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May 2, 3:16 AM
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Pierre Gendronneau, le numéro deux du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions après des signalements de violences sexuelles sur un précédent poste

Pierre Gendronneau, le numéro deux du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions après des signalements de violences sexuelles sur un précédent poste | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Le Monde avec AFP - 30 avril 2025

 

 

Le départ du directeur délégué est prévu le 13 juin, a annoncé Tiago Rodrigues, le directeur du Festival. Une enquête interne a été menée en novembre et décembre par le cabinet spécialisé Egaé, après que le ministère de la culture a saisi le procureur de la République pour des signalements à son sujet.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/30/pierre-gendronneau-le-numero-deux-du-festival-d-avignon-va-quitter-ses-fonctions-apres-des-signalements-de-violences-sexuelles-sur-un-precedent-poste_6602035_3246.html

Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon, va quitter ses fonctions le 13 juin, à la suite « d’accusations » de violences sexuelles et sexistes alors qu’il occupait un poste dans une autre organisation, a annoncé, mercredi 20 avril, le directeur du Festival, Tiago Rodrigues.

 

« Nous avons annoncé aujourd’hui à l’équipe du Festival le départ de Pierre Gendronneau des fonctions de direction délégué, pour des raisons personnelles et pour poursuivre d’autres horizons professionnels », a déclaré à l’Agence-France Presse M. Rodrigues, confirmant une information de Télérama. Ce départ « a été pris d’un commun accord », a-t-il précisé, sans confirmer s’il s’agit d’une rupture conventionnelle. M. Gendronneau avait été nommé en février 2023.

 

Une enquête interne a été « menée en novembre et décembre » par le cabinet spécialisé Egaé, dirigé par Caroline De Haas. « Plusieurs avocats indépendants », sollicités par le Festival, ont conclu que « l’enquête ne révélait pas de faits avérés de harcèlement ou de violence de la part de Pierre Gendronneau pendant sa période de travail au Festival », a précisé Tiago Rodrigues.

 

 

Des signalements étaient parvenus à propos de M. Gendronneau au ministère de la culture, qui avait déclenché l’article 40 du code de procédure pénale, et informé le procureur de la République pour qu’il décide des suites judiciaires à donner à ces accusations. Le Festival a été informé de ces signalements début novembre, a expliqué M. Rodrigues, et a décidé de lancer cette enquête interne dans les « deux jours » qui ont suivi.

Une enquête menée également au Festival d’automne

A la suite de l’enquête d’Egaé, « Pierre Gendronneau a continué à son poste. Cependant, le fait qu’il y ait des accusations envers lui antérieures à son arrivée au Festival d’Avignon et d’autres enquêtes déclenchées a créé un climat de suspicion à son égard. Cela devenait impossible pour lui de mener sa mission », a encore déclaré M. Rodrigues.

 

Le Festival d’Automne à Paris, où M. Gendronneau a été l’adjoint du directeur Emmanuel Demarcy-Mota, a confirmé une information de Télérama selon laquelle le cabinet Egaé a également été mandaté pour une enquête. « Près de deux ans après son départ, soit à l’automne 2024, m’ont été signalés par une salariée qui disait en avoir été victime des faits de harcèlement sexuel de la part de Pierre Gendronneau », a expliqué à l’Agence France-Presse M. Demarcy-Mota.

 

 

« Un signalement a été fait au ministère. J’ai demandé à pouvoir en parler avec tous les membres de l’équipe du Festival, et nous avons mis en place une procédure pour parvenir à un diagnostic. Mais Pierre Gendronneau n’étant plus salarié, il n’y a pas de contradictoire, et pas de sanction possible au sein du Festival d’Automne », a-t-il ajouté.

Avant 2023, Pierre Gendronneau a aussi été chargé de production à la Scène nationale de Sénart et directeur de production au Centre dramatique national de Montreuil. La 79e édition du Festival d’Avignon est prévue du 5 au 26 juillet 2025.

 

 

 

Le Monde avec AFP

 
Légende photo : Pierre Gendronneau, directeur délégué du Festival d’Avignon, à Avignon (Vaucluse), le 1ᵉʳ août 2023. ANGÉLIQUE SUREL/PHOTOPQR/LE DAUPHINE/MAXPPP
 
 

 

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April 2, 2:55 PM
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Le Festival d’Avignon 2025 déroule son programme : « Ensemble » pour chercher les nouvelles formes d’un monde en crise

Le Festival d’Avignon 2025 déroule son programme : « Ensemble » pour chercher les nouvelles formes d’un monde en crise | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 2 avril 2025

 

La 79ᵉ édition de la manifestation, qui se tiendra du 5 au 26 juillet, invite cette année la langue arabe et accorde un tiers de sa programmation à la danse.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/04/02/le-festival-d-avignon-2025-deroule-son-programme-ensemble-pour-chercher-les-nouvelles-formes-d-un-monde-en-crise_6590005_3246.html

 

« Ensemble ». Tel est le mot choisi par Tiago Rodrigues pour donner la couleur du Festival d’Avignon 2025, dont il a annoncé la programmation, mercredi 2 avril, dans la cité des Papes. Citant, dans la foulée, le poète palestinien Mahmoud Darwich avec cette formule, « Je suis toi dans les mots », qui, a-t-il ajouté, « pourrait être la devise du festival ».

 

Cette 79e édition de la manifestation fondée par Jean Vilar, qui se tiendra du 5 au 26 juillet (comme le « off », aligné sur les mêmes dates), poursuit le délicat dosage lancé dès 2023 par le directeur du festival, entre théâtre et formes interdisciplinaires, valeurs sûres et découvertes, patrimoine et création contemporaine. Mais avec, cette année, une présence plus marquée de la danse et de la musique.

 

Les deux grands axes qui guident cette programmation, l’« artiste complice » et la « langue invitée », se croiseront dès le spectacle d’ouverture dans la Cour d’honneur du Palais des papes. La chorégraphe cap-verdienne et portugaise Marlene Monteiro Freitas y présentera Nôt, création inspirée par Les Mille et Une Nuits, la langue invitée pour cette édition étant l’arabe. L’explosive Marlene emmène dans ses bagages plusieurs artistes issus de cette même planète lusophone : la chanteuse cap-verdienne Mayra Andrade pour un concert unique, reEncanto, le duo portugais Jonas & Lander, avec Coin Operated, proposition interactive et performative, enfin le DJ lisboète Branko, qui clôturera le festival avec une soirée festive.

 

 

 

La programmation en langue arabe, forte d’une bonne dizaine de propositions, mêle des créateurs venus du Maroc, du Liban, de Tunisie, de Syrie, d’Egypte, d’Irak ou de Palestine. Certains déjà repérés, comme les chorégraphes Bouchra Ouizguen (They Always Come Back) et Ali Chahrour (Quand j’ai vu la mer). D’autres à découvrir, à l’image des chorégraphes tunisiens Selma et Sofiane Ouissi ou Mohamed Toukabri. La langue arabe sera par ailleurs célébrée lors de deux soirées, l’une consacrée à Oum Kalthoum dans la Cour d’honneur, l’autre en forme de voyage dans cet idiome de haute poésie.

Thomas Ostermeier, Christoph Marthaler…

Du côté des grands créateurs européens, cette édition voit le retour à Avignon de Thomas Ostermeier, qui s’attaque, avec sa troupe de la Schaubühne de Berlin, au Canard sauvage, de Henrik Ibsen. Ainsi que du Suisse Christoph Marthaler et de son irrésistible univers théâtralo-musical, avec une création intitulée Le Sommet. Quant à Anne Teresa De Keersmaeker, elle est à nouveau chez elle au festival, où elle revient, en compagnie de Solal Mariotte, avec une création autour de Jacques Brel, qui résonnera dans la Carrière de Boulbon. Le Suisse Milo Rau, lui, signera le spectacle itinérant du festival, ainsi qu’une soirée d’hommage à Gisèle Pelicot, mettant en scène des interrogatoires, des plaidoyers et des commentaires autour de cette affaire historique.

 

Quant à Tiago Rodrigues, il va présenter à Vedène sa nouvelle création, La Distance : une dystopie se déroulant en 2077, alors qu’une partie de l’humanité s’est exilée sur Mars, tandis que l’autre suffoque sur une Terre devenue invivable. Dans la Cour d’honneur du Palais des papes, ce sera ensuite le retour de la troupe de la Comédie-Française, avec le formidable Soulier de satin, de Paul Claudel, créé par Eric Ruf dans sa maison en décembre 2024 : toute une nuit dans la Cour, comme un hommage au mythique Soulier créé par Antoine Vitez en 1987.

 

Lire la critique (2024) | Article réservé à nos abonnés « Le Soulier de satin » magnifie la Comédie-Française
 

Le festival rendra également hommage à François Tanguy, disparu fin 2022, et à son Théâtre du Radeau du Mans, avec les deux dernières créations, Item (2019) et Par autan (2022), signées par cet artiste poète unique. Une cohorte de créateurs français bien vivants l’accompagne : Jeanne Candel (Fusées) ; Joris Lacoste (Nexus de l’adoration) ; Clara Hédouin, qui, avec Prélude de Pan, de Jean Giono, persévère sur les chemins d’un théâtre-déambulation à travers des paysages naturels ; Emilie Rousset (Affaires familiales) ; Aurélie Charon (Radio Live). Samuel Achache, avec Les Incrédules, pousse toujours plus loin sa recherche entre théâtre et musique. Mohamed El Khatib s’hybride avec le chorégraphe Israel Galvan (Israel & Mohamed). Tandis que Gwenaël Morin poursuit son projet « Démonter les remparts pour finir le pont », en mettant en scène Les Perses, d’Eschyle, la plus ancienne pièce de théâtre dont on ait conservé le texte.

 

 
 

Pour les amateurs de danse, qui sont gâtés cette année puisque la discipline occupe un tiers de la programmation, il faudra aussi compter avec l’étonnante danseuse et chorégraphe danoise Mette Ingvartsen, encore peu connue en France, qui promet une Delirious Night affolée par les rituels carnavalesques du Moyen Age. Avec Némo Flouret, la danse se pare de pyrotechnie, pour Derniers feux. Le chorégraphe marocain Radouan Mriziga, avec Magec, fait souffler sur le plateau le vent du désert.

 

Dans les découvertes attendues, il faudra guetter le jeune artiste albanais (mais travaillant en Grèce) Mario Banushi et son spectacle Mami, qui crée un langage scénique original et pluridisciplinaire. Plusieurs projets atypiques, enfin, retiennent l’attention : One’s Own Room-Inside Kabul, invitation par Caroline Gillet, Kubra Khademi et Sumaia Sediqi à passer un moment dans le salon d’une femme afghane ; ou Gahugu Gato (Petit pays), dans lequel Dida Nibagwire et Frédéric Fisbach, pour adapter le roman de Gaël Faye, ont invité des interprètes rwandais à convoquer la mémoire du génocide. Avignon 2025 s’annonce comme un festival plus que jamais ouvert sur le monde, ses soubresauts, et les formes sans cesse en mouvement que les artistes trouvent pour le dire.

 

Fabienne Darge / Le Monde 

 

 

Légende photo : Tiago Rodrigues, à la FabricA d’Avignon, le 2 avril 2025. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

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July 21, 2024 10:03 AM
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Festival d’Avignon semaine 3 : clap clap de fin

Festival d’Avignon semaine 3 : clap clap de fin | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par le service Culture de Libération - 21 juillet 2024

 

 

Cette semaine, on ondule avec le chorégraphe Noé Soulier, on cauchemarde avec le «Léviathan» de Sagazan. On se raconte des histoires et on est renversé.

 

Avignon, c’est presque fini et déjà nous manquent ces groupes d’amis circulant par grappes dans les rues de la ville, stationnant de longues minutes (heures ?) devant un mur d’affiches vantant les 1 683 spectacles recensés dans les 141 théâtres du festival off (vrais chiffres). «Le seul en scène sur l’inceste il doit être fort… - Sinon il y a le seul en scène sur la fin de vie, t’en penses quoi ?» Nous manquera aussi le délicieux spectacle des habitués du festival in. «Qu’est-ce que tu dis ? - Je dis qu’on en a marre de Richard III, il y en a trop des Richard III - Et tu as vu comme ils étaient mauvais ces jeunes comédiens qui jouaient Isabelle Huppert ? - Elle devrait porter plainte.» Nous manqueront un peu moins les sonnettes hystériques des vélos et de leurs conducteurs à tote bag, cherchant à optimiser dans les ruelles d’Avignon leur trajet entre le théâtre du Train bleu et celui de la Manufacture et ayant visiblement juré sur la tête de Jean Vilar qu’ils ne freineraient pas, dussent-ils renverser un couple de petits vieux.

Sur scène, ce sont d’autres véhicules et d’autres collisions qui nous auront transportés cette année – les voitures étant garées à plusieurs reprises sur les plateaux d’Avignon, que ce soit dans le fabuleux Absalon, Absalon de Séverine Chavrier ou dans Los Días Afuera de l’Argentine Lola Arias. On se souviendra de ces corps butant et cognant. Celui de l’ancienne danseuse de Pina Bausch, Héléna Pikon, 67 ans, percutant les chaises du mythique Café Müller, dans Forever de Boris Charmatz, ou les pas mal assurés de Belén González del Amo, l’actrice non voyante de La Gaviota de Chela de Ferrari. Cette année le festival a mis sur scène la vulnérabilité – des vieilles et des vieux, des personnes en situation de handicap, des vies cabossés d’anciens détenus chez Lola Arias et dans le beau Léviathan de Lorraine de Sagazan, et montré pourquoi elle pouvait être si puissante.

 
 

On adore

Close Up de Noé Soulier. Le chorégraphe français sublime le mouvement de ses danseurs virtuoses, qui se répondent comme en transe sur la scène de l’Opéra Grand Avignon. Notre critique.

On aime beaucoup

Léviathan de Lorraine de Sagazan. C’est une œuvre à la beauté plastique saisissante et inquiétante qui plonge dans trois comparutions immédiates comme dans un cauchemar sans issue. Fuyant le réalisme documentaire, elle incarne la dureté et l’humiliation de ces procédures ultrarapides. Notre critique.

 

Elizabeth Costello de Krzysztof Warlikowski. Pour son retour à la Cour d’honneur, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski s’empare du personnage créé par le romancier JM Coetzee, l’écrivaine Elizabeth Costello. Une réflexion puissante sur la responsabilité morale qui devrait nous animer envers l’autre, humain, animal ou personnage de fiction, hélas un peu noyée dans ce cadre écrasant. Notre critique.

Pas mal

Forever de Boris Charmatz. Sept heures durant, le spectacle rejoue à plusieurs reprises le mythique Café Müller de la chorégraphe allemande, avec à chaque fois un groupe de danseurs différent. L’intérêt réside avant tout dans les variations. Notre critique.

Dommage

La Gaviota de Chela de Ferrari. La metteuse en scène péruvienne dirige des comédiens et comédiennes mal voyants dans une interprétation décevante de la Mouette de Tchekhov. Notre critique.

Le billet

Le plaisir du récit. Empruntant les codes du thriller, du documentaire ou de la bonne série, de nombreux spectacles de l’édition 2024 du festival ont démontré qules recettes éprouvées de la narration n’avaient rien perdu de leur pouvoir pour attirer le public.

Le portrait

Malicho Vaca Valenzuela. Dans le drôle, politique et tendre Reminiscencia, spectacle hanté par le territoire, le metteur en scène chilien mêle son histoire personnelle et l’héritage social de son pays.

Pendant ce temps-là dans le off

Une bonne histoire d’Adina Secretan. La pièce d’Adina Secretan revient sur une affaire d’infiltration menée par Nestlé en 2003 dans les milieux altermondialistes. Sur scène, deux comédiennes en explorent les conséquences pour les militantes abusées. Notre critique.

Le Papier peint jaune d’après Charlotte Perkins Gilman. Le papier peint jaune c’est le point d’obsession d’une femme, dans ce XIXe siècle finissant, tout juste mariée, tout juste mère, qui souffre selon son mari, médecin renommé, d’une «dépression nerveuse passagère». La comédienne Laetitia Poulalion fait remarquablement entendre le texte étrange et sombre d’une autrice méconnue, la féministe américaine Charlotte Perkins Gilman. Notre critique.

 

 

Anne-Christine et Philippe d’Arnaud Churin et Emanuela Pace. Quelle idée géniale d’adapter pour la scène le livre les Lances du crépuscule de Philippe Descola. L’anthropologue y raconte comment, à la fin des années 70 avec sa compagne Anne-Christine Taylor, il a passé pour ses recherches plusieurs années auprès des Achuar, qu’en Occident on appelle plus souvent les «Jivaros», en Haute-Amazonie. Drôle mais aussi intelligent, le spectacle aborde les petits tracas de l’ethnologue sur le terrain (faut-il vraiment aller déféquer avec ses voisins pour montrer son amitié, prendre des substances narcotiques et finir par chanter du Brel ?), ses petits arrangements avec la vérité pour se faire accepter des hommes qu’il «étudie», l’excitation de la «découverte» et finalement la lassitude de si bien les connaître.

 

Monstres d’Elisa Sitbon Kendall. Mettant en scène l’écriture d’une pièce de théâtre, Elisa Sitbon Kendall questionne, tout en nuance, la justesse de l’artiste lorsqu’il se frotte aux sujets dont il est trop éloigné. Notre critique.

 

Grégory par By Collectif. La pièce explore la complexité à raconter le réel dès lors qu’il faut mettre en récit un événement. Et se retrouve au cœur de la rédaction de Libération dans les années 80. Et prouve encore que les journalistes sont des protagonistes récurrents dans les spectacles de cette édition du festival d’Avignon. Notre analyse.

Bâtons rompus

Christiane Taubira. «Il est important que ce gouvernement de gauche arrive le plus rapidement possible. Il y a des gens qui n’ont pas le confort suffisant pour patienter.» Depuis Avignon, l’ancienne garde des Sceaux lançait un appel à l’union. Elections, laïcité, politiques culturelles, Nouvelle-Calédonie, racisme, justice, dissolution, responsabilité politique, offices notariaux, postes, écoles maternelles, Richard III, théâtre engagé… Elle s’est livrée à une discussion libre avec la journaliste Laure Adler. Compte rendu.

See you l’année prochaine

La direction du festival a annoncé que la langue arabe sera la langue invitée du prochain festival d’Avignon, après l’anglais l’an passé, et l’espagnol cette année. La danse gagnera quant à elle le saint des saints Palais des papes, avec la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas qui y présentera un spectacle en tant qu’artiste invitée de l’édition 2025.

 
 
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July 11, 2024 2:23 PM
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«Avignon, une école», histoire vive du théâtre 

«Avignon, une école», histoire vive du théâtre  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération - 11 juillet 2024

 

Jouant avec les archives, la metteuse en scène et ses jeunes comédiens s’emparent de l’histoire du Festival d’Avignon dans une drôle de pièce, truffée de références artistiques, jamais excluante.

 

 

«Toutes nos grands-mères nous disent qu’on ressemble à Gérard Philipe.» Des petits-fils sont sur scène et ils s’accordent sur ce point : toutes leurs grands-mères leur ont dit, les yeux noyés d’amour, qu’ils avaient un air du grand acteur populaire, mort à 36 ans. Est-ce pour cela que ces anciens enfants sont devenus ce qu’ils sont, des comédiens, jeunes encore et tout juste sortis de la Manufacture, Haute Ecole des arts de la scène de Lausanne ? Voilà déjà un premier fil, aérien, pour répondre aux questions totems que pose le nouveau spectacle de Fanny de Chaillé : le rêve d’un théâtre pour tous, porté par Jean Vilar quand il fonde en 1947 le Festival d’Avignon, a-t-il échoué ? Quels sont les corps, les voix et les lieux qui permettent la transmission d’une histoire commune ? Que peut encore pour nous le théâtre ?

 

 

Avec Avignon, une école, la metteuse en scène est partie de l’archive : photos, films, reportages télévisés, émissions radiophoniques. Elle a ensuite demandé aux étudiants de la dernière promotion de l’école de Lausanne de rejouer ces archives. Avec un décalage, un déplacement, forcément, celui du temps : le temps qui marque sa distance à une époque – les acteurs reprennent le timbre daté des voix d’avant, celle d’Alain Cuny ou de Maria Casarès ; le temps qui fait l’histoire et rend mythique le souvenir d’un spectacle, qu’on l’ait vu ou qu’on soit né bien après sa tenue.

Spectateurs et acteurs

«C’est magnifique de voir des jeunes gens s’emparer de corps et de voix des années 50», racontait Fanny de Chaillé à Libération il y a quelques semaines. C’est magnifique aussi de découvrir, par ces archives réinterprétées, que dans les années 50, il y avait une définition de «l’acteur de plein air» – définition que le festival de Jean Vilar fit exploser en propulsant Jeanne Moreau ou Michel Bouquet dans la cour du palais des Papes. Sidérant de se souvenir qu’en 1968, les policiers étaient venus chercher la troupe américaine du Living Theater pour les expulser manu militari du pays, après leur spectacle Paradise Now, qui fit scandale, et pendant lequel, disait la presse, «dans le public, des femmes étaient terrassées par des crises de nerfs».

 
 

Le spectacle commence quand tout le monde, dans la cour du cloître des Célestins d’Avignon, n’est pas encore arrivé à sa place. Sur scène deux actrices reproduisent les gestes du spectacle culte de Bob Wilson, Einstein on the Beach (1976). Dans l’allée entre la scène et les gradins, les retardataires pressent le pas et rentrent la tête entre les épaules pour montrer qu’ils ne veulent pas gêner. On a compris, nous faisons partie de la pièce au même titre que Maria Casarès ou Isabelle Huppert. Nous, spectateurs, et nos ancêtres qui venaient au festival «pas pour Jean Vilar, on ne savait pas qui c’était, mais pour voir du théâtre au palais des Papes», dit l’un d’eux, par la voix et le corps d’un jeune acteur.

«On désacralise l’histoire pour qu’elle devienne nôtre»

C’est un hommage vif et joyeux, franchement drôle, jamais pompeux, pas bien irrévérencieux non plus – frappant de voir avec quelle affection ironique ces quinze comédiens et comédiennes de 20 ans prennent à bras-le-corps l’héritage. «On désacralise l’histoire pour qu’elle devienne nôtre. On copie des archives pour raconter quelque chose de nous», disait encore Fanny de Chaillé dans Libé. Faut-il hurler à la mort et se couvrir la tête de cendre parce qu’on ne sait pas reproduire à la perfection le ballet de Béjart, Messe pour le temps présent (1967), ou peut-on se satisfaire de ressentir son «énergie» pour le jouer dans l’à-peu-près ? «Quel est le rôle du théâtre dans une société où le droit au logement n’est pas garanti ?» déclamaient déjà les performeurs du Living Theater en 1968. Le festival d’Avignon est-il devenu aujourd’hui «un showroom pour l’intelligentsia» ?

 

Du Prince de Hombourg de Jean Vilar (1954) à Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon, spectacle où, l’an passé, face à des comédiennes noires jouant des clichés racistes, un spectateur a crié «On est chez nous !», Avignon une école pourrait être un annuaire du théâtre un peu surplombant. C’est tout l’inverse. Référencé, il l’est par principe, mais jamais excluant. Ceux qui n’ont pas la réf comprennent l’enjeu posé – et pas utile de savoir qu’on cligne de l’œil vers Vincent Macaigne pour rire des litres de faux sang avec lesquels s’asperge un acteur. Les autres vivront le spectacle comme un roman à clés («C’est qui ça ? Castellucci !» ; «Et Ostermeier tu l’as ?»).

 

Ce que donne à voir Fanny de Chaillé et ses comédiens, c’est une vive histoire de territoire, avec ses initiés et les autres, ceux qui en sont mais aussi ceux qui n’en sont pas, un territoire dont il faudrait sans cesse élargir les marges. En bord de scène, trois Avignonnais, les pieds dans les années 70, campés par trois acteurs. Il y a parmi eux le fossoyeur, perplexe face à l’agitation de ces festivaliers : «Le théâtre il faut l’aimer, il faut le comprendre, et déjà qu’on a du mal à comprendre la vie…»

Avignon, une école de Fanny de Chaillé, avec des étudiants et étudiantes du bachelor théâtre de la Manufacture à Lausanne. Jusqu’à ce vendredi 12 juillet dans le cloître des Célestins, à 21 heures et 23h59.

Sonya Faure / Libération

 

Légende photo : «Avignon, une école», c’est un hommage vif et joyeux, franchement drôle, jamais pompeux, pas bien irrévérencieux non plus. (© Marc Domage)

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July 10, 2024 8:00 AM
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Avec « Œuvrer son cri », un souffle d’air frais occupe le Théâtre des Carmes

Avec « Œuvrer son cri », un souffle d’air frais occupe le Théâtre des Carmes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 9 juillet 2024

 

 

Dans le « off » d’Avignon, un groupe d’acteurs invente l’occupation sauvage d’un théâtre, entre humour et questions existentielles.

 

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/09/avec-uvrer-son-cri-un-souffle-d-air-frais-occupe-le-theatre-des-carmes_6248263_3246.html

 

Occuper un théâtre, d’accord. Mais pour qui, comment et pourquoi ? Quel sens y a-t-il à s’enfermer entre quatre murs, cogiter en circuit fermé sur soi et la société ou phosphorer en petit comité sur les dysfonctionnements du présent ?

En 2016, l’acteur Sacha Ribeiro investit avec des camarades le Théâtre des Célestins, à Lyon. La culture (et pas qu’elle) est alors vent debout contre la loi El Khomri, qui veut assouplir certaines dispositions du code du travail, notamment sur le temps de travail, et renforcer le recours à la négociation collective. Partout en France, des manifestations, partout des squats improvisés. Les citadelles institutionnelles sont assiégées. Rien n’y fait. La loi est votée.

 

Cette expérience marque le jeune homme. Il se souvient d’aventures similaires : occupation en Mai 68 du Théâtre de l’Odéon, à Paris ; en 2013, du Théâtre de la Place, à Liège (Belgique), pour éviter sa destruction ; de 2014 à 2017, du Teatro Valle, à Rome, promis à la privatisation ; en 2017, de la Volksbühne, théâtre de l’Est berlinois, par un collectif désireux de transformer l’endroit en scène autogérée avec accès gratuit du public. Vaincus ou vainqueurs, ces locataires clandestins qui ont pris l’institution en otage ne l’ont pas fait pour rien. Le temps qu’ont duré leurs sièges, une vie s’est esquissée qui redonnait des couleurs à la citoyenneté, la solidarité, l’hospitalité, la démocratie.

Réflexion sur le vivre-ensemble

Occuper un théâtre puis en être expulsé. Déserter la salle, renvoyer le public à son chagrin devant la scène vide. Sur un écran vidéo, des comédiens s’éloignent à pas lents. Emperruqués, costumés, fardés, ils traversent la place du Palais des papes, longent le pont d’Avignon, se perdent dans les champs. C’est fou comme nous bouleversent ces saltimbanques perdus dans la nature.

Avec Œuvrer son cri, récit de l’occupation fictive du Théâtre des Carmes à Avignon, Sacha Ribeiro, metteur en scène, ne voulait pas créer « un spectacle sur les artistes pour les artistes ». Bien au-delà d’un entre-soi, le texte, issu d’une écriture collective, déplie une réflexion enthousiasmante sur le vivre-ensemble, poncif qui retrouve, ce faisant et dans la foulée, ses lettres de noblesse.

 

L’aventure démarre donc à la porte d’un lieu cher aux Avignonnais. C’est aux Carmes qu’en 1963 le metteur en scène André Benedetto (1934-2009) signait l’acte fondateur du Festival « off ». La troupe n’investit pas seulement des murs, elle prend d’assaut un symbole. On la regarde, sur l’écran vidéo, fomenter son projet et puis le mettre à exécution, traverser la ville en catimini, fracturer la porte et s’introduire dans la salle, des lampes torches sur la tête.

 

Ils arrivent. Les voici devant nous, ces résistants contrebandiers. Ils sont sept, bientôt huit avec la livreuse de pizzas. Il y a là une costumière, une décoratrice, un technicien, et les acteurs/metteur en scène/auteur. L’espace est réagencé : tréteaux, machine à coudre, table de régie, portants de vêtements, projecteurs, bocal de poisson rouge et, invisibles au regard parce que relevant du pur fantasme, une bibliothèque ou un potager sur le toit.

Ils ne comptent pas rester là ad vitam aeternam, ils ont l’intention de tenter l’utopie (un thème de plus qui est dépoussiéré). « Adieu, monde terrible, tu ne me feras plus le coup du petit-bourgeois/du patriarcat », chante d’un timbre écorché Alicia Devidal. L’hymne fédérateur s’achève par des « lalala ». Cette bande de jeunes est aussi géniale que foutraque, aussi déterminée que désordonnée.

Convergence des luttes

La sincérité, la fraîcheur et l’intelligence de ce spectacle raflent la mise malgré un rythme effiloché et le dessin parfois imprécis de l’interprétation. Déjouant l’un après l’autre les clichés dans lesquels pourrait les précipiter cette occupation sauvage d’un théâtre, les comédiens se faufilent de questions existentielles en doutes esthétiques, sans jamais se figer dans l’esprit de sérieux. Œuvrer son cri est une comédie lavée à grandes eaux par l’humour et l’auto-ironie, ce qui rend d’autant plus poignants les cris du cœur qui y jaillissent.

 

« Nous ne sommes pas armés pour la lutte », hurle Alice Vannier, debout dans les gradins, parmi le public. Faux. Ils le sont. Ne serait-ce que parce qu’ils ne se prennent pas pour des théoriciens de la révolution, ne sombrent pas dans de fumeux discours, restent concrets et à la place qui est la leur : des artistes, fragiles, imparfaits, contradictoires, qui rendent vivante la matière irréelle qu’est le théâtre.

 

Circulant avec fluidité de la fiction (qu’ils écrivent in situ) au réel minuté de leur vie commune, ils trouvent à des problèmes abstraits des résolutions imagées. Règlent son compte à Brecht (ressuscité mais passé de mode). Militent avec finesse pour la convergence des luttes. Débattent de leur sentiment d’imposture, de l’organisation des repas, de leur statut de hors-la-loi et de privilégiés, du sort des sans-abri, des rapports de classe qui existent entre eux. Ils sont malins et talentueux. Pas dans les clous et, pour cette raison, formidables.

 

« Œuvrer son cri », écriture collective. Mise en scène de Sacha Ribeiro. Avec Lucie Auclair, Logan De Carvalho, Alicia Devidal, Marie Menechi, Lisa Paris, Clément Soumy, Simon Terrenoire et Alice Vannier. Théâtre des Carmes à Avignon. Jusqu’au 21 juillet.

 

Joëlle Gayot / Le Monde

Légende photo : « Œuvrer son cri », mise en scène de Sacha Ribeiro, au Théâtre des Célestins, à Lyon, en 2022. ARNAUD BERTEREAU

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July 9, 2024 3:21 AM
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« Le Mythe de Sisyphe » : Limite décisive 

« Le Mythe de Sisyphe » : Limite décisive  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Haddad dans le blog Culture du SNES-EDU - 8 juillet 2024

 

« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. » On connaît la phrase d’ouverture de ce grand petit livre d’Albert Camus qu’est Le mythe de Sisyphe paru en 1942. On sait aussi que c’est le manifeste camusien de l’absurde, philosophie de contre-pied puisqu’en principe les philosophes s’occupent du « sens de la vie » plutôt que de son non-sens. Mais, Camus a fort bien vu qu’il s’agit des deux faces d’une même pièce : vivre, cela en vaut-il le coup ? On oublie aussi que si pour le penseur-romancier, le suicide est le problème, il n’est pas la solution ! Et Camus a le courage d’affirmer l’absence de sens transcendant de l’existence pour mieux en saisir son sens intime et nécessaire en dépit de la répétition ou de la fatalité. Il faut donc aussi se souvenir de la dernière phrase de l’œuvre : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »

 

La boucle est bouclée ? Non, car entre ces deux moment il y a l’épaisseur d’une pensée qui pour être profonde n’est pas moins poétique, très littéraire, sensible et véritablement incarnée en première personne, celle de Camus. Le livre, entre roman et essai, serait peut-être aussi un texte de théâtre…

 

A voir, entendre, boire et déguster la magistrale interprétation du texte de Camus par Pierre Martot, on s’en convaincrait aisément. Dans un cube noir occupé d’une simple petite table d’écriture et d’un plafonnier de lampes comme un ciel étoilé, le comédien fait vivre et vibrer magnifiquement le texte camusien ! C’est à croire qu’on ne l’avait jamais lu et si c’est vraiment le cas, il sera désormais impossible de le lire sans entendre la voix chaude, précise et comme essentielle du comédien. Dans le jeu subtil, minimal mais grandiose de Pierre Martot les moindres nuances et inflexions de pensée de Camus prennent un relief ou produisent une musique qui nous fait consentir avec évidence. L’absurde camusien n’est finalement que la position première pour faire de l’humain un donateur de sens, un créateur de valeur : pousser l’absurde à son point limite où le sens éclate du dedans de la vie quelle qu’elle soit.

 

Le grand talent, c’est beau sur scène ! Le professionnalisme de Pierre Martot aidé dans la mise en scène par Jean-Claude Fall, est immense certes, mais il ne suffirait pas sans l’intelligence du texte et la sensibilité du jeu. Ce qui est fort est que le comédien dit l’absurde en rendant signifiant le moindre mouvement de corps, le moindre ton de voix. On pense au fameux Paradoxe de Diderot : un « jeu de tête » parfait pour un maximum d’effets sensibles. Mais peut-être qu’un acteur parfait est tout simplement un humain authentique ; un être qui vit, sent et pense en acte, de tout son être : par la respiration, le geste, le regard, le soupir, le phrasé. Si tous les humains accordaient autant d’importance à cela, le genre humain ne s’en porterait que mieux !

 

En attendant, mille mercis à Pierre Martot pour faire vivre un si grand texte en le portant si bien à la hauteur de ses enjeux.

 

Jean-Pierre Haddad

 

Off d’Avignon, du 29 juin au 21 juillet. Théâtre Transversal, 10 rue Amphoux, Avignon. Tous les jours à 13h. Durée 1h05. Relâche les mardis. Spectacle à partir de 15 ans.

Informations : https://theatretransversal.com/?page_id=2608

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July 7, 2024 2:40 PM
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A Avignon, dans « Qui som ? », Baro d’evel remoule les pots cassés d’une humanité en miettes

A Avignon, dans « Qui som ? », Baro d’evel remoule les pots cassés d’une humanité en miettes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 4 juillet 2024

 

 

Le clown, l’acrobatie, les arts plastiques, la danse, le théâtre, la musique se mêlent en toute liberté dans le nouveau spectacle de la compagnie franco-catalane.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : :https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/04/a-avignon-dans-qui-som-baro-d-evel-remoule-les-pots-casses-d-une-humanite-en-miettes_6246940_3246.html

Grand moment de jubilation sauvage et cathartique à Avignon, mercredi 3 juillet, où les festivaliers ont découvert la compagnie franco-catalane Baro d’evel avec sa nouvelle création, Qui som ? (Qui sommes-nous ?), laquelle a fait vibrer tous les espaces du lycée Saint-Joseph d’une énergie vitale irrésistible face aux apocalypses en cours.

 

Qui sommes-nous, dans les temps mauvais que nous vivons ? Entre argile originelle et orgie de déchets plastiques, entre musique baroque et techno robotique, entre homme et animal, de quoi sommes-nous faits, pétris, contaminés, souillés ? La cérémonie, avec Baro d’evel, commence avant même le spectacle lui-même. En arrivant dans le lycée, les spectateurs sont conviés, par des officiants tout vêtus de noir, à rejoindre les gradins installés dans la cour, en traversant une exposition de pots en céramique blanche. De beaux objets qui se dressent, droits, simples et purs.

 

Sur la scène, à cour et à jardin, s’alignent de même deux rangées de poteries. La céramique est le motif filé de tout le spectacle, comme figure d’une humanité qui peut toujours se reformer, se refonder, se repétrir à partir du limon originel. La preuve avec une première scène qui met les spectateurs dans sa poche avec un numéro de clown aérien et décalé, qui donne le ton d’emblée : l’un des pots s’étant malencontreusement cassé, il va s’agir d’en remouler un en direct. Or, l’objet prend rapidement la forme d’un pénis entre les mains du céramiste un peu paniqué, avant de se briser à son tour dans l’hilarité générale.

Le clown, l’acrobatie, les arts plastiques, la danse, le théâtre, la musique se mêlent en toute liberté dans ce spectacle où se lit la grande histoire du burlesque et, donc, de la fragilité humaine. Il va être question ici de glisser, de tomber, de se relever et de tomber encore. De rester vivant et élégant quoi qu’il arrive, même si chaque chute vous laisse un peu plus maculé, taché, crotté. D’accueillir des mues multiples, quand dans la vie c’est no way pour garder la pureté du blanc et du noir, qui irrémédiablement se mélangent.

Beauté plastique

Il va être question, surtout, de transformations à l’infini, qui affectent aussi bien les corps que l’espace, au centre duquel trône un étrange monticule en mode yéti endormi. Bientôt, les performeurs se métamorphosent en étranges créatures à la fois archaïques et futuristes, se recouvrant la tête de ces pots en terre encore malléables, y faisant deux trous pour les yeux et un pour la bouche, convoquant nombre de rituels où le masque sert à l’humanité à se refigurer.

 

Réparer les pots cassés d’une humanité en miettes, au visage déformé et brouillé, c’est ce que va décliner ce spectacle au fil de mille idées plastiques, musicales, chorégraphiques et acrobatiques. Un homme qui vit dans un sac de chantier, des duos de clowns métaphysiques, des jeunes femmes à la beauté canonique qui se transforment à vue en grues ou en dindonnes, des Mickey effrayants et grotesques, aux grandes oreilles orange, évoquant Donald Trump, débitant leurs insanités de manière impavide… Autant de tableaux d’une humanité qui cherche, malgré tout, à refaire communauté, à refaire corps, telle qu’elle est montrée dans les passages chorégraphiques de ce Qui som ?

 

La beauté plastique de l’ensemble, le talent des interprètes acteurs-clowns-acrobates-danseurs-chanteurs, la fanfare de cirque grinçante et joyeuse concourent à la réussite de ce spectacle qui est bien la grande découverte de ce début de Festival d’Avignon, pour un public qui ne connaissait pas Baro d’evel, compagnie d’origine circassienne fondée en 2000 par Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias. Un spectacle qui se termine – croit-on d’abord – par une scène magnifique de tempête et de naufrage, voyant échouer en une houle incoercible un monceau de déchets plastiques au milieu desquels émergent enfin des humains survivants. Apparaît alors une enfant qui, un par un, d’un geste délicat, commence à trier ces rebuts constitués d’une matière, le plastique, non miscible avec l’homme, contrairement à l’argile.

Mais puisque rien n’est fini quand on croit que tout est fini, alors que l’on s’apprête à quitter la salle, la bande de Baro d’evel entraîne le public pour un « after » en mode manif festive avec mégaphones et banderoles, dans la cour du lycée Saint-Joseph. Place à la musique, à la convivialité et à la danse. On peut même s’offrir un des grands ou petits pots créés par le céramiste Sébastien de Groot. Qui som ? « Comme des glaneurs et des glaneuses, on se fait de ce qu’on ramasse au milieu de l’orage. On n’a pas dit notre dernier mot. On ne va pas se mettre à genoux. Allez, debout ! », clame Camille Decourtye au mégaphone. A Avignon, il y a du monde pour y croire.

 

Qui som ?, par Baro d’evel. Festival d’Avignon, cour du lycée Saint-Joseph, jusqu’au 14 juillet. Puis tournée française et européenne jusqu’en juillet 2025, à commencer par Les Nuits de Fourvière (Lyon) les 19 et 20 juillet. festival-avignon.com

 

Diffusion sur Arte samedi 6 juillet à 22h25 et sur arte.tv.

 

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale du Monde )

 

Légende photo : « Qui som ? », par Baro d’evel, au Festival d’Avignon, le 2 juillet 2024. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

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June 29, 2024 12:52 PM
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Au Festival d’Avignon, Angelica Liddell : « Je suis une suicidaire sans suicide »

Au Festival d’Avignon, Angelica Liddell : « Je suis une suicidaire sans suicide » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Joëlle Gayot / dans Le Monde - 29 juin 2024

 

La dramaturge met en scène « Dämon. El funeral de Bergman » dans la Cour d’honneur.

L’artiste espagnole Angelica Liddell convoque l’esprit d’Ingmar Bergman dans la Cour d’honneur du palais des Papes avec un spectacle qui rejoue les funérailles du réalisateur suédois.

 


Lire l'article sur le site du "Monde" https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/29/au-festival-d-avignon-angelica-liddell-je-suis-une-suicidaire-sans-suicide_6245422_3246.html

 

Pourquoi avoir répété une partie de votre spectacle, « Dämon. El funeral de Bergman », à Stockholm, au théâtre Dramaten, que dirigeait Ingmar Bergman ?

Je devais me laisser affecter par ce grand démon qu’était Bergman et me rendre à Stockholm, dans ses murs, pour être à l’écoute de son esprit. J’ai ressenti une émotion extrême en travaillant au Dramaten, en parcourant les corridors, les loges. Comme Andreï Tarkovski, Bergman est une figure tutélaire à l’ombre de laquelle j’ai grandi. Etre chez lui, dans son théâtre, a influé sur mes états d’âme. Nous allons dans la Cour d’honneur pour célébrer ses funérailles. Il en avait lui-même écrit le scénario, qui figure dans son testament. Il avait demandé à un artisan de lui construire le même cercueil que celui de Jean Paul II. Son enterrement était pauvre, élémentaire, sans vanité. Il haïssait le sentimentalisme et ne voulait pas de beaux discours.

Est-ce un hasard si la pièce arrive après deux précédents spectacles consacrés à la mort de vos parents ?

Depuis leur décès, je regarde tout autrement. Je suis dans un temps de funérailles. Et peut-être en train de faire mes adieux, car j’ai en moi la tentation de disparaître du plateau. Mettre en scène l’enterrement de Bergman, c’est ma façon de comprendre ma terreur face à la perte et face à la vie, même si la nécessité de représenter la mort veut dire que l’art est plus important que tout.

 

La scène est-elle l’endroit où vous venez tuer une part de vous-même pour mieux vous réinventer ?

C’est le lieu où je peux me suicider une fois, deux fois, trois fois et puis renaître sans cesse dans un cycle infini. Je suis une suicidaire sans suicide. Je suis lâche et peureuse dans la vie, et cela me contraint à me montrer courageuse et brave au théâtre. Le plateau est le seul endroit où je prends des risques. J’y habite la folie mais, derrière une forme de démence maîtrisée, il y a toujours, chez moi, une réflexion sur l’art. Défendre l’art, c’est passer par un état de destruction et une volonté d’anéantissement. Pour Tarkovski, être confronté à une menace totale d’extinction permet d’entrer en dialogue avec soi-même. Quant à Bergman, il disait que ses démons intérieurs tiraient des chars de combat.

 

La seule façon de survivre, lorsqu’on vit avec ses démons, c’est de se mettre au travail. Nous ne sommes pas faits pour la vie. Nous sommes de pauvres gens qui doivent assumer leur humaine condition. L’instinct de rébellion qui m’anime depuis que je suis enfant se manifestera dans Dämon. Mais au fur et à mesure de la représentation, j’irai vers la compassion, c’est-à-dire vers la reconnaissance et l’acceptation de cet acte manqué que sont les êtres humains. Les gradins de la Cour qui incarnent le monde m’indiquent ce chemin de compassion. Sans doute ai-je en moi quelque chose de l’ordre du repentir, l’envie d’être pardonnée, le désir de mourir en paix. Il m’arrive d’imaginer que je suis en train de jouer et que quelqu’un tire sur moi et me tue. Mais je ne veux pas mourir sur scène. Je préférerais mourir dans mon lit.

 

 

Dämon. El funeral de Bergman. Texte et mise en scène d’Angelica Liddell. Avec David Abad, Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angelica Liddell, Borja López, Sindo Puche, Daniel Richard, Joel Valois. Cour d’honneur du palais des Papes, les 29 juin, 1ᵉʳ, 2, 3, 4, 5 juillet à 22 heures. Durée : 2 heures.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

 

 

Légende photo : Angelica Liddell lors d’une répétition de « Dämon. El funeral de Bergman », le 24 juin dans la Cour d’honneur du Palais des papes. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

 

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June 29, 2024 12:31 PM
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Festival d’Avignon : «Hécube, pas Hécube» de Tiago Rodrigues, Troie dimension 

Festival d’Avignon : «Hécube, pas Hécube» de Tiago Rodrigues, Troie dimension  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 29 juin 2024

 

Dans sa dernière création, écrite pour la Comédie-Française, Tiago Rodrigues s’inspire d’Euripide et raconte la vie chamboulée d’une comédienne en soif de justice. «Libération» a assisté aux répétitions, percutées par la campagne législative.

 

Est-ce une bonne journée pour faire la connaissance de Nadia Roger, comédienne qui joue du Euripide, mère d’Otis, 12 ans, victime de gravissimes maltraitances dans l’institution supposée sinon soigner son autisme sévère, du moins lui apporter protection et aide ? Est-ce une bonne journée pour rencontrer ce personnage de fiction qui n’est pas du tout en quête d’auteur puisque Tiago Rodrigues lui a écrit une pièceHécube, pas Hécube, ni en quête d’interprète dès lors qu’Elsa Lepoivre fait plus que l’incarner, qu’elle empoigne cette mère à bras-le-corps, comme on le découvrira lors des répétitions. Le besoin de justice de Nadia Roger est irrépressible.  A travers son fils, c’est bien pour l’ensemble des plus vulnérables qu’elle se bat, ceux qui sont dans l’impossibilité de dire la négligence et les coups, et que la société maltraite le plus comme  en témoignent les scandales dans beaucoup d’Ehpad, et donc certaines institutions qui accueillent des autistes, la pièce s’emparant d’un drame véritable dont Tiago Rodrigues a été témoin lorsqu’il répétait Dans la mesure de l’impossible à la Comédie de Genève et qui a secoué la société suisse.

«Théâtre service public»

La veille au soir, le président Macron a dissous l’Assemblée. Au matin de cette décision, lorsqu’on rencontre Tiago Rodrigues, et deux des sept interprètes, Elsa Lepoivre et Eric Génovèse, dans le foyer des comédiens du Français, impossible de faire comme si le théâtre était une bulle imperméable au choc collectif. Comment jouer ? Que faire de ce Festival ? Quel rôle pour les artistes ? Tiago Rodrigues, visage cerné, au débit toujours plus rapide qui laisse peu de place au silence, se décrit «plus combatif que jamais» pour poursuivre une pratique du «théâtre service public» et placer la culture au cœur de la citoyenneté – «ce que les candidats de tous bords politiques ont oublié pendant ces élections européennes»  comme Boris Charmatz et lui-même l’écrivait dans une tribune parue dans Libé. Lui parle de «trahison» et aurait aimé que le modèle culturel français, hérité de quatre-vingts ans de décentralisation, serve d’inspiration y compris s’il doit urgemment être réinventé – la question irriguera sans doute cette nouvelle édition du Festival. A ce sujet, l’Association des centres dramatiques nationaux vient de publier un long texte qui explique comment la casse à bas bruit de ce modèle ne fait pas chambre à part, n’est pas dissociable du détricotage de l’ensemble des services publics par ceux qui en sont les garants. Eric Génovèse, un des interprètes de la pièce, songe à voix haute : «Je suis un enfant du service public. Je suis issu d’une famille d’immigrés qui ne mettait pas un orteil dans un théâtre. Sans l’école publique et la croyance en cette nécessité d’une culture pour tous, je ne serais jamais devenu comédien.» Et aussi : «Aujourd’hui au Français, on réussit à toucher un public très varié. Ce public diversifié peut venir nous voir parce que le prix des places reste abordable grâce aux subventions. La question n’est pas de remplir les salles, mais comment et par qui.»

 

 

Public de plus en plus diversifié, répertoire qui ne l’est pas moins. La création Hécube, pas Hécube, que Tiago Rodrigues imagine pour des acteurs qu’il ne connaissait pas mais qu’il observe témoigne de cette évolution rapide de la Comédie-Française, alors que chaque pièce jouée salle Richelieu passe selon les rites maison devant un sourcilleux comité de lecture. Un paradoxe quand l’écriture ne préexiste pas à la création ? Une tendance en tout cas qui affirme le désir et besoin de l’institution de ne pas se couper d’une modernité très ancienne. Car elle renoue avec la manière dont Molière en personne, autrement dit le saint patron de la troupe, ne fixait pas ses pièces sur le papier avant qu’elles soient jouées, mais, comme nous l’avait expliqué Eric Ruf, écrivait une sorte de canevas nourri par d’incessantes improvisations en public. Elsa Lepoivre et Eric Génovèse ont chacun fait partie du comité de lecture. Ils attestent qu’il y a environ un projet par an qui suscite «un débat démocratique dans le comité car certains de ses membres ont besoin d’un support solide» pour trancher sa venue salle Richelieu.

 

Porosité et submersion de la vie extérieure

Ce matin-là, on est donc submergés. Les répétitions ont lieu mais avec l’arrière-fond de l’ouragan politique qui balaye le pays et les esprits. Tiago Rodrigues prévient : «N’hésitez pas à vous arrêter pour les raisons les plus diverses. N’hésitez pas s’il y a des scènes qui ne sont pas trouvées…» Au cours du filage, le comédien Gaël Kamilindi fait remarquer : «Donc la première a lieu le 30, à 22 heures, on aura déjà le résultat du premier tour…» Evidemment, chaque phrase de la pièce résonne. Nadia Roger, sous les traits d’Elsa Lepoivre, qui lance : «J’ai été trahie par l’Etat.» Ou encore, cette affirmation : «Au théâtre, il existe toujours des peines plus grandes que les nôtres.» La porosité et la submersion de la vie extérieure sur ce qui est joué sont précisément le sujet de Hécube, pas Hécube. Pièce qui ne parle que des allers-retours de ce personnage de comédienne, Nadia Roger, prise entre la tragédie de son enfant et celle du rôle qu’elle doit jouer, Hécube, reine, veuve de Priam, réduite à l’esclavage après la guerre de Troie, qui exige justice après l’assassinat de son fils par le roi de Thrace. Elsa Lepoivre : «Il est très difficile de ne pas relier la lutte de Nadia Roger à l’urgence de réveiller les consciences et d’avancer soudée.» Tiago Rodrigues explique : «Soudain, une comédienne regarde sa vie à travers les lentilles d’Euripide qui l’éclaire différemment et décuple sa force. Ce qui m’intéresse est de regarder le monde à travers Hécube. Le théâtre, quand on lui donne cette possibilité, change nos vies pour le mieux. Parce qu’Euripide lu et entendu au bon moment peut rendre justice.»

Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues avec des interprètes de la Comédie-Française, du 30 juin au 16 juillet à la Carrière de Boulbon, Avignon.

Anne Diatkine / Libération 

 

 

Légende photo : Elsa Lepoivre dans  «Hécube, pas Hécube» de Tiago Rodrigues. (Christophe Raynaud de Lage)

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June 9, 2024 4:31 PM
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Festival d’Avignon: la difficile pêche aux pièces de théâtre

Festival d’Avignon: la difficile pêche aux pièces de théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Nathalie Simon, publié dans Le Figaro le 9 juin 2024

 

DÉCRYPTAGE - Quatre jours après le lancement du festival In, le 29 juin, le Off entamera son marathon. Un endroit idéal pour repérer des pépites. Mais, pour découvrir de nouveaux talents, il faut des moyens financiers.

 

 

C’est le rendez-vous mondial du spectacle vivant, et les professionnels du secteur ne le manqueraient sous aucun prétexte. À Avignon, le festival In présente 35 productions, du 29 juin au 21 juillet. Mais, à partir du 3 juillet, le Off lancera son marathon, avec pas moins de 1666 spectacles. Une occasion unique de découvrir de nouveaux talents, et aussi de rencontrer des équipes artistiques, d’échanger sur la création culturelle aujourd’hui et de débattre de l’avenir, surtout en ces temps de restrictions budgétaires. Car il y a de tout dans le Off, où de nombreux responsables de salles viennent faire leur marché. Encore faut-il avoir le nez creux.

 

La regrettée directrice du Théâtre Montparnasse, Myriam Feune de Colombi, racontait qu’elle allait chaque été «à la pêche» aux bons spectacles au Festival d’Avignon pour les programmer ensuite à Paris. «On avait repéré Les Chatouilles, d’Andréa Bescond (Molière 2016, NDLR), et Le Petit Coiffeur, de Jean-Philippe Daguerre, se souvient son complice Bertrand Thamin. En parallèle, nous avons produit Glenn, naissance d’un prodige, d’Ivan Calbérac, qui reprendra en septembre dans la grande salle du Théâtre Montparnasse. Des producteurs commencent à me signaler telle ou telle pièce qui pourrait m’intéresser. En 2023, j’ai eu un coup de cœur pour Alexis Moncorgé dans Eldorado 1528, au Théâtre du Roi René, que j’ai programmé au Petit Montparnasse.»

 

 

Jérôme Montchal, directeur d’Équinoxe-Scène nationale, à Châteauroux, déteste, lui, l’expression «faire ses courses». D’ailleurs, il ne se rend pas dans la Cité des papes avec une idée de «rentabilité». Il explique: «Je suis en formation continue. J’ai envie de créer des chocs esthétiques et de faire réfléchir. Il est important de soutenir des voix différentes, de révoltes, contraires à la doxa, au flot d’informations qu’on reçoit. Avignon est un endroit où on peut entendre des voix différentes.»

 

 

Nathalie Huerta, directrice d’une scène conventionnée, le Théâtre Joliette, à Marseille, qui a été pendant vingt ans celle du Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, a une approche semblable. «J’y vais moins dans une logique de marché. Nous effectuons plus un travail de communication que purement artistique. Il y a beaucoup de rendez-vous institutionnels, explique celle qui fait aussi partie du réseau Traverses (25 lieux de la région Paca). J’ai un compagnonnage collectif. Cette année, je verrai le spectacle de Tiago Rodrigues, Hécube, pas Hécube, à la Carrière de Boulbon pour me mettre à jour. Après, si j’ai un choc avec un spectacle, j’essaie d’étudier les possibilités que j’ai de le programmer.»

À la découverte les nouveaux talents

Avignon est un label de visibilité, de qualité, de prestige. Certains favorisent le repérage, cherchant de nouveaux metteurs en scène et de nouveaux auteurs. Une démarche qui demande beaucoup d’investissement en temps. Pour découvrir jusqu’à 35 spectacles par semaine, il faut assister à 4 à 6 représentations par jour. C’est le cas de Pauline Simon, codirectrice du groupe des 20 Théâtres Île-de-France et à la tête d’Houdremont, centre culturel à la Courneuve.

 

 

«Cela permet d’avoir un point de vue sur la création actuelle. La ville est un vivier de repérages très important. Quand il y a des perles, comme L’Exercice du super-héros, de la compagnie Nébuleuse, sur l’adolescence, on se passe le mot entre collègues.» Jérôme Montchal fonctionne de la même façon. En 2021, il avait repéré Any Attempt Will End in Crushed Bodies and Shattered Bones, du chorégraphe flamand Jan Martens. «Je programme son nouveau spectacle à la rentrée à Châteauroux.»

On rêve tous de découvrir le nouveau talent ! Je n’ai pas de limites, il faut savoir casser sa tirelire

Jérôme Montchal
 

Mais le directeur d’Équinoxe doit toutefois prendre en compte une contrainte: le plateau de sa salle de 1100 places, l’un des plus grands de France. «Il mesure 36 mètres de mur à mur, calcule-t-il. Or 95 % des pièces que je vois à Avignon ne sont pas adaptées à cet espace. Je fais surtout mon marché dans le In. C’est là où il y a aujourd’hui des choses pour les grands plateaux.» Ce qui ne l’a pas empêché, en 2023, de partager ses coups de cœur dans le Off pour l’humoriste Waly Dia: «J’ai aimé son écriture et son jeu. J’avais aussi apprécié Benjamin Voisin, qui avait créé l’événement cette année-là avec Guerre, de Céline, mis en scène par Benoît Lavigne.» Il aurait aimé le programmer à Châteauroux, mais l’acteur, César du meilleur espoir masculin pour Illusions perdues, a été happé par le cinéma.

 

 

Jérôme Montchal ne s’en cache pas: «On rêve tous de découvrir le nouveau talent! Je n’ai pas de limites, il faut savoir casser sa tirelire. Souvent, je ne demande pas les prix des spectacles avant de les voir. J’achète des spectacles quand je ne les coproduis pas. C’est le cas cette année, où j’ai choisi Qui Som?, mélange de cirque et de théâtre de la compagnie catalane Baro d’Evel, et La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib, qui porte un regard ironique et tendre sur ses acteurs, qui ne sont pas professionnels.»

«La compagnie a gagné deux Molières»

Laurent Sroussi, lui, a instauré des passerelles entre les deux salles qu’il dirige: le Théâtre Belleville, à Paris, et le 11·Avignon. Ainsi, le seul-en-scène La France, Empire, de Nicolas Lambert, qui est actuellement donné à Paris (jusqu’au 27 juin), sera montré en juillet au 11·Avignon. «Mais c’est rare de trouver des spectacles qui correspondent à ma ligne artistique. Je me retrouve souvent en concurrence avec de gros théâtres comme celui du Rond-Point, remarque-t-il. J’aime aider au développement de jeunes compagnies. Comme 4211 km, d’Aïla Navidi, que j’ai accueilli au Théâtre Belleville, puis au 11·Avignon l’an dernier. C’est comme ça que la directrice artistique du Théâtre Marigny, Stéphanie Bataille, l’a vu et a pu le montrer. Grâce à cette visibilité, la compagnie a gagné deux Molières, dont celui du meilleur spectacle de théâtre privé.»

«Parfois, on trouve des pépites dans le Off», confirme Nathalie Huerta, séduite lors de la dernière édition, par Liberté, de Yann Verburgh, mis en scène par Frédéric R. Fisbach. Elle l’aurait bien programmé à Marseille, mais la pièce lui aurait posé un problème d’équilibre dans sa ligne éditoriale. Elle le garde cependant dans un petit coin de sa tête. Pauline Simon confirme qu’il y a «une nécessité de penser la programmation par rapport à des choix de territoire». Les acheteurs potentiels doivent prendre en compte le paramètre artistique, le lieu de programmation et le budget, souvent serré.

 

 

En 2018, Nathalie Huerta était tombée sous le charme de La  Reprise, de Milo Rau. Mais «le spectacle coûtait 25.000 euros pour deux représentations, note-t-elle. C’était correct, mais il fallait amener une voiture sur le plateau, c’était compliqué.» La directrice affirme avoir moins de capacités de productions qu’avant. «Il y a quelques années, on sortait de la salle, on voyait la chargée de diffusion et on disait: “On prend”,sans attendre la fiche technique et financière. On savait que ça allait marcher. Aujourd’hui, je demande la fiche et j’attends d’avancer sur ma saison pour prendre une décision finale. Nous sommes parfois obligés de renoncer à des choses. Nous vivons un peu dans la frustration.» «J’ai rarement les moyens financiers d’accueillir des spectacles du In», confirme Pauline Simon.

Raréfaction des tournées

Certains spectacles font le buzz et tout le monde souhaite les programmer, mais «c’est de plus en plus rare», commente Nathalie Huerta. Avignon n’est plus une garantie de diffusion. Les directeurs de salle doivent réfléchir à la façon d’accompagner les productions au mieux et, surtout, mutualiser les tournées. «Il y a hélas beaucoup  de formes que je ne peux pas programmer, elles sont trop ambitieuses, techniquement et financièrement, poursuit la directrice de la Joliette. Il y a des coûts de transport et d’accueil. Pour pouvoir tourner un spectacle avec 20 mètres cubes de décor, cela nécessite 5000 euros pour un trajet Paris-Marseille. Une représentation peut coûter 2500 euros ou plus, on doit arbitrer.»

D’autant que le Covid a rebattu les cartes. Laurent Sroussi, qui se veut «pourvoyeur d’espaces de visibilité», constate une «raréfaction» des tournées depuis la pandémie.   «Malheureusement, ça ne va pas aller en s’améliorant, avertit-il. Il y a un problème structurel au niveau des finances publiques dans les collectivités locales. J’ai l’impression qu’ils coupent d’abord dans le budget alloué au spectacle vivant, donc le théâtre et les compagnies émergentes. Des compagnies qui vendaient 40 spectacles en vendent maintenant 20. Celles qui en vendaient 20 en vendent 10, celles qui en vendaient 10 en vendent zéro. Quand je porte ma casquette de producteur, j’essaie de rentrer dans mes frais avec 20 dates. Il y a une concentration de l’attention sur certains spectacles. Quand on a une centaine de dates avec 4211 km, il ne reste plus que des miettes pour les autres.»

 

Quid des artistes dans ce mercato théâtral? Ce sont eux qui subissent les conséquences de ce contexte économique: «La logique économique est compliquée, et les conditions de diffusion pour les compagnies sont rudes, résume Pauline Simon. Nous sommes plusieurs à accueillir le même spectacle, car c’est plus cohérent en terme économique et écologique. Mais, le résultat, c’est que certaines compagnies ont de plus en plus de mal à tourner.» Contrairement à ce que prônait l’ex-ministre de la Culture Rima Abdul Malak, «mieux produire pour mieux diffuser», un spécialiste du spectacle préférerait qu’on «produise moins pour mieux diffuser».

 

Nathalie Simon / LE FIGARO 

 

Légende photo : Guerre, avec Benjamin Voisin, adapté du roman de Céline et mis en scène par Benoît Lavigne. Clément Puig

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July 27, 2023 12:07 PM
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L’artiste Rébecca Chaillon ciblée par des agressions racistes selon le Festival d’Avignon

L’artiste Rébecca Chaillon ciblée par des agressions racistes selon le Festival d’Avignon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Ève Beauvallet dans Libération, le 27 juillet 2023

 

Ironisant sur les stéréotypes racistes accolés aux femmes noires dans la société contemporaine, accueilli en triomphe dans le festival in, le spectacle «Carte noire nommée désir» a suscité les réactions agressives, verbales et physiques, de certains spectateurs. Pendant ce temps, la fachosphère fustige une oeuvre qu’elle n’a pas vue.

 

Ces derniers jours, au Festival in d’Avignon, des spectateurs ont crié leur mécontentement pendant une pièce accueillie comme un chef-d’œuvre par une partie de la presse et du public. L’un d’eux a même frappé une comédienne sur la main. Une routine déplorable mais une routine, penserait-on a priori, celle du monde tumultueux du spectacle vivant qui en a vu bien d’autres en matière d’«interaction» violente et anti-démocratique entre scène et salle : un homme montant sur le plateau pour tordre le doigt de la chorégraphe Maguy Marin, un autre criant «Mange ton caca !» au metteur en scène Johan Simons… Sauf que la pièce en question, ici, s’intitule Carte noire nommée désir, qu’elle est interprétée par huit artistes afro-descendantes devant un public majoritairement blanc, et qu’elle revisite pendant 2h40 les clichés les plus lourds liés aux représentations de la femme noire dans la société française contemporaine, notamment son hypersexualisation.

Dès lors, plus de «routine» du spectacle vivant derrière ces violences mais plutôt une routine sociétale, celle des «agressions racistes», ont déduit plusieurs spectateurs, manifestant depuis leur émotion sur les réseaux sociaux. L’équipe du Festival d’Avignon caractérisait de la même façon les événements lundi, par communiqué : «Les interprètes font face lors des représentations mais aussi dans les rues à des agressions verbales et physiques à caractère raciste.» Le directeur de l’événement Tiago Rodrigues a fermement condamné ces comportements en conférence de presse : «Au Festival d’Avignon, nous ne trouvons pas seulement cela inacceptable mais nous combattons [ces comportements].» Ni l’équipe du festival ni l’équipe artistique de la pièce n’ont souhaité décrire et commenter les faits auprès de Libération.

Contre-offensive en salle

Les tensions ont commencé dès la première représentation à Avignon, jeudi 20 juillet. Lorsque les spectateurs de Carte noire nommée désir entrent en salle, ils découvrent un gradin pour les blancs, un gradin pour les noires. A nous, une hôtesse d’accueil indique le gradin habituel, à ces afro-descendantes et métisses visibles elle indique à voix basse qu’elles peuvent, si elles le souhaitent, s’installer sur ces banquettes en fond de scène, face aux autres spectateurs, devenant ainsi le décor vivant d’un spectacle qui ambitionne justement de parler de «ça» : la ségrégation quotidienne plus ou moins larvée dans une société qui croit en être totalement débarrassée. Certaines spectatrices noires jouent le jeu, d’autres le refusent. On en verra une quitter la salle au milieu de la pièce.

 

Faut-il vraiment le préciser ? Le geste relève évidemment, à l’image de l’ensemble du spectacle, de la mise en scène purement sarcastique. Libre à chacun de la trouver plus ou moins corrosive ou plus ou moins inspirée, mais quiconque aurait un problème idéologique majeur avec cet «humour noir» et le discours qu’il sert ici est invité, via une annonce diffusée pendant la durée de l’installation du public, à en discuter paisiblement avec l’équipe autour d’un verre à l’issue de la représentation. Un homme criera pourtant au «déni de démocratie» pendant la représentation du 21 juillet, rapporte le site Sceneweb. Le 20, date où nous étions, et alors que Rebecca Chaillon frotte interminablement le plateau pour le rendre plus blanc que blanc, un autre spectateur s’écrie : «Il y a une éthique au théâtre ! A Avignon, on dit ce qu’on pense !» La contre-offensive, massive, fuse immédiatement en salle, en chœur : «Ta gueule.»

Stéréotype de la «nounou noire»

Plus tard, les interprètes parodient un jeu télévisé participatif type Questions pour un champion avec ici l’équipe «ménage», là l’équipe «cantine». Soudain, une interprète s’élance dans les gradins pour dérober les sacs et objets des «blancs», évidemment sans leur consentement, puisqu’il s’agit d’un grand jeu de colonisation inversée, a-t-elle expliqué, les «pillés» en verront bientôt les bénéfices ! Un homme rechigne à laisser ses lunettes. «Il y a de la résistance, je vois !» crie-t-elle au public, toujours dans son personnage. La même comédienne recevra le lendemain une claque sur la main après qu’un spectateur, «âgé d’une soixantaine d’années», a refusé à plusieurs reprises de laisser son sac, rapporte encore le site Sceneweb : «L’une des comédiennes s’exclame alors : «Voilà on peut frapper une actrice pendant un spectacle et partir tranquillement, c’est ce qu’on appelle le privilège blanc».» L’équipe artistique a finalement choisi de couper cette scène interactive pour la remplacer par la lecture d’un texte. Les dates restantes ont été encadrées par un vigile. Toutes sont accueillies par une standing ovation d’une majeure partie du public.

 

 

Un attaché de presse présent dans la salle lors de cette frappe s’est désolé sur son compte Facebook de n’être pas intervenu pour empêcher le mauvais joueur de quitter la salle et s’en est excusé auprès de la compagnie. Une artiste belge lui répond qu’ « à Bruxelles, ce spectateur se serait fait pisser dans la bouche. » Un autre témoin des faits déplore «la réaction très agressive (de ce) spectateur, agacé par la séquence de simulation de sac volé ou par trop de vérités ?. Réaction venue signifier exactement ce qui était démontré sur scène !» Quoi donc? Un racisme flagrant? Sur Sceneweb, un commentateur peine à comprendre le lien logique: « N’est ce pas un spectateur simplement agacé que l’on s’empare de son sac et qui a réagi un peu trop fermement ? Quel rapport avec la » race » ( sic)? » Pour l’heure, Rébecca Chaillon a préféré parler, sur sa page Facebook, de «violentes réactions», manifestant aussi son émotion d’avoir découvert une grande pancarte de soutien devant le théâtre : «Tous les messages, partages sur les réseaux sociaux, le bouche à oreille, les débats menés avec l’entourage, les groupes, le soutien du festival… Comment dire ? Ça fout la chiale de sentir que certain·e·s sont là, nous entendent, nous accompagnent. Merci !» Les marques de solidarité du milieu culturel pleuvent depuis, notamment de la part de l’équipe du théâtre de l’Odéon à Paris qui doit accueillir la pièce à l’automne.

 

 

Mais pendant ce temps, un autre public aux valeurs bien plus lisibles que celui d’Avignon s’est réveillé : la fachosphère bien sûr, qui n’a pas cru bon d’assister à ce spectacle «wokiste» et «financé par nos impôts» pour interpréter, avec une littéralité confondante, les images et extraits qui circulent sur le Web. Eric Zemmour s’est évidemment fendu d’un tweet, jeudi 27 juillet, pour se scandaliser de ce «racisme anti-blanc y compris au sein du public qu’on sépare entre femmes noires d’un côté mises en majesté, et le reste du public, blanc, auquel on fait vivre un petit apartheid». Comme si cette scène en forme de pied-de-nez relevait d’un rêve de société. Pire, l’homme politique y tient la preuve que les afro-descendants veulent «génocider les blancs, à commencer par les bébés». La preuve ? La photo du spectacle sur laquelle une comédienne noire embroche des bébés en plastique blanc. Dans Carte noire nommée désir, une comédienne incarne, le temps d’un tableau, le stéréotype de la «nounou noire» employée par les riches blancs et embroche des poupons en plastique (des blancs et des noirs). Faut-il encore le préciser ? Rien n’indique que cette scène relève d’un projet de société. C’est une mise en scène bouffonne, évidemment, des cauchemars racistes de certains blancs, qu’on pensait dater d’il y a cent ans. Tout cela, Eric Zemmour le sait bien. Mais dans la guerre culturelle d’aujourd’hui, tout est affaire de récupération.

 

Eve Beauvallet / Libération

 

 

Mis à jour le 27 juillet 2023 à 18h56 après le tweet d’Eric Zemmour

 

Légende photo : Dans une scène bouffonne, une comédienne incarne le stéréotype de la «nounou noire» et embroche des poupons blancs en plastique. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)

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July 26, 2023 4:19 PM
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Avignon 2023 : Tiago Rodrigues fait la Cour au Festival

Avignon 2023 : Tiago Rodrigues fait la Cour au Festival | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Callista Croizer dans Les Echos - 26 juillet 2023

 

Pour ce dernier rendez-vous du Festival d'Avignon, Tiago Rodrigues emballe le public de la Cour d'honneur du Palais des papes avec « By Heart ». Entre mémoire et histoire, cette pièce réunit cœurs et voix autour d'un sonnet de Shakespeare avec humour et générosité.

 

 

Les trompettes ont retenti une dernière fois mardi soir pour accueillir Tiago Rodrigues dans la Cour d'honneur. En clôture de cette 77e édition, c'est le directeur du festival lui-même qui est monté sur les planches avec « By Heart », une pièce participative créée il y a dix ans au Maria Matos Teatro Municipal de Lisbonne.

Le principe en est simple et bien connu du public : le metteur en scène invite dix spectateurs à le rejoindre sur scène pour apprendre par coeur, en moins de deux heures, le sonnet numéro 30 de Shakespeare. Si le premier quatrain est scandé à l'unisson sur un ton monocorde, les dix vers restants sont distribués entre les heureux élus. Pour ces acteurs d'un soir, l'exercice est plus ou moins laborieux : certains trébuchent, d'autres déclament avec solennité les quelques mots de poésie qui leur ont été confiés.




Entre ces temps d'apprentissage répétitifs, Tiago Rodrigues pioche des livres dans les cageots entassés pêle-mêle à ses pieds pour raconter en quelques anecdotes la genèse de sa pièce. Outre les figures tutélaires de Ray Bradbury ou Boris Pasternak - qu'il cite abondamment -, l'artiste portugais remonte jusqu'à la demande que lui avait fait sa grand-mère Cândida, alors sur le point de perdre la vue. Lectrice insatiable, elle avait chargé son petit-fils de choisir un livre qu'elle apprendrait par coeur pour le revivre en sa mémoire. Après mûre réflexion et sur les conseils de l'écrivain George Steiner, le metteur en scène choisit les Sonnets de Shakespeare, chefs-d'oeuvre de la poésie britannique, comme ultime lecture d'une vie.

Poétique de la mémoire

À la fois chef de choeur et showman en jeans-baskets, Tiago Rodrigues conquiert son public par le rire dès le début du spectacle. Armé de son regard taquin et d'un grand sens de l'autodérision, le directeur du festival joue habilement avec son texte, qu'il ponctue de boutades sur son accent ou de petites devinettes, souvenirs de son enfance. Friand d'improvisation, il ne rate pas une occasion de plaisanter avec un spectateur s'éclipsant un instant des gradins ou sur les pages de quelques livres fouettées par le mistral.

S'il ironise sur le décalage entre le caractère intimiste de son spectacle et l'immensité de la Cour d'honneur où il le présente, Tiago Rodrigues remplit sans peine l'espace scénique avec son personnage sympathique et d'une grande générosité, parfois un brin expansif. Finalement, lorsque ses dix amateurs récitent le poème de Shakespeare d'un seul souffle, By Heart rassemble une nouvelle fois les cœurs dans une pièce qui résonne tout en légèreté entre les murs de la ville-théâtre.

BY HEART

Texte, mise en scène et interprétation Tiago Rodrigues

Avignon, Cour d'honneur du Palais des papes. Le 25 juillet, puis au Théâtre Garonne Scène européenne - Toulouse (23 & 24  septembre).

festival-avignon.com

 

Callysta Croizer / Les Echos 

 

Légende photo : Tiago Rodrigues, chef de chœur et showman en jeans baskets.© Christophe Raynaud De Lage

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July 25, 2023 4:27 AM
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À peine le rideau tiré, Avignon et Aix songent à leur édition 2024

À peine le rideau tiré, Avignon et Aix songent à leur édition 2024 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Ariane Bavelier dans Le Figaro 25 juillet 2023

 

Avec plus de 90% de fréquentation, les deux grands festivals de juillet fourbissent leurs projets pour l’été prochain.

 

La Comédie-Française était à Aix cet été avec L’Opéra de Quat sous elle sera l’an prochain au festival d’Avignon. Après Les Damnés dans la cour d’honneur en 2016, elle présentera   Hécube d’Euripide dans une mise en scène de Tiago Rodrigues. Une certitude : le spectacle ne sera pas donné dans la cour d’honneur. Tiago Rodriguès y a déjà monté une pièce, La Cerisaie, et la Comédie-Française s’y est déjà produite. Dans l’esprit de Rodrigues, directeur du festival d’Avignon, la cour d’honneur est un lieu si rare, si difficile, qu’on ne s’y frotte que par exception. Éric Ruf avait demandé au metteur en scène portugais quelle pièce il aimerait monter pour le Français. Il avait choisi Hécube, puis avait été nommé à la tête du festival. C’est donc là que sera créée la pièce, avant d’être reprise salle Richelieu. Hécube, épouse de Priam, voit son mari et ses fils tués pendant la guerre de Troie. Elle est réduite en esclavage avec ses filles Cassandre et Polyxène. Sa colère de femme et de mère irradie la tragédie. Elsa Lepoivre tiendra le rôle-titre.

 

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Rodrigues a dévoilé d’autres éléments sur l’édition 2024 du festival d’Avignon. Caroline Guiela N’Guyen, nouvelle directrice du TNS, y donnera Lacrima, sa première création pour Strasbourg (au TNS du 14 au 18 mai). L’autrice et metteuse en scène raconte sous forme de récit choral, trente hommes et femmes d’un atelier de couture parisien et de dentelle à Alençon confrontés à la commande extraordinaire et secrète d’une maison de haute couture. Marta Gornicka, metteuse en scène, autrice et chanteuse venue de Pologne, montera Mothers, a song for Wartime dont lecture a été donnée ce 23 juillet dans la cour du musée Calvet. Dans les arènes, centres culturels ou bien cour de châteaux, écoles de la région, le metteur en scène argentin Mariano Pensotti jouera un spectacle itinérant le temps du festival.

 

 

Après l’anglais cette année, l’espagnol sera la langue invitée. D’où les compagnies d’un théâtre hispanique et sud-américain. Comme, pour honorer la langue anglaise, Gwenaël Morin a présenté cet été sa version jouissive et brute du Songe d’une nuit d’été, avec cinq comédiens hors norme qui se métamorphosent d’un rôle à l’autre, dans le jardin de la rue Mons. Il donnera dans le même lieu, un spectacle du répertoire espagnol. Autre information: la carrière de Boulbon, réouverte cette année avec le pittoresque Jardin des Délices de Philippe Quesne sera à nouveau investie. Rodrigues la considère à juste titre comme un lieu magique du festival. Son usage reste cependant très onéreux : en plus du coût de la viabilisation, il nécessite l’embauche aux frais du festival d’un service de lutte contre les incendies -camion-citerne inclus- dans la Montagnette. Paradoxe, la colline couverte de pins se retrouve bien mieux protégée pendant que hors le festival.

L’été des JO de Paris

Jeux Olympiques obligent, le festival d Avignon sera avancé: il aura lieu du 29 juin au 21 juillet, alors que celui d’Aix, qui ne nécessite pas le même engagement des forces de l’ordre, conserve ses dates. À Avignon, la cour du lycée Saint-Joseph et autres établissements scolaires où le festival monte ses scènes resteront ouverts. Les élèves qui y passent le bac pourront regarder par la fenêtre s’ils sont en manque d’inspiration. Car le 77e festival d’Avignon ne peut pas rétrécir en durée faute d’entamer ses recettes de billetterie.

 

 

En cette fin juillet, les deux institutions festivalières pavanent avec des chiffres de fréquentation record. Le festival d’Aix, avec six nouvelles productions scéniques dont deux créations mondiales, trois opéras en version concert, quinze concerts, sept orchestres invités, quatre chœurs invités, 57 levers de rideaux dans 10 lieux a accueilli 75.000 spectateurs, dont 3650 places vendues à des moins de trente ans (le double de 2022). «Un niveau de fréquentation record de plus de 90%», indique le festival. Et pourtant, Aix affichait une programmation assez atypique pour un festival d’art lyrique. Dans la cour de l’Archevêché, L’Opéra de Quat’sous emmené de manière gaillarde et canaille par les comédiens du Français et les huit musiciens de l’ensemble Le Balcon, dans la traduction truculente d’Alexandre Pateau, aurait pu tout aussi bien être donné en Avignon. Au Stadium de Vitrolles, les ballets de Stravinsky par l’Orchestre de Paris, dirigés de main de maître par Klaus Mäkelä, tenaient du spectacle scénique, pas lyrique. D’opéras stricto sensu, l’édition comptait un Wozzeck qui fera date, un Cosi contesté ainsi que Picture a day like this création de George Benjamin, jolie et courte comme un conte. C’est dire si l’originalité du festival d’Aix, programmé par Pierre Audi, sait captiver un public local et international.

 

 

À Avignon, l’édition s’achève avec une fréquentation de 94%, soit 114.600 billets vendus, 45 projets spectacles dont 15 en relation avec la langue anglaise invitée et 258 représentations. Les cigales ont de beaux jours devant elles.

 
 
Ariane Bavelier / Le Figaro
 
 
Légende photo : Après le pittoresque Jardin des Délices de Philippe Quesne cette année, la carrière de Boulbon retrouvera le public l’année prochaine. Christophe Raynaud de Lage
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April 2, 4:44 PM
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Festival d’Avignon 2025 : découvrez le programme de la 79e édition, avec de la danse, la langue arabe à l’honneur et un hommage à Gisèle Pelicot 

Festival d’Avignon 2025 : découvrez le programme de la 79e édition, avec de la danse, la langue arabe à l’honneur et un hommage à Gisèle Pelicot  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération - 2 avril 2025

 

 

Le directeur Tiago Rodrigues a dévoilé, ce mercredi 2 avril, le contenu de la prochaine édition de l’événement, qui se tient cette année du 5 au 26 juillet. Avec l’arabe en langue invitée et le retour de grands noms comme Marthaler, Monteiro Freitas, Ostermeier et Hervé Vilard.

 

 
 

Evidemment que c’est politique. Comment la décision de faire de l’arabe la langue invitée du 79e festival d’Avignon, au même titre que l’anglais et l’espagnol les années précédentes, pourrait-elle échapper au politique dans le climat actuel d’instrumentalisation de tous et de tout – de la guerre à Gaza à l’accueil des personnes migrantes en passant par les relations franco-algériennes ? Pourtant, à parcourir le programme de la nouvelle édition du festival d’Avignon, qui vient d’être révélée par son directeur Tiago Rodrigues lors d’une conférence de presse ce mercredi, ça saute aux yeux : mettre sur scène, en mot comme en danse, la langue commune au Liban, au Maroc et à la Palestine, à l’Algérie et à la France (elle y est la deuxième la plus parlée), c’est avant tout choisir des œuvres. C’est «découvrir cette langue et la traverser, être frappé par sa poésie», résume Tiago Rodrigues qui signe la programmation de son troisième festival, du 5 au 26 juillet cette année. Dans le programme, le mot d’introduction qu’il a rédigé est traduit en français, en anglais et en arabe. Il commence par une phrase du poète palestinien Mahmoud Darwich : «Je suis toi dans les mots.»

 

L’arabe, langue commune mais aussi multiple, tant ses dialectes et ses registres sont variés. Excellente nouvelle, l’un des artistes qui montre le mieux la diversité des langages et des formes justement, Radouan Mriziga, montrera sa nouvelle création, Magec /le Désert, au cloître des Célestins. Décidément très repéré (le dernier festival d’Automne à Paris l’avait mis à l’honneur en présentant quatre de ses spectacles, dont ses merveilleuses Quatre saisons, créées avec Anne Teresa de Keersmaeker), le chorégraphe belgo-marocain de 40 ans, confiait récemment à Libé qu’il parlait cinq langues. Dans cet ordre, précisait-il : la darija marocaine, «langue du quotidien», l’arabe, langue officielle «étudiée à l’école», le tamazight, pratiqué «dans les montagnes de l’Atlas, l’été», l’anglais et le français.

Créations excitantes, écritures libres

Parmi les autres artistes invités, le belgo-tunisien Mohamed Toukabri, lui aussi issu de l’école de danse P.A.R.T.S. ; le metteur en scène franco-Syrien Wael Kadour ; Selma et Sofiane Ouissi, à l’origine de l’excellente biennale d’arts tunisienne Dream City (que la commune d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis a déjà mis en lumière en début de saison), le magnétique chorégraphe libanais Ali Chahrour ou la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen qui, avec They Always Come Back, occupera le parvis du palais des Papes pour faire danser des hommes amateurs, habitants d’Avignon et de ses environs, sur des chorégraphies traditionnellement réservées aux femmes. Le metteur en scène Bashar Murkus et la dramaturge Khulood Basel, tous deux palestiniens qui ont cofondé le Théatre Khashabi à Haïfa, lieu de production indépendant destiné aux minorités arabes en territoire israélien, présenteront la pièce YES DADDY. Deux de leurs pièces, The Museum et Milk, avaient déjà été présentées à Avignon. Dans Milk, le plateau ruisselait de lait, celui des femmes pleurant leurs enfants. Une soirée hommage à Oum Kalthoum, disparue il y a cinquante ans, sera enfin donnée dans la cour d’honneur du palais des Papes, en collaboration avec l’Institut du monde arabe et le Printemps de Bourges, et des contes arabes, à destination de tous les publics, investiront les bibliothèques de la ville pour la première fois embarquées dans le festival.

 

«Je suis toi dans tes mots», et dans tes pas serait-on tentée de compléter, tant le festival tient un deuxième axe fort : de la danse, de la danse, de la danse. Cette année, confie Tiago Rodrigues, cherchant un peu partout quels spectacles donner à voir, c’est dans cette discipline qu’il a trouvé les créations les plus excitantes, les écritures les plus libres. Il en a donc comblé le festival, et dans ses plus hauts lieux : Marlene Monteiro Freitas, la grande chorégraphe capverdienne aux œuvres extravagantes et politiques, ouvrira le festival à la cour d’honneur (avec NOT, réinterprétation des Mille et une nuits) et présentera trois autres spectacles ; Anne Teresa de Keersmaeker occupera la fantastique carrière de Boulbon (belle promesse), pour danser Jacques Brel (surprenant). La danseuse et chorégraphe danoise Mette Ingvartsen créera à Avignon sa nouvelle pièce Delirious Night. On découvrira aussi les australiens Amrita Hepi et Mish Grigor, dont c’est la première venue en France, avec Rinse.

Premières représentations françaises

42 spectacles cette année, pour 300 représentations (contre 35 et 219 l’an passé). De grands noms créeront cette année leur spectacle pour le festival, ou lui accorderont leur première représentation française : Milo Rau donnera la Lettre en itinérance autour d’Avignon ; Thomas Ostermeier cuisinera à sa sauce le Canard sauvage, d’après Henrik Ibsen pour la première fois à l’Opéra Grand Avignon, et Christoph Marthaler donnera pour la première fois en France le Sommet, sorte de Davos théâtral sur la préparation d’un symposium entre diplomates. Le metteur en scène suisse fait ainsi son retour à Avignon, dont il avait été l’artiste associé en 2010. Autre choix de taille (dans tous les sens du terme), c’est le Soulier de satin, huit heures trente de spectacle tout de même, qui battra le pavé de la cour d’honneur en deuxième partie de festival. Le très beau spectacle d’Eric Ruf joue en ce moment et jusqu’au 13 avril à la Comédie-Française (mais à guichet complet). En programmant l’œuvre fleuve et marine de Claudel à Avignon, Tiago Rodrigues convoque bien sûr le souvenir de la version d’Antoine Vitez qui joua sur la même scène en 1987. Ludmila Mikael y était Dona Prouhèze. C’est sa fille Marina Hands qui, en 2025, reprendra son rôle. Didier Sandre incarnait l’ardent Don Rodrigue, il est désormais le vieux Don Pélage. Le Soulier sera aussi l’occasion, assez rare, de faire chanter en chœur les 2000 spectateurs de la Cour d’Honneur. Quant à Tiago Rodrigues, il donnera 17 fois son nouveau spectacle la Distance, créé lui aussi au festival – une dystopie prenant lieu en 2077, une relation interplanétaire entre un père et sa fille.

 

L’an passé, au beau milieu des élections législatives, le festival avait pris parti, organisant une grande nuit contre l’extrême droite. Cette année encore, il s’ancre dans le réel en revenant sur l’événement fondateur qui s’est déroulé il y a quelques mois dans un autre palais non loin de là, le palais de justice d’Avignon : le procès Pelicot. Le 18 juillet, un hommage encore en construction sera rendu à Gisèle Pelicot.

 

A part ça, on fait déjà des gorges chaudes du spectacle de Suzanne de Baecque avec Jean… pardon Hervé Vilard, l’homme de «Capri, c’est fini» (le spectacle s’appelle Charles Péguy, ta mère et tes copines, j’en ai rien à foutre). Le journal Gala est sur le coup, Libé aussi, les tutelles ne pourront pas dire que le festival d’Avignon ne fait pas tout pour étendre son rayonnement.

 
 
Légende photo : Lors de la 78e édition du Festival d'Avignon. (Christophe Raynaud de Lage)
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July 23, 2024 9:23 AM
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Festival d’Avignon : le rideau se baisse sur un renouveau du théâtre engagé 

Festival d’Avignon : le rideau se baisse sur un renouveau du théâtre engagé  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 20 juillet 2024

 

Cette édition 2024 signe dans les rues avignonnaises le retour de l’engagement, mais avec une qualité et une fraîcheur qui tranchent avec les spectacles cours de bien-pensance qui nous tapaient sur le système il y a quelques années.

 

On ne s’y attendait pas mais cette 78e édition du festival a marqué le retour et le renouveau d’un théâtre engagé, parfois pour le meilleur, avec notamment Lacrima, la nouvelle fresque de Caroline Guiela NGuyen autour des mille histoires enfouies sous les plis de la confection d’une robe de mariée particulièrement prestigieuse. Mais aussi de l’emballant Léviathan de Lorraine de Sagazan, qui, par la grâce d’une mise en scène d’une beauté plastique saisissante, s’engouffre dans la violence de la justice ordinaire : celle des comparutions immédiates, avec la restitution de trois procès expéditifs de deux hommes et une femme.

On ne s’y attendait pas : ou plutôt, on avait pris l’habitude, depuis une dizaine d’années que des artistes et des spectacles dénoncent de manière relativement convenue et soporifique, au choix le sort fait aux migrants, à la planète, aux enfants, aux femmes, ou tout à la fois, sans jamais affecter le public par ailleurs rarement en désaccord avec les dénonciations. Il y eut un pic de désamour avec les œuvres à message, aux alentours de 2018-2019 où, à Avignon, la thématique sociétale était clairement revendiquée par l’ancienne direction du festival, et où l’on avait, plus ou moins douloureusement, ployé sous la lourdeur de l’infanterie utilisée pour nous convaincre au hasard des dégâts de la guerre ou du racisme. A l’époque, la professeure d’esthétique Carole Talon-Hugon, par ailleurs festivalière assidue, expliquait à Libération un «repli» vers les valeurs que peut véhiculer une œuvre au détriment d’une conception désintéressée de la création artistique.

Investissement corporel

Que s’est-il passé cette année pour que le vieil antagonisme par ailleurs un peu schématique entre l’œuvre sans autre finalité que l’invention esthétique et une conception utilitaire qu’on pensait surannée explose ? S’est-on tous, abruptement, converti à Edouard Louis qui traque la facticité et le décorum bourgeois des tenants de l’art sans pathos ? On s’est enthousiasmé pour le Soliloquio de l’Argentin Tiziano Cruz, corps frêle d’adolescent, qui nous alpague dans son combat contre les politiques de haine néolibérales menées dans son pays, et pas seulement, par une prise de parole frontale où l’artiste parle avant tout de lui, «vide de langue, vide de territoire» et interroge la place de l’art dans un pays où son «corps disparaît face au désir d’une société blanche». Dans la team Libé, on a préféré Soliloquio, qualifié de «vraie découverte», à Wayqeycuna, monologue à propos de la communauté du nord de l’Argentine d’où est originaire Tiziano Cruz, et troisième volet d’une autobiographie dramatique. A la fin du spectacle, l’artiste offre au public du pain fabriqué par des spectateurs et lui-même ainsi que du jus de pomme – guère pratique pour applaudir. Le pain, nouvelle hostie ?

 
 

De fait, l’engagement des spectacles hispaniques – l’espagnol étant la langue invitée du festival cette année – s’est associé au récit de soi, porté par un investissement corporel de toute nature, allant jusqu’au slam. Merveille de la première image de Sea of Silence de l’Uruguayenne Tamara Cubas, où sept femmes de toutes régions unissent leur voix sur un plateau recouvert de cristaux de sel, et se confondent avec les racines horizontales d’un arbre centenaire. Tendresse, aussi, du jeune metteur en scène chilien Malicho Vaca Valenzuela, mêlant dans son spectacle-conférence Reminiscencia les images de sa belle-grand-mère sans mémoire et des souvenirs politiques de sa ville, Santiago, enfumée par les gaz lacrymo à l’heure des soulèvements.

Art du déplacement

Le discours frontal et autobiographique, c’est aussi ce qui caractérise Niagara 3000 de Pamina de Coulon, présentée dans la sélection suisse du festival off et bien aimée dans ces pages. L’artiste qui ne dissocie pas sa pratique scénique de son activisme, suscite une écoute acérée grâce à des sauts de haute voltige langagière et un art de l’imprévu qui rompt définitivement avec le par cœur de la leçon, alors même qu’il s’agit encore et toujours de nous dire que l’engagement contre le réchauffement climatique, c’est ici et maintenant et pas après les vacances (en avion).

Cette année, même certaines pièces qui affichent une dramaturgie, avec des personnages et des acteurs censés se distinguer de leur rôle, ne cachent pas un objectif clairement militant, c’est-à-dire, tenus par la promesse de transformer la société. Dans Hécube, pas Hécube, le directeur du festival d’Avignon Tiago Rodrigues dénonce les mauvais traitements dont peuvent être victimes des êtres non seulement vulnérables mais n’ayant pas les moyens de le faire savoir. Et c’est bien sûr le cas de Lorraine de Sagazan avec Léviathan où «avec les masques réalistes qui redoublent leurs visages et les figent, les juges et les avocats deviennent les prêtres et prêtresses d’une terrible religion se nourrissant de sacrifices humains». Le décalage, l’art du déplacement, mais aussi l’investissement de son propre corps dans les récits autobiographiques militants : voici l’un des secrets de la réussite de certaines créations qui fait la différence avec les spectacles-cours de bien-pensance d’il y a donc une poignée d’année, une éternité. Cette édition, chahutée durant ses dix premiers jours par l’attente et l’inquiétude provoquées par les élections législatives inopinées ne pouvaient pas ne pas être politique. Pourtant, aucune venue de personnalité politique de premier plan pour soutenir le théâtre malmené, à l’exception de Christiane Taubira, pas même le moindre coucou de Rachida Dati, encore ministre de la Culture.

 

Anne Diatkine / Libération 

 
Légende photo : «Léviathan» de Lorraine de Sagazan. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)
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July 19, 2024 9:12 AM
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Au festival d’Avignon, le plaisir du récit 

Au festival d’Avignon, le plaisir du récit  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Billet de Lucile Commeaux dans Libération - 18 juillet 2024

 

Empruntant les codes du thriller, du documentaire ou de la bonne série, de nombreux spectacles de l’édition 2024 du festival ont démontré que les recettes éprouvées de la narration n’avaient rien perdu de leur pouvoir pour attirer le public.

 

Vraie tendance perceptible dans l’édition 2024 du Festival d’Avignon : le plaisir de raconter des histoires, de faire confiance au récit, de coller à une narration classique, chronologique, avec péripéties et retournements. Lacrima, le spectacle de Caroline Guiela NGuyen, en illustre la réussite avec ces trois heures d’action pure tissées autour de la confection d’une robe de mariée royale, vers laquelle convergent des tas de petits récits secondaires : construit comme une très bonne série, le spectacle est la preuve que la forme télévisuelle et la forme théâtrale subventionnée peuvent se marier dans une sorte de bonne tambouille grand public, qui ne bouleverse rien, mais qui assurément se positionne comme LA bonne forme pour attirer le public.

Revers de la médaille, Lieux communs de Baptiste Amman tente une chronique de notre contemporain en empruntant au thriller et à la satire politique, mais sans vraiment soutenir notre attention, faute de singularité. Entre les deux, citons par exemple Los Dias Afuera de l’Argentine Lola Arias, dont la simplicité et la linéarité du dispositif surprennent : ce récit choral très premier degré d’ex-détenues ressemble à la fois à de la comédie musicale et à une série documentaire bourrée de petits récits ; ou encore Une ombre vorace de Mariano Pensotti, récit croisé et haletant avec pour héros un alpiniste partir sur les traces de son père. Au-dessus de tout ça, le merveilleux Quichotte de Gwénaël Morin réfléchit justement au plaisir de raconter des histoires, dans un spectacle fait de pas grand-chose, et tout entier porté par cette foi pure dans le présent de la fiction, sa grâce et son enchantement.

 

 

Lucile Commeaux / Libération 

 

Légende photo : «Une ombre vorace» de Mariano Pensotti au Festival d’Avignon. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)

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July 11, 2024 2:10 PM
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Avignon 2024 : la sympathique « école » de Fanny de Chaillé

Avignon 2024 : la sympathique « école » de Fanny de Chaillé | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe CHEVILLEY dans Les Echos - 11 juillet 2024

 

 

Quinze jeunes comédien(ne)s sorti(e)s de la Manufacture de Lausanne feuillettent le grand livre d'images du Festival d'Avignon de 1947 à nos jours, sous la houlette de Fanny de Chaillé. Un patchwork malicieux et plaisant qui ne s'affranchit pas assez de l'exercice de style.

 

 

« Avignon, une école » ? Le festival est certainement une école de pratique théâtrale pour les quinze étudiants et étudiantes sorti(e)s de la Manufacture-Haute Ecole des arts de la scène de Lausanne et c'est aussi l'occasion d'un cours de remise à niveau (voire de découverte) pour le public d'aujourd'hui qui assiste à un précipité de l'histoire du Festival depuis 1947. Familière du travail des jeunes acteurs/actrices, la nouvelle directrice du TnBA (Théâtre national de Bordeaux Aquitaine), Fanny de Chaillé, a cousu un sympathique patchwork qui nous fait revisiter les créations chocs, les scandales et les mouvements sociaux qui ont émaillé 77 éditions.

 

En guise de mise en bouche, la troupe nous offre l'introduction d'« Einstein on the Beach » de Robert Wilson. Une entrée en matière symbolique qui nous rappelle qu'Avignon, au-delà de sa dimension de fête collective, est aussi un lieu de révolutions esthétiques. Avec leur regard et leur dégaine d'aujourd'hui, nos acteurs/actrices en herbe vont s'emparer des poussières d'étoiles conservées dans les archives foisonnantes du festival et s'employer à les faire briller à nouveau.

 

On s'amuse à les voir tenter de ressusciter les premières années : retrouver les voix et la gestuelle stylisée de Jean Vilar, Gérard Philipe ou Maria Casarès… Un théâtre si lointain que parfois ils doivent se contenter d'un pastiche aussi allègre que respectueux. A d'autres moments, ils se prennent au jeu de l'incarnation, comme dans cette restitution du « Soulier de satin » de Vitez. Les spectacles défilent sans qu'ils soient toujours contextualisés, ce qui transforme le show en quiz, remporté (silencieusement) par les festivaliers les plus aguerris.

 
Autodérision
 

Les extraits de pièces sont ponctués de réactions savoureuses de spectateurs d'époque. Les flambées de fièvre du Festival sont rejouées en quelques traits vifs : de l'implosion de mai 1968 et du scandale provoqué par le Living Theater à la grève de 2003, jusqu'au spectacle de Rébecca Chaillon en 2023, « Une carte noire nommé désir » qui a énervé l'extrême droite. A plusieurs reprises, les comédien(ne)s en herbe se mettent eux-mêmes en scène. Dans des saynètes savoureuses qui confinent au stand-up, ils pratiquent l'autodérision, se moquent de leur identité suisse, de leur rapport embrouillé au féminisme et à la diversité.

Les deux heures d'« Avignon, une école » passent vite, entre jeu, danse (l'ensemble du spectacle est peu ou prou chorégraphié) et confidences. On goûte particulièrement le grand sabbat Béjart de « Psyché rock », on sourit à l'imitation d'Isabelle Huppert ou au pastiche du « Masque et la plume ». Nos interprètes donnent le meilleur d'eux-mêmes. On regrettera seulement que ce show reste à un peu trop la surface des choses, ne marque pas assez les grandes inflexions du festival, de l'histoire du théâtre, et ne dépasse pas l'exercice de style brillant. Le public en tout cas ne boude pas cette formation en accéléré qui lui permet de réviser son festival avec de jeunes profs helvètes talentueux.

AVIGNON, UNE ÉCOLE

Festival d'Avignon

de Fanny de Chaillé

Cloître des Célestins

festival-avignon.com

les 11 et 12 juillet, à 21 h 00 et 23 h 59

Durée : 2 h 00

 

 

Philippe Chevilley / Les Echos 

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July 9, 2024 4:43 AM
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Festival Off d’Avignon : «Entrée des artistes», l’exutoire de la scène 

Festival Off d’Avignon : «Entrée des artistes», l’exutoire de la scène  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Laurent Goumarre dans Libération - 9 juillet 2024

 

Dans sa pièce, Ahmed Madani invite sept jeunes interprètes à se questionner sur leur désir de théâtre, et son enracinement dans leurs histoires et failles familiales. Un instant de parole ouverte et libératrice.

 

«Pourquoi voulez-vous faire du théâtre ?» La question a été posée à Dolo, Aurélien, Jeanne, Rita, Côme, Igaëlle et Lisa, en fin de formation d’art dramatique à l’Ecole des Teintureries de Lausanne. Aujourd’hui, l’école a fermé, ils sont au centre de la scène immaculée, un grand écran vidéo derrière eux, deux bancs pour seul décor ; il n’en faut pas plus, la parole va prendre toute la place. Cette question sur l’origine d’une vocation artistique, l’auteur et metteur en scène se l’est déjà posée, depuis longtemps : Ahmed Madani, pas de formation, pas d’art à la maison, le père analphabète et la mère qui pose le constat : «Au bled, les études n’étaient pas pour nous, c’était pour les Français, nous, on allait faire le ménage chez eux.» Cette question, Ahmed Madani y répond au moins depuis 1985, année de la fondation de sa compagnie. Mais a-t-elle seulement une réponse ? Les sept interprètes tentent le coup en revenant sur leur roman familial, quel que soit leur milieu social. Côme Veber est fils de bourgeois, droite classique, les parents mariés par Nicolas Sarkozy avec photo de mariage diffusée à l’appui ; Rita Moreira vient d’une famille «inculte» homophobe, démente.

Alternance entre récit de soi et chanson

Ce qu’ils ont en commun ? La colère, les mots constipés qui ne sortaient pas, des histoires de vie ou de mort qu’on entend au pied de la lettre : Dolo – comme «douleur», non binaire, violé·e par son père, annonce à sa mère qu’iel fera du théâtre ; réponse : «J’ai cru que tu ferais polytoxicomane». «Pourquoi devient-on artiste dramatique ?» Toutes et tous répondent par une chanson pour le dire autrement, l’occasion de réécouter ce qu’écrivait Michel Berger pour France Gall : «Si l’on pouvait vraiment parler/ Je te décrirais la maison/ Où mon père m’a embrassée/ Peut-être plus que de raison/ Si l’on pouvait vraiment parler.»

 

Le théâtre de Madani est ce lieu où l’on peut vraiment parler. Le format est direct, stand up, avec une alternance entre récit de soi et chanson. Mais ça n’a pas toujours été le cas : Jeanne Matthey revient sur les humiliations en cours de ce metteur en scène prestigieux, un type à qui elle aurait aimé dire «ta gueule», mais les mots ne sont jamais sortis. Aujourd’hui, en est-elle capable ? Elle s’avance devant nous, et y va d’un «ta gueule» timoré, au sourire crispé. Elle recommence, pas mieux. Il faut que Rita la rejoigne, puis les autres, pour que tous et toutes ensemble poussent ce «TA GUEULE» libérateur.

 
 

Madani met formidablement en scène «l’entrée» d’une génération d’artistes et de citoyens et citoyennes qui refusent toute l’emprise des relations de pouvoir. Personne ne veut plus se «faire casser» – comme Valeria Bruni-Tedeschi, citée en contre-exemple, le demandait de Patrice Chéreau. Ça s’est déjà fait ; la famille s’en est souvent chargée. Le temps du théâtre est celui de leur construction.

Entrée des artistes d’Ahmed Madani, jusqu’au 21 juillet, Festival Off Avignon, Théâtre des Halles.

 

Laurent Goumarre / Libération 

 

 

Légende photo :  «Entrée des artistes» de l'auteur et metteur en scène Ahmed Madani. (Anne-Laure Lechat)

 

 
 
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July 8, 2024 4:06 PM
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Au Festival d’Avignon, Mohamed El Khatib érotise le troisième âge

Au Festival d’Avignon, Mohamed El Khatib érotise le troisième âge | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 8 juillet 2024

 

Avec « La Vie secrète des vieux », l’auteur et metteur en scène aborde la sexualité des personnes âgées sans tabou ni pathos.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/07/08/au-festival-d-avignon-mohamed-el-khatib-erotise-le-troisieme-age_6247914_3246.html

Arrivée en majesté de Jacqueline, 91 ans, poussée dans son fauteuil roulant. « Ça commence bien », murmure un spectateur aux cheveux gris. Oui. « Ça » commence et « ça » finit bien. Même si, sur l’écran vidéo suspendu au-dessus du parquet de bal, on peut lire : « Compte tenu de leur âge, les personnes sur scène sont susceptibles, comme Dalida, de mourir sur scène », un avertissement à prendre pour ce qu’il est, une malice ironique et une mise à distance salutaire du pathos. Même si Georges, qui aurait dû être là, à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, fait lui aussi une entrée remarquée. Mais dans une urne funéraire. Même si Annie, 82 ans, Sally, 75 ans, Martine, 76 ans, Jean-Pierre, 85 ans, Micheline, 77 ans, et Chille (qui ne dit pas son âge) sont à l’automne d’existences qui se déclinent en problèmes cardiaques, douleurs articulaires, marches précautionneuses derrière un déambulateur.

 

 

La Vie secrète des vieux, création de Mohamed El Khatib, auteur et metteur en scène qui a le chic pour lever des « draps de poésie » (l’expression est de Jacqueline) sur l’apparente banalité du réel, est une invitation au grand âge et une convocation à un splendide feu d’artifice. C’est une constante du Festival d’Avignon 2024 : les vieux sont les héros des scènes contemporaines. Ceux qu’a propulsés dans la Cour d’honneur du Palais des papes Angelica Liddell (Dämon, El funeral de Bergman) ne disaient pas un mot, mais leurs corps faisaient bloc, et l’artiste mettait sa rage et sa lucidité à s’insurger, en leur nom, contre le crépuscule physique et mental qui guette chacun de nous.

Tonalité légère

Avec Mohamed El Khatib, rien de tel. Le metteur en scène a beau être présent sur le plateau, il l’habite en Monsieur Loyal, distribue la parole, présente les protagonistes, les place dans l’espace. Un rôle de liant dans une dramaturgie qui privilégie les suspenses, aime les béances et cultive les fragilités, mais se révèle moins décousue qu’il n’y paraît. De quoi est-il question ? De sexe, de désir, de fantasmes, de masturbation, de baisers sur la bouche, d’homosexualité tardivement assumée, bref, d’une libido qui ne s’émousse pas malgré la chair flétrie et le parchemin des rides. Ces amateurs sont devenus des acteurs de théâtre, ils ont quitté leur Ehpad pour clamer face au public leur envie de faire l’amour : il faut du cran. C’est ce que l’on pense, et cette réflexion en dit long sur nos propres entraves. Eux, en face, malgré leurs cheveux rares, leurs muscles en déroute ou leurs gestes ralentis, n’ont rien à faire de nos inhibitions.

 

Mohamed El Khatib organise une confrontation habile entre la morale frileuse du spectateur et ces vieux sans tabous. Si la tonalité de sa représentation est légère (beaucoup de rires fusent des gradins), le propos, pour sa part, oscille entre la comédie et la tragédie. On ne voit pas arriver les bascules, l’artiste est un spécialiste des coqs à l’âne dramaturgiques et du trouble distillé entre fiction et réalité. C’est ainsi qu’on découvre la date putative de la mort de Michel Sardou (2025) ou qu’on passe du récit hilarant de Yasmine, encore sous le choc de sa découverte (Mme Millon et M. Gazou accouplés dans un lit), à l’histoire bouleversante d’Anne (filmée en vidéo), qui s’est suicidée parce qu’on lui interdisait de retrouver son amoureux, Jean-Claude.

 

Inquiétude des enfants, rigidité de l’Ehpad : les motifs de contention ne manquent pas. Le tact de ce spectacle est de ne pas les montrer d’un doigt accusateur, mais de les laisser affleurer, par-ci, par-là, au gré des vécus racontés. L’infantilisation des résidents n’en est que plus insupportable. Heureusement, il y a, pour prendre soin d’eux, Yasmine (« d’origine aide-soignante », dit-elle en souriant). Et puis il y a les vieux, leur insatiable désir de vivre, jusqu’au bout, ce qu’ils sont en droit de vivre. Leur présent est notre futur. Le message est passé. Ça commence et ça finit bien.

 

 

La Vie secrète des vieux, de Mohamed El Khatib. Avec (en alternance) Annie Boisdenghien, Micheline Boussaingault, Marie-Louise Carlier, Chille Deman, Martine Devries, Jean-Pierre Dupuy, Yasmine Hadj Ali, Salimata Kamaté, Jacqueline Juin, Jean Paul Sidolle, Gaby Suffrin. La Chartreuse, Villeneuve-lez-Avignon (Gard). Jusqu’au 19 juillet, à 18 heures. Festival-avignon.com

 

 

Joëlle Gayot (Avignon, envoyée spéciale) / LE MONDE 

 

Légende photo :

« La Vie secrète des vieux », de Mohamed El Khatib, au Festival d’Avignon, le 3 juillet 2024. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

 

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June 30, 2024 5:52 AM
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Festival d’Avignon : «la Vie secrète des vieux» de Mohamed El Khatib, une sexualité déridée 

Festival d’Avignon : «la Vie secrète des vieux» de Mohamed El Khatib, une sexualité déridée  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Laurent Goumarre dans Libération - 29 juin 2024

 

Fidèle à sa veine du théâtre documentaire, Mohamed El Khatib met cette fois en scène des personnes âgées qui font le bilan de leur vie amoureuse et évoquent sans tabous leurs désirs.

 

Dernière représentation à Bruxelles pour la Vie secrète des vieux avant de se jeter dans le grand bain d’Avignon. Mohamed El Khatib rodait fin mai sa nouvelle création avec sept vieilles et vieux, tous amateurs, réunis sur le plateau après avoir répondu à cette annonce : «Si vous avez plus de 75 ans et des histoires d’amour, appelez-moi.»

Le metteur en scène est rassuré : «Hier, c’était encore très flottant mais là, tout est en place.» Et ce n’était pas gagné : Chille a fait un AVC, apprendre un texte tient donc du miracle. Jacqueline, l’ex-présentatrice du journal télévisé en Belgique, qui ouvre la pièce, a 91 ans. «En novembre, on a fait une résidence, raconte El Khatib. En mars on se revoit pour une avant-dernière étape, et là, elle me demande qui je suis, quel est ce projet. C’est très fragile.» Une fragilité qui fait la force de ce théâtre documentaire en ouvrant la scène à des gens extérieurs au théâtre, des corps non-professionnels pour entendre une parole non formatée. «Les vieux sont marginalisés ; les journalistes, les soignants, leurs propres enfants parlent à leur place. Jamais je n’aurais confié leurs paroles à des acteurs», précise El Khatib qui s’interroge sur le prêt-à-penser : «Au départ, je pensais travailler sur leur mémoire, mais c’était vraiment trop cliché : la perte d’autonomie, la décrépitude du corps, la dépendance, c’est toujours les mêmes sujets quand on parle des vieux, jamais la vitalité, leur désir, est-ce qu’ils font l’amour, est-ce qu’ils en ont envie ? Ma première question lors de la prise de contact a donc été : “Est-ce qu’on peut faire le bilan de votre vie amoureuse ?”»

«J’ai dit à mon fils : tu préfères que je meure à l’Ehpad que sur scène ?»

Martine Devries, 78 ans, médecin généraliste à la retraite, n’a pas hésité. «Quand j’ai vu l’annonce sur les vieux, j’ai tout de suite répondu, sans rien demander à mes enfants. Je devais parler de ma vie amoureuse, mais j’ai raconté la maladie de mon compagnon ; à ce moment-là je ne pouvais rien dire d’autre. J’ai pensé que j’avais raté l’entretien, que la maladie c’était trop triste, et Mohamed a tout gardé. Je connais bien son théâtre, j’aime qu’il donne la parole aux gens, aux enfants de parents séparés dans la Dispute, aux supporteurs du RC Lens dans Stadium, aux gardiens de musée dans Gardien Party que je suis allée voir à Paris. J’avais adoré Conversation avec Alain Cavalier, Boule à neige. Je voulais vraiment en être cette fois.» Même élan pour Jacqueline Juin, la doyenne : «Au départ, mon fils qui a 60 ans ne voulait pas que je fasse la pièce, trop de dates, une tournée internationale, Avignon, la chaleur… Je lui ai dit : “Tu préfères que je meure à l’Ehpad que sur scène ?”» Depuis, elle a sa bénédiction.

 
 

Il faut revenir sur la genèse de la pièce pour en mesurer l’enjeu. D’abord un geste post-Covid, qui répond au traumatisme de ces milliers de personnes âgées mortes dans les Ehpad, sans leur famille, personne pour leur rendre visite et leur dire adieu. «Aux Blés d’Or, l’Ehpad de Chambéry, la directrice Clotilde Rogez s’est inquiétée de la santé mentale des vieux, rapporte Mohamed El Khatib. Elle a demandé à Marie-Pia Bureau, la directrice de l’espace Malraux-Scène nationale de Chambéry, de faire intervenir des artistes et je suis arrivé sur cette invitation.» Mais il y a eu un autre déclencheur : «Ma rencontre à l’Ehpad de la Rochelle avec Anne Durand de Saint-André, 84 ans, un vrai phénomène, qui était tombée amoureuse d’un pensionnaire avec qui elle vivait une vraie et belle histoire. En juillet, j’apprends qu’elle s’est suicidée. Ses enfants, très inquiets de cette relation, voulaient la déplacer. Ça m’a vraiment mis en colère, d’autant que j’entendais pas mal de choses sur les familles qui craignent la captation d’héritage, ou n’acceptent pas que leurs parents refassent leur vie, retrouvent le désir.» Anne Durand de Saint-André apparaît dans la pièce, dans une vidéo.

Masturbation à la carotte et vases dans le rectum

Sur scène on parle masturbation à la carotte, pression des enfants, rapprochement des corps dans les chambres. Sujets tabous ? «Pour vous peut-être, pas pour moi, répond Martine Devries qui déroule ses souvenirs de consultations, des histoires de vases dans le rectum qui affolent ses compagnons de scène. Le plus étonnant, c’est de prendre la parole sur un plateau, moi qui suis plutôt réservée. C’est peut-être qu’ici quand je parle de mon histoire, elle ne m’appartient plus. Mohamed a écrit nos partitions en mixant des choses qu’il a entendues chez moi et les autres. Au point que je n’arrive plus à démêler dans mon monologue ce qui est à moi, ce qui ne l’est pas. Je me sens à la fois actrice et spectatrice. Quand Jacqueline, qui est aveugle et en chaise roulante, récite Bérénice qu’elle a appris au lycée, c’est pour moi, qui suis à ses côtés sur le plateau, chaque fois magnifiquement émouvant et terriblement douloureux. J’entends dire que c’est thérapeutique. C’est faux. On vit une aventure formidable qui nous fait du bien, mais ce n’est pas ça une thérapie.»

«Et tout n’est pas dit dans la pièce, ajoute Mohamed El Khatib. Il y a une chose que j’ai entendue et que je n’ai pas travaillée : sur les cent vieux que j’ai rencontrés, quatre-vingt-dix m’ont raconté la violence de leur premier rapport sexuel, l’abus d’un médecin traitant, une maltraitance, un inceste. Effarant. Pour la Vie secrète, je me suis concentré sur leur vie amoureuse, leur sexualité, celle des mecs souvent liée à la puissance : “Si je ne peux plus bander, j’arrête”, celle des femmes qui réexplorent leur corps – je me souviens d’une vieille dame à Rennes qui me sort une petite mallette bourrée de sex-toys, et m’explique leur fonctionnement. C’est moi qui étais gêné. Et chaque fois cette même phrase qui revient : “Surtout, ne le dites pas à mes enfants.” Bien sûr, j’ai aussi entendu la misère sexuelle, ou la décision de “se retirer du marché”. L’expérience de la vieillesse n’est pas la même selon le genre, la classe sociale, l’appartenance sexuelle, mais un scénario revient souvent : une vie conjugale classique de 20 à 50 ans, puis, passé 60, le désir réapparaît, et le plaisir qu’on n’a pas vraiment connu avant. Je pense à Micheline qui s’est échappée de l’Ehpad pour vivre avec une femme alors que toute sa vie elle avait été homophobe.»

Au moment de se quitter, on lui pose la question qui nous taraude : peut-on faire le bilan de la vie amoureuse de vos parents ? «Ma mère n’est plus de ce monde. Mon père a 76 ans et s’est remarié il n’y a pas longtemps. Pour mes sœurs c’est douloureux de penser qu’une autre femme entre dans sa vie. Quant à moi, c’est vrai, je n’ai pas envie d’en savoir plus sur la vie amoureuse et sexuelle de mon père. On n’en parle pas. Jamais.» Encore un secret de famille.

 

 

La Vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib, du 4-19 juillet à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Puis dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de la ville – Les Abbesses du 12 au 26 septembre, à l’Espace 1789 de Saint-Ouen les 8 et 9 octobre, au Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi le 11 octobre et à Points communs – Théâtre 95 les 18 et 19 décembre.

 

 

 
 
Légende photo : Dans «la Vie secrète des vieux», Mohamed El Khatib ouvre à nouveau la scène à des gens extérieurs au théâtre. (Yohanne Lamoulère)
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June 29, 2024 12:38 PM
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Festival d’Avignon : dans les sables mouvants d’« Hécube, pas Hécube »

Festival d’Avignon : dans les sables mouvants d’« Hécube, pas Hécube » | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Joëlle Gayot dans Le Monde -  29 juin 2024

 

Reportage lors des répétitions de la pièce montée par le directeur du Festival, Tiago Rodrigues, à partir du texte d’Euripide, avec la troupe de la Comédie-Française.

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/29/festival-d-avignon-dans-les-sables-mouvants-d-hecube-pas-hecube_6245431_3246.html

 

 

Tout filait vite, ce 23 mai, dans la salle de répétition de la Comédie-Française : « J’aimerais qu’on joue depuis le prologue et jusqu’au plus loin dans le texte », suggérait Tiago Rodrigues aux acteurs, qui aussitôt enchaînaient les scènes sur un tempo soutenu. Une semaine plus tard et un étage plus haut, salle Richelieu, la même équipe prenait cette fois le temps de dénouer les répliques une par une. Or des répliques, il y en a beaucoup dans Hécube, pas Hécube, première pièce qu’écrit (et met en scène) le directeur du Festival d’Avignon pour la troupe de la Comédie-Française.

En un prologue, quatorze scènes et un épilogue, Hécube, pas Hécube va et vient du poème d’Euripide au drame humain né de la plume de l’auteur portugais. Un chassé-croisé d’écritures antique et contemporaine auquel l’artiste ajoute cette touche personnelle qui est devenue sa marque de fabrique : le théâtre dans le théâtre. « C’est l’histoire d’une comédienne qui joue une tragédie alors qu’elle en vit une dans sa vie. » Tiago Rodrigues connecte le sort d’Hécube, reine de Troie qui réclame justice pour le meurtre de son fils, à celui de Nadia, une comédienne qui porte plainte pour maltraitance de son enfant autiste. Le glissement d’une héroïne à l’autre est le nerf d’un spectacle qui pourrait bien entraîner le public vers une profusion d’à-pics émotionnels.

 

« Hécube nous permet de saisir la force de l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils, explique le dramaturge. Ce qui m’intéresse, c’est de chercher comment une actrice qui sait cette tragédie par cœur peut mieux faire face aux coups du sort, comment le théâtre peut aider dans la vie. » Elsa Lepoivre est l’une et l’autre de ces mères en colère, dont la dignité ne concède rien au pathos. Autant dire qu’il lui faut se dissocier en permanence sans jamais s’égarer, quitte à frôler une forme de schizophrénie. Cette partie de ping-pong exige une concentration de chaque seconde : « Lorsque j’aurai construit mon parcours de A à Z en balisant chacune de ses étapes, alors je pourrai plonger dans l’émotion, la laisser déferler et puis la contenir la seconde suivante avant, de nouveau, de la pousser au plus fort », raconte la comédienne.

Shoot de stress

Fin mai, à Paris, elle doit encore mémoriser un texte rendu peu de jours avant par l’auteur. Une livraison tardive, à laquelle les comédiens du Français ne sont pas habitués. « Moi qui arrive toujours au premier jour des répétitions texte su, je consacre mes week-ends à apprendre ma partition », explique Elsa Lepoivre. Pas question, donc, de relâcher l’attention. Ce léger shoot de stress ajoute du piment au travail. Denis Podalydès a beau avoir tout (ou presque) connu du théâtre, lui aussi apprivoise « l’inconfort » que génère, dit-il, une pièce « parfois mouvante ». Cette instabilité le stimule, même si le défi l’effraie : « Je dois à un moment faire mine de lire sur mes paumes ouvertes le rapport très technique de plaintes déposées au tribunal, ce passage me terrorise. » Le sociétaire chemine sur une trajectoire parallèle à celle empruntée par Elsa Lepoivre. Il porte sur ses épaules les rôles d’Agamemnon et d’un procureur. Soit les deux hommes de loi auxquels se confrontent les mères.

 

A un mois de sa création dans l’enceinte minérale de la Carrière de Boulbon, à quelques kilomètres d’Avignon, le spectacle se modèle non seulement mot à mot, mais aussi geste à geste. Un placement dans l’espace qui n’est pas ajusté et les équilibres se rompent. A qui s’adresse la parole ? Par où passe l’énergie ? Comment circulent les sentiments ? Tout est affaire de spatialisation. Jeunes pensionnaires, sociétaires aguerris, pas un qui ne se tienne aux aguets dans le dispositif. Nouvelle recrue de la maison où elle a fait ses débuts en 2021, Séphora Pondi observe ses aînés d’un œil attentif. « Ça va mieux aujourd’hui, mais au début, j’étais terriblement intimidée. » Elle ne tremble pourtant pas lorsqu’il lui faut, nécessité du récit oblige, pousser Elsa Lepoivre dans ses retranchements. Comme ses camarades, elle aussi change de peau plusieurs fois au cours de la représentation. Elle va même jusqu’à troquer des habits d’avocate au service d’une cause noble pour ceux, moins glorieux, d’éducatrice maltraitante. « Je ne sais pas pourquoi Tiago m’a distribuée dans deux rôles aux antipodes », sourit-elle.

Monumentalité

Le décor est planté : une longue table de travail, des chaises, des tulles en fond de plateau (ils ne seront pas présents à Boulbon, seulement dans les théâtres en intérieur) et l’impressionnante sculpture d’une chienne qui pointe sa truffe à plus de 3 mètres du sol. « Cette monumentalité est une réponse à la Carrière et à l’ampleur de la tragédie », explique le metteur en scène. Au pied de l’animal dont la verticalité évoque le divin, les humains se débattent. Au total, sept comédiens donnent vie à seize personnages.

 

 

Lorsqu’il parle des interprètes, Tiago Rodrigues dit avoir l’impression d’entraîner le Real Madrid (l’excellence du foot, selon lui). A cette troupe de haut vol, il n’a pas eu à expliquer sa façon de concevoir le théâtre. « Je propose un voyage entre différents niveaux de discours, de temporalités et de réalités. Non seulement ils ont tout de suite compris mon projet mais en plus, ils sont force de proposition. » S’il signe la mise en scène, il ne ferme pas la porte aux idées qui surgissent du plateau. « Le principe qui m’anime est qu’un problème est toujours l’antichambre d’une trouvaille. » Celle-ci naît de cogitations collectives, quitte à interrompre le cours de la répétition, s’asseoir à même les planches, tourner et retourner les pages de la brochure, essayer une action, en tenter une suivante, jusqu’à ce que se dissipe le nœud sur lequel butaient les acteurs.

 
 

Loïc Corbery, en tennis, jeans et tee-shirt, arpente la salle Richelieu d’un pas vif. Il assume avec jubilation d’être le salaud de l’histoire. Il est Polymestor, celui qui a assassiné froidement le fils d’Hécube. Un rôle « sombre et cruel », qu’il délaisse pour devenir un fourbe plus policé, mais aussi destructeur : un secrétaire d’Etat sourd aux plaintes de Nadia et à travers qui l’auteur fait le procès d’une institution défaillante. Corbery navigue lui aussi du lyrisme de la tragédie à l’âpreté du drame contemporain. « Le but est de montrer à quel point les choses diffèrent peu d’Hécube à Nadia », note-t-il. Ce glissement perpétuel entre l’hier et l’aujourd’hui donnera le « la » d’une représentation qui évolue d’état en état. Légèreté de comédiens qui jouent à jouer, douleur immémoriale des mères, froideur du politique face à l’ardeur de l’intime. Huit ans après avoir joué Les Damnés (d’après Visconti) dans la Cour d’honneur du Palais des papes, la Comédie-Française fait son grand retour à Avignon, dans une carrière de pierre où rien n’entrave le libre cours des pensées, des rires et, parions-le, des larmes du public.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

 

 

Hécube, pas Hécube. Texte et mise en scène de Tiago Rodrigues. Avec la troupe de la Comédie-Française : Eric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Elissa Alloula, Séphora Pondi. Carrière de Boulbon, les 30 juin, 1ᵉʳ, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 15, 16 juillet à 22 heures. En tournée du 26 juillet au 31 janvier 2025. Durée : 2 heures.

 

Légende photo : Eric Génovèse, Elissa Alloula, Séphora Pondi et Denis Podalydès dans « Hécube, pas Hécube », le 10 juin. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

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June 14, 2024 4:23 PM
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Baptiste Amann : « Il est important d'exercer notre regard autrement » 

Baptiste Amann : « Il est important d'exercer notre regard autrement »  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Olivier Frégaville - Gratian d'Amore dans L'Oeil d'Olivier -  14 juin 2024

 

 

L’auteur et metteur en scène avignonnais revient dans sa ville natale le temps du festival et présente "Lieux communs", un thriller choral autour des conséquences du meurtre d’une jeune femme. 

 

Quel est le point de départ de cette nouvelle pièce ? 

 

Baptiste Amann L’idée est venue d’un rapport à l’irrésolu, c’est-à-dire à une quête qui n’aboutit pas, à une réponse attendue qui ne vient pas. En tournée de la trilogie Des territoires, j’avais pris l’habitude d’évoluer en coulisses et d’observer le ballet des comédiens et des comédiennes : je ne voyais d’eux que des ombres, des images presque floues, des morceaux de corps, se préparant à monter sur scène ou quittant le plateau. Ça m’est apparu comme allégorie assez forte de l’inaccessibilité à la vérité vis-à-vis de certains aspects de la vie. Derrière ces instantanés, ces moments volés, je voyais en filigrane apparaître de grandes questions fondamentales : l’existence de Dieu, l’origine de la vie, la naissance de l’univers, etc. Ces endroits où, finalement, on atteint un seuil conceptuel au-delà duquel on ne peut faire intervenir que des fictions régulatrices. C’est le point de départ théorique de Lieux communs

 
Pourquoi un thriller ? 

 

Baptiste Amann : Pour mettre en scène des situations toutes liées par un même fait divers sur lequel il est difficile d’entériner une vérité objective. Le thriller m’a semblé être un genre intéressant pour traiter les questions de représentation et d’interprétation au cœur de nos systèmes de croyances.

 
Êtes-vous parti d’un fait divers réel ou est-ce pure fiction ?

 

Baptiste Amann : Tout est purement fictionnel. Étant donné que les thématiques qui sont abordées concernent des violences ou des mécanismes d’oppression systémique, la fiction m’est apparue comme le meilleur moyen de ramener du particulier dans le récit. C’est-à-dire de ne pas être dans une vision manichéenne, une pensée par système, mais de voir et de traiter ces questions-là à travers une étude de cas comme peut le faire, finalement, la tragédie grecque. Dans les textes d’Euripide, de Sophocle ou d’Eschyle, il n’est question que de féminicides, d’infanticides ou de parricides, mais leur problématisation est personnifiée (Oreste, Médée, Thyeste, Œdipe…). La fiction permet de faire des personnages l’incarnation des symptômes d’une époque. À partir de cette première approche, j’ai cherché à ce que ce fait divers devienne un point d’intersection entre deux systèmes de domination, le racial et le patriarcal. J’ai exploré cette zone assez grise et complexe où se rejoignent les questions de racisme et de féminisme. 

 

Quelles ont été vos sources d’inspiration ? 

 

Baptiste Amann : Comme toujours, les acteurs et actrices pour qui j’ai écrit. Ils me servent de modèle et génèrent des imaginaires inattendus. Il est toujours un peu délicat de savoir comment naît une idée. Je savais que j’avais envie de déployer le récit dans quatre situations qui appartiendraient toutes à un paysage allégorique « d’arrière-décor ». Ainsi, durant le spectacle, nous allons passer du sous-sol d’un commissariat à la loge d’un studio de télévision et d’un atelier de restauration d’œuvres picturales aux coulisses d’un théâtre. C’est d’ailleurs à partir de ces espaces que j’ai construit la pièce, les liens avec les personnages et le crime originel. 

 
En plus de votre équipe habituelle, vous avez fait appel à d’autres comédiens. Comment s’est fait ce choix ? 

 

Baptiste Amann : Ce sont des artistes que j’ai rencontré au gré des spectacles. On s’est croisé plusieurs fois, nous avons évoqué ensemble le désir d’un jour travailler ensemble. L’occasion s’y prêtait enfin. Je leur ai proposé de rejoindre l’aventure. Dans le cas de Charlotte Issaly, dernière recrue sur le projet, je l’ai découverte dans L’Esthétique de la résistance, la pièce de Sylvain Creuzevault d’après l’œuvre de Peter Weiss. Sa présence singulière m’a happé. Après, tout le principe de ma pièce est de jouer sur les lieux communs, sur les dispositifs d’assignation. J’avais très envie de jouer sur les clichés. De ce fait, la distribution est très importante car elle apporte un contrepoint aux stéréotypes que met en exergue le texte. Tout l’enjeu de la pièce est de montrer qu’il est important et essentiel de dépasser les apparences, d’exercer notre regard autrement. C’est en tout cas sur cela que nous travaillons. 

 

 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

 

 

Lieux communs de Baptiste Amann
Festival d’Avignon
L’autre Scène – Vedène
Avenue Pierre de Coubertin
84270 Vedène
du 4 au 10 juillet 2024
Durée 2h30

mise en scène de Baptiste Amann assisté de Balthazar Monge, Max Unbekandt
Avec Océane Caïraty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Pascal Sangla 
Scénographie et lumière de Florent Jacob
Son de Léon Blomme
Costumes d’Estelle Couturier-Chatellain, Marine Peyraud
Collaboration artistique – Amélie Énon 
Régie générale – Philippe Couturier , Régie plateau – François Duguest  – Régie lumière Clarisse Bernez-Cambot Labarta  – Régie son Léon Blomme 

 
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July 28, 2023 3:21 AM
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Avignon 2023 - Clôture: Un sonnet de Shakespeare bouleverse la Cour d’honneur

Avignon 2023 - Clôture: Un sonnet de Shakespeare bouleverse la Cour d’honneur | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Thierry Jallet dans Wanderer - 28 juillet 2023

 

 

 

Avignon, Cour d'Honneur du Palais des Papes, mardi 25 juillet 2023, 22h00.

 


Arrivant au terme de cette soixante-dix-septième édition du Festival d’Avignon, on se rend une fois encore dans la Cour d’honneur du Palais des Papes pour une représentation de By Heart de et par Tiago Rodrigues. Après trois semaines très riches, cette édition se termine à l’endroit où elle a commencé avec un spectacle créé il y a dix ans et qui a fait le tour du monde, après plus de trois-cent-cinquante représentations. Le nouveau directeur tenait à terminer ce premier Festival ainsi car pour lui, cela « a une forte valeur symbolique », permettant de « partager [sa] vision du monde ». S’attachant à la fois à la poésie, au théâtre, à l’expression libre devant l’oppression, se fondant sur une expérience autobiographique comme sur un subtil rapport à la fiction, By Heart est un spectacle d’une forme tout à fait singulière. En près de deux heures, il s’agit de faire apprendre par cœur un sonnet de Shakespeare à un groupe de dix personnes volontaires dans le public, comme la grand-mère de l’auteur le faisait elle-même, comme il l’a fait également pour elle à la fin de sa vie où elle avait perdu la vue. Mêlant citations authentiques et lecture personnelle sur des événements littéraires et politiques, By Heart a véritablement opéré comme un enchantement sur les quelques deux mille personnes présentes dans les gradins de ce lieu emblématique du Festival, chargé de la mémoire des célèbres spectacles qui y ont été présentés. Captivé par ce qui se jouait sur le plateau, le public a terminé debout dans un final où la liesse rivalisait avec la solennité de cette toute dernière soirée. Nous étions présents et, dans l’émotion d’avoir vécu cet inoubliable moment, nous en rendons compte ici.

 

 

Il y a beaucoup d’agitation devant le Palais des Papes. On se presse vers la billetterie puis, muni de son titre précieux, on se déplace en masse vers l’une des deux entrées. C’est que la soirée a une coloration toute particulière puisque c’est la dernière du « In » et qu’elle permettra de voir ou revoir By Heartla pièce qui a contribué à faire connaître Tiago Rodrigues à travers le monde, rejouée une fois encore dans ce lieu qu’est la Cour d’honneur, lieu souvent considéré comme très impressionnant – ce sur quoi l’auteur ironisera d’ailleurs durant le spectacle. Le signe est fort, l’instant unique. Au moment de s’installer, tous, connus ou anonymes, semblent sentir qu’il y a bien quelque chose d’incomparable dans l’air tourbillonnant en rafales.

 

Sur l’immense plateau, dix chaises hétéroclites et un petit escabeau sont disposés au centre, en arc de cercle. Juste devant, à cour, des cageots de bois entassés, pêle-mêle. À l’intérieur, on aperçoit des livres en grande quantité. C’est alors que Tiago Rodrigues fait son entrée, en jeans, t‑shirt imprimé et baskets. En silence, jetant un coup d’œil vers le public, il vient prendre place sur l’escabeau, non sans avoir pris au passage un livre dans une des cagettes, livre dans lequel il se plonge immédiatement, semblant oublier de cette façon la présence des spectateurs et le tumulte de leur arrivée. Une fois, il va sortir de scène pour y revenir quelques instants après, boire un peu dans la gourde qui était posée à côté de lui sur le sol blanc déroulé sur le plateau. Nouveau regard vers le public puis nouvelle plongée dans sa lecture. Quelques minutes après, il va prendre quelques renseignements auprès du personnel de salle et, une fois qu’il a salué le public, il convie l’assemblée à faire preuve d’un peu plus de patience afin de laisser aux retardataires le temps de trouver leur place. Les célèbres trompettes de Maurice Jarre retentissent peu après, indiquant que le spectacle est sur le point de commencer. Sans cérémonie ni recherche d’effets, Tiago Rodrigues se lève une dernière fois, pose son livre dans un des cageots et se place face au public qui fait alors silence.

 

Il explique le déroulement de ce qu’il va se passer : dix personnes volontaires doivent se rendre sur le plateau à ses côtés. Tandis que certains s’avancent déjà au bas des gradins, il ajoute qu’il va falloir apprendre un texte « pas trop difficile, pas trop simple » non plus. Et par cœur, bien entendu. Il plaisante sur l’agitation « à la française », il prévient qu’il ne faudra pas jouer, pas surjouer en grimaçant non plus, qu’il n’y aura pas de théâtre interactif, ce à quoi il est « allergique » comme tant d’autres. Sans attendre, on constate que son sens de la scène et du jeu se déploie sans retenue. On mesure l’aisance dans les déplacements, dans l’adresse, dans l’utilisation d’une langue qui n’est pas la sienne. L’ancien comédien du Tg Stan prévient que le spectacle ne commencera que lorsque les dix chaises ne seront plus vides… ce qui arrive prestement, laissant plusieurs volontaires très certainement déçus. Tandis qu’on équipe de micros HF les dix heureux spectateurs sur scène, l’instigateur de cette expérience scénique continue sa présentation pour cette nouvelle version dans la Cour d’honneur. Comme By Heart n’est a priori pas adapté à la vastitude du lieu, il relève le défi d’y « trouver une intimité ». Celle qui permettra à la parole personnelle de toucher chacun des quelques deux mille personnes rassemblées devant lui. Et cet extraordinaire défi qui effraye tant de comédiens, ce défi que tant de professionnels aguerris ont pourtant échoué, ce défi a priori si risqué, va être formidablement gagné.

 

L’intimité est ce qui touche à la personne, à son histoire. Pour Tiago Rodrigues, « le théâtre est (…) un art du vivant et de la présence, mais aussi de la présence des absents », en référence à Heiner Müller qui y voit également un dialogue avec les défunts. Ainsi, nous plongeons instantanément dans l’intimité de l’artiste portugais qui nous fait rencontrer sa grand-mère décédée il y a quelques années et à qui il apportait toujours différents cadeaux dont des livres. « Des cageots remplis de livres », précise-t-il, éclairant la présence de ceux qui se trouvent devant lui, sur la scène. Il établit ensuite le lien avec une émission à la télévision hollandaise à laquelle participait le célèbre critique littéraire, linguiste, écrivain et penseur disparu en 2020, George Steiner – dont il porte un portrait floqué au dos de son t‑shirt. Il avoue avoir été littéralement obsédé par cette émission. Au point de l’avoir apprise par cœur. Distribuant à un des volontaires assis sur la scène, un livre ouvert avec le nom de l’érudit qui l’a tant habité écrit dessus – il le refera plusieurs fois au cours du spectacle avec d’autres noms célèbres, il poursuit en citant un passage de la conférence de Steiner intitulée De la beauté et de la consolation. Par cœur, là aussi.

 

 

Devant l’immense mur du Palais, déroulant un fil narratif très précis – bien que ne se vérifiant pas nécessairement, Tiago Rodrigues évoque Boris Pasternak qui aurait fait apprendre et réciter un sonnet de Shakespeare sur la mémoire à une assemblée – le numéro 30, celui-là même que les dix volontaires vont eux aussi apprendre et réciter. Par cœur comme un acte de résistance à l’oppression et aux multiples visages du totalitarisme. Il parle aussi de F. Scott Fitzgerald, de Ray Bradbury entre autres réunis dans une espèce de festin littéraire qui se déroule sous les yeux du public qui y est convié. Il continue en récitant plusieurs passages, revient à Steiner – une obsession, n’est-ce pas ? Et entre ces digressions joyeusement roboratives, il fait travailler la mémoire des dix volontaires qui, avec la plus grande application, font entendre leur voix dans l’enceinte de la Cour d’honneur où elles résonnent souvent avec un timbre plein d’émotion. Véritable chef de chœur, Tiago Rodrigues lance bras et jambes pour accompagner la récitation de chacune, de chacun. Il souffle, marche, monte dans les gradins pour voir de plus loin les participants à cet étrange et sublime exercice de mémorisation en public. Facétieusement, il ne manque évidemment pas de plaisanter sur les difficultés ponctuellement rencontrées. Son sens du spectacle réjouit tout le monde et des salves de rire s’élèvent régulièrement depuis le public quand il réagit aux bourrasques de mistral qui font que les pages des livres posés au sol tournent à grande vitesse, quand il digresse sur des devinettes lui permettant de saluer les Portugais dans la salle ou encore sur… Dark Vador, nommé ainsi seulement en français. De même donc, il tance avec légèreté les volontaires qui trébuchent sur telle ou telle partie du vers qu’ils doivent apprendre, avec force remarques et grimaces. « Le public adore l’échec. C’est la vulnérabilité. Joli mot… » Justement, il ne perd jamais une occasion de glisser son amour des beaux textes, des jolis mots. Sa première récitation en anglais du sonnet 30 en témoigne : la voix grave et retentissante laisse aussi bien entendre chaque vers que tous les silences qui sont comme la respiration du texte.

 

Arrivant au terme de ce curieux apprentissage par cœur, après avoir dégusté une feuille en hostie sur laquelle le sonnet est imprimé – les nourritures spirituelles et terrestres se confondent alors, les dix personnes sur scène vont en effet réciter en chœur les quatre premiers vers et ajouteront les dix suivants – un pour chacun d’entre eux – sans erreur. Un silence de cathédrale règne dans le Cour d’honneur. Il s’amplifie encore quand, sans transition, Tiago Rodrigues récite lui-même en langue portugaise le sonnet 30, comme il l’a certainement fait autrefois dans un authentique geste d’amour à Candida, sa grand-mère qui avait perdu la vue.

C’est alors à un moment aussi exceptionnel que poignant qu’on assiste. Les quelques deux mille spectateurs se lèvent comme un seul homme et applaudissent. Longtemps. On salue le spectacle qui s’achève, avec Tiago Rodrigues et les dix récitants. On salue Françoise Morvan, traductrice de la nouvelle version du sonnet choisie pour la Cour, appelée sur scène. On salue le travail des personnels du festival d’Avignon qui rejoignent en masse et à sa demande le directeur de cette soixante dix-septième édition et qui honorent la mémoire de Cédric Vautier, membre de l’équipe récemment décédé. On salue enfin cet événement plein de grâce dont on peut dire qu’y participer était une joie à nulle autre pareille.

 

Malgré les réserves de certains, les critiques sévères compréhensibles ou parfois scandaleusement injustes sur certains spectacles de la programmation, on peut dire que le nouveau directeur conclut de façon absolument remarquable cette édition, conclusion qui n’est pas sans rappeler les mots de Vilar lui-même : « L’art du théâtre ne prend toute sa signification que lorsqu’il parvient à assembler et à unir ». Sans doute, faut-il les faire encore entendre. Et même les retenir par cœur.

 

Thierry Jallet / Wanderer

 

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By Heart
Texte, mise en scène et interprétation : Tiago Rodrigues
Traduction : Thomas Resendes
Extraits et citations de William Shakespeare, Ray Bradbury, George Steiner et Joseph
Brodsky
Traduction du sonnet n°30 de William Shakespeare : Françoise Morvan
Scénographie, costumes et accessoires : Magda Bizarro
Régie générale : André Pato
Régie son : Pedro Costa

Production exécutive : Otto Productions, Théâtre Garonne Scène européenne de Toulouse
D’après une création originale de la compagnie Mundo Perfeito
Coproduction : O Espaço do Tempo, Maria Matos Teatro Municipal
Avec le soutien de Camões Centre culturel portugais à Paris pour la
77e édition du Festival d’Avignon
Soutien à la création Governo de Portugal – DGArtes
Administration de production Nicolas Roux (Otto productions)
Production exécutive de la création originale Magda Bizarro, Rita Mendes

 

 

By Heart de Tiago Rodrigues, traduction Thomas Resendes, est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs

Les Sonnets de William Shakespeare, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, sont publiés aux éditions Mesures

Création : Novembre 2013 au Teatro Maria Matos (Lisbonne)

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July 26, 2023 4:54 PM
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Avignon. Alice au pays du réel : "The confessions" d'Alexandre Zeldin 

Avignon. Alice au pays du réel : "The confessions" d'Alexandre Zeldin  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan  20 juillet 2023

 

 

Après « Love », « Faith hope and charity » et « Un mort dans la famille », trois spectacles intenses explorant un lieu unique, avec « The confessions», Alexander Zeldin nous entraîne dans un périple entre l’Australie et l’Angleterre dont sa mère est l’héroïne. En nous surprenant, il nous ravit encore.

 

On avait découvert Alexander Zeldin à l’automne 2018, au Théâtre de l’Odéon et dans le cadre du Festival d’Automne, avec Love, un spectacle qui s’en tenait à un lieu unique : la salle commune d’un hébergement d’urgence dans une quartier de Londres (lire ici). Zeldin avait écrit après une très longue enquête et un travail d’improvisation mené avec une distribution mêlant amateurs et professionnels. On l’avait retrouvé trois ans plus tard avec Faith, hope and Charity où tous se passait dans une cantine pour pauvres condamnée à disparaître en raison d’une opération immobilière (lire ici). Puis, en février 2022 à l’Odéon (dont il est désormais artiste associé), avec Une mort dans la famille, cette fois avec une distribution française, mêlant encore une fois amateurs et professionnels. Tout se passait dans la salle commune d’un EHPAD (lire ici).

 

 

Le voici pour la première fois au Festival d’Avignon, après la création en juin au festival de Vienne et avant l’Odéon cet automne, avec The confessions. Plus de lieu unique, mais autant d’endroits clefs qui jalonnent une vie, pas n’importe laquelle : celle d’Alice, la mère de Zeldin, née en Australie en 1943. Le fils s’est entretenu des heures avec la mère. Alice lui a parlé de sa jeunesse corsetée en Australie, de ses rêves d’université, de ses parents qui croyaient bien faire en l’incitant à épouser un homme plus âgé qu’elle n’aimait guère, son divorce, son départ pour Londres, son émancipation ( la mère lisait Simone de Beauvoir, son écrivaine préférée), la rencontre avec un juif né en 1930, père du futur Alexandre, etc.

 

 

On parcourt cette vie depuis la fin du lycée, dans des cuisines, des chambres, une salle de bain, etc. et avec des retours en arrière. Une distribution réunissant neuf interprètes qui jouent tous les rôles. Pour le cheminement de ce spectacle, le francophone et francophile Zeldin, ex assistant de Peter Brook, fait référence à l’autrice britannique Rachel Cusk et à l’écriture d’Annie Ernaux. Il a aussi retrouvé pour l’occasion l’un des ses amis de jeunesse, le chanteur du groupe Foals, Yannis Philippakis qui signe la musique du spectacle. Comme à chaque fois, Zeldin n’arrive pas aux répétitions avec un texte définitif, loin de là, tout se remodèle au gré des répétitions.

 

The confessions, récit plus classique d’une vie (même si la chronologie en est chahutée) entraîne un jeu de changements de décors à vue un peu comme des poupées gigognes ou encore l’usage de rideaux rouges. Un piège destiné à mieux nous entraîner dans les charivaris de la vie d’Alice. Comment de fille obéissante elle deviendra féministe militante, comment l’art peut être émancipateur. Alors on la suit depuis le bal des cadets à la fin de ses études, son échec à obtenir son diplôme alors que ses parents aux revenus modestes se sont serrés la ceinture pour elle, son repli sur le métier d’institutrice et un mariage avec un homme de la marine qui n’est jamais là. Et puis le début d’une autre vie qui commence par le divorce, la reprise des études, la rencontre avec des artistes, le départ pour Londres. Et ainsi de suite. Nommons à tous le moins les deux formidable actrices qui incarnent Alice aux différents âges de la vie, Eryn Jean Nowill et Almeda Brown.

Ce n’est peut-être pas le spectacle le plus incisif de Zeldin ; inégalable pour faire vivre le lieu d’une collectivité populaire, mais c’est assurément celui qui traverse le plus sa vie personnelle. La vie et l’amour y sont plus forts que la haine et la mort.

 

Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan

 

 

Festival d’Avignon, à la Fabrica, jusqu’au 23 juillet à 16h (sf le 20).

A la rentrée : Odéon – Théâtre de l’Europe, du 29 sept au 14 oct, Comédie de Genève du 8 au 12 nov, Théâtre de Liège du 15 au 18 nov, Comédie de Clermont-Ferrand, du 22 au 24 nov, Théâtres de la Ville de Luxembourg du 3 au 5 mai

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July 26, 2023 8:52 AM
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A Avignon, « By Heart », de Tiago Rodrigues, magnifique expérience autour de la mémoire et de l’amour de la littérature

A Avignon, « By Heart », de Tiago Rodrigues, magnifique expérience autour de la mémoire et de l’amour de la littérature | Revue de presse théâtre | Scoop.it


Par Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale) dans Le Monde - 26 juillet 2023

 

Drôle et délicat, le spectacle présenté en clôture du festival par son directeur a emporté le public.


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https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/07/26/a-avignon-by-heart-de-tiago-rodrigues-magnifique-experience-autour-de-la-memoire-et-de-l-amour-de-la-litterature_6183422_3246.html?fbclid=IwAR1yKrF_52J2dX2VuSId54NIAfKExpAQhTu7-LJBwIqQ193wvjqwEim-WAY

 

Deux mille spectateurs qui se lèvent comme un seul homme – ou une seule femme – dans la cour d’honneur du Palais des papes. C’est peu de dire que le Festival d’Avignon s’est bien terminé, mardi 25 juillet au soir : Tiago Rodrigues a mis le public dans sa poche en moins de deux avec son spectacle By Heart, en l’entraînant, avec un abattage de stand-upeur, dans une magnifique expérience autour de la mémoire et de l’amour de la littérature.

Le directeur du Festival est d’abord seul sur le grand plateau, devant la haute muraille médiévale du Palais. Puis, il invite dix spectateurs – qui ici seront des spectatrices, quasi exclusivement – à monter sur scène. Il les prévient qu’elles devront apprendre un texte par cœur : le sonnet numéro 30 de William Shakespeare.

 

 

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Pourquoi ce texte-là ? La réponse va tenir dans un étourdissant emboîtement d’histoires, qui commence avec celle de la grand-mère de Tiago Rodrigues, Candida. Cette femme qui n’a pas pu étudier et qui tenait un bistrot avec son mari a toujours beaucoup lu. Quand elle a, dans son grand âge, commencé à devenir aveugle, elle a demandé à son petit-fils de lui conseiller un livre qu’elle pourrait apprendre par cœur et avec lequel elle pourrait vivre. Tiago Rodrigues a mûrement réfléchi et lui a apporté les Sonnets, de Shakespeare.

 

 

 

Pourquoi ? Nouvelle réponse, qui nous mène vers le grand professeur de littérature George Steiner, et à une interview célèbre qu’il a donnée à la télévision néerlandaise, intitulée « De la beauté et de la consolation ». Puis vers Boris Pasternak, qui sauva sa peau grâce à ce sonnet numéro 30. Et de là vers le poète russe Ossip Mandelstam, dont la femme, Nadedja, a sauvé les poèmes de la disparition en les faisant apprendre par cœur par une brigade d’amis. Avant de glisser vers Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, cette dystopie où les livres sont devenus interdits.

 

 

Tiago Rodrigues, pendant ce temps, ne perd pas de vue son objectif de faire apprendre By Heart, le fameux sonnet numéro 30, à son escouade du soir. Et il y arrive. Le nouveau directeur du Festival n’aurait pu mieux dire qu’avec ce spectacle drôle et délicat sa vision du théâtre comme art de mémoire, d’interprétation et de traduction.

 

 

Fabienne Darge (Avignon, envoyée spéciale du "Monde")

 

 

Légende photo : « By Heart », de Tiago Rodrigues au Festival d’Avignon 2023. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

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