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Le spectateur de Belleville
March 20, 11:10 AM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 20 mars 2025 Emilie Charriot met en scène la pièce de Marguerite Duras avec trois comédiens remarquables qui marchent, s’agitent, ressentent, existent. Un parti pris à rebrousse-poil de la dramaturgie de l’écrivaine.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/03/20/au-theatre-de-l-odeon-une-amante-anglaise-follement-incarnee_6583756_3246.html
Emilie Charriot n’a pas froid aux yeux. Cette metteuse en scène franco-suisse réunit sur ses planches trois éminents comédiens : Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond s’épanouissent dans une pièce formidable (mais redoutable) de Marguerite Duras. L’Amante anglaise est dans l’air du temps : Jacques Osinski l’a mise en scène à l’automne 2024 au Théâtre de l’Atelier, avec une distribution, là encore, de haut vol : Sandrine Bonnaire jouait Claire Lannes, une meurtrière ayant découpé sa cousine sourde-muette. Grégoire Oestermann était Pierre Lannes, le mari, et Frédéric Leidgens, l’Interrogateur, menant l’enquête auprès du couple. Au Théâtre Vidy-Lausanne, où s’est créé le spectacle d’Emilie Charriot (actuellement repris à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris), Dominique Reymond est Claire, Laurent Poitrenaux, son époux et Nicolas Bouchaud, l’homme qui investigue. C’est lui qui ouvre la représentation par une interpellation du public hors-piste et hors scène. Téléphone portable à la main, il fait entendre une chanson des Stranglers, groupe britannique (explique-t-il) qu’ont inspiré le viol et l’assassinat d’une jeune femme par un étudiant japonais, acharné au point de manger le corps de sa victime. Cette évocation du cannibalisme vient à point. Elle nourrit une métaphore qui éclaire la dynamique du spectacle. Alors qu’elle s’attaque à une icône de la littérature dont l’écriture défie l’incarnation comme la théâtralité, Emilie Charriot ne se laisse pas dévorer par la vénération durassienne. En quelques minutes, elle foule aux pieds la plupart des didascalies de la romancière. La représentation de L’Amante anglaise, qui devrait « être sans décor aucun, sur un podium avancé, devant le rideau de fer baissé, dans une salle restreinte », se déroule loin du podium, sans rideau de fer et dans une vaste salle. Effets d’attente La scénographie n’est pas innocente. Un carré de néons d’intensités variables est suspendu dans les airs. Au-dessous se trouve la scène. En son centre, deux chaises se font face sur un revêtement blanc : ces trois cadres qui n’en forment qu’un seul attirent l’attention. C’est là que siège l’espace du jeu et de la profération. Sauf que ce ring sera accaparé par une protagoniste triomphante : Dominique Reymond, qui s’y pose pour ne plus en bouger, alors que ses partenaires semblent n’être que de passage sur ces mètres carrés. Nicolas Bouchaud en tee-shirt et en pull arrive par la coulisse pour se positionner au pied des spectateurs. Laurent Poitrenaux, en chemise, est assis parmi le public. Ils évoluent en périphérie. Jouer cette pièce implique de la déjouer pour éviter les pièges qu’elle tend aux interprètes. Le texte de Marguerite Duras (qui trouve sa source dans un fait divers réel) est retors. Il multiplie les effets d’attente et condamne les deux personnages masculins à n’être que des prologues. Pierre Lannes, parce qu’il est simple témoin, l’Interrogateur, parce qu’il est une suite de questions. Mais la metteuse en scène prend le contrepied de la dramaturgie en ne réduisant pas ces hommes au rang de faire-valoir. Les acteurs marchent, ils s’agitent, ils ressentent, ils existent. Poitrenaux dans une expressivité indignée, Bouchaud dans ses silences vigilants. Aucun ne déserte le champ de la puissance et tous deux cherchent à plier Claire Lannes à leurs définitions et visions. Son émancipation n’en est que plus éclatante. Stature d’héroïne Lorsqu’elle surgit enfin, Claire Lannes impose sa stature d’héroïne. Si Duras élabore un drame qui se soucie des possibles de la fiction plus que de la vérité des événements, Emilie Charriot s’empare de cette pseudo-enquête pour accoucher d’une subjectivité féminine impérieuse. La meurtrière assume ses actes. Elle écrit seule son histoire. Ni son mari, ni l’Interrogateur ne seront parvenus à la cannibaliser. Dominique Reymond arrive en robe noire. Elle s’assoit de profil. Son visage est pâle et ses cheveux tirés. La salle retient son souffle. Un mot, un seul et le pouvoir change de camp. L’actrice inscrit d’emblée Claire Lannes hors de portée des desseins (et dessins) masculins. L’actrice ne dit pas son texte, elle le plante. Chacun des mots est un clou sur lequel s’abat le marteau de sa voix. Elle fait sourire et rappelle Zouc, quand elle soupire, un ange passe, si elle durcit le ton, on frissonne. Elle se dérobe à la prise et aux assignations. Lorsqu’elle se lève, l’Interrogateur, inquiet, s’éloigne. Le mari apeuré rôde en fond de plateau. Elle est d’un bloc et pourtant traversée par mille ironies, mille secrets, mille lucidités. Elle n’avouera jamais où elle a mis la tête coupée de sa cousine sourde-muette. Elle n’est pas dominée, elle domine. « Je n’étais pas assez intelligente pour l’intelligence que j’avais » : dans le silex de la parole, Duras a taillé une pensée sur mesure pour une femme démesurée. Vaincu, Nicolas Bouchaud se couche dans la posture d’un individu tué d’une balle de revolver. Dans le rôle de Claire Lannes, Dominique Reymond vise juste et touche sa cible. A bout portant. L’Amante anglaise, de Marguerite Duras. Théâtre de l’Odéon, Paris 6e. Mise en scène Emilie Charriot. Avec Nicolas Bouchaud, Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond. Jusqu’au 13 avril. Joëlle Gayot / LE MONDE Légende photo : Laurent Poitrenaux et Nicolas Bouchaud dans « L’Amante anglaise », d’Emilie Charriot, au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse), en novembre 2024. Photo © SEBASTIEN AGNETTI
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Le spectateur de Belleville
May 30, 2023 4:41 PM
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Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 30 mai 2023 L’acteur interprète deux pièces d’Harold Pinter, « L’Amant » et « La Collection », au Théâtre de l’Atelier, à Paris.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/05/30/laurent-poitrenaux-un-comedien-passeur-des-textes-contemporains_6175479_3246.html
Cheveu brun coupé court, pupille sombre, chemise blanche sous blouson de cuir noir : les couleurs de l’acteur Laurent Poitrenaux sont invisibles à l’œil nu. Pour les trouver, il faut le faire parler, un exercice qu’il pratique volontiers à la ville comme à la scène. Dans les modulations d’une voix qui se balade entre le métallique et l’onctueux surgit alors l’arc-en-ciel des voyelles dont Rimbaud a si bien révélé les naissances latentes. Depuis qu’il s’est lancé dans le théâtre, Laurent Poitrenaux est devenu le passeur des langues contemporaines. Celle de l’écrivain Olivier Cadiot notamment (mais pas exclusivement). Aujourd’hui, celle du britannique Harold Pinter dont il interprète, sous la direction de Ludovic Lagarde, deux pièces au Théâtre de l’Atelier, à Paris (L’Amant et La Collection). Qu’elles soient poétiques, sinueuses, lyriques ou économes, l’acteur s’empare des écritures sans trembler. La peur qui le taraudait à ses commencements l’a quitté avec la maturité (il vient d’avoir 56 ans). A force d’un travail acharné, il s’est aussi débarrassé du sentiment d’illégitimité qui empoisonne les débutants et des mirages de l’inspiration dont se bercent les illusions. Il n’est pas du genre à soupirer en affirmant d’un rôle : « Je le sens. » Arrimé au rythme des phrases, vissé à leurs points et cramponné à leurs virgules, il fuit les « postures romantiques ». Il se situe « du côté de l’établi, de la bouture, de l’encoche, du faire ». Ce goût du détail, du concret et de l’artisanat éloigne le trac et laisse toute sa place à la jubilation. « Elevé dans la joie » Au fil des spectacles joués (une cinquantaine depuis 1990), ce natif de Vierzon (Cher) s’est glissé dans les proses de Samuel Beckett, Roger Vitrac, Luigi Pirandello, Michel Vinaver, Georg Büchner, Anton Tchekhov, Shakespeare, Molière, Racine, Jean-Luc Lagarce, Witold Gombrowicz, Yannick Haenel, Pascal Rambert, Bernard-Marie Koltès. « Ce qui m’excite, c’est de faire sonner les mots », explique le comédien en confessant sa dette : « Ces dramaturges m’ont rendu plus intelligent que je ne le suis. » Il a noué avec eux une liaison amoureuse qui l’occupe à plein temps, au point de vampiriser son cerveau même lorsqu’il fait silence : « Lorsque je marche dans les rues, je suis toujours en train de me redire mes textes dans ma tête, à toute vitesse. C’est ce qu’on appelle faire des italiennes. » Cette méthode n’a rien d’étonnant lorsqu’on songe au titre quasi programmatique de sa première apparition professionnelle. En 1990, il joue dans Pathologie verbale III. L’ordre du discours, une mise en scène de Thierry Bédard, comparse rencontré sur les bancs de Théâtre en actes, une école fondée par Lucien Marchal, dans le 11e arrondissement de Paris. C’est là que Laurent Poitrenaux fait ses classes : « J’ai été refusé aux écoles nationales. Un peu vexé mais pas traumatisé, j’ai dû passer par ailleurs pour apprendre le métier. » Recalé deux fois au Conservatoire national supérieur d’art dramatique et à l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg, il ne renonce pas pour autant à son rêve : « Je voulais grandir avec des gens, rencontrer une tribu. Je n’avais aucune appétence pour la figure de l’acteur solitaire. » Son père est chansonnier à ses heures perdues. Sa mère adore l’opérette. Deux passions musicales qui enjolivent le quotidien. S’épanouir dans une famille heureuse est un passeport fiable pour l’avenir : « J’ai eu la chance d’être élevé dans la joie et tellement aimé que j’ai pu supporter les pires situations en étant protégé par cette bulle originelle. » Alors qu’il est adolescent, sa sœur aînée lui offre un séjour au Festival d’Avignon. Il n’en faut pas plus pour provoquer le destin. « J’ai découvert là-bas Le Mahabharata, de Peter Brook, les créations d’Antoine Vitez, Tadeusz Kantor, Merce Cunningham ou Patrice Chéreau. Je me prenais baffe sur baffe. Je ne comprenais pas tout, mais je suis reparti avec une certitude : c’est vers cela que je voulais tendre. J’ai été comblé au-delà de mes espérances. » Demandé et redemandé Voilà trente-trois ans qu’il enchaîne les représentations en évitant les traversées du désert. Laurent Poitrenaux est un acteur demandé et redemandé par les metteurs en scène. Fidèles d’entre les fidèles, Arthur Nauzyciel et Ludovic Lagarde, qui ont démarré avec lui leurs aventures artistiques. Le premier en le distribuant dans Le Malade imaginaire, de Molière (un spectacle qu’ils viennent de reprendre vingt-quatre ans après sa création et qu’ils joueront la saison prochaine au Théâtre Nanterre-Amandiers). Le second en le dirigeant, dès 1991, dans Trois dramaticules, de Beckett, prélude d’une collaboration au long cours à laquelle se greffera la plume d’Olivier Cadiot. En 1999, Le Colonel des zouaves propulse face au public la force pérenne d’une hydre à trois têtes associant l’acteur, l’auteur et le metteur en scène : Lagarde équipe Poitrenaux de micros. La voix démultipliée par des effets sonores, le comédien dévide la parole de Robinson, héros imaginatif d’un récit vagabond. Il impressionne dans ce monologue. Immobile, il se plie aux consignes de la chorégraphe Odile Duboc. Elle lui montre comment « raffiner » ses gestes, économiser ses mouvements, substituer aux gesticulations le haussement d’un sourcil. Lui qui redoutait, l’âge venant, de manquer d’énergie découvre que son corps est un médium expressif qui « n’a pas besoin d’être jeté sur scène pour se faire entendre. » Aujourd’hui, il peut bien l’avouer : « Il y a eu un avant et un après Le Colonel des zouaves. » Cet après est sur le point de devenir un plus jamais. A la manière d’un danseur qui transmet son rôle à plus jeune que lui, il tourne la page du passé. Il confie le personnage de Robinson à Guillaume Costanza, un jeune comédien. Depuis six ans, Laurent Poitrenaux est responsable pédagogique de l’école du Théâtre national de Bretagne aux côtés du directeur Arthur Nauzyciel. Lorsqu’il s’assoit dans le train pour se rendre de Paris à Rennes, il profite des deux heures de trajet pour se replonger dans une de ces « italiennes » qui musclent sa mémoire. « Parfois, je me demande ce que j’aurais fait de tout ce temps passé à dire et à redire des textes si je n’avais pas été comédien ! », s’exclame-t-il soudain. Le trouble le gagne. Comment pourrait-il en être autrement ? II est pour de bon immergé dans les vertiges d’Harold Pinter, ce maître absolu des réalités réversibles qui font passer pour vrai ce qui est faux, et pour faux ce qui est vrai. L’Amant, d’Harold Pinter. Mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux. La Collection, d’Harold Pinter. Mise en scène de Ludovic Lagarde. Avec Mathieu Amalric, Valérie Dashwood, Micha Lescot, Laurent Poitrenaux. Théâtre de l’Atelier, Paris 18e. Jusqu’au 25 juin. De 21 € à 41 €. Joëlle Gayot / Le Monde Légende photo : Laurent Poitrenaux au Théâtre national de Bretagne, à Rennes, le 10 octobre 2020. LOUISE QUIGNON
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Le spectateur de Belleville
October 17, 2013 1:32 PM
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Jean-Luc Lagarce et Théâtre Ouvert c’est une longue histoire qui perdure encore bien au-delà de sa mort. Lucien et Micheline Attoun, ces défricheurs d’auteurs contemporains indispensables, ces dénicheurs de textes devenus incontournables, vigiles attentifs en leur Jardin d’Hiver, ont souhaités la reprise d’Ebauche d’un Portrait d’après le Journal de Jean-Luc Lagarce, mise en scène par François Berreur. Mise en scène pleine de pudeur et toute simple, juste, où le metteur en scène s’efface derrière son sujet. Laurent Poitreneaux y est magistral. Il n’est en aucun cas, et c’est tant mieux, le double de Lagarce qu’il tient à bonne distance. Ce portrait est celui d’un homme, d’un écrivain faussement crâne et vrai pudique dont l’humour ravageur, l’ironie cachait à peine les doutes, les interrogations. Le fil d’une vie avec ses espoirs, ses succès, ses échecs.
Denis Sanglard pour le blog "Un fauteuil pour l'orchestre"
CLIQUER SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE
Jusqu'au 31 octobre à Théâtre ouvert. Deux spectacles en alternance ou en intégrale suivant les dates.
Théâtre Ouvert Centre national des dramaturgies contemporaines Jardin d’Hiver 4 bis cité véron75018 Paris Métro : Blanche – place de Clichy Réservations 01 42 55 55 50 www.theatre-ouvert.net
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Le spectateur de Belleville
February 13, 2024 8:19 AM
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L' enfance de l’art Les masterclasses de la Comédie, CDN de Reims
Episode 1 avec Laurent Poitrenaux ET les élèves de la Classe de la Comédie
Les élèves de la Classe de la Comédie vous convient à un entretien privilégié avec le comédien Laurent Poitrenaux. Un dialogue entre deux générations explorant les débuts dans le monde du théâtre et le cheminement d’un.e comédien.ne.
AVEC Laurent Poitrenaux, comédien ET Kaito Berhart, Amélie Dupuis et Félix Hugue Ecouter le podcast en ligne
Enregistré en public à la Comédie, CDN de Reims le vendredi 19 janvier 2024. Episode réalisé par la Comédie, CDN de Reims avec Martin Quénéhen, Sur le vif studio, sur une idée d’Anne-Lise Heimburger, artiste associée à la Comédie. Lien vers un article de Joëlle Gayot sur Laurent Poitrenaux, article du Monde : https://sco.lt/8kw8mW
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Le spectateur de Belleville
June 28, 2018 12:33 PM
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Propos recueillis par Anne Diatkine pour Libération 28 juin 2018 Bourreau de travail et amoureux profond du théâtre, le comédien a une drôle de particularité dans son milieu : il est heureux. On est désolée mais on s’oppose absolument aux personnes heureuses, qui réussissent passionnément leur vie professionnelle, familiale et conjugale, ne disent du mal de personne et même pas d’eux-mêmes, dès lors qu’il s’agit, non pas de les fréquenter, mais d’écrire leur portrait. Il est tentant de souscrire au célèbre axiome de Tolstoï au début d’Anna Karénine : «Toutes les familles heureuses se ressemblent. Mais les familles malheureuses le sont toujours à leur façon.» Cependant, Laurent Poitrenaux, qui incarne si souvent des personnages tordus, nous oblige à inverser le propos. Et à montrer que c’est la joie qui est subtile et différenciée, alors que l’aigreur et le malheur sont tristement homogènes. De toute manière, on n’a pas le choix. Laurent Poitrenaux réussit tout, même le bonheur. On est donc assis dans les fauteuils en velours rouge du théâtre de l’Odéon, parmi les spectateurs absents, quelques heures avant une représentation de l’Avare, en tournée depuis quatre ans, que met en scène Ludovic Lagarde. Face au plateau, Laurent Poitrenaux revoit le spectacle qui l’a le plus marqué, l’Illusion comique de Corneille, par Giorgio Strehler en 1984, découvert avec sa grande sœur chérie, alors qu’il vivait à Vierzon, dans le Cher. Il avait 16 ans, savait déjà qu’il voulait devenir comédien, et ses parents, postier et secrétaire dans une usine de porcelaine, lui avaient dit : «Tu veux être acteur ? Super ! Vas-y.» C’est Marie-Sophie Ferdane, elle aussi comédienne de renom, qui le dit spontanément, comme en écho. «Ce qui m’a sciée, c’est sa propension au bonheur. Elle n’est pas si fréquente chez les acteurs, qui ont très souvent des parcours cabossés. Il m’a sidérée par sa joie calme, sa certitude d’être au bon endroit, de n’avoir aucun doute qu’il ferait ce métier toute sa vie.» Elle précise : «Ce n’est pas un bonheur sans inquiétude ou sans doute. Mais il n’a pas choisi de les mettre en avant.» Comment s’organise-t-il pour échapper à l’angoisse ? «Je crois qu’il se sent redevable de toute la joie qu’il a reçue enfant. Comme une politesse à la vie.» Lui-même dit qu’avoir grandi avec la confiance de ses deux parents, lui a donné «des ailes», celles qui permettent de voler de Vierzon jusqu’à Paris, sans jamais galérer. «J’ai eu une enfance super-heureuse, entre mon grand-père qui faisait de la musique dans la fanfare municipale et mes parents, très heureux, dont la vraie vie était de répéter des opérettes le week-end. Mon père faisait le présentateur tandis que ma mère chantait et dansait. Ils faisaient partie d’une troupe amateur.» Quand il débarque à Paris, il choisit le cours le moins cher, celui de Jean-Laurent Cochet. «Tout le monde était très encourageant, mais je ne m’y retrouvais pas. J’avais l’impression qu’il y avait un théâtre que ma sœur m’emmenait voir, celui de Kantor, de Peter Brook, de Chéreau, et celui qui était enseigné à l’école, et que les deux ne communiquaient pas.» Il apprend qu’un autre cours ouvre en bas de chez lui, qui à l’inverse fait entrer les jeunes metteurs en scène, pour qu’ils y montent leurs premiers travaux. Poitrenaux y rencontre Ludovic Lagarde, étudiant également, et au café, l’écrivain Olivier Cadiot. «Comme rien ne nous arrêtait, on lui a proposé de nous écrire un texte.» C’est le début d’une collaboration, dont l’amitié s’arrime au travail, et trente ans plus tard, le trio est toujours actif. «Je rêvais, non de notoriété, mais de ne pas faire ce métier en solitaire.» Olivier Cadiot reprend l’image de «l’ange» pour parler de son ami : «Ange, pas au sens d’angélique, mais parce que tout est facile et léger avec lui. C’est un livre ouvert qui fait surgir la moindre virgule du texte.»Poitrenaux, c’est avant tout un corps, qui montre le texte avant même que les mots ne franchissent ses lèvres. Pourtant, lorsqu’on se promène avec lui, on ne discerne rien de particulier. Aujourd’hui il est en costume, un gris passe-partout chic, car à la rentrée il jouera dans un spectacle d’Emilie Rousset qui rassemble différentes intronisations des présidents de la République. C’est uniquement sur scène que ses longs bras cessent d’être ballants et que ses jambes offrent aux mots syncopes et écarts brutaux, ou accentuent leur rythme. C’est particulièrement déchirant dans l’Avare, quand Harpagon, voulant faire jeune, slame ses propos, ou souffre physiquement de son obsession. Il remarque : «C’est la première fois que je joue un classique. Avec des tubes, dont les spectateurs anticipent les tirades et les disent en même temps que moi !» Il avait été un peu «traumatisé» par le film avec De Funès où l’acteur phagocyte le rôle principal. Il s’est enquis auprès de Lagarde : «On est bien d’accord, je ne joue pas la pièce tout seul. J’ai besoin que les autres rôles existent. Car ce qui est important, c’est cette rétention qui rend tout le monde fou.» La troupe revient juste de Chine où elle a joué dans les théâtres neufs et monumentaux devant 1 800 spectateurs qui entrent et sortent, vivent leur vie pendant la représentation. «Je me suis demandé pourquoi ça ne nous dérangeait pas. Sans doute parce qu’on est au plus proche de ce qui se passait au temps de Molière, où le silence n’existait pas et où les gens bougeaient.» Il n’est pas rare que Laurent Poitrenaux joue quatre pièces par an, si bien qu’il est constamment en train de marmonner ses textes dans la rue. A-t-il une vie hors son art ? Bien sûr que non. Il a la chance de partager sa passion avec son épouse, avec laquelle il a joué la Mouette de Tchekhov, mais aussi dans Arguments, l’histoire d’un couple qui joue à chamboule-tout. Ils ont une fille de 9 ans. Cette passion exclusive ne l’empêche pas d’être extrêmement sensible à la montée de l’extrême droite en Europe. Il a voté contre le FN aux dernières élections sans adhérer une seconde à Macron. Après de multiples seconds rôles au cinéma, il porte intégralement le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, d’Ilan Klipper, un joli petit film tourné en douze jours, et tout naturellement avec Poitrenaux, la sortie se passe «merveilleusement bien». L’étonnant est qu’aucun propos n’est énoncé sur le ton de la vantardise ou de l’euphorie trompeuse. Sa plénitude ne tombera pas, elle est dépourvue de mégalomanie. Le lendemain, il nous envoie une citation de Strehler qui l’accompagne constamment : «C’est facile d’aimer le théâtre dans l’ivresse de la jeunesse. C’est encore facile lorsque tu as appris ce qu’est le métier. Puis arrive la jouissance d’être un peu sûr de savoir tout de suite ce qu’il faut faire. […] Puis vient le moment de doute, de fatigue, de tristesse. Tu n’aimes plus avec la passion, avec le sang, avec le sexe. Alors là, tu touches au vrai amour du théâtre.» 1967 Naissance à Vierzon. 1999 Le Colonel des Zouaves d’Olivier Cadiot, mise en scène de Ludovic Lagarde. 2014 La Chambre bleue de Mathieu Amalric. 2016 Victoria (J. Triet). Jusqu’au 30 juin L’Avare à l’Odéon. Anne Diatkine Photo Mathieu Zazzo
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Le spectateur de Belleville
May 23, 2012 10:18 AM
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Cadiot, Lagarde, Poitrenaux : trois mages Le prodigieux Laurent Poitrenaux donne à voir cette pensée surpeuplée, diffractée, à la fois poétique et triviale. Cette pensée en mouvement qui n’est qu’un corps, en définitive. Seul sur scène au milieu du plateau, se mouvant dans un espace limité (celui du corps justement), le comédien est un et multiple : grâce à sa gestuelle qui le déforme ou l’étire, à sa voix – amplifiée ou modifiée par les techniques sonores de l’IRCAM –, aux modulations infinies de son jeu qui donne chair au texte, aux lumières blanches ou vertes qui accentuent sa présence ; grâce enfin aux projections vidéo qui figurent son intériorité (sous formes de photographies, de figures abstraites, de flux de pensée, de couleurs). Quel solo ! Critique parue en juillet 2010 dans le blog "Les Trois coups" CLIQUER SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE Jusqu'au 3 juin au Théâtre du Rond-Point, Paris Critique d'Armelle Héliot pour son blog "Le Grand Théâtre du Monde" : http://blog.lefigaro.fr/theatre/2012/05/lepoustouflant-laurent-poitren.html Critique d'Alban Orsini pour le blog "Culturopoing" : http://www.culturopoing.com/Art/+Un+Mage+en+Ete+m+e+s+Ludovic+Lagarde+jusqu+au+3+juin+au+Theatre+du+Rond+Point+-4868 Site du Théâtre : http://www.theatredurondpoint.fr/saison/fiche_spectacle.cfm/110868-un-mage-en-ete.html
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