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Bilan du Festival d’Avignon 2023 : une nouvelle ère de jeu 

Bilan du Festival d’Avignon 2023 : une nouvelle ère de jeu  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Article  d'Anne Diatkine, Eve Beauvallet et Laurent Goumarre dans Libération - 25 juillet 2023

 

Mise en valeur des femmes, ouverture à l’international, adaptation aux fortes chaleurs… «Libération» fait le bilan de la 77e édition d’un festival de plus en plus sensible aux questions sociales et écologiques, qui s’achève ce mardi 25 juillet.

 

 

 
 

Le souvenir de la Brésilienne Carolina Bianchi, droguée aux sédatifs et endormie plus d’une heure au milieu du plateau. Le souvenir de la Française Clara Hédouin, debout dans la campagne à 4 heures du matin entre les champs d’oliviers pour une enchanteresse randonnée autour de Jean Giono. Le souvenir de l’Allemande Susanne Kennedy et de ses créatures lynchéennes. Le souvenir de la Française Rébecca Chaillon et de ses cheveux interminablement nattés pendant les très belles vingt premières minutes de Carte noire nommée désir. Il y eut bien sûr des clap-clap mous, des déceptions et des sensations de rendez-vous manqués durant ce 77e Festival in d’Avignon. Cependant, à l’heure où se clôt cette première édition signée par l’équipe du Portugais Tiago Rodrigues, reste avant tout la certitude d’avoir vu se révéler ici plusieurs signatures puissantes de la scène contemporaine encore jamais invitées sur le Festival(75 % des artistes étaient primo-invités), parmi lesquelles beaucoup d’artistes femmes.

Une autre certitude, encore : celle que les œuvres à fort ancrage politique et sociétal poursuivent leur expansion dans les programmations mais qu’elles peuvent être signées par de grands artistes audacieux et chercheurs de formes. On en avait un peu douté durant le mandat précédent d’Olivier Py, exception faite de Milo Rau, révélé à Avignon par la précédente équipe et à nouveau invité avec une très belle pièce créée avec les activistes du Mouvement des sans-terre en Amazonie.

Le défi de démocratisation du public du in reste un chantier. Olivier Py en avait déjà le souci en programmant (entre autres) chaque année un feuilleton théâtral gratuit en espace public, mais beaucoup reste à faire : le résultat des études de public montrera à l’automne le degré de diversité d’âge ou de milieux socio-économiques. En attendant, l’absence de «minorités visibles» dans la salle était encore une fois… visible, excepté chez les nombreux groupes scolaires accueillis sur le festival. Le défi majeur, enfin, et qui conditionne directement la démocratisation, est un énorme défi budgétaire.

 

Lors des précédentes éditions, Libération a déjà eu l’occasion de s’étonner de la faiblesse du budget de production du plus grand Festival de spectacle vivant au monde, au regard de l’étendard qu’il est censé agiter dans le paysage international : celui d’un Festival de création, création dont il a de moins en moins les moyens (le Festival travaillant à budget constant en dépit de la hausse de coûts de fonctionnement). Il s’agit de convaincre les partenaires publics de solidifier davantage le festival, histoire de donner à Tiago Rodrigues les moyens de ses ambitions, notamment de prolonger au fil de l’année l’expérience avignonnaise en la pérennisant au-delà de ses dates dans une ville qui n’a pas vocation à n’être qu’un écrin. Une convention pluriannuelle d’objectif sera signée dans quelques mois.

 

Femmes émancipées et violences sexuelles

Outre Carolina Bianchi déjà citée, qui connaissait l’incroyable actrice Kate O’Flynn, du Royal Court Theatre ? Cette dernière a donné vie avec force aux trois monologues sous le titre de All of It, écrits pour elle par Alistair McDowall, auteur peu repéré dans nos contrées, qui scrute ici les pensées naissantes de trois femmes et invente comme un art de la nouvelle scène. Avec The Confessions, autre coproduction du in, Alexander Zeldin signe lui aussi le récit d’une émancipation et le portrait d’une femme prise dans les griffes de son époque. Mais il faudrait aussi citer Black Lights, la dernière pièce pour huit danseuses de Mathilde Monnier, entièrement centrées sur les injonctions sexuelles adressées aux femmes. Dans la sélection suisse du off, Cécile, mise en scène par Marion Duval, a chaviré les salles au propre comme au figuré, par l’éblouissant jeu d’adresse au public et d’improvisation échevelée de la performeuse Cécile Laporte narrant les épisodes farfelus et hallucinés d’une vie hors norme. Toujours dans le off et dans une forme plus classique : J’avais ma petite robe à fleurs, portée par Alice de Lencquesaing, interroge avec acuité l’exploitation mercantile et vorace des récits de violences sexuelles et leur portée cathartique ou traumatisante. Avec cette question qui n’aurait sans doute jamais été posée avant #MeToo : peut-on montrer une vie sans violences sexuelles ?

Egalité du nombre d’affiches et de tracts

Mais où sont passés les tracteurs ? Non pas l’engin, mais celles et ceux qui distribuent des tracts afin d’aimanter l’indécis vers l’un des 1 500 spectacles du off ? Rues aérées, murs et grilles d’habitude couverts d’affiches, à nue : que se passe-t-il ? Non, toutes les compagnies ne sont pas devenues spontanément «écoresponsables» magiquement. L’affichage sauvage, autorisé pendant le Festival dépend d’un arrêté municipal qui restreint depuis 2015 chaque spectacle à 150 affiches et 5 000 tracts. Mais la ville, explique Harold David, à la gouvernance du off avec Laurent Domingos, s’est dotée cette année des moyens de faire respecter l’encadrement, en travaillant de concert avec le off. Un «éco-pack» constitué d’encre végétale, papier recyclé et recyclable, a été proposé aux compagnies et la moitié d’entre elles ont choisi de déléguer ainsi l’impression. Les autres ont reçu 150 stickers à coller sur leurs affiches, afin de rendre possible un contrôle par la municipalité. Selon Harold David, l’égalité du nombre d’affiches et de tracts a généré une forme d’équité. «Auparavant, plus vous aviez de pognon, plus vous étiez visible.» Selon les participants, pour la première fois, la nuit du 5 juillet, l’affichage a eu lieu de manière paisible. Les compagnies mutualisaient leurs tâches au lieu de se battre pour occuper le plus de parcelles possibles. Fait remarquable : la fréquentation n’a pas souffert de ce partage de l’espace public. «Il n’y a jamais eu aussi peu d’affiches, et autant de monde dans les salles, globalement, les ventes de billets ont augmenté de 20 à 30 % par rapport à 2022, et de 15 % par rapport à 2019, avant le Covid.» Une excellente surprise, qu’on a pu vérifier empiriquement, mais dont les retombées économiques sont insuffisantes pour colmater la fonte des budgets liée à l’inflation des matières premières. La diminution des déchets papiers est drastique : il passe de 60 tonnes en 2022 à 25 tonnes en 2023.

 

La carte et le territoire

Une pinède au cœur des remparts à trois minutes du cloître Saint-Louis et dont personne ne soupçonnait l’existence, investi (modestement) par le Festival? Un miracle. Durant six jours, le cycle de lecture de RFI qui explore le théâtre contemporain francophone s’est tenu dans l’ancien carmel fréquenté uniquement par des religieuses. Ce poumon vert de la ville devrait devenir un tiers-lieu avec des résidences pour artistes, étudiants, et personnes âgées. La cour, un cloître, des jardins, une carrière… C’est par essence la géographie plein air du Festivald’Avignon. Des lieux chargés, bien sûr hantés par les spectacles des années précédentes ; il y a toujours quelqu’un pour vous dire la carrière de Boulbon, c’est le Mahabharata de Peter Brook en 1985, le cloître des Carmes, l’apparition événement d’Angélica Liddell en 2016 avec Qué Haré Yo Con Esta Espada ? Et ce n’est pas négligeable, le théâtre à Avignon c’est à la fois la carte et le territoire. La réussite d’un spectacle tient aussi dans le rapport au lieu. On se souviendra pour cette édition du Jardin des délices de Philippe Quesne qui a fait de la réouverture de la carrière de Boulbon le sujet même de sa pièce en exposant magnifiquement ce cirque de pierre – espace vide – dans sa minéralité. Idem pour le jardin de la Maison Jean-Vilar, là encore pur espace scénographique rêvé par Gwenaël Morin : le succès de sa version du Songe, d’après Shakespeare, doit au déploiement du jeu dans la profondeur du verger sans autre effet scénographique.

En revanche, aucune chance qu’on dise, hélas, la Cour d’honneur, c’était le Welfare de Julie Deliquet ou The Romeo de Trajal Harrell, deux productions qui auront résisté à la démesure du lieu. Résistance ou incapacité ? La question se pose, qui a le mérite de repenser le rapport à ce lieu hautement stratégique. Faut-il encore créer pour la Cour ou, au contraire, opter pour une décroissance symbolique ? La seconde hypothèse ouvrirait une nouvelle ère de jeu, pour un théâtre qui ne chercherait plus à marquer son territoire, mais se poserait plus modestement en locataire.

Langue étrangère invitée

La langue anglaise s’écoutait cette année au Festival sur les plateaux de Tim Crouch ou Tim Etchells. La langue espagnole sera l’an prochain «langue étrangère» invitée et s’écoutera notamment chez l’Argentin Mariano Pensotti, à qui le Festival confiera par ailleurs le soin de créer une forme mouchoir de poche destinée à voyager dans plusieurs lieux de la région. Ce dispositif de programmation s’accompagne d’un coup d’accélérateur donné sur les surtitrages, informe l’équipe du festival, politique qui sert notamment (au-delà du pur intérêt artistique) à drainer davantage de presse et de programmateurs étrangers. Et donc, de maximiser les possibilités de diffusion des artistes à l’international.

Des pompiers embauchés au prix fort

Qui dit chaleur et spectacles en plein air dit risque d’incendie. Mais qui eût cru que le coût du risque soit à la charge du Festival? C’est pourtant cette dépense inattendue qui a augmenté son budget de plusieurs centaines de milliers d’euros – jusqu’à 600 000 euros. La direction du Festival a effectivement dû appliquer les dernières directives (tombées en mai) contre le risque de feu afin de protéger le public bien sûr, mais aussi les massifs forestiers, tout cela à ses frais. «Si bien que les représentations à la carrière de Boulbon, lieu mythique, ont protégé du feu le massif de la montagnette qui a brûlé l’année dernière à la même époque», insiste le directeur délégué, Pierre Gendronneau. Le Festival a dû embaucher au prix fort des pompiers, acheter des camions, des citernes, et créer une réserve d’eau de plusieurs milliers de litres. Afin que vivent aussi deux expériences inédites au Festival: des randonnées artistiques de six heures entre champs, friches, forêts, oliveraies. Celle malheureusement décevante, au vu des ambitions affichées, des «Paysages partagés». Celle qui restera longtemps dans l’histoire du festival, on l’espère, de Que ma joie demeure autour de Jean Giono, créée par Clara Hédouin.

 

S’adapter à la chaleur

Ce n’est pas un scoop, il fait chaud à Avignon, et pour éviter que le parcours du festivalier tourne au cauchemar, l’équipe du in a pris cette question à bras-le-corps. D’abord en instaurant des horaires décalés, en privilégiant les matinées – départ à 4 heures du matin tout de même pour le spectacle randonnée de Clara Hédouin, les rencontres avec les artistes à 10 h 30 au cloître Saint-Louis, et les représentations à 11 heures, en respectant une sorte de «pause méridionale» aux heures les plus chaudes et en reprenant en soirée, aménageant aussi quelques représentations à 23 heures et minuit. Une protection du festivalier et des équipes techniques qui diminue en même temps l’empreinte carbone du Festival: «Décaler les horaires permet de baisser la climatisation des salles, explique Pierre Gendronneau. A la FabricA, seule salle pérenne du in, la charte interdit que la différence entre l’intérieur du bâtiment et l’extérieur excède 5 degrés.»

Extension du domaine théâtral

Retour sur une tendance lourde du Festival: la crise du texte de théâtre, qui ne date pas d’hier mais qui s’amplifie, à tort à raison ? Peu importe, d’abord le constat. En adaptant la littérature fortement incarnée de Thomas Bernhard et Arthur Schnitzler, Julien Gosselin fait une nouvelle fois exploser le cadre scénique dans son génial Extinction. Les acteurs jouent dans le décor fermé ; filmés live, ils sont projetés en direct sur un immense écran. Un geste radical à la hauteur de la violence des textes pour, non pas une extinction, mais une extension du domaine théâtral. Ça ne marche pas à tous les coups : l’écriture contournée de Virginia Woolf est la fausse bonne idée pour être mise en scène sur un plateau ; Pauline Bayle se noie dans les Vagues avec Ecrire sa vie. Le style métaphorique ne se prête pas au jeu.

Autre piste, l’adaptation documentaire n’aura pas vraiment convaincu : efficacité linéaire du Black Lights de Mathilde Monnier qui réinvestit par une danse théâtralisée les prises de paroles féministes de la série H24 de Valérie Urrea et Nathalie Masduraud, mais effondrement de la tension dramatique du Welfare, génial film documentaire de Frederick Wiseman de 1973 dans la transposition et mise en scène de Julie Deliquet. Il y a dans la pièce comme une impossibilité à porter la voix des personnes filmées par le cinéaste ; le théâtre élimine la violence dans le jeu des interprètes : on se dit qu’on est au théâtre, que ça joue comme au théâtre, et ce n’est pas bon signe.

Fin de l’ambiance «pince-fesses»

Au détour des remparts bruissait aussi l’impression d’un net virage vers plus de convivialité, visible depuis la chaleur des agents d’accueil du public jusqu’à ces grandes fêtes organisées pour fédérer les artistes et les professionnels en partenariat avec le Festival électro Antigel. «Ça change des traditionnels “pots de premières” un peu pince-fesses», nous ont soufflé plusieurs équipes artistes, ébahies de voir un directeur du Festival aussi disponible et partant pour partager un verre, entonner a cappella les trompettes de Maurice Jarre en fin de soirée (jingle du festival), porter le tee-shirt en hommage aux travaux des techniciens.

 

 

Anne Diatkine, Eve Beauvallet, Laurent Goumarre / Libération

 

 

Légende photo : Rébecca Chaillon (à gauche) et ses cheveux interminablement nattés dans son formidable «Carte noire nommée désir», à Avignon. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)

 
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Julie Deliquet, invitée du Festival d’Avignon : “Je veux que le théâtre mette en colère”

Julie Deliquet, invitée du Festival d’Avignon : “Je veux que le théâtre mette en colère” | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Fabienne Pascaud dans Télérama - 27/06/23

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Formée au cinéma, et à l’improvisation collective, elle sera la deuxième femme à mettre en scène dans la prestigieuse Cour d’honneur. Elle y monte “Welfare”, adaptation du documentaire de Frederick Wiseman, qui sort enfin en salles, le 5 juillet.

 

 

 
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Une exception à la règle. Comme elle l’est déjà dans ses choix de spectacle, sa manière de travailler avec les acteurs, son lien à la cité. Jamais Julie Deliquet, 43 ans, brillante et énergique directrice du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis depuis 2020, n’avait réalisé de mise en scène au Festival d’Avignon. Ni dans le In, ni dans le Off. Mais à peine suggérait-elle à Tiago Rodrigues d’adapter le documentaire Welfare (1975), de l’américain Frederick Wiseman, que le nouveau patron d’Avignon lui proposait la Cour d’honneur. Quarante ans après Ariane Mnouchkine, la blonde et calme Julie Deliquet devient donc la deuxième femme de théâtre (il était temps) à occuper le lieu grandiose, choisi dès 1947 par Jean Vilar pour son premier Festival. Si elle s’avoue traqueuse, cette passionnée de théâtre et de recherche collective n’a peur de rien. Surtout pas de relier à nos existences d’aujourd’hui les films aimés d’hier. Elle l’a fait à la Comédie-Française (Fanny et Alexandre, de Bergman en 2019), à l’Odéon (Un Conte de Noël, de Desplechin en 2020), et au TGP (Huit Heures ne font pas un jour, de Fassbinder en 2021). Elle le refait donc aujourd’hui avec Welfare, qui sort pour la première fois en France, ce mercredi 5 juillet.

 

 

 

Quand est né votre désir de théâtre ?
Dès la maternelle. Puis au collège, où j’attendais fiévreusement la récréation et la cantine pour y faire mes spectacles, avec billetterie et tickets d’entrée. J’étais un peu chef de bande, mais je m’adaptais au groupe, je prenais les rôles dont personne ne voulait. En plus, à la maison, mes parents — mère prof d’anglais, père dans la communication et qui peignait aussi beaucoup — me laissaient investir le salon familial pour y organiser, dès la petite enfance, mes représentations ; et je transformais continuellement ma chambre en lieux divers comme un cabinet de vétérinaire. J’aimais davantage construire un monde que jouer dedans.

 

 

Quelle éducation avez-vous reçue ?
Imprégnée d’esprit soixante-huitard. Mon père, Alain Deliquet, écrivit en 2005 ce drôle de livre Lennon / McCartney : Le chant des cerveaux, qui comparait les cerveaux des deux Beatles ! Mes parents voulaient nous élever autrement qu’ils l’avaient été. C’était un couple fusionnel. On discutait plus d’art que d’école à la maison. Alors que nous vivions dans le Sud, ils me laissèrent vite libre de monter seule à Paris voir des spectacles. À 17 ans, j’ai adoré Et soudain, des nuits d’éveil, d’Ariane Mnouchkine, à la Cartoucherie.

 

 

D’où vient votre passion pour le cinéma ?
D’eux ! Qui m’ont biberonnée au cinéma. J’ai choisi cette section au bac, j’ai poursuivi en faculté à Montpellier. Pour me nourrir l’œil, avant de me lancer au conservatoire, puis au Studio-théâtre d’Asnières, formidable école de travail collectif, ma vraie famille de théâtre qui m’a tout appris. Et j’ai terminé ma formation de comédienne, plus physique, chez Jacques Lecoq. Pour revenir au cinéma, si je préfère analyser un film qu’une pièce — une pièce, ça se vit ! –, si depuis une dizaine d’années, j’en regarde un chaque soir choisi par mon compagnon, acteur dans ma compagnie : je déteste trop la technique pour en faire. Et au cinéma, n’existe pas ce travail collectif, qui fonde mon théâtre. Le cinéaste décide seul.

 

 

 

Regrettez-vous de moins jouer ?
Je n’ai jamais arrêté de jouer, dans nombre de mes spectacles. Et je me sens comédienne. Mais mon jeu ne passe pas assez par le corps. Et si on me disait « tu ne montes plus sur scène », ça ne m’empêcherait pas de dormir. J’aime tant regarder les autres. Et puis, je suis trop anxieuse…

 

 

Anxieuse ?
L’anxiété peut être un moteur. C’est surtout la présence du public qui m’effraie : j’ai l’impression qu’il arrive dans ma chambre de maternité. Les comédiens de Welfare me disent, eux, qu’ils n’ont aucun trac, ils ont tellement improvisé, répété ensemble…

 

 

Comment travaillez-vous ?
J’ai forgé ma méthode avec des camarades intermittents du spectacle sans emploi, comme moi à l’époque. Je leur ai dit : « Cherchons ensemble comment mettre en vie. » M’importait déjà davantage la recherche que le résultat. Avec eux, en 2009, je crée le collectif In vitro et mon premier spectacle, Derniers Remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce. On récupérait nos décors dans la rue, habitude que je garde encore : je préfère que 75 % de la production aille aux acteurs, à l’humain… Nous commençons généralement par des improvisations de 6-7 heures d’affilée sur un scénario que j’ai écrit, et dans des lieux hors théâtre, réels. Si l’impro évoque un repas, les comédiens doivent manger. Cette expérience hors norme fédère d’emblée le groupe dans le vivre-ensemble du théâtre. Mais elle doit rester ludique. Qu’un comédien se sente en difficulté signifie que j’ai mal fait mon travail.

 

 

 

Que se passe-t-il après l’impro ?
Elle a donné l’élan. Mon travail consiste juste à donner l’élan. Comme je le faisais, gamine, à la récré. Sans ce vécu d’enfance, je n’agirais pas de la même façon. En plus, ces impros apprennent aux comédiens à réagir en direct aux accidents du vivant, un chien qui débarque tout à coup, un enfant. Ils apprennent à en jouer, à ne pas laisser passer la moindre situation de jeu. Ils s’aperçoivent alors collectivement combien sont fragiles, poreuses, les frontières entre fiction et réel, et se préparent à tout ce qui peut se passer d’inattendu pendant une représentation.

 

Si je monte une pièce déjà écrite, j’ai du mal à ne pas y toucher, j’ai besoin de m’approprier la matière.

Et ces courts métrages que vous leur demandez de réaliser ?
Je leur impose en effet de tourner seuls une prise de 10 minutes avec un partenaire, en ajoutant que je veux croire à ce que je verrai. Peu à peu, réaliser cette vidéo les amuse, les transforme. Mais cette méthode bouge pour chaque projet, j’amène juste des outils. Il faut avoir le plaisir du partage. Les comédiens d’In vitro ignorent par exemple le rôle qu’ils joueront, et je n’ai jamais connu de problème d’ego ; d’ailleurs, pour moi, « je » est un gros mot. Vient le travail d’adaptation. Je ne pratique plus l’écriture dite « de plateau », c’est-à-dire à partir des impros : ce système finit par être trop lourd, trop complexe. Mais si je monte une pièce déjà écrite, j’ai du mal à ne pas y toucher, j’ai besoin de m’approprier la matière. L’auteur a déjà une place, quelle est la mienne, moi qui prétends le mettre en scène ? C’est pourquoi il me faut en général deux ans pour construire un spectacle et y embarquer les comédiens.

 

 

 

Vous ne leur indiquez donc pas ce qu’ils vont jouer ? Pas même à votre compagnon ?
Mais je ne pense pas en termes de rôles, de distribution. Je me laisse aller, au hasard de l’instinct, des rencontres, je ne fais pas non plus d’auditions. Et je ne prends pas de notes pendant une répétition ou une représentation pour opérer ensuite des raccords. Pas de raccord ! Le spectacle est un corps vivant. Tout est tenté à chaque fois en direct, en présence du public. Plus on la joue, plus la représentation se bonifie. Quant à mon compagnon, il ne sait évidemment rien de plus que les autres. Nous ne nous parlons pas du spectacle entre nous. Pour le préserver de mes doutes et moi des siens. Et je ne déjeune jamais avec un membre de la troupe pendant le travail. Je suis trop dans l’empathie. Je ne dois pas savoir ce qui leur pose difficulté, sinon je n’oserai plus avancer…

 

 

Pourquoi adapter des films ?
De par ma formation, j’ai un lien fondateur avec le cinéma. Je ne suis pas une littéraire, je suis dans l’oralité, les dialogues. Et tous les cinéastes que j’ai adaptés, Bergman, Desplechin, Fassbinder, ont eu des liens avec le théâtre…

 

 

Pas le documentariste Frederick Wiseman…
Il me téléphone en janvier 2020 pour me rencontrer dans sa salle de montage au métro Bonne-Nouvelle. Il m’affirme qu’il y a beaucoup de théâtre dans ses documentaires, surtout dans Welfare, qu’il aimerait que je mette en scène. Moi seule. Il a vu mes spectacles. Je suis évidemment flattée par l’idée. À 93 ans, Frederick Wiseman vit entre New York, Londres et Paris, va plus au théâtre qu’au cinéma. Je réalisais alors un documentaire pour l’Opéra Bastille, Violetta, où je mettais en parallèle les répétitions de La Dame aux camélias à Garnier et un service d’oncologie à l’hôpital, que je fréquentais beaucoup à cause de mes parents, successivement atteints d’un cancer et disparus trop vite. J’ai beaucoup aimé ce travail que je trouvais proche de ma quête du vivant au théâtre. Je me sens encore plus proche de Wiseman, qui m’envoie un DVD de Welfare. Choc : ces gens paumés qu’il suit dans un centre social de New York en 1973 y font à leur façon un sacré théâtre pour sauver leur peau ! La radicalité de son écriture cinématographique m’impressionne. Ne se définit-il pas comme un « écrivain du vivant » ? En 1975, à la fin de la guerre du Vietnam, cette Amérique qui ne pense qu’à sa puissance économique mondiale pose des questions toujours actuelles : comment accepter la différence et cesser de demander à la marginalité de s’adapter ?

 

 

À lire aussi :

Cannes 2021 : la leçon de documentaire de Frederick Wiseman, compositeur du réel

 

 

 

Mais vous êtes nommée au même moment à la direction du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis…
Que je dois fermer aussitôt à cause du Covid ! Cette fermeture décuple mes responsabilités, autant artistiques — je commence à entraîner les comédiens à Huit Heures ne font pas un jour, de Fassbinder — que civiques. Car pour retrouver bientôt un public, il me faut retisser un lien désormais coupé avec une ville très impactée par le virus, travailler avec les écoles, les maisons de santé, l’hôpital, les structures sociales. Mes débuts de directrice débutent donc par une attention renforcée au territoire, au social, même si cela faisait déjà partie de mon projet. Elle a marqué mon action à venir. De ce fait, adapter Welfare devenait une nécessité.

 

 

 

Pensez-vous que le théâtre répare ?
Surtout pas ! D’abord je ne souhaite pas la réparation d’un unique individu mais du collectif. Ensuite, je préfère que le théâtre mette en colère, indigne, fasse envisager le monde d’une autre façon, plutôt qu’il ne répare confortablement. Nous avons un outil formidable pour y tenter des choses, inventer avec des spectateurs, les questionner. L’endroit de la représentation ne peut être un endroit moral et doux. La morale retirerait trop de complexité. L’infanticide Médée, formidable personnage tragique, n’est pas un être moral.

 

 

Comment vous situez-vous, justement, face aux problèmes que posent certaines féministes quant à la représentation sur scène des femmes ?
D’abord je suis une féministe convaincue, et mon projet au TGP affirme mon soutien aux artistes femmes, le nécessaire partage avec elles des moyens de production. Mais je ne fais pas une « programmation femmes ». Ma première mission, ici, est de privilégier l’humain au sens le plus large. Je reconnais m’interdire en scène les situations de viol, de violences faites aux femmes. Sauf si c’est pour les dénoncer. Nous avons d’ailleurs, au théâtre, un acteur formé à la prévention du harcèlement. Mais c’est surtout une responsabilité de tous et de toutes : nous faisons un métier soumis au regard de l’autre, où joue forcément un complexe désir de séduction. En tant que metteuse en scène, je ne travaille jamais dans la séduction.

 

 

Les femmes directrices de troupe, de CDN, ont-elles une autre pratique du métier ?
Reconnaissons d’abord que la charte de la parité établie en 2021 à l’initiative de dix-huit directrices de centres dramatiques nationaux a amélioré le partage des outils. Je sens chez les femmes metteuses en scène davantage de désir de s’ancrer dans un territoire, d’accepter pour un temps les lourdes missions de service public que chez nos confrères masculins. Mais dans les faits, l’accès aux très grands lieux ne leur est pas encore vraiment possible.

 

 

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Le Covid n’a-t-il pas changé le fonctionnement du théâtre public ?
Hélas non. La réalité a repris. Comme avant. Nous avions trop soif de revenir à nos métiers. Sans exiger de nos tutelles la mise à plat nécessaire. Aucune de nos interrogations sur l’égalité d’accès à tous au théâtre, la diversité sur les scènes, l’écologie dans le fonctionnement, la transmission de nos savoirs et de nouvelles règles de production — produire moins pour produire mieux — n’a été réglée. Et nous manquons de plus en plus de moyens, même si nous sommes mieux lotis en France qu’ailleurs. Mais ma mission est de faire du théâtre un service public et je la défends. Voilà pourquoi les questions que pose Welfare m’ont touchée. Même si le documentaire évoque un système social qui n’est pas le nôtre et si je n’ai pas envie de profiter du film pour évoquer la France d’aujourd’hui. Mais les marginaux qu’il met en scène deviennent au fil du film des personnages intemporels, universels, qui questionnent sans manichéisme notre démocratie. Et le manque de moyens des travailleurs sociaux fait écho à celui de nos services publics actuellement…

 

 

 

Comment mettre en scène Welfare ?
Je ne voulais pas rivaliser avec le film ; comme artiste il fallait que je m’en émancipe. D’ailleurs je ne me sers pas de l’œuvre visuelle, je n’utilise que son montage, ses dialogues sur lesquels j’ai fait des greffes. Et l’action est censée se passer sur une seule journée, comme dans le théâtre classique. Chacun de mes quinze personnages correspond à un thème traité par Wiseman : personne âgée dépendante, mère célibataire, drogué, déclassé, malade mental, handicapé, raciste. Il ne s’agit pourtant pas de théâtre documentaire, juste documenté. Mon travail est artistique et politique. Que tous les demandeurs sociaux de Welfare soient insatisfaits prouve que le fonctionnement même du service public pose problème. Comme dans la France de 2023.

 

 

Et la Cour d’honneur du palais des Papes ?
C’est l’équipe du festival qui l’a proposée. Je pensais d’abord jouer dans un de ces grands stades où on se faisait vacciner pendant le Covid, un de ces lieux qu’on réquisitionne en cas d’urgence collective, un lieu de démocratie. Que le public y pense comme un endroit qu’il peut fréquenter ; la pauvreté n’est en effet pas un état mais une condition ; on peut y échapper ou y tomber. Je souhaitais aussi qu’il soit saisi par l’hypervolume du lieu, son silence, comme pendant ces vaccinations. Quand Vilar a fait de la Cour d’honneur l’épicentre de son festival, ce n’était pas non plus un lieu fait pour le théâtre, mais juste pour que le théâtre y rayonne au mieux au centre de la cité. Et voilà que ses 30 mètres d’ouverture correspondent à ceux d’un gymnase ! J’ai donc accepté d’y jouer, tout en gardant l’idée du gymnase. J’ai travaillé avec celui de Saint-Denis et ses profs de gym, j’ai récupéré des accessoires ; on a demandé aux enfants des écoles des dessins pour les y accrocher. Créer des liens, toujours, entre le théâtre et la ville.

 

 

Ne craignez-vous pas que Welfare plombe un peu le festival ?
Mais le film fait beaucoup rire ! Ces laissés-pour-compte ont une force de vie sidérante, ils restent au combat, mentent sans doute pour cacher le peu qui leur reste, mais cela produit des scènes quasi burlesques qui échappent à un sinistre réalisme. Et en réinventant leur vie, les personnages se réapproprient la parole, retrouvent leur place de citoyen… Welfare n’est pas un spectacle sentimental, romantique. L’émotion naît d’un rapport physique aux choses, du ventre. Ça jaillit. Quand on est dans une situation de survie, on peut vite passer du rire aux larmes. Alors je ne crois pas qu’on plombera le festival. Les personnages ne sont pas des victimes, ils dénoncent. Ils sont courageux. Ils nous rendront plus forts et courageux. À Saint-Denis, Welfare a créé un formidable élan. Non seulement nous partons avec tous les permanents du TGP — le spectacle est une foi à partager ensemble —, mais nous emmenons avec nous durant cinq jours pour qu’ils découvrent le festival vingt jeunes du lycée Paul-Éluard. Le plus appelle toujours le plus.

 

 

Welfare, du 5 au 14 juillet, 22h, Cour d’honneur, Festival d’Avignon.
Le vendredi 7 juillet à 22h15, en direct sur France 5.
 
 
JULIE DELIQUET EN QUELQUES DATES
 

1980. Naissance dans la région parisienne
2009. Fonde la collectif In Vitro et met en scène Derniers Remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce.
2016. Met en scène Vania d’après Anton Tchekhov au Vieux-Colombier.
2019. Met en scène Fanny et Alexandre d’après Ingmar Bergman à la Comédie Française.
2020. Nommée directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.
 
Légende photo : Julie Deliquet, le 13 juin 2023 au Théâtre Gérard-Philipe de Saint Denis. Photo Jérôme Bonnet pour Télérama
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 Julie Deliquet orchestre une subversion joyeuse dans un atelier

 Julie Deliquet orchestre une subversion joyeuse dans un atelier | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 9 oct. 2021

 

 

 

Avec « Huit heures ne font pas un jour », au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, la metteuse en scène signe une adaptation enlevée du feuilleton télévisé sur le monde ouvrier de Rainer Werner Fassbinder.

 

Un spectacle sur la vie ouvrière, optimiste et joyeux, baigné par l’énergie galvanisante de la débrouille et du sens du collectif ? On prend ! Et on salue la belle idée qu’a eue Julie Deliquet, la nouvelle directrice du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), d’adapter au théâtre Huit heures ne font pas un jour, le formidable feuilleton télévisé réalisé par Rainer Werner Fassbinder en 1972. La soirée qu’elle présente, en compagnie de ses excellents comédiens, fait crépiter une étincelle d’utopie bienvenue, dans notre monde courbatu par bien des maux, et pas seulement par le Covid-19.

 

En 1971, quand la chaîne de télévision allemande WDR lui propose de réaliser une série familiale, diffusée à des heures de grande écoute, Fassbinder a 26 ans. Il a déjà écrit treize pièces de théâtre, réalisé huit films, signé nombre de mises en scène de ses propres pièces ou d’autres auteurs. La commande de la WDR l’intéresse parce qu’elle lui permet d’investir et de subvertir un genre populaire, d’y apposer sa patte. Huit heures ne font pas un jour ne ressemble à rien d’autre, dans sa manière d’aborder le réel à rebours du naturalisme en vigueur à la télévision et d’inventer une forme d’artifice, entre conte et distanciation brechtienne. C’est aussi l’œuvre la plus optimiste de Fassbinder, qui laisse libre cours, de manière inédite chez lui, à la fraîcheur et à l’espoir.

Les comédiens sont ici d’un engagement, d’une fraîcheur et d’une présence qui vous embarquent et ne vous lâchent plus

Le cinéaste allemand a surtout inventé là une merveilleuse galerie de personnages, tous plus vivants et attachants les uns que les autres, qui font le prix de cette fresque située à l’exacte intersection de l’intime et du collectif. Le cœur en est une famille ouvrière de Cologne, les Krüger-Epp, que l’on découvre alors qu’elle fête l’anniversaire de son inénarrable grand-mère, Luise, dite Mamie. Lorsqu’il ressort acheter quelques bouteilles de mousseux au distributeur de la gare, Jochen, son petit-fils, rencontre Marion, et c’est le début d’une grande histoire d’amour, autour de laquelle tourne toute l’œuvre.

Pugnacité et solidarité

Jochen est ouvrier dans une usine d’outillage, il est beau gosse, beau parleur ; Marion travaille au service des petites annonces du journal local, c’est une jeune femme libre, indépendante. Quant à Mamie, monument d’impertinence et de vivacité, armée d’une philosophie solide – « in schnaps veritas » –, elle semble apte à résoudre tous les problèmes. Combat ouvrier pour plus d’autonomie, émancipation féminine, dignité du troisième âge, droits de l’enfant… Fassbinder fait le pari d’une lutte heureuse, trempée dans la pugnacité et la solidarité.

 

Lire le compte-rendu de la diffusion à la Berlinale 2017 : Amour, schnaps et lutte des classes, le soap opera selon Fassbinder

Julie Deliquet s’empare de ce matériau exceptionnel avec le talent qui est le sien – c’en est un – pour rendre tout cela simple et vivant, ancré dans le présent du théâtre, fortement incarné. Elle ramène les cinq épisodes de la série à un spectacle de trois heures, et pourtant tout est là, le romanesque et le réel, le social et l’intime, cousus au petit point.

 

La metteuse en scène fait le pari d’un espace unique, vaste atelier vintage décoré avec son superbe sens de la récup, un décor qui est avant tout un espace à jouer, et qui se transforme en un clin d’œil en salle de banquet pour un mariage.

 

Lire l’entretien : Julie Deliquet, metteuse en scène : « Je ne voulais pas qu’on devienne un théâtre fantôme »

Dans ce théâtre à nu, où la peau du réel n’a pas le recours, pour s’habiller, de l’image telle que pouvait la travailler un cinéaste comme Fassbinder, les comédiens sont en première ligne. Et ils sont ici d’un engagement, d’une fraîcheur et d’une présence qui vous embarquent et ne vous lâchent plus, déployant un jeu certes réaliste, dans leurs costumes furieusement seventies, mais teinté d’étrangeté et de merveilleux. Qu’il s’agisse d’Ambre Febvre, lumineuse Marion, ou de Mikaël Treguer, Jochen intense et séduisant. De Christian Drillaud, parfait en amoureux lunaire de Mamie, de Lina Alsayed, magnifique en épouse se tirant des griffes d’un mari violent, ou d’Eric Charon, en homme (pas si) ordinaire.

Mais celle qui règne sur le spectacle, comme sur l’histoire de Fassbinder, c’est Mamie, telle que la joue Evelyne Didi, en faisant souffler un irrésistible vent de folie douce sur la représentation. En elle s’incarne tout l’esprit primesautier de Huit heures ne font pas un jour, cette subversion joyeuse qui déjoue la lourdeur des destins écrits d’avance. De le retrouver aujourd’hui, ce geste de Fassbinder consistant à montrer des prolétaires bien décidés à ne pas s’enfermer dans une position de victimes, mais devenant les acteurs de leur propre histoire, cela fait un bien fou. Comme une ivresse retrouvée, après des années de gueule de bois.

 

 

Huit heures ne font pas un jour, de Rainer Werner Fassbinder, traduction Laurent Muhleisen (L’Arche, 304 p., 19,50 €). Adaptation et mise en scène par Julie Deliquet. Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Jusqu’au 17 octobre, du mercredi au dimanche à 19 h 30. De 6 € à 23 €. En tournée de janvier à avril 2022, à Montpellier, Lyon, Grenoble, La Rochelle, Toulouse, Colmar, Toulon, Marseille, Limoges, Reims et Caen.

 

Fabienne Darge

 

Photo :  PASCAL VICTOR/ARTCOMPRESS

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Rainer Werner Fassbinder et Julie Deliquet : une rencontre au sommet 

Rainer Werner Fassbinder et Julie Deliquet : une rencontre au sommet  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan - 2 oct.  2021 

 

Scène de "huit heures ne font pas un jour" © Pascal Victor/Opale

 

 

 

Nouvelle directrice du TGP de Saint Denis, Julie Deliquet signe « 8 heures ne font pas un jour » de Rainer Werner Fassbinder, une œuvre jusqu’alors non traduite. Une saga magnifique au cœur du monde ouvrier où l’utopie et la lutte, l’humour et l’amour s’épaulent, où les quatorze actrices et acteurs réunis forment une formidable troupe. On rit, on rage, on rêve. Quel bonheur !

 

 

C’est Claire Stavaux, la jeune et dynamique directrice des éditions de l’Arche qui a parlé à Julie Deliquet de ce texte méconnu (en France) de Fassbinder 8 heures ne font pas un jour, une série écrite et réalisée (en partie, 5 épisodes sur 8) pour une chaîne de télévision allemande et qui connut à l’époque ( début des années 70) un beau succès. Le texte, traduit par Laurent Muhleisen, paraît ces jours-ci à l’Arche pour accompagner le spectacle de Julie Deliquet qui s’en tien aux cinq premiers épisodes (ceux filmés par Fassbinder). Le volume, plus de trois cents pages, va jusqu’au huitième et dernier épisode écrit. Une plongée dans la vie ouvrière, côté privé et côté boulot, que Julie Deliquet entrelace avec la complicité de Julie André et Florence Seyvos pour la version scénique du texte, Zoé Pautet pour la scénographie, Pascale Fournier et Richard Sandra pour la collaboration artistique.

Et je m’en voudrais d’attendre pour citer les quatorze actrices et acteurs qui portent haut et fort cette aventure collective à la mise en scène revendiquée. Plusieurs sont membres du collectif In vitro, la compagnie dirigée par Julie Deliquet (Julie André, Eric Charon, Olivier Faliez, Agnès Ramy, David Seigneur, Hélène Viviès) riche en beaux souvenirs. D’autres sont issus d’une promotion de l’école de Saint-Etienne dont Julie Deliquet a été la marraine (Lina Alsayed, Ambre Febvre, Brahim Koutari, Mikaël Treguer). Enfin y figurent des comédiens qui ont roulé leur bosse comme Christian Drillaud ou Zakariya Gouram. Last but not least, Evelyne Didi ( Théâtre éclaté d’Annecy auprès d’Alain Françon, riches années Jean-Pierre Vincent au TNS, proche de Matthias Langhoff, etc.) qui, dans le rôle de Luise (dont on fête les soixante ans) , est comme la mascotte du spectacle, son bienveillant porte-bonheur, portant allégement, au-delà des luttes et des disputes, une vision tonique de l’art de vivre ensemble, bénissant de son sourire le couple qui se forme sous nos yeux entre Jochen et Marion, veillant à maintenir à flot le joyeux et frondeur humanisme qui innerve la soirée, trois heures durant (bref entracte) sans le moindre temps mort.

 

 

Les sphères familiales, amoureuses, amicales et ouvrières se mêlent. On oscille entre vie personnelle et vie professionnelle. Kâthe (Julie André), la fille de Luise est mariée avec l’ouvrier râleur de l’usine Wolf (Eric Charon), ils ont deux enfants Jochen (Mikael Treguer) et Monika (Lina Ajsayef) laquelle a épousé Harald (Olivier Fallez) ; tante Klara (Hélène Viviès) est l’autre fille de Luise ; Marion (Ambre Febvre) devient, sous nos yeux, la petite amie de Jochen, Manfred (Brahim Koutari) est le meilleur ami de ce dernier et son collègue à l’usine, il est aussi un amour de jeunesse de Monika ; Irmgarg ( Agnès Ramy) est une collègue de bureau (petites annonces) et amie de Marion ; Franz (David Seigneur) est l’ouvrier qui, encouragé et soutenu par ses camarades deviendra contremaître; Grégor (Christian Drillaud) est le vieil amant souffreteux de Luise. Enfin intervient aussi une enfant, Sylvia (plusieurs se relaient de soir en soir), fille de Monika et Harald. A tout le moins, trois générations.

 

 

 

Ce listing, un peu fastidieux à l’écrit, est fluide et on ne peut plus lisible à la scène. Notons en passant le beau travail des costumes signés Julie Scobeltzine. La série de Fassbinder comporte une cinquantaine de personnages, Deliquet s’en tient à une vingtaine. Tout cela façonne un nuancier d’êtres humains loin des personnages réduits à quelques traits avec lesquels se contentent nombre d’auteurs dès qu’ils entendent mettre en scène des ouvriers et des émigrés. Au demeurant, on serait bien en peine de trouver une telle série sur les chaînes françaises et en Allemagne, elle reste une exception. Elle n’avait jamais, outre Rhin, et ailleurs, fait l’objet d’une adaptation théâtrale, c’est donc à une première mondiale à laquelle nous assistons au TGP.

 

La scénographie active ces perpétuels passages entre les appartement et l’usine, les cabinets et la rue, le coin douche à l’usine et le coin chambre, l’espace centrale pouvant tout à tour celui de l’usine où on se réunit pour discuter et celui des fêtes, l’anniversaire de Luise et plus tard le mariage de Jochen et Marion. Les scènes collectives dominent mais la scénographies comme le texte de Fassbinder offrent des flashes d’intimité salutaires.

Si la question de la suppression possible d’une prime de rendement crispe les ouvriers de l’usine et met en lumière leur dissensions, ils ne campent jamais dans des positions classiques (grève, débrayage) qu’auraient proposé les syndicats (ils sont inexistants ou hors champ comme dans 7 minutes la pièce de Massini, lire ici). Ils optent pour de petits sabotages, mettent au point un système inventif d’organisation du travail ou poussent à ce que que l’un d’eux devienne, leur contremaître. On pense à ces rêves d’autogestion en vogue dans ces années là, Lipp and co.. Dans la sphère privée les femmes s’émancipent, mais le machisme bande encore orgueilleusement et met à mal certains couples lesquels se font ,se défont ou se rabibochent. A la recherche d’appartement ou au déménagement de certains correspond le changement d’emplacement imminent pour l’usine . L’interface est constant et donne son rythme binaire à la représentation où la femme n’est ni l’avenir ni la chose de l’homme, mais son égal et quand ce n’est pas le cas , le couple tend à vaciller. L’ homme, la femme, le monde sont transformables nous dit Fassbinder nullement dupe de sa volontariste naïveté. Fassbinder aime aussi illustrer le vieux tube de la classe ou ouvrière « l’union fais la force » ( qui engendrera plus tard le « tous ensemble ») que cela soit au sein de l’entreprise ou à l’heure de récupérer une bibliothèques désaffectée pour, sans autorisation, en faire une garderie pour enfants sous l’impulsion de la vieille Luise, toujours à l’affût.

 

 

Pour finir, saluons le travail de mise en scène et de direction d’acteur de la phénoménale Julie Deliquet. A la fois cheffe d’entreprise, de bande et de troupe, patronne et copine, brasseuse d’utopie et amoureuse du petit détail qui fait vibrer les cœurs les plus endurcis. Son aventure à la tête du théâtre Gérard Philipe de Saint Denis, retardée par le Covid,  commence par un bel éblouissement.

 

 

L’intégralité des huit épisodes de Huit heures ne font pas un jour est publiée par L’Arche Éditeur., 304p, 19,50 euros

Spectacle durée : 3h20 (entracte compris)

Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis jusqu au 17 o

 

 

Puis tournée : Domaine d’O, Montpellier du 5 au 7 janv ; Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge le 14 janv ; Théâtre des Célestins, Lyon du 19 au 23 janv ; MC2 Grenoble, du 2 au 4 fév ; La Coursive, scène nationale de La Rochelle les 9 et 10 fév ; ThéâtredelaCité, Toulouse du 16 au 18 fév ; Comédie de Colmar, les 24 et 25 fév ; Châteauvallon -Le Liberté, Toulon les 4 et 5 mars ; Théâtre Joliette, Marseille du 10 au 12 mars ; Théâtre de l’Union, Limoges les 17 et 18 mars ; Comédie de Reims du 23 au 25 mars, ; Comédie de Caen, les 6 et 7 avril.

 

 

 

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 Se réinventer : la jeune génération à la tête des CDN y pense tous les jours

 Se réinventer : la jeune génération à la tête des CDN y pense tous les jours | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Eric Demey dans Sceneweb - 20 mai 2020



Le 3 mars, Julie Deliquet était nommée à la tête du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis. Le 17, le confinement débutait. Autant dire que la fondatrice de la Compagnie In Vitro n’a pas expérimenté le quotidien ordinaire d’un Centre Dramatique National. Ils sont trois, comme Julie Deliquet, confrontés à cette situation exceptionnelle pour leurs débuts en tant que directeur/directrice de CDN : Thomas Jolly au Quai d’Angers, Marc Lainé à la Comédie de Valence et Alexandra Tobelaim au NEST de Thionville. Des artistes qui doivent gérer l’urgence et l’incertitude liées à la situation et à qui revient de facto cette fameuse charge de réinventer le théâtre de ce non moins fameux monde d’après. A les écouter cependant, la Révolution pourrait ne pas avoir lieu…

 

En ce qui concerne l’avenir le plus proche – la programmation de la saison prochaine – la tendance est de chercher à surseoir. Julie Deliquet « avance pas à pas », suspendue notamment aux orientations données par le Département et la Préfecture avec lesquels elle est en étroite collaboration. Alexandra Tobelaïm a, elle, trois plans. A : le virus disparaît. B : il est toujours présent. C : il effectue des va-et-vient. Et choisira lequel appliquer le 20 juin. Marc Lainé souhaite, lui, privilégier « la souplesse et la réactivité » même s’il n’oublie pas que lorsqu’il était, il y a peu, encore en compagnie, les programmations posées deux ans à l’avance permettaient de construire une production et donc de faire avancer des projets. Il faut dire que l’enjeu pour les nouveaux entrants à la tête d’un CDN est important. La première saison de programmation éclaire auprès du public les inflexions désormais à l’œuvre dans le lieu. « Elle est une forme de signature » explique Marc Lainé. Pour Julie Deliquet, ce ne sera pas le cas. Elle a reporté les spectacles de cette fin de saison à la saison prochaine, et comme la moitié de la prochaine avait déjà été concoctée par son prédécesseur, Jean Bellorini – du fait de sa nomination tardive – elle ne devrait décider qu’à la marge de ce que le TGP donnera à voir à partir de la rentrée. Pour les autres, il encore urgent d’attendre.

« L’invention d’un nouvel art ? »

D’attendre mais aussi d’inventer, même si l’allocution du Président Macron a contribué à prendre ce qui est devenu une sorte d’injonction politique avec méfiance. « En entendant ce discours, on a tous eu un pincement au cœur. Par essence, on invente sans cesse dans nos métiers, et on n’avait pas attendu pour maintenir l’activité et le contact avec le public via les réseaux sociaux », raconte Marc Lainé. Inventer comme Thomas Jolly qui joue la scène du balcon de Roméo et Juliette sur le sien, de balcon. Et qui annonce à la suite sur sa page Facebook de nombreuses initiatives de « théâtre corona-compatible » pour cet été. Multiplier les formes légères, les spectacles délocalisés, les formats participatifs, « des formes à jouer sous les fenêtres des EHPAD, dans les cours des immeubles de tous les quartiers, sur les balcons de toute une rue, à chaque carrefour du centre-ville, mais aussi les places des villages, les préaux des écoles, les étendues vertes des campus universitaires… », comme énumère le créateur de spectacles très grands formats comme Henry VI. Tous se rejoignent sur ce point. Comme sur la possibilité de rester en activité cet été. Et de poursuivre le travail initié en matière numérique dans lequel les institutions ont été fécondes. « Et s’il s’agissait même de l’invention d’un nouvel art ?» suggère à ce propos Thomas Jolly.

L’avantage, c’est que cette génération de metteurs et metteuses en scène a déjà fait l’expérience de nombreuses de ces formes qui s’imposent d’elles-mêmes avec la crise du Covid. Alexandra Tobelaim a toujours œuvré à la croisée du théâtre et des arts de la rue, « cherchant à ce que les spectateurs posent un regard différent sur leur environnement quotidien ». Julie Deliquet travaille depuis longtemps avec la jeunesse de Seine-St-Denis, axe qui était prioritaire dans son projet de candidature. Marc Lainé avait préalablement conçu pour la saison prochaine un projet artistique s’appuyant sur une co-création avec des habitants de Valence. Quant à Thomas Jolly, il a expérimenté, comme lors du Festival d’Avignon 2016, de nombreuses formes alternatives au théâtre en salle avec sa compagnie de la Piccola Familia. Est-ce un signe des temps, ou simplement qu’en fait, le théâtre public n’a pas du tout attendu le Covid pour multiplier les projets aux formes dites alternatives ? On a parfois le sentiment qu’avec tout ce bruit autour d’un théâtre sommé de se réinventer on fait fi de ce qui existe déjà. Dans ce sens, les quatre artistes nouvellement nommés ne se sentent absolument pas désarmés face à une situation qui implique et impliquera peut-être à long terme de délaisser les formats traditionnels de représentations dans les murs.

« Qu’on porte attention au monde et aux choses »

Ils se sentent même tout à fait prêts à relever le défi Pour Marc Lainé, la Comédie de Valence « est un modèle du genre » avec sa comédie itinérante, qu’il avait d’ores et déjà prévu de largement utiliser pour les premiers spectacles de la saison prochaine. Alexandra Tobelaïm explique avoir pris la direction d’un établissement de 15 salariés, taille qui offre une capacité d’adaptation rapide. Julie Deliquet, rappelle, elle, qu’elle a toujours fait de la nécessité de s’adapter le moteur essentiel de son travail. La situation actuelle n’est donc pas faite pour les effrayer. Et ce d’autant plus qu’en tant que débutants, soulignent-ils, ils n’ont pas de repères à remettre en cause, pas d’habitude à délaisser.

S’il y a donc l’urgence à gérer, et l’avenir à repenser, tous n’annoncent donc pas qu’ils vont pour autant révolutionner les pratiques. Les grands formats ne disparaîtront pas. « On ne va pas priver le public des projets devant 900 personnes, poursuit Marc Lainé. C’est une célébration forte, c’est bizarre cette logique qui voudrait annuler ce qu’il peut y avoir de merveilleux ». « Il faut laisser aux artistes la liberté de se réinventer ou pas » demande simplement Julie Deliquet. Et ces lieux demeureront aussi soumis à des contraintes économiques – remplissage, ressources propres – qui conditionnent leur adaptabilité1. Alors, même si l’on parle de plus en plus de mutualiser les tournées par régions, pour éviter les transports inutiles, ou au NEST de se rapprocher des agriculteurs locaux, on n’aspire pas non plus – ce qui peut paraître bien normal – à la décroissance écologique du secteur. « Je voudrais qu’on porte attention au monde et aux choses » explique simplement Alexandra Tobelaïm. « Qu’on revisite la relation aux spectateurs », poursuit Marc Lainé. « Qu’on travaille de manière plus rassemblée », conclut Julie Deliquet. A se demander si pour cette génération, se réinventer ne sonnerait pas aussi comme un retour aux sources, à l’origine des missions des équipements publics qu’ils dirigent maintenant. « « Il s’agit d’abord de faire une société, après quoi, peut-être, nous ferons du bon théâtre », écrit à ce propos Thomas Jolly, citant Jean Vilar pour conclure son post.

Eric Demeywww.sceneweb.fr

 

1Dans un entretien pour France Info, Thomas Jolly explique ainsi : « C’est vrai qu’il faut qu’on bouge nos modèles et c’est bien que le ministère nous accompagne dans cette inventivité en ne se verrouillant pas trop sur ces fameux cahiers des charges, directives, conventions qui sont la norme ».

 

 

Image d'illustration : NEST Thionville

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Nouveaux transports collectifs. Rencontre avec Julie Deliquet et Jeanne Candel

Nouveaux transports collectifs.   Rencontre avec Julie Deliquet et Jeanne Candel | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Nombre de jeunes metteurs en scène revendiquent le travail de groupe. Rencontre avec Julie Deliquet et Jeanne Candel.

 

 

«Collectif» : le mot revient dans le programme du Festival d’Automne concernant plusieurs troupes à l’affiche. Explicitement dans le cas de l’équipe réunie autour de Julien Gosselin - collectif Si vous pouviez lécher mon cœur - ou de Julie Deliquet - Collectif In Vitro. De façon sous-jacente pour d’autres : Le singe, nouveau nom de la compagnie de Sylvain Creuzevault, s’inscrit dans la lignée du Collectif d’ores et déjà. La Vie brève, la compagnie de Jeanne Candel, a vu le jour à l’occasion d’un spectacle - Robert Plankett - écrit avec ses acteurs. Entre tous, des points communs : l’âge - entre 25 et 35 ans -, la revendication du groupe, le désir d’indépendance vis-à-vis des institutions. Et aussi le rassemblement autour d’un(e) metteur(e) en scène fédérateur(trice).

 

Exigence.

 

 Le phénomène n’est pas nouveau, qui voit, à intervalles réguliers, le théâtre se régénérer en réinventant l’utopie de la troupe. Utopie que certains parviennent à faire durer : à l’affiche du Festival d’Automne, le Théâtre du Radeau, fondé en 1978, constitue pour la génération montante une référence absolue, sinon esthétique, du moins en termes d’exigence et d’autonomie artistiques.

Autre caractéristique : ils sont de plus en plus souvent animés par des femmes. Invitées pour la première fois du festival, Julie Deliquet et Jeanne Candel ont volontiers accepté de parler de leur façon de travailler. La première s’exprime seule, la deuxième est venue avec deux compagnons de route - Samuel Achache, qui a aussi travaillé avec Creuzevault, et Laure Mathis.

Ce qui les rassemble, c’est d’abord la volonté, au sortir des écoles de théâtre, d’inventer des projets à plusieurs plutôt que de courir les castings. «Je n’étais pas faite pour un parcours solitaire», explique Julie Deliquet qui, après l’école du Studio Théâtre d’Asnières puis celle de Jacques Lecoq, se lance dans la mise en scène. «Mais quelque chose me manquait. Je trouvais toujours que les répétitions étaient beaucoup plus passionnantes que les représentations». Pour Jeanne Candel, Samuel Achache et Laure Mathis, qui étaient ensemble au Conservatoire à Paris, le déclic est venu d’un atelier avec le metteur en scène hongrois Arpad Schilling. «Il mettait l’acteur au centre et le considérait comme le créateur», résume Laure Mathis. «Il était impressionnant, brillant, tout en nous responsabilisant», précise Samuel Achache.

 

«Labo». 

 

En commun encore, la référence au laboratoire. «Créer la vie, c’est ce que je voulais», dit Deliquet pour expliquer le choix de In vitro pour son groupe. «Labo»,c’est le terme utilisé par Candel pour qualifier son travail avec les acteurs. Autre convergence, des temps de répétition hors normes (plusieurs mois) et laissant une large part à l’improvisation. Mais les méthodes diffèrent. Marquée par Pina Bausch, Jeanne Candel en a retenu le principe des «questions» aux interprètes : des impros à partir d’un mot, une image, une situation. Dès son premier projet collectif, Julie Deliquet a expérimenté une méthode radicale. «Pour travailler sur Derniers remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce, nous sommes partis dans une maison de campagne. Les acteurs avaient lu la pièce et connaissaient leurs personnages. Je leur ai demandé d’habiter la maison. Cela a duré sept heures, sans indices extérieurs de théâtre, mais je savais qu’ils étaient en train de jouer.»

Avec le temps, Deliquet a peaufiné une façon de travailler qu’elle apparente au plan séquence du cinéma. Et en a tiré quelques règles : «Je prépare en amont ; j’attaque rarement une répétition dans une salle ; je n’interromps jamais la répétition ; j’y fais entrer des non-acteurs, par exemple des voisins venus emprunter un outil ;je ne prends jamais de notes ; à la fin, je peux leur parler quatre heures sans m’arrêter.»Candel parle, elle, d’une «dramaturgie par l’action» : «Construire et jouer en même temps, puis se demander quoi déconstruire. Se reposer sans cesse la question du fond et de la forme. C’est insoluble et passionnant.»

 

 

René SOLIS pour Libération du 16 septembre
CLIQUER SUR LE TITRE OU LA PHOTO POUR LIRE L'ARTICLE ENTIER DANS SON SITE D'ORIGINE

Des années 70 à nos jours ms Julie Deliquet au Théâtre des Abbesses et au Théâtre Gérard- Philipe de Saint-Denis, du 18 septembre au 12 octobre Le Goût du faux et autres chansons ms Jeanne Candel Théâtre de la Cité internationale, du 24 novembre au 13 décembre

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Festival d’Avignon : avec « Welfare », Julie Deliquet joue collectif

Festival d’Avignon : avec « Welfare », Julie Deliquet joue collectif | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge dans Le Monde - 4 juillet 2023

 

La metteuse en scène et directrice du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis adapte le chef-d’œuvre du grand documentariste américain Frederick Wiseman en ouverture du Festival.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/07/04/festival-d-avignon-avec-welfare-julie-deliquet-joue-collectif_6180512_3246.html

Par la fenêtre ouverte entrent des cris d’enfants joyeux et sauvages. Au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, le bureau directorial de Julie Deliquet donne sur la cour de récréation de l’école voisine, et on ne peut s’empêcher de penser que ce hasard lui va bien. La vie, le goût du service public, du collectif, de la transmission sont au cœur du théâtre que la metteuse en scène invente depuis quinze ans. Son bureau est à son image, et à celle de ses spectacles, avec ses meubles chinés, ses tables où se réunir et ses plantes vertes : un espace de convivialité plus que de pouvoir.

 

A 43 ans, elle entre à Avignon, où elle n’a jamais été programmée dans le « in », par la grande porte : c’est elle que le nouveau directeur du Festival, Tiago Rodrigues, a choisie pour l’ouverture dans le saint des saints, la Cour d’honneur du Palais des papes. Avant elle, une seule metteuse en scène de théâtre a eu cet honneur, en soixante-seize ans de festival : Ariane Mnouchkine, avec La Nuit des rois et Richard II. Et c’était en 1982.

 

 

 

Julie Deliquet ne surestime ni ne sous-estime l’enjeu. Aussi discrète que solide, quoi que puissent laisser penser sa silhouette gracile et le regard souvent rêveur de ses yeux bleus, elle a, ces dernières années, mis en scène des spectacles importants avec la troupe de la Comédie-Française (Fanny et Alexandre, Vania…), et pris les rênes de ce centre dramatique national qu’est le Théâtre Gérard-Philipe alors même que la pandémie de Covid-19 entraînait une série de confinements, en mars 2020.

 

 

 

La Cour, donc. Pour elle, le lieu se prêtait au projet qu’elle avait en tête, aussi curieux que cela puisse paraître au premier abord. Car il s’agit ici d’adapter au théâtre Welfare, un des chefs-d’œuvre du grand documentariste américain Frederick Wiseman. Le film, tourné en 1973 dans un centre social de New York, suit au plus près une humanité naufragée, tentant avec une énergie shakespearienne de sauver sa peau par la seule force de la parole.

 

Agora

Pour Julie Deliquet, la Cour n’est pas tant l’endroit du prestige et de la pompe papale qu’un lieu « éminemment politique et démocratique » : « Pour Welfare, j’ai pensé d’emblée qu’il faudrait un lieu un peu grec, décloisonné, en plein air, où cette parole serait remise à son essentiel : une agora. Quand le Festival d’Avignon m’a proposé la Cour d’honneur, je me suis dit que cela avait du sens, par rapport à la parole de ces hommes et de ces femmes qui sont au bord de tomber et de tout perdre, et qui doivent sauver ce qui leur reste. La Cour est un lieu assez démesuré et cela reflète ce qui leur arrive : ils affrontent un destin trop grand pour eux, mais ils redeviennent citoyens par le fait qu’ils prennent la parole, et qu’on les écoute. Le geste vilarien inaugural est un geste politique, qui consiste à remettre le théâtre au centre de la cité. »

 

Cette question du collectif anime Julie Deliquet depuis ses débuts. C’est d’ailleurs avec ce terme-là que la jeune femme, qui avait fait ses classes de théâtre et de cinéma tout au long de son adolescence à Lunel (Hérault), a créé sa compagnie, In Vitro, en 2009, avec des camarades du Studio-Théâtre d’Asnières et de l’Ecole Jacques-Lecoq. Et c’est ensemble, en création collective, qu’ils ont monté leurs premiers spectacles, qui interrogeaient l’héritage des utopies soixante-huitardes : Dernier remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce (2009), La Noce, d’après Brecht (2011), et Nous sommes seuls maintenant (2013), écrit au fil des improvisations.

 

 

Puis Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, lui a proposé, en 2016, de venir mettre en scène Oncle Vania, de Tchekhov. « Le travail avec le Français m’a fait entrer dans une autre dimension, et m’a amenée à assumer et à préciser mon geste de metteuse en scène, observe Julie Deliquet. Mais c’est surtout avec l’arrivée à Saint-Denis qu’il y a eu une réorientation personnelle et artistique. Je suis passée d’une veine intime à un format plus social et politique, même si je n’aborde pas cet aspect de front, mais toujours par le biais de l’humain. J’ai les mêmes obsessions depuis le début − celles de la communauté, de la démocratie −, mais j’ai bougé en tant que citoyenne et en tant que personne, et ces obsessions se sont déportées du terrain familial vers la terre ouvrière. Je me nourris toujours beaucoup du réel, et le réel, à Saint-Denis, pendant la période du Covid, s’est fortement rappelé à nous dans sa dimension sociale, en montrant la fragilité et l’importance cruciale des services publics. »

Julie Deliquet en était là de sa vie et de sa réflexion, elle travaillait, avec Florence Seyvos, sur l’adaptation théâtrale de Huit heures ne font pas un jour, le feuilleton de Rainer Werner Fassbinder sur la vie d’une famille ouvrière allemande dans les années 1970, quand Frederick Wiseman l’a appelée pour lui dire qu’il la verrait bien porter sur scène son film Welfare.

Pas de sentimentalisme

Le cinéaste américain vit une bonne partie de l’année en France, et il est un grand amateur de théâtre, que l’on croise régulièrement dans les salles parisiennes. Actuellement en montage de son prochain film, qui plonge dans l’univers des restaurants trois étoiles, il dit avoir choisi Julie Deliquet pour « la justesse de son regard ». « J’aime la manière dont elle amène la vie au théâtre, précise-t-il. Dans ses spectacles, il y a une grande attention à la vie quotidienne des êtres, tout en l’inscrivant dans une dimension plus vaste, et c’est ce que je cherche également. Un point me semblait fondamental, c’est qu’il y a une grande sensibilité dans son travail, mais pas de sentimentalisme. Elle a le sens de la complexité. Dans Welfare, on doit sentir aussi bien la détresse des demandeurs de l’aide que celle des travailleurs sociaux. C’est dans la confrontation des deux que peut se dire quelque chose du rôle et de la responsabilité de l’Etat. »

 

 

Julie Deliquet a regardé le film, qu’elle n’avait pas vu auparavant. « Et là, cela a été le choc que l’on peut imaginer, raconte-t-elle. Un choc de cinéma, mais aussi d’expérience humaine. Wiseman n’est pas un simple capteur du réel, il fait œuvre sur lui, il l’écrit, avec son utilisation du gros plan et du montage. Les visages et le langage sont d’une force peu commune dans Welfare. J’étais donc très tentée par cette adaptation. Mais, pour autant, il fallait que je me pose la question du théâtre, de la manière de le faire advenir. Il était rien moins qu’évident de passer d’un film en noir et blanc, très zoomé, sans musique, radical, à une représentation de théâtre. Je me suis dit qu’il allait falloir que je dézoome pour que ce grand corps collectif que l’on entend mais que l’on ne voit pas dans le film devienne le sujet du spectacle : être dans un autre rapport de corps, des corps pris dans un espace un peu trop grand pour eux, ce qui nous ramène à la Cour du Palais des papes… »

 
 
Lire le portrait (en septembre 2016) : Article réservé à nos abonnés Julie Deliquet, le théâtre in vivo
 

Ce passage au théâtre démultiplie les questions posées par le documentariste américain sur la manière dont l’art peut rendre compte du réel, questions qui passionnent Julie Deliquet. « Frederick Wiseman, d’ailleurs, n’aime pas les termes de documentariste et de cinéma-vérité, observe-t-elle. Quand on lui demande ce qu’il y a de commun entre tous ses films, il répond : “moi”, et il a bien raison. C’est son regard et son écriture qui permettent de voir le réel. Cela rejoint les réflexions qui sont les miennes depuis le début, sur le fait que l’art ne doit pas imiter la vie, il y aurait là une forme de grossièreté. On ne peut que la recréer, au fil d’un travail qui épouse le processus même de la création : c’est bien pourquoi j’ai appelé notre collectif In Vitro. C’est ce que permet le théâtre, magnifiquement : travailler pour tendre à redonner vie au réel, mais avec un autre visage, une nouvelle peau. »

Pour la metteuse en scène, les mises en abyme et en miroir sont donc nombreuses dans ce passage au théâtre de Welfare. « Maintenant que je dirige moi-même une institution, toute la complexité et la violence du film me sautent au visage. On est en permanence pris en étau entre la nécessité d’utiliser avec rigueur l’argent public, et le désir de réparer un tissu social déchiré. Le grand écart est de plus en plus compliqué, mais je sais pourquoi je le fais. Travailler en groupe, c’est aussi épuisant que passionnant, c’est sinueux, mais c’est une recherche de démocratie permanente : comment la constituer pour qu’elle soit la plus juste possible. » De la cour d’école à la Cour d’honneur, pour Julie Deliquet, il n’y a qu’un pas.

 

 

Welfare, d’après Frederick Wiseman, mis en scène par Julie Deliquet. Avec Julie André, Astrid Bayiha, Eric Charon, Salif Cisse, Aleksandra de Cizancourt, Evelyne Didi, Olivier Faliez, Vincent Garanger, Zakariya Gouram, Nama Keita, Mexianu Medenou, Marie Payen, Agnès Ramy, David Seigneur. Cour d’honneur du Palais des papes. Durée : 2 h 40. Les 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13 et 14 juillet, à 22 heures.

 

Fabienne Darge

 

Légende photo : Julie Deliquet sur la scène du Théâtre Gérard-Philipe, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), en septembre 2021. PASCAL VICTOR/ ARTCOMPRESS VIA OPALE.PHOTO

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Festival d'Avignon - Welfare de Julie Deliquet

Festival d'Avignon - Welfare de Julie Deliquet | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Catherine Robert dans Sceneweb - 15 juin 2023

 

24 décembre 1973 à New York, sans-abris, apatrides, travailleurs, mères célibataires, personnes âgées, immigrés et démunis se succèdent dans la permanence d’urgence d’un centre d’aide sociale. Julie Deliquet adapte le scénario du film de Frederick Wiseman dans la Cour d’honneur.

 

Comment avez-vous choisi d’adapter le film de Frederick Wiseman ?

 

Julie Deliquet : Ce spectacle est né d’une rencontre heureuse avec Frederick Wiseman. Habituellement, c’est moi qui invite le cinéma dans mon théâtre, là, c’est un cinéaste qui est venu à moi. Wiseman partage sa vie entre les États-Unis et la France, va beaucoup au théâtre et avait vu une grande partie de mon travail. Il m’a appelée en me disant qu’il voulait me rencontrer. Il m’a parlé de son processus de travail, m’a invitée à une séance de montage et m’a dit que Welfare pourrait devenir une pièce de théâtre. Sur le moment, je ne parvenais pas à me projeter dans sa proposition, sans doute parce que je ne réponds jamais aux commandes. Mais j’ai reçu un coup de poing en regardant Welfare : avec seulement une perche, une caméra, sans musique additionnelle, sans voix off, se déploie un ballet humain tragique, ahurissant de drôlerie et de cocasserie. À l’époque, je réalisais un film semi-documentaire dans les services d’oncologie de l’Institut Gustave-Roussy, et j’ai retrouvé cette même impression de découvrir des êtres que la difficulté autorise à être encore plus en vie que les autres. C’est alors que j’ai été nommée au TGP, à Saint-Denis. J’ai pris la tête d’un théâtre que j’ai fermé à cause du confinement. Au retour dans les murs, alors que nous ne pouvions toujours pas jouer, la première chose que nous avons travaillée a été le lien avec les profs, avec l’hôpital, avec les structures sociales. J’ai fait mes premiers pas de directrice et trouvé l’essence et le sens de ce métier par le lien à retisser après qu’il avait été coupé. Ça m’a missionnée, passionnée, ça a marqué l’identité de ma ligne programmatique. L’idée d’adapter Welfare est alors devenue concrète.

 « PARCE QU’ELLE EST TRAGIQUE, CETTE COMÉDIE HUMAINE S’UNIVERSALISE. »

Comment l’adaptez-vous ?

J. D. : Wiseman a une manière très particulière de travailler. Pour Welfare, il avait 150 heures de rushes, dont il a recomposé les plans pour raconter une histoire. Au moment de filmer, il se laisse le vertige de ne pas savoir ce que ça va donner. Il se définit comme « auteur de forme » et non comme documentariste. Je n’emprunte pas son œuvre visuelle, mais son montage, ses dialogues : je monte ce qu’il a écrit. Lorsque j’ai rencontré l’équipe d’Avignon, l’idée de jouer en plein air s’est imposée. Je voulais une opposition totale avec la mise en scène de Wiseman, qui est au plus près des visages, dans une forme très enfermée. J’avais envie d’un zoom arrière et aussi de montrer comment ces gens viennent faire du théâtre pour sauver leur vie, tant le welfare américain suppose que les bénéficiaires des aides sociales jouent la comédie pour dissimuler le peu qu’il leur reste. Cela produit des cocasseries qui arrachent l’œuvre au misérabilisme. Les personnages racontent leur histoire et retrouvent ainsi une place citoyenne. Cela donne un théâtre de la survie, tout en vitalité, qui montre comment on devient citoyen par la mise en mots. On n’est pas dans un naturalisme quotidien et administratif : ici, les mots, comme chez Beckett, sont d’une puissance vitale.

 

 

Comment allez-vous investir la Cour d’honneur ?

J. D. : J’ai été dans les premières à me faire vacciner au Stade de France pendant la pandémie. Il y régnait un tel silence ! Ce genre de lieu n’est absolument pas fait pour l’individu. On avait l’impression d’être dans un lieu trop grand pour nous. Il me fallait trouver, pour Welfare, un lieu comme celui-là, un lieu qui n’est pas fait pour ce qu’on vient y faire, occupé de manière inhabituelle, un lieu pour reconstituer cette permanence sociale, espace exceptionnel pour une journée exceptionnelle. Je n’ai pas la prétention de montrer le quotidien de ces vies en détresse ni d’aménager la distanciation pour parler de la France d’aujourd’hui. Nous sommes dans les années 70 à New York. Mais au fur et à mesure, la marginalisation typifie les personnages : ils sont hors de toute époque et questionnent les fondements de nos démocraties. Si la problématique est d’abord sociale, progressivement, les questions abordées deviennent philosophiques. Parce qu’elle est tragique, cette comédie humaine s’universalise. Les personnages peuvent être violents, l’œuvre n’est pas manichéenne. Et quand les travailleurs sociaux se retrouvent en vraie difficulté par manque d’effectifs, on ne peut pas ne pas penser à ce qui se passe dans nos services publics.

 

 

Propos recueillis par Catherine Robert / Sceneweb

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«Huit heures ne font pas un jour», pièce de haute lutte

«Huit heures ne font pas un jour», pièce de haute lutte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 7 octobre 2021

 

Légende photo : Sur scène, un banquet façon kermesse. (Pascal Victor/©Pascal VICTOR/ArtComPress)

 

 

Le feuilleton allemand de Fassbinder, repris sur scène par Julie Deliquet, restitue avec bonheur les tribulations d’une dizaine d’ouvriers dans les années 70.

 

La metteuse en scène Julie Deliquet, nommée à la tête du théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis pendant le premier confinement, aime les échanges transgénérationnels et le fourmillement des acteurs sur scène, tout ce qui permet au spectateur de régler lui-même sa propre focale sur tel personnage ou action parallèle. Vania d’après Tchekhov, Fanny et Alexandre d’après Bergman, Un conte de Noël tiré du film d’Arnaud Desplechin : autant de spectacles qui prouvent une aptitude rare à faire advenir la jubilation de l’instant présent sur un plateau de théâtre, comme en témoigne le nom de sa compagnie, In Vitro, fondée il y a une douzaine d’années. Huit heures ne font pas un jource beau titre d’un feuilleton de Fassbinder – on ne disait pas série – commandé par la télévision allemande en 1971 au cinéaste de 27 ans qui avait déjà tourné huit longs métrages, ne fait pas exception.

 

Durant trois heures vingt, on suivra les tribulations d’une dizaine d’ouvriers et d’une famille, qui vont progressivement lever tous les freins qui entravent leur quotidien, trouver des solutions à leurs problèmes personnels perçus pour ce qu’ils sont : des questions politiques. Un exemple : Monika (lumineuse Lina Alsayed) veut travailler. Elle le dit sur tous les tons. Or l’absence de crèches et le fonctionnement de l’école allemande obligent les mères à rester à la maison sous peine d’être qualifiées de «mère corbeau». Au début des années 70, les revendications de ce personnage n’étaient pas si fréquemment problématisées dans les œuvres, pas plus qu’au sein de la société. De même le matraquage des hommes sur leur épouse que dénonce Monika frappée par son mari, était considéré jusqu’à peu comme une question intime relevant de la sphère domestique. Ici, Luise, la grand-mère, (fantastique Evelyne Didi), ne s’embarrasse pas de difficultés. Elle décide de squatter une bibliothèque municipale abandonnée, pour y installer une garderie sauvage.

 

Cellule de dégrisement

Utopique ? Peu importe, car jusqu’à l’entracte, la frénésie de problèmes aussitôt posés, très vite résolus, provoque un optimisme ravageur, comme si toute la salle était shootée aux euphorisants. On a envie d’y croire. Suivre Luise quand elle veut fonder «une agence immobilière pour personnes âgées» même si sa famille est plus dubitative. Ne pas ciller quand le nouveau contremaître, recruté à l’extérieur de l’usine, est d’accord avec les ouvriers : son recrutement est lamentable, les patrons auraient été mieux inspirés de choisir l’un d’entre eux, et d’ailleurs, il va aider l’aspirant à se former aux mathématiques. Excepté le personnage de la grand-mère intempestive qui n’hésite pas à jeter son venin, ou celui de la tante Klara (irrésistible Hélène Viviès) qui n’apprécie ni les mésalliances ni les ouvriers, les relations interpersonnelles sont exceptionnellement non conflictuelle chez Fassbinder. Le cinéaste n’a tourné que cinq épisodes de son épopée acidulée – nettement plus dark, les trois derniers restés dans les tiroirs auraient sans doute colorisé différemment l’ensemble. Un geste subversif demeure : la télévision n’avait pas prévu que la saga familiale commandée aurait lieu dans une usine, à l’époque où la moitié des actifs allemands étaient ouvriers.

 

Lors de sa diffusion, le succès populaire fut total, et les critiques vinrent de la droite et de l’extrême gauche jugeant la fable désespérément peu réaliste. Durant la première partie, les ouvriers doivent néanmoins lutter pour que leur prime de rendement leur soit accordée. Que se passe-t-il, pour qu’après l’entracte, on ait eu le sentiment d’être placée dans une cellule de dégrisement, tandis que Julie Deliquet, Fassbinder, et la quinzaine d’acteurs sur le plateau continuaient leur montée en puissance fabuleuse ? Certes, il y a un banquet, façon kermesse, et le groupe investit l’atelier pour la transformer en salle des fêtes. Certes, Monika est bien isolée lorsqu’elle répète combien sa vie est insupportable, et que tante Klara la renvoie à son statut de prolétaire qui a épousé un cadre. Et certes, les ouvriers sont les premiers surpris de la simplicité avec laquelle ils obtiennent le droit de s’autogérer sans la moindre résistance de la part de la direction. «Franchement, nous pensions que nous allions devoir nous battre», expliquent-ils à la cheffe d’atelier (excellente Julie André) toute trépignante de perdre son autorité.

«Débrouille»

Le dénouement idyllique, sans casser d’œuf, ni l’ombre d’une lutte, frustre le spectateur d’une étape essentielle si bien que la pièce en devient, par un hasard du calendrier, le contrepoint de 7 Minutes, le huis clos de Stefano Massini qui montre précisément un moment de bascule, la prise de décision collective de onze femmes en colère, spectacle que l’on peut encore découvrir au théâtre du Vieux-Colombier. Quelque chose chiffonne : pourquoi donc mettre sur scène la saga de Fassbinder aujourd’hui, quand nombre d’usines ont fermé ? Rencontrée dans un café après avoir vu la pièce, Julie Deliquet défend au contraire la forte actualité du feuilleton adapté avec Florence Seyvos et Julie André pendant le confinement. «Durant cette période, en Seine-Saint-Denis, on a vécu la débrouille à tous les étages et la solidarité intergénérationnelle. A travers cette pièce, j’ai eu envie de montrer cette capacité à s’auto organiser, quand les politiques défaillent. Oui, les solutions sont provisoires mais elles existent.»

 

 

Comme toujours avec Julie Deliquet, le processus de création a tout autant compté que le résultat. Ici comme jamais, les acteurs, dont certains font leurs premiers pas sur scène, ont été au service de la dramaturgie plutôt que du parcours de leur personnage.

 

Hanna Schygulla, actrice fétiche de Fassbinder et spectatrice le même jour que nous, a reconnu sur scène l’énergie et le sens du groupe du cinéaste frénétique mort à 37 ans. La solaire Marion fut l’un de ses premiers rôles, le tournage se déroulait dans une usine, et elle osait à peine porter la voix pour ne pas déranger les ouvriers qui travaillaient en même temps.

Huit jours ne font pas un jour, mis en scène par Julie Deliquet, d’après R.W. Fassbinder jusqu’au 17 octobre au TGP, à Saint-Denis, puis grande tournée. Sept minutes de Stefano Massini, mis en scène par Maëlle Poésy, jusqu’au 17 octobre, au théâtre du Vieux-Colombier.
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Julie Deliquet : "On travaille pour une réouverture en septembre du Théâtre Gérard-Philipe"

Julie Deliquet : "On travaille pour une réouverture en septembre du Théâtre Gérard-Philipe" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Jean-Baptiste Urbain sur le site de France Musique le 2 juin 2020

 

 

Ecouter l'entretien sur le site de France Musique (10 mn) 

 

A l'occasion de la sortie de son court-métrage "Violetta" visible sur la 3e scène de l'Opéra de Paris, la metteure en scène Julie Deliquet est avec nous. Tout récemment nommée à la tête du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, elle revient sur l'urgence qu'il y a à ouvrir les théâtres.



C'est important que la culture reprenne sa place ! Julie Deliquet

Julie Deliquet
Formée au Conservatoire de Montpellier, elle crée le Collectif In Vitro en 2009.
Après la création de plusieurs spectacles, elle met en scène différentes productions au Festival d'Automne, à La Comédie-Française ou encore au Théâtre de L'Odéon.
Nommée en mars dernier à la tête du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, elle vient de prendre ses fonctions en pleine crise impactant la culture et plus particulièrement les théâtres.

"Violetta"
Ce court-métrage signé Julie Deliquet montre à tour de rôle la soprano Aleksandra Kurzak que nous suivons durant une représentation de La Traviata et l'actrice Magaly Godenaire qui interprète une personne malade atteinte d'un cancer.

 

Voir le film "Violetta" de Julie Deliquet produit par 3ème scène de l'Opéra de Paris (18 mn)

À la croisée des couloirs labyrinthiques de l’Opéra Bastille et de l’hôpital Gustave-Roussy de Villejuif, deux trajectoires d’actrices au seuil d’incarner la maladie. Jouant des ressemblances entre les deux espace-temps, et du trouble quant à ce qui tient de la fiction ou de la réalité, violence et passion des sentiments des deux femmes vont si bien se mêler qu’elles témoigneront de différents rapports au tragique et à la représentation.

 

 

Julie Deliquet, © AFP / Joël SAGET

 

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« Des années 70 à nos jours » sous le fardeau des utopies

« Des années 70 à nos jours » sous le fardeau des utopies | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Décidément, la question de l'héritage est un thème de l'automne. Dans Le Capital et son singe, au Théâtre national de la Colline, à Paris, la bande de Sylvain Creuzevault s'interroge sur celui de Marx et de la révolution (Le Monde daté 11 septembre). Dans Des années 70 à nos jours, une autre bande, celle du Collectif In Vitro, se questionne sur le legs qu'il a reçu de la génération dite soixante-huitarde. Il le fait en grand, à travers trois pièces, présentées au Théâtre des Abbesses dans une même soirée : La Noce, d'après Brecht, Derniers remords avant l'oubli, de Jean-Luc Lagarce, etNous sommes seuls maintenant, une création collective.

Cette saga, qui commence à 19 heures et s'achève après 23 heures, présente un autre point commun avec Le Capital et son singe : elle se joue autour de tables, ces tables que de nombreux collectifs mettent au centre du plateau, souvent comme unique attribut de décor, parce qu'elles sont un théâtre en elles-mêmes.

Passons donc à table et voyons ce qu'ils ont à nous dire, ces jeunes gens qui ont choisi de s'appeler In Vitro, soit « en éprouvette », parce qu'ils aiment avant tout expérimenter, ne rien figer et garder, pendant les représentations, la vivacité de l'improvisation qui nourrit leur long travail.

 

LA MARIÉE DE « LA NOCE » DE BRECHT EN MINI-ROBE

Ils commencent par un mariage, qui pourrait être celui de leurs parents (quand ils se sont mariés), en transposant dans les années 1970 la pièce de Brecht écrite en 1919. La mariée porte une mini-robe et les invités des pantalons pattes d'éléphant. Ça mange, ça boit, ça danse le rock et le père chante à ses filles qu'il les aime, sur l'air de La Bohême de Charles Aznavour. Mais la machine grince. Au fur et à mesure que le mobilier, construit par le marié, se déglingue et se casse, le rêve d'un jour heureux se brise. Il se termine en laissant seul le jeune couple qui « s'engueule », avant de faire l'amour, debout contre un mur. « Pourquoi on s'est mariés ? », a demandé la jeune femme.

 

Avec Derniers remords avant l'oubli, on passe à la fin des années 1980. La pièce raconte les retrouvailles de deux hommes et d'une femme qui se sont aimés et ont vécu ensemble dans une maison qu'ils avaient achetée. Puis ils se sont séparés, chacun a suivi son chemin. Ils se revoient pour discuter de la vente de la maison où l'un des trois vit toujours. Mais c'est d'eux qu'ils parlent. De ce qu'ils furent, de ce qu'ils sont devenus : ils voulaient inventer une façon de vivre et de s'aimer, et ils sont rentrés dans le rang. Avec, au cœur, ces « derniers remords avant l'oubli » qu'il leur faut exprimer. Avant de repartir, chacun de son côté.

AU DÉBUT, CHACUN JOUE LA COMÉDIE DU BONHEUR

La troisième pièce, Nous sommes seuls maintenant, se passe dans les années 1990. Elle met en scène un repas, dans une maison à la campagne, où un couple reçoit des amis. Au début, chacun joue la comédie du bonheur, autour de la table. Ils sont douze, dont le grand-père de Bulle, qui fête ses 20 ans. Jusqu'à ce jour, elle a cru aux légendes familiales d'avant sa naissance. Mais quand les convives vont se mettre à jouer au jeu de la vérité, en buvant cul sec à chaque réponse, Bulle va comprendre que le tableau idyllique cachait des non-dits, pas bien beaux quand ils n'étaient pas terribles. Que fera-t-elle de sa vie, le sachant ? Quelle mère sera-t-elle ? Que léguera-t-elle à ses enfants ?

Ainsi tourne la roue du temps, dans ce voyage intergénérationnel qui a le mérite de revendiquer le fantasme sur les années 1970, leurs rêves et leurs illusions. En assumant cette démarche, le Collectif In Vitro évite l'écueil de la sociologie platement retranscrite sur un plateau. Mais il n'évite pas celui, lié au fantasme même, de verser dans le cliché d'une époque dorée, où tout était possible. C'est peut-être pour cela que, malgré son indéniable qualité, le spectacle laisse sur sa faim.

Des années 70 à nos jours, par le Collectif In Vitro. Mise en scène :Julie Deliquet. Théâtre des Abbesses, 31, rue des Abbesses, Paris 18e. Du mardi au samedi, à 19 heures ; dimanche, à 15 heures. De 16 à 26 €. Durée : 4 h 30. Jusqu'au 28 septembre. Du 2 au 12 octobre au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis.

 

 

Brigitte Salino pour Le Monde

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