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December 25, 2020 7:59 PM
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A l’Opéra, la diversité entre en scène

A l’Opéra, la diversité entre en scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Elise Karlin dans  M le magazine du Monde 25/12/2020

 

ENQUÊTE

 

Maquillage inadapté, représentations coloniales dans le répertoire, danseurs grimés ou plafond de verre dans le recrutement… Dans le sillage de Black Lives Matter, des salariés métis et noirs de l’Opéra de Paris ont publié cet été un manifeste qui s’interroge sur la prise en compte de la diversité dans leur institution.

 

Ce soir-là, le grand jeune homme porte un costume noir. Il se tient en haut de l’escalier du Palais Garnier et il attend ses invités. La soirée ne va pas tarder à commencer, une foule de gens élégants montent les marches en discutant. Soudain, passant devant ce grand jeune homme en costume noir, une spectatrice ouvre machinalement son sac et le lui présente. Le grand jeune homme se raidit mais reste absolument souriant : « Madame, vous faites erreur. Je ne suis pas la sécurité. » Déjà, son interlocutrice s’éloigne, à peine ennuyée. Pourquoi s’est-elle trompée ? Parce que le grand jeune homme en costume noir a la peau foncée. Dans l’inconscient du public de l’Opéra de Paris, si vous n’êtes pas blanc vous n’êtes pas de la maison.

L’expérience du racisme ordinaire

Et pourtant. Binkady-Emmanuel Hié n’est pas agent de sécurité, il est chef de projet événementiel à l’AROP, l’Association pour le rayonnement de l’Opéra de Paris, l’un des soutiens les plus actifs d’une institution tricentenaire qui compte deux salles de spectacle – l’une au Palais Garnier et l’autre place de la Bastille –, une académie et une école de danse. L’Opéra de Paris, c’est plus de 93,9 millions d’euros de subventions publiques en 2020, pour 230 millions de budget annuel – presque la moitié des ressources de cette entreprise durement frappée par une grève de plusieurs mois en 2019, puis par la pandémie de Covid-19. Alors que les aides de l’État ne cessent de diminuer, le mécénat culturel est une nécessité.

Donc, être cadre à l’AROP, c’est œuvrer à la survie de l’Opéra de Paris. Ancien avocat au barreau de Paris, Binkady-Emmanuel Hié s’est reconverti en avril 2017. Présent, très investi, il n’est cependant pas surpris le jour où il entend : « Tiens, un Noir qui veut faire sa place à l’Opéra… » Sans compter la question systématique : « Vous venez d’où ? » Comme s’il était impensable qu’il soit bordelais, né d’une femme blanche et aux cheveux roux. « Le pays de mon père, le Burkina Faso, j’y ai mis les pieds une fois. »

 

Le trentenaire raconte ainsi le racisme ordinaire de son environnement professionnel, les clichés, les plaisanteries déplacées lancées sans réfléchir, et lui qui se tait. Il parle aussi de son enfance de premier de la classe, bien élevé, toujours gentil, soucieux de ne pas se faire remarquer. Plus tard, la classe prépa puis l’école des avocats, et toujours la même obsession : se fondre dans un décor presque exclusivement blanc. « Je ne voulais surtout pas me retrouver avec l’étiquette “militant” collée dans le dos. »

Le tournant du 25 mai

Jusqu’au 25 mai 2020. Jusqu’à ce qu’il voie la vidéo d’un homme noir en train de mourir étouffé sous le genou d’un policier blanc dans une rue de Minneapolis. Les images de l’agonie de George Floyd, ses cris désespérés, « I can’t breathe ! », embrasent les États-Unis et les réseaux sociaux. « Black Lives Matter ! », scandent des manifestants un peu partout dans le monde. Pour la première fois, dit Binkady-Emmanuel Hié, il s’interroge sur son identité, sur la couleur de sa peau, sur ces remarques qu’il encaisse sans broncher depuis des années.

 

Il en parle avec des amis dans la même situation que lui, des danseurs du corps de ballet de l’Opéra de Paris, Letizia Galloni, Awa Joannais, Isaac Lopes Gomes, Guillaume Diop et Jack Gasztowtt. La première est sujet, le grade intermédiaire dans la hiérarchie des danseurs, après premier danseur et étoile, qui offre quelques solos sur scène. Les suivants sont quadrilles, le cinquième échelon, et sont donc dans le corps du ballet.

Ils sont tous métis, français nés d’un père ou d’une mère d’origine africaine. Ils ont tous l’expérience de la singularité dans une compagnie où ils sont les seuls, sur 154 danseurs, à ne pas avoir la peau claire des danseurs blancs européens ou asiatiques ; les seuls dont les cheveux crépus sont plus difficiles à coiffer ; les seuls à qui les traditionnels collants chair font les jambes grises ; le satin rose des chaussons pointes tranche à leurs pieds, et les fonds de teint pour « type européen » ne sont pas adaptés à leur carnation. Jusqu’ici, ils n’ont jamais rien dit.

Des histoires qui se ressemblent

Leurs histoires se ressemblent. Et leur histoire les rassemble. Une même volonté de se faire oublier, de rester à sa place, de ne jamais se mettre en avant. Les mêmes remarques, à l’école de danse : « Elle ne sera jamais prise à l’Opéra, elle est noire ! », murmurent les petites ; « Moins cambrée ! Ne te tiens pas comme une négresse », lance un professeur. Ensuite, après la réussite au concours, viennent l’angoisse de déparer dans un ballet dont l’homogénéité fait la fierté, l’appréhension du regard des autres, la crainte de la rumeur qui laisserait entendre que vous avez obtenu un rôle à cause de votre différence, et non grâce à vos compétences. Très longtemps, pour ceux-là, garder le silence a été la seule réponse. Sous une coupole hiérarchisée à l’extrême où il est mal vu de se distinguer, ils ne voulaient donner à personne une raison de les écarter.

 

 

« Du jour où je suis entrée dans la compagnie de l’Opéra de Paris, je me suis définie uniquement comme une danseuse, point. Ma maman n’a jamais rien dit, alors que ça a dû être douloureux pour elle de sentir sa culture reniée. La mort de George Floyd m’a poussée à agir. » Awa Joannais, quadrille

 

 

Le premier confinement est un choc. « Obligée de m’arrêter de travailler, j’ai pris du recul. Ça ne m’était pas arrivé depuis neuf ans, résume Awa Joannais, quadrille. J’ai commencé à réfléchir à ma différence, à mes origines. Je me suis rendu compte que j’avais complètement effacé le Mali, le pays de ma mère. Du jour où je suis entrée dans la compagnie de l’Opéra de Paris, je me suis ­définie uniquement comme une danseuse, point. Ma maman n’a jamais rien dit, alors que ça a dû être douloureux pour elle de sentir sa culture reniée. La mort de George Floyd m’a poussée à agir. »

Guillaume Diop, quadrille, souligne d’abord qu’il a beaucoup regretté l’absence de réaction officielle du Ballet de l’Opéra national de Paris, quand une compagnie aussi prestigieuse, le New York City Ballet, a soutenu publiquement le mouvement en affichant sur son compte Instagram le 31 mai : « New York City Ballet stands with you #BalletRelevesForBlackLives. » Début juin, ils sont donc quelques-uns, à Paris, qui discutent et s’indignent de l’indifférence de leur ballet, quand ceux de New York et de Londres ont déjà mis en place des groupes de travail ou proposé des conférences pour discuter des problèmes liés à la représentation des minorités.

Un vrai débat

Ils évoquent leurs propres expériences. Ils s’enflamment. Décident d’écrire un manifeste, dont ils souhaitent simplement une diffusion interne, pour que l’absence de diversité au sein de l’Opéra cesse d’être taboue. Dans leur texte, « De la question raciale à l’Opéra national de Paris », ils réclament un vrai débat sur les attitudes, les habitudes, le répertoire – sur ce qui dévalorise ou stigmatise. Le « blackface » pour les personnages noirs, le yellowface pour les Asiatiques, des pratiques qu’ils décrivent comme « destinées à exagérer et tourner en dérision, avec condescendance, les traits des individus racisés », mais aussi les « actes blancs », les propos blessants…

 

Il faut parler de tout, et avec tout le monde. Binkady-Emmanuel Hié contacte Christian Moungoungou et Florent Mbia, les deux barytons africains des chœurs de l’Opéra, pour montrer que l’absence de diversité concerne toute la maison, du ballet au lyrique. Il leur demande de s’associer à ce texte qu’ils veulent clair et sans polémique : non, l’Opéra n’est pas une institution raciste, mais, oui, certains salariés souffrent de se sentir discriminés, qu’il s’agisse de la couleur de leur peau ou de leur façon de manier la langue française, notamment pour certains artistes venus d’Asie. Cela doit changer.

 

L’arrivée anticipée du nouveau directeur de l’Opéra de Paris va faci­liter le dialogue. Alexander Neef débarque de Toronto, où il a dirigé la Canadian Opera Company ; au Canada, comme dans toute l’Amérique du Nord, la question de la représentation des minorités est un sujet majeur. Ainsi des pratiques du « blackface » et du « yellowface », abandonné(e) s par le New York City Ballet et le Royal Ballet de Londres en 2014 et 2015, où, à défaut de foncer des visages blancs, il est fait appel à des artistes réellement métis ou noir.

Un directeur à l’écoute

Avant même son premier rendez-vous avec les auteurs du manifeste, en juin, Alexander Neef a évoqué avec le directeur général adjoint de l’Opéra de Paris, Martin Ajdari, l’idée de confier à des personnalités extérieures une réflexion sur l’état des lieux. « J’étais très étonné, se souvient-il, qu’on parle principalement de l’égalité entre les hommes et les femmes et si peu de la diversité. Dans une mission de service public, si on prend les choses au sérieux, c’est un sujet qu’on ne peut pas ignorer. »

 

 

« C’est d’abord leur attachement à la maison qui m’a impressionné. Aux États-Unis, la contestation l’emporte souvent sur la concertation. Là, il était clair qu’ils cherchaient l’échange, pas l’ouverture des hostilités. » Alexander Neef, directeur

 

Constance Rivière, secrétaire générale du Défenseur des droits, ancienne collaboratrice de François Hollande à l’Élysée, et l’historien Pap Ndiaye, professeur à Sciences Po, spécialiste des minorités, sont mandatés pour apporter des réponses aux problèmes structurels, notamment l’accès des danseurs de couleur aux rôles emblématiques du répertoire classique, et aux questions conjoncturelles, comme les conditions de représentation des œuvres où des rôles stéréotypés comme Abderam, le chef des Sarrasins dans Raymonda, ou les Indiens dans La Bayadère caricaturent l’indigène, vestige des plus belles heures du colonialisme. à l’intérieur de l’institution, la direction rencontre les auteurs du manifeste : « C’est d’abord leur attachement à la maison qui m’a impressionné, dit Alexander Neef. Aux États-Unis, la contestation l’emporte souvent sur la concertation. Là, il était clair qu’ils cherchaient l’échange, pas l’ouverture des hostilités. »

 

Surtout, ne pas braquer. Dans l’esprit des auteurs du manifeste, ce qu’ils considèrent comme « l’erreur de Benjamin Millepied » tient lieu de garde-fou : directeur de la danse pendant un peu plus d’un an, entre novembre 2014 et février 2016, Millepied a soulevé contre lui une grande partie des salariés en refusant, pour la première fois, de grimer de jeunes danseurs dans un tableau de La Bayadère, ballet romantique dont l’action se situe en Inde. A ceux qui s’indignent de cette rupture avec la tradition esthétique maison et exigent une discussion préalable, il oppose un refus ferme et définitif de perpétuer ses pratiques qu’il juge d’un autre temps. Dans le même esprit, il modifie sans concertation le nom du tableau incriminé : fini la « Danse des négrillons ». Ce sera désormais la « Danse des enfants ». Dans les couloirs, on fustige son tropisme « américain », on s’inquiète d’un premier pas vers une « ségrégation positive ».

Les tentatives malheureuses de Benjamin Millepied

La presse n’est pas moins irritée lorsque Millepied, en 2013, avant même d’entrer en fonction, s’émeut dans le magazine Têtu de « l’absence de danseurs de couleur » au sein de la compagnie : « Cette déclaration fracassante, tendant à faire croire aux bonnes âmes que la danse classique serait raciste, est aussi sotte, quoique plus politiquement correcte, que le fait de regretter qu’il y ait trop de joueurs noirs dans l’équipe de France de football », écrit le journaliste Olivier Bellamy sur le site du Huffington Post« La compagnie ne pratique aucun ostracisme envers les danseurs de couleur », rétablit Ariane Bavelier dans Le Figaro, citant l’Eurasien Charles Jude, l’étoile d’origine berbère Kader Belarbi, Jean-Marie Didière, d’origine africaine, ou encore Raphaëlle Delaunay, d’origine antillaise.

 

« C’était trop tôt, je n’étais pas prête. J’ai eu peur, peur qu’on me résume à la couleur de ma peau. » Letizia Galloni

 

« Le ballet est donc bel et bien à l’image de la France, et la réflexion de Millepied plus conforme à l’esprit américain qu’à la réalité du Ballet de l’Opéra », conclut la journaliste. L’heure n’est pas à la révolution et la liberté du directeur de la danse heurte les conservatismes. Son choix de confier le premier rôle à une jeune métisse, Letizia Galloni, dans La Fille mal gardée, lui vaut de nouvelles critiques. Presque personne ne le soutient, pas même la danseuse : « C’était trop tôt, je n’étais pas prête, se souvient-elle. J’ai eu peur, peur qu’on me résume à la couleur de ma peau. »

La fronde disparaît avec le départ de Benjamin Millepied, début 2016La vie reprend comme avant. Aurélie Dupont, nouvelle directrice de la danse, suggère quand même d’aller chercher dans les quartiers défavorisés de jeunes danseurs pour les encourager à passer le concours de l’école de danse de l’Opéra de Paris, alors que 95 % du corps de ballet vient de l’école. Élisabeth Platel, la directrice de l’école, s’y oppose : elle refuse, explique-t-elle aujourd’hui, de donner de l’espoir à des gens qui pourraient, s’ils échouaient à intégrer le ballet de Garnier, lui reprocher d’être venue les chercher. Le directeur de l’époque, Stéphane Lissner, ne retient pas la proposition d’Aurélie Dupont.

Une vraie révolution

En 2017, il présente aux mécènes un court-métrage réalisé par l’artiste Clément Cogitore dans lequel des jeunes de toutes les origines et de toutes les morphologies, en sweat-shirt-bombers-baskets, dansent du krump, une sorte de hip-hop, sur le plateau de l’Opéra Bastille au son de Rameau et des Indes Galantes. Six minutes stupéfiantes plébiscitées par le public, nommées aux Césars, mais huées par un certain nombre de donateurs furieux. La direction ne réagit pas.

 

Pas plus qu’elle n’intervient, en avril 2017, au courrier d’un artiste du chœur, Bernard Arrieta, qui reproche au metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov de « choisir très précisément les gens à mettre en évidence et ceux qu’il veut laisser discrètement derrière » – les barytons noirs et asiatiques – dans sa version de La Fille des neiges. Et qu’elle ne se manifeste pas non plus lorsqu’un chef de chœur écorche régulièrement les noms des artistes coréens et s’agace ostensiblement de ne pas les comprendre lorsqu’ils s’expriment en français.

 

 

« Pour réussir une rénovation profonde, pour que dans dix ans, les minorités soient mieux représentées à l’Opéra, il fallait une vraie réflexion. Je l’ai confiée à des personnalités extérieures dans un souci d’objectivité accrue, d’une plus grande liberté de parole. » Alexander Neef

 

Le silence, la gêne, Guillaume Diop, Awa Joannais, Binkady-Emmanuel Hié, Isaac Lopes Gomes, Letizia Galloni, Christian Moungoungou et les autres n’en veulent plus. Ils sont convaincus que, cette fois, le moment est venu, qu’ils vont être entendus. Et ils ont raison : la nouvelle direction réagit très vite, avant même que le manifeste soit envoyé par e-mail aux salariés de l’Opéra. Sur le principe, elle acte la disparition « des pratiques issues de l’héritage colonial et/ou esclavagiste » qui consistent à maquiller les artistes pour qu’ils correspondent à la vision de l’exotisme du créateur de l’œuvre.

 

Une révolution qui touche au cœur d’un patrimoine toujours marqué par les choix esthétiques de Rudolf Noureev, directeur de la danse de l’Opéra de Paris de 1983 à 1989 – La Bayadère, Le Lac des cygnes, Casse-Noisette… « Certaines œuvres vont sans doute disparaître du répertoire, confirme Alexander Neef. Mais ça ne suffira pas. Supprimer ne sert à rien si on ne tire pas les leçons de l’histoire. Pour réussir une rénovation profonde, pour que dans dix ans, les minorités soient mieux représentées à l’Opéra, il fallait une vraie réflexion. Je l’ai confiée à des personnalités extérieures dans un souci d’objectivité accrue, d’une plus grande liberté de parole. »

Des vêtements et des fards adaptés

Le souhait d’obtenir des vêtements et des fards adaptés aux carnations foncées est plus simple à exaucer. La directrice de la danse, Aurélie Dupont, « heureuse que l’on parle enfin de ce sujet », prend rendez-vous immédiatement avec les services concernés. Fin octobre, quatre mois après l’avoir demandé, Letizia Galloni et Awa Joannais enfilent des pointes fabriquées dans un satin beaucoup moins rose, au milieu de costumières enthousiastes.

 

« Je danse depuis quinze ans et c’était la première fois que j’enfilais des pointes de la bonne couleur », s’amuse Awa Joannais – des pointes que le fabricant britannique Freed of London n’a commencé à commercialiser que très récemment. Letizia Galloni a désormais une coiffeuse pour s’occuper de ses cheveux crépus, qu’elle a défrisés et coiffés elle-même pendant des années. Au maquillage, les deux danseuses n’ont plus besoin d’apporter leur propre fond de teint – « on peut arriver les mains dans les poches, comme les autres », résument-elles.

 

Christine Neumeister, directrice des costumes à l’Opéra de Paris, regrette leur long silence : « J’avoue que j’ai été surprise en lisant leur manifeste. J’ai découvert leurs revendications ! Comment aurai-je pu y répondre avant, alors qu’elles ne nous ont jamais sollicitées, mes équipes et moi ? Depuis trente-cinq ans, mon métier consiste à gérer le sur-mesure, à m’adapter à toutes les carnations, à toutes les situations. Quand Aurélie Dupont est venue discuter, elle prêchait une convaincue. Je regrette simplement cette absence de communication. »

La peur de sortir du rang

De nouveau, les auteurs du manifeste mettent en avant la peur, constante et paralysante, de sortir du rang. Leurs parents sont modestes : mères au foyer, infirmières, électriciens, rarement familiers du milieu artistique et de ses codes. Au sein du ballet, le respect de la discipline prime sur l’expression de l’individualité, et la compétition renforce l’inquiétude de se singulariser. La danse, c’est leur vie. Certains en ont déjà payé le prix, isolés de leur famille, fâchés parfois avec un père qui rêvait pour son fils d’une carrière de footballeur, loin d’un milieu encore souvent associé à l’homosexualité.

 

Contrairement à leurs camarades, ces danseurs ont eu assez peu de modèles identificatoires : pour plusieurs générations d’étoiles à la peau claire, combien de Misty Copeland ? « J’ai choisi Letizia comme petite mère [marraine] parce qu’elle me ressemblait », dit Guillaume Diop. Awa Joannais a fait pareil, et avant eux Letizia Galloni, qui avait elle aussi choisi un « petit père » (parrain) métis.

Au moment d’envoyer leur manifeste à tous les salariés de l’Opéra, ils ont de nouveau hésité. Et si leur audace leur coûtait une place en concours ? « Alexander Neef a envoyé un e-mail général pour soutenir notre démarche, tient à souligner Letizia Galloni. C’était très important. » « Nous ne voulions pas renverser la table, nous demandions que s’ouvre le dialogue », souligne le chanteur lyrique Christian Moungoungou, appuyé par son collègue Florent Mbia : « Nous avions peur d’un scandale, qu’on nous reproche notre initiative. La réaction de la direction, ouverte et attentive, nous a donné la force de continuer. »

Moins de 300 signatures

La force de continuer malgré l’indifférence, souvent, l’incompréhension, parfois, voire l’hostilité des salariés de l’Opéra : envoyé le 24 août à plus de 1 500 personnes, le manifeste a recueilli moins de 300 signatures. Il y a ceux qui n’ont pas lu ces revendications ; ceux qu’elles agacent ; ceux qui ne les comprennent pas ; ceux qu’elles n’intéressent pas. Même au sein du ballet, beaucoup ne se sentent pas concernés, ce qui stupéfie Germain Louvet, danseur étoile engagé à gauche, gréviste au moment de l’opposition à la réforme des retraites : « A partir du moment où vous mettez un pied en scène à côté d’un danseur qui est concerné, vous êtes concerné ! Je pense que beaucoup d’incompréhensions viennent d’une méconnaissance du contexte historique des œuvres, du passé colonial de la France. »

 

 

« Il ne faut pas attendre qu’un gamin noir qui vit dans une banlieue défavorisée se présente à l’école, il faut aller le chercher. » Germain Jouvet, étoile

 

« A 12 ans, j’ai été négrillon dans La Bayadère, et je trouvais ça normal. Je n’avais pas la culture historique pour comprendre que le ‘‘blackface’’ représentait un fantasme d’exotisme, un divertissement, pas la réalité. J’ai mis du temps à mesurer à quel point j’étais prisonnier de ma culture, la culture occidentale. Ce travail de contextua­lisation, d’explications me paraît essentiel. » Expliquer, ouvrir, aussi : « Il ne faut pas attendre qu’un gamin noir qui vit dans une banlieue défavorisée se présente à l’école, dit Germain Louvet, il faut aller le chercher. »

 

Il n’est pas le seul à le penser : pour beaucoup, l’absence de diversité à l’école de danse de l’Opéra serait le cœur du problème. La directrice de l’école, l’ancienne étoile Élisabeth Platel, s’insurge : « Pourquoi sont-ils si peu nombreux à se présenter ? Parce qu’ils pensent que cette école est réservée aux élites. C’est faux ! Toutes les classes de la société sont représentées ; la scolarité est gratuite, les chaussons sont fournis. Changer notre image est une nécessité, mais il ne faut pas que cela se fasse aux dépens de notre niveau d’exigence. »

 

Si l’abandon du « blackface » est pour elle une évidence, en revanche, renoncer à blanchir les personnages de fantômes lui semble une hérésie esthétique. Élisabeth Platel insiste, évoquant le souvenir d’une fillette noire en larmes parce qu’elle était la seule à ne pas avoir été blanchie au maquillage. Son ultime réticence : toucher à l’homogénéité du corps de ballet, « propre à l’esthétisme européen », rappelle-t-elle. Le poids, la taille, la norme doivent être les mêmes pour tous. Un discours sur la force de la tradition paradoxal dans la bouche de celle qui incarna la modernité et le souffle frais du renouveau lorsqu’elle prit la direction de l’école, en 2004, en remplacement de la redoutée Claude Bessy, qui la dirigeait depuis 1972 et dispensait un enseignement réputé pour sa sévérité…

 

« Cette question de l’uniformité du ballet blanc, sous couvert de ­relever de considérations exclusivement esthétiques, mérite réflexion, relève pourtant Martin Ajdari. Comme certains stéréotypes véhiculés dans le répertoire, qui traduisent une représentation européo-­centrée, et ses préjugés. Ces questions ne touchent pas ­simplement au répertoire. Nous avions engagé ce travail peu avant la prise de fonction d’Alexander Neef ; sa démarche et nos réflexions ont concordé. »

Des conservatismes qui ont la peau dure

Et, effectivement, les auteurs du manifeste louent la volonté de l’Opéra, ces dernières années, de mettre en place des politiques pour atteindre de nouveaux publics, d’origines sociales différentes. Ils évoquent aussi le travail « exemplaire » de ­l’Académie et de sa directrice, Myriam Mazouzi, qui développe des projets d’éducation artistique et culturelle pour rendre l’Opéra plus ­accessible. Mais il suffit de regarder les musiciens dans la fosse, les techniciens, l’administration, le public pour le comprendre : on y voit presque uniquement des visages blancs. Ainsi, les seuls Noirs qui apparaissent dans le film de Jean-Stéphane Bron, L’Opéra, sont les agents d’entretien.

 

Quant au public, il n’est pas moins ­conservateur : « Bientôt Village People à l’Opéra », regrettait un commentaire laissé par un internaute à la suite d’un article du Monde sur la volonté de l’institution d’engager une réflexion pour plus de diversité en son sein, mais aussi parmi les artistes invités ou les metteurs en scène extérieurs. Un membre de l’administration raconte avoir un jour invité des amis antillais. Il les a aperçus tout de suite dans la salle où il les cherchait des yeux : ils étaient les seuls à ne pas être blancs. « Comment peut-on donner envie à leurs enfants ? Parmi les spectateurs, parmi les danseurs, personne ne leur ressemble ! » Malgré un effort sur les prix des places, l’Opéra semble par ailleurs toujours inaccessible à beaucoup de Français.

 

Les conservatismes ont la peau dure partout dans le monde. La sœur d’Isaac Lopes Gomes, Chloé Lopes Gomes, une danseuse de 29 ans formée à l’Académie du Bolchoï, a raconté au Guardian, le 9 décembre, le harcèlement dont elle a été victime pendant les deux ans qu’elle a passés au Staatsballet de Berlin. Un calvaire qui a commencé dès son arrivée, en 2018 : « Une femme noire gâche l’esthétique du ballet », a lancé sa professeur en découvrant la jeune danseuse, première métisse à intégrer cette compagnie.

Rien d’aussi direct à l’Opéra de Paris, mais la mission confiée à Constance Rivière et à Pap Ndiaye a suscité de nombreuses réticences en interne parmi ceux qui redoutent une   « américanisation » de l’Opéra de Paris, qui craignent que la diversité implique une entorse à l’excellence, ou qui ne voient pas de lien entre esthétisme et racisme. Au fil du temps pourtant, beaucoup de salariés ont souhaité rencontrer les deux rapporteurs.

 

Leur travail, initialement attendu mi-décembre par la direction de l’Opéra, ne sera finalement pas rendu avant la mi-janvier. Cinq mois pour réexaminer la norme morphologique et chromatique qui définit l’excellence à l’Opéra de Paris, pour repenser la manière d’incarner et de jouer la tradition, pour démocratiser l’institution sans la vulgariser. En attendant, La Bayadère, le chef-d’œuvre de Noureev, a été diffusée le 13 décembre sur la nouvelle plate-forme numérique L’Opéra chez soi – le « blackface » a disparu de la « Danse des enfants ». D’ici à quelques mois, une annonce officielle ou un petit livret pourraient précéder le spectacle. Pour expliquer au public pourquoi la ­couleur de la peau ne peut pas être un élément anodin du décor.

 

Elise Karlin

 

Légende photo : De bas en haut et de gauche à droite, Letizia Galloni, sujet, Guillaume Diop, Awa Joannais, Isaac Lopes Gomes et Jack Gasztowtt, quadrilles. Karim Sadli pour M Le magazine du Monde

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June 9, 2015 6:24 PM
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Yassine Belattar à Béziers pour « sortir du tragique par le comique »

Yassine Belattar à Béziers pour « sortir du tragique par le comique » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Sandrine Blanchard dans son blog du Monde "Scènes de rire"


Il en est persuadé: "Face au Front national, le rôle des humoristes est primordial". Pour joindre l'acte à la parole, Yassine Belattar a lancé depuis quelques semaines, avec le soutien de Canal+, une "tournée interdite" dans les villes gérées par le FN. Cette idée est née après la déclaration de Patrick Bruel annonçant qu'il refuserait de se produire dans les communes passées aux mains de l'extrême droite. "Quel mépris", considère l'humoriste.


Après Hénin-Beaumont, Mantes-la-Ville et Marseille septième secteur, il sera,mercredi 10 juin à Béziers. "Nous voulons répondre aux provocations de Didier Ménard par la citoyenneté", explique cet humoriste français d'origine marocaine - et non pas musulmane "parce que la musulmanie n'est pas un pays". Il dit "nous"parce qu'il part avec ses collègues de Beur FM (radio sur laquelle il officie chaque jour) qui participent à cette opération baptisée "Républicains tout terrain". L'antenne sera délocalisée le temps d'une journée et proposera deux émissions en direct du théâtre biterrois Le Minotaure: la Matinale de 7h à 12h et Les Zinformés, de 14h à 17h. Cette "virée" se terminera avec le spectacleIngérable!, stand-up engagé que Yassine Belattar a coécrit avec son complice Thomas Barbazan et ses "copains" des Guignols (Philippe Mechelen, Lionel Dutemple, Julien Hervé).


Lire l'article entier : http://rires.blog.lemonde.fr/2015/03/19/yassine-belattar-face-au-fn-le-role-des-humoristes-est-primordial/

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June 7, 2015 12:25 PM
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Journal de ma nouvelle oreille

Journal de ma nouvelle oreille | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Véronique Hotte, pour Théâtre du blog :

 

Journal de ma nouvelle oreille d’Isabelle Fruchart, adaptation et  mise en scène  de Zabou Breitman
 
 C’est l’histoire autobiographique d’un appareillage auditif et de la renaissance qui s’ensuit. Suite à des otites répétitives, Isabelle Fruchart, adolescente ne dispose que de 70% d’audition à ses deux oreilles. Sa surdité détectée à quatorze ans, est diagnostiquée à vingt-six ans mais Isabelle Fruchart n’est appareillée qu’à trente-sept ans, tant elle est conditionnée par une vision diminuée d’elle-même; c’est une épreuve qu’elle rejette d’emblée, parce que vécue comme un handicap.


Mais les progrès du numérique sont tels, qu’elle accède enfin aux sons enfouis de son enfance: repères crus,oubliés puis reconnus,  bruits de vaisselle de la cuisine familiale, bribes mystérieuses des conversations parentales,  pluie qui tombe sur les vitres des fenêtres ou sur le zinc des toits,des bruits secs et sonores, chansons perdues dont on avait oublié mais dont on  savait les paroles par cœur, bruits de papier froissé, son des  instruments de musique, chuchotements énigmatiques, les aventures d’un personnage dans tel paysage oriental saisies à la radio, grâce au merveilleux Jacques Gamblin, sans oublier les voix feutrées des mots d’amour.


La comédienne fait, jour après jour, le récit de cet appareillage et de toutes les sensations issues du monde des sens, entre salut régénérateur et douleur. Dans la mise en scène de Zabou Breitman, l’interprète va et vient entre le mal-entendre, l’audition progressive, puis l’audition parfaite. Dans une posture philosophique est celle de la comparaison entre une vie présente renouvelée et une vie d’avant faussement « normale », faite d’efforts et de contraintes où tout l’être se tend,  pour comprendre les paroles lues sur les lèvres. Notre cerveau dispose en effet de multiples moyens d’attention pour compenser les déficiences.Le corps prend donc alors les devants et s’adapte aux manques, aux faiblesses et aux fragilités.


Journal de ma nouvelle oreille est un conte sur la capacité à survivre et à s’en sortir, dans n’importe quelque situation:  cette comédienne fait du théâtre mais mime, chante et fait de la magie mentale, les yeux bandés. Costumée en Charlot, Isabelle Fruchart se place à côté d’un écran qui diffuse les bribes d’un film muet chaplinesque en noir et blanc. Elle mime l’icône mythique et comique, répétant ses pas burlesques, depuis les images jusqu’à la vie sur scène. Malgré sa déficience auditive, refusant le rêve refuge, la jeune femme a toujours foncé, prenant en même temps des cours de chant, de danse et de musique.


Quand elle joue dans Cymbeline, un spectacle d’Hélène Cinque, l’actrice se jette dans la terre humide, après avoir pris soin de retirer ses « nouvelles oreilles ». Vibre alors un monde sonore, récupéré par l’artiste dans le partage des sensations, à travers une bande-son partenaire défilant en même temps dans toutes les têtes.


La comédienne «est» d’abord elle-même sur la scène, suscitant l’admiration. Un vrai partage, une saisie de l’aventure existentielle grâce aux sons.

 


 Véronique Hotte

Autre critique parue dans le blog "Hier au théâtre" : https://hierautheatre.wordpress.com/2015/06/04/la-touchante-reconquete-auditive-disabelle-fruchart/


 Théâtre du Rond-Point jusqu’au 4 juillet. T : 01 44 95 98 21

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June 2, 2015 2:33 AM
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Classe préparatoire intégrée

Classe préparatoire intégrée | Revue de presse théâtre | Scoop.it
La Comédie de Saint-Étienne, dirigée par Arnaud Meunier, est un Centre dramatique national et une école supérieure d'art dramatique.

 

L’École de la Comédie s’est engagée depuis septembre 2014 dans un programme Égalité des chances, unique en France, novateur et volontariste en vue de favoriser l’accès aux écoles supérieures d’art dramatique pour des jeunes gens issus de la diversité culturelle, sociale et géographique en Rhône-Alpes Auvergne. Cette démarche vise à ouvrir les scènes de théâtre à des talents qui, faute d’informations, d’encouragements ou de moyens, n’auraient pas tenté leur chance. Ce programme se décline sous deux formes principales : les stages égalité théâtre et la classe préparatoire intégrée. Il est soutenu par la Région Rhône-Alpes et la Fondation Culture & Diversité.

La classe préparatoire intégrée, lancée à la rentrée 2014-2015, est à destination des jeunes gens de 18 à 23 ans issus de la diversité culturelle, sociale et géographique en Rhône-Alpes Auvergne en vue de les préparer aux concours des douze écoles nationales supérieures d’art dramatique en France délivrant le Diplôme national supérieur professionnel de comédien (DNSPC) ou son équivalent. La formation, théorique et pratique, comprend environ 30 heures de cours hebdomadaires dispensés de septembre à juin. Elle s’articule autour de cours d’interprétation, de chant et de danse principalement. Elle est organisée au sein même de l’école. Tout au long de cette formation, les élèves bénéficient d’un parcours culturel spécialement conçu pour eux. Ils/Elles sont en relation directe avec les élèves-comédien(ne)s de l’école supérieure et les artistes de l’Ensemble artistique de La Comédie de Saint-Etienne – CDN. À cet accompagnement pédagogique s’ajoutent diverses aides matérielles : bourses d’établissement mises en place avec le soutien direct de la Fondation Culture & Diversité (5 500 € pour dix mois par élève) et prise en charge intégrale par L’École de la Comédie des frais liés aux concours (droits d’inscription, transports, hébergements). 

S’appuyant sur un réseau de partenaires-relais, le recrutement des élèves de cette classe préparatoire aura lieu entre le 27 avril et le 29 mai 2015.

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May 14, 2015 3:23 PM
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81 avenue Victor-Hugo, pièce d'actualité n°3 mise en scène d'Olivier Coulon-Jablonka,au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers

81 avenue Victor-Hugo, pièce d'actualité n°3 mise en scène d'Olivier Coulon-Jablonka,au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Martine Silber pour son blog marsupilamima :

 

C'est un face à face inattendu qui attend les spectateurs du Théâtre de la Commune d'Aubervilliers.
Dans la salle, le public,  majoritairement blanc et disposé à oublier les soucis quotidiens le temps du spectacle. Sur scène, huit hommes, pas des comédiens, des sans-papiers. Ils viennent tous du 81 avenue Victor Hugo, un squat qu'ils ont occupé aprè avoir été expulsés d'ailleurs une énième fois,  parce qu'ils ne voulaient plus se retrouver à la rue. Ils s'appellent Adama Bamba, Moustapha Cissé, Ibrahim Diallo, Mamadou Diomandé, Inza Koné, Souleyman S. , Méité Soualiho, Mohammed Zia.


Il aurait pu s'installer un certain malaise mais  les auteurs (Olivier Coulon-Jablonka qui assure la mise en scène, Barbara Métais-Chastanier et Camille Plagnet) ont réussi à éviter les pièges. Il fallait à la fois de l'honnêteté et un vrai sens du théâtre pour ne pas faire une pièce de théâtre sur les migrants, mais simplement leur laisser la parole. Une parole recueillie, écoutée, interrogée, transcrite  et reconstruite.


Pas d'artifice, pas de compassion, pas de culpabilisation. De la dignité.
La première peur passée, peur de la police, peur du Blanc, peur d'être repérés, ils ont saisi cette occasion de prendre la parole.
Ils sont droits, forts et ils parlent juste. Leurs récits se croisent, sans que l'on ait jamais l'impression d'un bric-à-brac, d'un fourre-tout.
 Et la mise en scène est à leur service. Peut-on parler de direction d'acteurs quand il ne s'agit pas d'acteurs? Chacun a sa personnalité, son discours, chacun tient à dire ce qu'il dit. Et chacun a été amené à le dire avec vérité.

Certains se définissent comme des aventuriers parce que des aventures, avant d'arriver là, à Aubervilliers, ils en ont connu. Ils ont accompli des périples presque incroyables. Ils ont traversé des pays, des frontières. Mais ils ont aussi souvent la nostalgie de la famille, d'une fiancée, d'un fils, de ce qu'ils ont sacrifié.

 

Lire l'article entier : http://marsupilamima.blogspot.fr/2015/05/81-avenue-victor-hugo-piece-dactualite.html

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May 9, 2015 7:10 PM
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Un texte de la comédienne Nanténé Traoré

Un texte de la comédienne Nanténé Traoré | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Africultures  :

 Diversité dans les théâtres : "Ouvrir les esprits, les espaces" -


« C’est pour dire, questionner ces histoires communes et singulières que je fais du théâtre ».

 


La France est et a toujours été un pays élitiste, avec un système pyramidal. Le plus souvent , la parole est donnée aux « têtes », aux « chefs ».Dans le débat sur le manque de diversité dans les théâtres , nous entendons donc essentiellement des metteur(e)s en scène.
Je suis comédienne, d’origine franco-malienne, et j’ai grandi dans les cités de la banlieue lyonnaise (Vaux-en-velin et Vénissieux). Je suis allée au collège dans le quartier des minguettes, où j’ai découvert le théâtre. Je me suis formée à l’université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, dans des cours privés, chez Véronique Nordey et enfin à l’atelier de Didier-George Gabily .Je veux parler ici depuis mon endroit de comédienne.


Si l’apprentissage de la technique, de la diction des vers, de la prose, est un formatage, alors j’ai été formatée. Tant mieux, car pour s’affranchir des règles, il faut d’abord les connaître et les maîtriser parfaitement. Une fois les années de formation terminées, tout mon travail est de faire entendre, sentir ( ressentir), un texte , une pensée, une langue. Je ne pense pas qu’il y ait une « manière » de dire, quel que soit le public auquel on s’adresse. Didier-Georges Gabily a écrit à ses acteurs : « ….Soyez , si c’est possible, et chacun à votre rythme, à votre force, celui qui fait le geste non reconnaissable, soyez la voix inouïe, le corps non repérable en ces temps de fausse sagesse et de vénale ressemblance. » C’est ce à quoi je m’attelle pour chaque création, car je crois profondément que cette voix inouïe, ce geste non repérable, peuvent toucher le cœur et l’esprit de n’importe quel spectateur. Lorsque je joue dans un spectacle, lorsque je dis un texte, mon travail consiste à la fois à être au plus proche de la langue de l’auteur, à me l’approprier avec ma singularité, à tenter de faire entendre ce qu’il y a dans et en-dessous de cette langue, entre les mots, à tenter de rendre palpable cette chose invisible, je me sens passeuse de sens, d’émotions. Et ce sens, cette émotion, j’ai le profond désir de les faire ressentir à chaque spectateur, dans son unicité.

 

C’est pourquoi je ne comprends pas que l’on puisse parler d’un «public des classes populaires. » Qu’est-ce que cela signifie ? Il faudrait donc former les jeunes issus de la diversité à dire les textes d’une certaine manière pour que les « classes populaires » puissent les entendre/comprendre ? Les dites « classes populaires » seraient donc une sorte de masse informe, qui pense, éprouve, ressent, en tous lieux et à tout moment la même chose ? Ils ne seraient donc pas des individus, uniques dans leurs singularités, leurs histoires, leurs désirs, leurs perceptions ? Et ces jeunes comédiens en devenir, parce qu’ils sont issus des minorités, devraient donc être formatés à un « phrasé » (ce mot-là est pour moi un barbarisme car ce qui concerne le travail du comédien, ce qui conduit le plateau, c’est la langue) qui serait « entendable » par les classes populaires ? Ce discours est incroyablement réducteur, enfermant dans des cases inamovibles des gens en raison de leur supposée appartenance sociale, ethnique ou culturelle. Il est de même nature que celui des « bien-pensants » qui affirme qu’un Noir ou un Arabe ne peut pas jouer un rôle dit classique (en fait un rôle appartenant au « patrimoine culturel français »), car « le public n’est pas prêt » .


Il est évident que les plateaux français regorgent de cette reproduction « du même », que l’on entend la plupart du temps les mêmes textes dits sur un même mode par les mêmes interprètes. La question du « comment dire » est essentielle, et il est évident qu’il y a aussi une réflexion à mener sur la formation (et donc sur qui forme les élèves comédiens). Je pense que si il y avait, chez les formateurs , plus d’artistes aux parcours différents, venant d’autres horizons que ceux des institutions, les choses seraient déjà un peu moins figées. Cela a déjà lieu dans certains endroits ( Nadia Vonderheyden par exemple travaille régulièrement à l’Erac). Il suffirait d’ouvrir un peu, les esprits , les espaces. Certains metteurs en scènes français vont donner des stages à l’étranger, généralement en Afrique subsaharienne francophone, ce serait sans doute très apprenant pour les élèves des écoles françaises de travailler avec des artistes venus du continent Africain.

 
J’en viens maintenant à la représentation des minorités ethniques dans nos théâtres. Cette question, éminemment politique, révèle à mon sens, l’impensé d’une partie de l’histoire de France. Pour citer Léonora Miano « les Français Noirs n’apparaissent pas dans les chapitres de la narration nationale. » Là aussi, je veux simplement parler en tant que comédienne métisse ( je le précise car il faut bien comprendre que le taux de mélanine joue également dans cette question de la représentation). Avant tout, je refuse d’être assignée à une place, quelle qu‘elle soit. Je revendique le droit d’interpréter TOUS les textes que je désire. Je désire traverser et être traversée par de grands textes, qu’ils soient classiques ou contemporains. Quand je lis que le directeur du théâtre de la colline déclare, lors du débat du 30 mars que « lorsque l’on distribue un acteur noir dans un rôle habituellement attribué à un blanc il faut que cela soit justifié (il le déplore) », je demande : Qui a énoncé ce diktat ?au nom de quoi ?pourquoi la plupart des metteurs en scènes programmés dans les grands théâtres y souscrivent ? Que veut dire « habituellement attribué à des blancs » ? Le théâtre a-t-il vocation à perpétuer des « habitudes » , aussi discriminantes soient-elles ? L‘art ne doit-il pas troubler, bousculer, déplacer, déranger ?


J’ai, dans mon parcours , eu la grande chance de rencontrer des metteur(e)s en scènes à l’esprit ouverts, curieux des autres, en prise direct avec le monde réel et aimant les acteurs. Gabily en tout premier lieu et aussi Catherine Boskowitz, pour qui j’ai interprété (entre autre) Bérénice de Racine. J‘ai également eu le grand bonheur de jouer des textes de Koffi Kwahulé, Léonora Miano, Guy Régis Jr , mais aussi Eschyle, Sénèque, Heiner Müller. Tous de très grands auteurs, tant sur le fond que sur la forme. Il m’est nécessaire de porter la parole de Léonora Miano, une parole encore jamais entendue sur les plateaux de théâtre en France. Le spectacle «Afropéennes », dans lequel j’ai joué à sa création, est tiré du roman « Blues pour Elise » et de « Ecrits pour la parole ». Ce sont des textes d’une puissance politique et poétique rare, ils expriment, dans une langue limpide et magnifique, toute la complexité de l’histoire des Noirs de France. Léonora Miano nous y parle de cette histoire de France qui nous est commune (français dits de souche ou des immigrations européennes, issus des Caraïbes, descendants de l’immigration post-coloniale) qui, n’en déplaise à certains (nombreux) nous (re)lie depuis plus de 4 siècles et qui fait que la France est ce qu’elle est aujourd‘hui : multiple, dans sa ( ses) cultures, couleurs de peau , religions.

 

Pour autant, je veux pouvoir également jouer Tchekhov ou Claudel. Je ne vois pas pourquoi les acteurs issus des minorités seraient assignés à ne jouer que des personnages auxquels ils seraient censés pouvoir s’identifier. Là encore, on est dans une pensée qui enferme, qui sépare, qui exclut. La question de l’identification est, me semble t-il, extrêmement subjective. Par ailleurs, pour la comédienne que je suis, c’est une fausse question. J’interprète des figures qui sont traversées par des sentiments, des gouffres, des failles, des choses monstrueuses et ce qui m’importe, c’est l’humanité que je vais trouver en elles, pour essayer de la partager. Nous sommes tous porteurs d’histoires, communes et singulières, mais ne sommes-nous pas tous issus de la même espèce … humaine ? C’est pour dire, questionner ces histoires communes et singulières que je fais du théâtre. Ce que je souhaite, c’est de pouvoir avoir le choix. Tout comme les identités, la langue n’est pas figée, elle est vivante, et je veux pour ma part continuer à l’être sans me laisser réduire à ma couleur de peau, ma provenance sociale ou culturelle. Je souhaite tout simplement exercer mon métier de comédienne, comme je l’entends.


Nanténé Traoré

 

(repris par Dieudonné Niangouna sur sa page Facebook, il a été publié par la revue Africultures : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=12903 ;)

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April 21, 2015 7:39 PM
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De la diversité ethnique dans le théâtre public

De la diversité ethnique dans le théâtre public | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Blandine Savetier, metteure en scène associée au Théâtre National de Strasbourg, et Waddah Saab, dramaturge, réagissent à la réunion publique qui s’est tenue à la Colline - Théâtre national consacrée à 1er Acte, projet qui vise à aider des « jeunes issus de la diversité » dans leur parcours théâtral à venir. Ils nous offrent une réflexion générale sur la diversité ethnique dans le milieu du spectacle vivant et plus particulièrement du théâtre public. 


Lire le texte : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/200415/de-la-diversite-ethnique-dans-le-theatre-public


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April 11, 2015 8:44 PM
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Eva Doumbia "Décolonisons les scènes"

Eva Doumbia "Décolonisons les scènes" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié dans Zibeline :

 

Le 30 mars, le théâtre de la Colline, à Paris, accueillait un débat autour de «l’absence de diversité sur les plateaux de théâtre». À l’origine de cette table ronde, un programme, intitulé 1er Acte, où, sous la direction de Stanislas Nordey, se retrouvent «des jeunes ayant fait l’expérience de la discrimination». L’objectif étant de leur proposer deux types d’ateliers : une formation théâtrale ou une préparation aux concours d’entrée des écoles de théâtre. La première promotion d’une quinzaine d’élèves issue de ce programme était présente.

En désaccord avec ce projet, plusieurs artistes, représentants de la diversité, dont notamment Eva Doumbia, comédienne et metteure en scène marseillaise, ont bousculé l’organisation de la soirée afin d’y faire émerger une question de fond : selon eux, l’absence de diversité est avant tout structurelle. Les artistes en activité sont les premiers à la subir et ce type de programme prolonge et entretient cette discrimination systémique. Eva Doumbia s’en explique pour Zibeline.

Zibeline : Comment s’est préparée votre intervention au théâtre de la Colline ?

Eva Doumbia : Tout part de la polémique née en novembre à Saint-Denis, autour d’Exhibit B (ce spectacle du Sud-Africain Brett Bailey, mettant en scène les zoos humains de l’époque coloniale, a provoqué de vives tensions et même l’annulation d’une représentation dans cette commune populaire du 93, NDLR). Au-delà du débat artistique, la question du territoire était pertinente : à quoi bon venir enseigner ce qu’est le racisme à des noirs et des arabes ? Tout ceci a mis en lumière un fait : ce sont toujours des blancs qui parlent de la colonisation, de l’esclavage, et de tout ce qui en découle, l’immigration, le racisme endémique de la France. Or, quand la parole part des concernés, elle est beaucoup plus entendue, plus radicale. Mais un mouvement artistique qui naît des quartiers populaires ou d’une expression post-coloniale n’est pas valorisé, il est immédiatement étouffé et lissé. Partant de ces constats, un réseau s’est bâti avec d’autres artistes et nous avons décidé d’intervenir à la Colline.

Quel message souhaitiez-vous faire passer ?

Déjà, demander pourquoi seuls des blancs sont invités à s’exprimer sur ces problématiques. Dans les débats, on retrouve toujours ces espèces de «spécialistes de nous», qui sont dans une démarche anthropologique insupportable. Parmi les Afropéens de France, nous avons des penseurs, capables de parler de l’expérience, de l’expliciter, l’analyser. Nous avons créé récemment une structure pour pointer cette réalité, établir des statistiques, recenser par exemple tous les chercheurs non-blancs de France.

Cela peut mener à une politique de quotas. Vous y êtes favorable ?

Oui. Prenons le cas du théâtre : en métropole, il n’y a aucun directeur de Centre Dramatique National noir ou arabe. Pratiquons les statistiques ethniques, nous le demandons. C’est illégal, mais alors comment s’organise le programme 1er Acte ? Il ne recrute que sur critères ethniques et exclut les blancs. Si on est dans cette logique-là, proposons des quotas à l’entrée des écoles. Mais cela ne résoudra pas le problème plus profond de notre place sur les plateaux, qui est lié aussi à la difficulté de la France à affronter son histoire coloniale. La décolonisation du pays, y compris des blancs, est nécessaire. On est encore dans un processus colonial de rencontre avec l’autre. Il faudra du temps pour que les organisateurs du projet 1er Acte réalisent à quel point il est raciste, car ils sont persuadés du contraire. Or, s’ils sont si préoccupés par la diversité, pourquoi n’embauchent-ils pas de comédiens noirs et arabes dans leurs spectacles ?

Où en est alors la diversité culturelle de la France ?

Cela fait longtemps que grondent toutes ces questions, liées à la réappropriation culturelle, et elles englobent d’autres champs. Au lieu d’écouter ce qui émerge dans les zones populaires, les élites proposent d’aller porter la bonne parole dans les banlieues… Le Medef le fait aussi ! Dans mon domaine précis, la seule réponse des structures à l’injonction du ministère de la Culture de diversifier les scènes de théâtre français n’est pas de découvrir l’inventivité des quartiers, c’est d’aller apprendre aux jeunes comment faire du théâtre comme eux le font. La vérité est que ce sont quasiment tous des messieurs blancs de plus de cinquante ans qui sont à leur tête, et qu’ils n’ont pas envie de partager le pouvoir. Cela ne m’intéresse pas de diriger un lieu, par contre j’aimerais bien que quelqu’un comme moi le fasse, parce que quand je vais lui parler de mes projets, il ne me répondra pas «c’est communautariste». Si je lui dis que je veux monter l’adaptation de l’autobiographie de Maryse Condé, il saura qui elle est.

La question de la diversité s’articule donc aussi avec celle de la domination masculine ?

Être féministe blanche, noire ou maghrébine ce n’est pas la même chose, on ne va pas être sur les mêmes combats, même si on va se retrouver sur certaines questions. Je ne me suis inscrite dans aucun mouvement parce que c’est tellement intégré à ce que je suis que je n’ai pas besoin d’adhérer à un groupe. Le féminisme m’habite sur tous mes spectacles. J’ai plus à me battre contre le racisme systémique du pays, même si son sexisme a à y voir. Pour moi la défense des femmes est au quotidien ; tout comme l’écologie, ce n’est pas un programme politique, c’est un mode de vie.

 

Propos recueillis par GAËLLE CLOAREC et JAN-CYRIL SALEMI
Avril 2015

 

Le jour de l’intervention à la Colline, une vingtaine d’artistes et intellectuels ont publié dans Le Monde une tribune, intitulée Il faut convoquer des assises culturelles pour encourager les diversités en France.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/30/il-faut-convoquer-des-assises-culturelles-pour-encourager-les-diversites-en-france_4606051_3232.html

 

Dans la continuité de ce débat, Eva Doumbia a également signé une tribune, parue dans Télérama.

http://www.telerama.fr/scenes/le-phrase-qu-on-enseigne-aux-comediens-les-separe-des-quartiers-populaires,125015.php

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June 11, 2015 1:31 PM
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Les invisibles montent sur scène

Les invisibles montent sur scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Clarisse Fabre pour Le Monde :

 

Les murs des théâtres et des plateaux de cinéma sont en train de se fissurer. Ou bien est-ce le vieux plancher qui grince, ou la porte trop lourde que l’on ne sait plus comment ouvrir ni fermer ? C’est un peu tout à la fois, et les travaux ne font que commencer. Des artistes, des enseignants, des professionnels de la culture remontent les manches, dans les écoles de théâtre, de cinéma. Ne pas rester dans l’entre-moi, faire quelque chose. Et il s’en passe, des choses, à Saint-Etienne, à Paris, à Cannes, et plus largement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il s’agit, ni plus ni moins, de faire émerger sur les planches ou à l’écran les fameux visages dits de la diversité sociale et culturelle, selon l’expression consacrée. La question n’est pas nouvelle. Mais certaines méthodes, très volontaristes, prennent actuellement la profession à rebrousse-poil.

Un dispositif unique en France

Commençons par la plus spectaculaire, qui est aussi la plus discutée. Le metteur en scène Arnaud Meunier, 42 ans, a sorti le marteau-piqueur, et il n’est pas mécontent de faire du bruit dans le ronronnement ambiant. Lassé d’attendre que le slogan « Liberté, égalité, fraternité  » produise ses effets, le directeur du Centre dramatique national (CDN) de Saint-Etienne, La Comédie, a créé un dispositif unique en France : une classe préparatoire intégrée a vu le jour, en 2014-2015, distincte de l’École supérieure d’art dramatique de Saint-Etienne qu’il dirige par ailleurs. Cette prépa, ouverte à cinq jeunes comédiens seulement – car le dispositif coûte cher –, est une sorte de sas qui vise à remettre à niveau des élèves ­ « défavorisés  », en vue de les préparer aux concours si sélectifs des écoles supérieures d’art dramatique (Conservatoire de Paris, écoles de Strasbourg, Lille, Cannes, Rennes, Lyon, Saint-Etienne, Montpellier, etc.).

Lire aussi : « Je m’étais mis un plafond de verre »

L’expérience est prometteuse. « On s’est principalement fondés sur deux critères de sélection : un, les candidats ont un désir fort de théâtre ; deux, ils sont issus de familles très, très modestes. L’enjeu est social, au-delà de la couleur de peau », résume Arnaud Meunier. Les cinq élèves de cette « mini-prépa  » ont entre 20 et 23 ans et sont tous originaires de Rhône-Alpes, sauf un. Et ces jeunes personnes ne sont pas venues pour rien, si l’on peut dire. Si l’une d’elles, une jeune fille, finit de passer les concours (certains établissements du réseau national n’ont pas encore achevé leur processus de sélection), les quatre autres ont été admis à l’une des grandes écoles supérieures d’art dramatique. Bénédicte Mbemba vient d’intégrer le saint des saints, à savoir le Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) de ­Paris  : elle sera l’une des 30 élèves de la promotion, sur un total de près de 1 300 candidats. Romain Fauroux a été admis à l’école de Saint-Etienne. De leur côté, Frederico ­Semedo et Mouradi M’Chinda ont intégré l’Ecole régionale des acteurs de Cannes, l’ERAC – autre établissement national supérieur.

La preuve par le terrain

« Ces deux jeunes sont entrés parce qu’ils avaient le même niveau que les autres. ­Arnaud Meunier a fait le job », salue Didier Abadie, le directeur de l’ERAC. Pourtant, d’autres professionnels voient d’un mauvais œil ce sas aux allures de cocon – les élèves sont fortement soutenus sur les plans financier et pédagogique. Selon eux, il y a une rupture d’égalité entre les candidats devant le concours. Le débat est vif.

Arnaud Meunier, nommé en 2011 à la tête du CDN, a voulu faire la preuve par le terrain. Selon lui, la démocratie culturelle demande des moyens adaptés, sur mesure, grâce auxquels des jeunes en difficulté peuvent réussir. Ce n’est pas faire œuvre sociale, dit-il. La société a besoin de ces nouveaux visages, de ces récits, tout autant que ces jeunes déclassés, blancs, noirs, asiatiques ou arabes, ont besoin d’un coup de pouce réparateur. « On se demandait si on était prêts, s’il ne fallait pas attendre d’avoir plus de moyens. Mais ­Fabien Spillmann, le directeur des études de l’école de Saint-Etienne, nous a dit  : c’est maintenant qu’il faut y aller. Et il a eu mille fois raison  », raconte-t-il. La scolarité de ces cinq élèves a été financée grâce au soutien de la région Rhône-Alpes et de la Fondation ­Culture & Diversité  : celle-ci, qui est déjà à l’origine de partenariats dans d’autres champs artistiques (histoire de l’art, architecture, métiers techniques du spectacle), sensibilise les enseignants pour les inciter à diffuser l’information et repérer les talents.

Le premier objectif, en effet, consiste à faire connaître les dispositifs à des jeunes qui les ignoraient. Ou qui n’imaginaient pas une seconde devenir comédien professionnel  : c’est ce que les experts de la culture appellent l’« autocensure  », d’ordre symbolique. Mais ­celle-ci n’est-elle pas également nourrie par le caractère excluant de certains grands établissements ? Sans parler de la question financière, pratico-pratique  : comment se payer le train et l’hôtel quand on veut tenter différents concours d’école de théâtre, aux quatre coins du pays, afin de maximiser ses chances ? La « classe prépa  » tente de combler ces failles. Mais le message ne passe pas partout. Et les cinq jeunes, quand est venue l’heure des concours, n’ont pas toujours été bien accueillis.

Réserves de fond

A l’Ecole du Nord, à Lille, en particulier, ils ont eu le sentiment d’être davantage interrogés sur leur parcours que jugés sur leur prestation scénique. Le directeur de l’École du Nord, le metteur en scène Christophe Rauck, s’en défend, de même que la comédienne Cécile Garcia-Fogel, qui coprésidait le jury et sera la marraine de la promotion 2015-2018. Surtout, elle émet des réserves de fond sur le dispositif. A-t-on besoin d’une classe prépa­ratoire financée par le privé – une fondation – pour mener la démocratisation culturelle, s’interroge-t-elle ? « Je ne comprends pas pourquoi on crée des classes prépa. On devrait plutôt renforcer les conservatoires de proximité déjà présents sur le territoire. C’est à eux de mener ce travail de repérage et de formation  », dit-elle. Tout le monde est d’accord là-dessus. Mais le problème est que ces conservatoires, municipaux, d’arrondissement ou régionaux, manquent souvent de moyens. La question du soutien des collectivités locales, et surtout de l’Etat, garant de la continuité du service public en cas d’alternance politique, est posée : au cabinet de Fleur Pellerin, on assure que la ministre de la culture et de la communication a pris la mesure de l’enjeu et devrait obtenir de nouveaux moyens pour financer des pratiques collectives, parmi lesquelles le travail théâtral. A voir.

Cécile Garcia-Fogel note un autre écueil : « Avec la crise économique, et ce recul du politique, il y a moins de créations, moins de spectacles. Je connais des étudiants qui sortent de grandes écoles et ne trouvent pas de travail. Je pense à cette comédienne coréenne qui est au RSA. Ces jeunes qui ont eu un parcours difficile vont-ils s’insérer ? Faisons attention à ne pas forcer des vocations. » Le souci de la diversité, rappelle-t-elle, n’est pas né d’hier. Elle cite en exemple la « classe ­libre  » du cours Florent, à Paris : un cursus parallèle au cours Florent privé, sans droits d’inscription, qui prépare depuis trente-cinq ans aux concours des écoles supérieures d’art dramatique.

« On a cinq jeunes de cette classe libre qui entrent à l’École du Nord cette année », pointe Cécile Garcia-Fogel. Le professeur et pilote de cette classe libre, Jean-Pierre Garnier, reconnaît tout de même qu’aucun critère de revenus n’est demandé aux étudiants. On peut donc parfaitement trouver dans cette classe des jeunes gens qui n’ont pas de problèmes d’argent et auraient pu se payer des études ailleurs. « Il n’empêche, la diversité est arrivée dans cette classe libre bien avant que le sujet devienne un enjeu national  », ajoute Jean-Pierre Garnier. Il n’est pas tendre avec la classe prépa de Saint-Etienne, qu’il qualifie de « ghetto  ». « J’espère que les jeunes de cette classe prépa ont été admis pour de bonnes raisons. Mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas  », assume-t-il.

« Apporter de nouvelles histoires »

Le directeur du CDN de Saint-Etienne, pourtant, se défend de mener une politique de « discrimination positive  » : « En un an, avec cette classe prépa, on essaie de rattraper vingt ans d’inégalités. Ensuite, les élèves passent les mêmes concours que les autres, et non pas une épreuve parallèle. » Arnaud Meunier ajoute : « Soit on considère que tout est figé. Soit on fait le pari qu’une nouvelle génération va changer les plateaux, apporter de nouvelles histoires. Au cinéma, Abdellatif Kechiche ne raconte pas la même chose qu’Arnaud Desplechin. C’est très bien, et j’aime tout autant ces deux cinéastes  », plaide-t-il.

Ne fallait-il pas donner un petit coup de perceuse dans le système républicain, en espérant créer un déclic ? Preuve, en tout cas, que chacun s’interroge et cherche une voie, d’autres chantiers s’ouvrent. Ainsi, une autre initiative a porté ses fruits : le projet « Premier acte  », lancé par le Théâtre national de la Colline, dans le 20e arrondissement de Paris, soutenu – eh oui – par la Fondation Rothschild et la Fondation SNCF. Des jeunes repérés, entre autres, par le conservatoire de ­Bobigny, ont participé à des ateliers d’acteurs dirigés par Stanislas Nordey. Le metteur en scène, qui vient d’être nommé à la tête du Théâtre national de Strasbourg (TNS), dont il dirigera également l’École, n’a rien contre la discrimination positive. Dans l’appel à candidatures de « Premier acte », il était même indiqué que les stages sont ouverts aux jeunes « ayant fait l’expérience de la discrimination  ». « On a reçu des candidats qui se disaient discriminés parce qu’ils sont juifs, d’autres du fait de leur physique  », raconte-t-il. Les vingt jeunes gens sélectionnés sont pour la plupart issus de l’immigration. Deux d’entre eux ont intégré le Conservatoire de Paris : Souleymane Sylla, 23 ans, et Josué Mbemba Ndofusu, 20 ans.

« Le milieu de la culture n’est pas plus avancé qu’ailleurs sur ces questions d’égalité, d’homophobie, de sexisme ou de représentation culturelle, souligne Stanislas Nordey. Au cinéma, un médecin de 50 ans sera presque toujours joué par un Blanc. Et, au théâtre, une femme un peu forte fera plutôt la servante que la jeune première. » Il faut donc expérimenter, car « les évolutions législatives ont souvent été précédées par des mouvements activistes  ». Et puis le temps presse. « Lors de ces stages, à La Colline, on a entendu des jeunes évoquer le modèle anglo-saxon, ajoute le metteur en scène. Leur conclusion, c’est que si ça ne marche pas en France, ils iront à Londres. Au Royaume-Uni, cela ne pose aucun problème que l’une des trois filles du roi Lear soit incarnée par une femme noire. » L’initiative de La Colline fait des émules. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur vient tout juste de décider de mettre en place un dispositif similaire, lequel sera « mis en musique  » par le directeur de l’ERAC de Cannes – celui-là même qui a retenu les deux jeunes de Saint-Etienne.

« Une avancée démocratique puissante »

En fin de compte, si l’on prend comme témoin la promo 2015-2016 du Conservatoire de Paris, de nouveaux visages apparaissent, indéniablement. Il ne s’agit pas que de la couleur de peau, insiste la directrice du Conservatoire, Claire Lasne. Et d’évoquer ce jeune titulaire d’un CAP de serrurerie… qui a réussi à ouvrir les portes de la grande institution. Cette année, seuls quatre étudiants sur trente qui y ont été admis proviennent du cours Florent payant ; vingt viennent de la classe libre ou de divers conservatoires (trois de celui de Bobigny). « On note l’impact des forces conjuguées de la classe libre, de la classe prépa de Saint-Etienne et des stages de La Colline, et du travail remarquable du conservatoire de Bobigny  », détaille-t-elle. Elle interpelle désormais l’Etat pour que soient ouvertes, « dans les trois ans à ­venir, trois nouvelles classes préparatoires publiques en banlieue parisienne, à Bobigny, à Arcueil et à Melun-Sénart ». « Ce serait une avancée démocratique puissante  », insiste-t-elle.

Et dans le cinéma ? C’est au lendemain des émeutes de novembre 2005 que le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a créé une aide sélective – Images de la diversité – en vue de soutenir des films qui proposent d’autres représentations. De Bande de filles, de ­Céline Sciamma, à Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako, tous les types d’œuvres sont soutenus – courts ou longs-métrages, animation. « L’aide ne doit être ni cliché ni ghetto  », explique-t-on au CNC. La Femis, prestigieuse école de cinéma à Paris, avait pris conscience des enjeux en créant, dès 2008, un programme dit d’« égalité des chances », avec le soutien de la décidément incontournable Fondation Culture & Diversité.

L’objectif : aider des élèves à combler leurs lacunes culturelles ou sociales, afin qu’ils puissent déposer leur candidature dans « une logique de marchepied  », résume le directeur de la Femis, Marc Nicolas. « Le message est délivré dans les lycées ZEP pour que les jeunes se disent : pourquoi pas moi ? ». Mais pas de quotas, prévient-il ! Et pas question non plus de renoncer au critère du bac + 2, niveau d’études requis pour se présenter. « Chaque année, un ou deux élèves issus de ce programme d’égalité des chances intègrent la Femis, sur la cinquantaine de jeunes admis. Cette école n’est pas aussi excluante que certains le disent  : 25 % à 30 % des étudiants sont boursiers  », souligne encore Marc Nicolas.

Pour certains, il faut aller plus loin. Une nouvelle école de cinéma va voir le jour, à Lyon, en septembre. Son nom ? La CinéFabrique, 100 % publique, pour l’heure, en attendant le complément d’argent privé. Son directeur, Claude Mouriéras, réalisateur, a longtemps enseigné à la Femis. « Il faut interroger l’institution dans ce qu’elle a de bloquant. On parle beaucoup de l’intégration des jeunes depuis Charlie, alors allons-y ! », répète-t-il. La CinéFabrique sera ouverte aux jeunes, qu’ils aient le bac ou non. Un partenariat avec l’université Lyon-II permettra aux étudiants d’établir des équivalences pour accéder à l’enseignement supérieur.

Le chantier est parti pour durer. Se posera ensuite la question des rôles dévolus à ces jeunes, au cinéma ou au théâtre. Souleymane Sylla, jeune comédien d’origine sénégalaise qui vient d’être admis au Conservatoire de Paris, se souviendra toujours de la réponse de Stanislas Nordey lorsqu’il lui a demandé si certains rôles nécessitaient d’avoir un physique particulier. « Nous portons le monde en nous », lui a dit le metteur en scène. Osez, osez Marianne…

Sur le web
1 000 visages, association de Viry-Châtillon (Essonne) qui œuvre à rendre plus visible la « diversité » dans les arts cinématographiques et audiovisuels.
Tribudom, collectif de professionnels du cinéma réalisant des courts-métrages de fiction avec les habitants des quartiers du nord-est de Paris et de sa proche banlieue.

Clarisse Fabre
Reporter culture et cinéma

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June 9, 2015 4:08 PM
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«Trop noire», ou «trop pâle» : le parcours du combattant d'une comédienne métisse

«Trop noire», ou «trop pâle» : le parcours du combattant d'une comédienne métisse | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Clémentine Gallot dans Libération :

 

La comédienne Yasmine Modestine publie un récit édifiant sur sa condition de comédienne métisse. Et déplore l'absence de diversité sur les écrans et dans les formations.

 

En mars, la publication d’une fausse annonce de casting suscitait l’émoi :«Recherche, pour le personnage de Mamadou, un homme de 25­30, agressif, comique, sachant danser et faire des blagues de type Afrique centrale­ Afrique du Sud, surtout un noir (cf. Omar Sy, avoir habité en cité est un plus).» Elle émanait, en réalité, de deux comédiens, écrite comme un acte de«révolte contre la récurrence des clichés ethniques, dégradants»

En 2008, Yasmine Modestine, comédienne de théâtre et de cinéma, notamment vue dans la série d’Eric Judor, Platane, avait saisi la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations) pour un cas de racisme dans une société de doublage et publiait à ce sujet une tribune retentissante à Rue89.

Elle publie aujourd’hui Quel dommage que tu ne sois pas plus noire, récit édifiant sur la condition de comédienne métisse, l’absence de diversité sur les écrans et dans les formations, qui témoigne d’une ségrégation endémique dans le cinéma français où le César remis à Omar Sy en 2012 serait l’arbre qui cache la forêt.

Née dans le Loiret d’un père martiniquais et d’une mère blanche, diplômée du Conservatoire, elle y raconte un parcours du combattant, cantonnée à des seconds rôles d’infirmières ou de femmes de ménage, à qui l’on reproche tour à tour d’être «trop noire» ou «trop pâle».

Un florilège de perles xénophobes, cataloguage ethnique et ethnocentrique entendu sur les plateaux, de la bouche de metteurs en scènes ou de décideurs :«Les Noirs, c’est compliqué» ou «Il n’y a pas de bons comédiens noirs».Libération l’a rencontrée.

 

 

Lire l'interview : http://www.liberation.fr/culture/2015/06/09/trop-noire-ou-trop-pale-le-parcours-du-combattant-d-une-comedienne-metisse_1326094

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June 4, 2015 4:40 PM
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L’exclusion à fleur d’impros

L’exclusion à fleur d’impros | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Deux semaines après sa création collective aux Ateliers Berthier, à Paris, «Gabriel(le)» passe le périph pour trois dates. Une expérience scénique qui a passionné cette troupe d’ados amateurs dirigée par Julie Deliquet.

 

 

PAR ANNE DIATKINE PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE pour Libération

Ils étaient une vingtaine, un dimanche matin de janvier, à s’être rendus à une séance d’informations au sujet d’un projet théâtral au nom bizarre, Adolescence et territoire(s), aux Ateliers Berthier-Théâtre de l’Odéon (Paris XVIIe). Ils ne savaient pas clairement de quoi il s’agissait, n’étaient pas certains d’être conviés à une audition, avaient vu une petite annonce, avait été poussés par un prof, leur conseiller principal d’éducation ou un ami, avaient déjà une expérience scénique via des petits cours de théâtre, ou pas du tout. Ils avaient 13 ans pour la plus jeune, et 20 ans pour le plus âgé, habitaient Clichy-la-Garenne, Saint-Ouen, Saint-Denis ou le XVIIe arrondissement, et ne se connaissaient pas. Et les voici, ce 22 mai, sur la scène des Ateliers Berthier, pour présenter Gabriel(le), face à une salle pleine et conquise. La joie et le plaisir d’être ensemble sont palpables, aussi indéniablement que cette création collective entièrement improvisée, engagée par la metteure en scène Julie Deliquet, plonge dans le plus noir de l’adolescence.

Une maturité surprenante

Depuis cinq mois, que s’est-il passé ? Une résurrection. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est Katia, l’une des actrices, 18 ans, visage avenant, cheveux entièrement couverts d’un bonnet, qui résume l’expérience d’un capital : «Je revis.» Elle lance un peu plus tard : «Ça me redonne de l’entrain pour mon avenir.» Katia, chaleureuse et attentive, a été assidue, comme l’ensemble du groupe. Ils viennent de partout, ont des expériences et des conditions de vie excessivement différentes, le théâtre n’est pas une entreprise de sauvetage et n’a pas pour objectif de panser les plaies. Certains sont multirécidivistes dans l’exclusion scolaire, d’autres pas du tout. Il n’empêche, tous l’expriment de façon spontanée lorsqu’on leur demande ce que cette expérience théâtrale a changé : «On vit mieux.» Canelle, 15 ans, affine : «Etre constamment à l’affût des paroles et gestes des autres, pour improviser à mon tour et leur répondre, me rend hypersensible à tout ce qui se passe quand on est en groupe. J’arrive non pas à anticiper, c’est trop fort, mais à saisir d’où les risques vont venir.» Canelle, dont la maturité et l’assise sont surprenantes, est devenue experte pour saisir, dans un méli-mélo de propos intempestifs, l’imperceptible. Comment prend-on place ? Comment se sent-on légitime ? Comment se forge la figure classique du bouc émissaire ? C’est précisément le thème de ce spectacle en mouvement.

 

 

Article entier à lire sur le site de Libération  http://www.liberation.fr/theatre/2015/06/04/l-exclusion-a-fleur-d-impros_1323051 (réservé; aux abonnés)

  

Gabriel(le) création du collectif In Vitro, dans le cadre de la 3e édition d’Adolescence et territoire(s). Entrée libre sur réservation. Le 6 juin à 20 h 30 au Théâtre Rutebeuf, Clichy-la-Garenne (93). Rens. : 01 47 15 98 50.

 

Le 13 juin à 20 h au TGP, Saint-Denis (93). Rens. : 01 48 13 70 00.

Le 18 juin à 20 h à l’Espace 1789, Saint-Ouen (93). Rens. : 01 40 11 70 72.

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May 23, 2015 11:07 AM
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Les Optimistes par le Théâtre Majâz, texte de Lauren Houda Hussein et Ido Shaked, en complicité avec l'équipe

Les Optimistes par le Théâtre Majâz, texte de Lauren Houda Hussein et Ido Shaked, en complicité avec l'équipe | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Véronique Hotte pour son blog :

 

 

Le Théâtre Majâz a été créé en 2009 par Ido Shaked et Lauren Houda Hussein, un collectif dont la vocation est de se réapproprier la mémoire populaire pour la transformer en réalité imaginaire dans l’espace théâtral, et ainsi éclairer le présent.
Ils se sont emparés des archives révélant leurs passés alternés, artistes d’un théâtre militant au langage scénique singulier, un mixed esthétique pour ces interprètes venus d’Israël, de Palestine, de France, du Liban, d’Espagne, d’Iran ou du Maroc.
Après Croisades de Michel Azama, Ido Shaked et Laurent Houda Hussein ont décidé de créer Les Optimistes. L’enquête menée par les comédiens détectives a commencé en Europe, à travers les camps d’extermination, puis a continué dans un Proche-Orient prometteur, en Israël, en Palestine, au Liban et au Maghreb.
Films, témoignages, travaux d’historiens ont aidé à brosser ce tableau de la Palestine et d’Israël mythiques, et de ce qu’ils sont devenus aujourd’hui.
Sont posées les questions de la mémoire, des cheminements de l’exil et du retour, des problèmes de la transmission révélée ou bien tue à la génération suivante.
L’illusion peut-elle concurrencer la réalité ?
Samuel, avocat trentenaire, est envoyé en Israël après la mort de son grand-père afin de vendre la maison de celui-ci. Il devient le récepteur de la recherche identitaire grand-parentale. L’histoire de son ancêtre, réfugié de la Seconde Guerre mondiale, commence par son exil vers la Terre Promise : son peuple retrouve un foyer tandis que l’autre est forcé à l’exil. `
Les grands-parents de Samuel reçoivent à Tel-Aviv, une maison à Jaffa, ville palestinienne vidée de ses habitants, expulsés en 1948, pour les camps de réfugiés du Liban, de la Jordanie ou autres villes palestiniennes, ou Gaza.

 

Lire la critique en entier : https://hottellotheatre.wordpress.com/2015/05/23/les-optimistes-par-le-theatre-majaz-texte-de-lauren-houda-hussein-et-ido-shaked-en-complicite-avec-lequipe/

 

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May 13, 2015 2:39 AM
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Sans-papiers mais pas sans rôle

Sans-papiers mais pas sans rôle | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Judith Sibony sur son blog du Monde "Coup de théâtre" : 

 

 

Il y a quelques semaines, nous évoquions ici l’étonnement d’un voyageur américain découvrant en banlieue parisienne « un théâtre de blancs au milieu d’une ville noire ». L’homme, qui allait jusqu’à dire qu’un tel lieu aurait pu être « brûlé par les populations », parlait du Théâtre de la Commune, à Aubervilliers. L’anecdote date du milieu des années 1990, en un temps où le Centre dramatique national ne se souciait pas spécialement de refléter la vie ou la couleur de sa ville, ni sur scène ni dans la salle.

Mais les choses changent. La preuve : ces jours-ci, pour la clôture de la saison, les héros qu’on peut admirer sur scène sont presque tous noirs, originaires de Côte d’Ivoire, et qui plus est, ce sont des « sans-papiers ». Presque du jour au lendemain, « la Commune » est devenu un lieu où on « démontre aux gens que le théâtre est lié à leur vie », pour reprendre les mots de sa nouvelle directrice Marie-Josée Malis. Partant du principe que les habitants de la ville peuvent inspirer les artistes dans leur quête de beauté, la metteur en scène a commandé des « pièces d’actualité » à trois artistes qui lui sont chers. Après Laurent Chétouane et Maguy Marin, c’est Olivier Coulon-Jablonka qui signe la dernière pièce du cycle. Le résultat est un vrai spectacle, à la fois drôle et émouvant, qui vous donne un électrochoc de réel.

Composée avec huit militants d’un collectif de sans-papiers, la pièce est issue des témoignages de ces hommes qui ont traversé des pays improbables, se sont cachés dans des WC d’aéroport, on parfois dû déchirer leur passeport, prendre des bateaux qui flottaient à peine, ou marcher pendant des jours en plein désert… simplement pour tenter leur chance en France. Mais avant d’espérer avoir de la chance, il faut avoir des papiers, et c’est là que le conte kafkaïen peut commencer.

Les huit personnages du spectacle intitulé 81 avenue Victor Hugo (comme l’adresse du squat où ils logent avec tous les membres du collectif) ont à la fois le charme des beaux acteurs amateurs portés par la joie du jeu, et la radicalité irrésistible des militants qu’ils sont. Avec eux, le théâtre redevient ce qu’il ne devrait jamais cesser d’être : un lieu où on s’adresse à une assemblée ; pour être entendu.

« Il faut voir le travail qu’on met dans les choses pour avoir ça », lance Souleyman avec son sourire d’ange et son look d’adolescent américain, après avoir raconté comment il a été dépouillé de plus de 2000 euros pour obtenir toutes sortes de faux papiers qui lui ont toujours valu de se faire refouler à l’aéroport.

Il faut voir aussi le grand Diomande qui raconte comment il s’y est pris pour transporter tout un convoi sur un bateau « pourri », de Tripoli à Lampedusa. Véritable scène d’anthologie à la fois terrible et hilarante  : « Pour que je te dise approximativement quand est-ce que je vais arriver ? Je vais te recommander une carte qu’on appelle la carte Pilot-chart, qui est une carte américaine. (…) Comme je n’ai pas cette carte, je ne peux pas estimer la force du courant. Soit j’ai le courant dans le cul ; soit je l’ai en face et ça va diminuer ma vitesse. Soit j’ai le courant dans le travers et je vais marcher en crabe. Ce qui est sûr c’est que moi je pars de là à là. Je ne connais même pas la vitesse du bateau, je n’ai même pas encore vu le bateau. »

Immergé dans la langue et la présence de ces témoins-acteurs, le public adhère instinctivement à leur cause, à leur revendication, à leur étonnement aussi.« C'était mon premier jour en France. (…) j’étais étonné de voir qu'il y avait des vieilles personnes encore sans-papiers en France ici. (…)  (L’homme)  me dit qu’il est là depuis 98, et lui il s'est même pas encore approché du bureau là-bas… »,confie Moustapha vers la fin de la pièce. Ce même Moustapha qui, en guise de prologue, avait raconté la parabole de la loi, extraite du Procès de Kafka.

Ici, le réel surpasse largement la parabole du grand auteur pragois.

81 avenue Victor Hugo, "pièce d'actualité" mise en scène par Olivier Coulon-Jablonka au théâtre de la Commune jusqu’au 17 mai.
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April 28, 2015 1:01 PM
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Quand le spectacle vivant s’adapte aux handicaps

Quand le spectacle vivant s’adapte aux handicaps | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Pauline Sauthier dans Le Monde :

 

Lors d’un spectacle de danse, des ballons de baudruche ont été distribués à des enfants sourds pour qu’ils ressentent les vibrations de la musique. Des compagnies théâtrales permettent à un public aveugle de toucher, pour les imaginer, les décors et costumes. Pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, c’est parfois un orchestre qui vient…

L’accès à la culture est, pour les handicapés, un droit, inscrit dans la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Elle concerne les établissements culturels qui remplissent une mission de service public, mais n’est pas toujours facile à concrétiser, surtout dans le spectacle vivant.

Adaptation pour les handicapés sensoriels

Jouée depuis le 15 avril à la Comédie-Française, la pièce de théâtre Les Enfants du silence a rappelé l’importance de ces problématiques : sur scène, des comédiens entendants interprètent des personnages sourds qui s’expriment en langue des signes. Des acteurs sourds, estimant qu’il aurait été légitime de leur confier ces rôles, ont protesté contre ce qu’ils considèrent être une discrimination.

La pièce est surtitrée, certains jours, pour un public sourd ou malentendant. Des écrans, placés au-dessus de la scène, indiquent des ambiances sonores, les noms des personnages, les dialogues, parfois simplifiés pour la lecture. L’association qui s’est chargée de cette tâche, Accès Culture, est spécialisée dans l’adaptation de spectacles pour les handicapés sensoriels.

Cette année, elle a permis à des enfants sourds de profiter au mieux du spectacle de danse Tel Quel !, de Thomas Lebrun. Sur scène, une comédienne interprétait des chansons en « chantsigne » (traduite en langue des signes). Pour recevoir la musique, des casques amplificateurs ou des boucles magnétiques permettaient aux malentendants de percevoir la musique, sans les bruits parasites de la salle.

Ne pas changer le texte

Ne pas changer le texte, le sens, le rythme fait partie des défis de l’acccessibilité. Les comédiens s’exprimant en langue des signes, placés souvent sur les côtés du plateau, doivent être bien éclairés, obligeant à modifier la mise en scène.

Audio-descriptrice, Juliette Soulat se voit comme une narratrice, qui accompagne le texte sans l’interpréter. Elle fait le récit, en temps réel, de ce qui se passe sur le plateau pendant un spectacle à un public de non-voyants. Ses paroles leur sont retransmises par l’intermédiaire d’un casque. Elle leur parle des lumières, des déplacements ou des matières. L’audio-description ne se fait pas toujours en direct mais Juliette Soulat insiste pour être présente pendant le spectacle : même si elle s’appuie sur un texte préparé, il arrive qu’un acteur oublie ses répliques et improvise, qu’un événement inattendu fasse rire la salle ou que le metteur en scène propose des changements.

« Il y a aussi quelque chose de très intime, ma voix arrive directement dans l’oreille des gens », explique-t-elle. Elle veut également être là avant et après les représentations, pour une visite tactile des décors où elle donne déjà des éléments de description, puis pour discuter de la pièce et du ressenti des spectateurs non-voyants.

Jusqu’à 30 heures d’« aide humaine » par an

Mais il y a aussi tous ceux que leur handicap empêche de se rendre dans les lieux de spectacle, et pour lesquels beaucoup reste encore à faire. « Aujourd’hui, il n’y a quasiment pas de questionnement sur les personnes qui ne peuvent pas sortir de leur lieu de vie », regrette André Fertier, président de l’association Cemaforre, qui promeut l’accès aux loisirs et à la culture pour tous.

Il cite néanmoins quelques exceptions, comme l’Ensemble orchestral de Paris qui joue dans des appartements, ou le Centre national chorégraphique de Haute-Normandie dont les spectacles sont présentés dans des maisons de retraite et des hôpitaux. Souvent, explique-t-il, les personnes handicapées ne sont pas au courant qu’elles ont droit jusqu’à 30 heures d’« aide humaine » par an, qu’elles peuvent utiliser pour des sorties culturelles.

Pauline Sauthier

Saida's curator insight, October 28, 2016 1:41 AM

La question de l’accès à la culture.

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April 20, 2015 2:52 PM
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Plus de "diversité" au théâtre ? Césaire et Damas n'ont pas eu besoin "d'aide"

Plus de "diversité" au théâtre ? Césaire et Damas n'ont pas eu besoin "d'aide" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

LE PLUS de l'Obs :

 

.En 2014, le théâtre de la Colline avait sélectionné des acteurs ayant fait l'expérience de la discrimination. Ce programme expérimental s'est terminé fin mars. Quel bilan faut-il dresser ? La culture laisse-t-elle sa place à la diversité ? Pour Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français des Outre-mer, il y a encore du chemin à faire.

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April 7, 2015 6:25 PM
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“Le phrasé qu'on enseigne aux comédiens les sépare des quartiers populaires”, Eva Doumbia

“Le phrasé qu'on enseigne aux comédiens les sépare des quartiers populaires”, Eva Doumbia | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Emmanuelle Bouchez pour Télérama :

 

La plupart des artistes issus de la diversité sont formés aux meilleures écoles mais demeurent dans l'invisibilité. Eva Doumbia s'interroge sur les raisons profondes de ce paradoxe.

 

Franco-ivoirienne, Eva Doumbia, 46 ans, a clamé haut et fort, non sans virulence, le lundi 30 mars à la soirée de La Colline à Paris, son identité « de metteuse en scène française et afropéenne ». Elle vit et travaille aujourd'hui à Marseille, où sa compagnie La Part du pauvre est conventionnée par l'Etat et soutenue par la ville. Elle bénéficie d'une belle reconnaissance mais n'en est pas moins combative. Sans doute parce que la route a été longue depuis qu'enfant, dans la ville alors communiste du Havre, elle est tombée dans le théâtre, naturellement et... gratuitement. Elle raconte tout son parcours dans cette tribune, en analyse les difficultés, et témoigne avec force de ses aspirations.

Eva Doumbia, directrice de la compagnie La Part du pauvre

“ Au manque de diversité ethnique, culturelle et sociale sur les plateaux de théâtre, les directeurs de centres dramatiques et de théâtre nationaux répondent par des formations en direction des publics et jeunes acteurs discriminés. C’est une très bonne chose. Qui ne suffira pas. Et je peux le démontrer à partir de mon expérience personnelle.

 

Lire l'article entier ----> http://www.telerama.fr/scenes/le-phrase-qu-on-enseigne-aux-comediens-les-separe-des-quartiers-populaires,125015.php#nav-left

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