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Le spectateur de Belleville
April 25, 11:14 AM
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Par Fabrice Dubault dans Le Midi Libre - Publié le 25/04/2025 L'emblématique directeur du festival "Montpellier danse" de 1983 à 2024 est décédé ce vendredi 25 avril 2025 à l'âge de 77 ans, des suites d'un cancer. Né à Alger en 1947, il a été une figure majeure de la culture à Montpellier et de la danse en France et en Europe.
Il a été Le Monsieur danse à Montpellier durant 42 ans. Il y est décédé ce 25 avril 2025. En 1983, Jean-Paul Montanari est devenu conseiller pour la danse à l’Opéra de Montpellier puis, en 1984, membre de la Commission d’attribution des subventions aux compagnies chorégraphiques du ministère de la Culture (jusqu’en 1991). Entre-temps, il est nommé membre du Conseil supérieur de la danse (1991). En 1996, il prend en charge la saison danse qui est aujourd’hui la saison danse de l’Opéra national de Montpellier. En 2001, il quitte la direction du Zénith de Montpellier qu’il occupait depuis 1999, pour revenir se consacrer pleinement au festival et à la saison danse. Depuis 2010, il dirigeait l’Agora, cité internationale de la danse, un lieu consacré à la danse unique en Europe réunissant tous les aspects du travail de la danse, de la création à la diffusion d’un spectacle. Retrouvez Jean-Paul Montanari en 2021, pour les 40 ans de Montpellier danse. Voir la vidéo Retraité depuis octobre 2024, il avait laissé sa place à un quatuor à la direction de L'Agora, nouvelle Cité internationale de la danse à Montpellier. Jann Gallois, Hofesh Shechter, Dominique Hervieu et Pierre Martinez viennent en effet d'être nommés à la tête de la structure qui regroupe le festival Montpellier Danse et le Centre chorégraphique national de la ville. "Il s’est battu toute sa vie, au service d’un seul maître, la danse" Dans un long communiqué, le maire de Montpellier retrace sa vie, son parcours unique dans l'Hérault en faveur de la danse contemporaine et lui rend hommage. "Jean-Paul est cet enfant de la terre d’Algérie, né dans une famille modeste et aimante, ce petit garçon de Boufarik et de la plaine de Mitidja : cette Algérie qu’il a gardée au cœur, et qu’il évoquait si souvent et avec tant d’intelligence et d’émotion. Cette Algérie qu’il verra se soulever et gagner son indépendance, et qu’il devra quitter. Il est cet adolescent découvrant la métropole et Lyon, où sa famille s’installe en 1962, ce jeune homme bien de son temps épris de philosophie et de littérature, qui s’initie au chinois, découvre le cinéma et le théâtre, se passionne pour les créations de Planchon et Chéreau. Déjà, il sait que sa vie sera vouée à la scène : 'Je n’en suis jamais sorti. Mon monde était là', écrira-t-il encore récemment. Il est cet étudiant engagé qui découvre la joie et la fraternité des luttes en mai 68, ce militant qui fonde en 1975 le Groupe de libération homosexuel de Lyon : le courage des convictions, déjà. Ces mêmes convictions qui l’amèneront, une décennie plus tard, à incarner ici la lutte contre le SIDA. Chez lui, la vie, la politique et l’art sont intimement liés ; à la même époque, il intègre le Centre dramatique national de Lyon, en devient le programmateur pour la danse, invite Maguy Marin, Dominique Bagouet, d’autres encore, lance à Villeurbanne Viva, un festival de danses et de musiques extra-européennes. Il ne sait pas encore que son destin va s’écrire plus au sud, tout près de cette Méditerranée dont il est l’enfant". Et Michaël Delafosse poursuit : "Jean-Paul Montanari a éveillé nos regards. Il nous a appris à regarder la danse, patiemment. Avec lui, nous avons compris que 'tous les corps sont des corps politiques.' Nous lui devons d’avoir été bouleversé, ému, parfois choqué, par les créations d’artistes venus du monde entier. Il a programmé et a accueilli ici les plus grandes, les plus grands : Trisha Brown, Merce Cunningham, William Forsythe, Ohad Naharin, Angelin Preljocaj, Anne Teresa De Keersmaeker, Emanuel Gat... Et Raimund Hoghe, ce véritable 'chamane', pour reprendre le mot de Jean-Paul, disparu en 2021 et dont une place de notre ville porte depuis le nom. Jean-Paul Montanari rappelait sans cesse que rien ne s’obtient sans effort". Fabrice Dubault / Le Midi Libre
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Le spectateur de Belleville
May 12, 2024 5:54 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde 12 mai 2024 A 21 ans, le performeur franco-algérien autodidacte, qui enchaîne les projets depuis ses 14 ans, est à l’affiche de « Plutôt vomir que faillir », de Rébecca Chaillon, et de « Cabaret Khalota », de David Wampach.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/12/zakary-bairi-un-comedien-mu-par-le-desir_6232839_3246.html
Zakary Bairi ne compte plus les kilos de purée de pomme de terre qu’il a ingurgités pour les besoins de la cause. La cause ? Celle du spectacle Plutôt vomir que faillir, dont le titre vous projette illico au bord des toilettes régulièrement récurées sur le plateau. Créée en 2022 par la metteuse en scène et performeuse Rébecca Chaillon, cette pièce nerveuse sur l’adolescence, l’identité, le genre et la nourriture compte déjà 114 représentations et des dizaines de sachets de flocons déshydratés. « Plus de quatre cents saladiers de purée pour le moment, car je mange vite, et j’ai parfois le hoquet en parlant en même temps, déclare Zakary Bairi, tout sourire. Une chose est sûre, je ne peux plus voir une assiette de rosbeef-purée au restaurant. Sans compter que j’avale aussi du ketchup, de la moutarde, et que j’ai des boutons sur le torse. » Faire la connaissance de Zakary Bairi autour d’un café en hiver, le rencontrer au printemps entre un jus d’orange et un verre de vin blanc, promet au moins deux choses : passer de très bons moments et repartir en pleine forme après chaque conversation. Entre anecdotes existentielles, commentaires artistiques et tirades inopinées tirées du solo Klein, conçu en 2020 autour d’Yves Klein par la chorégraphe Olivia Grandville, le jeune homme, qui a fêté ses 21 ans le 14 avril, aime se raconter. « Au début, je ne parle pas trop et, une fois lancé, je ne sais plus m’arrêter », reconnaît-il. Il faut dire qu’avec déjà sept ans de travail derrière lui auprès d’artistes de tout poil, ce fan d’ Alain Cuny, de Gérard Philipe et de Jacqueline Maillan ne manque pas de munitions. « Parfois, j’ai l’impression d’avoir 70 ans et je me sens très vieux, poursuit-il . Je suis tiraillé entre ma vie d’adulte et le fait que je me sente encore ado. J’ai beaucoup de chance, le luxe de vivre mon désir. Même si je ne me sens pas légitime, car je ne sors pas d’une école, comme certains. » Syndrome d’illégitimité Un coup d’œil sur son agenda gomme pourtant vite le syndrome d’illégitimité de celui qui « traverse les formes ». Théâtre, danse, performance, vidéo, il enchaîne les projets et rêve de cinéma. Parallèlement à la tournée de Plutôt vomir que faillir, où il irradie auprès de trois comédiens aussi épatants que lui, il va participer à un spectacle de cabaret intitulé Khalota, avec le chorégraphe David Wampach, connu pour ses expériences extrêmes. « Je serai présentateur avec mon amie la chanteuse Dalila Khatir, indique Zakary Bairi. Nous allons travailler à partir de slogans des manifestations algériennes de ces dernières années. » En ligne de mire de l’automne, les répétitions d’Edouard III, de Shakespeare, avec le metteur en scène Cédric Gourmelon. « Ce sera la première fois que j’interpréterai un classique, encore jamais monté en France », se réjouit-il avec gourmandise. Zakary Bairi est né et a grandi à Pessac (Gironde), près de Bordeaux. Père algérien et mère française. Il a une sœur aînée, Anissa, et un petit frère, Ilhan, handicapé, de sept ans plus jeune que lui, dont la naissance et les difficultés ont concentré l’attention maternelle. « Je me suis mis à faire l’intéressant pour attirer les gens, confie-t-il. Je jouais tout le temps, je me déguisais… » Le regard qui sauve est celui de la grand-mère maternelle, Michèle, qui entend le désir brûlant de son petit-fils de faire du théâtre et l’encourage à s’inscrire à l’atelier de son collège. « Elle m’a également abonné au magazine L’Avant-Scène, glisse-t-il. J’étais assez déprimé ado et le théâtre est la seule raison pour laquelle je suis resté vivant. » Il a 14 ans lorsqu’il auditionne pour la pièce Cheptel, conçue en 2017 avec des adolescents par Michel Schweizer. « Je jouais un peu trop comme “Au théâtre ce soir”, que je regardais sur YouTube, mais Michel m’a engagé quand même, raconte-t-il. On a tourné pendant quatre ans. Je voyageais, je gagnais de l’argent, je n’allais pas souvent au lycée. J’ai commencé à me gaver de spectacles et à aller au théâtre régulièrement. » Quant à Michel Schweizer, il se rappelle que « Zakary détonnait parmi les autres par sa maturité intellectuelle et émotionnelle ». Il ajoute : « C’est un phénomène. Ça va très vite pour lui, car c’est vital. Il a un élan relationnel incroyable et ne veut rien rater. Il possède une lucidité sur la vie et le milieu assez rare pour un jeune de son âge. » Talent et persévérance Comment fonctionne donc Zakary Bairi, nourri à YouTube et grand lecteur depuis l’enfance, qui semble déjà connaître toute la planète spectacle de France ? « J’écris des mails aux personnes que je rêve de rencontrer. J’adore écrire, c’est mon truc », dit-il. Il a 16 ans lorsqu’il prend contact avec Marie-Noëlle Genod, avec qui il entretient une correspondance pendant deux ans avant de jouer dans une performance au Carreau du Temple, à Paris. « Vous parlez aussi bien que vous écrivez », le complimente Genod, qui le fait improviser au milieu de cent danseurs. Quelque temps plus tard, il lui propose de lire le Kama-sutra avec l’accent arabe pour Ainsi parlait Kamasutra (2021). A 17 ans, en janvier 2021, Zakary Bairi envoie une lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, publiée dans Mediapart, dont le contenu trouve un écho chez le chorégraphe François Stemmer. « Et on parle, on parle, on parle », se souvient-il. Jusqu’à la création, en 2022, de RIMB, sur Rimbaud. De ces années de jeunesse, Zakary Bairi a conservé des soutiens plus qu’indéfectibles. A 12 ans, il participe au festival Les Toiles filantes, piloté par le cinéma Jean-Eustache, à Pessac. Il fait partie du jury d’enfants et visionne des films pendant une semaine. C’est là qu’il croise Florence Lassalle, conférencière et au conseil d’administration du cinéma. « Il donnait son opinion avec beaucoup de précision et a suivi deux éditions du festival, souligne-t-elle. On est devenus amis et je l’ai emmené au théâtre. Zakary sait se faire aimer, et rencontrer quelqu’un comme lui n’arrive pas souvent dans une vie. » Mais ce réseau ne serait rien sans talent ni persévérance. Celui qui veut « apprendre des choses qu’[il] ne sai[t] pas faire » donne des ateliers autour des thèmes présents dans la pièce de Rébecca Chaillon. Il a écrit une autobiographie, intitulée Testament Adolescent, pendant le Covid-19 et vient de livrer un manifeste : Je fais de l’art pour que les méchants se suicident. « Pourquoi certains continuent-ils de vouer leur existence à l’acte de création quand n’importe quel morceau de musique peut être fabriqué par un ordinateur et un texte pondu par une intelligence artificielle ?, y demande-t-il. Peut-être parce que l’Art n’est pas une option, parce que l’Art n’est pas un “plus” ni un divertissement ni même un passe-temps… Peut-être aussi parce qu’il y a des virtuoses et que cette virtuosité a une fonction dans nos sociétés : nous prouver qu’au-delà de ses petites bassesses biologiques, l’Homme est capable de grandes choses. » Plutôt vomir que faillir, de Rébecca Chaillon. Du 14 au 16 mai au Théâtre Sorano, à Toulouse ; du 24 au 26 mai à La Minoterie, à Dijon ; du 29 mai au 2 juin, au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse). Cabaret Khalota, de David Wampach. Le 16 mai au Cratère, à Alès (Gard) ; le 17 mai à La Berline, à La Grand-Combe (Gard). Rosita Boisseau Légende photo : Zakary Bairi, à Paris, en février 2023. MÉLODIE LAURET
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Le spectateur de Belleville
March 7, 2023 2:25 PM
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Par Diego Caparros pour le site France tv. info le 7/03/23 Par quelles émotions sont passés les parents des danseurs professionnels qui les ont souvent vu quitter le nid très tôt ? La mère de l'un d'entre eux devenu danseur à l'Opéra national du Rhin, a raconté cette expérience sensible dans un petit livre écrit à partir de ses notes. Un écrit universel sur ces enfants prodiges qui veulent vivre de leur passion. Marin danse est un ouvrage tendre et poétique qui retrace la vie d'un petit garçon devenu danseur, par les yeux de sa mère. Marin Delavaud, aujourd’hui danseur à l’Opéra national du Rhin à Strasbourg à 28 ans, a quitté le nid familial pour la capitale à onze ans seulement. Lui dansait, et pendant ce temps-là, sa mère écrivait, posait des mots sur cet éloignement familial né d'une passion dévorante. Quinze ans de notes prises par Béatrice Tourancheau compilées en un recueil de souvenirs. Un livre délicat qui transmet les émotions de parents que la danse avait éloigné de leur fils, comme en témoigne cet extrait : "À ses dix ans, son père et moi, ne pas vouloir qu'il parte, et pleurer. À ses onze ans, comprendre. Notre fils est appelé haut et loin. Etre là pour lui." "J'avais pris des notes pendant les sept ans de Marin à Paris, et puis j'ai gardé des petites choses, comme des petits mots d'amour qu'il me laissait et je m'étais promis d'en faire quelque chose. J'ai commencé à écrire au départ pour Marin et moi et puis c'est sorti de la sphère privée", confie Béatrice Tourancheau. Un déracinement fréquent dans ce milieu L'histoire personnelle de Marin racontée par sa mère a trouvé un écho particulier chez les autres danseurs du Ballet National de Strasbourg. Ce déracinement familial, le fait de quitter sa maison ou son pays pour vivre sa passion d'enfant, beaucoup de danseurs d'un corps de ballet l'ont vécu. "Ça m'a fait comprendre un peu mes parents. C'est intéressant parce qu'on ne le voit pas, eux le cachent, parce qu'ils essayent d'être là pour nous et de montrer que tout va bien", explique une danseuse professionnelle. Une autre ajoute : "On nous demande d'être adulte très tôt, c'est important que nos parents soient là pour nous soutenir". Le précieux et délicat témoignage d'une maman devient alors un manuel à destination de tous les parents. "L'éloignement familial, c'est quelque chose d'assez universel finalement. Mais aussi jeune, ça nous est propre à nous, sportifs de haut niveau. Ça a raisonné dans la tête et le cœur de pas mal d'entre nous", souligne Marin Delavaud. Des danseurs qui ont fait du ballet leur famille d'adoption. La couverture du livre "Marin Danse" sorti en décembre dernier par Béatrice Tourancheau. (France 3 Strasbourg) "Marin danse" de Béatrice Tourancheau, Editions Edicop
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Le spectateur de Belleville
September 18, 2022 9:33 AM
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Propos recueillis par Annick Cojean dans Le Monde - 18 septembre 2022 « Je ne serais pas arrivé là si… » Chaque semaine, « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de sa vie. Le danseur-chorégraphe évoque les mentors qui l’ont fait grandir.
Et si Roméo et Juliette étaient interprétés par deux hommes ? Ou par deux femmes ? Et si Carmen, la délurée, n’était pas punie pour sa liberté sexuelle et ne mourait pas ? Le danseur-chorégraphe Benjamin Millepied, Et si Roméo et Juliette étaient interprétés par deux hommes ? Ou par deux femmes ? Et si Carmen, la délurée, n’était pas punie pour sa liberté sexuelle et ne mourait pas ? Le danseur-chorégraphe Benjamin Millepied, 45 ans, revisite les classiques du répertoire pour mieux s’interroger sur la société actuelle. C’est le rôle de l’artiste, assure la star, exilée depuis 1993 aux Etats-Unis, mais heureuse de revenir en France après son passage éclair à la direction de la danse de l’Opéra de Paris, entre 2014 et 2016, pour proposer sa version de Roméo et Juliette, à La Seine musicale, à Paris. Sa compagnie, L.A. Dance Project, installée à Los Angeles, se produira également au Chatelet en octobre, et il remontera lui-même sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, en 2023. Retour sur l’itinéraire d’un artiste mondialement connu qui a vécu le rêve américain. Je ne serais pas arrivé là si… … Si je n’avais pas perçu, tout petit, que la musique et la danse me faisaient du bien, qu’elles me procuraient des sensations intenses et me permettaient d’exprimer le flot d’émotions qui me submergeaient. L’environnement familial était compliqué et je comprends aujourd’hui que ce fut une réponse inconsciente, un instinct de survie, presque une thérapie. Je restais seul dans ma chambre, je mettais très fort de la musique, et je dansais, je dansais… Tout s’est donc noué très tôt : la passion de la musique, l’allégresse du mouvement ? Oui. Tout est parti de la petite enfance. Je n’ai pas très envie de parler de mes parents, qui ont divorcé quand j’avais 9 ans, mais je sais que la musique m’a porté et que j’ai trouvé force et bien-être à travers le mouvement. Et puis, l’envie de partir, le désir de m’envoler ! A compter du moment où je suis tombé amoureux de la danse, où j’ai vu à la télévision des comédies musicales, découvert Gene Kelly, Fred Astaire et puis Barychnikov, ma star absolue, j’ai commencé à rêver, à me projeter dans une carrière, et plus rien ne pouvait m’arrêter. Donnez-nous quelques indices sur l’environnement de ces premières années… La musique y était omniprésente. Classique, jazz, flamenco, chanson française. Chopin et Miles Davis, Léo Ferré et Barbara. Flûte, guitare, piano. Et percussions africaines ! Je suis né à Bordeaux, mais j’ai ensuite passé quatre ans au Sénégal, où mon père, champion de décathlon, était entraîneur et ma mère, professeure de danse moderne. Notre voisin à Dakar s’appelait Doudou N’Diaye Rose, descendant d’une famille de griots et grand maître des tambours. Il animait les nuits chaudes du quartier et l’un de ses fils accompagnait au tam-tam les cours de maman où était posé mon couffin. La musique envahissait la tête, le cœur, le corps. Danser m’a toujours semblé si naturel ! De retour en France, ma mère a ouvert une nouvelle école de danse à la maison. J’étais de tous ses spectacles, et j’avais le studio pour moi tout seul, le matin avant l’école ou en fin de soirée. Je dansais tout le temps. Avec un sentiment de libération ? De joie ? Avec la sensation lumineuse d’être en vie. On est loin du mode de vie des petits rats de l’Opéra de Paris ! O combien ! J’avais vu un documentaire sur l’école de l’Opéra et j’avais été horrifié. Uniformes et visages sévères, discipline quasi militaire, professeurs tapant du pied… Pour rien au monde je n’aurais voulu intégrer cette école, malgré son prestige. Vers 10 ans, j’ai commencé la danse classique avec Vladimir Skouratov, maître de ballet au Grand Théâtre de Bordeaux. J’ai alors goûté à la scène en faisant de la figuration dès qu’un spectacle réclamait un enfant : La Belle au bois dormant, Les Noces de Figaro… Et puis, un jour, on m’a proposé d’aller auditionner pour le conservatoire de Lyon. J’ai pris le train avec mon grand frère, muni d’un billet aller-retour. Et quand on m’a demandé une improvisation, j’ai fait ce qu’avait fait Barychnikov dans Soleil de nuit et j’ai dansé sur la pointe de mes tennis. A la stupéfaction générale, j’ai été pris le jour même. Philippe Cohen, qui était le nouveau directeur du conservatoire, racontait avoir eu un coup de foudre : « Quand je l’ai vu arriver, je me suis dit : celui-là, il est exceptionnel, je ne peux pas le laisser partir ! » Moi non plus, je n’ai pas hésité une seconde. Je n’avais que 13 ans, mais je savais que c’était exactement ce que je voulais faire. J’ai déambulé dans le bâtiment, visité le cloître et le parc et j’ai appelé ma maman : « Je reste. » Et elle vous a fait confiance ? Oui. Tous les parents n’auraient pas eu ce cran. Quand j’observe mon fils qui a 11 ans, il m’est impossible de l’imaginer partir dans deux ans… Mais j’étais mûr, j’avais choisi l’axe de ma vie et j’étais sur une rampe de lancement. Une fois par mois, je prenais seul le train de nuit Lyon-Bordeaux pour rentrer à la maison. Les autres week-ends, j’explorais la ville avec une indépendance et une liberté incroyables. Ça m’a appris à être street smart, à développer une intelligence urbaine, une intuition de l’environnement et des gens qu’on a en face de soi qui m’a été utile, un peu plus tard, à New York. J’étais tellement heureux ! J’avais des professeurs magnifiques qui m’emmenaient au musée et au concert, m’apprenaient l’anatomie, l’histoire de la danse, l’analyse musicale. Quel contraste avec l’éducation américaine, où, en dehors de la danse, on n’apprend rien aux danseurs classiques. C’est affligeant. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Benjamin Millepied : « La danse est d’abord une expérience de l’être humain » Cela ne vous a pas empêché de partir à New York dès que vous l’avez pu ! J’étais dans le rêve américain. Et quand j’ai débarqué, le 3 juillet 1992, à 15 ans, pour un stage au Lincoln Center, que j’ai vu danser le New York City Ballet, le soir même de mon arrivée… Waouh ! J’ai été ébloui. Je n’avais jamais vu une telle énergie ni des danseurs aussi flamboyants. En septembre, tout feu tout flamme, j’ai donc appelé la maison : « Je veux rester. » Mais, cette fois, tout le monde a dit : « C’est trop tôt. Rentre ! » Et ils avaient raison. Entre 13 et 16 ans, j’ai acquis à Lyon bien plus que des bases techniques : une culture, une réflexion. Bref : des fondations. L’école américaine avait, de toute façon, un coût que je ne pouvais pas me permettre. Ce sont mes grands-parents paternels qui avanceront 10 000 dollars, l’année suivante, avant que j’obtienne des bourses. Vous entrez donc, à 16 ans, à la School of American Ballet ? Oui. Et j’y rencontre un génie : Jerome Robbins, le chorégraphe légendaire de West Side Story et d’une multitude de ballets. C’est déterminant. Il vient observer les cours, me confie le rôle principal du spectacle de fin d’année, me prend sous son aile et incite Peter Martins, le grand maître du New York City Ballet, à m’engager très vite dans la compagnie. En fait, dès que je commence à travailler pour lui, notre entente est comme une évidence, presque une intimité. Car il y a quelque chose de très naturel dans son approche de la danse. C’est moins la performance publique que l’intériorité du danseur qui l’intéresse, l’expression de son âme, sa sincérité absolue. Et moi qui ai commencé à danser spontanément en Afrique, j’ai la même approche organique. La danse part de soi, parle de soi, et on oublie le public pour écouter ses partenaires et vivre chaque pas avec le maximum de naturel. C’est génial, vous savez, quelqu’un qui s’intéresse à qui vous êtes, vraiment. Qui vous permet d’être vous, pleinement. Et qui vous donne la liberté. C’est ce qu’il y a de plus important pour un artiste. Est-ce quelque chose que vous partagez vous-même aujourd’hui ? Oui. Ce que j’essaie de donner aux jeunes danseurs de ma compagnie, c’est ce même geste de confiance. Et ce message si simple : je vous reconnais, je vous trouve formidable, je suis déjà amoureux de vous, vous n’avez rien à prouver ; en revanche, prenez tout ce qui peut vous épanouir. Eh bien, je vous assure que ça les oblige à mûrir et à devenir des artistes plus profonds. Et vous ? Qu’est-ce qui vous a fait grandir ? Des mentors qui m’ont tendu la main. Dès mon arrivée à New York, Jerry m’a présenté à son meilleur ami, Aidan Mooney, un intellectuel new-yorkais excentrique et d’une immense culture. « Emmène-le voir des choses ! », lui a-t-il dit. Aidan, pourtant bien plus âgé que moi, m’a emmené au théâtre, au concert, au musée, à l’opéra, au cinéma. Il m’a passé des livres issus de sa bibliothèque de 35 000 ouvrages, m’a fait visiter les réalisations de grands architectes, entraîné chez des antiquaires, dans des galeries d’art et des ventes aux enchères. Il y avait, chez lui, des objets incroyables, et, très vite, j’ai commencé moi-même à collectionner des meubles, me suis intéressé au design, à la photo, au Bauhaus. C’était une formation du regard. Et vous discutiez ? Sans arrêt ! Argumenter était un plaisir essentiel. A sa table, il y avait des gens qui embrassaient tous les arts. On pouvait critiquer ou défendre, encore fallait-il expliquer, développer, justifier ; accepter l’idée qu’on a toujours des choses à apprendre, susceptibles de modifier ou d’enrichir notre regard. Que la sensation provoquée par une œuvre d’art perdure, et qu’avec le temps… J’ai tant appris avec Aidan. A tel point que, dès que je découvrais quelque chose, j’avais envie d’en parler avec lui. Besoin de son regard, de son avis. Avez-vous retrouvé après sa mort un interlocuteur de cette qualité ? Impossible. On n’en fait plus, des gens comme ça ! Mais il a formé mon regard critique et m’a donné le goût de m’entourer de gens qui savent des choses que je ne sais pas. Cela m’obsède dans le choix des collaborateurs. Ils travaillent au service de ma vision, mais j’attends qu’ils apportent des choses auxquelles je n’aurais pas pensé. Et je les reconnais. Et je les célèbre. On grandit avec et grâce aux autres. Star du New York City Ballet, puis patron, depuis 2012, de votre propre compagnie, L.A. Dance Project, vous avez accepté, en 2014, le poste de directeur de la danse à l’Opéra de Paris, avant de jeter l’éponge et de repartir à Los Angeles. Qu’y a-t-il eu de plus rude dans cette expérience ? La violence humaine. L’affrontement, qui fait partie du quotidien du boss à l’Opéra. Sans doute ai-je manqué de maturité, de froideur, de distance, de blindage… Mais c’est impossible quand on est artiste. Alors, je suis parti, sans regret. Au moins, ce rêve de diriger, un jour, une grande compagnie est-il éliminé à tout jamais ! Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Millepied à l’Opéra de Paris : il était une fin N’y a-t-il pas eu aussi des incompréhensions d’ordre culturel ? Si ! Mon enfance en Afrique et mon parcours américain m’ont rendu très hostile à cette idée de classicisme et de perfection assimilée à l’homogénéité du groupe : tous pareils, tous alignés, tous blancs. Eh bien, non ! La richesse de la danse, c’est de célébrer l’humanité dans toutes ses composantes ; c’est de mettre en scène des êtres et des corps différents. Si l’art ne joue pas son rôle d’intégration, qui le fera ? S’il ne questionne pas l’époque, qui s’en chargera ? S’il ne bouscule pas les carcans et les clichés du genre, alors à quoi bon ? Il, elle, iel… C’est l’être humain qui importe, et sa totale liberté. Je veux, moi, que ma compagnie de Los Angeles vive en symbiose avec sa ville, sa jeunesse, ses quartiers. Je veux qu’elle reflète l’époque et la vibration artistique de cette cité étrange qu’un ami artiste qualifiait récemment de wasteland, terre en friche, dévastée par le Covid, la sécheresse, les inégalités. Et je n’exclus pas, d’ailleurs, d’en confier les rênes à une femme de couleur au parcours très différent du mien. C’est une velléité ou un projet ? Un projet. Cette femme aurait un autre rapport à la diversité que le mien, poserait un nouveau regard sur les quartiers défavorisés, débusquerait les archaïsmes du patriarcat et nous remettrait profondément en question. Je suis très sensible aux thèses de Rebecca Solnit, cette militante féministe et altermondialiste dont j’ai lu toute l’œuvre. Son concept du mansplaining, qui évoque l’arrogance des hommes et leur façon d’écraser les femmes en parlant à leur place, me semble tellement pertinent. Avez-vous vous-même évolué sur la question ? Le sujet des inégalités hommes-femmes me tient à cœur depuis toujours. Je n’ai pas besoin de thérapie pour savoir que c’est lié à ma mère. J’étais très sensible à la façon dont les hommes la traitaient. Les hommes après mon père. Sensible et attentif. Et puis, mon épouse [Natalie Portman] est actrice. Je vois bien la difficulté d’être une femme dans l’industrie du cinéma, et la rareté des rôles intéressants. Qu’avez-vous déjà envie de transmettre à vos enfants ? L’idée que la vie n’est pas une compétition. Qu’ils ne doivent pas se comparer, se juger, vouloir à tout prix plaire aux autres, mais chercher ce qui leur fait intimement plaisir. Je reviens moi-même de loin. J’ai connu le moule ultra-compétitif. C’est fini. Je n’en ai plus rien à faire d’être au sommet du succès. Et je vous assure que c’est un moment magique ! Je veux faire des choses profondes, porteuses de sens. Et je pense à George Balanchine, cet immense chorégraphe, assis, un soir de première, à côté de son assistante, effarée de constater l’hémorragie de spectateurs. « Monsieur, dit-elle, regardez tous les gens qui partent ! » Et Balanchine de répondre : « Mais regardez tous les gens qui restent ! » Voilà. Ce sont eux qui comptent. Alors, à une époque où nous sommes inondés de contenus, où plates-formes et réseaux ne songent qu’à provoquer l’addiction, continuons de créer avec sincérité. Accrochons-nous. Et ne pensons qu’à ça. « Roméo et Juliette », création d’après la pièce de William Shakespeare, jusqu’au 25 septembre à La Seine Musicale, à Paris. « L.A. Dance Project-Programme 1 », chorégraphié par Benjamin Millepied, au théâtre du Châtelet, à Paris, du 13 au 16 octobre. Benjamin Millepied (chorégraphie et danse) et Alexandre Tharaud (piano) au théâtre des Champs-Elysées, à Paris, du 6 au 9 juillet 2023. Annick Cojean / Le Monde
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Le spectateur de Belleville
September 17, 2022 6:43 PM
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Propos recueillis par Philippe Noisette pour Sceneweb - 17 septembre 2022 La chorégraphe Germaine Acogny recrée Le Sacre du printemps de Pina Bausch avec une troupe de danseurs africains. Au cours de la même soirée, elle présente common ground[s] avec Malou Airaudo, ancienne soliste chez Pina Bausch. Après plusieurs reports, le spectacle est présenté à La Villette dans le cadre de la saison du Théâtre de la Ville. Parlez-nous de la genèse de ce projet de recréer le Sacre de Pina Bausch avec une nouvelle troupe. Il n’y pas si longtemps je dansais Mon élue noire Sacre#2, un solo créé par Olivier Dubois, à Bruxelles. L’école des Sables a toujours eu des liens avec P.A.R.T.S., les étudiants font des stages chez nous. Je connais Anne Teresa De Keersmaeker, à l’origine de P.A.R.T.S., depuis l’époque de Mudra (créé par Maurice Béjart). Mais j’ai dit à Anne Teresa « pour savoir qui je suis vraiment, il faut venir me voir danser ! ». Elle est venue mais pas seule. En fait, elle participe au conseil d’administration de la Fondation Pina Bausch. Salomon Bausch avait avoué son désir de voir le Sacre dansé par des interprètes africains un jour. Et c’est Salomon Bausch, le fils de Pina et directeur de la Fondation, qui accompagnait Anne Teresa De Keersmaeker ? Oui ! Il était là pour Mon élue noire. Nous avons discuté à la fin du spectacle. Et évoqué ce projet. J’ai vu le Sacre de Maurice Béjart, j’ai vu celui de Pina Bausch. Pour moi le Sacre du printemps de Pina c’est africain ! Le mouvement, la tourbe, cette énergie. Puis Jo-Ann Endicott est venue donner un stage à l’Ecole des Sables, elle a pu se rendre compte de la qualité de nos danseurs. La machine s’est mise en route… Comment avez-vous procédé pour auditionner puis choisir la troupe ? Les sélections se sont déroulées au Burkina Faso, à Abidjan et à Dakar. Au total nous avons réuni 38 danseurs de 14 pays d’Afrique. Des ex-danseurs de Pina sont venus ensuite pour les répétitions. En Mars 2020 nous étions prêts à donner une représentation pour le public ici. Je rentrais de tournée. Et tout s’est arrêté, les théâtres ont fermé. J’ai éclaté en sanglots. Heureusement nous avons pu filmer une représentation avec les danseurs. Salomon Bausch a eu l’idée de le faire sur une plage au crépuscule, sur le sable. C’était magnifique. Comment les danseurs ont vécu cette expérience du Sacre et de l’écriture de Pina Bausch ? Ils se sont appropriés la musique de Stravinsky autant que la gestuelle. Nos danses traditionnelles sont une bonne école pour aller vers d’autres danses, vers d’autres cultures. Il y avait chez eux une soif d’apprendre. A L’Ecole des Sables nous sommes à l’écoute, c’est le principe. Une école de la communion. Je crois que cette énergie tellurique colle au Sacre. L’Afrique c’est la danse. Les 38 danseurs ne parlent pas tous la même langue mais ils se comprennent. On a réussi par la danse, en Afrique, ce que les politiques ont toujours échoué à faire ! Ce Sacre est donné avec une création, Common Ground(s), dansée par Malou Airaudo, ancienne soliste chez Pina Bausch, et vous La fondation Pina Bausch voulait que j’apporte quelque chose en échange ! Un solo par exemple. J’ai dit : non, nous allons le faire ensemble. Malou est venu à Dakar. Nous sommes toutes les deux des mères et des … grand-mères ! Surtout nous avions tant de choses à échanger. Le plus drôle c’est que sa première « chorégraphie » était sur la musique du Beau Danube bleu tout comme moi. Nous avons tellement de points communs. Cette rencontre avec Malou a été un voyage dans tous les sens. D’Oliver Dubois à Salia Sanou, vous inspirez les chorégraphes actuels… Olivier est venu me demander si je voulais être son élue noire. Béjart avait le désir de faire un Sacre pour Mudra Afrique et que j’en sois l’Elue. Hélas l’école a fermé avant. Mais faire un Sacre à 35 ans ce n’est pas la même chose qu’à 70 ans ! Olivier s’est appuyée sur ma personnalité, mes gestes. Cela a été un travail colossal. Avec Salia c’est autre chose. Il dit que je fais partie des personnes qui l’aident à être ce qu’il est maintenant. Je le vois comme mon fils spirituel. J’aime son humilité. J’apprends des jeunes. J’ai moi-même deux enfants, Patrick est dans la création, ma fille travaille à New York. A une époque je leurs disais quoi lire, quoi voir. Désormais c’est à leur tour de me conseiller. Après deux tournées repoussées, quel est l’état d’esprit de la compagnie ? Tous les danseurs sont prêts, nous sommes prêts ! Il faut montrer au monde cette énergie qui nous habite. Propos recueillis par Philippe Noisette – www.sceneweb.fr Le Sacre du printemps/Common Ground(s), du 19 au 30 septembre 2022 Espace Chapiteaux de La Villette dans le cadre de la saison du Théâtre de la Ville
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Le spectateur de Belleville
July 27, 2022 5:17 AM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 26 juillet 2022 Emporté par un cancer à 69 ans, il avait encouragé de nombreux chorégraphes au Conservatoire de Lyon et au Grand Théâtre de Genève.
Le nom de Philippe Cohen, mort des suites d’un cancer généralisé le 18 juillet à l’âge de 69 ans, chez lui, à Nîmes, est sur les lèvres de générations de danseurs et chorégraphes. Certains l’ont connu à la fin des années 1980 au Centre national de danse contemporaine à Angers, d’autres en tant que directeur des études chorégraphiques au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, de 1990 à 2003, ou plus récemment aux manettes du Ballet du Grand Théâtre de Genève qu’il dirigea pendant dix-huit ans, jusqu’en juin 2021. Abou Lagraa, chorégraphe : « Il était franc, même implacable parfois, mais il était au service de la danse et des artistes » La liste des artistes qu’il a soutenus, tels Benjamin Millepied, Andonis Foniadakis, Sidi Larbi Cherkaoui, Francesca Lattuada, Emanuel Gat, Joëlle Bouvier, Cindy Van Acker… se lit tel un bottin de l’art chorégraphique. « C’était une personnalité remarquable, un dénicheur de talents comme il y en a peu, s’exclame, très ému, le chorégraphe Abou Lagraa qui a créé Wahada au Ballet du Grand Théâtre de Genève, en 2019. C’était d’abord mon père de danse. J’ai intégré le Conservatoire de Lyon dont il était directeur en 1990 grâce à lui. Il a insisté pour que je sois pris alors que je n’avais pas une technique suffisante car il était sûr, disait-il, que j’allais devenir un grand interprète. Il était franc, même implacable parfois, mais il était au service de la danse et des artistes. » Lire aussi : Benjamin Millepied : une étoile française à New York Né en 1953 au Maroc, Philippe Cohen intègre le Centre de danse international Rosella Hightower de Cannes en 1971. Outre son apprentissage du classique, il y fait la découverte, pendant ses trois ans d’études, de styles variés qui vont bâtir son ouverture d’esprit. Dans la foulée, il décroche un premier contrat d’interprète au Ballet de Nancy, puis collabore avec le chorégraphe contemporain Dominique Bagouet, dont il devient l’assistant de 1978 à 1982. Vrai curieux, il poursuit sa quête de sensations inédites en s’initiant aux univers de Peter Goss et d’Alwin Nikolais. Après avoir peaufiné, comme nombre de danseurs de l’époque, sa technique auprès de l’américain Merce Cunningham (1919-2009), à New York, il revient en France pour devenir maître de ballet dans la compagnie du Jeune Ballet de France où il navigue entre les grandes pièces classiques telles La Sylphide ou La Belle au bois dormant et la création contemporaine selon Carolyn Carlson, Daniel Larrieu, Régine Chopinot ou Philippe Decouflé. « Une énorme bienveillance » Cette expertise aiguisée des répertoires chorégraphiques et cette connaissance profonde de tous les postes possibles de la création chorégraphique soutiendront ses partis pris esthétiques au Ballet du Grand Théâtre de Genève. Dès sa nomination en 2003, il passe commande à des noms repérés mais encourage surtout les jeunes créateurs et inscrit la compagnie dans le panorama international. Parmi eux, Sidi Larbi Cherkaoui qui a pris sa succession en juillet 2021 à la tête de l’institution suisse. « Philippe était perspicace, talentueux et avait à l’intérieur de lui une énorme bienveillance pour les artistes et pour toute son équipe, confie-t-il. Il était capable de désarmer chacun grâce à son intégrité et son honnêteté. Il possédait une autorité sans devoir vraiment lever la voix. Je suis très triste et sous le choc, même si lui-même disait souvent qu’il sentait que sa santé était depuis quelques mois fragile. Il va beaucoup, beaucoup, nous manquer. J’aurais tellement aimé qu’il puisse vivre la suite du ballet du Grand Théâtre de Genève avec nous, en tant que spectateur, sans devoir porter le poids de l’institution. » Lire aussi : Deux belles lectures de « Coppélia » Cette trajectoire d’excellence, Philippe Cohen a eu envie de la raconter dans un livre intitulé Un ballet pour notre temps, qui devrait sortir le 22 septembre aux Nouvelles éditions Scala. Avec le journaliste Philippe Verrièle, il y retrace son parcours et les enjeux de son travail de directeur artistique. Il venait d’en relire les épreuves en juin et de valider l’impression. A la question de savoir s’il avait des choses qu’il n’avait pas pu réaliser en presque vingt ans au Ballet de Genève, il répondait : « Je ne sais pas. J’ai envie de dire non. Peut-être est-ce parce que je me suis censuré inconsciemment, mais je crois que j’ai pu faire pratiquement tout ce que j’ai voulu. J’ai appris à travailler avec plusieurs directeurs différents et ils m’ont toujours suivi ; je n’ai eu que peu de projets inaboutis… Mon plus grand regret reste de ne pas avoir pu remonter Kontakthof, comme Pina Bausch me l’avait proposé avant son décès. » Rosita Boisseau
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Le spectateur de Belleville
February 6, 2022 3:21 PM
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Par Anne Diatkine dans Libération - 6 février 2022 La Japonaise, joyeusement multitâches, joue trois spectacles en même temps, où se croisent des secrets d’enfants et des hommages aux morts. Elle répète et joue trois spectacles en même temps, pas dans les mêmes lieux, ce serait trop simple, avec un petit don d’ubiquité qui lui permet d’éloigner l’impossible. Elle est déjà sur le plateau, un peu sur le feu tout de même, quand elle décroche son téléphone : «Se voir demain à 9 heures, d’accord !» Kaori Ito dit souvent oui, parce qu’elle est persuadée que le temps est élastique, que plus on l’occupe, plus il grandit, plus elle se développe. Elle est chorégraphe, danseuse, interprète, actrice, jardinière, peut-être fleuriste, écrivain, et bien sûr «grabouilleuse» et si, comme l’estiment certains économistes focalisés sur le bonheur de la très sérieuse Ecole économique de Paris, les gens multitâches sont plus heureux que les autres, il est probable qu’elle ait de bonnes chances de décrocher le pompon. Le Monde à l’envers, le spectacle qu’elle s’apprête à présenter dès qu’elle aura raccroché, est tissé de secrets. Ceux des enfants, qu’elle a recueillis en visitant des classes de maternelle. Sur le plateau, il y a une kamishibai – une cabane en carton très solide – sorte de scène itinérante qui se transporte au Japon pliée sur le porte-bagages d’un vélo. Denis Podalydès a enregistré la voix off du texte, tandis que trois danseurs interprètent les secrets. Kaori Ito explique : «Ce sont les enfants dans la salle qui permettent au spectacle de continuer en faisant les gestes nécessaires pour éveiller les danseurs. Notre secret à nous, adultes, est qu’on a trop grandi. Notre monde s’écroule.» Son fils s’appelle Sola, le ciel en japonais, et le spectacle lui est dédié. «J’ai imaginé qu’il tombe dans un monde à l’envers, où le rêve a pris la place de la réalité et où l’on marche sur le ciel car on a tellement piétiné le sol, qu’il a pris la fuite, comme dans le Mahabharata.» Enfant, ses secrets étaient autant de manières d’explorer le monde. Par exemple, elle pensait qu’elle était une extraterrestre parce qu’elle croyait «être la seule à avoir de la salive et à l’avaler. Je regardais bien la glotte des autres personnes, et j’avais l’impression qu’ils ne déglutissaient jamais. C’était comme si j’étais une super héroïne». Du coup, elle n’était pas certaine de pouvoir mourir, «ce qui m’inquiétait beaucoup». Fantômes et (vrais) miracles Kaori Ito arrive en coup de vent, joyeuse et désolée, elle a oublié de se réveiller, sa journée ressemble à un jeu de mikado, il faut réussir à s’en sortir sans qu’une seule des baguettes ne tremble. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas commencer la matinée par un bon croissant bien gras. Ensuite, elle filera au Centquatre, dans le nord de Paris, où elle répète Chers, sa dernière pièce conçue avant le confinement et qui a justement trait aux morts, avant de présenter le Monde à l’envers à Fontenay-sous-Bois, à 15 heures. Et retourner donc ensuite dans le XIXe arrondissement. «C’est parfait parce que les enfants me donnent, l’après-midi, l’énergie nécessaire pour la représentation du soir.» Chers, spectacle plein de fantômes et de (vrais) miracles, a nécessité l’intervention d’une chamane «contemporaine et sexy» en France pendant les répétitions, afin «de faire redescendre un peu de spiritualité sur le plateau». Mais aussi un voyage au Japon, où toute la troupe a rencontré des maîtres buto – le buto étant une danse de la mort. Kaori Ito remarque : «En France, on place la mort aux confins du quotidien. Au Japon, on parle avec les morts, on trinque avec eux, on a des tas de petits autels chez soi qui leur sont dédiés. On peut dire : “J’ai vu des morts s’impatienter dans une file d’attente pour manger des ramens.” En France, avec de tels propos, on passe pour un dingue ! Dans la culture japonaise, certains pensent même qu’il est discriminant de parler de “morts”. Ils estiment que ce sont juste des gens qui n’ont plus de corps.» Chers, qui aurait dû être créé pendant le confinement, a été beaucoup repoussé, reporté, puis de nouveau malmené par le Covid. Et voici que de nouveau trois danseurs devront être remplacés, «l’une pour une raison heureuse, parce qu’elle est enceinte, l’autre à cause d’une rupture de ligament, et le troisième parce qu’il est opposé au pass vaccinal». De plus, une grande partie du personnel du Centquatre ont entamé une grève contre le surégime et les sous effectifs et pour une revalorisation de leur salaire. Chers est le seul spectacle non annulé, mais au prix du sacrifice des lumières initiales. Dans quelques jours, Kaori Ito retrouvera Yoshi Oida, «un vieux monsieur sage de 88 ans», acteur fidèle de la troupe de Peter Brook pour danser le Tambour de soie, scénarisé par Jean-Claude Carrière. «Tout schuss sans écouter la musique» Kaori Ito trouve que l’âge sied aux danseuses. Son corps va beaucoup mieux à 42 ans que lorsqu’elle en avait 20 ou 30. Elle rit : «Il m’a fallu quarante ans pour découvrir que j’avais pris une mauvaise direction ! Je ne comprenais pas pourquoi j’avais si mal au dos ! Au début de leur carrière, les danseurs font beaucoup de compétition. Je me présentais : “C’est moi, Kaori, je viens du Japon.”» Elle mime alors sa posture, toute droite, bras un peu écarté. «Quand j’improvisais, je partais tout schuss sans écouter la musique.» Ajoute : «Aujourd’hui, je ne lutte plus. Et je regarde moins les corps que l’espace entre eux.» Kaori Ito, pourtant acrobate virtuose, ne commence jamais la journée en s’échauffant. Ou plutôt, elle s’échauffe plus tard en imitant ses partenaires. Elle fait du tai-chi avec Yoshi Oida, de la corde à sauter «très rapide» ou du «gainage» si elle voit un danseur s’y atteler. Elle entraîne dans ses exercices l’équipe technique du théâtre, électriciens compris, à la manière de Decouflé, le premier chorégraphe avec lequel elle a travaillé à son arrivée en France, à vingt-quatre ans. Plus le temps passe, plus elle pense à Alain Platel – elle faisait partie de la distribution de son Out of Context. For Pina : «Je me souviens, c’est lui qui faisait la vaisselle pour tout le monde. Et c’est aussi lui qui nous conduisait au théâtre. Quand il neigeait, sur les routes de campagne, il s’inquiétait de ne pas nous y amener dans de bonnes conditions.» Le Monde à l’envers, le Tambour de soie et Chers de Kaori Ito, en tournée en France, en Belgique et en Suisse.
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December 12, 2021 5:16 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde 11-12-21 La chorégraphe brésilienne présente, au Centquatre-Paris, un nouveau spectacle bariolé, entre camouflage et travestissement. Un océan de tissus bariolés, une jungle de carte postale, un immense lit communautaire, toutes les peaux du monde recouvrent de vagues le plateau d’Encantado, nouvel opus de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Le déroulement lent de ce patchwork, véritable tapis volant pour l’imaginaire, ouvre la pièce pour onze interprètes, à l’affiche, après le Théâtre de Chaillot, du Centquatre-Paris, du 10 au 14 décembre, dans le cadre du portrait consacré à l’artiste par le festival d’Automne. Ce dispositif, d’une grande beauté plastique, se compose en réalité d’une centaine de couvertures achetées sur un marché de Rio par Lia Rodrigues, dont on sait l’attachement à des matériaux modestes et quotidiens. Le tableau inaugural impeccablement composé et tout doux du poil va vite se découdre, exploser sous les crapahutages des danseurs qui s’emparent des étoffes pour décorer leur nudité, se costumer passionnément et tout envoyer valser d’un coup de tête. Les couvertures volent, claquent comme des drapeaux ou des lanières, au gré d’apparitions de créatures plus bizarres les unes que les autres. Là, une sirène géante bat de la nageoire ; ici, une boule roule du popotin ; plus loin, une divinité chamanique virevolte… Un tigre mord une rose elle-même avalée par un serpent tenu à bout de bras par un drôle de charmeur. Cette libre et folle exploration, entre camouflage et travestissement, souffle un grand vent d’enfance et de joie Ces mille et une merveilles mutantes illustrent la source d’inspiration principale de Lia Rodrigues comme elle l’indique dans le programme : l’univers proliférant et magique des « encantados » auxquels le titre de la pièce fait référence. Il s’agit d’entités afro-américaines, esprits de la nature, se déplaçant entre ciel et terre, et revêtant des formes différentes. La musique répétitive du spectacle, des chansons du peuple Guarani Mbya, jouées pendant la manifestation des indigènes pour la reconnaissance de leurs terres, à Brasilia, en août, est un appel pressant au rituel. Identités plurielles et contradictoires Les métamorphoses permanentes des interprètes se superposent au gré des tissus qu’ils nouent et enfilent. Leurs mues successives, criblées de cris et de grimaces comme souvent chez Lia Rodrigues, met aussi en avant le thème de l’invention de soi, des identités plurielles et contradictoires qui nous chahutent et de tous les possibles à portée de main. Femme, homme, mi-l’un, mi-l’autre, végétal, animal, sculpture vivante, les corps s’échappent et ne se ressemblent plus. Cette libre et folle exploration, entre camouflage et travestissement, souffle un grand vent d’enfance et de joie. On retrouve dans ce conte chorégraphique éclatant de couleurs le goût pour le soulèvement, toujours présent chez Lia Rodrigues en particulier dans sa pièce précédente, Furia (2018), plus sombre, plus prenante. Il se module dans Encantado en parade, parfois même en défilé de mode, avec ce talent repéré de la chorégraphe pour les mouvements de masse. La nudité des performeurs, l’économie visuelle du propos, paradoxalement serrée et débordante, soutient ferme ce théâtre physique nourri par les accessoires et les situations qu’ils génèrent. Avec un bémol néanmoins : à force de tirer sur le fil de ce raout textile, il s’effiloche un peu. Programmé parallèlement à Nororoca, créé en 2020 pour la compagnie norvégienne Carte Blanche, et aux Fables de la Fontaine, ce spectacle a été conçu pendant la crise sanitaire, dans un contexte particulièrement difficile. Deux cents danseurs de tout le Brésil ont auditionné par Zoom pour y participer et travailler avec cette chorégraphe de premier plan dont la compagnie est installée depuis 2004 dans la favela de Maré, à Rio de Janeiro. Une exposition intitulée Viva Maré, en collaboration avec l’association Redes de la Maré, est présentée, en écho à Encantado, au Centquatre-Paris. Elle complète ce portrait-mosaïque d’une artiste également pédagogue qui sait tresser création et transmission. Encantado, de Lia Rodrigues au Centquatre, Paris 19e. Jusqu’au 14 décembre. Egalement au Centquatre, l’exposition Viva Maré. Accès libre. Jusqu’au 26 décembre. Festival d’automne. Rosita Boisseau
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May 26, 2021 3:26 PM
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Par Camille Bordenet dans Le Monde - 26 mai 2021 Anna Halprin dans « Anna Halprin : le souffle de la danse », en 2009. ZAS FILM/ THE KOBAL COLLECTION/AURIMAGES Pionnière de la danse contemporaine, affranchie de tout carcan gestuel, cette danseuse née en 1920 a passé sa vie à réinventer sa pratique et a développé la danse-thérapie pour accompagner les malades. Elle s’en est allée, à l’âge de 100 ans.
Elle avait 100 ans. Encore peu connue en France jusqu’au début des années 2000, Anna Halprin, pionnière américaine de la danse contemporaine et figure de la danse post-moderne, est morte, ainsi que l’a annoncé sa fille, Daria Halprin, dans un post Facebook publié mardi 25 mai et relayé par le site Toute la culture. Née dans l’Illinois le 13 juillet 1920, issue d’une famille juive ayant fui les pogroms en Russie, Anna Halprin fait ses premiers pas de danse moderne au moment où la discipline connaît ses plus grandes heures. Elle se forme notamment aux techniques d’Isadora Duncan. Avec sa compagnie, le Dancer’s Workshop, elle participe à inventer une danse novatrice très libre, affranchie des carcans gestuels traditionnels, et qui se concentre sur l’essence même de la danse : le mouvement. Sa pratique et sa pensée ont ainsi influencé de nombreux artistes. Le grand public associe son nom à la Planetary Dance, un « rituel de paix et de renouveau » selon la définition qu’en donnait sa créatrice. Sensible au mouvement hippie, Anna Halprin décide d’utiliser le public de façon active et participative, contredisant la notion même de performance, selon différents biographes qui se sont penchés sur son travail. Ainsi, la Planetary Dance, rituel collectif sans performeurs ni spectateurs, invite chacun à participer, amateurs et professionnels. Il est organisé chaque année dans différents pays du monde et a eu lieu pour la première fois en France en juin 2013, dans neuf villes. Réfutant le rôle dominant traditionnellement attribué à tout chorégraphe qui dirige sa compagnie, cette affranchie mettra en place un atelier de danse démocratique, la Dance Cooperative. Son travail est en outre indissociable du plateau de danse en bois au milieu des arbres que lui a conçu son mari, l’architecte paysagiste Lawrence Halprin, dans leur jardin californien, et qui lui inspirera une recherche en lien avec la nature et l’improvisation. La danse comme catharsis Après avoir surmonté deux cancers grâce à la danse, elle participe à développer la danse-thérapie, largement déployée depuis. « Je dis souvent qu’avant mon cancer je consacrais ma vie à l’art, et qu’après mon cancer j’ai consacré mon art à la vie », confie-t-elle dans une biographie qui lui est consacrée (Anna Halprin: Experience as Dance, de Janice Ross, 2009). Elle travaille alors aux côtés des malades en fin de vie, atteints du cancer ou du sida, mais aussi auprès de personnes âgées. Parmi ses créations, on peut citer la pièce Intensive Care, Reflections on Death and Dying (2000) ou encore Parades & Changes (1965). Le Tamalpa Institute, fondé avec sa fille Daria, propose des formations en danse-thérapie. Parmi ses collaborateurs historiques : John Graham, AA Leath ou encore Merce Cunningham. Peu connue en France jusqu’à récemment, Anna Halprin a vu le musée d’art contemporain de Lyon lui consacrer une rétrospective en 2006. Lire aussi Découvrir Anna Halprin, 86 ans, figure de la danse postmoderne américaine A partir de témoignages et d’images d’archives, le documentaire Anna Halprin : le souffle de la danse retrace le parcours de cette affranchie, en quête de liberté et d’harmonie plus que de notoriété. Voir la vidéo
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April 6, 2021 8:28 AM
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Par Rana Moussaoui pour 24 matins.fr le 4/04/21 On se croirait en pleine séance de travail d'un ballet, si ce n'est l'homme aux côtés de la danseuse de l'Opéra de Paris n'est pas un répétiteur, mais Cédric Klapisch qui boucle son dernier film, petit "miracle" tourné en pleine pandémie. Sur la scène du Théâtre du Châtelet, qui a accueilli cette semaine les derniers jours du tournage entamé en décembre et réalisé également à La Villette et en Bretagne, Marion Barbeau signe ses débuts au cinéma et un retour sur le plateau, alors que les salles de spectacle sont fermées depuis plus de cinq mois. La ballerine de 30 ans a renoué ainsi avec des “émotions fortes qu’on ne retrouve qu’au théâtre”, même si l’expérience varie sensiblement une fois devant la caméra. “Un ballet présenté devant un public, c’est très frontal. Ici c’est plus subjectif, on guide le spectateur là on veut que l’oeil se pose”, affirme à l’AFP la première danseuse, grade précédant le titre suprême d’étoile. “Le sens du détail” Elle répète inlassablement un mouvement de bras dans une scène de “La Bayadère”, ballet du 19e siècle durant lequel l’héroïne danse avant de se blesser, ce qui brise son rêve d’étoile. Cédric Klapisch, tombé amoureux de la danse à 14 ans, multiplie les “Action!” “Coupez!” jusqu’à obtenir un geste “aérien”. “Dans la danse, le rendu est plus global, ici il ne faut penser par exemple qu’à sa main… c’est intéressant car le sens du détail est plus développé. Un micro à-coup ne se verrait absolument pas du public, mais à la caméra, tout se voit”, précise la danseuse, à l’Opéra depuis 12 ans après avoir été “petit rat” pendant six ans. Contrairement à certains films comme “Black Swan” privilégiant des actrices comme Natalie Portman et des doublures pour des rôles de ballerines, le réalisateur a choisi de vrais danseurs pour son 14e long-métrage dont la sortie est prévue en 2022. Un de ses films, “Les Poupées russes”, avait déjà côtoyé le monde de la danse classique avec la ballerine Evguenia Obraztsova jouant un personnage et il avait réalisé un documentaire sur l’étoile Aurélie Dupont. “Il y a quelque chose de très merveilleux dans le ballet, et quand on a accès aux coulisses, c’est encore plus magique”, dit-il à l’AFP. Outre Barbeau, que le réalisateur a trouvé “touchante” au casting, on retrouve le chorégraphe israélien Hofesh Shechter et les danseurs de hip hop Mehdi Baki et Léo Walk dans une distribution qui comprend les acteurs Pio Marmaï, Denis Podalydès et Muriel Robin. “métaphore” Lors de l’écriture du scénario, le réalisateur de “L’Auberge espagnole” ne se doutait pas à quel point l’histoire de la danseuse blessée allait apparaître comme “une métaphore de ce qu’on vit, sur l’isolement, sur le fait d’arrêter quelque chose”. Dans la salle du Châtelet se faufilent des dizaines de gens masqués qui seront le faux public du film. Dans les coulisses, des ballerines en tutu s’échauffent et sur scène, l’équipe de Klapisch scrute sur les écrans un gros plan des yeux Marion Barbeau. “Je trouve hallucinant d’avoir fait ce film (qui fait partie des 239 films agréés en 2020, ndlr). Il y a eu ce côté +on ne peut pas mais on le fait quand même+”, précise-t-il. Shechter, dont la troupe est basée en Grande-Bretagne, “m’a dit que c’était un miracle car tous leurs spectacles avaient été annulés. Ils étaient dans un état second car ils n’avaient pas dansé depuis des mois. Du coup, paradoxalement, ce Covid donne quelque chose au film”. L’héroïne finit par se reconstruire après une rencontre avec la troupe de Shechter. Cliché où la danse contemporaine est “libératrice” en opposition au “carcan” du classique? Aussi bien le réalisateur que la ballerine rejette cette interprétation. “Personne ne gagne sur l’autre”, souligne Klapisch.
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March 6, 2021 4:39 PM
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Par RDV CULTURE – Le chorégraphe jette douze danseurs dans un récit sur le pouvoir “surnaturel” du geste pictural. Un spectacle disponible sur le site d’Arte. Se poser sur des œuvres littéraires comme sur un tapis volant pour les faire décoller grâce à la danse est un exercice qu’affectionne Angelin Preljocaj. Dans La Fresque (2016), le voilà sous l’influence d’un conte chinois du XIIIe siècle. L’histoire met en scène un jeune homme qui tombe amoureux d’une femme peinte sur le mur d’un temple. Force du fantasme, emprise de l’imaginaire, ces thèmes délicats à mettre en scène trouvent ici une incarnation démultipliée par dix interprètes. Dans un décor d’écrans et de panneaux ainsi que de nuées imaginé par Constance Guisset, l’attraction du désir fait surgir de l’obscurité quelques scènes lentes et magnétiques, mais aussi une dynamique de farandole en couples. La musique électro de Nicolas Godin, ici avec la complicité de Vincent Taurelle, se colore d’accents folkloriques ou cosmiques pour faire palpiter les corps. Plaisir que de revoir cette pièce de Preljocaj. Voir la vidéo : « Angelin Preljocaj - La Fresque » (1h11), disponible sur le site d’Arte
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December 25, 2020 7:59 PM
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Par Elise Karlin dans M le magazine du Monde 25/12/2020 ENQUÊTE Maquillage inadapté, représentations coloniales dans le répertoire, danseurs grimés ou plafond de verre dans le recrutement… Dans le sillage de Black Lives Matter, des salariés métis et noirs de l’Opéra de Paris ont publié cet été un manifeste qui s’interroge sur la prise en compte de la diversité dans leur institution. Ce soir-là, le grand jeune homme porte un costume noir. Il se tient en haut de l’escalier du Palais Garnier et il attend ses invités. La soirée ne va pas tarder à commencer, une foule de gens élégants montent les marches en discutant. Soudain, passant devant ce grand jeune homme en costume noir, une spectatrice ouvre machinalement son sac et le lui présente. Le grand jeune homme se raidit mais reste absolument souriant : « Madame, vous faites erreur. Je ne suis pas la sécurité. » Déjà, son interlocutrice s’éloigne, à peine ennuyée. Pourquoi s’est-elle trompée ? Parce que le grand jeune homme en costume noir a la peau foncée. Dans l’inconscient du public de l’Opéra de Paris, si vous n’êtes pas blanc vous n’êtes pas de la maison. L’expérience du racisme ordinaire Et pourtant. Binkady-Emmanuel Hié n’est pas agent de sécurité, il est chef de projet événementiel à l’AROP, l’Association pour le rayonnement de l’Opéra de Paris, l’un des soutiens les plus actifs d’une institution tricentenaire qui compte deux salles de spectacle – l’une au Palais Garnier et l’autre place de la Bastille –, une académie et une école de danse. L’Opéra de Paris, c’est plus de 93,9 millions d’euros de subventions publiques en 2020, pour 230 millions de budget annuel – presque la moitié des ressources de cette entreprise durement frappée par une grève de plusieurs mois en 2019, puis par la pandémie de Covid-19. Alors que les aides de l’État ne cessent de diminuer, le mécénat culturel est une nécessité. Donc, être cadre à l’AROP, c’est œuvrer à la survie de l’Opéra de Paris. Ancien avocat au barreau de Paris, Binkady-Emmanuel Hié s’est reconverti en avril 2017. Présent, très investi, il n’est cependant pas surpris le jour où il entend : « Tiens, un Noir qui veut faire sa place à l’Opéra… » Sans compter la question systématique : « Vous venez d’où ? » Comme s’il était impensable qu’il soit bordelais, né d’une femme blanche et aux cheveux roux. « Le pays de mon père, le Burkina Faso, j’y ai mis les pieds une fois. » Le trentenaire raconte ainsi le racisme ordinaire de son environnement professionnel, les clichés, les plaisanteries déplacées lancées sans réfléchir, et lui qui se tait. Il parle aussi de son enfance de premier de la classe, bien élevé, toujours gentil, soucieux de ne pas se faire remarquer. Plus tard, la classe prépa puis l’école des avocats, et toujours la même obsession : se fondre dans un décor presque exclusivement blanc. « Je ne voulais surtout pas me retrouver avec l’étiquette “militant” collée dans le dos. » Le tournant du 25 mai Jusqu’au 25 mai 2020. Jusqu’à ce qu’il voie la vidéo d’un homme noir en train de mourir étouffé sous le genou d’un policier blanc dans une rue de Minneapolis. Les images de l’agonie de George Floyd, ses cris désespérés, « I can’t breathe ! », embrasent les États-Unis et les réseaux sociaux. « Black Lives Matter ! », scandent des manifestants un peu partout dans le monde. Pour la première fois, dit Binkady-Emmanuel Hié, il s’interroge sur son identité, sur la couleur de sa peau, sur ces remarques qu’il encaisse sans broncher depuis des années. Il en parle avec des amis dans la même situation que lui, des danseurs du corps de ballet de l’Opéra de Paris, Letizia Galloni, Awa Joannais, Isaac Lopes Gomes, Guillaume Diop et Jack Gasztowtt. La première est sujet, le grade intermédiaire dans la hiérarchie des danseurs, après premier danseur et étoile, qui offre quelques solos sur scène. Les suivants sont quadrilles, le cinquième échelon, et sont donc dans le corps du ballet. Ils sont tous métis, français nés d’un père ou d’une mère d’origine africaine. Ils ont tous l’expérience de la singularité dans une compagnie où ils sont les seuls, sur 154 danseurs, à ne pas avoir la peau claire des danseurs blancs européens ou asiatiques ; les seuls dont les cheveux crépus sont plus difficiles à coiffer ; les seuls à qui les traditionnels collants chair font les jambes grises ; le satin rose des chaussons pointes tranche à leurs pieds, et les fonds de teint pour « type européen » ne sont pas adaptés à leur carnation. Jusqu’ici, ils n’ont jamais rien dit. Des histoires qui se ressemblent Leurs histoires se ressemblent. Et leur histoire les rassemble. Une même volonté de se faire oublier, de rester à sa place, de ne jamais se mettre en avant. Les mêmes remarques, à l’école de danse : « Elle ne sera jamais prise à l’Opéra, elle est noire ! », murmurent les petites ; « Moins cambrée ! Ne te tiens pas comme une négresse », lance un professeur. Ensuite, après la réussite au concours, viennent l’angoisse de déparer dans un ballet dont l’homogénéité fait la fierté, l’appréhension du regard des autres, la crainte de la rumeur qui laisserait entendre que vous avez obtenu un rôle à cause de votre différence, et non grâce à vos compétences. Très longtemps, pour ceux-là, garder le silence a été la seule réponse. Sous une coupole hiérarchisée à l’extrême où il est mal vu de se distinguer, ils ne voulaient donner à personne une raison de les écarter. « Du jour où je suis entrée dans la compagnie de l’Opéra de Paris, je me suis définie uniquement comme une danseuse, point. Ma maman n’a jamais rien dit, alors que ça a dû être douloureux pour elle de sentir sa culture reniée. La mort de George Floyd m’a poussée à agir. » Awa Joannais, quadrille Le premier confinement est un choc. « Obligée de m’arrêter de travailler, j’ai pris du recul. Ça ne m’était pas arrivé depuis neuf ans, résume Awa Joannais, quadrille. J’ai commencé à réfléchir à ma différence, à mes origines. Je me suis rendu compte que j’avais complètement effacé le Mali, le pays de ma mère. Du jour où je suis entrée dans la compagnie de l’Opéra de Paris, je me suis définie uniquement comme une danseuse, point. Ma maman n’a jamais rien dit, alors que ça a dû être douloureux pour elle de sentir sa culture reniée. La mort de George Floyd m’a poussée à agir. » Guillaume Diop, quadrille, souligne d’abord qu’il a beaucoup regretté l’absence de réaction officielle du Ballet de l’Opéra national de Paris, quand une compagnie aussi prestigieuse, le New York City Ballet, a soutenu publiquement le mouvement en affichant sur son compte Instagram le 31 mai : « New York City Ballet stands with you #BalletRelevesForBlackLives. » Début juin, ils sont donc quelques-uns, à Paris, qui discutent et s’indignent de l’indifférence de leur ballet, quand ceux de New York et de Londres ont déjà mis en place des groupes de travail ou proposé des conférences pour discuter des problèmes liés à la représentation des minorités. Un vrai débat Ils évoquent leurs propres expériences. Ils s’enflamment. Décident d’écrire un manifeste, dont ils souhaitent simplement une diffusion interne, pour que l’absence de diversité au sein de l’Opéra cesse d’être taboue. Dans leur texte, « De la question raciale à l’Opéra national de Paris », ils réclament un vrai débat sur les attitudes, les habitudes, le répertoire – sur ce qui dévalorise ou stigmatise. Le « blackface » pour les personnages noirs, le yellowface pour les Asiatiques, des pratiques qu’ils décrivent comme « destinées à exagérer et tourner en dérision, avec condescendance, les traits des individus racisés », mais aussi les « actes blancs », les propos blessants… Il faut parler de tout, et avec tout le monde. Binkady-Emmanuel Hié contacte Christian Moungoungou et Florent Mbia, les deux barytons africains des chœurs de l’Opéra, pour montrer que l’absence de diversité concerne toute la maison, du ballet au lyrique. Il leur demande de s’associer à ce texte qu’ils veulent clair et sans polémique : non, l’Opéra n’est pas une institution raciste, mais, oui, certains salariés souffrent de se sentir discriminés, qu’il s’agisse de la couleur de leur peau ou de leur façon de manier la langue française, notamment pour certains artistes venus d’Asie. Cela doit changer. L’arrivée anticipée du nouveau directeur de l’Opéra de Paris va faciliter le dialogue. Alexander Neef débarque de Toronto, où il a dirigé la Canadian Opera Company ; au Canada, comme dans toute l’Amérique du Nord, la question de la représentation des minorités est un sujet majeur. Ainsi des pratiques du « blackface » et du « yellowface », abandonné(e) s par le New York City Ballet et le Royal Ballet de Londres en 2014 et 2015, où, à défaut de foncer des visages blancs, il est fait appel à des artistes réellement métis ou noir. Un directeur à l’écoute Avant même son premier rendez-vous avec les auteurs du manifeste, en juin, Alexander Neef a évoqué avec le directeur général adjoint de l’Opéra de Paris, Martin Ajdari, l’idée de confier à des personnalités extérieures une réflexion sur l’état des lieux. « J’étais très étonné, se souvient-il, qu’on parle principalement de l’égalité entre les hommes et les femmes et si peu de la diversité. Dans une mission de service public, si on prend les choses au sérieux, c’est un sujet qu’on ne peut pas ignorer. » « C’est d’abord leur attachement à la maison qui m’a impressionné. Aux États-Unis, la contestation l’emporte souvent sur la concertation. Là, il était clair qu’ils cherchaient l’échange, pas l’ouverture des hostilités. » Alexander Neef, directeur Constance Rivière, secrétaire générale du Défenseur des droits, ancienne collaboratrice de François Hollande à l’Élysée, et l’historien Pap Ndiaye, professeur à Sciences Po, spécialiste des minorités, sont mandatés pour apporter des réponses aux problèmes structurels, notamment l’accès des danseurs de couleur aux rôles emblématiques du répertoire classique, et aux questions conjoncturelles, comme les conditions de représentation des œuvres où des rôles stéréotypés comme Abderam, le chef des Sarrasins dans Raymonda, ou les Indiens dans La Bayadère caricaturent l’indigène, vestige des plus belles heures du colonialisme. à l’intérieur de l’institution, la direction rencontre les auteurs du manifeste : « C’est d’abord leur attachement à la maison qui m’a impressionné, dit Alexander Neef. Aux États-Unis, la contestation l’emporte souvent sur la concertation. Là, il était clair qu’ils cherchaient l’échange, pas l’ouverture des hostilités. » Surtout, ne pas braquer. Dans l’esprit des auteurs du manifeste, ce qu’ils considèrent comme « l’erreur de Benjamin Millepied » tient lieu de garde-fou : directeur de la danse pendant un peu plus d’un an, entre novembre 2014 et février 2016, Millepied a soulevé contre lui une grande partie des salariés en refusant, pour la première fois, de grimer de jeunes danseurs dans un tableau de La Bayadère, ballet romantique dont l’action se situe en Inde. A ceux qui s’indignent de cette rupture avec la tradition esthétique maison et exigent une discussion préalable, il oppose un refus ferme et définitif de perpétuer ses pratiques qu’il juge d’un autre temps. Dans le même esprit, il modifie sans concertation le nom du tableau incriminé : fini la « Danse des négrillons ». Ce sera désormais la « Danse des enfants ». Dans les couloirs, on fustige son tropisme « américain », on s’inquiète d’un premier pas vers une « ségrégation positive ». Les tentatives malheureuses de Benjamin Millepied La presse n’est pas moins irritée lorsque Millepied, en 2013, avant même d’entrer en fonction, s’émeut dans le magazine Têtu de « l’absence de danseurs de couleur » au sein de la compagnie : « Cette déclaration fracassante, tendant à faire croire aux bonnes âmes que la danse classique serait raciste, est aussi sotte, quoique plus politiquement correcte, que le fait de regretter qu’il y ait trop de joueurs noirs dans l’équipe de France de football », écrit le journaliste Olivier Bellamy sur le site du Huffington Post. « La compagnie ne pratique aucun ostracisme envers les danseurs de couleur », rétablit Ariane Bavelier dans Le Figaro, citant l’Eurasien Charles Jude, l’étoile d’origine berbère Kader Belarbi, Jean-Marie Didière, d’origine africaine, ou encore Raphaëlle Delaunay, d’origine antillaise. « C’était trop tôt, je n’étais pas prête. J’ai eu peur, peur qu’on me résume à la couleur de ma peau. » Letizia Galloni « Le ballet est donc bel et bien à l’image de la France, et la réflexion de Millepied plus conforme à l’esprit américain qu’à la réalité du Ballet de l’Opéra », conclut la journaliste. L’heure n’est pas à la révolution et la liberté du directeur de la danse heurte les conservatismes. Son choix de confier le premier rôle à une jeune métisse, Letizia Galloni, dans La Fille mal gardée, lui vaut de nouvelles critiques. Presque personne ne le soutient, pas même la danseuse : « C’était trop tôt, je n’étais pas prête, se souvient-elle. J’ai eu peur, peur qu’on me résume à la couleur de ma peau. » La fronde disparaît avec le départ de Benjamin Millepied, début 2016. La vie reprend comme avant. Aurélie Dupont, nouvelle directrice de la danse, suggère quand même d’aller chercher dans les quartiers défavorisés de jeunes danseurs pour les encourager à passer le concours de l’école de danse de l’Opéra de Paris, alors que 95 % du corps de ballet vient de l’école. Élisabeth Platel, la directrice de l’école, s’y oppose : elle refuse, explique-t-elle aujourd’hui, de donner de l’espoir à des gens qui pourraient, s’ils échouaient à intégrer le ballet de Garnier, lui reprocher d’être venue les chercher. Le directeur de l’époque, Stéphane Lissner, ne retient pas la proposition d’Aurélie Dupont. Une vraie révolution En 2017, il présente aux mécènes un court-métrage réalisé par l’artiste Clément Cogitore dans lequel des jeunes de toutes les origines et de toutes les morphologies, en sweat-shirt-bombers-baskets, dansent du krump, une sorte de hip-hop, sur le plateau de l’Opéra Bastille au son de Rameau et des Indes Galantes. Six minutes stupéfiantes plébiscitées par le public, nommées aux Césars, mais huées par un certain nombre de donateurs furieux. La direction ne réagit pas. Pas plus qu’elle n’intervient, en avril 2017, au courrier d’un artiste du chœur, Bernard Arrieta, qui reproche au metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov de « choisir très précisément les gens à mettre en évidence et ceux qu’il veut laisser discrètement derrière » – les barytons noirs et asiatiques – dans sa version de La Fille des neiges. Et qu’elle ne se manifeste pas non plus lorsqu’un chef de chœur écorche régulièrement les noms des artistes coréens et s’agace ostensiblement de ne pas les comprendre lorsqu’ils s’expriment en français. « Pour réussir une rénovation profonde, pour que dans dix ans, les minorités soient mieux représentées à l’Opéra, il fallait une vraie réflexion. Je l’ai confiée à des personnalités extérieures dans un souci d’objectivité accrue, d’une plus grande liberté de parole. » Alexander Neef Le silence, la gêne, Guillaume Diop, Awa Joannais, Binkady-Emmanuel Hié, Isaac Lopes Gomes, Letizia Galloni, Christian Moungoungou et les autres n’en veulent plus. Ils sont convaincus que, cette fois, le moment est venu, qu’ils vont être entendus. Et ils ont raison : la nouvelle direction réagit très vite, avant même que le manifeste soit envoyé par e-mail aux salariés de l’Opéra. Sur le principe, elle acte la disparition « des pratiques issues de l’héritage colonial et/ou esclavagiste » qui consistent à maquiller les artistes pour qu’ils correspondent à la vision de l’exotisme du créateur de l’œuvre. Une révolution qui touche au cœur d’un patrimoine toujours marqué par les choix esthétiques de Rudolf Noureev, directeur de la danse de l’Opéra de Paris de 1983 à 1989 – La Bayadère, Le Lac des cygnes, Casse-Noisette… « Certaines œuvres vont sans doute disparaître du répertoire, confirme Alexander Neef. Mais ça ne suffira pas. Supprimer ne sert à rien si on ne tire pas les leçons de l’histoire. Pour réussir une rénovation profonde, pour que dans dix ans, les minorités soient mieux représentées à l’Opéra, il fallait une vraie réflexion. Je l’ai confiée à des personnalités extérieures dans un souci d’objectivité accrue, d’une plus grande liberté de parole. » Des vêtements et des fards adaptés Le souhait d’obtenir des vêtements et des fards adaptés aux carnations foncées est plus simple à exaucer. La directrice de la danse, Aurélie Dupont, « heureuse que l’on parle enfin de ce sujet », prend rendez-vous immédiatement avec les services concernés. Fin octobre, quatre mois après l’avoir demandé, Letizia Galloni et Awa Joannais enfilent des pointes fabriquées dans un satin beaucoup moins rose, au milieu de costumières enthousiastes. « Je danse depuis quinze ans et c’était la première fois que j’enfilais des pointes de la bonne couleur », s’amuse Awa Joannais – des pointes que le fabricant britannique Freed of London n’a commencé à commercialiser que très récemment. Letizia Galloni a désormais une coiffeuse pour s’occuper de ses cheveux crépus, qu’elle a défrisés et coiffés elle-même pendant des années. Au maquillage, les deux danseuses n’ont plus besoin d’apporter leur propre fond de teint – « on peut arriver les mains dans les poches, comme les autres », résument-elles. Christine Neumeister, directrice des costumes à l’Opéra de Paris, regrette leur long silence : « J’avoue que j’ai été surprise en lisant leur manifeste. J’ai découvert leurs revendications ! Comment aurai-je pu y répondre avant, alors qu’elles ne nous ont jamais sollicitées, mes équipes et moi ? Depuis trente-cinq ans, mon métier consiste à gérer le sur-mesure, à m’adapter à toutes les carnations, à toutes les situations. Quand Aurélie Dupont est venue discuter, elle prêchait une convaincue. Je regrette simplement cette absence de communication. » La peur de sortir du rang De nouveau, les auteurs du manifeste mettent en avant la peur, constante et paralysante, de sortir du rang. Leurs parents sont modestes : mères au foyer, infirmières, électriciens, rarement familiers du milieu artistique et de ses codes. Au sein du ballet, le respect de la discipline prime sur l’expression de l’individualité, et la compétition renforce l’inquiétude de se singulariser. La danse, c’est leur vie. Certains en ont déjà payé le prix, isolés de leur famille, fâchés parfois avec un père qui rêvait pour son fils d’une carrière de footballeur, loin d’un milieu encore souvent associé à l’homosexualité. Contrairement à leurs camarades, ces danseurs ont eu assez peu de modèles identificatoires : pour plusieurs générations d’étoiles à la peau claire, combien de Misty Copeland ? « J’ai choisi Letizia comme petite mère [marraine] parce qu’elle me ressemblait », dit Guillaume Diop. Awa Joannais a fait pareil, et avant eux Letizia Galloni, qui avait elle aussi choisi un « petit père » (parrain) métis. Au moment d’envoyer leur manifeste à tous les salariés de l’Opéra, ils ont de nouveau hésité. Et si leur audace leur coûtait une place en concours ? « Alexander Neef a envoyé un e-mail général pour soutenir notre démarche, tient à souligner Letizia Galloni. C’était très important. » « Nous ne voulions pas renverser la table, nous demandions que s’ouvre le dialogue », souligne le chanteur lyrique Christian Moungoungou, appuyé par son collègue Florent Mbia : « Nous avions peur d’un scandale, qu’on nous reproche notre initiative. La réaction de la direction, ouverte et attentive, nous a donné la force de continuer. » Moins de 300 signatures La force de continuer malgré l’indifférence, souvent, l’incompréhension, parfois, voire l’hostilité des salariés de l’Opéra : envoyé le 24 août à plus de 1 500 personnes, le manifeste a recueilli moins de 300 signatures. Il y a ceux qui n’ont pas lu ces revendications ; ceux qu’elles agacent ; ceux qui ne les comprennent pas ; ceux qu’elles n’intéressent pas. Même au sein du ballet, beaucoup ne se sentent pas concernés, ce qui stupéfie Germain Louvet, danseur étoile engagé à gauche, gréviste au moment de l’opposition à la réforme des retraites : « A partir du moment où vous mettez un pied en scène à côté d’un danseur qui est concerné, vous êtes concerné ! Je pense que beaucoup d’incompréhensions viennent d’une méconnaissance du contexte historique des œuvres, du passé colonial de la France. » « Il ne faut pas attendre qu’un gamin noir qui vit dans une banlieue défavorisée se présente à l’école, il faut aller le chercher. » Germain Jouvet, étoile « A 12 ans, j’ai été négrillon dans La Bayadère, et je trouvais ça normal. Je n’avais pas la culture historique pour comprendre que le ‘‘blackface’’ représentait un fantasme d’exotisme, un divertissement, pas la réalité. J’ai mis du temps à mesurer à quel point j’étais prisonnier de ma culture, la culture occidentale. Ce travail de contextualisation, d’explications me paraît essentiel. » Expliquer, ouvrir, aussi : « Il ne faut pas attendre qu’un gamin noir qui vit dans une banlieue défavorisée se présente à l’école, dit Germain Louvet, il faut aller le chercher. » Il n’est pas le seul à le penser : pour beaucoup, l’absence de diversité à l’école de danse de l’Opéra serait le cœur du problème. La directrice de l’école, l’ancienne étoile Élisabeth Platel, s’insurge : « Pourquoi sont-ils si peu nombreux à se présenter ? Parce qu’ils pensent que cette école est réservée aux élites. C’est faux ! Toutes les classes de la société sont représentées ; la scolarité est gratuite, les chaussons sont fournis. Changer notre image est une nécessité, mais il ne faut pas que cela se fasse aux dépens de notre niveau d’exigence. » Si l’abandon du « blackface » est pour elle une évidence, en revanche, renoncer à blanchir les personnages de fantômes lui semble une hérésie esthétique. Élisabeth Platel insiste, évoquant le souvenir d’une fillette noire en larmes parce qu’elle était la seule à ne pas avoir été blanchie au maquillage. Son ultime réticence : toucher à l’homogénéité du corps de ballet, « propre à l’esthétisme européen », rappelle-t-elle. Le poids, la taille, la norme doivent être les mêmes pour tous. Un discours sur la force de la tradition paradoxal dans la bouche de celle qui incarna la modernité et le souffle frais du renouveau lorsqu’elle prit la direction de l’école, en 2004, en remplacement de la redoutée Claude Bessy, qui la dirigeait depuis 1972 et dispensait un enseignement réputé pour sa sévérité… « Cette question de l’uniformité du ballet blanc, sous couvert de relever de considérations exclusivement esthétiques, mérite réflexion, relève pourtant Martin Ajdari. Comme certains stéréotypes véhiculés dans le répertoire, qui traduisent une représentation européo-centrée, et ses préjugés. Ces questions ne touchent pas simplement au répertoire. Nous avions engagé ce travail peu avant la prise de fonction d’Alexander Neef ; sa démarche et nos réflexions ont concordé. » Des conservatismes qui ont la peau dure Et, effectivement, les auteurs du manifeste louent la volonté de l’Opéra, ces dernières années, de mettre en place des politiques pour atteindre de nouveaux publics, d’origines sociales différentes. Ils évoquent aussi le travail « exemplaire » de l’Académie et de sa directrice, Myriam Mazouzi, qui développe des projets d’éducation artistique et culturelle pour rendre l’Opéra plus accessible. Mais il suffit de regarder les musiciens dans la fosse, les techniciens, l’administration, le public pour le comprendre : on y voit presque uniquement des visages blancs. Ainsi, les seuls Noirs qui apparaissent dans le film de Jean-Stéphane Bron, L’Opéra, sont les agents d’entretien. Quant au public, il n’est pas moins conservateur : « Bientôt Village People à l’Opéra », regrettait un commentaire laissé par un internaute à la suite d’un article du Monde sur la volonté de l’institution d’engager une réflexion pour plus de diversité en son sein, mais aussi parmi les artistes invités ou les metteurs en scène extérieurs. Un membre de l’administration raconte avoir un jour invité des amis antillais. Il les a aperçus tout de suite dans la salle où il les cherchait des yeux : ils étaient les seuls à ne pas être blancs. « Comment peut-on donner envie à leurs enfants ? Parmi les spectateurs, parmi les danseurs, personne ne leur ressemble ! » Malgré un effort sur les prix des places, l’Opéra semble par ailleurs toujours inaccessible à beaucoup de Français. Les conservatismes ont la peau dure partout dans le monde. La sœur d’Isaac Lopes Gomes, Chloé Lopes Gomes, une danseuse de 29 ans formée à l’Académie du Bolchoï, a raconté au Guardian, le 9 décembre, le harcèlement dont elle a été victime pendant les deux ans qu’elle a passés au Staatsballet de Berlin. Un calvaire qui a commencé dès son arrivée, en 2018 : « Une femme noire gâche l’esthétique du ballet », a lancé sa professeur en découvrant la jeune danseuse, première métisse à intégrer cette compagnie. Rien d’aussi direct à l’Opéra de Paris, mais la mission confiée à Constance Rivière et à Pap Ndiaye a suscité de nombreuses réticences en interne parmi ceux qui redoutent une « américanisation » de l’Opéra de Paris, qui craignent que la diversité implique une entorse à l’excellence, ou qui ne voient pas de lien entre esthétisme et racisme. Au fil du temps pourtant, beaucoup de salariés ont souhaité rencontrer les deux rapporteurs. Leur travail, initialement attendu mi-décembre par la direction de l’Opéra, ne sera finalement pas rendu avant la mi-janvier. Cinq mois pour réexaminer la norme morphologique et chromatique qui définit l’excellence à l’Opéra de Paris, pour repenser la manière d’incarner et de jouer la tradition, pour démocratiser l’institution sans la vulgariser. En attendant, La Bayadère, le chef-d’œuvre de Noureev, a été diffusée le 13 décembre sur la nouvelle plate-forme numérique L’Opéra chez soi – le « blackface » a disparu de la « Danse des enfants ». D’ici à quelques mois, une annonce officielle ou un petit livret pourraient précéder le spectacle. Pour expliquer au public pourquoi la couleur de la peau ne peut pas être un élément anodin du décor. Elise Karlin Légende photo : De bas en haut et de gauche à droite, Letizia Galloni, sujet, Guillaume Diop, Awa Joannais, Isaac Lopes Gomes et Jack Gasztowtt, quadrilles. Karim Sadli pour M Le magazine du Monde
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Le spectateur de Belleville
November 26, 2020 5:52 PM
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Par Ariane Bavelier dans Le Figaro 25/11/2020 ENTRETIEN - Ce Français, étoile fétiche de Noureev à l’Opéra de Paris, quitte la direction du ballet de Vienne pour prendre celle de la Scala, à Milan, au mois de décembre. Ancien élève de l’École de danse de l’Opéra de Paris, Manuel Legris, 55 ans, est considéré comme l’un des meilleurs danseurs du monde. Il a su aussi s’imposer comme l’un des plus grands directeurs de compagnie. Avant de quitter Vienne, il a rangé ses tiroirs. Il vient d’y retrouver, avec l’émotion qu’on devine, des lettres oubliées et jamais ouvertes, faute de temps. Certaines sont signées Roland Petit, Yvette Chauviré - qui disait de lui: «C’est mon soleil» - ou Jerome Robbins. Les plus grands chorégraphes et danseurs ont compté parmi ses fans. LE FIGARO.- Vous quittez Vienne pour Milan, alors qu’on vous attendait à Paris? Manuel LEGRIS.- Cela fait dix ans que je suis à Vienne. Il faut savoir tenter de nouvelles expériences. J’ai voulu suivre Dominique Meyer, qui m’avait fait venir à Vienne et avec qui nous nous sommes merveilleusement entendus. La compagnie de la Scala, à qui je viens de donner mon ballet Silvia, a un niveau incroyable avec des jeunes extrêmement prometteurs, formés dès l’école par Frédéric Olivieri. Celui-ci a accompli un travail formidable et reprendra l’école, comme il le souhaitait, après avoir dirigé la compagnie. En ces temps de «#metoo» où les hommes sont de moins en moins bien vus à la tête des compagnies, quel genre de directeur êtes-vous? Il y a des directeurs qui sont dans les bureaux. Je suis dans les studios, toujours avec les danseurs. J’aime faire travailler, diriger les répétitions, prendre ma barre tous les matins. Pour transmettre, il ne faut pas arriver sur son piédestal, mais rester dans la simplicité, se mettre au même niveau qu’eux et les aimer. Alors on peut même dire des choses un peu abruptes. Un danseur peut tout entendre s’il sait que la personne en face l’aime sincèrement. Je leur donne confiance. C’est aussi pour cela que j’ai chorégraphié des ballets comme le Corsaire, puis Silvia. Pas avec une ambition de chorégraphe, mais pour raconter l’histoire de mes danseurs par rapport à ce que j’ai découvert en eux, de leur technique, de ce qui leur va bien. Je suis parti du quotidien d’un petit garçon de banlieue et je me suis battu pour vivre des rôles et des histoires qui m’ont ému, déstabilisé, grisé, comblé. Manuel Legris Quand avez-vous su que la danse serait votre métier? Depuis toujours. À quatre ans et demi, j’ai déclaré à mes parents que ce serait ma vie. J’avais vu un Lac des Cygnes avec Noureev à la télé, mais il n’y avait pas tellement d’images qui s’imposaient. Ce qui me happait, c’était la sensation du mouvement et sa relation avec la musique. Dès qu’il en passait à la télé, je dansais. Ça me reliait à la possibilité de m’exprimer. Ce n’était pas un sport, mais quelque chose d’artistique qui me nourrirait. La danse devait effectivement être ma bonne étoile parce qu’il continue à m’arriver, à travers elle, des choses hallucinantes. La discipline, les blessures, les profs qui hurlent, les rivalités… Devenir danseur n’est tout de même pas complètement une promenade de santé! Penser comme cela, c’est dans l’air du temps, mais c’est une perte de temps. «Black Swan» m’a agacé: le film véhicule tous les clichés sur le ballet, les pieds qui saignent, les méchants profs… Ce n’est pas le monde de la danse que j’aime ni celui qu’on remarque quand on pratique cet art passionnément. Si on ne peut plus dire à un danseur qu’il n’est pas parfait, on retourne en arrière! Être élève de Michel Renault à l’École de Danse, ce n’était pas rose tous les jours. Mais on a survécu et on parle encore de nous. Pas si mal, donc. La discipline, je l’ai comprise tout de suite: elle me permettrait de progresser. Je me la suis imposée dans l’espace de ma passion. Je demandai à mes parents de m’inscrire à de plus en plus de cours, de stages. C’était lié à ma volonté d’aller plus loin. Cela me cadrait: dans mes études, mes relations avec les gens. Je l’ai vécue comme quelque chose de bénéfique et nécessaire. Elle me permettait de résister, de mesurer les capacités de mon corps, et me rassurait. La rivalité, je l’ai vécue sainement. On avait l’habitude de nous comparer Laurent Hilaire et moi. Le voir réussir des choses me montrait que je pouvais à mon tour réussir à les faire ou l’inverse. Quant aux blessures, j’ai été bien loti: juste un ménisque à 42 ans et demi et une légère entorse. J’ai beaucoup appris sur mon corps, à le connaître et à le remercier. Ça a été mon instrument et ça le reste: aujourd’hui, il me permet encore de montrer les pas, les portés, les variations. Que vous a-t-il appris, votre corps? À interpréter les signes physiques. Les douleurs peuvent être liées au stress. Il arrive que, deux heures avant d’entrer en scène, on se dise qu’on n’y arrivera pas. Le mental doit surpasser ces signaux d’autant plus forts qu’on a un doute sur un rôle. Danser la Bayadère m’a été une torture. Je n’y avais vu que des grands danseurs athlétiques russes, et j’étais persuadé que ce n’était pas mon emploi. Mais Noureev m’avait attribué le rôle de Solor, avec Laurent Hilaire et Charles Jude. Il fallait lui donner raison, mon corps n’était pas d’accord. La préparation a été complexe. Travailler avec des chorégraphes très différents m’a beaucoup appris. Je m’en souviens quand je fais travailler les danseurs. Il faut trouver la bonne clé pour faire avancer chacun. Cette recherche continue à nourrir ma passion: j’aime découvrir de nouveaux danseurs, les amener quelque part. Manuel Legris Noureev vous a fait. Que vous reste-t-il de lui? Il n’expliquait rien, il fallait attraper en le regardant. Il avait de la présence et de l’autorité mais son corps ne répondait plus si facilement. Cela m’a appris qu’un danseur doit trouver son chemin personnel. Tout le monde est différent. Il faut se dompter soi-même, comprendre entre les lignes comment adapter les choses pour soi. C’est un travail intellectuel et pas seulement physique. Travailler avec des chorégraphes très différents m’a beaucoup appris sur ce sujet. Je m’en souviens quand je fais travailler les danseurs. Jamais tous de la même façon. Il faut trouver la bonne clé pour faire avancer chacun. Cette recherche continue à nourrir ma passion: j’aime découvrir de nouveaux danseurs, les amener quelque part. À Vienne, j’ai aimé la diversité de la compagnie, composée de 80 corps venus d’écoles différentes, et le raffinement du travail qu’il a fallu effectuer pour les amener à respirer et à danser ensemble. Voir danser les autres quand la scène a fait de vous un prince, comment est-ce? La scène m’a tout apporté. Cette vocation, on l’a, on y croit, on donne tout et tous mes rêves se sont accomplis sur scène. Je suis parti du quotidien d’un petit garçon de banlieue et je me suis battu pour vivre des rôles et des histoires qui m’ont ému, déstabilisé, grisé, comblé. Aujourd’hui, j’ai exactement le même plaisir à voir en scène les danseurs que j’ai préparés que lorsque j’y étais moi-même. Je vis les rôles avec eux, dans ma tête et dans mon corps aussi. Je peux les préparer: en Roméo dans la scène du balcon, on ne voit plus Juliette en face de soi, tellement on est exténué. Je montre où il faut souffler pour pouvoir tenir. Le manège de double assemblé au troisième acte de La Bayadère, je l’ai tant redouté, qu’il me suffit d’en entendre la musique pour que je descende de vingt centimètres dans mon fauteuil. Légende photo : «La scène m’a tout apporté. Cette vocation, on l’a, on y croit, on donne tout et tous mes rêves se sont accomplis sur scène», confie Manuel Legris. Oscar Gonzalez/NurPhoto via AFP
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Le spectateur de Belleville
November 3, 2024 11:13 AM
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Par Sonya Faure dans Libération - 3 nov. 2024 «Libé» a assisté aux répétitions du nouveau spectacle du danseur et chorégraphe. En marge de l’exposition «Figures du fou», l’artiste conçoit un cheminement dans les boyaux du Louvre médiéval aux côtés d’étranges créatures, de ballon roses et de chanteurs lyriques. Longtemps François Chaignaud a préféré tenir le sujet à distance. «La folie était pour moi un terme repoussoir. L’association entre l’artiste et le fou était étouffante, elle venait recouvrir n’importe quel geste de création, dans la danse contemporaine notamment, d’une couche visqueuse : la souffrance psychique, l’aliénation, l’enfermement asilaire…» Et puis le Louvre a proposé au chorégraphe, cabarettiste et chanteur lyrique, nourri d’Isadora Duncan, de musique baroque comme de Zizi Jeanmaire, de créer un spectacle en marge de sa grande exposition du moment : «Figures du fou, du Moyen Age aux romantiques». L’année dernière déjà, toujours dans le cadre du Festival d’automne à Paris, Jérôme Bel et Estelle Zhong Mengual avaient performé devant la Victoire de Samothrace. François Chaignaud a suivi l’élaboration de l’exposition, avec ses fous gouailleurs et fantaisistes, et la folie s’est soudain débarrassée de sa gangue gluante. «Au Moyen Age surtout, le fou est une figure centrale, celle de la marge. Exubérant et fantasque, faisant de sa vie un spectacle, c’est la voix qui s’exprime hors des conventions, questionnant les hiérarchies. Alors là, oui, je me sens hyper proche de cette vision de la folie.» Il a eu carte blanche pour choisir l’espace du palais où il présenterait Petites Joueuses, son spectacle, déambulation libre en six petites pièces, en six stations. Il a vite choisi le Louvre médiéval, un Louvre enterré, les fondations de pierre du donjon et de l’ancienne forteresse recouverts par le Palais-Royal. «Une partie souterraine méconnue, une strate un peu oubliée, justifie-t-il. Le seul endroit du musée où il n’y a pas de grands maîtres.» Le seul endroit où il n’y a pas d’œuvres du tout, mais de vigoureuses murailles étêtées. «Pourtant, ici aussi il y a des signatures, des marques sur les pierres taillées, gravées par les tacherons pour être payés pour leur travail. Des gens qui ont fait des gestes, utilisé leurs corps pour créer. Mais dans cette grosse machine à fabriquer de la valeur et des chefs-d’œuvre qu’est le Louvre, leurs signatures, elles, n’ont pas pris de la valeur.» Chimère moderne Dans un creux de la muraille, une femme joue d’un concertina, c’est la Soufflante. Un peu plus loin, une forme gonflable respire et éclaire faiblement ce boyau du Louvre. Une danseuse tourne autour de cette chimère moderne et tente d’y accorder son souffle. Des airs des XIVe et XVe siècles s’élèvent encore un peu plus loin, cinq chanteurs lyriques en toges ou combinaisons rouges déambulent, des bouées de plage en forme de flamant rose nouées sur la tête. C’est du Brueghel. Des sex-toys flottent et crachotent dans leurs petits aquariums (cette pièce-là s’appelle la Vibrante, jeux pour bacs d’eaux et aspirateurs clitoridiens), évoquant furieusement les formes blanchâtres et flottantes du Jardin des délices de Bosch. Ce soir de répétition, c’est tout un petit peuple souterrain, de tendres créatures, des fols dansant la mauresque dans leurs costumes bicolores (l’attribut de l’insensé, une fois encore) qui tiennent autant du capuchon du fou médiéval, de la combi du plongeur (écho du lointain passé aquatique du lieu et de ses douves) et, ajouterait-on, de Star Trek. Les Ballonnées, l’Exhalée, les Eventées : le souffle relie chacune des performances et des jeux. Le souffle du fou. L’image du fou comme une soupape, comme une respiration nécessaire au reste de la société est elle aussi un écho de l’exposition, à l’étage supérieur. Le fou, avec sa tête pleine de vide et de courant d’air, qui ne jouait, au Moyen Age, que d’instrument à vent, cornemuse ou accordéon. Le souffle, c’est aussi ce matériau fondamental à la danse et au chant, et au travail de Chaignaud en particulier. Dans Sylphides en 2010, avec Cécile Bengolea, il dansait sous vide, le corps emprisonné dans une seconde peau de latex, ses capacités respiratoires réduites au minimum vital. Trouver une certaine quiétude Le nom de son nouveau spectacle au Louvre, Petites Joueuses, était au départ un nom de code. Celui qu’il s’était donné pour travailler autour de pratiques de danse et d’écriture «modestes, mais souveraines». «Des formes de faible intensité, à petite échelle, qui instaurent une autre hiérarchie et me pousse à réfléchir à mon propre rapport à la virtuosité et à l’effort.» Chaignaud et ses danseurs en ont fait un manifeste : pourquoi faire de l’art en petite joueuse ? «Parce que les petites joueuses n’acceptent pas les règles du grand jeu. Parce qu’elles refusent de suivre le groupe quand il s’enhardit, refusent parfois de prendre des risques, de conduire vite ou de sauter du train, et ont parfois raison.» Souvent, pendant la répétition, il guide l’un des performeurs en lui disant qu’il faut s’attacher à trouver une certaine quiétude. «Je te promets que tu vas gagner des choses en en enlevant», dit-il à une danseuse à qui il propose de mesurer ses gestes, d’en faire moins. «Tu ne perdras rien», jure-t-il tranquillement, à voix douce. Retrancher pour faire rejaillir davantage les petits gestes, une respiration, un regard plongeant dans les yeux du spectateur qui cheminera les entrailles obscures de ce Louvre. Etre un peu plus paresseuse en somme, telle la petite joueuse, tel le fou «qui dort au mauvais moment, qui ne veut pas travailler, qui remet en cause les normes productives de la société». Les visiteurs du soir de Petites Joueuses entreront un à un dans le parcours, toutes les 20 secondes. Ils y resteront autant de temps qu’ils le souhaitent. A la fin, une porte s’ouvre vers l’étage et l’exposition, à laquelle le billet du spectacle donne droit, dans des conditions privilégiées – moins de monde, et le souvenir des regards des créatures de Chaignaud qui se superposent à ceux des fous sculptés ou entoilés, au mur du musée. Cette danseuse, surtout, la tête pendante sur l’épaule, claudicante sur ses échasses qui sont tout aussi bien des béquilles. «Une manière très petite joueuse d’accomplir le rêve de toujours de la danse et des ballets, dit le chorégraphe. Dormir un peu plus près du ciel.» Sonya Faure / Libération Petites Joueuses de François Chaignaud, du 4 au 16 novembre au Louvre médiéval. Neuf créneaux par soirées sont proposés à la réservation, de 19 h 30 à 22 h 10, et le billet comprend la visite de l’exposition «Figures du fou». Quelques places sont encore disponibles pour ce spectacle coproduit par le Louvre et le Festival d’automne à Paris.
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Le spectateur de Belleville
May 6, 2024 2:04 PM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 6 mai 2024 Figure de proue de la danse moderne et contemporaine, l’artiste avait fondé le festival des Baux-de-Provence en 1962, avant d’être nommé inspecteur de la danse au ministère de la culture, poste qu’il occupa de 1989 à 1991. Il est décédé mercredi 1er mai, à Paris.
Lire l'article sur le site du "Monde" : https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/05/06/la-mort-du-choregraphe-dominique-dupuy_6231937_3382.html Son esprit pénétrant, sa vibration profonde auréolaient chaque rencontre même fugace avec Dominique Dupuy d’une tension électrique. Libre et aventureux, l’artiste et chorégraphe, tête de proue de la danse moderne et contemporaine, aussi présent sous les feux de la rampe que militant dans les bureaux des institutions, est mort mercredi 1er mai chez lui, à Paris. Un an et demi après la disparition, en septembre 2022, de Françoise Dupuy, sa femme et complice de création, cet homme au tempérament trempé s’est effacé. Dominique Dupuy est né Jean-Dominique Dupuy le 31 octobre 1930, à Paris. Curieux, gourmand, fonceur, passé par l’apprentissage du ballet, de l’acrobatie et du théâtre, il travaille avec le chorégraphe allemand installé en France Jean Weidt (1904-1988) à la fin des années 1940 pour la pièce Cellule, où il croise celle qu’il épousera. En 2005, au Théâtre de Chaillot, à Paris, il rend hommage à Weidt et à la danse expressive allemande dans le spectacle W.M.D., qui reprenait le superbe Vieilles gens, vieux fers, conçu en 1929 par Weidt. Ce soin amoureux apporté à l’histoire et à sa transmission draine toutes les vies de Dominique Dupuy. De sa première compagnie, Françoise et Dominique, qui joue dans les cabarets dès les années 1950, aux Ballets modernes de Paris, fondés en 1955, du festival des Baux-de-Provence, qu’il crée en 1962, au ministère de la culture, où il est inspecteur de la danse de 1989 à 1991, Dominique Dupuy remet sans fin son ouvrage sur le métier. Un programmateur affûté Dans le livre Une danse à l’œuvre, de Dominique et Françoise Dupuy (Coédition Centre national de la danse - scène nationale de La Roche-sur-Yon, 2001), la pionnière américaine Anna Halprin (1920-2021) souligne en introduction le rôle du couple : « Leur détermination, dès les années 1940, à changer l’art de la danse (…) témoign[e] de leur véritable nature d’artistes iconoclastes. Pour relever ce défi de longue haleine d’un travail à contre-courant de la marée culturelle, ils ont dû se dépasser et endosser bien des rôles. (…) Ils sont devenus des artistes, doublés d’éducateurs, professeurs, écrivains, directeurs, chorégraphes, organisateurs, politiques et activistes. » Programmateur affûté, Dominique Dupuy présente en 1962, pour la première fois, le chorégraphe américain Merce Cunningham (1919-2009) au Théâtre de l’Est parisien. Pédagogue, il crée en 1969 le centre de formation des Rencontres internationales de danse contemporaine (RIDC) et donne des cours notamment au Centre national de danse contemporaine d’Angers. C’est là que le chorégraphe Amala Dianor travaille avec lui en 2001. « Pour moi qui venais du hip-hop et dont le mouvement était démonstratif et musclé, il m’a appris à trouver une autre densité au geste, à déplacer l’air, comme il disait, avec la même intensité physique mais avec une conscience complète de ce qui est mis à l’œuvre », résume Dianor. « Il se battait contre l’oubli » Interprète tranchant, il irradie dans nombre de ses spectacles jusqu’en 2016 parmi lesquels Le Cercle dans tous ses états (1979), Ballum circus (1986), sous influence du cirque, et Solo-Solo (2010) ou encore Acte sans paroles 1, de Samuel Beckett (2013), avec l’acrobate Tsirihaka Harrivel. De 1999 à 2001, il est artiste associé avec Françoise Dupuy au Ballet atlantique, dirigé par Régine Chopinot, et collabore à La Danse du temps. En 2016, celui qui affirmait que « danser est le choix courageux et ambitieux d’un homme qui choisit d’être sans paroles » concevait l’opération Silence(s), cycle de conférences et spectacles. Ses multiples activités, nourries d’analyses, Dominique Dupuy les consignait dans des écrits et des conférences. L’ultime entreprise de ce poète à la langue aussi riche que méticuleuse était de témoigner sur sa traversée artistique. « Il se battait contre l’oubli et l’une de ses obsessions était de conserver l’histoire de la danse moderne dont il était l’une des figures, aux côtés de Françoise, avec Jacqueline Robinson, Karin Waehner, Jérôme Andrews, précise Sonia Soulas, ex-directrice adjointe de la scène nationale de La Roche-sur-Yon. Cette branche a été occultée par celle des Etats-Unis mais elle a joué un rôle crucial pour extraire la danse de l’emprise du ballet et de l’opéra en France. Il avait déjà le titre de son livre pour lequel nous avions fait des entretiens ensemble : “Pour ne pas en finir avec la danse moderne”. » Rosita Boisseau / LE MONDE Dominique Dupuy en quelques dates 31 octobre 1930 Naissance à Paris 1957 Danse avec Françoise Dupuy dans Epithalame, de Deryk Mendel 2005 Création de W.M.D., hommage aux chorégraphes Jean Weidt et Deryk Mendel, ses compagnons de route 2013 Chorégraphie d’Acte sans paroles 1, de Samuel Beckett 1er mai 2024 Mort à Paris Légende photo : Dominique Dupuy, dans le spectacle « Le Regard par-dessus le col », au Théâtre national de Chaillot, à Paris, le 24 avril 2007. LAURENT PHILIPPE/ DIVERGENCE
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September 23, 2022 10:24 AM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 22 septembre 2022 Le chorégraphe qui a bâti sa trajectoire à la télévision, au cinéma et sur les plateaux des comédies musicales succède à Mourad Merzouki, le 1er janvier 2023.
Le danseur et chorégraphe Mehdi Kerkouche continuera-t-il à appeler tout le monde « chaton » lorsqu’il prendra ses fonctions de directeur du Centre chorégraphique national (CCN) de Créteil, le 1er janvier 2023 ? Il assure, en riant, que oui. On le croit aisément tant son ton franc et direct est naturellement chaleureux. Qu’on le croise en 2020 dans les couloirs du Palais Garnier, à Paris, où il a créé le spectacle Et si, pour le Ballet de l’Opéra national de Paris, ou dans le Grand Foyer de Chaillot, en 2022, où il pilotait pour la première fois en public la troisième édition de son festival numérique On danse chez vous !, Mehdi Kerkouche, 36 ans, reste le même : souriant, à fond. Alors que le chorégraphe, qui a bâti sa trajectoire à la télévision, au cinéma et sur les plateaux des comédies musicales, répète sa troisième pièce, Portrait, qui ouvrira le festival Suresnes cités danse, le 6 janvier 2023, il déborde d’enthousiasme à l’idée de diriger un CCN. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Mehdi Kerkouche introduit le hip-hop au Palais Garnier « J’ai fondé ma troupe EMKA récemment, en 2017, mais ça fait vingt ans que je danse et réponds à des commandes, précise-t-il. C’est le bon moment pour m’implanter dans un lieu et faire évoluer mon travail sans courir après des studios de répétitions. » Il prévient, dans la foulée : « Je suis un hyperactif depuis toujours et on ne va pas m’enfermer non plus. Je vais continuer à répondre à des projets parallèles. Rester libre, faire rayonner la compagnie sur tous les fronts enrichit mon expérience. » Un projet « non-frontières » Mehdi Kerkouche a été nommé par Rima Abdul-Malak, la ministre de la culture, en accord avec Olivier Capitanio, président du conseil départemental du Val-de-Marne, Laurent Cathala, maire socialiste de Créteil, et Patrick Penot, président du Centre chorégraphique national, pour succéder à Mourad Merzouki à la tête du CCN de Créteil. Son projet, intitulé Créer, rassembler, partager, se fonde sur une ouverture la plus large possible à tous les styles et genres. « Il est non-frontières », souligne-t-il. Il veut soutenir avec précision et détermination les jeunes artistes dans leur démarche créatrice, leur structuration et leur diffusion. Mehdi Kerkouche, chorégraphe : « Je connais le mot “galère” et je sais ce que c’est que de chercher des soutiens lorsqu’on démarre » « Je connais le mot “galère” et je sais ce que c’est que de chercher des soutiens lorsqu’on démarre, dit-il. J’ai toqué aux portes de nombreuses institutions et, lorsqu’on ne parle pas le même langage, ça peut être compliqué. Je parle comme eux et ça devrait les aider. » Dans cet élan, il va ouvrir un studio numérique pour y produire des vidéos maison. « C’est un outil qui est devenu majeur pour développer son travail », affirme-t-il. Non sans raison. Il s’est fait connaître grâce à l’énorme succès de ses vidéos pendant le premier confinement en mars et en avril 2020. Ses cours quotidiens « depuis [s]es 30 mètres carrés parisiens », puis la première édition de #ondansechezvous, sur Instagram, qui avait récolté 15 000 euros destinés à la Fondation Hôpitaux de Paris, avaient été salués par un coup de fil de Brigitte Macron, puis d’Aurélie Dupont, alors directrice de la danse à l’Opéra national de Paris. Mais Mehdi Kerkouche entend aussi déployer des actions sur le terrain. « Je vais contacter les écoles, les hôpitaux, les associations avec lesquels le CCN collabore pour continuer les opérations menées par Mourad Merzouki et tenter de les renouveler à ma façon. » Pédagogue également, passé par différentes techniques, celui qui a commencé à danser à l’âge de 6 ans sur des tubes de France Gall et de Dorothée dans le salon de ses parents a longtemps donné des cours à l’Académie internationale de la danse, ainsi qu’au Studio Harmonic, à Paris. Mais, qu’il soit au four ou au moulin, Mehdi Kerkouche ne revendique qu’une seule chose : la bienveillance. Rosita Boisseau
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September 18, 2022 6:06 AM
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Danseuse et chorégraphe, elle était une personnalité emblématique de la scène chorégraphique depuis les années 1940. Elle s’est éteinte dans la nuit du 14 au 15 septembre, à l’âge de 97 ans.
Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 16 septembre 2022 Quelle trajectoire ! La danseuse et chorégraphe Françoise Dupuy, personnalité emblématique de la scène chorégraphique depuis les années 1940, également pédagogue et passée par le poste d’inspectrice au ministère de la culture au milieu des années 1980, a illuminé la scène comme les coulisses. « C’est une reine de la danse qui s’éteint », a déclaré sur Facebook Brigitte Lefèvre, ex-directrice de la danse à l’Opéra national de Paris. Une reine, mais magiquement simple, dont la présence s’inscrivait où qu’elle soit avec précision et détermination. Cette femme d’exception est morte dans son sommeil, chez elle, à Paris, dans la nuit du 14 au 15 septembre. Son mari et partenaire de création Dominique Dupuy était auprès d’elle comme il l’a toujours été. « On s’est connu dans la danse pendant soixante-quinze ans, on a vécu, travaillé et créé pendant soixante et onze ans », confie-t-il. « Pour toujours, tu es l’immense, l’unique Françoise Dupuy, danseuse, artiste, chercheuse, pédagogue. Pour toujours, tu es avec nous, nous toutes et tous qui avons eu le bonheur de te voir, de te rencontrer, de recevoir ton enseignement et de danser avec toi », a écrit la chorégraphe Régine Chopinot sur Facebook. Lire aussi Article réservé à nos abonnés Danse : les belles du senior Françoise Dupuy, née Michaud, en 1925, à Lyon, est le réceptacle de techniques contrastées qu’elle a su tresser dans une silhouette et une écriture unique, à la fois formelle et limpide, libérant des ondes électriques vives. Elle a 5 ans lorsqu’elle prend ses premiers cours de danse classique à l’Opéra de Lyon, avant de plonger dans la rythmique Dalcroze. Parallèlement, elle se passionne pour la musique, qu’elle étudie avec César Geoffray, ainsi que la peinture, avec Albert Gleizes. Intensément curieuse, elle se découvre un goût pour le théâtre pendant la guerre et collabore avec Jean-Marie Serreau. En 1946, elle s’installe à Paris et diversifie encore sa formation, notamment avec le mime Etienne Decroux. Sans cesse, elle déplace son talent, sa technique, bouscule ses acquis pour engranger de nouvelles ressources. En 1946, elle intègre la compagnie Jean Weidt (1904-1992), où elle rencontre Dominique Dupuy. Artistes militants Quatre ans après et le départ de Weidt en Allemagne, le couple se produit en duo sous le nom de « Françoise et Dominique » dans des cabarets, des galas. Ils fondent les Ballets modernes de Paris, en 1955. Ensemble, ils créent des spectacles mais ne se contentent pas de se produire en salles. Ils animent des ateliers, font des animations dans les écoles, les usines, pour les comités d’entreprise… Jusqu’en 1978, ces artistes militants débordant d’énergie se multiplient sur tous les fronts, revendiquant la danse comme un art de proximité accessible à tous. Lire aussi : Sélection livre : les Dupuy, retour sur une vie de danse Parallèlement, ils fondent le Festival des Baux-de-Provence, en 1962, programmant des artistes américains, dont Merce Cunningham, et participent sept ans plus tard avec Jerome Andrews et Jacqueline Robinson à la création des Rencontres internationales de danse contemporaine qui formera des générations d’interprètes et de chorégraphes. Jamais rassasiés, ils ouvrent, en 1996, le Mas de la danse, à Fontvieille (Bouches-du-Rhône), lieu d’effervescence où se croisent danseurs, chercheurs et passionnés. Sans cesse, elle déplace son talent, sa technique, bouscule ses acquis pour engranger de nouvelles ressources Difficile, voire impossible, de dissocier Françoise de Dominique. Les deux formaient la paire. Phare et modèle, toujours gourmande de rencontres, Françoise Dupuy participe à La Danse du temps, chorégraphié par Régine Chopinot, en 1999. En 2005, elle fut à l’affiche du Théâtre de Chaillot, à Paris, dans un programme intitulé WMD, qui rappelle en trois pièces la puissance créatrice de Jean Weidt, de Deryk Mendel et de Dominique Dupuy. Celui-ci met en scène sa femme dans L’Estran, duo avec un jeune homme (Wu Zheng). Cinq ans après, il conçoit le duo Solo-Solo, qui les voit évoluer face à face et parallèlement dans un ballet de gestes et de regards croisés. « Parfois intransigeante, en tout cas déterminée dans ses convictions, Françoise Dupuy ne se départait cependant jamais d’une douce bienveillance, résume le journaliste et expert Jean-Marc Adolphe. Son rayonnement, sans être solaire, n’était jamais démonstratif. Il émanait simplement, mystérieusement. En effet, elle portait la danse en elle, avec l’intime exigence que l’art se devait d’être “un projet de vie et de société”. » Françoise Dupuy en quelques dates 1925 Naissance à Lyon 1946 Intègre la compagnie de Jean Weidt 1962 Fonde avec Dominique Dupuy le Festival des Baux-de-Provence 1996 Ouvre le Mas de la danse, à Fontvieille (Bouches-du-Rhône) 2005 WMD au Théâtre de Chaillot, à Paris 14-15 septembre 2022 Mort à Paris Légende photo : Françoise Dupuy en représentation au Théâtre national de Chaillot, à Paris, le 8 mars 2005. LAURENT PHILIPPE/DIVERGENCE-IMAGES
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August 17, 2022 7:54 AM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde - Publié le 11 août 2022 Le plastique, c’est fantastique ! » (4/6). La chorégraphe allemande, suivie par Robyn Orlin et Jan Martens, sublime ces récipients de quincaillerie dans ses spectacles.
Un seau en plastique débordant d’eau pour se mettre la tête dedans et se dégonfler les neurones ; un autre pour arroser la copine en pleine canicule estivale ; un troisième pour faire mousser la savonnette et rincer le plateau dans une même giclée… Mettez un seau en scène, et c’est immédiatement la chorégraphe Pina Bausch (1940-2009) que vous avez dans le collimateur pour vous rafraîchir la mémoire. Maîtresse en jeux aquatiques, championne de la brasse coulée avec sa gestuelle des bras plus fluides que ceux d’une sirène, la créatrice de génie a sublimé le port de cet accessoire multi-usage. Jusqu’à métamorphoser, dans son spectacle Nelken (1982), une femme en somptueuse idole de plastique, avec seaux en bracelets et couvre-chef. De la salle de bains au sauna, du lac qui gonfle à la marée océanique, de la colline en mousse qui ruisselle au roc noir suintant, l’eau, dans toutes les nuances vivifiantes chères au philosophe de la matière Gaston Bachelard (1884-1962), inonde nombre de créations de l’artiste allemande. Et quel objet magique transporte tous ces litres de flotte ? Le seau, dégotté dans les quincailleries de Wuppertal (Allemagne), régulièrement dévalisées par les interprètes de la compagnie. « Je n’ai jamais compris pourquoi Pina utilisait ces seaux horribles, s’exclame Helena Pikon, personnalité historique de la compagnie. Je les ai toujours détestés. Je pensais que le plastique n’avait rien à faire dans le monde de Pina, mais ils se sont imposés par le biais des danseurs, dont elle conservait les improvisations qu’ils lui montraient. Ils se sont même parfois multipliés, comme dans Wiesenland [2000], par choix de Pina et pour l’action en elle-même, et c’est un très beau moment de cette pièce. » Bidule de bazar Avec sa ribambelle de seaux blancs, Vollmond (2006), œuvre maîtresse, éclabousse et patauge joyeusement. Tandis qu’une petite rivière serpente, elle réveille, par une nuit de pleine lune, une sarabande de folie sous une pluie diluvienne. La volée d’ustensiles en plastique lève une bataille d’eau aux accents enfantins de grand lâcher-prise. Les danseurs s’attaquent à coups de seaux, rebondissent dans les flaques et s’aspergent. La transe n’est pas loin tandis que les robes collent aux corps, que les cheveux dégoulinent, explosant dans une myriade de gouttes. Libération, renaissance, érotisme, la danse bat plus fort lorsqu’on lui crée des embuscades. Sans songer à faire son effet, le seau sert la cause d’un art gestuel qui oublie l’artifice de la représentation pour se concentrer sur l’action Ce bidule de bazar devient, ici, curieusement esthétique. Sans songer à faire son effet, il sert la cause d’un art gestuel qui oublie l’artifice de la représentation pour se concentrer sur l’action. Se retrouver quasiment à poil et la mèche raide importe peu aux interprètes de Pina Bausch. Compte seulement la puissance ravageuse de cette baignade au cœur d’un paysage éphémère qui se dresse et s’affaisse à grands jets virulents. Sur un versant revendiqué plus pauvre, récup et à la portée de tout le monde, la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin, à l’affiche en France depuis la fin des années 1990, repeint régulièrement la boîte noire aux couleurs pop d’ustensiles en plastique. Folle fan de jouets qu’elle déniche dans les bazars, elle brique les images de la vie ordinaire au diapason de ses visions fantasques. Et, chez elle, du petit canard jaune – son animal fétiche – aux piscines pour enfants et aux cuvettes multicolores, en passant par les fameuses bouilloires africaines chamarrées, le plastique est la clé d’une certaine idée de l’enfance de l’art (mais pas uniquement). Réalisme magique Au milieu de son armada d’objets, les seaux en plastique – rouges chez elle – s’impriment durablement dans la rétine. Pour le spectacle sur le thème du sida, intitulé We Must Eat Our Suckers With the Wrappers on (2002), les interprètes à la queue leu leu construisaient une chenille de seaux qui, mis bout à bout, traversaient la scène. Fulgurance de la couleur qui rappelait celle du sang, les récipients et les danseurs articulaient une chaîne plastico-humaine. Sur le même ton, les assiettes, également rouges, de l’inoubliable pièce qui l’a fait connaître en France, Daddy, I’ve Seen This Piece Six Times Before and I Still Don’t Know Why They’re Hurting Each Other (1999), sont disséminées sur le plateau, qu’elles piquent de taches vives comme des gros pois raccords avec les motifs des robes à fleurs. Robyn Orlin rappelle qu’un seau, certes, est un récipient dans lequel on se lave les pieds, mais qu’il peut devenir tambour tout aussi facilement Passée par des études de danse contemporaine, puis par les arts plastiques et le cinéma à l’Institut d’art de Chicago, entre 1990 et 1995, la chorégraphe compose des installations vivantes. « Il y a l’idée de jouer avec le côté “vie dans la rue” à Johannesburg, en prenant des objets qui deviennent des métaphores du quotidien urbain, explique-t-elle. Les seaux en plastique sont utilisés en permanence en Afrique. Les fruits et les légumes sont présentés par les vendeurs sur des assiettes, le long de la route. C’est d’ailleurs une très belle image de voir une mer de pommes vertes sur des plats rouges ou des oignons roses disposés sur des jaunes, dans un design très géométrique. C’est une forme de résilience que la façon dont les vendeurs proposent leurs marchandises, en les ornant avec fierté. » Cet impact visuel fonctionne à plein dans At the Same Time We Were Pointing a Finger at You, We Realized We Were Pointing Three at Ourselves (2014). Une sculpture verticale de grosses cuvettes superposées cadre la pièce. Lorsque le « mur » explose en un orchestre bringuebalant, Robyn Orlin rappelle qu’un seau, certes, est un récipient dans lequel on se lave les pieds, mais qu’il peut devenir tambour tout aussi facilement. Servir à quelque chose en sublimant la cause de la beauté est le pari artistique et sociétal d’Orlin, dont le geste prend racine sur un terrain rien qu’à elle, celui d’un réalisme magique. « Et il faut aussi rappeler qu’ils sont toujours recyclés, en Afrique du Sud, et ont une vie longue durée », précise-t-elle. C’est cette même pensée écologique qui ourle la pièce Futur proche, de Jan Martens, présentée en juillet dans la Cour d’honneur du Palais des papes, au Festival d’Avignon. A la fin, l’irruption soudaine de seaux pour remplir une énorme bassine jette dans le même bain les thèmes de la raréfaction de l’eau que l’on partage à plusieurs et celui de la purification. Tout en soulignant la simple beauté de ce récipient, que le monde entier manipule. Présentation vidéo de Wiesenland (2010) de Pina Bausch Rosita Boisseau Légende photo : Une ribambelle de seaux blancs dans le spectacle « Vollmond » (2006), de la compagnie Tanztheater Wuppertal, chorégraphié par Pina Bausch, lors d’une représentation à Wuppertal (Allemagne) en juin 2015. OLIVER LOOK
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Le spectateur de Belleville
July 22, 2022 5:12 PM
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par Ève Beauvallet dans Libération le 20 juillet 2022 Le danseur et chorégraphe, chef de file de la vague conceptuelle française, reprendra début août le flambeau de la défunte Pina Bausch à la direction du Tanztheater de Wuppertal. Des perles de sueur giclent de sa crinière rousse, des torrents dévalent le long de son dos, à peine le temps de regonfler son ventre d’air et le voici parti vider trois jerricanes d’énergie dans un autre recoin du plateau. Boris Charmatz, 49 ans, s’arrache, il est en nage. Alors vraiment, confie-t-il au lendemain de la représentation, ça le dépasse : «Ça fait vingt ans que je sors de scène en sueur et on continue à dire que je fais de la “non-danse” !» Qui a dit ça, d’abord ? Les premiers spectateurs du chorégraphe, peut-être, au début des années 2000, quand le pétaradant chef de file de la vague conceptuelle française décoiffait les chignons bien laqués de la danse instituée, moins par esprit de contradiction que par besoin d’ancrer les corps dans un nouveau contexte politique. A l’époque, ses déambulations aveugles avec jeans noués autour du visage, ses pogos cul-nu balancés à la sauvage à deux centimètres de nos souliers, ses virées en semi-remorque avec Jeanne Balibar repoussaient hors de ses limites la définition de la «danse», et il était grand temps. Mais aujourd’hui, qui soutiendrait encore que Somnole, ce solo accueilli dans un tonnerre d’applaudissements au Festival de Marseille début juillet, n’est pas «vraiment» de la danse ? C’est, précisément, de la danse «endormie». Couvée pendant la pandémie, quand tous les théâtres étaient au point mort et les corps engourdis, la pièce montre un homme en état de sommeil ou de léthargie, pris dans un flux de gestes exutoires. Seul dans l’espace comme dans sa chambre de confinement, sans les moyens techniques habituels du théâtre, donc sans musique, il siffle sa propre bande-son, de Donna Summer à la BO du film la Boum. Charmatz s’anime avec passion quand on le lance sur le sujet : il connaît la langue sifflée dans les Canaries, tout. Enfant, déjà, il voulait organiser une symphonie entièrement sifflée. C’est dire… Quand il était petit, d’ailleurs, il y a plus de quarante ans, une autre danseuse fusait sur le plateau comme une somnambule en pleine rêverie, tandis qu’un homme débarrassait sur son passage toutes les chaises de café dans l’espace afin qu’elle ne se blesse pas. C’était Pina Bausch, et c’était Café Müller (1978), chef-d’œuvre qui fit fondre en larmes deux générations de spectateurs de l’Allemagne de l’après-guerre aux héros d’Almodóvar dans le film Parle avec elle (2002). A elle aussi, avant qu’elle ne devienne la superstar mondiale intouchable de la danse du XXe siècle, le public parfois réactionnaire balança des tomates en hurlant : «Ce n’est pas ça, la danse.» Boris Charmatz, malin : «Quelque part, c’était une des premières à faire de la “non-danse”…» Il a d’ailleurs fallu inventer d’autres mots pour qualifier l’art révolutionnaire de l’Allemande et ce fut «danse-théâtre», un nom qu’elle donna également à son fief de la Ruhr qui devint le «Tanztheater» de Wuppertal. Boris Charmatz y a passé pas mal de temps cette année, entre ses nombreuses tournées – ce qui explique qu’à l’heure du café matinal, excusez-le, vraiment, il soit «crevé». Besoin de vacances, deux semaines, la Crète. Et mieux vaut se reposer, car début août il prendra la direction du temple légendaire, occupé par une compagnie d’une trentaine de danseurs, d’une soixantaine de salariés, riche de six décennies d’histoire de la scène, laissé orphelin depuis la mort brutale de Pina Bausch en 2009. Il devra faire vivre ce répertoire immense à travers le monde et créer de nouvelles pièces. Autant dire que les projecteurs sont bien braqués. Sa nomination en a étonné plus d’un. Boris Charmatz n’a jamais travaillé avec l’Allemande. Ses jeux conceptuels n’ont pas grand-chose à voir avec le lyrisme expressionniste de son aînée. Plus jeune, et contrairement à 97% des danseurs des années 80, il ne rêvait pas spécialement d’auditionner pour elle : après une enfance à Chambéry dans une famille de profs militants de gauche, un début de carrière dans le ping-pong, puis un passage ennuyeux et frustrant à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, Charmatz braque radicalement vers une forme ludique d’expérimentation : des chorégraphies sous contraintes à la mode oulipienne, des poignées de main à la famille esthétique de Marcel Duchamp, une curieuse école de danse sans murs (Bocal) ou un étrange musée sans cimaises, le Musée de la danse, qu’il a lancé à Rennes et dirigé pendant près de dix ans, où il peaufina sa vision inventive des archives et du répertoire. Il y a bien un lien avec l’Allemagne de Pina Bausch : la langue, d’abord, puisque sa famille comptait plusieurs profs d’allemand, la culture, ensuite, puisque les Charmatz passaient chaque été à Berlin avant la chute du mur. «C’était la capitale underground, l’époque des rats sur l’épaule, des théâtres effondrés dont il ne restait que la façade, et surtout des pièces de Klaus Michael Grüber.» Sa mère lui traduisait le texte en murmurant dans le noir. S’ouvrait alors un territoire d’émotion pure et de dingueries – comme plus tard devant les œuvres de Pina Bausch. Mais franchement, il est le premier surpris qu’on lui confie le flambeau de ce Tanztheater qui peinait, depuis la mort de la chorégraphe, à retrouver une direction artistique stable. Sur le papier, explique-t-il, c’était «impossible d’accepter» – et Charmatz dit ça avec la flamme du joueur d’échecs dans la pupille. Impossible d’envisager un déménagement dans la Ruhr «pour des raisons familiales d’abord» – il est le conjoint de la chorégraphe danoise Mette Ingvartsen, mère de ses enfants, «avec qui il essaie de passer un peu de temps ces jours-ci à Marseille». Il était plutôt question de quitter Bruxelles pour s’installer à Lille et entamer là-bas, en partenariat avec le Louvre-Lens ou le Phénix de Valenciennes, un grand chapitre de son projet TERRAIN, chantier artistique axé sur l’espace public dont les terrils des environs de Lens devaient être le décor. Quand il a fait le déplacement à Wuppertal, c’était donc pour dire «non». «Et puis, ils ont installé environ 60 chaises en rond pour me rencontrer. Ce n’est pas uniquement grâce à ça, précise-t-il – et l’on comprend précisément que si –, mais à cet instant, il est devenu pour moi impossible de refuser.» D’autant qu’il est sans doute le candidat idéal : moins dans le culte de personnalité que les autres, passionné par les manières de vivifier le patrimoine endormi, dingue du travail de «curation – pardon le mot est moche… Quand Pina Bausch recrée son chef-d’œuvre Kontakthof pour des adolescents d’une part, et pour des personnes âgées de l’autre, elle fait de la curation sur son propre répertoire». Il souligne que la compagnie compte une personne trans et que les pièces de Pina Bausch sont très genrées… «Je dis ça en l’air, mais c’est intéressant.» Et cette pensée semble lui avoir rechargé les batteries. 3 janvier 1973 Naissance à Chambéry 1993 Création de A bras-le-corps avec son ami Dimitri Chamblas, duo à danser toute la vie De 2009 à 2018 Direction du Musée de la danse, Centre chorégraphique national de Rennes 1er août Directeur du Tanztheater de Wuppertal
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December 17, 2021 8:13 AM
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par Ève Beauvallet dans Libération le 17/12/21 Le metteur en scène François Gremaud et la danseuse Samantha Van Wissen charment avec leur conférence dansée loufoque autour du ballet romantique. Un jour, elle est venue trouver François Gremaud, un metteur en scène suisse souvent chéri dans Libé, et lui a dit : «Si un jour tu as besoin d’une vieille danseuse…» Et la voici aujourd’hui qui s’avance sur le plateau, cette «vieille danseuse», cette star de la danse contemporaine, interprète inoubliable, depuis les années 80, des pièces de la chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaeker. Elle dit, face public, qu’elle s’appelle «Samantha van Wissen» et que cela signifie «Samantha d’effacement». Du néerlandais «wissen», «effacer». Et c’est curieux, n’est-ce pas, comme ce nom se prête malicieusement au jeu dans lequel elle nous propose d’entrer ? En effet, il n’y a personne d’autre qu’elle sur ce grand plateau vide – si ce n’est quatre musiciens en fond de scène – et il est pourtant question de danser Giselle, «it» du ballet romantique qui compte habituellement une quarantaine de danseurs. Panache fou Où ont-ils tous disparu ? Où sont les coteaux de vignes rousses, les gardes-chasses et maman Berthe, les pantomimes, les mousselines et tout le barouf ? «Mais ici», semble-t-elle nous souffler, dans nos mémoires bien sûr. Et c’est à la mémoire, ce muscle puissant, capricieux et rocambolesque, outil fragile et fondamental de la danse – cet éphémère qui «s’efface» – que cette délicieuse conférence dansée rend hommage. Ce Giselle-là, qui vient d’enchanter le public de l’Espace 1789 de Saint-Ouen (93) avant de poursuivre sa tournée au Festival d’automne à Paris, est un Giselle à imaginer et ressusciter, comme Albrecht tente lui aussi d’imaginer et de ressusciter son aimée dans le livret de Théophile Gautier. Du Giselle originel ne reste donc que son commentaire éclairé et potache, ses descriptions impossibles, son paratexte instructif et passionné, son souvenir ému et ses tentatives de réinterprétation cocasse : ici quelques grands jetés esquissés, là un mouvement de tutu dessiné au doigt dans l’espace, soudain les trente-six entrechats de Noureev figurés d’un revers de main. Il ne reste dans le Giselle de Samantha van Wissen que l’histoire d’une «vieille danseuse» au panache fou qui tente de transmettre sa passion de la danse à un public qui en connaît souvent mal l’histoire. Pédagogie érigée en art Giselle… avec les points de suspension, est le nouvel opus d’une trilogie de «seuls en scène» que l’auteur et metteur en scène François Gremaud conçoit autour des grandes héroïnes de l’histoire du spectacle (viendra bientôt Carmen). Comme dans tous ses spectacles – de vrais poèmes qui se font passer pour des vignettes pédagogiques –, on apprend plein de choses. Sur l’émergence du ballet comme genre dramatique à part entière au XVIIIe, sur l’influence des variations masculines sur les catégorisations sexe-genre en 1830, sur la mode des robes de mariée de la même époque, qui passent de la couleur au blanc en imitation des mousselines de la Sylphide. On regrette même que le croustillant de l’histoire culturelle soit cantonné à l’intro et que la pièce décrive par la suite trop scrupuleusement le livret. Mais l’on pardonnerait beaucoup à ce Giselle… – y compris son ton d’instituteur parfois border Grande Section (le premier opus fut initialement créé pour tourner en milieu scolaire). C’est sans doute l’effet de ce qu’on nomme le charme et la pièce possède les mêmes que le précédent volet de la trilogie, Phèdre ! (un gros carton) : une façon d’ériger la pédagogie en art, de magnifier la transmission du savoir, et le talent d’empaqueter le tout dans une forme comique jolie comme un cœur. Giselle… de François Gremaud, jusqu’au 30 décembre au Théâtre des Abbesses, Festival d’automne à Paris (puis en tournée à partir de mars 2022). Légende photo : Samantha Van Wissen en solo dans «Giselle». (Dorothée Thébert Filliger)
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Le spectateur de Belleville
November 27, 2021 6:48 PM
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Propos recueillis par Rosita Boisseau pour Le Monde - 27/11/21 L’ancienne directrice de la danse de l’Opéra de Paris a choisi de mettre en avant des chorégraphes femmes pour sa dernière édition à la tête de la manifestation.
Brigitte Lefèvre est une histoire de l’art chorégraphique à elle seule. De l’école de l’Opéra qu’elle intègre à l’âge de 8 ans au poste prestigieux de directrice de la danse de l’Opéra national de Paris de 1995 à 2014, du ballet au théâtre, des scènes aux bureaux du ministère de la culture de 1985 à 1992, elle a traversé soixante ans de danse sans rien lâcher de sa passion intransigeante. Aux manettes du Festival de danse de Cannes depuis 2015, cette fan de Gaston Bachelard signe son ultime édition placée sous le signe de la femme et de la Terre avec vingt-huit compagnies nationales et internationales, à l’affiche du 27 novembre au 12 décembre, dans neuf théâtres de Cannes et des villes environnantes. Lire aussi Le Festival de danse de Cannes réchauffe la Croisette Pour cette programmation particulière, vous mettez de nombreuses femmes chorégraphes en avant dont la pionnière américaine Martha Graham (1894-1991) ou la nouvelle star flamenca Rocio Molina. Dans quel esprit avez-vous conçu ce menu féminin et même féministe ? Pendant la crise sanitaire, j’ai relu deux autobiographies : Ma vie, d’Isadora Duncan, et Mémoire de la danse, de Martha Graham. Leurs destins m’ont de nouveau émue et surtout donné envie de construire cette édition autour des femmes. J’apprécie les combattantes et les constructrices. L’œuvre de Martha Graham, qui est transmise contre vents et marées par Janet Eilber, directrice artistique de la compagnie américaine depuis 2005, pose le socle de la modernité dès les années 1930. Elle est enracinée dans une lecture des mythes grecs et de Freud. Elle propose un point de vue personnel sur différents thèmes dont celui de la complexité de la sexualité féminine. A partir de là, j’ai invité des artistes de toutes les générations comme Louise Lecavalier, Maud Le Pladec ou encore la très jeune Eugénie Andrin. C’est un plaisir de les soutenir car elles représentent une forme de puissance. Mais je tiens à dire qu’il y a aussi des hommes à l’affiche, dont Pierre Pontvianne. Les chorégraphes femmes abordent-elles selon vous des sujets particuliers ? Je dirais que les chorégraphes masculins ont un point de vue souvent plus global que les femmes qui, elles, me semblent pénétrer plus profondément dans les thèmes qu’elles traitent sur le plateau. Elles m’apparaissent moins conceptuelles et plus volontaristes dans l’exposition de leur sensibilité. L’onirisme de Carolyn Carlson, qui clôt la manifestation avec Crossroads to Synchronicity, est très écologique et c’est important aujourd’hui. Quant à Bintou Dembélé, elle se confronte à son histoire et ses racines africaines en inventant son propre rituel pour son solo Strates. Vous avez endossé tous les rôles, danseuse, chorégraphe, première « déléguée à la danse » au ministère de la culture de 1985 à 1992, directrice de la danse à l’Opéra national de Paris… Quelle casquette préférez-vous ? Celle de danseuse. La danse m’a permis de découvrir la musique, la littérature, le théâtre, les arts plastiques… Au-delà de ce que j’ai appris à l’Opéra national de Paris, j’ai particulièrement aimé collaborer, dans les années 1970, avec le chorégraphe Michel Caserta qui avait travaillé lui-même avec l’Afro-Américain Alvin Ailey dont le style sensuel et balancé me plaisait beaucoup. J’ai aussi interprété en 1971 un solo comique improbable intitulé La Curieuse, de Norbert Schmucki, dans lequel j’arborais des couettes rouges. Entendre rire le public de la Cour d’honneur d’Avignon, ça ne s’oublie pas. J’aime rire et faire rire ! Je n’étais pas, je pense, une interprète classique exceptionnelle mais j’étais travailleuse : il faut beaucoup travailler pour faire vivre la technique et c’est un chemin qui n’a pas de fin. J’adorais faire des découvertes. Pendant les différents confinements, je me suis surprise à danser seule chez moi. Quand on danse, on s’oublie, on se perd dans le mouvement. Vous avez également chorégraphié une vingtaine de spectacles lorsque vous dirigiez le Théâtre du Silence, avec Jacques Garnier (1940-1989), à La Rochelle, à partir de 1974. Avez-vous eu la sensation que c’était plus difficile à l’époque d’être à la tête d’une institution pour une femme que pour un homme ? Lorsque je dirigeais le Théâtre du Silence avec Jacques, je me sentais parfois, et quelle que fût notre amitié, institutionnellement en retrait, comme une sorte de cerise sur le gâteau. Quand il a décidé de retourner à l’Opéra de Paris en 1980 pour fonder le Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris (GRCOP), je n’ai pas souhaité le suivre. Je me suis retrouvée seule à la direction de la compagnie. Je me suis d’abord demandé comment j’allais faire. J’ai dû m’imposer face aux réactions des élus et du ministère qui s’inquiétaient que je puisse vraiment diriger la troupe sans lui. Il fallait que je prouve que j’étais capable de tenir la barre. J’ai mis fin au Théâtre du Silence en 1985. Même si j’aime rassembler, chorégraphier, le temps était passé. Comment la situation a-t-elle évolué selon vous pour les femmes dans la danse depuis vos débuts ? J’ai souvent envie de répondre à cette question par une formule de Marguerite Yourcenar qui dit : « Ni homme ni femme, je fais partie de l’espèce. » J’ai la sensation que, en même temps que les femmes s’expriment, elles émettent toujours un doute sur ce qu’elles affirment. Et qu’il s’agit aujourd’hui de gommer irrémédiablement ce doute pour que leurs paroles soient vraiment entendues et sur tous les sujets, en particulier celui du harcèlement sexuel. Je suis heureuse de voir aujourd’hui que nombre d’entre elles dirigent des institutions. Au passage, j’ai envie de remercier des personnalités comme Martha Graham, Pina Bausch ou encore Françoise Dupuy. Cette édition fait cohabiter les styles, du classique au hip-hop, mais aussi les troupes contemporaines et les ballets d’opéra dont celui de Bordeaux. Est-ce une façon de souligner votre point de vue sur la situation globale de la danse en France ? On ne considère pas assez les ballets d’opéra en province comme ceux de Bordeaux, de Toulouse ou de Nice. Or, ces troupes font un travail très intéressant dans le registre classique avec une ouverture contemporaine marquée qu’il faut soutenir absolument. Mais qu’il s’agisse de ces institutions ou des Centres chorégraphiques nationaux, la danse a besoin de places fortes et de moyens financiers constants. Il faut aussi conserver l’équilibre entre les différents styles, valoriser bien sûr la création mais pas seulement, et veiller à ce que les spectacles soient davantage diffusés au bénéfice du public. La danse est en bonne santé mais il reste des aspects sociétaux à toujours considérer, comme la diversité. Festival de danse de Cannes, du 27 novembre au 12 décembre. Tél. : 04-92-98-62-77. Rosita Boisseau
Légende photo : Brigitte Lefèvre, le 4 octobre 2021, au Palais des festivals et des congrès de Cannes. PALAIS DES FESTIVALS ET DES CONGRÈS DE CANNES
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April 9, 2021 1:26 PM
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par Thomas Corlin et photo Audoin Desforges publié le 8 avril 2021 dans Libération Le chorégraphe de 50 ans, qui vient de prendre la tête du Théâtre national de la danse, entend varier les publics et les événements, y compris et avant tout hors scène. «Le Trocadéro est vide de nos jours, mais je vais vous faire un concert ici et maintenant, j’ai juste besoin de deux ou trois personnes et ça me fait un public !» s’égosille une dame d’une cinquantaine d’années qui se présente en tant que Colette, avant de ravager un classique d’Edith Piaf sur la fameuse esplanade où, jadis, les touristes se prenaient en photo touchant le bout de la tour Eiffel. En ces temps de fermeture des salles de spectacles, la scène est poignante, plantée au milieu d’une zone touristique mise hors service par un an de Covid et plusieurs chantiers. Ne restent que quelques vendeurs de babioles qui font de la résistance, et les habitants de ce coin huppé qui concentre plusieurs institutions patrimoniales, toutes fermées actuellement. L’une d’entre elles se cache sous cette majestueuse terrasse, et se répand sur 26 000 mètres carrés : Chaillot, Théâtre national de la danse. Parmi les dorures et statues de son vaste et désert espace bar surplombant les fontaines du Trocadéro, son tout nouveau directeur, le chorégraphe Rachid Ouramdane, enchaîne les interviews. Le voisinage luxueux et le faste art déco de ce théâtre national (l’un des six en France et le seul consacré à la danse) semblent bien loin du cadre de périphérie urbaine du Centre chorégraphique de Grenoble, dont il vient de quitter la direction (qu’il partageait depuis quatre ans avec Yoann Bourgeois – actuellement au cœur d’une controverse pour plagiat mais reconduit dans ses fonctions). Ouramdane suggère pourtant de «re-regarder l’environnement de ce lieu, et de ne pas se créer de barrière symbolique quant à son inscription sociale présumée. On trouve également ici, toute la journée, des vendeurs à la sauvette, des jeunes qui font du skate, des promeneurs d’origines variées… Il y a déjà de la diversité dans ce périmètre.» Du public potentiel pour le mastodonte dont il vient de prendre les rênes ? Transversalité C’est en tout cas ce qu’espère sincèrement le danseur et chorégraphe de 50 ans, grandi en banlieue d’Annecy dans un milieu modeste et venu à la danse par le hip-hop, quand c’était encore une pratique de rue. Son projet pour Chaillot, qu’il a soumis en décembre pour succéder à Didier Deschamps, a pour maître-mot «l’hospitalité» et devrait se déployer à travers une politique déterminée en matière de développement des publics et une offre décuplée d’événements hors plateau. Dans un contexte où le mot d’ordre est plutôt la distanciation et où les calendriers de réouverture relèvent toujours plus du mirage, le nouveau directeur reste lucide mais affiche déjà son cahier des charges et sa vision pour l’ancien Théâtre national populaire où Jean Vilar et Antoine Vitez avaient formulé les préceptes de la «démocratisation culturelle» au siècle dernier. «Cette maison pourra rester ouverte toute la journée, accueillir des ateliers de pratiques, des projections… Les espaces autour des salles seront aussi importants, si ce n’est plus, que ce que qui se passera dans les salles elles-mêmes.» Et justement, dans les salles ? «Les grands ballets internationaux resteront bien sûr, les spectacles d’initiés aussi, mais je mettrai également l’accent sur les danses populaires, à travers le numérique ou des collaborations musicales.» Empreinte de cette transversalité, la brochette d’artistes associés comprend entre autres le performeur lyrico-queer François Chaignaud, la chorégraphe Nacera Belaza, la compagnie de cirque XY ou le rappeur (devenu comédien) Kery James. Charge critique Galvaudé, le terme de «diversité», objectif phare de son mandat ? «Seulement pour ceux qui ont jeté l’éponge et ne se posent plus de questions, rétorque sans hésiter celui qui avait signé en 2016 une tribune dans Libé sur le manque de représentation des minorités en plateau. Le terme est devenu très présent dans les discours, mais c’est souvent déceptif. Ce n’est que de la bien-pensance si ce n’est pas suivi d’actes. A la lumière de ce qui traverse la société à notre époque, c’est un enjeu réel. Il ne s’agit plus de croire que le mélange est acté tout en continuant à se regarder en chiens de faïence.» Le mode d’action, pour lui, repose en grande partie sur ce qui se passe derrière la scène, à savoir un travail de terrain avec des milieux sociaux éloignés des pratiques artistiques, que Rachid Ouramdane, en tant que chorégraphe, a souvent intégrés à ses propres pièces : la plus représentative de cette veine documentaire – dont il fut un des pionniers dans le spectacle vivant – restant sans doute Surface de réparation (2007), un spectacle créé pour et interprété par des sportifs adolescents de Gennevilliers (il fut le chorégraphe associé au T2G, période Pascal Rambert, son collaborateur et ami). Au début des années 2000, avant de se lancer dans de grands tableaux expressionnistes (avec des éclats mais aussi quelques dérapages pompiers, type Franchir la nuit, créé avec de jeunes migrants en 2018) montrant des foules chorégraphiées, Rachid Ouramdane fut majoritairement seul en scène, souvent de dos, dans des pièces-performances plus expérimentales et à charge critique. Il fut un des premiers à mêler alors vidéo, traitement documentaire, musique noise ou pop, comme dans le mémorable Loin… en 2008, un solo autobiographique sur les traces de son père, à la fois colonisé (puisqu’algérien) et colonisateur (militaire, il a fait campagne en Indochine sous le drapeau tricolore). Il y raillait aussi, dans un monologue, «l’hypocrisie de la culture soi-disant pour tous, les dreadlocks bourgeoises» et reprenait No More Heroes des Stranglers. «Oui, j’avais écrit des “trucs” à l’époque, sourit-il avec dérision. Ces pièces sont parfois perçues comme frontales, alors que je ne suis pas quelqu’un de clivant, je crois en l’altérité. En voyage au Vietnam, des artistes locaux me racontaient combien il était facile pour ceux de passage de se faire censurer et de passer ailleurs pour des artistes engagés – sans que cela n’ait en rien profité aux gens du coin.» Soit tout l’inverse de ce qu’il entend défendre à Chaillot. à 22h06
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Le spectateur de Belleville
March 20, 2021 8:44 PM
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FRANCE 5 - VENDREDI 12 MARS À 20 H 55 - SOIRÉE SPÉCIALE Voir La Ronde de Boris Charmatz en replay (1h30) « La nef du Grand Palais, c’est un bijou d’architecture, un bâtiment qui était prévu pour être éphémère et qui est fragilisé. Il va être fermé pendant quatre ans. Et moi, j’adore ce bâtiment, j’ai envie de m’inscrire dans cette histoire-là. On m’a demandé de faire un événement pour sa clôture et j’ai toujours pensé que la danse y avait vraiment sa place alors qu’on est dans une cathédrale… » Le chorégraphe Boris Charmatz est seul sous la plus grande verrière d’Europe, en train de se laisser imprégner par cet espace gigantesque et sublime. Il rêve, il imagine, il se projette. Il y crée, le 16 janvier, à huis clos, dans le cadre du Festival d’automne, la performance intitulée La Ronde, collection de duos contemporains, néoclassiques et classiques, sous influence de la pièce éponyme d’Arthur Schnitzler. Lire le portrait : Les foules en mouvements de Boris Charmatz Sous la caméra de Claire Duguet et Sophie Kovess-Brun, qui coréalisent ce documentaire-portrait sur le chorégraphe et son énorme projet, on suit Charmatz entre Paris et Bruxelles, où il habite, dans la préparation de cet événement extraordinaire que la crise sanitaire va contraindre sans l’éteindre. On revient aussi sur la carrière de cette personnalité de la scène du spectacle vivant repérée depuis le milieu des années 1990. Boris Charmatz a déstabilisé le mouvement en le juchant sur un échafaudage pour Aatt enen tionon (1996), l’a déshabillé pour libérer le corps collectif dans Herses (une lente introduction) (1997), l’a secoué pour en faire jaillir des milliers d’éclats contradictoires dans 10 000 gestes (2017). Scène-paysage Pour La Ronde, que l’on découvre après, Boris Charmatz a invité une vingtaine d’artistes-chorégraphes dont des interprètes classiques de l’Opéra national de Paris, des comédiens handicapés de la troupe de l’Oiseau-Mouche, basée à Roubaix, des artistes-complices comme Anne Teresa De Keersmaeker, Emmanuelle Huynh mais encore Salia Sanou et François Chaignaud. Entre pas de deux déjà écrits et même repérés comme celui extrait du ballet Don Quichotte, et d’autres improvisés, une vingtaine de séquences vont se relayer. Lire l’enquête (en 2017) : La danse participative, selon Boris Charmatz Après le Turbine Hall de la Tate Modern à Londres, ou le tarmac de l’ancien aéroport de Tempelhof, à Berlin, la nef du Grand Palais est une nouvelle expérience de scène-paysage sidérante pour Boris Charmatz. Le lieu est démesuré ; le vide palpable, où le regard se perd, se faufile, s’accroche, s’évade sans jamais épuiser la majesté de l’espace. Entre danse et théâtre, les interprètes y marchent à grands pas, s’y cognent, s’étreignent, faisant résonner autrement l’architecture. Le silence dilate le geste ; la musique, de Steve Reich à Bach en passant par Ravel, y claque. Pendant douze heures, du petit matin au coucher du soleil, La Ronde, ici réduite à une heure et demie, se reconfigure sans cesse dans une chaîne de pas de deux envoûtante. Le cycle de la vie emporté avec fougue par la danse. Lire le reportage (en 2017) : A Berlin, Boris Charmatz fait danser le tarmac Voir le teaser vidéo (1 mn 30) Boris Charmatz face au Grand Palais, documentaire de Claire Duguet et Sophie Kovess-Brun (Fr., 2020, 52 min), suivi de La Ronde, ballet enregistré au Grand Palais à Paris en janvier 2021. Rosita Boisseau « La Ronde », une création du chorégraphe Boris Charmatz, au Grand Palais à Paris, en janvier 2021. DAMIEN MEYER/AFP
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Le spectateur de Belleville
March 5, 2021 2:06 PM
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par Céline Walter pour Libération - publié le 23 février 2011 à 0h00 (mis à jour le 5 mars 2021 à 16h45) Le danseur star est mort d’une maladie foudroyante ce vendredi à 61 ans. Nous republions un portrait écrit en 2011 Justement le voilà qui arrive. Léger, aérien. A 51 ans, Dupond - avec un D comme danseur - a conservé l’allure de l’étoile. Il ne se déplace pas, il lévite. Il ne marche pas, il décompose ses mouvements. S’approche tout schuss, les pieds à 10 h 10, la tête haute marque midi pile au soleil. Salue. Un sourire délicat pour révérence, son regard bleu planté loin par-dessus mon épaule. Plus loin encore. Ailleurs. Troublant. Il s’excuse de présenter un de ces visages des jours sans. Paraît dix ans de plus. Injustement. Paupières rougies et gonflées. La peau à bout de souffle. La faute à une inflammation aussi moche que passagère. Le jargon médical appelle ça un chalazion. Alors pour la photo, il faudra repasser. N’empêche. Assis sur un banc des vestiaires de l’école de danse de Soissons (Aisne) où il enseigne depuis cinq ans, on sent un homme abîmé, tremblant, fragile, comme un œuf vidé de son contenu. Mais ça, c’est la faute aux épreuves de la vie dont Dupond est sorti agrégé. Et dire qu’il danse ! Patrick Dupond a un projet : il veut être, après avoir été. Il veut le danser, devant ceux qui n’y croient pas, sur la scène du Cirque royal de Bruxelles dans quelques jours. Les raisons de ce retour ? Elles sont multiples mais s’il devait en rester qu’une, ce serait l’Amour. Et sur ce coup-là, que la raison ignore vraiment. L'Amour. Homme, femme, amis de la danse. Qu'on se le dise. Il s'agit d'Elle : Leïla Da Rocha. 39 ans. Un carré long, brun profond, souligne son visage au moins aussi joli que celui de Sofia Coppola. Très grande, elle revendique un IMC généreusement au-dessus de la normale. Attribut nécessaire à toutes les Shéhérazade qui ondulent, voilées de toute part. Cette ancienne basketteuse internationale s'est reconvertie dans la danse sacrée orientale il y a plus de dix ans. Elle est désormais l'unique partenaire de Patrick Dupond. Il en est tombé fou. «C'est un être de lumière. Elle m'a sauvé la vie. Je remonte sur scène grâce à elle, à son amour, sa volonté, son opiniâtreté.» Elle : «Notre relation est de l'ordre du divin. Elle est fusionnelle. Ça n'a rien à voir avec une histoire de cul. Rien à voir avec l'amour que je porte à mon mari.» Voilà qui a le mérite d'être - presque - clair. Et pour les nostalgiques des frasques homosexuelles ou bisexuelles du danseur, il faut se reporter à son autobiographie Etoile. Le duo improbable s'est rencontré à Paris à un cours de danse. Culottée, elle lui demande d'assurer un stage dans son école à Soissons. Il accepte. «Ça a été un coup de foudre immédiat. Nous ne nous sommes plus quittés.» Exact. Patrick Dupond a aussitôt posé ses valises et son chien Neijma, un pinscher aussi gros que la souris la plus rapide du Mexique, au plus près du domicile de la jeune femme. Ici, dans l'Aisne, au pays de la culture intensive de la betterave, au mamelon des usines à sucre, il a retrouvé son «bonheur d'être». Materné autant que possible par Leïla et sa famille. Il respire. Heureux de faire valoir ses droits à l'anonymat, après une carrière militaire à l'Opéra. Heureux d'être en vie après être tombé sous la loi des séries. La vie. Patrick Dupond en décrocherait une étoile pour la célébrer. «Aujourd'hui, à travers la danse, je veux prouver que l'on peut vivre l'enfer et renaître à la lumière à condition de ne pas baisser les bras.» L'enfer en quatre dates : son licenciement de la direction de l'Opéra de Paris pour insubordination (1995), un accident de voiture qui le laisse pour mort «avec 134 fractures» (2000), suivi de deux ans de morphine, une année de plus pour s'en désintoxiquer. Le danseur se relève grâce à un entraînement quotidien avec son mentor et père spirituel, Max Bozzoni. Bozzoni décède (2003). La maison de Dupond, près de Dreux, brûle (2007). Le danseur n'a plus rien à perdre. A part la tête. S'accroche. Se cherche. Donne quelques cours de danse à Paris, sans plaisir. L'étoile, que Noureev avait baptisée «le génie», l'étoile adulée par Béjart et Petit, se pervertit en bonne pâte à la télé des célébrités. Réalité d'une solitude médiatisée. Le téléphone ne sonne plus. A part ses deux mamans, celle qui l'a porté et l'autre, Claude Bessy, qui l'a élevé à l'Opéra. Et son ami «toujours présent», le danseur Jean-Marie Didière. «C'est à cette période confuse, très dure, que j'ai rencontré Leïla. J'étais lassé par cette vie. Elle m'a tendu la main.» L'absence de Leïla, qui s'est éclipsée, contrarie Patrick. Il prétexte subitement «une course à faire». Cinq minutes plus tard. Dupond revient apaisé. Il sent encore plus la Marlboro qu'avant, et sa brune visiblement a répondu au téléphone. La danse. Le duo Dupond-Da Rocha y travaille aux forceps. Milite pour ce retour à la scène à travers leur «bébé» : Fusion. Un spectacle chorégraphique mêlant danse orientale et danse classique. Le danseur assure y être au mieux de sa forme et de son art. «Ma danse a acquis une maturité phénoménale. Plus maîtrisée, plus sereine. Mon répertoire, grands jetés et déboulés, est intact, juste moins hystérique qu'avant.» Mais la création peine à se vendre. Si quelques dates test en local ont été «bien accueillies du public», Leïla Da Rocha est catégorique : «Le milieu de la danse ne veut pas du retour de Patrick et encore moins de ce mariage entre l'Orient et l'Occident. Toutes les portes se ferment. Nous n'avons aucune aide.» Claude Bessy est plus modérée : «Patrick a sa place sur scène. Il est beau, il est tout mince. Il a récupéré physiquement et psychologiquement.» L'argent. Patrick Dupond en a manqué au creux de sa vague. Sa retraite d'étoile, «1 000 euros par mois, réduite à cause de mon licenciement de l'Opéra», l'a contraint à demander un logement HLM à la ville de Paris. Qu'il a obtenu au bout de trois ans. Aujourd'hui, sa situation financière est rétablie. Patrick Dupond «ne roule pas sur l'or» mais l'argent n'est pas sa motivation première. Le danseur a son «gagne-pain» : une résidence artistique rémunérée 180 000 euros par an par la ville de Saint-Quentin (Aisne). Le duo, là encore indissociable, se partage la donne du maire, Xavier Bertrand. «C'est notre patron, considère le danseur. N'en concluez pas que je danse pour l'UMP. Je suis apolitique. Si je milite, c'est pour les droits de l'homme, de la femme, de la presse et la cause animale.» La résidence court depuis deux ans et devrait être renouvelée. Le nom de Dupond sonne encore assez bien pour faire briller le blason de la ville. Jean-Pierre Roux, directeur du service culture de Saint-Quentin, explique le deal : «Patrick Dupond a une mission de création et de diffusion de spectacles en lien avec les enfants des écoles et des centres sociaux de la ville. Il intervient également auprès des personnes âgées.» Sur les bancs de l'opposition, l'équipe PS fulmine et parle de «retraite dorée pour M. Dupond». L'intéressé se dit ravi de rendre accessible son art au plus grand nombre. Au-delà. Patrick Dupond est descendu de sa croix. Mais c'est entre les mains du bouddhisme qu'il a remis sa résurrection… à plus tard. Ses journées sont rythmées par des temps de méditation. Il croit en la réincarnation mais pour l'heure, travaille à se réincarner «en moi-même». Patrick Dupond en 6 dates 14 mars 1959: Naissance à Paris. 1970: Entre à l'école de l'Opéra de Paris. 1980 Nommé danseur étoile. 1990: Nommé directeur de l’Opéra de Paris. 2000: Accident de voiture. 26 février 2011: Retour sur scène au Cirque royal de Bruxelles. 5 mars 2021: Décès Photo Jérôme Bonnet .Soissons, le 1er février 2011. Patrick Dupond, danseur étoile. (Jérôme Bonnet/Libération)
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Le spectateur de Belleville
December 23, 2020 4:49 AM
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Par Rosita Boisseau dans Le Monde 22/12/2020 Créatrice puis directrice pendant plus de trente ans des Hivernales d’Avignon, elle a su allier la danse au théâtre et à la chanson, articulant la programmation avec des cours et des ateliers. Elle est morte le 17 décembre, à l’âge de 84 ans. Lumineuse, offensive, Amélie Grand attirait l’attention par sa seule énergie rayonnante et le sourire qui allait avec. Cette personnalité majeure de la danse contemporaine depuis le milieu des années 1970, à la tête du festival Les Hivernales d’Avignon, de 1977 à 2009, n’a eu de cesse de soutenir les danseurs et les chorégraphes pour les faire grimper en haut de l’affiche. Elle est morte jeudi 17 décembre, chez elle, à Mouriès (Bouches-du-Rhône), entourée de Julia Grand, la fille qu’elle eut de son mariage avec le sculpteur Toni Grand (1935-2005), et de ses amis musiciens, qui l’ont accompagnée jusqu’au bout avec des concerts à la guitare et à l’accordéon. Elle avait 84 ans. Amélie Grand est né, le 17 juillet 1936, aux Sables-d’Olonne (Vendée). Ultrasportive, elle sort diplômée de l’Ensep (Ecole normale d’éducation physique), tout en s’aventurant, avec l’ardeur qui était la sienne quoi qu’elle fasse, dans des spectacles de théâtre et de cabaret. Elle donnait encore son atelier chansons à Avignon avant la crise sanitaire. « La danse perd une vibrante dame, confie le chorégraphe Dominique Dupuy. L’histoire d’Amélie Grand, folle de chansons, qui laisse d’un coup ses grandes amours pour se consacrer pendant des années corps et âme à la danse à laquelle elle fait vivre une aventure des plus singulières, dont je suis fier d’avoir été un des premiers héros, est incroyable. La chanson ne l’ayant pas quittée, Amélie Grand, à sa sortie des Hivernales, a rempilé, chantant et rechantant à qui mieux mieux. Ceux de la danse cependant ne pourront oublier cette convaincue, concoctant dans sa ville aux couleurs du théâtre, des moments de danse fulgurants pour lesquels elle inventa le beau titre tout en blancheur des Hivernales. » Amélie Grand : « On était juste une bande d’amis qui a soudain eu une idée folle : organiser une semaine de danse dans la ville du théâtre » En 1960, à Paris, sa passion toute fraîche pour la danse contemporaine se muscle auprès de la chorégraphe allemande Karin Waehner (1926-1999), nourrie d’expressionnisme, puis se diversifie au gré de différents stages. Cinq ans plus tard, Amélie Grand commence à enseigner la danse à l’université de Nanterre. Elle collabore, à partir de 1968, avec le metteur en scène Gabriel Monnet, au Théâtre de Nice, tout en dirigeant des formations en danse pour les classes préparatoires au professorat d’éducation physique. Elle est nommée conseillère « danse et théâtre » à la direction départementale de la jeunesse et des sports du Vaucluse en 1974. Dans la foulée, elle ouvre les premiers cours de danse contemporaine à l’université d’Avignon, puis lance la Semaine de danse d’Avignon, en 1977. Ce qui va devenir le festival Les Hivernales d’Avignon, toujours dans la course, à l’enseigne depuis 1996 du Centre de développement chorégraphique pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, prend son élan. « On était juste une bande d’amis qui a soudain eu une idée folle : organiser une semaine de danse dans la ville du théâtre, rappelait en riant Amélie Grand, en 2018. J’avais envie de faire aimer cet art et j’ai appris sur le tas à construire et diriger ce qui est devenu un festival. » « Une femme forte » En lutteuse, elle va imposer l’art chorégraphique dans une ville dédiée dévolue historiquement au texte et au théâtre. « C’était une femme forte qui a su tisser des liens avec d’autres partenaires institutionnels et tenir tête aux politiques pour affirmer la présence de la danse, commente Isabelle Martin-Bridot, directrice des Hivernales depuis 2017, qui a collaboré avec elle dès 2004. C’était aussi une artiste qui savait être à l’écoute des danseurs et leur parler. » L’identité de cette manifestation s’appuie sur les différentes passions d’Amélie Grand pour brosser une vision populaire, multicolore et joyeuse de la danse contemporaine, les bras grands ouverts au théâtre, à la chanson, au rire. L’idée forte des Hivernales : articuler la programmation des artistes avec des cours et ateliers. « Il ne s’agit pas de consommer mais de construire une culture. Les chorégraphes diffusés donnent obligatoirement une semaine de cours à des débutants ou à des professionnels qui vont assister à des représentations le soir », expliquait-elle lors d’une rencontre en 2001. Aux Hivernales d’Avignon, on trouve un savant équilibre entre signatures repérées et jeunes pousses D’où une communauté de passionnés faisant bouillir la marmite de la danse contemporaine du matin au soir dans la cité des Papes. On y croise, dans un savant équilibre entre signatures repérées et jeunes pousses, Elsa Wolliaston, Susan Buirge, Maguy Marin, Daniel Larrieu, Mark Tompkins…, mais aussi Yvann Alexandre, Hamid Ben Mahi, la compagnie Naïf Production… Toujours au taquet, Amélie Grand lance, en 1997, Les Hivernales en été, et parallèlement le programme Sujet à vif, en complicité avec le Festival d’Avignon. En 2000, dans le cadre d’Avignon « ville européenne de la culture », elle met en œuvre un réseau qui relie Avignon avec des institutions de Bergen, Bologne, Bruxelles, Cracovie, Helsinki, Prague, Reykjavik, pour faire tourner dix compagnies sélectionnées dans ces différentes villes à l’enseigne d’un festival itinérant intitulé Trans Danse Europe 2000. « Amélie était une personnalité avec de l’autorité pour défendre la danse contemporaine, se souvient Bernard Faivre d’Arcier, directeur du Festival d’Avignon de 1980 à 1984, puis de 1993 à 2003. On a beaucoup collaboré ensemble et je lui demandais régulièrement conseil. C’était une excellente partenaire de travail. Elle savait résister à la mollesse du milieu avignonnais et s’est révélée une bonne tacticienne pour bâtir son festival. Elle était réaliste et idéaliste en même temps. » Amélie Grand en quelques dates 17 juillet 1936 Naissance aux Sables-d’Olonne (Vendée). 1977-2009 Crée et dirige le festival Les Hivernales d’Avignon. 1997 Lance Les Hivernales en été. 2000 Met en œuvre un réseau qui relie Avignon et des institutions de Bergen, Bologne, Bruxelles, Cracovie, Helsinki, Prague, Reykjavik. 17 décembre 2020 Mort à Mouriès (Bouches-du-Rhône).
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