la dialectique entre ces mondes. » Une immense banderole « Kunst ist Macht » (« l’art est pouvoir ») ne quittera d’ailleurs pas le fronton de la scène.

Récits biographiques

Difficile, on l’imagine, d’afficher des positions aussi tranchées sans distordre le propos mozartien. Pour convaincre, Milo Rau aurait dû opérer le même traitement radical sur le plan musical. A quoi bon en effet conserver la quasi-intégralité de la partition si c’est pour lui imposer un processus qui se contente de « déconcerter » la musique, la réduisant parfois à une forme de silence visuel ?

Peut-on vraiment entendre le repentir de Vitellia alors que défilent sur grand écran les visages de dix-huit figurants, pour la plupart des immigrés, tous vivant à Genève, dont les récits biographiques parlent de viol, de séparation, de guerre et de déracinement ? La même déclinaison du réel avait fait irruption pour ce qui concerne les chanteurs, ainsi pour le ténor Bernard Richter, l’allusion à la mort brutale de son père à ses côtés devant un match de foot à la télé.

Les auditeurs ne pourront qu’apprécier une partie musicale servie par la direction engagée du jeune Maxim Emelyanychev, également maître absolu du récitatif

Les auditeurs ne pourront qu’apprécier une partie musicale servie par la direction engagée du jeune Maxim Emelyanychev, également maître absolu du récitatif qu’il accompagne au pianoforte, portant avec fougue et élégance les Chœurs du Grand Théâtre et l’Orchestre de la Suisse romande à leur meilleur.

Même constat pour le casting vocal que dominent le Sesto passionnel et brasillant d’Anna Goryachova, la tragique et adamantine Vitellia de Serena Farnocchia, tandis que la délicieuse Servilia de Marie Lys, l’Annio sincère de Cecilia Molinari et le Publio de Justin Hopkins sont droits dans leurs bottes. Titus de soleil noir, Bernard Richter est un empereur romain au lyrisme rayonnant, à la stylistique impeccable, doté de surcroît d’un physique de (toujours) jeune premier. Le spectacle finira comme il a commencé, dans les chants d’oiseaux d’un monde post-apocalyptique, enfin débarrassé de l’humanité.

 

 

La Clémence de Titus, de Mozart. Grand Théâtre de Genève (Suisse). Diffusion en différé sur GTG digital jusqu’au 28 février, sur Mezzo Live HD, les 13, 14, 19, 24, 25 et 26 mars, sur RTS Espace 2, le 27 mars à 20 heures, sur RTS TV, le 22 avril à 22 h 45.

 

Marie-Aude Roux(Genève (Suisse), envoyée spéciale)

 

Légende photo : « La Clémence de Titus », de Mozart, mise en scène par Milo Rau au Grand Théâtre de Genève, en février 2021.  CAROLE PARODI

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Trois questions à Olivier Mantei, directeur de l’Opéra-Comique

Trois questions à Olivier Mantei, directeur de l’Opéra-Comique | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Jean Couturier dans Théâtre du blog - 17 avril 2020

 

Trois questions à Olivier Mantei, directeur de l’Opéra-Comique

Le 13 mars, arrêt brutal des spectacles en France et dans toute l’Europe. En 2019, Joël Pommerat dans L’Inondation, mettait en scène plusieurs familles menacées par la montée des eaux d’un fleuve et cloîtrées chez elles, dans un immeuble dont on voyait trois niveaux. Prémonitoire…

 

-Comment vivez-vous personnellement et comme directeur de théâtre cette situation dramatique ?

- O. M. : Les dernières créations que nous avions programmées annonçaient toutes la fin du monde, à leur manière. Fosse, L’Inondation, Macbeth… L’opéra a toujours été un écho de l’Histoire et de la société qu’il traverse. Espérons que les prochaines raconteront un nouveau monde : ce sera le signe d’un changement. L’Opéra du XXI ème siècle doit nous rassembler : manifestement, il sera sociétal.

 -L’Operaoké est de retour sur votre site. Comment accompagnez-vous vos fidèles spectateurs, isolés chez eux dans cette période difficile ?

-O.M : Cette œuvre virtuelle est une manière de chanter ensemble mais à distance. Nous l’avions inventée en 2016, pendant la fermeture pour travaux et nous nous étions réunis sur un grand espace vert. C’était l’époque des grands rassemblements mais il y en aura certainement d’autres! En attendant, l’heure n’est pas à la déconnexion. Alors retrouvons-nous sur le site de l’Opéra-Comique pour nous exercer aux tubes du répertoire. Chacun pourra poster sa vidéo…

 -Cette crise mondiale a révélé les fractures de notre système à tous les niveaux de la société, quelle solution le monde artistique peut-il apporter aujourd’hui ?

-O.M. : ll va être intéressant de mesurer une nouvelle fois la place de la culture dans notre société, au-delà des mots et des postures. Si nous la considérons comme une activité essentielle et prioritaire, au même titre que l’éducation, la santé, l’agro-alimentaire, elle jouera pleinement son rôle  quand nous prendrons conscience de nos erreurs. Et de nouveaux enjeux  s’ouvriront alors à nous. Nous avons l’intelligence de comprendre la situation. Aurons-nous la maturité de nous y adapter ? La culture peut être utile à cet endroit.

 Propos recueillis par Jean Couturier

 Opéra-comique.com

 

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The Rake's Progress de Stravinsky par David Bobée

The Rake's Progress de Stravinsky par David Bobée | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Christophe Candoni dans Sceneweb


Directeur du Centre Dramatique de Rouen, David Bobée signe sur ses terres normandes sa première mise en scène d’opéra avec The Rake’s progress répété et créé à Caen avant une tournée en France et au Luxembourg. L’opéra libertin de Stravinsky y est transposé dans le monde du libéralisme en crise.

Très éloigné de l’univers pictural de Hogart dont les gravures ont inspiré le compositeur, la mise en scène de David Bobée recontextualise l’opéra dans un univers matérialiste. L’oeuvre perd en poésie facétieuse et débridée ce qu’elle gagne en brutale actualité. Passant du bordel à la banque, le débauché Tom Rakwell, qui dès son premier air soupire « I wish I had Money », endosse le costume d’un trader qui rappelle le Macbeth de Verdi mis en scène par Ivo van Hove à l’Opéra de Lyon.

Sur un plateau nu à la froideur mortifère, la City s’affiche en grand format comme les cours de la Bourse. Le Shard domine la Tamise sous un lourd ciel gris et la ville se manifeste par la marche frénétique d’un chœur toujours en mouvements. Des silhouettes et visages, divers et brassés, se multiplient pour former un melting-pot culturel, une foule grouillante dans laquelle Anne, en petite robe saumonée, se trouve fragile et égarée. Bien que moderne et affranchie, la mise en scène de David Bobée ne rompt pas totalement avec la lecture naïve attendue et se montre parfois un peu sage. Elle dit néanmoins avec pertinence l’ambition vaine et la perdition de Tom, antihéros par excellence dont la tentation d’ascension sociale et d’argent facile cause la perte.

Créé en 1951, le dernier opéra de Stravinsky apparaît comme une œuvre hors-temps, un anachronisme, plus proche du pastiche néo-classique que des avant-gardes contemporaines à sa composition. Avec ses récitatifs accompagnés au clavecin et son écriture musicale et vocale d’inspiration mozartienne, il reste décrié bien que de plus en plus souvent joué. Pour preuve, se distinguent quelques versions de référence comme celles de Sellars, Lepage, Warlikowski ou d’Olivier Py qui assurait en 2008 l’entrée tardive de l’œuvre au répertoire de l’Opéra de Paris. Si cette production jouait à fond la carte du cabaret licencieux, celle de Bobée se montre bien moins frivole. En revanche, la partition flamboie et ne risque pas de se faire trop corseter sous la vive et flatteuse direction de Jean Deroyer, chef d’orchestre principal de l’Orchestre Régional de Normandie qui déploie des sonorités brillantes et se fait à bon escient autant lyrique qu’ironique. La distribution réunit des chanteurs homogènes et pour la plupart anglo-saxons. Vocalement, le jeune ténor Benjamin Hulett se montre clair et solide bien qu’il surjoue constamment la candeur. Face à lui, un formidable mauvais diable – car il s’agit bien d’un conte faustien – est composé par le baryton Kevin Short à la puissance écrasante. La pureté angélique du personnage d’Anne se voit gâtée par les aigus tendus de Marie Arnet dont la délicate incarnation scénique reste émouvante. En starlette à paparazzi, la Baba d’Isabelle Druet éblouit.

Christophe candoni – www.sceneweb.fr

The Rake’s Progress
opéra en trois actes
Igor Stravinsky (1882-1971)
livret Wystan Hugh Auden, Chester Kallman
créé à Venise le 11 septembre 1951
Orchestre Régional de Normandie
Chœur de l’Opéra de Limoges – direction Jacques Maresch
Jean Deroyer direction musicale
David Bobée mise en scène et scénographie

18 et 20 novembre à l’Opéra de Reims
11,13 et 16 décembre à l’Opéra de Rouen
20 et 22 janvier à l’Opéra de Limoges
3 et 5 février au Grand Théâtre de Luxembourg

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Thomas Jolly et Bertrand Bonello, deux novices à l’opéra

Thomas Jolly et Bertrand Bonello, deux novices à l’opéra | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Une déclaration de guerre un jour d’armistice ? C’est ce que pouvaient laisser accroire les deux dépêches publiées concomitamment par l’AFP, mercredi 11 novembre, annonçant l’entrée de deux personnalités artistiques, novices mais notoires, dans le monde de l’opéra. La première, qui émane de l’Opéra-Comique, concerne le metteur en scène de théâtre, Thomas Jolly, qui fera en février 2017, avec Fantasio, d’Offenbach, la réouverture de la Salle Favart, actuellement fermée pour deux ans de travaux. L’autre révèle que le réalisateur Bertrand Bonello devrait monter le Don Carlo, de Verdi, à l’Opéra de Paris, en octobre 2017.

Le metteur en scène de Henry VI contre celui de Saint Laurent ? Rien de suspect a priori. Depuis qu’il s’est ouvert au concept de mise en scène au début du XXe siècle, l’opéra a attiré les cinéastes, d’abord comme réalisateur de films d’opéra puis in scena, de Luchino Visconti à Franco Zeffirelli, en passant par Atom Egoyan, Robert Altman, Michael Haneke, Christophe Honoré ou Benoît Jacquot. De même pour les metteurs en scène de théâtre, dont il constitue aujourd’hui un paragraphe quasi obligé dans le curriculum vitae. De Giorgio Strehler à Frank Castorf, de Patrice Chéreau à Romeo Castellucci, de Robert Wilson à Dmitri Tcherniakov, même les plus réticents sacrifient à la scène lyrique.
Deux ouvertures de saison pour Jolly

Rien d’étonnant donc à ce que les noms de Bertrand Bonello et de Thomas Jolly s’ajoutent au catalogue. A ceci près : ce dernier sera, en effet, tête de liste, à quelques semaines de distance, de deux ouvertures de saison. En amont de l’Opéra-Comique, Jolly est programmé à l’Opéra de Paris dans Eliogabalo, de Cavalli, en 2016-2017 (la saison sera officiellement annoncée le 2 février 2016).

Le nouveau patron de l’Opéra-Comique, Olivier Mantei, aurait sans doute aimé rouvrir sa salle en se targuant de la première mise en scène lyrique du sieur Jolly. Mais il s’est fait griller la politesse par l’Opéra de Paris et son ancien boss aux Bouffes du Nord dans les années 2000, Stéphane Lissner. Mantei a, en effet, proposé Fantasio au jeune metteur en scène français dès l’automne 2014 alors qu’il n’était pas encore l’heureux récipiendaire des Molières d’avril 2015 pour Henry VI, de Shakespeare. Avec lui, il entend mener un travail artistique à long terme, dont le coup d’envoi aura lieu le 3 décembre prochain lors d’une première séance ouverte au public (sur réservation) avec Thomas Jolly et la mezzo Marianne Crebassa. La chanteuse assurera le rôle-titre de l’opéra tiré de la pièce éponyme de Musset, dont elle a fait une prise de rôle magistrale, il y a quelques mois, à Montpellier (dans la version de concert proposée le 18 juillet par le Festival de Radio France et Montpellier).

Lire aussi : Thomas Jolly et le roi boiteux

A l’époque, Eliogabalo était encore entre les mains d’un autre Thomas : Ostermeier. Mais l’Allemand a déclaré forfait fin 2014 pour des raisons de temps de travail insuffisant (certains metteurs en scène de théâtre s’accommodent mal du temps de répétition deux fois plus court à l’opéra qu’au théâtre, cinq à six semaines contre deux à trois mois – ce contre quoi entend précisément lutter l’Opéra-Comique). Lissner a alors pensé au jeune Jolly, avec lequel contact a été pris au printemps 2015. On imagine sans mal la tension des rapports entre les deux institutions. « Il y a eu pas mal de discussions, reconnaît Olivier Mantei. Mais ce qui compte est que les deux projets aient été validés et maintenus. » Cela promet, en tout cas, un baptême en forme de feu d’artifice pour Thomas Jolly, qui enchaînera un opéra baroque vénitien au Palais Garnier et un opéra-comique français à la Salle Favart.
L'acteur Bertrand Bonello à New York en avril 2015.
Un film sur le chœur de l’Opéra pour Bonello

Le cinéaste Bertrand Bonello, lui, n’est pour l’instant en pourparlers qu’avec l’Opéra de Paris. Au point de vendre la peau de l’ours ? L’annonce semble un tantinet prématurée à Stéphane Lissner. « Rien n’est encore acté et nous en sommes au travail préparatoire, qui doit se poursuivre, avec notre directeur musical, Philippe Jordan, dès la semaine prochaine, signale, en effet, le directeur de l’Opéra de Paris, quelque peu surpris par les propos de Katia Wyszkop, la décoratrice de Bonello pour Saint Laurent, rapportés par l’AFP. Mais Bertrand est très intéressé par l’opéra, où sa mère l’emmenait, à Nice, quand il était enfant, et il a toujours souhaité pouvoir un jour travailler sur une scène lyrique. »

Stéphane Lissner ne cache pas qu’il a été séduit par la direction d’acteurs du cinéaste, notamment dans les scènes intimistes de Saint Laurent. En attendant d’être définitivement adoubé, Bertrand Bonello s’est attelé à la commande d’une contribution pour la « 3e Scène », le grand projet numérique lancé par l’Opéra de Paris au début de l’automne : il s’agit d’un film autour du chœur de l’Opéra, celui-là même qui s’est si prodigieusement illustré dans la production du Moïse et Aaron, de Schoenberg.
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Peter Brook : Musique, maestro !

Peter Brook : Musique, maestro ! | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Fabienne Darge dans Le Monde :

 

La musique a toujours été là, pour Peter Brook. Né à Londres dans une famille juive venue de Russie, il a, enfant, appris le piano, comme il est d’usage dans la plupart des familles cultivées venues de l’est de l’Europe. Rien d’étonnant alors si, devenu le metteur en scène à la mode dans l’Angleterre de l’après-guerre, il a immédiatement été demandé à l’opéra, et pas n’importe lequel : Covent Garden, dont il sera en 1948, à 23 ans, le plus jeune directeur artistique de tous les temps.

Il n’y restera qu’une saison et en claquera la porte avec fracas. Peter Brook voulait en découdre. Le Royal Opéra a dit : « Shocking ». « Je suis entré à Covent Garden avec la ferme intention de donner à cette institution démodée et somnolente une série de chocs pour la propulser dans le présent, nous racontait-il dans un entretien en 2010. Je n’avais pas compris que j’entrais dans un univers en béton armé, où le moindre changement était inconcevable… »

Le jeune Brook secoue la vénérable maison en voulant lui imposer des mises en scène grandioses, cinématographiques. Pour Boris Godounov, de Moussorgski, il part chercher à Paris Georges Wakhevitch, qui a signé le décor du Jeune homme et la Mort, de Jean Cocteau et Roland Petit. Ensemble, ils conçoivent un dispositif monumental, dont le clou est un immense balancier de pendule qui balaie la scène.

Quelques mois plus tard, il récidive avec Salomé, pour lequel il fait appel cette fois à Salvador Dali, qui lui paraît « l’artiste vivant le plus indiqué » pour traduire l’atmosphère onirique et érotique de l’opéra de Strauss. Oh my God… « Ce fut le scandale le plus monumental de ce temps-là en Angleterre, s’amuse aujourd’hui Peter Brook. Le lendemain, j’ai pris la porte ».

« Comme un partenaire vigilant »
Brook se dit qu’il ne remettra plus jamais les pieds à l’opéra, ce monde plein de fantômes. Il y reviendra, évidemment, mais bien plus tard, et différemment. C’est qu’entre-temps son rapport au théâtre a commencé à changer, à partir de la fin des années 1950, au fil de sa réflexion sur l’« espace vide », de son travail sur Shakespeare et de ses voyages d’exploration en Afrique, en Asie et en Amérique.

A partir des années 1970, la musique devient une part intégrante de ses mises en scène théâtrales. Elle est un élément indispensable à sa conception du spectacle comme organisme vivant, et, dans l’esprit des formes théâtrales traditionnelles, elle stimule le jeu, le rythme, dialogue avec les comédiens. Brook commence à travailler avec le musicien japonais Toshi Tsuchitori, et le public des Bouffes du Nord s’habitue à le voir, bien visible à droite de la scène, avec son groupe et ses instruments bizarres, comme une composante indissociable de ce théâtre multiculturel.

« Chez Brook, la musique agit plus que nulle part ailleurs en tant que partenaire, écrit Georges Banu dans son livre Peter Brook, vers un théâtre premier (Seuil, 2005). Un partenaire vigilant qui écoute, suit, aide. Ni secondaire ni autonome, elle est un ingrédient précieux autant que nécessaire pour ce cuisinier expert auquel Brook assimile souvent le metteur en scène. »

Fort de cette évolution, Peter Brook peut alors revenir à l’opéra. Mais à son idée. A la fin des années 1970, Claude Lefort, le patron de l’Opéra de Paris, lui propose de monter De la maison des morts, de Janacek. Brook refuse. « Cela ne nous correspondait pas, nous faisions un théâtre beaucoup plus populaire. Je lui ai proposé Carmen, qui me trottait dans la tête depuis Covent Garden, et sans doute depuis plus longtemps encore, depuis ce soir de mes 10 ans où je l’avais vu à l’Opéra-Comique, lors d’un voyage à Paris avec mes parents. »

Brook pose ses conditions : il veut être responsable de l’ensemble du processus, créer Carmen chez lui, aux Bouffes du Nord, et disposer de temps pour travailler avec de jeunes chanteurs prêts à jouer autant qu’à chanter – ce qui à l’époque n’avait rien d’évident. Et ce sera, en 1981, cette Carmen qui a fait date, sensuelle et libre, avec laquelle, en compagnie du compositeur Marius Constant et de l’écrivain Jean-Claude Carrière, Brook remet à plat les règles de l’opéra, pour inventer une forme de théâtre musical beaucoup plus intime et naturel, qui aujourd’hui fait florès.

Dans cet esprit, Peter Brook a mis en scène Pelléas et Mélisande, en 1992, et, en 2010, cette très belle Flûte enchantée, aérienne et gracieuse. « Une » Flûte, et non pas « la » Flûte. Une Flûte de chambre, abordée avec la même liberté que Carmen. « Il y a chez ce dernier Mozart une humanité, une tendresse bouleversantes », s’émerveillait Brook au moment de cette création. Mozart, l’un des quatre piliers de la sagesse selon Peter Brook, avec Shakespeare, Tchekhov et Beckett. C’est lui qu’il écoute, encore et encore, dans le vaste loft près de la Bastille où il travaille. Quand il ne lui fait pas d’infidélité avec la musique indienne, évidemment…

Lire aussi : « Le Mahabharata », ou l’Inde de nos rêves :  http://www.lemonde.fr/festival/article/2015/08/06/le-mahabharata-ou-l-inde-de-nos-reves_4714077_4415198.html

Changer le monde : tel est le thème de l’édition 2015 du Monde Festival qui se tiendra les 25, 26 et 27 septembre à Paris. « Battlefield », le nouveau spectacle de Peter Brook, sera présenté dans le cadre du festival. Retrouvez le programme sur Lemonde.fr/festival

Par Fabienne Darge

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Jean-Paul Montanari : « Être curieux, c’est basculer dans l’univers de la danse »

Jean-Paul Montanari : « Être curieux, c’est basculer dans l’univers de la danse » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Hugo Polizzi - Bscnews.fr/ Dans quelques jours s'ouvrira la 35e édition du festival Montpellier Danse. Seize jours, dix-huit spectacles, des grands noms de la scène mondiale en danse contemporaine parmi lesquels Ohad Naharin, Anne Teresa de Keersmaeker, Phia Ménard, Bouchra Ouizguen, David Wampach ou encore Fabrice Ramalingom, des rencontres, des apéros-débats, des ateliers pour les festivaliers, un concours de critiques, des projections, une exposition photographique... Unique en Europe, ce festival est un souffle de vie auquel Jean-Paul Montanari se consacre depuis 1983. Directeur de l’Agora, cité internationale de la danse, depuis plus de cinq ans, il nous a accordé une interview pour évoquer le caractère exceptionnel de cette manifestation.

 

Vous organisez la programmation de la saison annuelle et celle du festival Montpellier Danse. Y a-t-il des différences d'enjeux essentielles qui influencent vos sélections de spectacles entre ces deux programmations  ?

Tout à fait, à commencer par leur histoire respective. Pendant vingt ans, il n’y avait que le festival. Un jour, mon ami René Koering, qui a fondé l’Opéra et l’Orchestre National de Montpellier, s'est vu statutairement forcé d’intégrer une rubrique danse dans sa programmation. D’un commun accord, cette rubrique a été confiée à Montpellier Danse et au Centre chorégraphique. C’est à partir de ce moment-là que la saison a été créée et nous avons créé la saison danse de l’Opéra de Montpellier. A l’époque, nous disposions de très peu de moyens pour concevoir la saison. Actuellement, je réunis autour d’une table toutes les structures qui ont envie de monter une saison danse : le Théâtre de la Vignette, humainTrophumain de Rodrigo García, l’Opéra de Montpellier, le Théâtre Jean Vilar et d’autres encore. Nous discutons de nos souhaits respectifs et additionnons nos budgets. Cela fonctionne très bien puisqu’aujourd’hui, Montpellier Danse a une « force de frappe » suffisamment importante pour remplir les salles. Voilà pour la saison annuelle. En règle générale, la saison est montée avec un financement relativement faible, sans budget de production. 

 

Lire l'article entier :

http://bscnews.fr/201506194862/danse/jean-paul-montanari-etre-curieux-cest-basculer-dans-lunivers-de-la-danse.html

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Le festin cru de "Penthesilea", un opéra ultra contemporain de Pascal Dusapin

Le festin cru de "Penthesilea", un opéra ultra contemporain de Pascal Dusapin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Fabienne Arvers pour les Inrocks :

 

Pour ses 60 ans, Pascal Dusapin signe une splendide œuvre au noir : l'opéra "Penthesilea", d'après Heinrich von Kleist, une commande de La Monnaie de Bruxelles créée le 31 mars 2015.

 

“Dévorée par la passion, rongée par le devoir, affamée par le désir” : telle est Penthésilée, la reine des Amazones, face au guerrier grec Achille qu’elle affronte durant la guerre de Troie. Mais comment traiter de la démesure en évitant le piège de la surenchère illustrative ? C’est à ce dilemme que répond magistralement Pascal Dusapin en composant son septième opéra, Penthesilea, une commande de la Monnaie de Bruxelles, sur l’un des mythes les plus terrifiants de la Grèce antique qui relate la mort d’Achille, tué et dévoré par celle qu’il aime, Penthésilée.
Peu d’auteurs se sont risqués à l’approcher et, quand ils l’ont fait, c’était au risque d’une réprobation générale. Lorsque Heinrich von Kleist s’empare du sujet pour écrire une pièce de théâtre en 1807, celle-ci fait scandale, ne sera jamais publiée de son vivant et devra attendre le XXe siècle avant d’être montée.

La dure loi des Amazones

Pour Pascal Dusapin, “l’écriture d’un opéra permet de rendre compte d’une inquiétude au monde. Quand j’ai écrit un opéra sur la Medea de Heiner Müller (déjà pour la Monnaie en 1992), j’ai pu penser aussi à la Bosnie d’alors, ravagée par la guerre. Je ne pouvais pas manquer de tisser des liens avec ce réel-là. La pièce de Kleist observe la question de l’amour au travers du filtre de la loi.” Car, si Penthésilée ne peut aimer Achille, c’est parce qu’elle ne peut aimer qu’un homme qu’elle a vaincu. Dure loi des Amazones qu’Achille essaie de contourner en lui proposant un ultime combat qu’il paiera de sa vie.

 

Lire l'article entier : http://www.lesinrocks.com/2015/04/01/arts-scenes/scenes/le-festin-cru-de-penthesilea-un-opera-ultra-contemporain-de-pascal-dusapin-11688125/#.VR6siaSRRUw.twitter

 

Penthesilea, opéra de Pascal Dusapin, d’après Heinrich von Kleist, livret de Pascal Dusapin et Beate Haeckl, direction musicale Franck Ollu, mise en scène Pierre Audi, décor Berlinde De Bruyckere. Du 31 mars au 18 avril à l’Opéra national de Bruxelles, la Monnaie Du 26 au 30 septembre à l’Opéra National du Rhin, Strasbourg, le 17 octobre, à La Filature de Mulhouse.

 

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Au Monde, opéra de Philippe Boesmans, texte et mise en scène Joël Pommerat

Au Monde, opéra de Philippe Boesmans, texte et mise en scène Joël Pommerat | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié dans La Terrasse :

L’Opéra Comique accueille la création française d’Au Monde, le nouvel opéra de Philippe Boesmans, dont le livret et la mise en scène sont signés Joël Pommerat.

© Isabelle Françaix

Au Monde est votre sixième opéra. Qu’est-ce qui vous attire dans cette forme ? Est-elle toujours d’actualité ?

Philippe Boesmans : Force est déjà de constater que les maisons d’opéras sont toujours pleines. Il y a un vrai intérêt du public et je pense qu’il est important que de nouvelles œuvres entrent au répertoire. En ce qui me concerne, je suis depuis de longue date passionné par le théâtre et son lien à la musique. On peut d’ailleurs aussi se demander pourquoi le théâtre est une forme toujours d’actualité.

« Je n’ai pas un désir de progrès de la langue musicale. Ce que je veux, c’est toucher le public. »

Dans votre langage, cherchez-vous à renouveler l’esthétique de l’opéra ?

P.B. : Je n’ai pas un désir de progrès de la langue musicale. Ce que je veux, c’est toucher le public. A mon sens, continuer dans la lignée de Schoenberg serait une erreur. Je ne cherche pas à être moderne : une œuvre est moderne si elle est de qualité. Je ne suis pas lié à une esthétique, je veux simplement être juste musicalement. Ce qui me paraît aussi essentiel, c’est que le public puisse comprendre les paroles, qu’il n’ait pas besoin de lire le synopsis avant le spectacle pour comprendre l’action.

Comment êtes-vous venu à travailler avec Joël Pommerat ?

P.B. : J’avais lu un grand nombre de ses pièces et vu plusieurs de ses spectacles. Ce qui me plaît, dans son écriture, c’est que ses pièces sont imbibées de mystère, de choses que la musique peut suggérer. Il y avait à mon avis deux pièces qui pouvaient convenir à un opéra : Au Monde et Cercle Fictions, car les personnages correspondent aux archétypes de l’opéra, par exemple avec la figure du père avec une voix grave dans Au Monde. Cette pièce, qui met en scène une grande famille, peut évoquer Tchekhov ou Maeterlinck. Par ailleurs, Pommerat est un directeur d’acteurs hors pair.

Joël Pommerat était-il intéressé par l’opéra ?

P.B. : Il aime surtout le jazz et la pop. Comme beaucoup de metteurs en scène, il trouve que l’opéra est un genre trop figé.

Allez-vous retravailler avec lui ?

P.B. : Je compose actuellement un opéra d’après son conte Pinocchio. Il sera créé en 2017 au Festival d’Aix-en-Provence.

Quel regard portez-vous sur la situation économique des opéras, et notamment dans votre pays, la Belgique, confrontée à une cure d’austérité dans le secteur culturel ?

P.B. : A partir du moment où on diminue les budgets, on touche à la liberté d’expression. A Bruxelles, le théâtre de la Monnaie, où la plupart de mes opéras ont été créés, a dû supprimer les spectacles de danse ainsi que les opéras donnés avec des ensembles sur instruments anciens. C’est regrettable.

 

Propos recueillis par Antoine Pecqueur pour La Terrasse

AU MONDE

du 22 février 2015 au 27 février 2015

Opéra Comique
1 Place Boieldieu, 75002 Paris, France

Tél. 0 825 01 01 23. Places : 6 à 110 €.

 

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Thomas Ostermeier, metteur en scène : « “L’Opéra de quat’sous” parle de notre monde actuel »

Thomas Ostermeier, metteur en scène : « “L’Opéra de quat’sous” parle de notre monde actuel » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Aude Roux dans Le Monde - 3 juillet 2023

 

 

A 54 ans, le codirecteur de la Schaubühne de Berlin livre, au Festival d’Aix-en-Provence, sa première mise en scène lyrique avec l’œuvre de Kurt Weill et Bertolt Brecht.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/07/03/thomas-ostermeier-metteur-en-scene-l-opera-de-quat-sous-parle-de-notre-monde-actuel_6180377_3246.html

Longtemps, Thomas Ostermeier a arpenté les scènes du Festival d’Avignon, où il a présenté en presque trois décennies une vingtaine de pièces de théâtre. Il avait toujours décliné toutes les propositions d’opéras. Jusqu’à celle de Pierre Audi, directeur du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) : L’Opéra de quat’sous (1928), de Kurt Weill et Bertolt Brecht. Une entrée au répertoire pour les 75 ans de la manifestation aixoise, consubstantielle du travail du metteur en scène allemand, héritier d’une tradition brechtienne, dont il se dit l’un des derniers dépositaires. Nous avons rencontré l’actuel codirecteur de la Schaubühne de Berlin à trois semaines de la première au Théâtre de l’Archevêché.

 

 

Lire le reportage lors des répétitions à la Comédie-Française : Article réservé à nos abonnés « L’Opéra de quat’sous » par la voix des comédiens du Français
 

Quelles relations entretenez-vous avec l’opéra ?

Assez complexe. J’ai toujours trouvé curieux, et un peu ridicule, qu’on regarde une tragédie et que les gens se mettent à chanter. Mais, après mon baccalauréat à Landshut, dans le sud de l’Allemagne, je suis allé à Hambourg, où j’ai travaillé pendant deux ans comme figurant au Staatsoper. Il y avait des productions comme Idomeneo, de Mozart, Tosca, de Puccini, L’Opéra de quat’sous, justement, ou Die Hamletmaschine, de Wolfgang Rihm. J’ai fréquenté les coulisses de metteurs en scène comme Harry Kupfer, Giancarlo del Monaco, Günter Krämer, Götz Friedrich. Cela m’a permis d’appréhender le fonctionnement des grosses machines du théâtre. J’ai tout de suite compris que la plus grande contrainte à l’opéra est le temps, qui n’est jamais assez long.

Un facteur qui se double, selon vous, d’une omerta sur les conséquences du Covid-19…

Le Covid-19 affecte directement la qualité des productions. Après Le Roi Lear à la Comédie-Française, où nous avons perdu un tiers du temps de répétition, nous avons eu à Aix plusieurs personnes malades. Je m’inquiète du déni qui règne autour de cela : il faut arriver au même résultat artistique avec moins de temps. Cela veut dire que le travail des trois dernières semaines, centré sur le rythme et la dynamique du spectacle, ne sera peut-être pas aussi abouti que je le rêve.

Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par « travail sur le rythme » ?

J’ai écrit un texte là-dessus publié en 2016 dans Le Théâtre et la Peur, aux éditions Actes Sud. La plupart des scènes de théâtre aujourd’hui utilisent un temps horizontal, plus large que celui de la vraie vie. Mon travail consiste à resserrer ce temps, et même à le presser un poil, afin de créer un espace de jeu plus vivant que la vie. Autour de nous, tout va plus vite. Les médias narratifs (sauf la littérature, car chacun peut décider de son rythme) sont accélérés, le montage dans les films, les réseaux sociaux (TikTok, Instagram). Il y a un mode où l’on peut écouter plus vite ses messages. Si le théâtre n’intègre pas cela, il devient anachronique et perd l’espoir d’intéresser les jeunes générations et les classes sociales qui ne viennent pas habituellement au théâtre.

Vous êtes musicien (bassiste, contrebassiste, chanteur) et avez même envisagé un temps d’en faire votre profession. Quel rôle joue la musique dans votre théâtre ?

Très important. J’ai toujours adoré assister aux répétitions d’orchestre, impressionné par la discipline, le niveau professionnel et la qualité artistique des musiciens. J’ai aussi un respect fou pour l’art lyrique, que j’aime bien voir en version de concert !

Malgré vos préventions, vous avez néanmoins accepté une mise en scène lyrique. Pourquoi ?

Parce que L’Opéra de quat’sous n’est pas un opéra mais un stück mit musik, une « pièce avec musique », en même temps qu’une sorte de parodie de l’opéra. Il y a un orchestre, des airs, des grands finals, mais l’esprit épouse celui du théâtre et du cabaret des années 1920. Je travaille avec la troupe de la Comédie-Française et la musique a été écrite pour des acteurs. J’ai moi-même été formé à l’école de théâtre Ernst-Busch à Berlin-Est, dont l’œuvre de Brecht est un peu le catéchisme, avant de jouer dans la troupe du Berliner Ensemble. Je suis dans la filiation de cette tradition.

Pourquoi rompre alors avec cette tradition allemande et monter « L’Opéra de quat’sous » en version française ?

Parce que j’ai l’impression qu’elle me parle davantage. En allemand, je connais trop les chansons – la chanson. On a dans l’oreille les interprétations de Milva, Ute Lemper, des grands chansonniers italiens, allemands. Cela véhicule, au mieux, un petit côté nostalgique, au pire, un côté carrément ringard. Le français apporte un élan, une bouffée d’air pour le chant, notamment, grâce à la nouvelle traduction d’Alexandre Pateau, totalement en phase avec notre époque. Il s’agit avant tout de comprendre ce que chantent les gens.

De quoi nous parle aujourd’hui « L’Opéra de quat’sous » ?

D’un monde en crise comme en 1928, au bord d’une crise financière mondiale qui va faire basculer le monde. C’est le temps des « années dorées » (die Goldenen Zwanziger Jahre), dont l’hédonisme jouisseur et le luxe ostensible côtoient l’extrême pauvreté et la misère totale. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. J’en ai seulement pris conscience en travaillant. Brecht, qui n’a pas encore rencontré les idées de Karl Marx, y exprime un nihilisme désespéré qui va de pair avec une satire de l’opéra. Je retrouve ce sentiment d’impuissance à changer le monde que nous éprouvons aujourd’hui. Brecht n’avait pas encore de réponse. Nous n’en avons pas non plus.

C’est pourquoi vous avez justement choisi cette première version ?

Brecht a élaboré la dernière mouture de 1948 en réaction contre le fascisme. Quant à celle de 1931, elle ne fait que développer l’aspect psychologique des personnages. A tort. Pour moi, il s’agit en effet de typologies, de caractères, avec un côté Grand-Guignol qui est la plus grande qualité de l’œuvre. Et même dans la première version créée en 1928, j’ai fait pas mal de coupes. Nous essayons d’aller dans la direction d’un spectacle qui joue avec la salle et les spectateurs.

Qu’apporte le chant dans le travail des comédiens ?

Ils ont visiblement beaucoup de plaisir à chanter et jubilent à faire rayonner leur voix dans sa totalité. Cela libère aussi le jeu d’acteur car tout ce qu’ils doivent exprimer est déjà dans la musique. Ils ne doivent rien ajouter car cela sonnerait faux. Surtout ne pas surjouer le chant même si l’aspect parodique est présent, en particulier dans les trois finals. Le troisième, qui interrompt la représentation pour s’adresser au spectateur, est d’une liberté folle. On a du mal à imaginer aujourd’hui qu’un auteur ait cette fantaisie de remplacer la catharsis par une caricature de deus ex machina.

Dans cet opéra sans pitié pour l’humanité, qui traite des bassesses les plus révoltantes de la nature humaine, y a-t-il l’espoir d’une transcendance ?

Chaque fois que ça chante, il y a transcendance. Parce que la musique (et je deviens un peu pathétique en disant cela), si quelque chose de l’ordre du transcendantal existe, c’est elle qui le porte. On se demande d’où vient cette beauté métaphysique. Cela nous rendrait presque proches des dieux s’il y en a. La musique de Bach, par exemple, peut nous ramener à l’existence de la mort, de la pitié, de la grâce. Et à la Demut – l’« humilité », en allemand.

 

 

L’Opéra de quat’sous, de Kurt Weill et Bertolt Brecht. Festival d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Théâtre de l’Archevêché. Du 4 au 24 juillet.

 

 

Marie-Aude Roux

 

 

Légende photo :  Thomas Ostermeier (à gauche), lors d’une répétition de « L’Opéra de quat’sous », en studio à la Comédie-Française, à Paris, le 31 mai 2023. JEAN-LOUIS FERNANDEZ/COMÉDIE-FRANÇAISE

 

 

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Samuel Mariño, soprano vénézuélien d’un nouveau genre

Samuel Mariño, soprano vénézuélien d’un nouveau genre | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Miren Garaicoechea dans Le Monde - 18/03/2023

 

 

L’artiste lyrique, qui sera en récital le 20 mars dans la galerie des Glaces du château de Versailles, revendique haut et fort son identité d’homme queer et son homosexualité. Quitte à bousculer le milieu encore très corseté de la musique classique.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/03/18/samuel-marino-soprano-venezuelien-d-un-nouveau-genre_6166049_4500055.html

Sur son premier album, il esquisse à peine un sourire et porte une chemise sobre. Pour son deuxième opus, paru chez Decca, en 2022, Samuel Mariño apparaît comme transfiguré : il rit aux éclats et porte une tenue extravagante (un manteau en tulle blanc transparent tombant sur d’imposants talons). « Quand je chante, je viens déranger ce petit monde de gens blancs, qui se ressemblent. Alors quoi, parce que je suis un homme, je devrais chanter grave et porter des pantalons ? », s’amuse-t-il depuis son pied-à-terre près du parc des Buttes-Chaumont, dans le 19e arrondissement de Paris, où il partage son temps avec Berlin.

 

 

A 29 ans, le chanteur lyrique vénézuélien achèvera une série de trois concerts en France le lundi 20 mars, avec un récital dans la galerie des Glaces du château de Versailles, accompagné de l’orchestre de l’Opéra royal. A l’image du style baroque qu’il a beaucoup interprété, Samuel Mariño décontenance. Il le sait et en joue. Par sa voix aiguë et son style vestimentaire empruntant à toutes les garde-robes, l’artiste s’affranchit des normes du chant et du genre. Il porte un discours politique assumé dans un monde de la musique classique encore très convenu, affichant sur scène son identité d’homme queer et célébrant sans détour son homosexualité sur son compte Instagram.

 

Voir la vidéo : Gluck, Orfeo : Che farò senza Euridice ?

 

Samuel Mariño arbore avec fierté « son instrument », une voix de soprano, un cas de figure rarissime chez un homme depuis la mort du dernier castrat, l’Italien Alessandro Moreschi, en 1922. « Ces stars très demandées voyageaient de cour en cour à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle. Après 1830, les castrats ne chantent plus que dans les églises italiennes, pour ne subsister in fine qu’à la chapelle Sixtine », retrace Yseult Martinez, docteure en histoire moderne, spécialiste des castrats à l’université d’Angers. Contrairement aux contre-ténors, dont la tessiture de ténor nécessite de basculer en voix de tête pour grimper, la voix naturelle de Samuel Mariño est, d’entrée, très aiguë.

Piano et chorale comme refuges

Le chemin de l’acceptation fut pourtant long. A 13 ans, le jeune Samuel, collégien dans un établissement catholique de Caracas, subit des moqueries aux relents homophobes sur son timbre haut perché. Victime de harcèlement psychologique et physique, en classe et sur les réseaux, il fuit le système scolaire et se réfugie dans le piano et la chorale. « J’ai eu des pensées suicidaires », confesse-t-il. Un médecin, puis un second lui proposent de l’opérer du larynx pour rendre sa voix plus grave. Un troisième lui suggère plutôt d’accepter sa voix et d’écouter du chant lyrique. Dans sa playlist d’alors, les divas Beyoncé et Lady Gaga croisent Cecilia Bartoli et Philippe Jaroussky, superstars du chant lyrique.

 

Voir la vidéo : Saint-Georges : L'Amant anonyme, chanté par Samuel Marino 

Sa mère, universitaire comme son père, le pousse à persévérer dans cette voie. Après trois ans d’études lyriques au Venezuela, le soprano fait sa valise, direction la France. « Le pays accueille très bien les étudiants étrangers. La France, où l’éducation est accessible, m’a donné des aides », remercie-t-il. Les conservatoires s’enchaînent, Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, Paris. Les petits boulots pour financer ses études aussi : Disneyland Paris, baby-sitting, hôtellerie.

A la ville comme en cours, Samuel Mariño lutte contre les préjugés : « Au quotidien, j’ai droit à l’éternel “bonjour madame” au téléphone. » Dès son arrivée en classe de chant, une professeure veut le forcer à chanter dans le grave. Le jour du diplôme d’études musicales, plus haut niveau des conservatoires régionaux, Samuel Mariño échoue. « Le président du jury ne comprenait pas que je me présente en soprane : selon lui, j’aurais dû me présenter en contre-ténor, explique-t-il. Un directeur d’une maison d’opéra présent m’a même affirmé qu’il ne m’engagerait jamais. »

Pulvériser les cases

Qu’importe, la même année, sa carrière se lance. Pour son amie Barbara Bonney, soprano américaine, « c’est une bombe sur scène ». Elle l’a poussé à se présenter aux sélections du Neue Stimmen, un concours international de jeunes talents lyriques en Allemagne, où il a décroché le prix du public. « Il gère tous les aspects : sa voix, sa musicalité, son expression corporelle – il a fait de la danse et cela se voit –, son visage, son style vestimentaire… Il a tout pour lui », dit-elle. Il assume sa démarche. « Il faut ouvrir des portes », affirme Samuel Mariño. « L’opéra, c’est des émotions fortes, extrêmes. Mon but est de donner une expérience intense, de faire réagir les gens. Que cela soit beau ou pas, on est là pour vivre quelque chose, pour être vivant », plaide-t-il avec enthousiasme.

Le message d’inclusion est clair : « Casser ce monde très strict et accueillir chacun tel qu’il est. » Lui rêverait de voir des couleurs de peau plus variées, comme la sienne, sur scène. Samuel Mariño veut aussi pulvériser les cases du genre. Il redouble d’inventivité, dessine ses tenues, travaille avec une modiste. Et fait la part belle aux paillettes et à la flamboyance, tel cet ensemble en vinyle rouge pétard inspiré de la veste de Michael Jackson dans Thriller. Quitte à agacer un monde encore très régenté par le politiquement correct. « Le harcèlement ne s’est jamais arrêté », confirme-t-il. Porter de l’eye-liner, des jupes et des talons lui vaut toujours des railleries.

 

 

 

« Une partie du public m’idolâtre, je représente une liberté d’être. Cela en devient presque une responsabilité pour moi. Mais une autre ne m’aime pas du tout », reconnaît-il, triturant les perles ornant son décolleté. Un ­critique de la radio publique allemande a même pointé du doigt ses choix vestimentaires, dénonçant une stratégie marketing. Samuel Mariño n’en revient toujours pas. « En entendant ça, je me suis dit “Fuck everybody”. Ça ne fait que m’encourager à continuer. » Une seule certitude pour le récital à Versailles : Samuel Mariño ne portera pas de noir.

 

Miren Garaicoechea

 

 

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«La Flûte enchantée», on y trouve notre conte (mise en scène de Johanny Bert)

«La Flûte enchantée», on y trouve notre conte (mise en scène de Johanny Bert) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lucile Commeaux dans Libération - 15 décembre 2022

 

Dans une interprétation foisonnante du dernier opéra de Mozart, Johanny Bert subvertit les rapports de genre avec délicatesse.

 

 
 

Il arrive souvent qu’on découvre l’opéra avec la Flûte enchantée, régulièrement programmée dans les périodes de fête car souvent considérée comme «tout public». Pourtant, la partition de Mozart, dont c’est le dernier opéra, est redoutable, et le livret signé Emanuel Schikaneder, sous ses airs de conte enfantin, est ardu et opaque, parfois répétitif, en tout cas très difficile à appréhender sur scène. Soit un jeune prince, Tamino, lancé par une Reine de la nuit furieuse sur les traces de sa fille Pamina, qui a été enlevée par Sarastro, le grand ordonnateur d’une secte révérant Isis et Osiris. Parvenu au temple, Tamino est soumis à des épreuves afin d’être initié et d’obtenir ainsi la main de Pamina. Cette mystérieuse quête chevaleresque est doublée de son envers burlesque, celle de l’oiseleur Papageno qui cherche son âme sœur.

Sur la scène de l’Opéra du Rhin, alors que sur les places strasbourgeoises les marchés de Noël promettent un divertissement facile, le metteur en scène et marionnettiste Johanny Bert tente pour cette première expérience lyrique une interprétation foisonnante dont on interroge d’abord la cohérence. Sur la scène les idées fusent : la mise en abyme avec coulisses apparentes, le cirque avec des trucs un peu magiques (un serpent de papier s’élève dans les airs, une robe à paniers devient pour la jeune fille séquestrée une cage lumineuse), le burlesque assumé (Tamino déshabillé par les fées), le décalage contextuel (la Reine de la nuit apparaît dans un module figurant une chambre miteuse, clope et whisky à la main).

 

Il faut attendre l’apparition de Sarastro, personnage hiératique souvent maltraité par les metteurs en scène, pour que véritablement le sens de cette proposition fasse son chemin, et éclaire ensuite le celui de l’opéra : le grand prêtre mozartien est interprété par une marionnette monumentale représentant un vieillard assis dans un fauteuil roulant, manipulé par trois marionnettistes, et doublé par un chanteur qui lui sert en quelque sorte d’interprète. La marionnette est belle, et humanise paradoxalement les relations étranges qui lient ces deux couples contrariés ; on comprend dès lors comment, dans une subversion sensible et intelligente du conte qui exalte originellement les valeurs masculines et éreinte l’inconstance féminine, le spectacle de Johanny Bert travaille à adoucir les rapports de genre et de générations avec délicatesse, dans les décors, les costumes, les accessoires, les marionnettes, bref en homme d’un théâtre d’objets et d’artisanat. A la fosse, l’orchestre symphonique de Mulhouse soutient avec la même générosité le chœur de l’Opéra du Rhin et un plateau vocal parfois fragile mais qu’on sent soudé et enthousiaste, et la Flûte enchantée peut conquérir ce vaste public qu’elle intimide ou ennuie trop souvent.

La Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart à l’Opéra du Rhin et à la Sinne à Mulhouse, jusqu’au 8 janvier, direction musicale Andreas Spering, mise en scène Johanny Bert.

 

 

Légende photo : Sarastro est interprété par une marionnette. (Klara Beck)

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Daniel Jeanneteau parle de l'opéra de Debussy PELLÉAS ET MÉLISANDE – Opéra de Lille

Vidéo du site OpéraVision - 8 avril 2021

 

Quand Daniel Jeanneteau parle de sa mise en scène de l’opéra de Debussy Pelléas et Mélisande, c’est immédiatement clair, profond, sensible, convaincant. La modestie en prime, car il ne met jamais en avant son propre travail.

 

« Pelléas et Mélisande » n’est pas une fable désuète. Selon le metteur en scène Daniel Jeanneteau, c’est même tout le contraire : en faisant la lumière sur nos angoisses et nos besoins de liberté réprimés par la société, l’histoire de Maeterlinck mise en musique par Debussy est on ne peut plus dans l’air du temps.

En streaming sur OperaVision à partir du 9 avril 2021 à 19h00 CET et disponible pendant 6 mois
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Actéon, mini-opéra pour long plan-séquence

Actéon, mini-opéra pour long plan-séquence | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie Sorbier sur le site de l'émission La Grande Table sur France Culture 25/02/21

 


La captation est le signe qu'il ne s'agissait pas d'une création de nos esprits qui rêvent de retourner dans les théâtres. Le plan séquence, réalisé par Corentin Leconte, est disponible sur la plateforme d'Arte. Cette œuvre hybride, portée par des chanteurs et chanteuses lyriques, est dirigée musicalement par Geoffroy Jourdain, créateur de l'ensemble Les Cris de Paris. 

 

Ecouter l'entretien radiophonique

 


Notre guide en ce rêve est Judith Chemla. Elle nous transporte dans le temps mythologique pour y voir (et par moment être) Actéon, ce chasseur changé en cerf et dévoré par ses chiens après avoir surpris la déesse Diane dans son bain. 

Benjamin Lazar, nourri à l'école du théâtre baroque aux côtés d'Eugène Green, se délecte d'une mise en scène portée autour de la toile du Cheval attaqué par un jaguar (1910, Musée Pouchkine), du Douanier Rousseau. Lui en sont inspirés des accessoires minimalistes qui prennent sens lorsque les nymphes font tournoyer leurs grandes feuilles autour de la caméra ou que cette dernière s'approche d'un aquarium pour y voir Diane (Adèle Carlier) à travers les nénuphars blancs. 

 

Légende photo : Actéon, Théâtre du Châtelet, mis en scène par Benjamin Lazar, 2020• Crédits : D.R.

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A l’Opéra, la diversité entre en scène

A l’Opéra, la diversité entre en scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Elise Karlin dans  M le magazine du Monde 25/12/2020

 

ENQUÊTE

 

Maquillage inadapté, représentations coloniales dans le répertoire, danseurs grimés ou plafond de verre dans le recrutement… Dans le sillage de Black Lives Matter, des salariés métis et noirs de l’Opéra de Paris ont publié cet été un manifeste qui s’interroge sur la prise en compte de la diversité dans leur institution.

 

Ce soir-là, le grand jeune homme porte un costume noir. Il se tient en haut de l’escalier du Palais Garnier et il attend ses invités. La soirée ne va pas tarder à commencer, une foule de gens élégants montent les marches en discutant. Soudain, passant devant ce grand jeune homme en costume noir, une spectatrice ouvre machinalement son sac et le lui présente. Le grand jeune homme se raidit mais reste absolument souriant : « Madame, vous faites erreur. Je ne suis pas la sécurité. » Déjà, son interlocutrice s’éloigne, à peine ennuyée. Pourquoi s’est-elle trompée ? Parce que le grand jeune homme en costume noir a la peau foncée. Dans l’inconscient du public de l’Opéra de Paris, si vous n’êtes pas blanc vous n’êtes pas de la maison.

L’expérience du racisme ordinaire

Et pourtant. Binkady-Emmanuel Hié n’est pas agent de sécurité, il est chef de projet événementiel à l’AROP, l’Association pour le rayonnement de l’Opéra de Paris, l’un des soutiens les plus actifs d’une institution tricentenaire qui compte deux salles de spectacle – l’une au Palais Garnier et l’autre place de la Bastille –, une académie et une école de danse. L’Opéra de Paris, c’est plus de 93,9 millions d’euros de subventions publiques en 2020, pour 230 millions de budget annuel – presque la moitié des ressources de cette entreprise durement frappée par une grève de plusieurs mois en 2019, puis par la pandémie de Covid-19. Alors que les aides de l’État ne cessent de diminuer, le mécénat culturel est une nécessité.

Donc, être cadre à l’AROP, c’est œuvrer à la survie de l’Opéra de Paris. Ancien avocat au barreau de Paris, Binkady-Emmanuel Hié s’est reconverti en avril 2017. Présent, très investi, il n’est cependant pas surpris le jour où il entend : « Tiens, un Noir qui veut faire sa place à l’Opéra… » Sans compter la question systématique : « Vous venez d’où ? » Comme s’il était impensable qu’il soit bordelais, né d’une femme blanche et aux cheveux roux. « Le pays de mon père, le Burkina Faso, j’y ai mis les pieds une fois. »

 

Le trentenaire raconte ainsi le racisme ordinaire de son environnement professionnel, les clichés, les plaisanteries déplacées lancées sans réfléchir, et lui qui se tait. Il parle aussi de son enfance de premier de la classe, bien élevé, toujours gentil, soucieux de ne pas se faire remarquer. Plus tard, la classe prépa puis l’école des avocats, et toujours la même obsession : se fondre dans un décor presque exclusivement blanc. « Je ne voulais surtout pas me retrouver avec l’étiquette “militant” collée dans le dos. »

Le tournant du 25 mai

Jusqu’au 25 mai 2020. Jusqu’à ce qu’il voie la vidéo d’un homme noir en train de mourir étouffé sous le genou d’un policier blanc dans une rue de Minneapolis. Les images de l’agonie de George Floyd, ses cris désespérés, « I can’t breathe ! », embrasent les États-Unis et les réseaux sociaux. « Black Lives Matter ! », scandent des manifestants un peu partout dans le monde. Pour la première fois, dit Binkady-Emmanuel Hié, il s’interroge sur son identité, sur la couleur de sa peau, sur ces remarques qu’il encaisse sans broncher depuis des années.

 

Il en parle avec des amis dans la même situation que lui, des danseurs du corps de ballet de l’Opéra de Paris, Letizia Galloni, Awa Joannais, Isaac Lopes Gomes, Guillaume Diop et Jack Gasztowtt. La première est sujet, le grade intermédiaire dans la hiérarchie des danseurs, après premier danseur et étoile, qui offre quelques solos sur scène. Les suivants sont quadrilles, le cinquième échelon, et sont donc dans le corps du ballet.

Ils sont tous métis, français nés d’un père ou d’une mère d’origine africaine. Ils ont tous l’expérience de la singularité dans une compagnie où ils sont les seuls, sur 154 danseurs, à ne pas avoir la peau claire des danseurs blancs européens ou asiatiques ; les seuls dont les cheveux crépus sont plus difficiles à coiffer ; les seuls à qui les traditionnels collants chair font les jambes grises ; le satin rose des chaussons pointes tranche à leurs pieds, et les fonds de teint pour « type européen » ne sont pas adaptés à leur carnation. Jusqu’ici, ils n’ont jamais rien dit.

Des histoires qui se ressemblent

Leurs histoires se ressemblent. Et leur histoire les rassemble. Une même volonté de se faire oublier, de rester à sa place, de ne jamais se mettre en avant. Les mêmes remarques, à l’école de danse : « Elle ne sera jamais prise à l’Opéra, elle est noire ! », murmurent les petites ; « Moins cambrée ! Ne te tiens pas comme une négresse », lance un professeur. Ensuite, après la réussite au concours, viennent l’angoisse de déparer dans un ballet dont l’homogénéité fait la fierté, l’appréhension du regard des autres, la crainte de la rumeur qui laisserait entendre que vous avez obtenu un rôle à cause de votre différence, et non grâce à vos compétences. Très longtemps, pour ceux-là, garder le silence a été la seule réponse. Sous une coupole hiérarchisée à l’extrême où il est mal vu de se distinguer, ils ne voulaient donner à personne une raison de les écarter.

 

 

« Du jour où je suis entrée dans la compagnie de l’Opéra de Paris, je me suis définie uniquement comme une danseuse, point. Ma maman n’a jamais rien dit, alors que ça a dû être douloureux pour elle de sentir sa culture reniée. La mort de George Floyd m’a poussée à agir. » Awa Joannais, quadrille

 

 

Le premier confinement est un choc. « Obligée de m’arrêter de travailler, j’ai pris du recul. Ça ne m’était pas arrivé depuis neuf ans, résume Awa Joannais, quadrille. J’ai commencé à réfléchir à ma différence, à mes origines. Je me suis rendu compte que j’avais complètement effacé le Mali, le pays de ma mère. Du jour où je suis entrée dans la compagnie de l’Opéra de Paris, je me suis ­définie uniquement comme une danseuse, point. Ma maman n’a jamais rien dit, alors que ça a dû être douloureux pour elle de sentir sa culture reniée. La mort de George Floyd m’a poussée à agir. »

Guillaume Diop, quadrille, souligne d’abord qu’il a beaucoup regretté l’absence de réaction officielle du Ballet de l’Opéra national de Paris, quand une compagnie aussi prestigieuse, le New York City Ballet, a soutenu publiquement le mouvement en affichant sur son compte Instagram le 31 mai : « New York City Ballet stands with you #BalletRelevesForBlackLives. » Début juin, ils sont donc quelques-uns, à Paris, qui discutent et s’indignent de l’indifférence de leur ballet, quand ceux de New York et de Londres ont déjà mis en place des groupes de travail ou proposé des conférences pour discuter des problèmes liés à la représentation des minorités.

Un vrai débat

Ils évoquent leurs propres expériences. Ils s’enflamment. Décident d’écrire un manifeste, dont ils souhaitent simplement une diffusion interne, pour que l’absence de diversité au sein de l’Opéra cesse d’être taboue. Dans leur texte, « De la question raciale à l’Opéra national de Paris », ils réclament un vrai débat sur les attitudes, les habitudes, le répertoire – sur ce qui dévalorise ou stigmatise. Le « blackface » pour les personnages noirs, le yellowface pour les Asiatiques, des pratiques qu’ils décrivent comme « destinées à exagérer et tourner en dérision, avec condescendance, les traits des individus racisés », mais aussi les « actes blancs », les propos blessants…

 

Il faut parler de tout, et avec tout le monde. Binkady-Emmanuel Hié contacte Christian Moungoungou et Florent Mbia, les deux barytons africains des chœurs de l’Opéra, pour montrer que l’absence de diversité concerne toute la maison, du ballet au lyrique. Il leur demande de s’associer à ce texte qu’ils veulent clair et sans polémique : non, l’Opéra n’est pas une institution raciste, mais, oui, certains salariés souffrent de se sentir discriminés, qu’il s’agisse de la couleur de leur peau ou de leur façon de manier la langue française, notamment pour certains artistes venus d’Asie. Cela doit changer.

 

L’arrivée anticipée du nouveau directeur de l’Opéra de Paris va faci­liter le dialogue. Alexander Neef débarque de Toronto, où il a dirigé la Canadian Opera Company ; au Canada, comme dans toute l’Amérique du Nord, la question de la représentation des minorités est un sujet majeur. Ainsi des pratiques du « blackface » et du « yellowface », abandonné(e) s par le New York City Ballet et le Royal Ballet de Londres en 2014 et 2015, où, à défaut de foncer des visages blancs, il est fait appel à des artistes réellement métis ou noir.

Un directeur à l’écoute

Avant même son premier rendez-vous avec les auteurs du manifeste, en juin, Alexander Neef a évoqué avec le directeur général adjoint de l’Opéra de Paris, Martin Ajdari, l’idée de confier à des personnalités extérieures une réflexion sur l’état des lieux. « J’étais très étonné, se souvient-il, qu’on parle principalement de l’égalité entre les hommes et les femmes et si peu de la diversité. Dans une mission de service public, si on prend les choses au sérieux, c’est un sujet qu’on ne peut pas ignorer. »

 

 

« C’est d’abord leur attachement à la maison qui m’a impressionné. Aux États-Unis, la contestation l’emporte souvent sur la concertation. Là, il était clair qu’ils cherchaient l’échange, pas l’ouverture des hostilités. » Alexander Neef, directeur

 

Constance Rivière, secrétaire générale du Défenseur des droits, ancienne collaboratrice de François Hollande à l’Élysée, et l’historien Pap Ndiaye, professeur à Sciences Po, spécialiste des minorités, sont mandatés pour apporter des réponses aux problèmes structurels, notamment l’accès des danseurs de couleur aux rôles emblématiques du répertoire classique, et aux questions conjoncturelles, comme les conditions de représentation des œuvres où des rôles stéréotypés comme Abderam, le chef des Sarrasins dans Raymonda, ou les Indiens dans La Bayadère caricaturent l’indigène, vestige des plus belles heures du colonialisme. à l’intérieur de l’institution, la direction rencontre les auteurs du manifeste : « C’est d’abord leur attachement à la maison qui m’a impressionné, dit Alexander Neef. Aux États-Unis, la contestation l’emporte souvent sur la concertation. Là, il était clair qu’ils cherchaient l’échange, pas l’ouverture des hostilités. »

 

Surtout, ne pas braquer. Dans l’esprit des auteurs du manifeste, ce qu’ils considèrent comme « l’erreur de Benjamin Millepied » tient lieu de garde-fou : directeur de la danse pendant un peu plus d’un an, entre novembre 2014 et février 2016, Millepied a soulevé contre lui une grande partie des salariés en refusant, pour la première fois, de grimer de jeunes danseurs dans un tableau de La Bayadère, ballet romantique dont l’action se situe en Inde. A ceux qui s’indignent de cette rupture avec la tradition esthétique maison et exigent une discussion préalable, il oppose un refus ferme et définitif de perpétuer ses pratiques qu’il juge d’un autre temps. Dans le même esprit, il modifie sans concertation le nom du tableau incriminé : fini la « Danse des négrillons ». Ce sera désormais la « Danse des enfants ». Dans les couloirs, on fustige son tropisme « américain », on s’inquiète d’un premier pas vers une « ségrégation positive ».

Les tentatives malheureuses de Benjamin Millepied

La presse n’est pas moins irritée lorsque Millepied, en 2013, avant même d’entrer en fonction, s’émeut dans le magazine Têtu de « l’absence de danseurs de couleur » au sein de la compagnie : « Cette déclaration fracassante, tendant à faire croire aux bonnes âmes que la danse classique serait raciste, est aussi sotte, quoique plus politiquement correcte, que le fait de regretter qu’il y ait trop de joueurs noirs dans l’équipe de France de football », écrit le journaliste Olivier Bellamy sur le site du Huffington Post« La compagnie ne pratique aucun ostracisme envers les danseurs de couleur », rétablit Ariane Bavelier dans Le Figaro, citant l’Eurasien Charles Jude, l’étoile d’origine berbère Kader Belarbi, Jean-Marie Didière, d’origine africaine, ou encore Raphaëlle Delaunay, d’origine antillaise.

 

« C’était trop tôt, je n’étais pas prête. J’ai eu peur, peur qu’on me résume à la couleur de ma peau. » Letizia Galloni

 

« Le ballet est donc bel et bien à l’image de la France, et la réflexion de Millepied plus conforme à l’esprit américain qu’à la réalité du Ballet de l’Opéra », conclut la journaliste. L’heure n’est pas à la révolution et la liberté du directeur de la danse heurte les conservatismes. Son choix de confier le premier rôle à une jeune métisse, Letizia Galloni, dans La Fille mal gardée, lui vaut de nouvelles critiques. Presque personne ne le soutient, pas même la danseuse : « C’était trop tôt, je n’étais pas prête, se souvient-elle. J’ai eu peur, peur qu’on me résume à la couleur de ma peau. »

La fronde disparaît avec le départ de Benjamin Millepied, début 2016La vie reprend comme avant. Aurélie Dupont, nouvelle directrice de la danse, suggère quand même d’aller chercher dans les quartiers défavorisés de jeunes danseurs pour les encourager à passer le concours de l’école de danse de l’Opéra de Paris, alors que 95 % du corps de ballet vient de l’école. Élisabeth Platel, la directrice de l’école, s’y oppose : elle refuse, explique-t-elle aujourd’hui, de donner de l’espoir à des gens qui pourraient, s’ils échouaient à intégrer le ballet de Garnier, lui reprocher d’être venue les chercher. Le directeur de l’époque, Stéphane Lissner, ne retient pas la proposition d’Aurélie Dupont.

Une vraie révolution

En 2017, il présente aux mécènes un court-métrage réalisé par l’artiste Clément Cogitore dans lequel des jeunes de toutes les origines et de toutes les morphologies, en sweat-shirt-bombers-baskets, dansent du krump, une sorte de hip-hop, sur le plateau de l’Opéra Bastille au son de Rameau et des Indes Galantes. Six minutes stupéfiantes plébiscitées par le public, nommées aux Césars, mais huées par un certain nombre de donateurs furieux. La direction ne réagit pas.

 

Pas plus qu’elle n’intervient, en avril 2017, au courrier d’un artiste du chœur, Bernard Arrieta, qui reproche au metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov de « choisir très précisément les gens à mettre en évidence et ceux qu’il veut laisser discrètement derrière » – les barytons noirs et asiatiques – dans sa version de La Fille des neiges. Et qu’elle ne se manifeste pas non plus lorsqu’un chef de chœur écorche régulièrement les noms des artistes coréens et s’agace ostensiblement de ne pas les comprendre lorsqu’ils s’expriment en français.

 

 

« Pour réussir une rénovation profonde, pour que dans dix ans, les minorités soient mieux représentées à l’Opéra, il fallait une vraie réflexion. Je l’ai confiée à des personnalités extérieures dans un souci d’objectivité accrue, d’une plus grande liberté de parole. » Alexander Neef

 

Le silence, la gêne, Guillaume Diop, Awa Joannais, Binkady-Emmanuel Hié, Isaac Lopes Gomes, Letizia Galloni, Christian Moungoungou et les autres n’en veulent plus. Ils sont convaincus que, cette fois, le moment est venu, qu’ils vont être entendus. Et ils ont raison : la nouvelle direction réagit très vite, avant même que le manifeste soit envoyé par e-mail aux salariés de l’Opéra. Sur le principe, elle acte la disparition « des pratiques issues de l’héritage colonial et/ou esclavagiste » qui consistent à maquiller les artistes pour qu’ils correspondent à la vision de l’exotisme du créateur de l’œuvre.

 

Une révolution qui touche au cœur d’un patrimoine toujours marqué par les choix esthétiques de Rudolf Noureev, directeur de la danse de l’Opéra de Paris de 1983 à 1989 – La Bayadère, Le Lac des cygnes, Casse-Noisette… « Certaines œuvres vont sans doute disparaître du répertoire, confirme Alexander Neef. Mais ça ne suffira pas. Supprimer ne sert à rien si on ne tire pas les leçons de l’histoire. Pour réussir une rénovation profonde, pour que dans dix ans, les minorités soient mieux représentées à l’Opéra, il fallait une vraie réflexion. Je l’ai confiée à des personnalités extérieures dans un souci d’objectivité accrue, d’une plus grande liberté de parole. »

Des vêtements et des fards adaptés

Le souhait d’obtenir des vêtements et des fards adaptés aux carnations foncées est plus simple à exaucer. La directrice de la danse, Aurélie Dupont, « heureuse que l’on parle enfin de ce sujet », prend rendez-vous immédiatement avec les services concernés. Fin octobre, quatre mois après l’avoir demandé, Letizia Galloni et Awa Joannais enfilent des pointes fabriquées dans un satin beaucoup moins rose, au milieu de costumières enthousiastes.

 

« Je danse depuis quinze ans et c’était la première fois que j’enfilais des pointes de la bonne couleur », s’amuse Awa Joannais – des pointes que le fabricant britannique Freed of London n’a commencé à commercialiser que très récemment. Letizia Galloni a désormais une coiffeuse pour s’occuper de ses cheveux crépus, qu’elle a défrisés et coiffés elle-même pendant des années. Au maquillage, les deux danseuses n’ont plus besoin d’apporter leur propre fond de teint – « on peut arriver les mains dans les poches, comme les autres », résument-elles.

 

Christine Neumeister, directrice des costumes à l’Opéra de Paris, regrette leur long silence : « J’avoue que j’ai été surprise en lisant leur manifeste. J’ai découvert leurs revendications ! Comment aurai-je pu y répondre avant, alors qu’elles ne nous ont jamais sollicitées, mes équipes et moi ? Depuis trente-cinq ans, mon métier consiste à gérer le sur-mesure, à m’adapter à toutes les carnations, à toutes les situations. Quand Aurélie Dupont est venue discuter, elle prêchait une convaincue. Je regrette simplement cette absence de communication. »

La peur de sortir du rang

De nouveau, les auteurs du manifeste mettent en avant la peur, constante et paralysante, de sortir du rang. Leurs parents sont modestes : mères au foyer, infirmières, électriciens, rarement familiers du milieu artistique et de ses codes. Au sein du ballet, le respect de la discipline prime sur l’expression de l’individualité, et la compétition renforce l’inquiétude de se singulariser. La danse, c’est leur vie. Certains en ont déjà payé le prix, isolés de leur famille, fâchés parfois avec un père qui rêvait pour son fils d’une carrière de footballeur, loin d’un milieu encore souvent associé à l’homosexualité.

 

Contrairement à leurs camarades, ces danseurs ont eu assez peu de modèles identificatoires : pour plusieurs générations d’étoiles à la peau claire, combien de Misty Copeland ? « J’ai choisi Letizia comme petite mère [marraine] parce qu’elle me ressemblait », dit Guillaume Diop. Awa Joannais a fait pareil, et avant eux Letizia Galloni, qui avait elle aussi choisi un « petit père » (parrain) métis.

Au moment d’envoyer leur manifeste à tous les salariés de l’Opéra, ils ont de nouveau hésité. Et si leur audace leur coûtait une place en concours ? « Alexander Neef a envoyé un e-mail général pour soutenir notre démarche, tient à souligner Letizia Galloni. C’était très important. » « Nous ne voulions pas renverser la table, nous demandions que s’ouvre le dialogue », souligne le chanteur lyrique Christian Moungoungou, appuyé par son collègue Florent Mbia : « Nous avions peur d’un scandale, qu’on nous reproche notre initiative. La réaction de la direction, ouverte et attentive, nous a donné la force de continuer. »

Moins de 300 signatures

La force de continuer malgré l’indifférence, souvent, l’incompréhension, parfois, voire l’hostilité des salariés de l’Opéra : envoyé le 24 août à plus de 1 500 personnes, le manifeste a recueilli moins de 300 signatures. Il y a ceux qui n’ont pas lu ces revendications ; ceux qu’elles agacent ; ceux qui ne les comprennent pas ; ceux qu’elles n’intéressent pas. Même au sein du ballet, beaucoup ne se sentent pas concernés, ce qui stupéfie Germain Louvet, danseur étoile engagé à gauche, gréviste au moment de l’opposition à la réforme des retraites : « A partir du moment où vous mettez un pied en scène à côté d’un danseur qui est concerné, vous êtes concerné ! Je pense que beaucoup d’incompréhensions viennent d’une méconnaissance du contexte historique des œuvres, du passé colonial de la France. »

 

 

« Il ne faut pas attendre qu’un gamin noir qui vit dans une banlieue défavorisée se présente à l’école, il faut aller le chercher. » Germain Jouvet, étoile

 

« A 12 ans, j’ai été négrillon dans La Bayadère, et je trouvais ça normal. Je n’avais pas la culture historique pour comprendre que le ‘‘blackface’’ représentait un fantasme d’exotisme, un divertissement, pas la réalité. J’ai mis du temps à mesurer à quel point j’étais prisonnier de ma culture, la culture occidentale. Ce travail de contextua­lisation, d’explications me paraît essentiel. » Expliquer, ouvrir, aussi : « Il ne faut pas attendre qu’un gamin noir qui vit dans une banlieue défavorisée se présente à l’école, dit Germain Louvet, il faut aller le chercher. »

 

Il n’est pas le seul à le penser : pour beaucoup, l’absence de diversité à l’école de danse de l’Opéra serait le cœur du problème. La directrice de l’école, l’ancienne étoile Élisabeth Platel, s’insurge : « Pourquoi sont-ils si peu nombreux à se présenter ? Parce qu’ils pensent que cette école est réservée aux élites. C’est faux ! Toutes les classes de la société sont représentées ; la scolarité est gratuite, les chaussons sont fournis. Changer notre image est une nécessité, mais il ne faut pas que cela se fasse aux dépens de notre niveau d’exigence. »

 

Si l’abandon du « blackface » est pour elle une évidence, en revanche, renoncer à blanchir les personnages de fantômes lui semble une hérésie esthétique. Élisabeth Platel insiste, évoquant le souvenir d’une fillette noire en larmes parce qu’elle était la seule à ne pas avoir été blanchie au maquillage. Son ultime réticence : toucher à l’homogénéité du corps de ballet, « propre à l’esthétisme européen », rappelle-t-elle. Le poids, la taille, la norme doivent être les mêmes pour tous. Un discours sur la force de la tradition paradoxal dans la bouche de celle qui incarna la modernité et le souffle frais du renouveau lorsqu’elle prit la direction de l’école, en 2004, en remplacement de la redoutée Claude Bessy, qui la dirigeait depuis 1972 et dispensait un enseignement réputé pour sa sévérité…

 

« Cette question de l’uniformité du ballet blanc, sous couvert de ­relever de considérations exclusivement esthétiques, mérite réflexion, relève pourtant Martin Ajdari. Comme certains stéréotypes véhiculés dans le répertoire, qui traduisent une représentation européo-­centrée, et ses préjugés. Ces questions ne touchent pas ­simplement au répertoire. Nous avions engagé ce travail peu avant la prise de fonction d’Alexander Neef ; sa démarche et nos réflexions ont concordé. »

Des conservatismes qui ont la peau dure

Et, effectivement, les auteurs du manifeste louent la volonté de l’Opéra, ces dernières années, de mettre en place des politiques pour atteindre de nouveaux publics, d’origines sociales différentes. Ils évoquent aussi le travail « exemplaire » de ­l’Académie et de sa directrice, Myriam Mazouzi, qui développe des projets d’éducation artistique et culturelle pour rendre l’Opéra plus ­accessible. Mais il suffit de regarder les musiciens dans la fosse, les techniciens, l’administration, le public pour le comprendre : on y voit presque uniquement des visages blancs. Ainsi, les seuls Noirs qui apparaissent dans le film de Jean-Stéphane Bron, L’Opéra, sont les agents d’entretien.

 

Quant au public, il n’est pas moins ­conservateur : « Bientôt Village People à l’Opéra », regrettait un commentaire laissé par un internaute à la suite d’un article du Monde sur la volonté de l’institution d’engager une réflexion pour plus de diversité en son sein, mais aussi parmi les artistes invités ou les metteurs en scène extérieurs. Un membre de l’administration raconte avoir un jour invité des amis antillais. Il les a aperçus tout de suite dans la salle où il les cherchait des yeux : ils étaient les seuls à ne pas être blancs. « Comment peut-on donner envie à leurs enfants ? Parmi les spectateurs, parmi les danseurs, personne ne leur ressemble ! » Malgré un effort sur les prix des places, l’Opéra semble par ailleurs toujours inaccessible à beaucoup de Français.

 

Les conservatismes ont la peau dure partout dans le monde. La sœur d’Isaac Lopes Gomes, Chloé Lopes Gomes, une danseuse de 29 ans formée à l’Académie du Bolchoï, a raconté au Guardian, le 9 décembre, le harcèlement dont elle a été victime pendant les deux ans qu’elle a passés au Staatsballet de Berlin. Un calvaire qui a commencé dès son arrivée, en 2018 : « Une femme noire gâche l’esthétique du ballet », a lancé sa professeur en découvrant la jeune danseuse, première métisse à intégrer cette compagnie.

Rien d’aussi direct à l’Opéra de Paris, mais la mission confiée à Constance Rivière et à Pap Ndiaye a suscité de nombreuses réticences en interne parmi ceux qui redoutent une   « américanisation » de l’Opéra de Paris, qui craignent que la diversité implique une entorse à l’excellence, ou qui ne voient pas de lien entre esthétisme et racisme. Au fil du temps pourtant, beaucoup de salariés ont souhaité rencontrer les deux rapporteurs.

 

Leur travail, initialement attendu mi-décembre par la direction de l’Opéra, ne sera finalement pas rendu avant la mi-janvier. Cinq mois pour réexaminer la norme morphologique et chromatique qui définit l’excellence à l’Opéra de Paris, pour repenser la manière d’incarner et de jouer la tradition, pour démocratiser l’institution sans la vulgariser. En attendant, La Bayadère, le chef-d’œuvre de Noureev, a été diffusée le 13 décembre sur la nouvelle plate-forme numérique L’Opéra chez soi – le « blackface » a disparu de la « Danse des enfants ». D’ici à quelques mois, une annonce officielle ou un petit livret pourraient précéder le spectacle. Pour expliquer au public pourquoi la ­couleur de la peau ne peut pas être un élément anodin du décor.

 

Elise Karlin

 

Légende photo : De bas en haut et de gauche à droite, Letizia Galloni, sujet, Guillaume Diop, Awa Joannais, Isaac Lopes Gomes et Jack Gasztowtt, quadrilles. Karim Sadli pour M Le magazine du Monde

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"Hamlet" d'Ambroise Thomas, un accomplissement 

"Hamlet" d'Ambroise Thomas, un accomplissement  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog "le Grand Théâtre du monde" 21.12.2018

 

Il est rare, au théâtre d’avoir le sentiment d’un parfait accomplissement. Avec Hamlet d’Ambroise Thomas à l’Opéra-Comique, on est certain d’avoir assisté à une manière d’événement lyrique et théâtral d’une force et d’une qualité artistique époustouflante.

Lorsque l’on est critique dramatique, on assiste chaque année à plusieurs nouvelles mises en scène de l’Hamlet de Shakespeare, et l’on ne saurait s’en plaindre car la pièce est inépuisable. Mais, étrangement, on n’avait jamais été saisi par la certitude du : « C’est cela, oui, c’est exactement cela, Hamlet… ».

L’ouvrage d’Ambroise Thomas n’est pas souvent représenté et le 17 décembre dernier, salle Favart, c’est le sentiment d’une découverte immense qui a submergé chacun.

La mise en scène s’impose immédiatement, mais sans jamais amoindrir la beauté du chant, l’exceptionnelle interprétation des artistes réunis sur le plateau, la direction subtile de Louis Langrée, l’Orchestre des Champs-Elysées, le Chœur les Eléments. Tout ici enchante et bouleverse et si l’on sait combien Thomas a pu être moqué, on est frappé par les richesses moirées de son style, des styles ici mis en jeu, jusqu’à cette présence du trombone et du saxophone -on est en 1868.

Immenses interprètes, voix rares. Ajoutons, diction idéale qui permet aux francophones de tout suivre, sans lire le surtitrage, beauté de ce chant romantique français qui comble parfois.

Sabine Devieilhe, Ophélie, frêle et délicate, et la voix unique de la soprano qui nuance d’une manière sidérante. Stéphane Degout, Hamlet idéal, dans la présence et la lumineuse intelligence du baryton. Sylvie Brunet-Grupposo, Gertrude, annoncée souffrante ce soir-là, mais franchement magnifique, mezzo troublante. Et Laurent Alvaro, Claudius, Jérôme Varnier, le spectre du père, Julien Behr, Laërte, Nicolas Legoux, Polonius, Kevin Amiel , Marcellus et le deuxième fossoyeur, Yoann Dubruque, Horatio et le premier fossoyeur.

Vue d'ensemble qui montre plateau, images, scènes de groupe, etc...Tout ce que maîtrise parfaitement les artistes sous la direction de Cyril Teste.

Parlons du théâtre, parlons de la mise en scène

On connaît depuis longtemps et on apprécie beaucoup le travail de Cyril Teste, au théâtre, à l'opéra.

Il est l'un des rares metteurs en scène français à maîtriser de manière très rigoureuse et fine les subtilités de la technique et en particulier de la vidéo, de l'usage d'images déjà filmées avec des images tournées en direct.

Il est un maître de l'espace, également.

Mais bien en deça de la technique, c'est du côté de sa capacité de lecteur qu'est le trait le plus impressionnant.

Le sentiment d'évidence que l'on a devant plusieurs de ses décisions, tient à cela. Le livret de Michel Carré et Jules Barbier, qui s'appuient sur l'adaptation de Dumas, l'autorise non pas à simplifier, mais à imposer des gestes; des images fortes.

Il utilise beaucoup la salle, pour l'arrivée de Claudius et sa cour, pour la présence, et c'est extraordinaire et cela semble "vrai", du spectre.

Il multiplie des panneaux-écrans, mais tout sonne juste. Les projections, selon les moments, les déploiements sur plusieurs plans, ne gênent jamais ni la musique, ni le chant, ni la progression dramatique.

Les cadreurs ou les techniciens qui accompagnent à vue la représentation, comme des amis des interprètes, des personnages protecteurs. Ils sont complètement intégrés.

La fluidité de la représentation est remarquable.

Mais le plus beau, l'encore plus beau, c'est la direction de jeu. Cyril Teste a la chance d'avoir une distribution plus que magnifique. Mais la manière dont les chanteurs sont dirigés, ou disons finement accompagnés, est époustouflante. Tous ici sont des chanteurs magistraux et de grandes natures dans le jeu. Mais il y a encore plus, encore mieux. Quelque chose de fin, de délicat, de profondément moderne.

Le Hamlet de Stéphane Degout a quelque chose d'un personnage de Koltès. Ophélie est elle aussi d'aujourd'hui. On ne se pose pas de question de distance. Ils sont de plain-pied avec nous (d'autant plus que scène, salle, écrans, paysages du dedans ou du dehors s'harmonisent). Ils sont nos frères. On est pour longtemps boulesersé et éperdu d'admiration.

Opéra-Comique, les 21, 23 en matinée, 27 et 29 décembre. Durée : 3h20 entracte compris.

www.opera-comique.com

 


PHOTO VINCENT PONTET/OPERA COMIQUE

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Entretien avec Thomas Jolly : « Le théâtre est l'art et l'outil qui rappelle à l'être humain qu'il est vivant et qu'il n'est pas seul ».

Entretien avec Thomas Jolly : « Le théâtre est l'art et l'outil qui rappelle à l'être humain qu'il est vivant et qu'il n'est pas seul ». | Revue de presse théâtre | Scoop.it

 Entretien réalisé par Ondine Bérenger pour le blog theatractu

Merci à Juliette L. pour l’aide à la retranscription

On ne présente plus Thomas Jolly, l’acteur et metteur en scène prolifique dont le travail a été fortement remarqué depuis son marathon théâtral d’Henry VI, présenté au Festival d’Avignon en 2014. Il revient cette année avec deux projets très attendus : le Radeau de la Méduse, de Georg Kaiser, mis en scène avec le groupe 42 de l’école du TNS d’une part, et d’autre part, un feuilleton théâtral quotidien sur l’histoire du festival, réalisé par sa compagnie, la Piccola Familia. Regard pétillant et sourire inébranlable malgré les béquilles qui ne le quittent plus depuis sa « gérardphilippade » au Jardin Ceccano, il a répondu avec générosité à toutes nos questions.





Ondine Bérenger : Tu es à la fois acteur et metteur en scène, qu’est-ce qui t’attire dans ces deux exercices ?

Thomas Jolly : Je suis d’abord un acteur. Et d’ailleurs, je conçois mon métier de metteur en scène de cette place d’acteur. Qu’est-ce qui m’a attiré étant petit ? Je pense que j’ai assez rapidement compris que j’étais plus libre et plus moi-même – c’est contradictoire, peut-être paradoxal – mais je suis plus proche de ce que je suis quand je suis sur un plateau, en train de dire les mots d’un autre, dans une situation qui n’est pas la mienne, qu’ici dans la vie. En tout cas, j’y trouve un espace d’expression et de brassage de mon identité. C’est comme une sorte d’enquête sur qui je suis.

J’ai aussi eu la chance d’intégrer vers l’âge de douze ans une compagnie d’enfants, donc le théâtre n’a jamais été un loisir mais tout de suite un travail. Je trouve un plaisir à la construction collective, au groupe, à la tournée, à l’exigence aussi. Voilà pour l’acteur.

Pour le metteur en scène, c’est venu bien plus tard, lorsque l’acteur a été un peu mis à mal. L’école du TNB – je peux le dire aujourd’hui – a été un cursus formidable. Mais à l’époque et pendant quelques années après, j’étais complètement perdu. L’école ne m’a rien appris : elle m’a tout désappris. Stanislas Nordey avait pensé une pédagogie très belle mais rude quand on n’y est pas préparé. C’est une école qui te demande de réfléchir vraiment à qui tu es, de travailler à ta singularité, et c’est difficile d’aller brasser ces choses-là, donc petit à petit le plaisir d’acteur se perd. On change d’intervenant toutes les six semaines, donc d’un coup tu es matraqué d’information, de diverses esthétiques, de divers genres de théâtre et tu ne sais plus ce que tu aimes faire ou non. Tellement d’outils qu’il a fallu que je les trie, et que l’acteur s’est un peu déprécié : j’avais du mal à monter sur un plateau, c’était presque une souffrance. Mais puisque j’avais consacré ma vie depuis dix ans au théâtre, je me suis dit que j’allais passer à un autre endroit : la mise en scène. J’avais également envie d’interroger cette place-là. En tant qu’acteur, j’avais pas mal de résistance avec ce qu’on me proposait. Je sentais que j’avais une autre vision possible et que j’avais du mal à l’exprimer dans ce qu’on me demandait de faire. Donc j’ai pris cette place-là, en gardant quand même un pied dans le jeu, mais c’est seulement en 2012/2013, soit six ans après la sortie de l’école, que le plaisir de l’acteur est revenu, et qu’aujourd’hui, ça y est, je suis pleinement heureux des deux métiers que je fais. Après, ce qui m’attire dans la mise en scène, mon vrai plaisir, c’est d’être le « super-spectateur » et de coordonner ce que demande le texte avec les êtres humains qui vont travailler à la création, pour le spectre le plus large de spectateurs. Essayer d’être le maître d’œuvre d’un outil que je souhaite le plus utile et le plus éclairant possible pour les temps qu’on traverse, ça, c’est mon plaisir de metteur en scène.

O.B : T’intéresses-tu, professionnellement, à d’autres formes d’art ?

T.J : J’ai eu besoin d’être un peu un intégriste du théâtre. J’avais des discours du type « je ne ferai jamais de cinéma, pas de captation de mes spectacles, le spectacle vivant ne se regarde pas à la télé ». J’ai eu besoin de ça pour définir très profondément et très précisément le théâtre que moi, j’avais envie de proposer. C’est vrai que depuis deux ou trois ans, je commence à entrevoir des ponts possibles et des envies personnelles. Mais la transdisciplinarité, ou la pluridisciplinarité n’est pas une chose qui me fait envie. J’aime beaucoup la radicalité du théâtre : un texte dit par une personne vivante devant une autre personne vivante, si possible sans micro et sans gros plan sur écran géant, mais avec ce rapport-là de l’orateur, du conteur, cette vieille tradition du mot-à-mot face à un spectateur.

Cela dit, je commence à avoir des envies de cinéma, de réalisation. Je ne suis pas sûr que la vidéo ait quelque chose à donner au théâtre – c’est mon avis – par contre, je pense que le théâtre a quelque chose à donner à la vidéo, en termes de force d’image. Par exemple, il y a des pièces comme Richard III, comme Le Radeau de la Méduse, ou des pièces de Corneille, qui sont de formidables scénarios. Ça ne veut pas dire faire des pièces cinématographiques, mais peut-être reprendre ces structures narratives pour inventer un cinéma qui serait proche de Méliès ou de Baz Luhrmann, ou avec une image très théâtrale à la Tarantino, par exemple. A suivre…

Là, je démarre l’opéra, je vais découvrir la danse avec Eliogabalo… Plus ça va, et plus je fais appel à des créateurs autonomes dont j’aime le travail, et que j’invite à travailler dans mes créations. Par exemple Sylvain Wavrant pour les costumes de Richard, Maud Le Pladec pour les chorégraphies ou Gareth Pugh pour les costumes d’Eliogabalo, de même qu’Antoine Travert qui est un créateur lumière qui vient du concert pour Richard et Eliogabalo… C’est plutôt d’autres artistes que d’autres arts.

O.B : Tu dis aimer l’éphémère du théâtre, alors pourquoi avoir finalement voulu faire des captations de Richard III et d’Henry VI ?

T.J : Je ne voulais pas. J’ai été « obligé ». Il y avait un partenariat autour d’Henry VI : le festival d’Avignon voulait organiser un live avec France 2 et Culturebox pendant dix-huit heures. Et parce que c’était du live, j’ai dit oui, en me disant que le théâtre, c’est être tous au même endroit en même temps. Là, on ne serait pas tous au même endroit mais on serait dans le même temps. Il y avait six cents spectateurs à la Fabrica et je crois trente mille connexions dans le monde entier pendant les dix-huit heures, et ça, ça me donnait un prolongement de la définition même de théâtre.

L’autre chose que j’ai découverte à ce moment-là, c’est la force d’une caméra sur le visage des acteurs. Je confesse que j’ai découvert un spectacle qui pourtant était créé depuis 2012 (pour la première partie), que je connaissais, que j’avais vu maintes fois. Tout à coup, je découvrais mon propre spectacle par la force et la proximité de la caméra sur le visage des acteurs. Une larme, qui au quinzième rang ne se voit pas, tout à coup prenait un sens très fort à l’image. Je me suis dit qu’il y avait là un potentiel, donc j’ai accepté de faire des captations pour ces deux raisons : d’abord, ça déployait les publics, qui ne pouvaient pas être là parce que le spectacle était complet, et ensuite pour cette nouvelle facette du travail. J’avais même tweeté à Culturebox qu’ils étaient un peu comme les anciennes jumelles du théâtre : tout à coup, on avait accès à d’autres facettes du spectacle. Pour Richard III, on a continué également parce que j’ai une très belle affinité avec Julien Condemine, qui est l’un des réalisateurs d’Henry VI et de Richard III. Il y a un vrai partenariat sur la réalisation : il reste le réalisateur mais j’y suis très sensible, je suis invité au montage, je participe à tout ça. Après, ce qui est formidable dans mon envie que le théâtre soit un art qui se partage et se prolonge, c’est qu’il reste un art éphémère. C’est surtout ça qui compte. Au moment où les gens voient Henry VI, ils ont un vrai enthousiasme et donc cet enthousiasme peut perdurer via les DVD. Mais ce ne sera jamais la même chose et les gens le savent aussi. C’est comme acheter un album d’un artiste et aller le voir en live. Tu as plaisir à réécouter l’album chez toi, mais rien ne remplace le plaisir du live.

O.B : Est-ce que tu écris ou comptes écrire un jour – que ce soit de la fiction ou des écrits théoriques ?

T.J : C’est amusant que tu me poses cette question. Avec ma non-nomination au TNB, c’est l’heure pour moi de faire un bilan. Ne pas avoir été nommé m’empêche de continuer à me projeter : j’avais engagé les dix prochaines années de ma vie dans cette maison, et je pense que si j’y avais été, je n’aurais pas eu le temps de me poser de question. Mais là, on est en 2016, on a créé la compagnie en 2006, dix années de compagnie mériteraient de poser un peu les préceptes de tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’on a créé, que ce soit dans la joie ou la difficulté. Je sens que j’ai besoin de faire mon propre bilan ; en tout cas je vais l’écrire pour moi-même.

En termes d’écriture fictionnelle, quand j’étais jeune, j’ai écrit des pièces qui sont chez moi, qui n’ont pas été jouées ni éditées. Peut-être que ça reviendra. Si je sentais une légitimité de ma parole aujourd’hui, alors je serais auteur. Pour l’instant, j’ai choisi cet art éphémère parce que je sens que ma parole n’est pas assez légitime, en tout cas moins que celle de Shakespeare, de Kaiser et des auteurs que je monte.

O.B : Tu vas monter Eliogabalo à l’Opéra de Paris qui n’est pas réputé pour être très populaire. Qu’attends-tu de cette institution ?

T.J : D’abord, l’opéra fait beaucoup de choses depuis plusieurs années sur le décloisonnement et sur l’ouverture. Mais n’oublions pas que l’opéra est un art total, et que pour faire de l’art total, il faut beaucoup d’êtres humains à l’œuvre, d’où le prix. Les gens oublient que c’est un art qui nécessite beaucoup de personnes et de temps. Un orchestre de cinquante personnes, une trentaine de techniciens, des interprètes, on arrive rapidement à des équipes de cent, cent vingt, cent cinquante personnes, avec les chœurs on peut monter jusqu’à deux ou trois cents personnes pour une représentation. Le prix est amoindri par les subventions même s’il reste cher. Je trouve ça très beau ce qu’ils font pour les avant-premières jeunes à dix euros, par exemple. Je serais pour qu’on baisse encore davantage le prix, mais à un moment donné, le prix de l’art est une vraie donnée. Je ne suis pas pour la gratuité. Le Ciel, la Nuit, la Pierre glorieuse est gratuit parce que la forme invite à ça, mais je crois que l’art a un prix.

Artistiquement, mon enjeu est toujours le même : comment rendre claire l’œuvre et comment réussir à être au plus près du contexte dans lequel elle a été écrite et de l’auteur ? Je pense qu’Eliogabalo a un fort potentiel. C’est une pièce qu’on va découvrir, qui a très peu été montée, le livret n’a pas été édité, il n’y a pas eu d’enregistrements musicaux ; ça va être surprenant pour les gens. Mais ça restera une œuvre en italien, avec de la musique baroque. En tout cas, je souhaite que ces a priori qu’on peut avoir sur la difficulté à entendre et à comprendre soient levés, et pour cela je ferai comme d’habitude. Un spectateur n’a pas besoin d’avoir un bagage préétabli pour appréhender une œuvre quelle qu’elle soit : musique, cinéma, opéra, théâtre… Par contre, un des enjeux de la période est de lever ces appréhensions, parce que beaucoup de spectateurs en ont. Et ça, c’est mon travail.

O.B : Tu conserves donc cette volonté même à l’opéra. Beaucoup de gens vont y aller pour la première fois parce que tu es le metteur en scène…

T.J : C’est aussi la très belle histoire que j’écris avec les publics. Ce n’est pas du one shot, le théâtre. Je ne pense pas « une création et puis basta », je pense un ensemble. Un jour, ça fera peut-être une œuvre, je ne sais pas. Henry VI et Richard III font un tout, le Radeau de la Méduse s’inscrit ailleurs, mais Eliogabalo est encore une figure politique et monstrueuse, Fantasio m’emmène à du théâtre mêlé à de l’opéra… Les publics lisent, voyagent dans ces propositions, c’est aussi une très belle chose qu’on a réussie dans la compagnie. On a une histoire avec les publics, avec certains depuis très longtemps. Là, il y a par exemple un couple qui vient tous les jours au jardin Ceccano voir la Piccola Familia et qui était aux premières d’Arlequin poli par l’amour en 2006. Et puis, il y a des histoires qui s’écrivent depuis Henry VI, d’autres depuis Richard III et j’espère qu’il y en aura encore par la suite. J’imagine qu’il y a aussi des spectateurs qui lâchent l’affaire, mais en tout cas, je ne pense pas chaque création de manière autonome : il faut trouver du liant dans tout ça.

O.B : Pour « Le Ciel, la Nuit, et la Pierre glorieuse », la Piccola Familia a fait appel à des enfants. De façon plus générale, vous réalisez également diverses actions culturelles. Avez-vous, toi et la compagnie, un intérêt particulier pour le jeune public ? Pourriez-vous/tu être amené à réaliser des spectacles jeune public ?

T.J : J’en rêve. Mais ça me fait très peur parce que je pense que c’est le public le pire. J’en ai très très envie. J’ai même failli faire un spectacle sur le mythe de Tantale avec un texte de Manon Thorel, mais on a abandonné l’idée parce que ce n’était pas la bonne matière. Par contre, si je fais un spectacle jeune public, ce sera un très grand spectacle sur un très grand plateau avec de grandes images. Ne pensons pas jeune public égal petit spectacle. Après, le jeune public se pense aussi avec le plus vieux public. Mais c’est vrai qu’on n’emmène pas un enfant de cinq ans voir Richard III… Encore qu’il y en a eu. Je ne pense pas qu’il y ait un âge limite pour commencer à aborder le théâtre. Mais réfléchir à une œuvre pour le jeune public, oui. Mais pour moi, ce n’est pas en lien avec les actions culturelles qu’on mène, c’est encore autre chose. Les actions sont structurantes pour les territoires, structurantes pour le public parce que je pense que le théâtre est un outil formidable pour chacun, dès le plus jeune âge, mais pour moi ce n’est pas relié.

O.B : Comment vis-tu l’ultra-médiatisation dont tu fais l’objet ?

T.J : Naïvement. Que les choses soient claires : je n’ai pas une attachée de presse qui me trouve des rendez-vous avec les journalistes. Les journalistes arrivent tous seuls depuis Henry VI, ainsi que des nouveaux médias. Le premier a été « C’est à vous » sur France 5 qui, en septembre 2014, m’a invité pour parler d’Henry VI. Ça m’a bluffé. Et puis il y a eu le Supplément sur Canal +, puis TF1, puis Laurent Ruquier… En fait, les journaux, les critiques, les blogs, c’est plutôt classique, mais il y a de nouveaux médias qui sont venus pour parler de théâtre. Le théâtre et la télévision ont du mal à trouver leur accord – le théâtre et les médias de manière générale – et je trouve ça dommage, parce que la télévision et les grands médias sont aussi un moyen de toucher un plus large public. Il y a des gens qui sont venus voir Richard III parce qu’ils m’avaient vu à la télévision, tout simplement, et qui ensuite ont continué d’aller au théâtre. J’ai des mails de spectateurs qui sont hallucinants. Du coup, je ne le vis pas pour moi, je le vis pour le théâtre, je me dis « c’est bien, on parle de théâtre ». Mais finalement, je m’en fiche un peu pour moi-même. Je sais qu’il y a un truc qui se comprend mal, on se dit « Thomas Jolly voudrait être en tête d’affiche » mais pas du tout, ce n’est pas mon but. Je n’œuvre en rien pour cela, c’est le travail qui appelle ces médias-là. Après, évidemment, je joue le jeu, mais j’ai aussi refusé des émissions, des choses qui me semblaient à côté de la plaque par rapport à ce que j’avais à raconter, j’ai aussi revu des papiers qui ne me semblaient pas justes. La médiatisation pour moi n’est pas un gros mot, et puis, je ne suis pas Beyoncé non plus, ça reste du théâtre. Mais peut-être que ça désamorce une idée du théâtre qui est quand même nébuleuse pour beaucoup de gens en France. Je ne connais pas de gens qui disent « je n’aime pas le cinéma » ou « je n’aime pas la musique ». On peut entendre « je n’aime pas ce réalisateur ou cet acteur », « je n’aime pas ce chanteur ou cette chanteuse » mais pas « je n’aime pas la musique ou le cinéma ». On entend par contre « je n’aime pas le théâtre ». Pour moi c’est un problème. On ne peut pas ne pas aimer le théâtre. On peut ne pas aimer un certain type de théâtre, d’acteur, d’esthétique, d’accord, mais on ne peut pas ne pas aimer le théâtre. Donc les médias, je crois qu’il faut savoir les utiliser à cet endroit-là pour inviter à découvrir le théâtre, désamorcer les appréhensions, l’intimidation des bâtiments, des œuvres… C’est comme ça que je vois la question de la médiatisation. Mais je le vis bien.

O.B : Tu déchaînes également beaucoup les passions sur les réseaux sociaux, comment le vis-tu ? As-tu le sentiment d’incarner une forme de modèle ou de porter les espoirs d’un certain public ?

T.J : Je répète toujours que je ne peux pas être un modèle, et je ne fais rien pour en être un, car il n’y en a pas. Comme en amour, si on savait comment marchait le théâtre, s’il y avait des modèles à suivre, on serait moins malheureux en amour et le théâtre serait un art moins difficile d’accès.

Les réseaux sociaux ? Comment te dire… Internet est arrivé très vite chez moi, j’ai eu un téléphone portable à la fin du lycée, on pourrait plus ou moins parler de « digital native » même si je suis né un peu avant. Donc Facebook était, comme pour chacun, un outil social avec mes amis, puis c’est devenu un outil de communication professionnelle, tout comme Twitter. Ce n’était pas par stratégie de communication, j’avais déjà des comptes. Alors forcément, je vois ce qui se dit sur moi, je lis des critiques, je réponds à des gens, on interagit et pour moi c’est un lien possible avec les spectateurs. Et pour eux, c’est un lien possible avec les artistes de la compagnie. Je crois que ces réseaux créent une passerelle numérique et virtuelle dans un premier temps, qui devient réelle dans un deuxième temps. Dans un premier temps, ils permettent de faire une passerelle vers le théâtre : un teaser lancé sur Facebook peut donner envie aux gens de venir toquer à la porte et de rentrer dans le spectacle. Un jour, au cours d’une rencontre avec des lycéens, il y en a un qui m’a dit, texto : « Pourquoi vous vous emmerdez à jouer tous les soirs la même chose alors que vous pourriez l’enregistrer et diffuser ça devant les gens tous les soirs ? ». Voilà. C’est une question d’un adolescent de 16 ans aujourd’hui en 2016 vis-à-vis du théâtre. C’est donc bien que la question du vivant à vivant n’est pas comprise, entendue, sue, connue et éprouvée, alors que c’est une qualité que seul le théâtre possède. Les réseaux sociaux permettent d’avoir ce premier lien virtuel, mais qui amène vers ce vrai lien, essentiel et structurant, d’être entre vivants.

O.B : Donc tu n’as pas peur d’être pris dans une sorte de « star system » ?

T.J : C’est le jeu, c’est un métier exposé. Si ça devenait trop douloureux, ou trop bizarre, je prendrais du recul et fermerais mes comptes – je ne me sens pas prisonnier. J’ai lu dans Le Monde cette semaine « à Avignon comme ailleurs Thomas Jolly est une star »… En fait, pour tout te dire : je travaille. C’est ça la réponse à la question, je ne fais que travailler, du lundi neuf heures au dimanche deux heures du matin, je travaille. Les réseaux sociaux, la presse, ce sont des conséquences de ça, mais pas le moteur. Le moteur c’est le boulot, c’est la scène, c’est le théâtre. En fait, je suis plutôt étonné, parce que je suis très enfermé dans mon boulot, dans ma salle noire, dans mes bouquins, avec les acteurs, et puis je me rends compte qu’il y a une onde de choc de mon travail. Mais je ne veux pas la générer, elle est inhérente à ce travail. Pour l’instant elle ne me pollue pas. Après, on lit des choses douloureuses, violentes – incompréhensiblement violentes d’ailleurs – ou au contraire complètement passionnées et passionnelles…. Mais c’est aussi la force de l’art, ça vient taper à des endroits que je ne soupçonne pas. Je ne soupçonne pas, par exemple, que l’histoire de Richard III va toucher profondément quelqu’un quand je suis en train de travailler. C’est la force de l’art. Moi, par exemple, je suis resté bloqué à Beaubourg devant un tableau de Mark Rothko. Bloqué, mais bloqué à pleurer, pour de la peinture ! Mais cela, je ne le cherche pas, si ça arrive, c’est que c’est l’objet théâtral qui le génère.

O.B : Y a-t-il un rôle que tu rêverais de jouer ?

T.J : Saint Genest, dans le Véritable Saint Genest de Rotrou, pièce méconnue. Saint Genest est le saint patron des comédiens. Son histoire est assez belle, puisqu’il doit jouer qu’il a une révélation divine sur scène, et il a une révélation divine, mais personne ne s’en rend compte. En plus, on est sous l’empire romain, au moment des conflits entre la religion polythéiste romaine et le christianisme, donc il y a une tension politique très forte à cet endroit-là. C’est une pièce superbe.

Mais il y a aussi une chose : c’est que je n’avais pas de rêve pour moi, pour mon théâtre, pour ma « carrière ». Je n’avais pas de rêve. Il y a moins d’un an et demi, je passais devant l’opéra Garnier en me disant « peut-être un jour qui sait ? » mais sans l’espérer profondément. « Peut-être qu’un jour je ferai une mise en scène à l’opéra de Paris ? ». Deux mois après, on me le propose, sans que je ne le voie venir. Je me disais « Avignon, peut-être quand j’aurai quarante ou cinquante ans, je jouerai au festival. Il faudra que je commence par le Off, que j’aille y jouer mes pièces » et puis paf, on me propose de jouer Henry VI. L’Odéon, même chose. Je ne passais pas devant ces bâtiments en rêvant dessus. Je ne rêvais pas à Henry VI, il est arrivé et ça a structuré ma vie pendant six ans. Aujourd’hui, quand on me fait une proposition, je le prends comme une partie du chemin ; je ne prends jamais aucun des spectacles ou des choses qu’on me propose comme des buts à atteindre. Je n’ai pas de but à atteindre, j’ai juste envie de faire les choses. Et puis j’ai aussi cette propension à me fondre passionnellement dans les rôles dont j’ai la charge. Donc, si demain on me donne le hallebardier, je ferai un hallebardier formidable mais si on me donnait Hamlet, j’essaierai de faire un Hamlet formidable. On ne peut pas rechigner à jouer Hamlet ou même n’importe quel rôle. En fait, je n’ai pas de rêve, et je pense que cela fait que tout devient un rêve, parce que je ne projette rien, je n’ai pas d’attente.

O.B : En tant que spectateur, qu’est-ce qui te marque le plus dans une représentation ?

T.J : En tant que spectateur, mon plaisir vient de la force de frappe qu’envoie le plateau sur le public et la question de la communauté avec les spectateurs. Mon plaisir vient de là. Pas tellement de la qualité esthétique, des acteurs, des choix dramaturgiques du metteur en scène, mais plutôt de la capacité du spectacle à me faire réfléchir, à fédérer et à me faire me sentir vivant au sein des autres. Être tous vivants les uns avec les autres. Et pas du tout de l’esthétique ni des choix, je trouve que les critiques s’arrêtent trop là-dessus. La question du goût est une question qu’on ne pourra jamais saisir, en revanche, on peut tous sentir qu’il se passe quelque chose dans une salle, peu importe si en termes de goût on aime ou pas. Soit quelque chose existe, soit quelque chose n’existe pas. En tant que spectateur, c’est ça que je viens chercher, et donc ce que je cherche à redonner en tant que metteur en scène et acteur. Je veux que ça existe. Je ne veux pas que ça plaise, je m’en fous, je veux que ça existe, qu’il y ait une pensée brassée dans l’espace de la représentation et du théâtre, le corps d’un ensemble de spectateurs face à une œuvre frappante. Parce que sinon, on ne s’en sort pas. Et c’est là que je me pose des questions sur Richard, parce qu’il se passe quelque chose, c’est indéniable et même les critiques très mauvaises le reconnaissent. C’est intéressant de se poser la question. Mettons de côté ce que l’on croit de Richard et analysons pourquoi cette communauté de spectateurs se fédère autour de cet objet. Pourtant, tout le monde n’aime pas, mais quand même, quelque chose se passe dans la salle qu’il est important, je crois, de pointer, et qui me semble aujourd’hui plus important que les questions esthétiques. C’est comme ça que je me place en tant que spectateur : quand je m’assois, j’ai envie de me sentir avec les autres spectateurs, vivant au même endroit en même temps, et que ma pensée, avec celle des autres, soit en circulation.

O.B : Et donc, en tant que spectateur, où te places-tu dans la salle ?

T.J : Je me rends compte que je suis plutôt dans la demi-salle haute. Parce que je crois que je suis plus intéressé par l’ensemble de la mise en scène que par la proximité avec les acteurs. Je crois que je suis plus sensible au spectaculaire plutôt qu’aux détails, même si j’adore être au premier rang et voir les trépignements de lèvres, de paupières ou les larmes. Mais il y a quelque chose, pour moi, qui tient de la masse spectaculaire qui m’arrive, donc plutôt là-haut.

O.B : Quelle place penses-tu que le théâtre occupe aujourd’hui dans la société et quelle place devrait-il selon toi occuper ?

T.J : Jean Vilar : « Il s’agit d’abord de faire une société après quoi, peut-être, nous ferons du bon théâtre ». Ca rebondit sur ce que je disais: les questions esthétiques, on s’en fout, l’idée c’est de faire une société, au moins pendant le temps d’une représentation, et qui peut-être donnera l’exemple et se généralisera plus tard. Je crois que le théâtre doit être à cet endroit-là, un outil structurant, sociétal. Plus que la danse, plus que les musées, plus que la musique, plus que tous les autres arts, parce qu’il a le récit et que le récit nous manque. Le manque de projection d’un récit politique, d’un récit d’avenir pour notre société, crée de l’angoisse donc de la violence. Or le théâtre est l’art qui détient le récit, les pièces, les poèmes, les auteurs, en plus d’être l’art du vivant. Donc je pense qu’il devrait être aujourd’hui, et je suis sérieux, exactement comme sous l’empire romain, comme ici à Avignon, un temps où tout s’arrête et où tout le monde va au théâtre pour penser ensemble, se sentir ensemble et comprendre, du récit qu’ils reçoivent, ce qu’il faut inventer comme récit aujourd’hui. Il devrait occuper cette place là mais c’est forcément impossible. Sauf ici, où une petite partie de la population seulement joue à ce jeu-là, de tout arrêter pour recevoir du récit et être ensemble. Aujourd’hui, le théâtre a une belle place en terme de politiques culturelles. Il est soutenu, mais comme la société est en défaite, alors il faudrait le pousser davantage.

O.B : Tu parles des Dionysies romaines, il y a quelques temps tu évoquais Thyeste de Sénèque… Es-tu particulièrement intéressé par le théâtre antique ?

T.J : En fait, je fais le chemin inverse : j’ai beaucoup travaillé les écritures contemporaines à l’école, puis je suis plutôt passé chez Marivaux, Guitry, un petit retour sur Ravenhill et puis Shakespeare. C’est avec Shakespeare que d’un coup tu te dis que lui s’inspirait des antiques, donc je suis allé relire les antiques. Effectivement, revenir aux récits fondateurs de l’humanité et du théâtre, Sénèque, Eschyle, Euripide, Sophocle, Plaute, Ovide, Aristophane, Virgile, tous ces textes-là me font beaucoup de bien en ce moment, comme pour essayer d’aller comprendre d’où l’on vient et ce qui a bien pu se passer. Et c’est passionnant. On verra quel sera mon prochain projet, mais je crois que ce sera un grand texte, un mythe, un récit fondateur de notre civilisation voire de notre humanité.

O.B : Comment imagines-tu le monde du théâtre dans cinquante ans ?

T.J : Je ne suis pas inquiet, pas d’inquiétude pour le théâtre. Tu sais, ça fait deux-mille cinq cents ans qu’il est là, je ne vois pas pourquoi en cinquante ans il disparaîtrait. Toutes les révolutions lui sont passées dessus et aucune n’a eu raison de lui : révolutions citoyennes, philosophiques, esthétiques, technologiques, mécaniques, religieuses… Rien n’a eu raison de lui et je crois que le théâtre, comme l’eau, trouve son chemin. Mais quel théâtre ? Et pour qui ? Ca prendra sûrement plus de cinquante ans, mais une de mes plus grandes utopies serait qu’on ne dise plus « je n’aime pas le théâtre », ce serait une joie. Je pense qu’on est aussi à un tournant historique, c’est-à-dire qu’on est à une période pivot, et le théâtre, à toutes les périodes pivot, s’est redéfini. Je crois que la question de la décentralisation, de la démocratisation, la question des milieux ruraux ou des publics plus éloignés n’est pas une obsession que chez moi. Elle est aussi l’obsession de beaucoup de jeunes gens qui sont en train de faire du théâtre. Je crois que le théâtre va irriguer davantage encore dans les cinquante prochaines années et certainement se raccrocher aux citoyens et aux populations.

Autre chose : le théâtre ne sait pas encore comment se saisir des outils numériques, mais je suis certains qu’il va pouvoir les utiliser pour revenir à une chose beaucoup plus essentielle, avec de moins en moins de choses sur le plateau. Je pense qu’on va revenir à une forme de pureté, de radicalité du théâtre, et que tous les outils technologiques vont servir cette chose-là. J’ai l’impression que c’est plutôt vers ça qu’on tend.

O.B : Peux-tu essayer de me définir ou de me qualifier en quelques mots le théâtre ?

T.J : Le théâtre est l’art et l’outil qui rappelle à l’être humain qu’il est vivant et qu’il n’est pas seul. Donc il est utile en ce moment. Tu sais, les Romains importent le théâtre des Etrusques pour conjurer la peste à Rome. Les Grecs fondent le théâtre en même temps que la démocratie, en outil démocratique. Shakespeare reprend les mythes ou l’Histoire de son pays pour rassembler et inclure tout le monde. Les grands auteurs ou les grandes aventures de théâtre, comme Jean Vilar ici, c’est vraiment le rappel à l’être humain qu’il est vivant et qu’il n’est pas tout seul. En tant que vivant, il doit être acteur, agir, être citoyen dans l’action et pas seul, donc il doit comprendre l’autre, faire avec l’autre, être l’autre, prendre l’autre avec soi. Et c’est vraiment la complexité de notre nature humaine : nous avons la pensée, nous avons l’être ensemble et nous avons la responsabilité de tout cela. Le théâtre est là pour ça, je crois. Il n’est pas là pour divertir, même s’il peut être divertissant. Je ne dirais pas mieux que ça : rappeler à l’Homme qu’il est vivant et qu’il n’est pas tout seul.

O.B : Dans ce que tu dis, on a l’impression que tu conçois le théâtre uniquement comme un outil au service d’une cause. Est-ce le cas ?

T.J : Un outil d’art. Mais oui, je crois que le théâtre porte en lui des valeurs, des vertus, des symboles, des préceptes absolument urgents pour chacun et pour tout le monde : partage, bienveillance, écoute, épopée, langue, pensée, politique. C’est un outil politique au départ. Il véhicule tout ça donc il ne peut pas être considéré comme une fantaisie ou un divertissement pur, même si encore une fois il peut être divertissant. Il est vraiment un outil structurant. Je l’ai peut-être dit maintes et maintes fois, mais je crois à ça. Avignon était une idée structurante pour la France à la sortie de la guerre. Les théâtres élisabéthains étaient structurants pour la cité londonienne. Les Dionysies étaient structurantes pour la vie de la cité. Ce n’est pas une structure rigide, simplement un pivot, un pilier, un outil pour se construire soi, soi avec l’autre, avec les autres, et pour construire, aussi, les autres. C’est cela, c’est un outil de construction.

O.B : Question bonus : Y a-t-il une question que tu aimerais que l’on te pose ? Quelque chose dont tu voudrais parler sans que l’occasion ne se soit présentée ?

T.J : En ce moment, j’aimerais bien qu’on me pose la question « Qu’est-ce que tu vas faire ? » parce que c’est une grosse question que je me pose et que j’ai besoin de formuler. Qu’est-ce que je vais faire ? J’ai clôturé le cycle Shakespeare, là, on clôture Avignon, la non-nomination au TNB clôt une projection possible mais qui ne se fait pas, dix ans de compagnie… Je me sens à un endroit pivot, une nouvelle page à écrire. A l’heure où on se parle, je ne sais pas encore ce que j’ai envie d’écrire et ça me rend curieux, ça m’excite beaucoup. J’ai besoin qu’on me pose la question pour que je puisse formuler ça, prendre ce temps-là, parce qu’il y a une différence entre ce qu’on perçoit de la compagnie, de Thomas Jolly, et ce qu’est la compagnie, ce qu’est Thomas Jolly. Il ne faut pas oublier ça, c’est un processus en cours, c’est quelque chose qui s’écrit et qui prend du temps. Donc là, j’ai besoin qu’on me pose cette question : « qu’est-ce que tu as envie de faire ? ». Mais je ne sais pas répondre, encore. Plein de choses. Mais tout à coup, d’avoir cette fenêtre qui se ré-ouvre sur le temps et sur l’avenir… Je veux pouvoir m’en saisir.



Photo de Thomas Jolly : © Olivier Metzger Modds

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"Moses und Aron" de Schönberg à l'Opéra de Paris – ARTE Concert. Dir. musicale Philippe Jordan, mise en scène Romeo Castellucci

Opéra fondateur du XXe siècle, l’œuvre de l’inventeur du dodécaphonisme n’avait plus été représentée à l’Opéra de Paris depuis quarante ans. Première création de la saison 2015-2016 et de l’ère Stéphane Lissner, nommé directeur de l’institution cette année, Moïse et Aaron représente un défi pour le charismatique maestro suisse Philippe Jordan, confirmé au poste de directeur musical, ainsi que pour le metteur en scène Romeo Castellucci, qui effectue des débuts très attendus sur la scène de l’Opéra Bastille. Thomas Johannes Mayer et John Graham-Hall, qui tiennent les rôles titres, ne seront bien sûr pas en reste.

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Bernard Foccroulle : « L’opéra a besoin de nouvelles formes»

Bernard Foccroulle : « L’opéra a besoin de nouvelles formes» | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Marie-Aude Roux dans Le Monde :

 

A 61 ans, Bernard Foccroulle, directeur général du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence depuis 2007, est l’une des figures de proue du monde de l’opéra. Par ailleurs organiste et compositeur, il préside l’association Opera Europa, qui fédère cent quatre compagnies issues de trente-trois pays. A la veille de la 67e édition du festival, il estime que cette forme musicale séculaire n’a pas dit son dernier mot.

Vous entamez votre neuvième saison au Festival d’Aix-en-Provence. Quelle est la tonalité de cette édition ? Féminine ?

Il y a effectivement une présence féminine forte cette année. Non seulement pour ce qui concerne les titres d’opéra proposés – Alcina, de Haendel, L’Enlèvement au sérail, de Mozart, ou le diptyque Tchaïkovski-Stravinski, Iolanta/Perséphone. Mais aussi par la personnalité de chanteurs comme Patricia Petibon, de metteurs en scène comme Katie Mitchell, ou encore la compositrice Ana Sokolovic, dont l’opéra pour six voix de femme, Svadba (Mariage) est une première scénique. Les femmes apportent un regard sur l’évolution du monde dont nous avons tous besoin.

Lire aussi : « Alcina », un déchaînement de fureur, de plaisir et de passion

On a parfois l’impression que la création vous intéresse plus que le répertoire…

C’est faux. Mais je trouve le rapport entre les deux totalement déséquilibré et regrette le manque général d’investissement artistique et créatif, que ce soit en termes de répertoire ou de présence d’artistes, compositeurs, poètes, écrivains, chorégraphes, metteurs en scène ou plasticiens.

Vous soufflez le vent en espérant la tempête ?

L’opéra a besoin de nouvelles formes lyriques. Cela passe par la réforme de certains usages comme le sacro-saint modèle des cinq à six semaines de répétitions que nous imposons à tout le monde. Je préconise des périodes de travail plus courtes sur le long terme (parfois plusieurs années). Cela favorisera sûrement l’émergence de projets plus mûrement réfléchis et plus novateurs.

L’histoire de l’opéra prouve pourtant que l’urgence a toujours été la norme…

Travailler vite était possible parce que tout le monde parlait le même langage. Un musicien, un plasticien, un écrivain, partageaient les mêmes valeurs esthétiques. Le dialogue était, en quelque sorte, permanent. Et puis les compositeurs écrivaient beaucoup, ce qui leur permettait d’affiner leur apprentissage. Un opéra demande en général aujourd’hui plusieurs années de travail dans une relative solitude. C’est pourquoi, il nous faut retourner aux sources mêmes de l’opéra, retrouver l’émulation collective qui a présidé à son élaboration dans les cercles florentins à la fin du XVIe siècle. Savoir pour quels musiciens on va composer, élaborer l’écriture scénique avec le metteur en scène, entendre un livret travaillé par des comédiens, tout cela constitue une expérience formidable pour un jeune compositeur.

On imaginerait a priori plus ce genre de projet dans une maison d’opéra…

Au contraire ! Les festivals ont toujours été précurseurs. Dans les années 1940-1950, ils ont été à l’avant-garde pour l’ouverture des répertoires, les nouvelles pratiques stylistiques et interprétatives… Aujourd’hui, nous sommes en situation privilégiée pour devenir le laboratoire de l’opéra du XXIe siècle.

Vous militez pour la petite forme, pièce courte et concentrée. N’est-ce pas une solution de facilité ?

Non, c’est seulement une des réponses possibles. La petite forme permet aux maisons d’opéra de sortir hors les murs, elle est aussi plus confortable pour de jeunes compositeurs que peut décourager une armada de quinze solistes avec chœurs et orchestre. Et puis qu’a-t-elle à envier au grand opéra en termes de densité musicale ou de questionnement dramaturgique quand il s’agit de chefs-d’œuvre comme Le Tour d’écrou, de Britten ?

N’y a t-il pas aussi, derrière cela, la quête d’un vivier de spectateurs pour demain ?

Le but n’est pas de conquérir un plus grand nombre de spectateurs, mais d’approcher petit à petit un échantillonnage représentatif de nos villes et de nos cités, ce qui est actuellement loin d’être le cas. Pour cela, il faut dynamiser les relations entre le public, l’institution et le spectacle. Le numérique y contribue de manière substantielle, mais plus encore la rencontre avec les artistes en chair et en os, sans parler du moment culminant de la représentation. Je suis relativement confiant : chaque année, nos prégénérales sont remplies de jeunes, a priori très loin du monde de l’opéra. Du point de vue des artistes, ce sont les meilleures salles. Ils ont compris qu’il ne suffit plus de bien jouer ou d’avoir une conscience stylistique. Ils doivent savoir pourquoi et pour qui ils jouent. Cela passe par de nouvelles formes de participation. Cette année, l’opéra pour tous de Jonathan Dove, Le Monstre du labyrinthe, a enrôlé trois cents amateurs qui ont travaillé chaque semaine pendant huit mois afin de se produire les 8 et 9 juillet avec les musiciens du London Symphony Orchestra et de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée sous la baguette de Sir Simon Rattle.

Votre mandat devrait s’achever en 2017. Ne craignez-vous pas que l’on vous reproche d’avoir dénaturé le Festival d’Aix-en-Provence ?

Le cœur du festival, créé en 1948 par Gabriel Dussurget, est bien vivant. On a le gratin des artistes, et le public peut toujours venir pour les grandes productions comme il le faisait auparavant. Seul le cadre s’est élargi, mais c’était incontournable. Nous sommes dans un moment de mutation, douloureuse mais nécessaire. Si on continue comme avant, on va droit dans le mur.

Quel sera pour vous le rôle futur de l’opéra ?

Son interdisciplinarité facilite les rencontres avec d’autres cultures et le partage de valeurs dont nous sommes les héritiers. Il ne s’agit ni de paternalisme ni de postcolonialisme, mais de nouveaux rapports qui restent à inventer. Il y va non pas de la survie de l’Europe, mais de ce qu’elle peut apporter de meilleur au monde. Et l’artiste est un formidable médiateur.

Propos recueillis par Marie-Aude Roux

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Christophe Honoré allume « Pelléas »

Christophe Honoré allume « Pelléas » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Marie-Aude Roux dans Le Monde :

 

C’est avec un Pelléas et Mélisande de Debussy tiré par les cheveux mais d’une beauté singulière que Christophe Honoré a réalisé la deuxième mise en scène d’opéra de sa carrière pour la scène lyonnaise. Un Pelléas d’enfants terribles et pervers au fin fond de ce qui pourrait être l’ex-Yougoslavie, dans une usine semi-désaffectée où règne en maître un patron mafieux, Golaud, flanqué de son chauffeur homme de main.

Car la plupart des scènes cruciales ont lieu en bagnole, de la rencontre de Golaud avec Mélisande en pleine forêt à la mort de cette dernière, noyée pierres dans les poches dans une mer létale. Sans parler de la fameuse scène de la tour, une partie de jambes en l’air savamment chorégraphiée sur le capot de la Jaguar. Les phares ont des yeux qui s’allument dans le noir, et appellent au néant.

Ici, on ne voit jamais le soleil, dit Maeterlinck. Ici, il neige sur la fontaine des Aveugles et sur l’envol de l’anneau conjugal vers le soleil. Pas la blancheur onirique qui ennoblit les songes mais le manteau froid et silencieux recouvrant le corps de ceux tombés à terre. Mélisande est de ces filles perdues ramassées dont les réflexes de défense évoquent ceux des animaux fatigués pris au piège ; Pelléas, un jeune fauve en cage dont la porte a soudainement cédé. Golaud, tyran sexuel, a vu s’effondrer sous lui une domination régie par le consentement au sang. Une Geneviève aux allures de mère maquerelle et un grelottant Arkel parkinsonien complètent ce terrible tableau de famille en noir et blanc.

Jeu et émotion des mots

Mais c’est à Yniold, l’adolescent solitaire et tourmenté de « hargnosités vagues », eût dit Rimbaud, que Christophe Honoré confie son roman d’apprentissage. Au travers de son regard encapuchonné sont scannées les scènes du drame. Il a passé l’âge de jouer à saute-mouton et s’essaie lui aussi à la cruauté, comme lorsque, sous la perruque de Mélisande, il esquive les caresses incestueuses du vieil Arkel. Les hauts et clairs décors, murs, cour, bâtiments, cahute, sont d’une austérité sans âme (ils font un bruit d’enfer à chaque changement de décors). De même les lumières glauques et crues. Mélisande joue avec ses cheveux et ses perruques de magazine, tour à tour blondes ou brunes. Mais c’est sa vraie chevelure châtaine bouclée qu’Hélène Guilmette offre aux doigts pressants de Pelléas, avant que Golaud ne la saisisse dans un accès de folie. La vidéo occupe évidemment un espace essentiel, qui double et commente les scènes quand il ne squatte pas narrativement les passages symphoniques. Mais les images en noir et blanc sont magnifiques, les plans de détails d’une poésie poignante.

Christophe Honoré a balayé le monde symboliste de Maeterlinck pour unno man’s land peuplé de fantasmes. La voûte des étoiles ne tombera pas sur les amants extasiés au moment suprême du baiser, mais dans la mort ouverte par le fer de Golaud au flanc sacrificiel de Pelléas. Les corps existent, les corps exultent, ils se tordent, ils meurent. Mais le travail du cinéaste grand manitou des désirs ne résisterait pas à une distribution ne fût-ce que moyenne. Tous les chanteurs sont là aussi remarquables.

A commencer par le Golaud violemment harassé de Vincent Le Texier, aussi touchant qu’inquiétant, poussant le rôle aux limites de la vocalité et du cri. Dangereux parce que séduisant, le Pelléas plein d’ivresse de Bernard Richter chante avec, dans la gorge, le soleil noir de ceux qui ne vivront pas longtemps. Le timbre peut être éclatant et doux. Son aveu d’amour, dans la dolence fluide d’un tourment délicieux, est l’un des plus beaux que nous ayons entendus.

Sensuelle et coquette, petite matrone et poupée mécanique, la Mélisande d’Hélène Guilmette dote son personnage d’une clarté rayonnante. La richesse du timbre de Sylvie Brunet-Grupposo enlumine à la feuille d’or la lettre lue par Geneviève, tandis que Jérôme Varnier prête à la faiblesse d’Arkel sa voix mince à la trame un rien élimée. Yniold (Léo Caniard) a le tranchant aigu de l’enfance qui sait et voit tout : c’est un oraculaire qui ne veut pas parler.

La direction de Kazushi Ono a suivi ce rythme d’images calqué sur le jeu et l’émotion des mots, jusque dans les moments d’interlude purement symphonistes. La musique de Debussy a gagné en rhétorique narrative, en angles et perspectives, ce qu’elle a perdu en couleurs et sensualité impressionniste. Un seul regret : que la Jaguar soit repartie comme elle était venue.

Pelléas et Mélisande, de Debussy. Avec Hélène Guilmette, Bernard Richter, Vincent Le Texier, Sylvie Brunet-Grupposo, Jérôme Varnier, Léo Caniard, Christophe Honoré (mise en scène), Sébastien Lévy (dramaturgie), Alban Ho Van (décors), Thibault Vancraenenbroeck (costumes), Dominique Bruguière et François Menou (lumières), Michael Salerno (vidéo), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono (direction). Opéra de Lyon, Lyon (1er). Jusqu’au 22 juin. Tél. : 04-69-85-54-54. De 13 € à 94 €. Opera-lyon.com

Marie-Aude Roux
Journaliste au Monde

 

Lire l'article sur le site du Monde : http://www.lemonde.fr/scenes/article/2015/06/13/christophe-honore-allume-pelleas_4653453_1654999.html

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Stéphane Lissner : « L’opéra doit combattre l’immobilisme »

Stéphane Lissner : « L’opéra doit combattre l’immobilisme » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Le Monde :  Stéphane Lissner (62 ans) a succédé à Nicolas Joel à la tête de l’Opéra de Paris en août 2014. Tombé dans le théâtre à l’adolescence, c’est pourtant avec la musique, et notamment l’opéra, qu’il fait carrière. D’abord au Théâtre du Châtelet (de 1988 à 1998), puis au Festival d’Aix-en-Provence (1998-2005). Enfin, à la Scala de Milan, dont il est devenu, en 2005, le premier surintendant non italien.

Travailleur coriace et casse-cou, Lissner possède un flair de limier, un solide carnet d’adresses, et, souvent, une longueur d’avance. Entre les couloirs du Palais Garnier et les étages de l’Opéra Bastille, où il gère la dernière saison de son prédécesseur, il rêve d’en découdre à quelques jours de la conférence de presse du 4 février, qui dévoile sa première saison.

Une programmation intelligente : vingt titres d’opéras, équitablement répartis entre nouvelles productions et reprises, répertoire italien, français et germanique. Le défi ? Faire de Paris la première scène lyrique du monde. Avec, dans sa manche, l’intelligentsia de l’art lyrique (Jonas Kaufmann, Anja Harteros, Anna Netrebko, Ludovic Tézier), la fine fleur de la baguette (Esa-Pekka Salonen, Ingo Metzmacher, Fabio Luisi) et des metteurs en scène dont on ne peut que déplorer qu’ils n’aient pas encore croisé l’Opéra de Paris.

Une forte inclination vers le répertoire du XXe siècle et un goût affirmé pour la création complètent ce tableau prometteur, qui, après les ternes années Nicolas Joel, pourrait bien combler les lyricomaniaques comme les aficionados de la scène théâtrale.

On vous sent impatient…

Oui ! D’autant que j’ai déjà pu apprécier les compétences et l’engagement des 1 700 personnes que compte cette maison. Paris n’a pas d’équivalent, que ce soit en Italie, Espagne, Autriche, Allemagne, où j’ai travaillé. Il y souffle un esprit de liberté que je n’ai pas rencontré ailleurs.

Une liberté qui doit cependant tenir compte de l’histoire spécifique du lieu…

C’est vrai. A Paris, le Palais Garnier (2 000 places) et l’Opéra Bastille (2 700 places) doivent avoir leur propre répertoire et Bastille rester le lieu privilégié des grandes formes de l’art lyrique des XIXe et XXe siècles. Je comprends la tentation d’y reprendre certains grands succès de Garnier mais je ne suis pas d’accord. Le Don Giovanni de Mozart mis en scène par Michael Haneke n’aurait jamais dû émigrer à Bastille.

Comment avez-vous organisé cette première saison ?

Elle est la vitrine d’un projet qui s’inscrit sur toute la durée de mon mandat, jusqu’en 2021. Outre l’accompagnement d’artistes en qui je crois – musiciens, chanteurs ou chefs d’orchestre – programmés au meilleur de leur talent, elle soutient le choix de metteurs en scène dont je partage les convictions esthétiques. Sur les neuf nouvelles productions de la saison prochaine, six seront mises en scène par des nouveaux venus : Romeo Castellucci, Katie Mitchell, Alvis Hermanis, Stefan Herheim, Claus Guth, Calixto Bieito…

Votre premier opéra est une œuvre réputée difficile : Moïse et Aaron, de Schoenberg. Pourquoi ?

Un premier spectacle est toujours un signal. En choisissant Schoenberg, qui a révolutionné la musique au début du XXe siècle, je prends position en faveur d’un certain regard sur l’histoire. Je ne pensais pas que cette œuvre, qui interroge des sujets aussi essentiels que l’exode, la foi, la relation entre le verbe et la pensée, serait à ce point d’actualité.

Patrice Chéreau en était le metteur en scène. Il est mort le 7 octobre 2013. Avez-vous été tenté de renoncer ?

Clairement, oui. Mais le hasard a conduit les choses. Romeo Castellucci avait été la première personne que j’avais vue à Milan. Je lui avais proposé Salomé, de Richard Strauss, en souhaitant qu’il fasse partie de ma première saison mais il n’était pas libre. Avant que la faillite du New York City Opera ne change la donne. Remplacer Patrice est impossible, mais j’espère quand même qu’il sera content.

L’un de vos prédécesseurs, Gerard Mortier (1943-2014), pensait que l’opéra avait pour mission de changer le monde. Et vous ?

Sans être aussi radical, je suis aussi de ce côté-là. L’opéra, comme l’art en général, est là pour poser, s’il le peut, les questions qui dérangent, combattre l’immobilisme, le repli sur soi, la peur de l’autre. Le temps de la réflexion et de la résistance est venu. La finalité d’un spectacle ne peut s’arrêter au fait de plaire ou non.


Vous avez pourtant veillé à contenter un large auditoire, entre œuvres du répertoire et opéras plus rares, nouvelles productions et reprises…

Il y a autant de nouvelles productions que de reprises. A Schoenberg, Bartok (Le Château de Barbe-Bleue) ou Aribert Reimann (Lear) répondent Verdi – le Rigoletto de Jérôme Savary avait 20 ans et nous n’avions pas de Trovatore ! –, Wagner (Les Maîtres chanteurs) et Berlioz, dont La Damnation de Faust ouvre un cycle qui culminera en 2019 avec Les Troyens, pour les 30 ans de l’Opéra Bastille.

Pas de « Ring » wagnérien à l’horizon ?

J’en ai monté un au Théâtre du Châtelet. Un deuxième au Festival d’Aix-en-Provence, un troisième à la Scala de Milan. Je ne vois pas pourquoi l’Opéra de Paris échapperait à la règle !

Verrons-nous aussi le retour de la création ?

Dès la saison prochaine commencera un cycle sur des livrets tirés de la littérature française. La création de Trompe-la-mort, de Luca Francesconi, d’après le personnage du Vautrin de Balzac, sera mise en scène par Guy Cassiers. Il y en aura une par saison : Le Soulier de satin, d’après Claudel, avec le compositeur Marc-André Dalbavie, Bérénice, de Racine, avec Michael Jarrell. Pour la quatrième, je suis encore en discussion avec un écrivain vivant…

La diffusion dans les cinémas fait aujourd’hui partie de la vie des opéras. Que faire quand un metteur en scène, comme le cinéaste Michael Haneke, s’y oppose ?

Michael Haneke a demandé que son Don Giovanni ne soit pas diffusé le 5 février dans les 400 salles de cinéma d’UGC et Fra Productions. J’ai accédé à sa requête. Le cinéaste entretient une relation paradoxale avec l’opéra, dont il n’a pas la maîtrise totale, au contraire du film qu’il tourne. En septembre, nous ferons la dernière reprise de ce Don Giovanni, avec son assistant, Wolfgang Schilly. Sur le programme, il y aura la mention « d’après Michael Haneke », ainsi qu’il l’a voulue.

Contrairement à vos prédécesseurs, vous nourrissez aussi une passion pour la danse…

Je suis littéralement tombé amoureux du ballet. Avoir à nommer un nouveau directeur m’a motivé. Et puis Benjamin Millepied était le seul à avoir un projet qui soit avant tout musical. Nous avons décidé de développer les relations entre la danse et l’opéra. Le projet Tchaïkovski, par exemple, qui réunit Iolanta et Casse-Noisette, reconstitue la soirée de leur création à Saint-Pétersbourg en 1892.

206 millions d’euros de budget – dont 97 millions de subventions –, et pourtant l’Opéra de Paris doit faire des économies. Comment ?

Produire ! Face aux difficultés, je préfère adopter une attitude volontariste : diminuer les dépenses sans toucher à un cheveu de l’artistique. C’est un moyen de créer de la richesse, que ce soit en termes de public, de coproduction, de diffusion, ou de mécénat.

A la Scala, vous aviez instauré une avant-première (« anteprima ») à 10 euros pour les jeunes…

L’Opéra de Paris proposera aussi des avant-premières à 10 euros sur treize spectacles de la saison, soit potentiellement quelque 25 000 spectateurs. La tarification des quatre dernières catégories ne bouge pas, ce qui fait 1 000 places par soirée à moins de 70 euros. Il y a aussi les « Concertini », des petits concerts gratuits donnés avant les représentations. Mais cela ne suffit pas, nous continuons à chercher.

Comme avec ce projet très innovant de la « troisième scène » ?

Oui. Il s’agit d’une scène virtuelle, une plate-forme de création par l’image et la vidéo, qui accueillera en exclusivité des commandes faites aux cinéastes, chorégraphes, photographes, plasticiens, écrivains. Une nouvelle manière de communiquer avec le public, inédite dans le monde de l’opéra, dont la proposition sera effective dès septembre 2015.

Marie-Aude Roux
Journaliste au Monde

 

Et aussi, article du New York Times sur les projets de B. Millepied et St. Lissner (in english) :  http://www.nytimes.com/2015/02/05/arts/international/new-leaders-at-paris-opera-unveil-an-ambitious-future.html?ref=international&_r=1

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