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November 27, 2024 4:28 AM
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Le fantasme sadien et son écriture

Le fantasme sadien et son écriture | Psychanalyse | Scoop.it
Qui n'est pas spontanément tenté de confondre sadisme et perversion, tant il est vrai que les deux termes semblent exprimer la même attitude, la même disposition subjective à "faire le mal" ? On sait bien pourtant qu'il n'en est rien et que l'éventail des perversions se montre des plus riches et des plus variés, que le sadisme n'existe comme tel que mis en relation structurellement avec le fétichisme ou le masochisme, notamment, et qu'il est sans doute moins fondamental, en tant que structure clinique, que ces derniers. D'autre part, si l'on rapporte l'origine du mot au personnage historique de Sade et à son œuvre, il faut éviter de confondre le "sadisme" imputable aux héros des récits sadiens et la structure psychique du Marquis lui-même, libertin dans le siècle assurément, et non moins certainement masochiste. Rappelons qu'un libertin au XVIIIè siècle n'est pas spécialement, ou pas seulement un "débauché", mais surtout un contestataire opposé aux discours dominants, notamment religieux, un athée mettant en cause le statut du Dieu chrétien comme unique "sujet-supposé-savoir". L'autre grande référence philosophique de l'époque est la Nature, en tant que système de lois universelles, et c'est elle que l'on retrouve omniprésente chez Sade sous l'espèce d'un "Etre suprême en méchanceté", non plus supposé-savoir mais cette fois supposé-jouir. Mais Sade est plus conséquent, ou peut-être plus religieux, que les libertins de son époque cultivant simplement l'immoralisme : il conçoit une vraie morale, universaliste, rigoriste, dont l'impératif catégorique consiste à obéir à la Nature et à ses lois impitoyables, cannibaliques, éminemment criminelles. Pour le dire autrement, la Loi est de jouir selon la Nature et pour la Nature. Il s'agit d'un sacrifice, plaçant cette nouvelle espèce de dévôts dans une position masochiste, et dont la portée ne va toutefois jamais jusqu'au marricide ou à l'inceste : la Nature elle-même reste inviolable, finalement le crime, non dialectisable, tourne court, se résout non dans la jouissance tant espérée mais dans le seul plaisir, indéfiniment réitéré.
 
L'uniformité de la vie et des écrits du Marquis de Sade illustre à merveille ces principes. Voici comment Lacan formalise le fantasme du héros sadien. La position initiale du bourreau est celle de l'objet 'a', instrument métonymique de jouissance au service de la Nature comme Volonté de jouissance absolue. C'est la victime, en face, qui incarne le sujet dans sa division spécifique, entre douleur physique et soumission morale. C'est cette division qui est visée par le bourreau, au moyen de l'angoisse provoquée, et non la souffrance pour elle-même. Le reste de l'opération, en bout de circuit, devrait être le "pur sujet du plaisir" comme l'écrit Lacan, censé advenir une fois le corps expurgé de toute douleur et de tout mal. Or c'est à ce moment que le sujet défaille, pendant que le maître "décharge" (éventuellement), et tout est à refaire. Qu’en est-il du marquis de Sade que l’on dit, structurellement, masochiste ? Tout débauché qu’il fut (sans aller jusqu’au meurtre, semble-t-il), Sade a plutôt joué le rôle de la victime dans sa vie réelle, un mort-vivant qui passa presque trente années sous les verrous, sous l’emprise d'un maître (imaginaire) ayant pour nom Mme de Montreuil, sa belle-mère. C’est dans ce contexte que lui vient la nécessité d’écrire. Dans sa prison, Sade a dû convertir l'impératif de jouissance totale en obligation de dire "toute" la jouissance, de raconter la totalité de son fantasme, fût-ce sous le mode le plus rébarbatif. Le côté répétitif et comme mécanique de la stylistique sadienne, indique que cette jouissance excède de toute part le langage, et pourtant s'épuise à vouloir l'exprimer dans et par le langage. Sade écrivain s'acharne sur son lecteur comme le bourreau sadien s'acharne sur sa victime, indéfiniment ranimée pour subir d'éternels supplices. Or cette situation nous renvoie au cœur du fantasme sadien et à la véritable nature de l'objet fétiche : il s'agit de la voix, la voix forte, impérative. Que vocifère-t-il, le bourreau, que réclame-t-il de sa victime ? L'aveu. L'aveu de la jouissance cachée dont elle est censée être la dépositaire, ou la bénéficiaire grâce au traitement infligé ("avoue que tu aimes ça !", dit le violeur à sa victime - alors que dans le même temps, par principe, il exclut son consentement !). D'une part l'impératif de tout dire (de la jouissance) produit le texte mécanique, sans sujet, que les avant-gardes littéraires ont justement repéré chez Sade ; d'autre part, il produit la stupeur médusée du lecteur, de même que le bourreau finit par arracher un cri à sa victime, seulement un cri (comme "fétiche sonore" : Barthes), en guise de parole. La mise en oeuvre littéraire fonctionne alors, non comme un authentique passage à l'acte, mais comme une modalité d'érection du fétiche.
 
L'impératif sadien de tout dire s'oppose, de toute évidence, à l'éthique du bien-dire du psychanalyste ; cependant, si ce même psychanalyste parvient à provoquer ce pivotement, d'un quart de tour sur la structure, qui exprime la différence entre le fantasme sadique et le fantasme masochiste de Sade écrivain, autrement dit s'il parvient à susciter chez son patient le désir d'écrire son fantasme, ceci allègera d'autant les occurrences où il serait tenté de le vivre.
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January 9, 5:53 AM
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Le mythe d’une perversion homosexuelle masculine

Le mythe d’une perversion homosexuelle masculine | Psychanalyse | Scoop.it
En tant que mode de réponse à l'angoisse de castration, l'homosexualité (tout comme l'hétérosexualité, d'ailleurs) n'appartient à aucune structure clinique particulière et présente une grande variété. On la rencontre aussi bien dans la psychose que dans la perversion ou la névrose, et bien sûr aussi dans la sublimation, comme quoi son caractère supposément "pathologique" n’est que leurre et préjugé. L’homosexualité, comme telle, n’appartient pas au champ des perversions ; mais bien sûr il y a des sujet pervers homosexuels, et sans doute des manifestations particulières de la perversion dans ces cas-là. Dans la mesure où elle consiste à aimer les hommes, voire la virilité pour elle-même, et non les femmes (ce qui peut paraître un truisme), il est difficile de ne pas voir dans l’homosexualité masculine un réinvestissement de l'amour paternel, même si l'image du père est généralement recouverte par celle de la mère, ce qui permet au sujet d’assumer la plupart du temps le "genre" masculin. Le lien privilégié que celui-ci entretien avec sa mère n'empêche pas le noyau amoureux père-enfant d'être déterminant. 
 
Par ailleurs, le rapport au père nous aide à comprendre l'exceptionnelle constance, à travers les siècles et les cultures, non seulement du lien homosexuel masculin mais aussi de sa répression. La dépendance à l'égard d'un père totémique, à la fois aimé et redouté, portant de toute sa mythique autorité le lien social tout entier, explique sans doute que l'homosexualité exhibant un tel amour, soit en bute aux représailles de l'instance paternelle elle-même. En fait, l'expression de l'amour homosexuel pour le père et sa répression sont les deux faces contradictoires d'un même lien, d'autant plus prégnant politiquement et socialement qu'il est occulté individuellement. La source totémique du lien homosexuel s'affiche dans les pratiques initiatiques de nombreuses cultures, qui imposent une allégeance homosexuelle totale du futur initié à l'égard de son maître, du moins le temps que dure son "éducation". Par ailleurs, se défaire du pouvoir totémique tout en le perpétuant socialement, n'est-ce pas ce que le maniement des armes et la tuerie organisée (chasse, guerre) réalisent depuis la nuit des temps en répétant le meurtre du père, mais aussi en perpétuant un lien homosexuel sous-jacent ? Ainsi se vérifie que les plus virulents pourfendeurs de l'homosexualité masculine, au nom de la "nature" ou encore de l'ordre moral, vivent toujours dans la dépendance inconsciente et collective d'un tel lien. (Il faut noter que si l'homosexualité féminine fait plus ou moins exception à la répression, c'est précisément parce que ses implications et plus exactement ses fondements politiques sont nuls. En effet, il n'échappe pas aux hommes exerçant le pouvoir que l'amour homosexuel féminin, prenant appui sur l'amour paternel et imitant bien souvent le désir masculin, ne remet absolument pas en cause la prééminence du phallus ni donc véritablement l'ordre social. Ajoutons à cela qu'il représente un attrait fantasmatique non négligeable pour l'homme !) 
 
Donc les sources initiatiques, politiques et culturelles de l'homosexualité se confondent au sein d'un discours dominant qui n'est autre que le discours du maître, au service de ce que l'on pourrait presque appeler "l'ordre homosexuel" (même si le sujet homosexuel, surtout à notre époque, n'est rien que la victime "collatérale" de cet ordre), rien d’autre en somme qu’un patriarcat archaïque et fétichiste (non symbolique). A l'époque préhellénique, la finalité guerrière de l'initiation ne faisait aucun doute : il s'agissait de forger les mâles combattants en réduisant et en humiliant la part féminine des adolescents. D'autre part, l'ordre social tout entier était suspendu à ces pratiques qui anticipaient souvent les futures alliances familiales et matrimoniales. Selon certaines coutumes indo-européennes, un jeune homme "enlevé" selon les règles, puis affranchi sexuellement (dépucelé) par un homme d'une autre famille, pouvait prendre pour épouse la fille de ce dernier. La pédérastie grecque classique à substitué à cette dimension initiatique et socialement réglée de la pédérastie une dimension purement éducative. En le vulgarisant, elle tend paradoxalement à pérenniser un lien qui devait conduire initialement à une mort symbolique ; à l'époque de Socrate, au contraire, la pédérastie est le moyen même pour parvenir à l'immortalité que propose la philosophie, soit la science de l'amour et l'amour de la science confondus. Les Romains eux aussi perpétuent le culte de l'homosexualité, tout en la condamnant sous certaines formes. Comme les Grecs, ils conçoivent avant tout la différence sexuelle selon le clivage maître/esclave, plutôt que homme/femme. Si bien que le plus important, la vertu, ce n'est pas d'être homo ou hétéro, mais d'être actif. L'homosexualité purement passive était condamnée tout comme les relations aberrantes, dénaturées, entre maîtres et esclaves par exemple. Dans le fond, si cette époque était moins libérale que la nôtre, elle était aussi moins naïve.
 
En effet, que signifient toutes ces pratiques plus ou moins rituelles, concernant l'accès à la virilité, sinon le fait précisément que la virilité, cela s'acquiert : on ne naît pas homme, on le devient. Vérité étonnante pour la psychanalyse freudienne qui semble avoir réservé ce devenir à la femme. Selon Freud, la reconnaissance de l'identité sexuelle est surtout problématique pour la femme, un homme sachant toujours à quoi s'en tenir grâce à l'organe qu'il détient de nature. La question moderne de l'homosexualité, et les questions des homosexuels à la psychanalyse, opposent un démenti cinglant à pareille certitude. D'autre part, on commence à comprendre que la question de l'homosexualité constitue, en tant que telle, une quête initiatique de la virilité. A partir du moyen-âge, il est vrai que cette quête apparut de plus en plus contre-nature. Les raisons en sont complexes. La religion chrétienne ne condamne pas dogmatiquement l'homosexualité ; d'ailleurs que ce soient dans les communautés monastiques ou dans la chevalerie, l'idéal homosexuel resta extrêmement prégnant. Ce n'est pas encore le choix de l'objet, masculin ou féminin, mais plutôt le choix du sexuel comme tel qui fait problème et attire les foudres de l'Eglise. Encore ce mouvement répressif clérical fût-il assez tardif, postérieur en tout cas aux croisades, le "bon chrétien" ayant tendance à diaboliser et à reporter sur le "mauvais musulman", l'Autre, la réalité diabolique du sexe, du viol et de la sodomie. S'y ajoute des interrogations plus théologiques, à partir des 12è et 13è siècles, sur l'aspect plus ou moins licite des actes homosexuels au regard de la Nature et de la Création. Le concept de Nature est suffisamment large et contradictoire pour autoriser une thèse et son contraire : y voyant le principe actif et mouvant de toute chose, les philosophes antiques en faisaient aussi la source et la justification de leur homosexualité active. Mais au moyen-âge, l'aspect passif de "création" prend le dessus, si l’on peut dire, cependant que la divinité en dernière instance de la nature lui assigne comme but la réconciliation des contraires, le retour à l'unité divine ; bref, en matière de sexualité, on ne jure plus que par l'union soi-disant naturelle du mâle et de la femelle. Les contradictions de la morale se nourriront longtemps des apories propres au concept de nature, déjà présentes chez un saint Thomas d'Aquin par exemple, lequel nous parle d'une nature-vie dont participe la part animale de l'être humain en tant qu'elle vise la légitime reproduction de l'espèce, mais aussi d'une nature-raison propre à l'homme et à sa finalité mystique, préconisant alors plutôt la chasteté. Dans les deux cas, l'homosexualité est jugée contre-nature. 
 
La psychanalyse a définitivement rompu avec la thèse qui voudrait voir une continuité entre la sexualité animale et la sexualité humaine et qui voudrait imposer une normalité des conduites en fonction de ce qui serait conforme à la nature humaine. Tout porte à croire que la sexualité humaine fut d'abord déviante au regard de la nature, pour appartenir de plein droit à la culture. D'ailleurs, la reproduction sexuée dans le monde animal n'apparaît pas en elle-même comme une évidence ; elle ne sert pas la reproduction d'une espèce (aussi efficace, sinon plus, sur le mode asexué) mais plutôt sa différenciation et sa diversification. Quant à l'espèce humaine, on sait que la rupture culturelle d'avec le monde animal est marquée par la loi de l'exogamie et l'interdit de l'inceste. Dans ce monde humain, les femmes sont placées le plus souvent comme instruments de la jouissance des mâles, alors que c'est l'inverse dans le monde animal. Enfin la psychanalyse va plus loin encore que l'anthropologie, elle détruit la croyance en une complémentarité naturelle des sexes à l'échelle humaine, ou pire (ou mieux) encore, elle affirme comme Lacan qu'il n'y a pas de rapport sexuel. Le propre de l'humain étant la parole, sa sexualité se trouve irrémédiablement lestée par l'élément symbolique, médiatisée par la demande et la nécessité de la jouissance, distribuée et différenciée au terme de "complexes" familiaux, au premier rang desquels se trouve le complexe d'Œdipe. Ce que la psychanalyse appelle le Phallus est l'unique symbole, pour les genres masculin et féminin, du désir sexuel en tant que structuré par le manque, et se substitue proprement à l'instinct. Il n'est pas évident, sous ce régime, qu'un mâle soit attiré par une femelle, et réciproquement. L'assomption de la castration pour un sujet signifie donc ceci : un garçon devra "réaliser" qu'il n'est pas le phallus de sa mère, s'il veut prétendre le posséder, et désirer plus tard une autre femme ; une femme devra réaliser qu'elle ne l'a pas, du moins pas complètement, si elle veut désirer à son tour un homme. Mais finalement le choix de l'objet (l'"orientation") s'avère accessoire, s'il est assumé, l'enjeu étant avant tout la possibilité de désirer tout court. 
 
C'est bien dans ce contexte, dans cette articulation du complexe d'Œdipe et du complexe de castration, que s'installent les formes perverses et/ou névrosées d'homosexualité (mais cela ne qualifie pas l’homosexualité en tant que telle) qui justement n'assument pas la castration. Dans la structure perverse le sujet abandonne tout espoir de posséder le phallus, et se contente de l'être pour colmater la castration maternelle, selon le procédé du démenti qui produira le fétiche. Si le pervers ne désire pas vraiment, porté qu'il est par une volonté de jouissance absolue et immédiate, le névrosé se contente de différer son désir et encore plus sa jouissance, se sentant en quelque sorte "trop" castré par l'Autre (paternel) ; incapable d'assumer son "avoir", il s'imagine presque "être" le phallus à la manière perverse. La crainte et en même temps l'amour du rival paternel produisent une féminisation du fils, caractéristique de l'homosexualité névrotique ; le choix d'objet homosexuel rend toutefois compatible le désir pour la mère, à qui il consacre sa virilité, et l'amour fusionnel pour le père. De son côté, l'homosexuel pervers incarne d'autant mieux la contradiction quant à l'identité sexuelle, qu'elle est structurée par le démenti. Notons que cela vaut aussi bien pour l’hétérosexuel pervers. D'une part le pervers reconnaît l'existence de la castration maternelle, donc se prend réellement pour un homme possédant le phallus ; mais d'autre part, il la nie quand même et fait comme s'il était le phallus maternel : le fétiche réalise objectivement un compromis entre ces deux positions. Posture inconfortable, qui semblerait à quiconque insoutenable ; et pourtant le propre du pervers est de soutenir cette “imposture”. 
 
L'imposture première appartient à la position perverse elle-même, au niveau de l'être ; l'imposture seconde concerne tous les rites mis en œuvre, exactement comme aux âges archaïques, pour accréditer la possession du phallus et affirmer une virilité qui semble n'être jamais assez idéale ou assez pure. Ajoutons à cela que les insignes phalliques sont puisés chez la mère, ou la grand-mère, évidemment pas chez le père dont la fonction est dévalorisée dans le discours de celles-ci. Il y a une véritable éthique de la transmission, chez le pervers, pour tout ce qui touche à la définition du mâle, qui fait de lui un authentique moraliste. On rencontre cette "morale de la virilité" chez des écrivains homosexuels célèbres, comme Jouhandeau et Montherlant, ou Genet et Mishima dans un style plus "hard". La virilité idéale prônée par ces moralistes ne se définit pas en relation avec la féminité, mais au contraire avec la mort et avec la Loi. Cette virilité de mâles purs, étrangement efféminés par ailleurs, ne se mesure qu'à l'aune d'un "mal radical" spécifique, soutenu par une volonté inflexible et une allégeance absolue au sens du sublime - ce que Lacan résume d'une formule, pour l'appliquer toutefois au psychanalyste : l'idéal de la sainteté par l'abjection. Le moraliste pervers se doit avant tout de faire le mâle et/ou le mal en beauté. La Loi perverse en général est d'imposer une conception du désir comme mort, une loi dont le caractère absolu annihilerait par avance toute autre loi et tout désir, au point de diviser le législateur lui-même. Cependant le pervers n'est sans doute pas assez bon philosophe : il confond mal radical et mal absolu, en faisant de celui-ci un objet de désir (et pas seulement une caractéristique de la volonté du sujet) rapporté à un grand Autre extérieur et divinisé. La limite ou l'imposture du désir pervers apparaît ainsi car il ne saurait y avoir de mal sans le bien, ni de mâle sans les femmes. Le pervers vit parfois cette impasse en plongeant dans l'abjection, par des conduites addictives ou même suicidaires dont la drague frénétique et illimitée peut-être un exemple.
 
D'autres fois, le sujet se ressaisit et passe du côté de la sublimation, dont l'aspect éducatif dont on a parlé participe assurément. La sublimation artistique restant la solution de substitution la meilleure, la plus socialisante pour le sujet, même s'il reste toujours à ce titre un "comédien", comme l'a écrit Sartre à propos de Genet. Le monde devient alors un théâtre, une comédie, et c'est paradoxalement la meilleure façon qui se présente à lui pour aborder le réel. Quant à la psychanalyse, elle ne saurait avaliser un discours qui revendiquerait ou au contraire qui condamnerait l'homosexualité : son discours est celui qui affirme la prééminence du manque dans la sexualité humaine, structurée par la castration, et elle condamne la perversité de tout discours, sur l'homosexualité ou de l'homosexualité, qui proposerait une jouissance absolue en dehors de la médiation symbolique. La psychanalyse accueille la revendication homosexuelle en tant qu'elle témoigne précisément du problème de la différence des sexes, et parce qu'elle semble confirmer l'existence d'une seule sexualité - c'est toujours du Phallus qu'il s'agit - indépendamment des différences de genres et de la diversité des pratiques sexuelles, lesquelles n’ont rien à voir en tant que telles avec la perversion, pas plus d’ailleurs que le choix d’objet. L’imposture perverse correspond plutôt à une modalité particulière, sous le sceau du déni, de la posture phallique universelle propre à l'animal parlant, lorsqu’elle se fantasme comme rapport accompli et unique. On a compris qu’elle concerne aussi bien l’hétérosexualité que l’homosexualité.
 
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January 6, 5:49 AM
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Le couple pervers et son contrat

Le couple pervers et son contrat | Psychanalyse | Scoop.it
(Michel Fourniret et Monique Olivier)
 
On serait assez mal fondé à disjoindre la perversion de l'amour, voire de l'amour conjugal, étant donné la particulière solidité de certains couples pervers et le talent non moins remarquable que ces sujets manifestent à témoigner littérairement de l'amour. Certes il ne s'agit pas de romances, et il conviendrait de distinguer parler d'amour et discourir sur l'amour. Mais il n'est pas exclu que ce discours puisse séduire l'autre, l'embobiner, le ravir, d'autant qu'il ne se livre jamais que sous la forme contraignante du contrat.
 
Le contrat pervers n'exclut pas l'autre, comme on l'entend parfois, mais il réduit l'autre au rang de spectateur impuissant et par là complice. La rupture de ce type particulier de lien amoureux, la rupture de ce couple ne peut donc avoir pour cause que la rupture du contrat en question. La cause de cette rupture réside dans le scandale dévoilé, dans le fait qu'à un moment donné le secret scellant au plus profond le contrat est dénoncé par l'un des deux partenaires. Comme si la règle factice qui leur tient lieu d'entente, comme si le savoir faire partagé n'avait de consistance qu'à demeurer ésotérique, et potentiellement menaçant pour l'extérieur. Ceci dit, si l'amour pervers ne se nourrit pas franchement du désir de l'Autre, il ne réside en aucune manière dans la fusion, ou dans une symétrie que la réversibilité sado/maso, par exemple, pourrait à tort laisser croire. Pour comprendre la consistance même du couple pervers, il faut en souligner l'essentielle disparité. Pour que la perversion fonctionne, il faut toujours que l'un soit identifié comme étant le pervers pour l'autre, afin que ce dernier puisse entrer dans le jeu en tant que victime consentante, complice, et au bout du compte manipulatrice. Tout est fait pour que la manipulation se répète à la perfection et triomphe ; cela suppose une certaine "tenue", un "savoir vivre" conjugal, ne serait-ce que pour respecter et entretenir la mécanique elle-même… ; si l'autre doit finalement être réifié et utilisé comme objet de jouissance, il doit être en quelque sorte protégé dans son altérité même.
 
L'angoisse ne peut être suscitée en l'autre que sur fond d'une liberté et d'une intégrité parfaitement respectées : du moins cela fait-il partie des apparences et du jeu lui-même. La subjectivité de l'autre - nécessaire, comme on l'a dit - n'apparaît-elle pas en effet sous la forme du regard ? Mais ce sujet-Autre, pour le pervers, est immédiatement objectivé ; de la sorte, l'Autre dans le jeu pervers se tient plus précisément dans l'œil séduit qui regarde. D'une part le pervers s'identifie à cet oeil du fantasme, en quoi consiste l'essentiel de toute perversion, d'autre part la présence effective de cet œil est requise dans la mise en scène le conduisant à la jouissance (c'est la différence avec le névrosé qui se contente d'en rêver). Il est le garant de l'illusion dont le pervers se nourrit et où il évolue. Comme support du couple, selon les différents niveaux où on considère celui-ci, l'œil complice peut aussi bien être le partenaire permanent des jeux érotiques (le mari ou l'épouse, pourquoi pas), ou bien un troisième larron recruté à l'occasion, ou encore "les autres" (voisins, etc.) d'une manière beaucoup plus générale. Dans l'inconscient, demeure en priorité le regard de la mère qui, tout en défiant celui du père, désigne en même temps cette place que le pervers aura à cœur d'investir et de revendiquer, pour mieux en marquer l'inanité. L'essentiel est que la Loi puisse être représentée, puis défiée, détournée, donnée en un spectacle plus ou moins grandiose qui est moins celui de la déraison que celui de la dérision. La loi se fonde toujours sur la négation d'une jouissance, c'est pourquoi elle est fautive et inutile aux yeux du pervers.
 
De plus le couple pervers honore un contrat plus avantageux ne reconnaissant qu'un impératif : celui de jouir. Il convient d'accentuer le fait que le sujet pervers se ramène à l'existence du couple, au-delà des deux individus qui le composent, de sorte que la perversion pourrait se définir comme une manière de faire couple en jouissance. Le couple (scellé par ce type de contrat) est une association intrinsèquement perverse ayant pour fin la jouissance, et le mariage légalisant la jouissance (de toute sorte de biens) n'est peut-être pas la moindre de ces perversions ! Couple pervers ou perversion du couple ?
dm
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January 1, 7:41 AM
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Subversive passion

Subversive passion | Psychanalyse | Scoop.it
Quoi de plus a-social et de plus marginal, en principe, que le couple passionné ? Mais voilà, si ce dernier fait mine de ne pas s'intéresser au social, le social, lui, s'intéresse à la passion où il voit à la fois une menace pour le respect de la norme et une forme basique, quoique inavouable, de la norme sociale. Qu'y a-t-il de si inavouable ou de si secret au principe de la passion, que la classique "déclaration d'amour" ne saurait même exprimer ou percer ? Ecrire à l'être aimé semble moins un aveu volontaire qu'une décharge nécessaire, comme s'il fallait moins se rapprocher de l'objet que le tenir à distance, éviter une trop complète et dangereuse proximité avec lui. Masochisme foncier de toute passion, qui consiste à jouir en subissant, en souffrant la présence a-normale de l'aimé idéal. 
 
Non seulement la passion constitue un dérèglement social, au moins en puissance, mais elle est décrite également comme néfaste et toxique pour les protagonistes eux-mêmes. Pour reprendre la célèbre formule de Freud, le couple passionné relève d'une sorte de "foule à deux" hypnotique et psychotique, dans son retrait tendanciellement absolu. Parallèlement, le couple passionné ne passe pas inaperçu et concerne malgré tout l'Autre social. Celui-ci le toise, avec désapprobation, jalousie ou amusement, mais dans le fond se sent regardé et comme "accusé" par le couple. C'est pour cela qu'il s'efforce de culpabiliser, le plus possible, l'exhibition de la passion. Partant, il n'aura de cesse d'exiger l'aveu d'une improbable conspiration. Comme si le secret, l'inavouable au cœur duquel se tient nécessairement le duo passionnel était intentionnellement caché à l'Autre social, comme si passion devait rimer avec trahison. 
 
En effet, la passion ne se contente pas d'être dé-socialisante en faisant fi des règles le plus souvent (en passant avant elles), elle crée une sorte de social "anomique" parallèle. Ou plutôt : ne recrée-t-elle pas un social anomique plus originel que le juridique et le politique ? C'est évidemment en ceci qu'elle est condamnable, de révéler indirectement au social quelque chose de son propre fonds, de son propre secret. Qu'en est-il du culte de l’Un, ou plutôt de l'Autre comme-Un qui constitue précisément la religion du social, est-il si clairement évacué dans la passion, vouée exclusivement en apparence au "petit autre" individuel ? Au contraire, il semble bien que la passion renoue avec un culte maternel plus obscur et possède une dimension incestueuse, sous des aspirations assez clairement androgyniques. Ce serait une sorte de fétichisme à deux visant à reconstituer le phallus maternel, puis à s'identifier à ce glorieux objet. L'esprit féminin de la passion est peut-être contenu tout entier, avec ses aspects refoulés, symptomatiques et platoniques, dans l'inexprimable passion de la fille pour la Mère. Inavouable, ce fonds incestueux de la passion l'est à coup sûr.
 
Mais il y a autre chose : la passion concurrence directement la règle sociale dans la mesure où, comme celle-ci, elle est productrice d'idéal. Le narcissisme aidant, la passion élève l'objet au rang d'idéal sexuel, auquel les amants peuvent s'identifier et former cette fameuse "foule à deux" dont nous parlions. Ce qui ne signifie surtout pas que l'union ou la fusion soit réalisée, car si l'inavouable crée un lien passionnel entre les amants, n'oublions pas que ceux-ci en ignorent les tenants et aboutissants : il s'agit là d'amour inconscient ! En tout cas, on assiste bien à une sorte de piratage d'idéal, inacceptable du point de vue du social. En résumé, à la fois le procédé d'idéalisation, constitutif de la passion, et la nature même de l'objet (l'inconcevable phallus maternel) apparaissent transgressifs du point de vue social. De ce fait la passion, dans son retrait (visible, éclatant de lumière par là même) est bien plus dangereuse que la pornographie dans son outrancière exhibition, bien plus subversive aussi puisqu'elle se désigne comme la vérité cachée du social.
dm
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December 29, 2024 11:33 AM
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Le fantasme du voyeur

Le fantasme du voyeur | Psychanalyse | Scoop.it
En tant que mode de subjectivité perverse, le voyeurisme n'est intelligible que rapporté à la pulsion scopique ; inversement, cette pulsion comme toute pulsion en général ne se comprend qu'en référence au sujet et à ce qui le conditionne nécessairement, soit le signifiant. Le sujet pervers ne se définit pas comme victime de la pulsion, ou débordé par elle : d'abord parce que la perversion n'est pas la pulsion, ensuite parce que ni la pulsion ni la perversion ne peuvent être vues comme des "débordements".
 
Pour bien comprendre la fonction réelle du regard dans le voyeurisme, il faut remonter jusqu'à la distinction freudienne de la pulsion et de l'objet. L'objet n'est qu'un élément de la pulsion, et ce n'est pas ce que la pulsion capte ou atteint comme étant de nature à la satisfaire. L'objet est ce qui représente nommément le sujet dans la perversion (ainsi du regard dans le voyeurisme). L'objet véritable se constitue comme l'absence même derrière la multitude "indifférente" (Freud) des objets effectivement appréhendés. La satisfaction de la pulsion, au niveau de l'objet, est impossible : l'objet est depuis toujours perdu, disparu. Si satisfaction il y a, néanmoins, ce ne peut être qu'en fonction de ce ratage et de la remise en circuit de la pulsion qu'il opère. Du coup l'objet n'est rien d'autre que ce rien, ce vide sans cesse contourné suivant les quatre figures (de l'objet 'a') que sont, d'après Lacan, le sein, les fèces, le regard et la voix. Ces quatre objets présentifient la jouissance comme absente, comme perdue, comme interdite.
 
Alors l'objet 'a', le rien particulier si cher au voyeur est naturellement le regard. Le regard qu'il faut opposer à la vision par-delà toute différence du visible et de l'invisible. Le regard lui-même est toujours éludé, invisible dans le champ de la représentation : c'est pourquoi il présentifie si bien le manque. Sans être présent, il pré-existe au champ de ma vision, qu'il conditionne et structure, en tant que rapporté au champ de l'Autre. C'est parce que je suis toujours-déjà-regardé que je peux voir, et cette structure échappe par principe à la conscience (auto-définie comme vision de soi, vision en boucle). Le regard condense pour-moi la jouissance de l'Autre, qu'isole et manque tout à la fois la pulsion en son tracé.
 
Que se passe-t-il, spécifiquement, au niveau du fantasme du voyeur ? Comme dans tout fantasme, le sujet y est présent : il se voit, non entrain de voir, mais vu-entrain-de-voir, et narcissiquement il s'identifie à ce regard attribué à l'Autre. Il se fait objet regard plutôt que de supporter le manque (dans l'Autre) d'où tout regard procède. Un voyeur cherche donc toujours un regard auquel il va s'identifier, où il va disparaître comme sujet : c'est d'abord en ce sens qu'il cherche la "fente", qui n'est autre en elle-même que l'objet-regard ou le manque. Mais le voyeur n'en sait rien ou n'en veut rien savoir, il voit plutôt dans cet objet le secret ultime de la jouissance de l'Autre, dont il se fait par nécessité le garant et le sauveur. Il est notoire que l'ampleur de son échec ne soit pas pour le décourager puisque celui-ci fait partie intégrante du fantasme, jouissance et déréliction ne faisant alors plus qu'un.
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December 26, 2024 7:06 PM
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Mélancolie et mauvaise foi

On aurait tort de ne voir dans la mélancolie qu’une forme de « manque », une passivité de l’âme et une tendance chronique à la « dépression ». Ce dernier terme, en particulier, occulte le caractère passionnel et virulent d’une attitude qui consiste à s’accuser soi-même de tous les péchés, de toutes les indignités, et à se représenter comme l’être le plus immonde qui soit. Autrement dit, comme le remarque finement Serge André (L’imposture perverse, Seuil, 1993), le sujet mélancolique ne se contente pas de se « plaindre », il « porte plainte » littéralement contre ce qu’il est devenu lui-même, objet-déchet livré à la jouissance de l’Autre, et contre tous les semblants qui gouvernent le monde. Cette identification au statut d’objet et la jouissance qui s’y attache, permet de relier de façon pertinente la mélancolie avec la structure perverse, la première apparaissant comme un trait privilégié de la seconde (même si on la rencontre également dans les principales névroses et certaines psychoses).
 
Généralement la mélancolie alterne avec des épisodes maniaques où, cette fois, l’objet se trouve expulsé au-dehors et violemment dénoncé. Le motif déclenchant de la mélancolie étant souvent la perte d’un objet d’amour, on pourrait en parler comme d’un travail du deuil inversé, qui salirait l’objet au lieu de le magnifier symboliquement, et qui rapporterait une étrange satisfaction au sujet. Il semblerait que l’objet perdu se confonde avec une partie du sujet lui-même. Plus exactement, le sujet semble avoir perdu toutes les illusions composant ordinairement l’idéal du moi ; le moi subit une désidéalisation qui le laisse choir au rang d’objet pulsionnel brut, tel que l’excrément. L’objet n’est plus recouvert du voile pudique et valorisant du phallus, ce signifiant « destiné à désigner dans leur ensemble les effets de signifié » comme le dit Lacan.
 
Dans la psychose, on assiste à une carence des effets de signifié due à la forclusion du Nom-du-Père, qui représente le phallus dans le langage ; dans la perversion à symptôme mélancolique, il semblerait que quelque chose soit réellement transmis, dans le discours de la mère, à propos de la signification phallique : précisément sa dimension de leurre, de tromperie, d’imposture radicale. La mère se déclarant non-dupe de la comédie phallique, n’étant pas prête à se laisser leurrer, c’est le fils qui se retrouve à errer en s’identifiant à l’objet lui-même déphallicisé, misérable, englobant dans son obscénité le monde tout entier. C’est la différence avec le psychotique qui honore directement quelque grand Autre, dont il est l’objet phallique. L’attitude mélancolique du pervers relève davantage de la mauvaise foi, dans le sens où son moi reste apparemment son principal souci, sa principale référence. Un moi cependant trop décrié, trop insulté pour être honnête, car il s’agit quand même bien de servir un grand Autre. En concentrant sur lui toute l’horreur du monde, le sujet veut préserver l’Autre ; il ne veut rien savoir de la castration maternelle, il veut la faire oublier. Si c’est lui, le déchet, ce n’est donc pas l’Autre. Le pervers n’est pas dans le registre du délire, encore moins de l’hallucination, mais dans celui de la tromperie ; il a besoin de tromper et surtout d’être trompé, même s’il passe son temps, comme dans le cas du mélancolique, à dénoncer la tromperie généralisée. Il reste que la dénonciation mélancolique peut-être rehaussée, réorientée par un travail d’analyse, en la faisant porter non plus simplement sur le moi en position d’objet déchet, mais sur la trompeuse relation que celui-ci entretient avec l’Autre ; autrement dit sur le semblant de cette relation elle-même.
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December 21, 2024 8:48 AM
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De la littérature comme érotisme (note sur Bataille)

De la littérature comme érotisme (note sur Bataille) | Psychanalyse | Scoop.it
On sait que la thèse de Bataille sur l’érotisme repose sur la notion de dépense et tend à opposer celle-ci, prise dans l'absolu, à l’acquisition et à l’accroissement social des ressources. Ce n’est pas seulement une perversion ou une transgression qui nous permet de passer de l’une à l’autre, mais une véritable inversion des valeurs, car “la vérité de l’érotisme est trahison” (G. Bataille, l'Erotisme, 10/18, p. 189). Or le sens de la dépense réside dans la ruine et l’excès mortel, d’où la référence à Sade qui prône comme on le sait la souveraineté du crime. Selon M. Blanchot, celle-ci est une “immense négation” qu’il convient de décrire comme “apathie” car la fureur la plus haute fait fi des passions médiocres et spontanées. Pour les sadiens “le crime importe plus que la luxure” (Blanchot) et la jouissance du crime se situe bien au-delà du plaisir ; ils vont jusqu'à prétendre "jouir de leur insensibilité" (retenons bien la formule). Pour Bataille il s’agit aussi de montrer que cette négation illimitée qu’est le crime n’est pas seulement négation d’autrui mais négation de soi et de sa “propre” jouissance, la jouissance “historique”. La souveraineté historique se définit davantage comme un lien réciproque entre le souverain et ses sujets — lesquels ne deviennent “victimes” que par accident, en quelque sorte — tandis que la souveraineté “fictive” de Sade est absolue, au sens où l’on ne peut même y déroger par les termes d’un contrat. “Cette exigence est extérieure à l’individu” (p. 193) écrit Bataille, autrement dit universelle : c’est l’universalité même du crime. Le sadien, l’“homme intégral” renchérit Blanchot, est son serviteur : “S’il fait du mal aux autres, quelle volupté ! Si les autres lui font du mal, quelle jouissance !”. Le caractère foncièrement masochiste de cette jouissance apparaît alors clairement, autant que son caractère philosophique et spéculatif : “D’une négation, d’un crime impersonnels ! Dont le sens renvoie, par delà la mort, à la continuité de l’être !” (p. 195).
 
Pareille infinitisation de la destruction pourrait s’appliquer assez bien, somme toute, au concept de jouissance tel que l’élabore la psychanalyse. Cependant il est difficile de voir autre chose dans la “continuité de l’être” qu’une métaphore de l’écriture ; le seul recul proposé par Bataille (et sans doute par Sade) est celui de la fiction. Or la psychanalyse se place dans la perspective d’une subjectivation qui premièrement est un renoncement à la jouissance absolue, deuxièmement passe par l’épreuve de la castration et non celle — uniquement imaginaire, littéraire et/ou philosophique — de la destruction. Il n’y a aucune universalité de la castration, du moins au sens aristotélicien et même hégélien de l’universel. On rétorquera peut-être que Bataille ne parle pas de jouissance “absolue” mais de jouissance “infinie” — “la continuité infinie de la destruction infinie” —, pas de jouissance de l’être mais de “continuité de l’être”. Et certes, à la limite, peut-on voir un rapport entre ceci et l’“autre jouissance” de Lacan. Mais encore une fois les thèses de Lacan n’incluent aucune mystique de la destruction — tout au plus, avec le Séminaire XX, une mystique de l’amour... (et encore !).
 
Pour Lacan on sait qu’il n’y a pas de “sujet” de la jouissance, mais une jouis­sance qui prend à revers, en quelque sorte, le sujet (elle est là quand il n’est pas là, et réciproquement), et parvient à meubler (sinon à combler) son existence. La position de Bataille consiste à revendiquer — après Sade — une sorte de souveraineté du crime où il voit le comble de la jouissance. Mais est-ce le crime, ce sujet universel (la Nature chez Sade), qui jouit, ou bien peut-on dire que le criminel (l’écrivain pour Bataille) jouit vraiment de son “insensibilité” comme il le prétend — c’est-à-dire qu’il jouit par écrit ? Quoi qu’il en soit la position masochiste du sujet apparaît flagrante, étant toujours au service de quelque grand Autre (la Littérature, dans le cas de l’écrivain sadien). Il reste que la littérature pérennise et sublime la transgression, au contraire de la simple perversion ; au-delà de jouir de l'insensibilité ou de l’absence de plaisir — soit tout ce qui définit, depuis le masochisme bataillien, le concept d’érotisme — , il y a bien l'amour de la littérature – non pas celle qu'on dit banalement "érotique", mais l'amour de l'érotisme en littérature, voire de la littérature comme érotisme.
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December 18, 2024 1:46 PM
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Sexualité féminine et perversion

Lacan affirmait que l'homme était le "sexe faible" quant à la perversion, et niait, tout comme Freud et la plupart de ses successeurs, l'existence d'une structure perverse typiquement féminine. Et cependant selon la psychanalyse la femme n'est pas sans rapport avec la perversion ; il reste à voir comment et pourquoi elle y collabore.
En supposant - ce qui reste à démontrer - que la femme soit avant tout du côté de l'amour (jusqu'à ses formes extrêmes et pathogènes, comme l'érotomanie), et l'homme plutôt porté sur la satisfaction de la pulsion sexuelle, il n'en demeure pas moins vrai - selon une remarque de Freud lui-même - que l'exaltation amoureuse emporte une reviviscence de l'activité sexuelle, réelle aussi bien que fantasmatique. Sous cet aspect, les femmes seraient capables de perversions sexuelles exactement au même titre que les hommes, mais cela ne constituerait en rien une perversion typiquement féminine.
D'autre part, Freud a émis l'hypothèse que la relation mère-enfant puisse être empreinte de perversion, voire constituer La perversion authentique de la femme, dans la mesure où l'enfant peut être mis à la place du phallus manquant de la mère et ainsi prendre valeur de fétiche. Il est douteux, pour autant, qu'une telle éventualité (même fréquente) soit la condition suffisante d'une perversion ou même d'une forme de fétichisme. Il y manquera toujours la dimension du défi à la loi, le caractère d'amoralité que la perversion implique, et il manquera toujours à la femme le savoir sur la jouissance qui la constitue comme telle, c'est-à-dire comme pas-toute. Elle ne peut donc faire valoir ce savoir, qui se présente comme savoir-faire chez le pervers masculin - savoir-faire-jouir qui représente l'accouplement de l'objet 'a' (le plus-de-jouir) et du savoir - pour imposer à l'Autre la jouissance. Bien sûr, une mère "possessive" dira à son enfant qu'elle sait "ce qui est bon pour lui" et qu'il doit se “laisser faire”, mais dans ce cas elle tend à faire l'homme ou plus exactement le père (totémique et jouisseur), et rejoint la perversion de celui-ci. 
 
Plus sérieuse est, peut-être, la question du masochisme dit "féminin", puisqu'il semblerait ici qu'une forme de perversion concerne spécialement les femmes. C'est précisément dans ce cas que le terme de "collaboration" s'impose, car il s'agit bien pour la femme de soutenir, à la fois son propre désir, et le fantasme propre de l'homme en incarnant sa position lorsqu'il s'imagine battu par le père. Lacan l'affirme sans ambiguïté : le masochisme féminin correspond à un fantasme masculin, exactement comme le don-juanisme masculin relève en fait d'un fantasme féminin.
D'abord on note le caractère obligatoirement passif de cette position perverse de l'homme, en tant qu'il se fantasme comme "battu par le père" - passivité que l'on assimilerait bien à tort avec féminité. Il s'agit bien d'un enfant mâle que l'on bat, dans le fantasme libellé "Un enfant est battu" et rapporté par Freud. Ce fantasme, éprouvé par un sujet masculin, détermine assurément une forme de masochisme, appelé "érogène" par Freud, éprouvé par des hommes lorsqu'ils s'imaginent être une femme (car ils supposent ce masochisme à la femme !). Or, la stratégie de la femme, dans cette affaire, consiste précisément à endosser le fantasme, voire permettre sa réalisation, dans une certaine mesure, pour être aimé par un homme, exactement comme le sujet du fantasme "un enfant est battu" suppose, lors de la phase-1 du développement de ce fantasme, que le père bat un autre enfant parce qu'il l'aime, lui.
Pourquoi la femme ravive-t-elle ce fantasme masculin, sinon pour soutenir le désir du partenaire ou même mieux, pour se faire cause de son désir en tant qu'objet (battu, passif) dans le fantasme ? C'est pourquoi il ne saurait être question de perversion, de la part de la femme, puisqu'au lieu de détruire le désir et la dimension phallique, signifiante, de celui-ci, de l'étouffer sous une volonté de jouissance typiquement perverse, elle célèbre cette puissance phallique, aime (en donnant ce qu'elle n'a pas) et soutient le désir de l'homme en acceptant d'être l'objet de son fantasme.
Ce tour, un peu compliqué, n'aurait pas lieu s'il ne s'agissait pas pour elle, en même temps, de préserver son propre désir en prévenant l'angoisse du partenaire, toujours à redouter face au manque d'objet. Là encore, ce rapport à l'angoisse de l'Autre est une preuve de non-perversion : l'angoisse n'est pas inconsciemment visée chez l'Autre, comme dans le cas du vrai masochisme pervers, elle est supposée au départ et cherche à être éradiquée. Cette collaboration au fantasme masculin se paye d'un fantasme typiquement féminin, et névrotique, auquel se prête volontiers le séducteur pervers : c'est le fantasme de Don Juan, soit un homme qui ne manquerait de rien et qui les possèderait toutes, dont la puissance serait égale à celle du père dans le fantasme "un enfant est battu " - d'autant plus qu'il s'agit du même.
 
Au-delà de cette configuration névrotique, en quelque sorte congénitale chez la femme, qui se traduit par une collaboration à la perversion de l'homme, peut-on concevoir une certaine “posture perverse” en se fondant sur la jouissance dite (par Lacan) “supplémentaire” et “féminine”, et non plus classiquement à partir d’un fantasme lié à la puissance (violence) paternelle - autrement dit une perversion, mais pas dans la version du Père ?
Elle nous semble inévitable, nécessaire, quoique nécessairement indéterminée de par le caractère indicible de ladite jouissance. Soit le théorème : une femme se dit effectivement d'un sujet qui accepte et affirme sa jouissance comme Autre. Il nous semble que la perversion, en un sens non trivial et non masculin du terme, ne saurait être totalement étrangère à ce concept d’”autre jouissance” somme toute subversif. La jouissance féminine inclut la dimension d'une perversion "polymorphe" en un sens nouveau et "libéré" (n'hésitons pas à dire progressiste et féministe, en tout cas cela fait partie de ses possibles perspectives) qui ne serait pas étrangère à l’éclatement - vers un supplément de féminin à l’évidence, au grand dam des réactionnaires virilistes - de la notion de genre.
Rappelons qu'il y a bien deux sexes (anatomiques) et deux genres (socialement établis), mais une seule sexualité proprement dite, universelle (c'est la jouissance phallique) plus une jouissance "supplémentaire" qui est celle de la femme, pas-toute dans la jouissance phallique ou sexuelle. La difficulté c'est que cette jouissance féminine - corporelle mais aussi et surtout "mentale" - doit être rapportée au genre, et non au sexe, car tout individu (de sexe mâle ou femelle) peut y prétendre. Par rapport à la norme phallique, cela représente une transgression culturelle majeure, et peut-être une nouvelle forme de perversion - clairement pas dans la version du Père - voire de fétichisme qu'il faudrait chercher à étayer, peut-être, du côté d'un nouveau rapport à la parure, à la superficialité, à l'ambiguïté du paraître en général.
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December 15, 2024 3:22 PM
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La formation des analystes sous le signe du tiers. Le contrôle et la passe

Le contrôle en principe n'est jamais imposé, du moins chez les lacaniens : il se demande. Concentrons-nous un moment sur cet aspect de la formation qui clôt en général l'analyse "didactique", l'analyse qui prépare "explicitement" au devenir analyste. D'emblée, rappelons que la première règle analytique est de supposer toujours un tiers, fût-il réduit à une place vide. Une remarque d'ordre historique nous situera au cœur même de la question et nous permettra d'appréhender la conception lacanienne du contrôle. En effet le tiers était sans doute structurellement présent dès la première relation analytique, celle qui lia Breuer et Anna O., puisque Breuer ne conduisit (malgré lui, et de la façon que l'on sait) l'embryon de cure que soutenu par l'intérêt de Freud et sa correspondance avec lui.
L'originalité de la conception de Lacan, dès 1953, fut de souligner la dimension ternaire de la relation de contrôle sur le modèle même de la relation analytique normale. A ce moment-là c'est l'Autre, indéniablement, qui est le tiers constitutif de toute formation en analyse. L'analyste contrôlé est déjà en position de tiers pour ses analysants ; comme représentant la fonction du désir, il est l'Autre. Au fond le contrôleur reprend cette même place pour le contrôlé, qui lui-même ne se contente pas de rapporter les dits de l'analysant mais déjà présente une lecture interprétative, une construction. De sorte que la ternarité est bien respectée dès lors que l'instance de l'analyste en contrôle, pendant le contrôle, ne se confond pas avec l'instance première de l'analysant. Le contrôleur peut exercer alors une "seconde vue", une lecture en parallèle du cas qui renvoie néanmoins le contrôlé à lui-même (l'objet du contrôle est donc bien le contrôlé !) et à ses propres résistances, éventuellement, mais sans pour autant lui donner la clef d'une énigme ou lui dire la vérité sur le cas - car la seule énigme et la seule vérité résident dans les relations de transfert et de contre-transfert existant entre l'analyste et l'analysant.
La responsabilité de l'analyste se situe en ces parages, dans cette capacité de se tenir en position subjectivement seconde qui est structurellement celle du dire derrière le dit. Au fond les conditions pour qu'un contrôle ait lieu sont celles qui président à la réception et à la réussite d'un mot d'esprit : il faut une "troisième oreille", celle de l'auditeur (l'Autre) au-delà de celui qui fait rire (l'"amuseur") et de celui dont on rit (le "comique"), car généralement on rit moins de ce qui est dit que d'avoir pu entendre ce qui fut dit. De la même façon l'expérience du contrôle amène l'analyste à reconnaître derrière les effets d'une pratique, portée au témoignage d'un Autre, la vérité de son désir et l'authenticité de son acte, celui par lequel il s'autorise analyste.
Mesurons combien Lacan évite déjà toute assimilation ruineuse de la formation analytique avec un quelconque apprentissage, puisque apprendre est une variété d'éduquer, qui relève toujours de la maîtrise. Cela apparaît bien sûr encore plus clairement à partir de la théorie des discours, où la catégorie du symbolique le cède au concept de "savoir" inconscient. Or le savoir ne s'apprend pas, il se recueille, s'utilise, et l'on en jouit. On n'est plus dans le "technique" au sens noble et philosophique, mais carrément dans le bricolage : saisir comment ça marche, par quel truc quelque chose a pu se produire... C'est aussi ce qui motive cette critique encore plus radicale de l'idée même de formation (et de technique), lorsque Lacan rappelle qu'il n'a parlé que de "formations de l'inconscient" et non de formation des psychanalystes.
En somme l'analyse de contrôle - telle est l'appellation exacte, suffisamment explicite en elle-même - ne diffère pas dans le principe (la ternarité) d'une analyse ordinaire, même si elle s'effectue sans transfert et vise une tout autre fin. Tout semble fait pour que l'analyse de contrôle se confonde peu ou prou avec une seconde "tranche" de l'analyse personnelle - sauf les différences déjà indiquées -, puisqu'il s'agit d'analyser le contre-transfert de l'analyste, lequel provient lui-même d'une analyse probablement inachevée... Le contrôleur permet à l'analyste, devant tel cas clinique rapporté, d'analyser son désir d'être analyste. Manifestement ce n'est pas l'expérience analytique elle-même qui est "didactique", selon Lacan, mais la saisie du "truc" qui marche.
 
Après avoir parlé du contrôle, évoquons la procédure de la "passe". Définissons rapidement la passe comme ce moment où un psychanalyste est amené à témoigner d’un franchissement entre l’expérience personnelle de l’analyse avec un analyste et une expérience « à plusieurs » incluant notamment sa présentation publique. Cette procédure est faite pour modifier encore le statut imaginaire du moi, et faire en sorte que i(a) repose davantage sur l'objet du désir (a) que sur l'image narcissique (i). Désormais l'analyste possède un "moi", ou plutôt une image de soi plus maniable, précisément parce que dans la conduite de la cure celle-ci doit se faire suffisamment évanescente pour ne pas induire quelque fascination ou quelque idée de maîtrise, en rapport bien sûr avec la fonction du sujet supposé savoir.
Comme pour le contrôle, l'expérience de la passe se conduit à trois : un passant, un passeur, et un auditeur second qui recueille le témoignage du précédent. A l'issue de la passe, le candidat se voit reconnu par l'institution, à charge pour lui de soutenir avec ses pairs une pratique théorique telle que le lien social s'appuie directement sur le désir de savoir, plutôt que sur d'autres types de rapport au savoir, plus traditionnels et plus aliénants. Entre le ghetto culturel et le prosélytisme également vains, il y a place pour une pratique théorique ordonnée à la clinique, collective, publique, et pouvant aisément se passer d'énoncés prescriptifs. Tel paraît le point de vue, largement synthétisé, qui prévaut actuellement chez les héritiers de Lacan concernant ce problème de la formation.
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December 13, 2024 5:38 AM
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Ecriture à haute voix. Note sur Barthes

Ecriture à haute voix. Note sur Barthes | Psychanalyse | Scoop.it
Jouir de la voix n’est pas un thème inconnu en psychanalyse puisque Lacan, on le sait, fait de la voix l’un des possibles supports de l’objet ‘a’. Jusqu’alors la rhétorique réduisait le phénomène vocal à une performance qui devait servir la bonne compréhension et la bonne communication du message, et qu’on incluait comme tel dans l’actio, c’est-à-dire l’extériorisation corporelle et “expressive” du discours. Or telle que l’imagine Barthes (cf. Le plaisir du texte), l’“écriture à haute voix” rompt avec toute forme d’expressivité (subjective) pour renouer avec la jouissance, comme étant directement et concrètement celle de la voix, notamment “par le grain de la voix, qui est un mixte érotique de timbre et de langage”. Certes il ne s’agit pas naïvement de prétendre exprimer les profondeurs charnelles, les rythmes profonds du corps pour en extraire du sens ou  bien pour confirmer un sens ; il s’agit d’y voir une pratique autonome à partir du langage et plus précisément de l’écriture, un art qui soit véritablement “corporel” touchant même, écrit Barthes, aux “incidents pulsionnels”. Seule la matérialité des sons peut ainsi traduire ou plutôt causer quelque volupté. Exemple probant : “Il s’agit en effet que le cinéma prenne de très près le son de la parole (...) pour qu’il réussisse à déporter le signifié très loin et à jeter, pour ainsi dire, le corps anonyme de l’acteur dans mon oreille : ça granule, ça grésille, ça caresse, ça rape, ça coupe : ça jouit”.
 
Mais quant à l’“écriture à haute voix”, on ne peut pas, comme l’affirme en le regrettant Roland Barthes, se contenter d’en parler “comme si elle existait” car elle existe bel et bien (même en 1973), répondant depuis plusieurs décennies aux noms de “poésie sonore”, “poésie concrète”, etc. Il est vrai que Barthes rêve d’une pratique et d’une jouissance uniquement vocales, uniquement corporelles, et non de recherches sonores qui auraient à voir avec quelque instrumentalité et qui, selon lui, ne relèveraient plus de l’écriture mais plutôt de la musique. Mais que signifie au juste “jouir de la voix” ? Pourquoi définir la matérialité vocale uniquement par rapport à l’acte concret de la parole, physique et singulière ? N’est-ce pas justement confondre la voix et la parole et oublier que la voix est faite pour être portée et transportée, diffusée et amplifiée, transformée… ? Les références sans doute trop "littéraires", classiques ou bourgeoises de Barthes lui auront finalement fermé l'accès aux avancées esthétiques décisives qui furent celles de la poésie sonore des années 60 et 70, notamment grâce à des auteurs-performeurs comme François Dufrêne ou Bernard Heidsieck – ne se privant pas de mêler souffle et technologie - mais trop longtemps méprisés par l'Université.
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December 11, 2024 4:38 AM
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Haine de la psychanalyse et du "contemporain" (conjoncture)

Haine de la psychanalyse et du "contemporain" (conjoncture) | Psychanalyse | Scoop.it
Un phénomène fascinant et inquiétant, en ce début de XXIè siècle, est le rejet systématique et presque viscéral de la part des discours dominants - essentiellement le discours de la science relayé par les médias - de toute logique subjective. On ne veut plus rien savoir du Sujet, de l’Autre, et de leur relation, donc du symbolique, plus de vraie psychologie en dehors des méthodes cognitivo-comportementalistes avec leurs thérapies courtes “orthopédiques” qui reformatent les gens au prétexte de les guérir et de les soigner, alors qu’elles ne guérissent ni ne soignent. Sans parler des vieilles recettes volontaristes, flatteuses pour l’ego qui continuent de faire florès sous le nom ridicule de développement personnel… Au moins la psychanalyse ne cherche ni à renforcer ni à reformater, et encore moins elle ne prétend guérir (quand elle considère qu’il n’y a pas de “malade”) mais seulement soigner, oui, en accompagnant les sujets dans leur propre reconquête du sens. Mais essentiellement on ne jure plus que par l’organique, on ne veut plus que de la chimie et du mécanisme neuronal, quitte à faire du cerveau un maître absolu, un dieu omniscient et omnipotent, ou bien à l’inverse et encore plus paradoxalement un sujet seulement agent, une espèce de sujet au rabais qui “nous” “dit”, “nous” “veut”, “nous” “commande” ceci ou cela, le tout relaté dans la plus totale confusion conceptuelle par les porte-paroles médiatiques de la science : c’est d’un comique !
 
Or la déferlante de haine à l’encontre de la psychanalyse, de plus en plus observable dans les médias et sur les réseaux, révèle bien de quoi il s’agit véritablement. Haine fondée en partie sur la méconnaissance de cette théorie psychanalytique volontiers caricaturée, tronquée, ou ramenée à une poignée de “mythes” “dépassés” alors qu’elle s’appuie sur des structures anthropologiques et logiques consistantes résumées dans des “mathèmes”, lesquels ne sont pas non plus des Idées absolues ou des dogmes mais des outils permettant au psy de se repérer dans sa pratique, puisqu’en matière de vérité, seule la parole (trébuchante) du sujet fait foi en dernière analyse. Aussi, ignorance du constant renouvellement des outils conceptuels de cette discipline en fonction d’une expérience elle-même constamment chamboulée par l’évolution de la société et l’arrivée de nouvelles “pathologies” (symptômes) : se remettre en question - face au sujet et son mal-être - est la première règle éthique d’un psychanalyste, à l’image du fondateur lui-même.
 
Ignorance donc, mais pas seulement : le rejet du sujet et de la subjectivité est inséparable du rejet de l’Autre comme tel, de l’altérité, de la RELATION à l’autre qui fait sens, et pas n’importe comment. Rejet de toute LOGIQUE subjective, disions-nous plus haut, mais non rejet de la simple subjectivité comme état de fait (grâce à quoi, dieu merci, nos contemporains continuent de s’épancher à qui mieux-mieux dans les romans et maintenant sur les réseaux), et c’est là le noeud de l’affaire. Parce que s’il y a une logique à ce niveau-là, ce “mental” là qu’est la parole, s’il y a de la logique et même, allez savoir, de la jouissance (du jouis-sens), cela pourrait remettre en cause la sacro-sainte autorité de l’auto-proclamée psychologie scientifique (les sciences neuro-cognitives) censée s’occuper des causes et des effets. Et donc il ne s’agit pas non plus de poser l’altérité ou l’Autre comme un absolu, surtout pas, un dieu devant lequel ces imbéciles de savants refuseraient de se prosterner. Non, la psychanalyse et la philosophie (voire la théologie) juives (à la Levinas) ne jouent pas vraiment la même partition.
 
N’empêche, il faut affirmer les choses telles qu’elles sont et ne pas hésiter à nommer le mal : à savoir que le rejet haineux de la psychanalyse (invention, en effet, juive qui affirme le sujet de l’inconscient, l’inconscient comme discours de l’Autre) a toujours été et demeure l’un des symptômes les plus marquants de l’antisémitisme. Ce cancer de la xénophobie qui ronge la société française et bien d’autres (attendu que l’antisémitisme reste le paradigme de toute xénophobie en Occident, en tant que le juif est porteur d’une pensée non seulement “autre” mais d’une pensée résolument “étrangère”, sciemment et nommément fondée sur l’altérité - ce qui vaut naturellement pour une pensée athée comme celle de Freud et pour la psychanalyse). C’est exactement de cela qu’il s’agit encore et toujours dans la société, dans la politique, dans la science d’aujourd’hui quand le réductionnisme et l'idéologie règnent et que l’on cherche à faire taire avant tout les sujets et, accessoirement, les psychanalystes.
 
En bref, cette époque nous fait honte.
 
Seulement ceux qui se disent philosophes, aujourd’hui, ne semblent pas prendre la mesure du formidable déni que représente cette mise à l’écart de la psychanalyse. La philosophie “actuelle” (si peu “contemporaine”) renforce globalement le mouvement d’éradication du sujet : ainsi de jeunes métaphysiciens nous expliquent que la finitude doit être dépassée, qu’elle serait devenue has-been… D’un autre côté les éthiciens de tous poils et les marchands de bonheur envahissent les plateaux-télé ; autant dire que l’esprit de la psychanalyse est inaudible dans ce concert de mièvreries hédonistes. Mais le plus inquiétant reste le sort qui est fait, dans notre époque avancée, à l’idée même du “contemporain” dont nous disons que la psychanalyse est un élément clef. A ce sujet les déclarations les plus réactionnaires se succèdent, y compris de la part des “intellectuels”, semblant épouser l’inexorable et ahurissante droitisation des esprits. Tant à l’université que sur les plateaux de télévision, nombreux sont ceux qui ouvertement vomissent le “contemporain” (en art, en philosophie, en littérature…), surtout justement “à la française” : en ce qui concerne la philosophie, l’on pense notamment à ce “moment français” des années 60 particulièrement fécond où la philosophie s’est nourrie, entre autres, de littérature et de psychanalyse, avant d’être taxée (bêtement) de “pensée 68”, conspuée, livrée en pâture aux hyènes médiatiques réactionnaires. Bien sûr le freudisme et le lacanisme, pris dans le même filet, n’ont pas été épargnés ; cela à juste titre, puisque les positionnements respectifs de ces différents philosophes par rapport à la psychanalyse constituaient bien souvent l’essentiel des débats et généraient des dissensions majeures (Derrida, Deleuze, Foucault, Barthes, Althusser, ou Badiou, tous discutent explicitement ou implicitement avec la psychanalyse).
 
Depuis, et c’est pénible de le constater, l’inculture à l’égard de ce que nous appelons le “contemporain” (soit la prise en compte, a minima, de l’idée d’inconscient) se poursuit et se renforce parmi toute une génération de néophilosophes passés entre les mains d’universitaires incroyablement revanchards, pourchassant de leur vindicte la très fantasmée “french théorie” (pan sur Derrida !) ou le “nietzschéisme de gauche” (prends ça Deleuze !), le "wokisme" (la faute à Bourdieu !) et autres idéologies “islamo-gauchistes” (Foucault au bûcher !) voire pire, crypto-maoistes (Badiou en prison !). Quand vous êtes un étudiant en philosophie (voire un jeune professeur) “branché”, de nos jours, vous vous devez impérativement d’être “analytique”, adepte de la “philosophie de l’esprit” (à l’américaine), versé à fond dans l’épistémologie et la logique et surtout, passionné par les neurosciences ; vous pensez que l'audace stylistique et l'usage des métaphores chez certains philosophes “contemporains” ne servent qu'à masquer leur incapacité à "argumenter" et, bien évidemment, vous ne lisez QUE des publications anglophones. Inutile de préciser que, selon vous mais c'est prouvé dans “Le Livre noir…”, Freud est un menteur et Lacan l'incompréhensible un ...charlatan. Vous présenter de tout autre manière devant vos amis paraîtrait aussi inconvenant et aussi incongru que, pour un jeune lycéen français du début du XXIé siècle, avouer publiquement être de gauche ! Misère.
dm
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December 9, 2024 4:23 AM
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Le coût du savoir

"Le savoir vaut juste autant qu’il coûte, beau-coût, de ce qu’il faille y mettre de sa peau, de ce qu’il soit difficile, difficile de quoi ? — moins de l’acquérir que d’en jouir." (J. Lacan, Encore, p. 89). 
 
La preuve que le savoir est concerné par la jouissance, c’est qu’il n’y a pas de savoir absolu, et que d’ailleurs ce savoir est inconscient : il n’y a pas de savoir sur le savoir. Du moins le vrai savoir, celui qui touche à la jouissance et donc à la vérité de l’inconscient, reste-t-il insu ; ajoutons encore qu’il n’y a pas de savoir sur ce non-savoir, comme dans la prise de conscience socratique. Certes on sait bien que l’on sait “quelque part”, et l’on sait qu’on en jouit, mais l’on ne peut rien en dire pour autant : du moins est-ce ainsi que Lacan repère et déduit littéralement l’“autre jouissance” de la femme.
 
Si la parole est ici impuissante, il n’en va pas de même de la lettre qui véhicule bien quelque chose de la jouissance, d’abord de ce que celle-ci se démontre de la logique mathématique elle-même, et ensuite se montre, s’exhibe dans la “lalangue” du sujet. Quoi qu’il en soit, ces deux formes de savoir se supportent du signifiant comme tel, ce qui veut dire que son lieu est là où le signifiant se pose, en l’Autre. C’est l’Autre qui sait, et il y a toujours du savoir, en l’Autre, à prendre, à apprendre. Lacan ne se prive pas, comme d’habitude, de jouer sur les mots : “Le sujet résulte de ce qu’il doive être appris, ce savoir, et même mis à prix, c’est-à-dire que c’est son coût qui l’évalue, non pas comme d’échange, mais comme d’usage” (ibid.). Il n’est pas facile de jouir du savoir, mais s’y exercer est la seule voie pour son acquisition et son renouvellement. “Car la fondation d’un savoir est que la jouissance de son exercice est la même que celle de son acquisition” (ibid.). C’est pourquoi il est bien possible que les ordinateurs pensent. Mais qu’ils sachent — autant dire qu’ils jouissent — c’est douteux.
 
Aucun confusionnisme dans la position de Lacan, aucun immanentisme d’un savoir se sachant. Ce savoir ne tient que de la lettre, en commençant par le trait unaire qui, dans sa répétition, est l’origine et plus exactement “le moyen de la jouissance”. Cela suggère que le savoir n’est pas une donnée, même si disponible en l’Autre, mais plutôt qu’il relève d’un “travail”. Non que le signifiant en travaillant, ou pire, que le travail en soi puisse produire un quelconque savoir ; le signifiant, le trait unaire par exemple, est d’emblée au niveau du savoir : qu’on le situe de même au niveau de la jouissance ne signifie rien d’autre que le savoir travaillant produit une perte, à la fois jouissance et perte de jouissance, représentées par ce que Lacan appelle “objet a” (sur le versant de la perte et du désir) ou “plus-de-jouir” (sur le versant du reste et de la jouissance). C’est pourquoi encore on ne doit pas imaginer le signifiant ou le savoir comme désincarnés : il s’agit au contraire de la fondation d’un corps, un corps de jouissance autant que de fantasme, habité en creux par l’objet ‘a’ et habillé par l’image spéculaire i(a).
 
“L’affinité de la marque avec la jouissance du corps même” (L’Envers de la psychanalyse, p. 55) n’apparaît jamais mieux que dans la perversion, nommément la pratique érotique de la flagellation. Mais la jouissance masochiste elle-même s’institue d’une marque, d’un écart nécessairement faible, à la mesure du trait qui seul à se répéter fait couler la jouissance, provoque cette perte (que Lacan thématise comme effet d’entropie) et la compensation nécessaire, le plus-de-jouir à récupérer. Et ce qui fait que l’inconscient n’est pas un savoir comme les autres, un de ces savoirs se sachant et contents de l’“être” (à tous les sens de l’expression), c’est qu’il résulte de la fonction du plus-de-jouir comme tel. Et donc Lacan de poser sa définition : “Ce savoir est moyen de jouissance” (ibid. p. 54).
 
La thèse contraire, imputable au pervers, serait de prétendre qu’il y a un savoir “de” (ou “sur”) la jouissance. Mais bien sûr cette volonté de jouissance et ce savoir-jouir ne sont que fantasmes. Comme si tenter d'en savoir toujours plus du possible corporel pouvait conjurer l’impossible du rapport sexuel… Le pervers se veut maître ès-jouissance, prétend savoir ce qu’il en est de la “chose”, ce qui représente purement et simplement le déni “de ce que le sujet soit conséquence du savoir” (Lacan Ecrits, p. 787). Le sujet, conséquence du savoir, le savoir, moyen de la jouissance, et la jouissance, conséquence d’un fantasme propre à la “faire-savoir” et en aucun cas réductible à un savoir-faire (le savoir jouir-pervers). Bref si la jouissance est en corrélation avec le savoir, cela signifie que le savoir est inconscient (S1 ne sait pas ce qu’il est pour S2) et que le sujet est condamné à manquer la jouissance (à désirer toujours l’objet manquant). Lacan dit que le savoir est un fantasme fait pour la jouissance comme il dit, par ailleurs, que le discours est du semblant fait pour pallier le manque de jouissance...
 
dm
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December 7, 2024 6:43 AM
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Le transvestisme et les femmes

Tout comme les transsexuels, les "vrais" travestis sont des hommes. Mais à la différence des premiers, ceux-ci ne rejettent pas leur identité sexuelle masculine puisqu'ils s'installent plutôt dans la bissexualité, et jouissent de cette division caractéristique. C'est cette distinction entre transsexualisme et transvestisme qui compte, beaucoup plus que la répartition secondaire faite habituellement entre 1° les travestis hétérosexuels, qui s'habillent en femme exclusivement dans le cadre de l'acte sexuel et sa préparation, et qui s'apparentent aux fétichistes ; 2° les travestis exhibitionnistes qui jouent sur le registre de l'extravagance et du spectacle, et atteignent leur jouissance dans l'acte du dévoilement ; 3° les travestis homosexuels, souvent prostitués (et parfois transformés pour les besoins de cette activité), qui exacerbent et parodient la dimension séductrice d'une féminité stéréotypée. Donc, contrairement au transsexuel, le travesti n'est pas directement identifié à la mère, mais à son phallus imaginaire ; récusant l'attribution phallique du père, il se fait lui-même phallus au moyen du vêtement, et porte celui-ci "comme" une femme, c'est-à-dire comme il s'imagine qu'une femme doit le porter. En tant qu'homme lui-même, il ne fait qu'hyper-représenter la représentation masculine du féminin et sa fantasmatique "sexy". Le travesti approche le féminin exclusivement par le biais de la séduction, mais surtout par la séduction des signes de la féminité eux-mêmes (que cela soit la parure ou les "formes"), puisque généralement la manœuvre ne vise pas à séduire l'autre (homo ou hétéro) mais soi-même dans le miroir… L'assortiment d'une séduction fascinée et généralisée avec la parodie excentrique du féminin constitue la manière d'être la plus courante du travesti.

 

Au plan inconscient, pour parler en langage freudien (car il devient difficile de formuler les choses de cette manière après Lacan), on évoquera une défense devant l'angoisse de castration et un déni de l'absence du pénis maternel. Le vêtement féminin vient métaphoriser ce déni dans la mesure où il voile/dévoile le sujet comme porteur dudit pénis, malgré une apparence de femme ("je sais bien, mais quand même"). Contrairement au fétichiste, il ne cherche pas à cacher l'absence de pénis maternel en arborant un objet écran, mais à dissimuler son propre pénis derrière une mascarade vestimentaire et même corporelle qui doit assurer au maximum l'apparence du féminin. Paradoxe : si logiquement le travesti vise à conformer sa réalité avec l'imaginaire d'une féminité non castrée, c'est toute l'esthétique féminine qui se trouve invoquée et utilisée à seule fin de contester et de déplacer ("nier" me paraît décidément un terme trop fort) le réel de la différence sexuelle, justement vers un imaginaire "trans" d'un "second type", littéralement d'un "autre genre". C'est peut-être ce que n'a pas suffisamment anticipé une certaine psychanalyse freudienne qui véhicule encore une conception famillariste et normative de la sexualité et donc de la subjectivation. Laisser entendre que le transvestisme relèverait d'une forme de pathologie ou de perversion (au sens moral du terme) est évidemment ridicule, en totale contradiction avec la clinique psychanalytique elle-même qui ne pose pas de "diagnostics" médicaux ou psychiatriques, et qui encore moins ne juge ou ne condamne ...s'agissant du sujet de l'inconscient et de sa jouissance. D'une façon générale il est difficile d'utiliser un certain nombre de concepts freudiens originaux sans les réactualiser, c'est-à-dire en négligeant la propre histoire intellectuelle de Freud ou l'apport décisif d'auteurs comme Lacan, et surtout sans tenir compte du mimétisme social propre à un contexte historique. C'est ainsi que les symptômes hystériques changent selon les époques et les sociétés (les anorexies remplaçant les paralysies, etc.), de même qu'on n'est pas "gay" au 21è siècle comme on est "pédéraste" à Athènes ou "inverti" au 19è siècle, il en va de même des formes du transvestisme qui ont évolué et se sont disséminées au fur et à mesure de leur progressive (et relative) libéralisation, sous l'influence de la culture pop principalement (certaines "stars" ayant utilisé systématiquement l'ambiguïté sexuelle, l'exhibitionnisme ou simplement l'outrance du déguisement, le plus souvent sur un mode ludique et provocateur).

 

Il n'en demeure pas moins qu'une posture spécifiquement féminine existe, sans qu'il faille d'ailleurs l'attribuer exclusivement aux femmes, posture qui n'a a priori pas grand chose à voir avec le travestissement de nature plus ou moins fétichiste. Une femme ne se re-marque-t-elle pas en ceci qu'elle tente de parer, littéralement, fût-ce par la parure, aux représentations exclusivement phalliques du féminin ? Toute femme qui n'est "pas-toute" (comme le dit Lacan) dans le féminin (c'est-à-dire dans le maternel) est nécessairement parée et même dans ce sens particulier travestie - ce qui peut aller paradoxalement jusqu'à promouvoir certaines formes de virilité -, jouant cette féminité en question dans le voilement/dévoilement d'attributs imaginaires. C'est ainsi que l'on voudrait dégager la notion d'un transvestisme universel, dont les travestis se font sans doute les hérauts (tel Don Juan à l'égard de la jouissance des femmes), mais pas forcément les meilleurs représentants !

dm

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December 5, 2024 9:09 AM
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Le pervers en analyse

L'inquiétude chronique des Etats et des opinions publiques face à la progression supposée des crimes et des délits sexuels s'accompagne de doutes et d'interrogations elles-mêmes récurrentes sur une éventuelle complicité du Pouvoir avec le Mal... On sait que le ressort de la perversion tient au défi que ces sujets lancent à l'ordre du maître, qu'il soit moral ou institutionnel, un défi qui se transforme en jouissance lorsque la publicité faite autour de leurs actes suscite l'angoisse de la population. La psychanalyse doit relever ce défi si elle ne veut pas devenir complice d'une obsession actuelle pour la transparence, qui vaudrait pour confession voire comme rédemption pour les criminels sexuels. Dans ce chorus, la psychanalyse a pour vocation d'articuler clairement éthique et clinique, s'il est vrai qu'elle inverse le discours du maître. 
 
Fort de son identification à l'objet pulsionnel, qui caractérise sa structure subjective dans le fantasme, le pervers se présente comme un maître autodidacte du désir et de la jouissance ignorant sa propre aliénation à une volonté absolue, dont il n'est que l'instrument et l'assistant zélé. L'Autre prend chez lui signification et consistance d'être un sujet-supposé-jouir - auquel il s'identifie imaginairement - absolument distinct du sujet-supposé-savoir qui, dans la névrose, soutient la possibilité du transfert analytique. Le transfert de la fonction de l'objet petit 'a' à l'Autre n'est pas comparable avec la restitution imaginaire de ce même objet à l'Autre, afin d'assurer sa jouissance. Dans le second cas, le sujet pervers ne suppose aucunement le savoir inconscient à l'Autre, incarné par l'analyste, dont il usurpe plutôt la place et qu'il tente de rallier à sa cause. Malgré tout une forme de supposition existe et l'on peut supposer, si l'on ose dire, qu'elle est suffisamment dialectisable pour que le désir de l'analyste se fasse entendre d'une manière ou d'une autre dans le cours des entretiens. C'est le cas à partir du moment où certains sujets, ceux qui précisément se présentent (de leur propre chef) chez un psychanalyste, éprouvent dans leur vécu une forme de gêne, sinon de doute, d'inconfort ou d'insatisfaction dans leur mode de jouissance. Il arrive que le fantasme ne suffise pas à combler le manque dans l'Autre. Contrairement à l'irresponsabilité notoire de certains "experts" qui sévissent auprès des tribunaux, il ne s'agit aucunement d'ignorer ou à l’inverse de prétendre modifier la structure, mais au contraire de responsabiliser le sujet en identifiant fermement cette structure avec son mode de jouissance propre, dans le sens d'une autorisation subjective et d'une limitation de cette jouissance et non plus d'une aliénation ne pouvant conduire qu'à la transgression. Pour parler plus "techniquement", rappelons que l'objectif d'une cure est de rendre vivable un symptôme (voire le "tourner à son avantage" comme aurait dit Nietzsche) via la traversée du fantasme qui le soutient. Or si le pervers est un sujet, comme le rappelle Lacan, qui interroge à sa manière le désir de l'Autre, ne serait-ce qu'en le simplifiant en volonté de jouissance, la traversée du fantasme est effective, ou peut paraître imminente, chez certains pervers qui en fournissent ainsi l'épure (comme le divin marquis à travers son œuvre). Cela permet en même temps à l'individu de trouver une limite, un point d'arrêt à ses pratiques perverses dans l'existence. 
 
Pour qu'un transfert ait lieu dans la cure, il est important que l'analyste ne tombe pas dans le piège que lui tend, bien involontairement, le sujet pervers, et sans s'y opposer non plus. Il ne doit pas faire couple avec lui, en évitant de se laisser diviser (en position de $), et en ne laissant pas l'efficience du 'a' au seul pervers. Car de cette place, le sujet tentera de fouiller la jouissance de l'analyste et d'en démonter les mécanismes, afin d'y trouver confirmation de son fantasme : l'Autre jouit, grâce à moi. En supposant possible une traversée, au moins partielle, de ce fantasme, on peut conduire le pervers à s'interroger sur la réalité d'une telle jouissance et à deviner ce qu'il ne sait pas. Car il ne sait pas - sauf dans son fantasme inconscient - qu'il n'est, en tant que sujet, que l'instrument de la jouissance de l'Autre ; il ne sait même pas qu'il cherche à provoquer cette jouissance, lorsqu'il s'acharne (dans le cas du sadique) à causer l'angoisse de l'Autre, ou à l'inverse qu'il recherche l'angoisse de l'Autre (en tant que masochiste) alors qu'il s'offre à sa jouissance ; enfin il ne sait pas le caractère irréel, et passablement ridicule, de cette solution fantasmatique à l'énigme de la jouissance de l'Autre.
On pourrait alors se demander si la solution ne serait pas de névrotiser le pervers, pour le conduire précisément à la question du désir. Or il n'en est rien, car analyser les traits névrotiques éventuellement suscités dans le courant de la cure ne constitue pas une finalité suffisante. Dans le cas du pervers, il ne s'agit pas de parvenir à la destitution d'un sujet supposé savoir, qui n'existe pas, mais d'un sujet supposé jouir. Cela dit, l'abandon d'un ancrage subjectif en 'a', dans la cure, peut très bien être précédé voire causé par des irruptions phobiques ou symptômales, ne constituant qu'une série d'étapes nécessaires. Ces manifestations sont indicatives du point où, chez le sujet, le désir se noue malgré tout à la Loi. On ne peut pas déserter comme cela, abandonner une position perverse. Il faut simplement que la jouissance perverse soit amenée au point où elle est compatible avec la coupure de la Loi, la loi du désir pour commencer. C'est-à-dire qu'au lieu de cette jouissance supposée d'un tout imaginaire, cette volonté de jouissance illimitée, cette compulsion infernale à la répétition, qu'elle devienne une jouissance de la limite, de la coupure de la Loi. Afin que soit restitué à l'Autre, non plus l'unique objet fétichisé, ce que l'on peut appeler un insigne dans son rapport avec le S1, mais un nouveau trait brisant cette conjonction a/S1 d'où peut émerger un savoir inédit comme une nouvelle jouissance. La perversion analysée, transférée "en" analyse, substitue au savoir supposé de la jouissance une jouissance au savoir partagé avec l'analyste.
dm
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January 8, 5:29 AM
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Entre désir innommable et jouissance indicible : le calvaire de l’hystérique

Par-delà les paroles et les silences, ou plutôt à travers eux, c’est de la jouissance qui s’échange et se redistribue avant tout dans la cure. Ce à quoi le névrosé est confronté dans ce réel n’est autre que son fantasme de jouissance absolue, projeté sur un analyste qui lui répond d’abord par la “pureté” de son désir puis par une expérience de la déréliction. La structure hystérique, davantage encore que l’obsessionnelle, illustre l’horreur du sujet pour une jouissance — la sienne ou celle de l’Autre — qui signifierait la perte du désir ; mais ce désir qui est demandé par l’hystérique, au point d’être confondu avec la demande, est lui-même refoulé ou plutôt identique au refoulement, de sorte que par ses refus l’hystérique se garde en réalité de la castration beaucoup plus qu’elle ne protège son désir. Quand on dit qu’elle hait la jouissance de l’Autre, ce n’est pas faute de la provoquer voire de se mettre à son service : mais ce qui arrive au bout du compte est toujours la même parodie, la même déception face au manque et à l’insuffisance de l’Autre, ou pour parler concrètement les manquements et les marques de suffisance de ces “petits” autres que sont ses partenaires. Contrairement au pervers, ce n’est pas la jouissance (de la mère) qui est posée au départ chez l’hystérique, mais plutôt le manque (du père). C’est pourquoi ses interrogations portent sur ce manque — qu’elle ne peut manquer de voir, car il n’y a aucun déni comme dans la perversion — et les moyens de le combler. Elle ne peut ni supporter le manque dans l’Autre ni tolérer la suffisance phallique commune qui ne répond pas à l’amour porté à ce père ; sa marge de manœuvre est alors étroite, il ne lui reste plus qu’à servir elle-même de bouchon, devenir le symptôme vivant de ce père et c’est d’ailleurs précisément de cela qu’elle jouit — du symptôme. D’où le dévouement sans fin de l’hystérique à la cause de l’Autre, et le sacrifice de son désir pour Son désir — qui est nié par là-même dans son principe. Elle acceptera momentanément les menues perversions qu’implique son statut d’objet de jouissance, statut contre lequel elle s’insurge pourtant bien vite dans la réalité, car c’est le désir de l’Autre qu’elle veut voir et non sa jouissance. Mais au niveau de la structure du fantasme, c’est cette jouissance seule qui lui renvoie une image d’elle-même non castrée. Finalement elle rejette le phallus comme inadéquat, tout en étant dans sa position le phallus, "toute" entière consacrée à la figure du Père idéal ! Engagée dans sa dialectique du tout-ou-rien, en général elle n’y “croit” pas bien longtemps ; et elle se tourne alors vers l’autre femme, comme Dora vers Madame K., et l’interroge sur sa jouissance.
 
Mais le trait majeur reste quand même ce mélange de complaisance et d’impatience qui place son désir sous le signe d’une insatisfaction radicale - et surtout radicalement ambiguë du fait même de pouvoir jouir de ne pas jouir. Désir innommable et jouissance indicible se le disputent en elle, afin qu’elle ne soit pas reconnue et nommée comme “une” femme, ce qui serait admettre sa castration et, dans sa logique, une jouissance de l’Autre à trop bon compte. Aussi se cantonne-t-elle dans la jouissance indicible du symptôme, du moins tant qu’elle ne dénoue pas les identifications et ne dévoie pas le plus-de-jouir qui s’y attache vers la personne de l’analyste, comme c’est le but dans une analyse. Encore le déroulement de celle-ci peut-il voir la jouissance du symptôme se doubler ou être remplacée par une jouissance du transfert lui-même qui fournit bien, si l’on s’y attarde, le cadre d’une demande indéfinie confondue avec le désir voire l’occasion d’une plainte savamment entretenue. Entre la jouissance du transfert d'une part, comme dans toutes les occasions de l’existence où il est possible de parler pour ne rien dire et surtout pour ne pas désirer, et la jouissance de la conversion symptomale d’autre part : là se situe l’écartèlement du désir et de la jouissance pour l’hystérique. Mais s’il y a quelque plaisir à parler, et si le plaisir et la jouissance s’opposent — jamais autant que dans la structure hystérique (tandis qu’ils se rejoignent peut-être dans la perversion) —, c’est que la vraie jouissance, celle qui est invivable et qui fait mal, bien qu’on y soit attaché plus que tout parce que sans doute on y voit en condensé toute sa “vie”, cette jouissance reste celle du symptôme. 
 
Rappelons que le symptôme se définit comme l’effet du signifiant sur le corps, justement lorsque le corps n’est pas vécu (joui) comme signifiant : il le devient alors malgré soi. Et le symptôme représente cette séparation, d’une part entre le signifiant (telle marque) et le corps, d’autre part entre la jouissance et le corps (qui a mal). Rappelons également que la jouissance se définit, en psychanalyse, comme jouissance du signifiant ou en tout cas du corps significantisé. La première séparation mentionnée est normale puisqu’elle définit en propre la jouissance phallique, qui n’est que césure. En revanche la seconde, tout en étant également phallique, est en outre hystérique ou “symptomale” car elle étend et généralise la césure, de sorte que la jouissance devient jouissance d’un signifiant abstrait (le Phallus lui-même, l’élément symbolique) pendant que le corps, de son côté, se délite et se découpe, se désensibilise et s’offre volontiers en pâture au bistouri — il n’est plus que déchet, c’est ainsi qu’elle le laisse à la “discrétion” de l’Autre, métaphorisé si l’on veut par le bistouri, tout en lui refusant sa jouissance. D’où le côté à la fois “cassé” et “cassant” de l’hystérique, tant au physique qu’au moral, mais c’est d'une image de la castration qu’il s’agit.
 
Que peut attendre l’hystérique d’une analyse menée à terme ? Essentiellement que la jouissance du symptôme se déplace sur la personne de l’analyste, que le corps de l’analyste devienne comme le corps de ce symptôme, désormais extérieur à elle. Parallèlement l’analyse elle-même et l’intérêt qu’elle y prend deviennent son principal symptôme, son “péché mignon” : d’une certaine façon on peut dire qu’elle en jouit.
Didier Moulinier
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January 4, 9:22 AM
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L’envers de la politique (Psychanalyse, éthique et politique)

L’envers de la politique (Psychanalyse, éthique et politique) | Psychanalyse | Scoop.it
Politique du symptôme
 
"Que le symptôme institue l'ordre dont s'avère notre politique, implique d'autre part que tout ce qui s'articule de cet ordre soit passible d'interprétation. C'est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique" écrivait Lacan dans Lituraterre. Il parlait bien sûr de la politique en général, ou bien du politique, dont on peut dire que le symptôme comme tel constitue la raison. La psychanalyse admet une distinction entre le et la politique au sens où la politique se coltine la réalité sociale ordinaire tandis que le politique aborde littéralement (c'est-à-dire littoralement) au réel du symptôme.
En psychanalyse on part donc du sujet, mais aussi du fait que le sujet est toujours social, voire toujours pris dans une institution et ne naît que du collectif. Vérité essentielle qu'il faut mettre au compte de Lacan dès l'époque de la Thèse, mais celui-ci rappela maintes fois la nécessaire introduction d'un tiers pour passer du groupe - où les relations duelles prédominent - à l'"état social", un tiers ou un plus-un symbolique qui permette à la métaphore du Nom-du-Père d'opérer à partir d'une absence réelle. De ce fait on comprend que le plus-un puisse être figuré également par l'objet 'a' cause du désir, celui qui par son vide radical fait office de cause réelle et qui introduit le sujet dans la société en branchant son désir sur le désir de l'autre. C'est bien ce qui est à lire sous cette métaphore du désir qu'est le symptôme.
 
Logique de la décision
 
Le sujet apparaît sous le mode du politique dans la décision qui, en tant que coupure, est autant acte de dissolution que de fondation. Partant du sujet et du symptôme, l'analyste est amené à distinguer institution et fondation. L'institution existe de fait, se perpétue et se ramifie, mais instituer serait proprement un acte divin ; depuis Machiavel nous savons que la politique, l'Etat et sa raison ont renoncé à tout instituant divin ; seul un acte de fondation, subjectif par essence, peut être dit proprement "politique" et donner naissance à l'Etat. Mais tout acte de fondation demande une décision.
Lacan a proposé en un texte célèbre ("Le temps logique", 1945-1966) une sorte de "logique de la décision" ou "logique du choix" qui repose en fait sur le temps et sur une conception logique du temps. L'apologue des Trois Prisonniers en constitue donc le paradigme fictif. Les trois temps abstraits par Lacan dans la situation décrite, où il y va de la libération et de la survie de trois prisonniers, sont : le temps de voir, le temps de comprendre et le temps de la décision. Le premier est une motion de portée universelle, une constatation objective qui n'a pas l'acte ou la subjectivation pour conséquence. Ce n'est pas le cas du second qui est proprement le temps de la subjectivation, dans le déploiement des raisons, des suppositions et des doutes. Après cette motion suspendue vient le temps de la décision, qui se prend dans l'urgence et amorce un procès de désubjectivation : l'important est la sorte de recollectivisation de la logique qui s'y opère, puisque le temps y redevient le temps de l'autre (il est urgent de se décider parce que l'autre se fait pressant ou est justement pressenti comme tel). Une décision représente toujours une coupure dans l'imaginaire, notamment une rupture avec l'idée d'un savoir absolu qui se saurait ; l'acte décisif suppose au contraire un manque dans le savoir, un défaut d'information sur l'autre, le monde, la conjoncture. La décision ne peut donc pas correspondre à une position de maîtrise, comme son emploi philosophique l'a longtemps laissé croire ; elle ne consiste pas à construire à nouveau un monde, instituer une souveraineté, une cohérence quelconque, une hiérarchie, mais plutôt à se sortir de situations intenables auxquelles tous les sujets peuvent être également confrontés.
 
L'Ecole entre fondation et dissolution
 
Si la politique consiste à penser, organiser mais aussi changer la vie des hommes, il est évident que toute décision a des effets multiples, collectifs, et modifie effectivement le lien social. Ces conséquences sont de valeur plutôt positive ou plutôt négative selon le contexte et le type de lien, bien qu'essentiellement toute décision inclut en elle la scission fondation/dissolution, voire consiste en cette scission. Mais alors que dans la cure "personnelle" la décision prend le sens d'un avènement pour le sujet (mais aussi d'une "traversée" du fantasme et de la perte de l'objet), au niveau du lien analytique déjà social que constitue l'Ecole de psychanalyse (celle de Lacan par exemple), la décision se fait plus visiblement dissolution : fonder une Ecole, comme Lacan, c'est s'exclure ou être "remercié" d'une autre, décider de quitter le cartel n'est pas de même conséquence que décider d'en faire partie (car cela revient à le dissoudre), quant à la Passe elle figure l'auto-dissolution permanente de l'Ecole. Enfin la dimension politique dans son intégralité, suivant en cela le modèle du sujet, peut-être dite auto-dissolutive. En effet on a déjà dit que la décision, en politique analytique, était vraiment conclusive : elle n'ouvre pas un projet ou un idéal, mais elle intervient plutôt à la fin (car elle-même n'a pas de fin) quand toute la bataille (deuxième temps, celui de la compréhension difficile et des luttes de pouvoir) est déjà terminée.
Terminée ? On sait comment les choses se terminent en psychanalyse : savoir y faire avec son symptôme. De ce point de vue il en va de l'Ecole comme de la simple cure : la fonction (politique) de l'Ecole est d'offrir un lieu afin qu'un groupe (de psychanalystes en l'occurrence) apprenne à "y faire avec son symptôme". On peut considérer encore que l'institution étant le symptôme universel de la politique, la psychanalyse a à faire avec le symptôme propre de l'institution qu'est la massification. Aujourd'hui en effet le symptôme social ne s'incarne plus dans le prolétariat mais dans le processus de massification, où l'individu semble avoir définitivement chassé le sujet. La vraie égalité, et donc la vraie démocratie doit se référer au contraire à l'équivalence des sujets et d'abord des symptômes : à chacun son symptôme, c'est le meilleur critère d'égalité. S'il faut un tiers pour passer au social - parce que des sujets n'y suffiraient pas - il doit s'incarner le moins possible en une instance suprême qui passerait pour Le Sujet mais plutôt figurer ou représenter la place même de l'objet 'a'. Pour des psychanalystes ce lieu n'est rien d'autre que l'Ecole, donc, en tant qu'on la distingue de l’institution.
 
L'Institution perverse
 
Comme le discours du maître est l'"envers", selon Lacan, du discours de l'analyste, l'institution est l'envers de la décision fondatrice et dissolutive. Pour comprendre le propre, c'est-à-dire le "vice" de toute institution, on peut s'inspirer du modèle sadien. Celui-ci incarne au mieux ce qu'on peut appeler la perversion ordinaire du groupe, justement éclatante sous sa forme ou sa pseudo légitimité institutionnelle. Le modèle est celui du groupe de trois indéfiniment extensible. Partons de la conception sadienne du couple : il est clair que pour Sade un homme et une femme n'étant pas du tout faits pour s'entendre, le plus-un s'avère d'emblée nécessaire même pour assurer la jouissance la plus ordinaire. D'un côté donc, la loi de la castration symbolique semble respectée : c'est la fonction même du tiers ; mais d'un autre côté, l'aspect réel - et non symbolique - de ce tiers caractérise le système comme pervers. Dans toute institution se rencontrent les trois personnes réelles : un directeur, un élève ou un administré quelconque, un intermédiaire chargé d'exécuter les ordres (chef de service, contre-maître). Société trinitaire, fonctionnellement idéale, mais essentiellement fantasmatique et en réalité violente, incontrôlable. Ce qui est tout spécialement incontrôlable, c'est la prolifération des plus-un, la numération elle-même générée par le système qui ne distingue pas entre l'Un symbolique (l'unique, le père absent) et l'Un réel (l'unaire, le petit maître). Cela explique que dans l'institution, où tout semble réglementé, règne la compétition des maîtres et la massification qui rend futile l'argument même de la domination de classe. Le principe est la prolifération tentaculaire de l'institution elle-même, l'extension et l'accumulation capitaliste indéfinie, etc. On peut résumer en disant que la fonction propre de l'institution est de "faire-Un", d'instaurer l'unité sur tous les plans, celui du sujet comme celui de son autre, en ne négligeant pas la fonction d'auto-conservation du système qui ne court pas tout de suite à la catastrophe mais s'arrange généralement pour durer (de même que la victime sadienne ne doit pas mourir...). A la limite le désir lui-même pourrait s'y aménager puisqu'il est présent dans le fantasme, même réalisé de la sorte. Seule la politique analytique, comme mise en acte du discours de l'analyste, s'arme de l'amour pour maintenir la cause du désir à la place du tiers et ne pas lui substituer un être réel.
 
Politique du discours de l'analyste
 
Que faut-il entendre par "mise en acte du discours de l'analyste" ? D'abord, de quel acte s'agit-il ? Faut-il le voir comme une "application" des principes théoriques de la psychanalyse, selon une logique confondant l'acte et le "passage" à l'acte ? On sait que cela définit justement l'attitude du pervers, qui "applique" son fantasme à la réalité. On ne peut pas vraiment "déduire" "une" politique de la psychanalyse. Il faut admettre que pareille politique n'existe que dans et par le discours de l'analyste, en tant que le discours n'est pas autre chose qu'un lien social effectif. Bien que l'institution affiche son caractère incontournable pour un sujet qui n'échappe pas à toute forme d'individuation, la dimension politique qui nous occupe ressortit proprement au discours. Pour la psychanalyse, la raison du lien social tient dans le désir défini comme désir de l'Autre. Le discours de l'analyste en exprime les conséquences, de ce qu'il n'existe aucune possibilité de combler ce désir mais seulement une jouissance partielle qui n'est jamais possession réelle de l'Autre. Le schéma de ce discours montre comment l'analyste en position de petit 'a' reçoit la demande de l'analysant en position de $, amené au fil de la cure à produire le signifiant S1 ; or celui-ci, conformément à la définition canonique du signifiant, n'existe qu'en fonction du S2 du savoir inconscient, supposé à l'analyste. Mais ce savoir n'appartient à personne, pas plus qu'un signifiant maître ne peut représenter pleinement le sujet : voici un motif proprement analytique d'égalité entre les sujets, le manifeste "démocratique" de la psychanalyse !
 
L'Ethique de la psychanalyse et la politique
 
Il est vrai que la production et la remise en circulation du S1, au terme de l'analyse (et non au début, bien sûr), bouleverse l'existence non seulement du sujet mais aussi du groupe auquel il appartient. Le mieux est d'affecter les conséquences de la cure à la langue parlée elle-même : si l'éthique de la psychanalyse vise au "bien-dire", sans doute peut-on imaginer également une politique de la langue plus ou moins subversive et "bouleversante" propre à la psychanalyse. Il n'en demeure pas moins que la politique, ici, se fonde sur l'éthique et n'a aucune justification théorique par elle-même. L'éthique elle-même, on le sait, commande de "ne pas céder sur son désir" (d'où ensuite la parole désirante, amoureuse, "bonne"), et comme une simple conséquence la politique consiste à réguler la jouissance en fonction de la nécessité du désir ou de la castration symbolique (ou encore de l'impossibilité de la jouissance totale, ce qui revient au même). Les politiques des quatre discours se définissent justement par le sort réservé par chacun de ces discours à la jouissance, c'est-à-dire rigoureusement à la dose de semblant dont l'objet petit 'a' est affecté ; seul le discours de l'analyste fait opération du leurre de l'objet (c'est la place même de l'analyste), mais c'est pour mieux le dénoncer comme omniprésent et scandaleusement entretenu dans les trois autres.
Cette politique revient à ménager la place de éthique, celle du désir comme on l'a dit et du non-rapport sexuel. Ce discours seul produit du signifiant premier avec un quantum de jouissance (le "plus-de-jouir" de Lacan), mais ne promet ni n'assure la jouissance de l'Autre : ici se pose le problème de la sublimation qui, soyons-en persuadés, relève encore de l'éthique. Référons-nous, comme le fait Lacan dans l'Ethique de la psychanalyse, à l'Antigone de Sophocle. A opposer les engagements de des deux héroïnes, il apparaît que Sygne se situe dans la politique cynique et réaliste tandis qu'Antignone est au cœur du politique, c'est-à-dire de l'éthique. Il ne s'agit pas d'un retrait du politique mais d'une "mise en demeure", une contestation de la réalité au nom du réel. Car le héros tragique pur, comme Antigone, "élève l'objet à la dignité de la Chose" comme le dit Lacan à propos de la sublimation ; c'est-à-dire que l'objet y est toujours signifiant du manque (la "dignité" de la Chose, c'est qu'elle n'existe pas) et non prétention à boucher ce manque. Le signifié dans la sublimation est la mort ou le désir de mort, et que ce désir soit dit et affirmé de temps en temps n'est pas sans conséquences politiques sur le monde des vivants. Il est clair que le sacrifice d'Antigone prend une signification politique de forcer la reconnaissance du pouvoir, et peut-être d'infléchir sa politique ; il n'est reste pas moins que l'acte d'Antigone reste strictement éthique.
Donc il n'y a pas de politique de la psychanalyste, et l'éthique reste première s'agissant du sujet, mais le discours de l'analyste est bien politique par ses effets. La psychanalyse (qui n'existe pas hors de ce discours) peut donc avoir des effets sur le socius et sur l'histoire, notamment en se posant comme l'envers du discours du maître et en dénonçant toute forme de maîtrise, et plus généralement la tendance des discours à se rigidifier ou à se fixer sur eux-mêmes. Elle génère également une production sociale spécifique, un travail intellectuel et des "écoles" adossées à des institutions qui imposent justement une relecture du symptôme commun, la massification, éventuellement le maintiennent en "état de surrection". Bref la psychanalyse "participe", critique, interprète (bien sûr), voire se mobilise, etc. Mais tout ceci reste de l'ordre du discours, concerne le lien social effectif et non l'essence du politique que nous pouvons assimiler, de son point de vue, à l'éthique. Car si la politique reste irrémédiablement affiliée au discours du maître, la psychanalyse ne saurait être que son envers.
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December 30, 2024 11:59 AM
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Que peut la psychanalyse pour les pratiques sociales ?

Que peut la psychanalyse pour les pratiques sociales ? | Psychanalyse | Scoop.it
On peut voir les sciences humaines se donner couramment des "airs" psychanalytiques dans la mesure où, bien souvent, elles utilisent la thèse d'un "inconscient structuré comme un langage" sans toujours reconnaître leur dette à l'égard de la doctrine analytique. Hypothèse : l'"analycité" serait la condition de possibilité des sciences humaines comme le langage est la condition de l'inconscient. Par-delà les prétentions objectivistes (plus ou moins légitimes, ce n'est pas notre problème) de la sociologie et des sciences sociales en général, par-delà l'écriture ambiguë de l'Histoire "entre science et fiction", il reste à établir la dette contractée par les "pratiques sociales" à l'endroit de la psychanalyse, d'autant qu'elles sont directement confrontées à la réalité éthique et politique du sujet. Ces pratiques d'aide sociale, d'éducation, de formation, etc., se fondent toutes sur une forme de transfert mais ne peuvent ni en produire la théorie, ni évidemment se contenter d'importer la technique inventée par Freud (l'association libre et son écoute flottante) dans le cadre de la pratique analytique. Comme la cure, elles font intervenir acte et structure (de langage) mais sans viser les mêmes finalités puisqu'elles ne s'adressent pas au "même" : l'une parle exclusivement au sujet en tant que tel, alors que les autres ont affaire à l'individu socialement aliéné, soit l'assujet. Il n'empêche qu'à ce jour la seule théorie cohérente du transfert provient de la psychanalyse, d'où la dette évoquée à son égard, d'où également l'obligation qui lui est faite de produire une théorisation acceptable des pratiques relevant, bon gré mal gré, de son inspiration. 
 
Dans son livre Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse ? (Point hors ligne, 1994) – que je citerai plusieurs fois tout au long de cet article - Jeanne Granon-Lafont affirme : "Du savoir psychanalytique, de la place de la psychanalyse dans le savoir, notre société a conclu à la création des professions qu'on appelle sociales". Il s'agit maintenant d'assumer cette filiation, en évitant que le psychanalyste ne se réfugie derrière une double identité, une double fonction d'analyste et de travailleur social (professeur, formateur, psychiatre...), ce "et" traduisant une aliénation réciproque et non l'influence légitime de la psychanalyse sur les pratiques. Certes, celles-ci ne l'entendent pas forcément de cette oreille, s'auréolant elles-mêmes du privilège de la… pratique, du contact, de "l'action sur le terrain", etc. ; mais elles n'en utilisent pas moins les concepts psychanalytiques pour rendre compte de ce travail et de cette présence. Pour lever l'ambiguïté de cette absence/présence de la psychanalyse dans le domaine social, il faut rappeler une distinction essentielle entre discours et savoir. On a dit que le savoir analytique, n'étant pas ésotérique, pouvait être utilisé couramment par nombre de professions ; mais celles-ci ne le situent pas dans le discours qui dynamise et subjectivise ce savoir, elles le fixent plutôt en savoir "établi" et objectif (il ne s'agit pas ici du savoir inconscient, bien sûr). Quand ce savoir est revendiqué par les travailleurs sociaux tout en ignorant la relation transférentielle, soit l'inconscient, dont il se supporte, quand ce savoir cautionne une relation d'aide là où le discours devrait promouvoir un sujet, alors il ne faut pas s'étonner que la psychanalyse complice de ce détournement ne reste finalement méprisée, rejetée par ceux-là même qui la pillent. Bien sûr il n'est pas question de remettre en question ou de supprimer l'aide, nécessaire dans son ordre, mais les travailleurs sociaux doivent bien admettre que les "individus" qu'ils accompagnent ne sont rien sans les "sujets" pris dans le discours, et que l'aide apportée est un effet du discours et non du savoir. L'aide est bien congruente avec la place et le mandat du travailleur social, mais le savoir professionnel de celui-ci, qu'il soit teinté ou non de psychanalyse, n'est pas l'outil de l'aide qui reste avant tout constitué par le transfert.
 
Avec la topologie le savoir analytique se veut une logique du réel, fixant au centre de ses élaborations non pas un idéal mais un trou. Ce savoir, qui n'est pas métalinguistique, tient compte du discours et de la division subjective : autant dire qu'il n'est pas "scientifique". Mais il n'est pas non plus "empirique" ou intuitif, axé sur l'"irremplaçable" connaissance du terrain ou l'expérience de la "réalité" sociale, qui ferait tant défaut à l'analyste. Car qu'est-ce que la réalité ? On peut toujours dire, et on le doit, que le psychanalyste travaille et agit sur une "autre scène" : l'inconscient. Celui-ci est figuré généralement (cf. le schéma R de Lacan ) par une ligne allant de l'Autre symbolique (paternel) au Sujet qui, en tant que non encore castré, correspond au "Ça" (Es) freudien. Cette ligne traverse l'espace de la réalité bordé, à l'extrémité du symbolique, par la mère et la fonction d'idéal, et du côté de l'imaginaire par le Moi et l'image du corps. La cure emprunte donc cette diagonale que le travailleur social rencontre à son tour, quand il instaure une relation de transfert, mais dans les limites strictes de la réalité (soit la portion du milieu). Le mérite de la théorie analytique est de penser la structure, de préserver le quatre là où une philosophie pratique - où se reconnaîtraient œcuméniquement les analystes et les acteurs sociaux ! - consisterait à séparer seulement l'imaginaire et le symbolique au moyen d'un tracé qui irait du Moi à la mère, ligne de réalité qui finirait cependant par glisser et rejoindre la ligne de l'inconscient au prix d'une confusion - classique, pré-analytique - du Sujet et du Moi, de l'Autre paternel et l'Autre maternel. Cette confusion, le discours social c'est-à-dire administratif la commet et l'encourage, au nom des visées comptables et statistiques qui justifient l'existence même des services sociaux ainsi que leur autorité (compter les individus, évaluer les succès d'insertion, etc.). Que l'on ne se méprenne pas : le but du travail social est bien l'insertion dans la réalité dite "sociale", laquelle suppose une "construction" ou une reconstruction psychique de cette même réalité de la part des sujets. Pour cela il faut distinguer la réalité de l'inconscient, le travail social du travail analytique, et marquer la dette du premier à l'égard du second dès lors qu'aucune avancée n'est possible sans l'outil du transfert. L'un et l'autre peuvent œuvrer ensemble, mais rien n'est pire que le mélange des genres.
 
De toute façon l'aplanissement des différences, le pliage de la structure laisserait un reste, une cicatrice que Lacan a désignée comme le Phallus et qui représente la cause sexuelle - le travailleur social n'y a pas "accès" mais il ne peut pas ne pas la percevoir. Lacan a aussi proposé une autre écriture des relations entre inconscient et réalité, une monstration topologique sans aucune vertu démonstrative mais permettant de se repérer dans la pratique. Le nœud borroméen permet d'écrire les trois dimensions du réel, de l'imaginaire et du symbolique, en lui ajoutant une quatrième qui représente la réalité. Aucun nœud borroméen ne se ressemble, car il y va justement d'un nouage singulier où le sujet se re-père d'une réalité perçue plus ou moins comme objective, difficile ou parfois même manquante... Le travailleur social a la charge de cette réalité, ou plutôt il aide le sujet à la construire ; le psychanalyste vise au contraire le cœur du nouage, de la dialectique RSI où se situe l'objet 'a'. Il y a plusieurs façons de construire la réalité en la suturant à des facettes différentes de l'objet, selon qu'elles touchent au symbolique, au réel ou à l'imaginaire ; mais cette construction qui donne sa part à la relation d'aide, prend toujours le sens d'un évitement de l'objet tandis que l'interprétation analytique, au contraire, s'en rapproche toujours plus. L'assistante sociale ou maternelle concentrera peut-être ses efforts sur la consistance et l'assurance d'un réel plus fiable, redoublé en Réalité ; tandis que le moniteur artistique redoublera l'instance imaginaire. Quant à "l'éducateur, écrit encore J. Granon-Lafont, confronté sans arrêt à la nécessité de faire vivre ensemble des jeunes ou de leur apprendre à vivre avec d'autres, [il] situe son action comme un travail symbolique (IRS ou RIS). Il aura affaire avec la Loi. Cette question de l'autorité peut situer son intervention dans un doublement du symbolique, et il sera contraint de situer le nouage avec le symbole phallique et la sexuation de ces jeunes (qu'est-ce qui est permis en amour), où c'est la question d'un idéal projeté comme "visée symbolique" qui organisera conflit, issue et sortie du travail d'autonomie" .
 
Nous pouvons alors revenir à la question du transfert, dans la mesure où elle implique une redéfinition de la réalité purgée de ses prétentions à l'objectivité et surtout une pratique de cette réalité qui serve de méthode, voire d'éthique, au travail social. "Le transfert est ce socle, que l'on pourrait définir, dans la pratique sociale, comme la nécessité d'en passer par l'Autre : mettre au centre de la relation d'aide cette demande et la réponse du partenaire social, comme une organisation de l'aliénation à l'Autre, où se répètent les ratés de l'aliénation première, où se construit quelque chose comme la bonne distance aux paroles de l'autre, c'est-à-dire où se formule l'inadéquation fondamentale des mots aux objets, des réalisations aux projets, où se fait le deuil de l'idéal comme instance surmoïque, pour trouver parmi ses semblables les voies de la construction d'un avenir possible" (id.). Le point éthique tient en ce que la visée du transfert ne soit jamais le transfert lui-même, mais plutôt sa fin, la "sortie" vers ce qu'il est convenu d'appeler l'"autonomie". Cependant si pour l'analyste le transfert fait partie intégrante de l'interprétation, étant lui-même à lire et à analyser, il reste un moyen d'action pour le travailleur social, un soutien pour l'aide qu'il met en place à condition qu'il l'ordonne vers son terme ; on ne lui demande pas de déchoir, comme pour l'analyste, mais, le moment venu, de disparaître. Il y a encore une nette différence, voire une opposition dans la manière dont ces deux pratiques reçoivent la demande : la demande d'aide est orientée vers un objet (logement, salaire, soins, etc.) qui d'ailleurs n'estompe pas la demande comme telle, tandis que la demande adressée à l'analyste n'est rétribuée par aucun objet concret, si ce n'est cet objet 'a' paradoxal qui révèle la vérité du désir et apaise la demande. "Dans la pratique sociale, écrit J. Granon-Lafont, la castration prend la forme du deuil de l'Idéal", dans la mesure où l'objet reçu ne correspond pas à l'objet désiré mais doit laisser la place, par élaboration, à un Idéal symbolisé et souhaité, négocié avec l'autre. "Deuil de l'Idéal" ne signifie pas "perte de l'Idéal", mais mise à distance symbolique des objets, création de pro-jets et position d'un "sens de la vie". La ponctuation du transfert par le travailleur social fait ainsi évoluer la demande, tandis que la ponctuation de l'analyste vise directement le désir. La ponctuation du désir suppose que l'objet demeure en position centrale, inatteignable, entre les protagonistes ; il n'est pas objet de négociation ni a fortiori de marchandage. Mais pour conclure une analyse et sans doute aussi une relation d'aide, à quoi la ponctuation du transfert ne suffit pas, il faut tenir compte de la dimension de l'acte.
 
Dans la doctrine lacanienne, l'acte se confond généralement avec l'interprétation, pour peu qu'elle s'obtienne à partir d'une position subjective qui mette en jeu le désir de l'analyste. Mais peut-on parler d'"acte" à propos des pratiques sociales ? C'est-à-dire, négativement, quand sommes-nous gardés du pire à savoir de l'interprétation sauvage ? Selon J. Granon-Lafont, "n'est pas interprétation sauvage toute intervention qui laisse la place à la cure elle-même, à côté, en même temps ou plus tard. Dans l'étoffe du transfert, à côté de l'acte du psychanalyste, il y a un acte particulier à la pratique sociale qui coupe d'une autre manière dans la même étoffe du transfert. (...) En effet, si l'objet reste au centre de la pratique, comme on l'a dit à propos du transfert, l'acte se définirait comme le don d'une traduction de l'idéal pour que l'objet puisse lui être arraché. Il opérerait dans la révélation d'un travail entre les deux faces matérielles et signifiantes". A la question de l'acte se rattache celle de l'autorisation : par-delà tout mandat administratif et toute qualification professionnelle, qui n'impliquent pas la dimension de l'acte, on peut dire sans doute que l'acteur social "ne s'autorise que de lui-même" dans le choix et l'élaboration du mode d'interprétation. En découle le problème de la transmission et de la justification du travail auprès d'un autre ; bien souvent, à la quête anxieuse d'une garantie s'associe une demande de reconnaissance ambiguë, adressée à quelque grand Autre extérieur. Quand ce Garant est la psychanalyse, ou un psychanalyste sommé de fournir l'explication dernière, de donner le sens ultime du travail, on peut dire que la reconnaissance de la psychanalyse n'est jamais aussi faible voire aussi néfaste. La représentation de l'acte comme coupure sur une bande de Mœbius permet de fixer, avec beaucoup de précision, le moment de l'acte de chacun. Il faut rappeler qu'une parole est un acte quand elle fait coupure dans l'espace de la bande, en faisant exister un nouveau bord et donc en réorientant la surface. Pour le praticien social, l'acte est à situer précisément dans le dédoublement, la distanciation des bords conscient et inconscient de la bande (quand l'acte analytique, dans la cure, interroge plutôt l'intérieur du trou lui-même). De plus toute intervention, à ce niveau, serait elle-même double ; tout acte devrait être redoublé, c'est-à-dire relayé par la collectivité ou par un autre travailleur social. En revanche n'y a pas de "rapport" entre l'acte analytique et l'acte social, mais une extrême proximité, une contiguïté qui doit donner la possibilité d'un "passage". Cette possibilité est d'ordre éthique. De même que l'éthique, en général, se définit comme la limite et la fin du transfert (soit la reconnaissance d'une existence, du réel d'un sujet, inaliénable), l'éthique du travail social devrait s'appeler la "possibilité de la cure" (pas son obligation certes). Le travailleur social, accompagnant l'individu, s'arrête au seuil de l'inconscient, c'est-à-dire du sujet.
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December 28, 2024 11:33 AM
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Jouissance et sublimation

Jouissance et sublimation | Psychanalyse | Scoop.it
La théorie de la sublimation a toujours été très compliquée, très problématique en raison de son articulation délicate avec la théorie de la jouissance. On peut dire globalement, en suivant la plupart des auteurs, que la sublimation s’inscrit dans un procès de récupération de la jouissance une fois admis que celle-ci a été définitivement “perdue” dès l’origine. On passerait d’une jouissance en quelque sorte “native” et mythique à une jouissance “civilisée” par la castration, métamorphosée par le signifiant. Une des questions les plus classiques est alors de savoir si la sublimation dépasse le stade de la castration, si elle touche à la jouissance “supplémentaire” dont parle Lacan, et quelle est encore la place de la pulsion dans cette redistribution. Dans L'Ordre sexuel (Flammarion, 1995), Gérard Pommier présente d’emblée la sublimation comme l’une des formes prises par la jouissance supplémentaire, se situant exactement entre la jouissance “féminine” (dans son aspect directement sexuel) et la jouissance “mystique” (dont nous dirons quelques mots plus loin). Par ailleurs la jouissance sublimatoire entretient un rapport — justement “supplémentaire” — avec un aspect important de la jouissance phallique, à savoir le symptôme. “Si l’on considère maintenant la jouissance du symptôme, écrit G. Pommier, la sublimation n’est-il pas le destin échappant au refoulement qui lui correspondra ?" (p. 278). Par rapport à la jouissance maternelle qui situe le corps de l’enfant en position de phallus, celui-ci répondant à la demande par la médiation d’une pulsion partielle, la sublimation inverse les effets de cette pulsion tout en l’utilisant : elle transforme l’érotisation excessive du corps en la création d’une œuvre occupant la place du phallus.
 
Mais de quoi jouit-on : de l’acte créateur ou de l’objet lui-même ? Et de quel objet s’agit-il ? Il ne peut pas s’agir tout uniment de l’objet de la pulsion, puisque la sublimation a justement pour fonction de dépasser ce rapport à l’objet. Rappelons que Lacan spécifie par ailleurs la sublimation comme le fait d’“élever l’objet à la dignité de la Chose”. Il faut voir dans la Chose, ici représentée par l’œuvre, la capacité (éminemment jouissive) de l’artiste d’apposer son nom sur une réalisation qui ne doit plus rien à l’aliénation maternelle. L’œuvre est supplémentaire par rapport au symptôme en ceci qu’elle dépasse aussi la marque paternelle qui représente la face interdictrice de la jouissance du symptôme, elle est nomination et création au-delà cette fois de l’aliénation paternelle. “Lorsque l’artiste signe son œuvre, il s’invente un nom, même s’il appose son patronyme. Il se passe du nom légué par son père et signe avec ce qu’il y a eu de premier dans son existence au sentir, portant sur l’œuvre une griffe aussi forte que celle dont sa chair a pu être marquée" (Pommier p. 280). En d’autres termes, si elle dépasse le phallicisme du symptôme, la sublimation inverse plus radicalement encore l’aliénation causée par la demande maternelle. L’œuvre devient le symbole de la perfection phallique, là où ce rôle était tenu initialement par le sujet.
 
A travers l’acte créatif, l’artiste subit éminemment l’effet de la pulsion mais alors son but est orienté différemment, au-delà de la sexualité effective et au-delà de la formation des symptômes. Si la source et d’une certaine façon le contenu de l’art restent toujours érotiques, c’est parce nul ne peut prétendre en être l’origine ou le maître (sauf à verser dans l’illusion perverse) ; l’érotisme provient nécessairement de l’Autre. L’essentiel, dans l’art, est que la pulsion génère différemment, dans une différance ou une distance maintenue, la signification phallique, et ne se confond pas avec elle comme c’est le cas avec le simple objet partiel. Pommier écrit : “Ainsi s’établit une proportion entre pulsion et signification du phallus. N’est-ce pas d’elle que dépend l’émotion esthétique ?" (p. 280). Et “le sujet de la sublimation se définit de la sorte, non entre deux signifiants, mais dans la proportion du phallus et de la pulsion. Ce sujet est esthétiquement ému, parce qu’à chaque instant s’impose à lui — entre son et phrase, entre couleur et forme — cette sorte d’épreuve où se surimposent une perte et sa réparation, accomplie avec les instruments mêmes de la perte (puisque lorsque le son s’ajoute aux autres sons, leur ensemble forme une signification qui dissout la singularité du son" (p. 281). Ainsi la signification efface et déplace l’objet, mais celui-ci revient, se fait désirer et relance la signification : le sujet vacille et s’émeut dans cet entre-temps. L’infinité de l’émotion ou de la jouissance esthétique s’explique donc par l’écart que le sujet fait ek-sister (et où il ek-siste) entre ce qu’il est pour l’Autre, soit le phallus, et ce qui se présentifie dans la pulsion. Une émotion infinie de ce type n’en est pas moins corporelle — comme au fond toute jouissance —, cependant elle n’a plus rien de sexuel, pas même au sens de la jouissance sexuelle féminine puisque celle-ci nécessite, en tant qu’occasionnée par l’orgasme, la présence d’un désir tiers. La sublimation s’autogénère (exception faite bien sûr du grand Autre) et par là, en tant que désexualisée, elle s’identifie avec la jouissance féminine dite “supplémentaire”.
 
Mais la forme de sublimation la plus désexualisée, d’après G. Pommier, reste la jouissance mystique en tant qu’elle relève purement du signifiant et non plus de la pulsion. Le nom divin est le seul signifiant au-delà du symbolique, notamment du phallus, il équivaut au corps tout entier dont il représente la jouissance illimitée. Une mystique peut se dispenser d’attacher à un seul homme la signification du phallus ; il n’est même pas besoin, comme pour l’artiste, de se forger un nom. “La jouissance mystique, écrit Pommier, est au-delà du phallus, parce qu’elle s’appuie sur un signifiant qui se signifie lui-même" (p. 286), et cette signification continue et résonne “dans un corps auquel elle équivaut" (id.). Ceci étant dit, même à se signifier lui-même, un nom n’en reste pas moins symbolique et donc “significatif” ; et il n’y a pas d’autre signification que celle du phallus, quitte à équivaloir à la "signification" elle-même et à l’usage de tous les autres mots résonnant, jouissant dans le corps.
dm
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December 22, 2024 9:19 AM
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Sport et castration. La force de perdre

Sport et castration. La force de perdre | Psychanalyse | Scoop.it
La compétition n'est pas seulement une forme socialement organisée du sport, elle en est l'essence même : si ce n'est pas toujours pour vaincre l'adversaire, du moins est-ce pour se dépasser soi-même, repousser les limites du faisable corporel. La sorte d'infini que représente ce hors-limite n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, de tout repos ; car non seulement il implique d'être premier, de parvenir en tête, mais inscrit encore l'absolue nécessité de réitérer l'exploit, pour conserver un titre, une réputation, voire un mécénat. La jouissance de la limite est telle qu'elle n'a pas de limite. En effet on touche ici à ce que la psychanalyse désigne par "jouissance", au-delà du principe de plaisir et à travers la souffrance, au-delà aussi de ce qui peut s'énoncer dans le langage. 
 
En forçant un peu le pessimisme, on pourrait dire que le dopage n'est pas seulement un tendance circonstancielle des sportifs actuels poussés à commettre l'infraction par des lobbies capitalistes avides de "résultats", confondant de plus en plus sport et publicité, mais qu'il s'inscrit au contraire dans la logique de sport de compétition. Car la jouissance visée par l'acte sportif se situe au-delà des vertus à la fois médicales (le bien-être, la santé) et morales (l'exemplarité, la ténacité, le fair-play, etc.) qu'un certain discours humaniste veut bien attribuer au sport. L'utilitarisme pas plus que le moralisme (celui qui met en avant la "conscience", la liberté de l'athlète de ne pas céder à l'infraction du dopage) ne pèsent pas lourd devant l'irrésistible appel à l'excès et à la démesure, face à la jouissance même de passer la limite… qui conduit beaucoup d'athlètes à enfreindre le règlement. L'expérimentation corporelle, sous toutes ses formes, ne peut qu'échapper de facto à la loi car elle vise un au-delà (ou un en-deça) du symbolique ; pire encore, elle peut prétendre à faire loi et s'imposer comme impératif catégorique (comme l'a bien montré Lacan, à propos de Sade et de Kant), car le hors-limite est dans son principe. Cet effet de brouillage de toute règle raisonnable et mesurée explique peut-être les débordements de plus en plus considérables des publics eux-mêmes. La relation sportifs-spectateurs illustre bien ce que Freud appelait "foule à deux", où le moindre geste de l'un est relayé et amplifié par l'autre, où la passion idolâtre des uns pour les autres se transforme chez certains en haine de l'adversaire. Parti jusqu'au bout de lui-même afin de récupérer cette part de réel qui lui manque, cette pureté à jamais perdue, il doit compenser par une réalisation inédite et toujours "supplémentaire", sans qu'il lui soit donné de faire oeuvre (le sport n'étant pas une forme de sublimation puisque l'objet "élevé à la dignité de la Chose”, comme le dit Lacan, est ici le corps propre).
 
Pourtant il n'y a nulle fatalité, et il serait ridicule de condamner le sport en soi : cela reviendrait à l'assimiler de facto à une drogue. Le sport est effectivement pervers lorsqu'il a pour finalité son propre effort vers ce Corps ultime et scandaleux, cette Chose parfaite livrée au public qu'est finalement le cadavre du sportif épuisé, dopé, déshonoré. Inversement ce qui est à gagner dans le sport - y compris dans la compétition - ce ne sont pas tant des médailles et des honneurs que l'assomption d'une forme de castration, la pure reconnaissance des limites (symboliques autant que biologiques) du corps humain, et donc accepter de "perdre". 
dm
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December 19, 2024 4:32 AM
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S’autoriser de soi-même et s'autoriser de Lacan

Depuis sa fondation la psychanalyse n’a d’existence sociale qu’en s’appuyant concrètement sur un réel, un lieu nécessaire à sa transmission qu’on appelle une Ecole. Ce terme n’est pas anodin puisqu’il suppose l’existence d’un maître fondateur et une fonction de directeur remplie en général par le même. Lacan fonda et dirigea sa propre Ecole et l’on peut dire que l’“histoire” qui en découle, avec ses rebondissements et ses crises, donne toute sa dimension réelle au “sujet” de la psychanalyse. L’Ecole, fondée par un sujet, ne peut en même temps qu’être un lieu d’exclusion pour le sujet. Plus exactement nous dirons que l’Ecole et le sujet entretiennent un rapport symptômal : par exemple Lacan était le symptôme de son Ecole, l’Ecole Freudienne de Paris, comme celle-ci était à son tour le symptôme de Lacan. Mais fondamentalement ce type de rapport, symptômal, analytique lui-même, incluant ici une dimension politique reste surdéterminé par le transfert qui est une notion immédiatement clinique : c’est ce qu’il faudra montrer.
 
Avant d’expliquer le fonctionnement transférentiel de l’école psychanalytique, penchons-nous sur la situation paradoxale du maître fondateur en tant qu’exclu. La vie et l’œuvre de Lacan illustrent à elles seules une théorie de l’exclusion du sujet. Tout commence en fait, du point de vue de la doctrine, avec la fameuse “division du sujet”, illustrée chez Freud par le regard de l’enfant découvrant le manque de pénis de la mère, manque dont l’autre nom est le phallus. Tout finit avec la topologie lacanienne où se suivent figures et structures toujours dépendantes d’un “trou” et cela jusqu’au triple trou du nœud borroméen. Pourtant, dans ce dernier cas, se pose la question de l’Un à savoir le rond de ficelle qui, coupé, permet de libérer les autres ronds. “Y a d’l'Un”, disait Lacan. La formule concerne le sujet qui, dans sa fonction de coupure (en topologie), n’existe vraiment qu’en tant qu’Autre. C’est alors ce qui finit par se produire pour Lacan lui-même. Rejeté une première fois de l’I.P.A., il se tient lui-même ensuite en position d’exclu au sein de la communauté analytique, bien qu’il tende parallèlement à en devenir le centre grâce à son enseignement. Mais “pour être Autre enfin”, il fallait qu’il tranche le lien par lui institué, il fallait qu’il dissolve son Ecole. “Qu’il suffise d’un qui s’en aille pour que tous soient libres, c’est, dans mon nœud borroméen, vrai de chacun, il faut que ce soit moi dans mon Ecole" (Lacan, Lettre de Dissolution, 5 janvier 1980). On voit que division, scission, exclusion (voire forclusion) et dissolution en réalité ne font qu’Un — l’Un qui est l’Autre exclu, chez Lacan.
Il est certain que Lacan, comme “pas-un”, pourrait-on dire, a lié sa théorie à son sort. Il serait donc paradoxal de prétendre garder Lacan (le souvenir, l’homme) tout en se gardant de sa théorie. Par exemple Catherine Clément distingue résolument en Lacan le prophète (théoricien) et le “shaman” (plus ou moins poète), au point que dans sa parousie “le geste de dissolution de janvier 1980 était moins un geste de prophète qu’une fidélité à la solitude du shaman" (Vies et légendes de Jacques Lacan, Paris, Le livre de poche, 1981, p. 200). Catherine Clément est obligée de placer le shaman au-delà du psychanalyste, toujours complice du maître en ceci qu’il rend ineffaçable la dette transférentielle, la transformant en asservissement. Tour à tour analyste, maître d’Ecole, Lacan tient aussi le rôle de l’hystérique provocant ses auditeurs lors des séminaires, et enfin celui de l’universitaire participant à la sédimentation de la culture. Tout ceci forme le prophète, plus ou moins dérisoire. Mais “c’est le shaman seul qui devient poète”. Thèse séduisante, mais comment ne pas voir que l’on nous parle ici d’un “Autre” Lacan, rien d’autre en fait qu’un Lacan imaginaire, disons au mieux un Lacan …aimé. Enfin l’image finale embrase le tout : “C’est la part du phénix en lui qui est l’inspiration”. Pourquoi le phénix ? Car tel l’oiseau de feu, “il finit, comme il est logique, par allumer lui-même le bûcher de ses propres excréments” — tout ceci pour renaître, naturellement. Il n’est pas sûr que pareille mystique ou pareille poétique de l’exclusion — d’un sujet évaporé et renaissant, au désir éternel — rende compte de l’intervention de Lacan dans le présent, qui est d’abord le présent de la psychanalyse.
 
Il nous faut revenir plus précisément au présent de l’acte analytique, et voir comment la fondation de l’Ecole se veut au service de cet acte et en découle directement. “Le psychanalyste, dit Lacan, a horreur de son acte. C’est au point qu’il le nie, et dénie — et maudit celui qui le lui rappelle, Jacques Lacan, pour ne pas le nommer”. Cet acte essentiel consiste, rappelons-le, à “s’autoriser de soi-même” à la fois dans la décision de pratiquer et dans la pratique psychanalytique elle-même. Qu’est-ce qu’il y a de si horrible dans cet acte au point que certains analystes voudraient l’éviter en le convertissant en acte d’obéissance ? Rien d’autre que la castration symbolique, ce point d’où le réel troue le symbolique et d’où ek-siste le désir de l’analyste, comme d’ailleurs celui de l’analysant, si bien que l’acte de s’autoriser s’articule d’une question : “comment savoir si je suis fidèle à moi-même, à ce qui est advenu dans mon analyse, quand je dis être devenu analyste ?" (Alain Didier-Weill, “Bénir, Maudire ou mi-dire Lacan ?”, in Esquisses psychanalytiques n°15, 1991). Or l’obsession de celui qui recule devant l’acte, qui lui préfère l’obéissance à une règle (celle de l’I.P.A., en l’occurrence), n’est pas tant la fidélité au réel de l’analyse que la fidélité prétendue à Freud. Concernant les conventions de la pratique analytique, initiées par Freud mais non imposées par lui, cela revient à pervertir des énoncés symboliques en énoncés surmoïques où le “moi” de l’analyste peut trouver une assurance à bon marché à défaut d’une vraie “autorisation”. A. Didier-Weill écrit à ce sujet : “l’énoncé surmoïque se spécifie d’être proféré par un Autre qui, n’étant pas divisé, ne renvoyant à aucun trou, à aucune énonciation, est tout entier réductible à son énoncé" (id.). Celui qui obéit au lieu de s’autoriser, pérennisant et pervertissant ainsi l’amour de transfert, reçoit en retour ce message imaginaire de Freud : “Puisque tu ne me trompes pas, sache que tu ne te trompes pas" (id.). Aucune justification, aucune autorisation subjective ne vaudrait mieux que cet accès direct à l’être de Freud par l’amour de Freud — ce que signifierait, selon Lacan, l’obéissance à la règle institutionnelle. Il suffit alors de désobéir, non à Freud lui-même (puisqu’il n’a rien imposé), mais à ceux qui aiment et bénissent Freud au point de fixer pour lui, (d’)après lui, sa règle, pour être “maudit” et déclaré hérétique. C’est bien ce qui est arrivé à Lacan en 1953. Or il semble que, passant du freudisme au lacanisme, l’histoire se soit répétée quelque peu...
 
Une critique et même une contestation internes au lacanisme ont lieu depuis la mort de Lacan, visant l’attitude "légitimiste" (parfois qualifiée de "dogmatique") des héritiers “officiels” de Lacan, nommément l’Ecole de la Cause freudienne dirigée par Jacques-Alain Miller. En réalité nous distinguerons deux types de critiques : l’une qui est fidèle à l’esprit lacanien et même réclame en quelque sorte un “retour à Lacan” (dans l’esprit du retour à Freud de celui-ci) ; l’autre qui est plutôt anti-lacanienne (par “réaction” disons, car elle lui emprunte et lui doit beaucoup) et pourrait viser indistinctement l’ECF comme l’EFP, l’école dissoute une première fois par Lacan. Nous allons voir que la question du Sujet et de l’Un, sous l’espèce du signifiant Lacan, s’y pose de manière cruciale, qu’elle est le prétexte et la cause même de cette critique.
Concentrons-nous sur la première critique, celle des lacaniens. Au fond, on reproche à l’ECF actuelle de “garder” et d’exploiter un “vrai” Lacan imaginaire de même qu’on pouvait reprocher à L’IPA d’occulter et de momifier Freud. Notamment l’ECF pérenniserait abusivement un lien, établi par le transfert, avec un “sujet supposé savoir” qu’incarne Lacan pour ses disciples. Ce que n’acceptent pas certains élèves de Lacan, s’appuyant sur le “s’autoriser soi-même”, c’est que l’on puisse dire simplement, comme J.-A. Miller, que “l’Ecole a pris le relais de Lacan”. Ce dernier va jusqu’à distinguer deux classes d’élèves. La “première classe” réunit ceux qui “aiment encore Lacan” et ainsi “le métaphorisent par l’Ecole” (Miller). Il est clairement fait appel au sens du sacrifice des élèves qui doivent laisser au vestiaire leurs sentiments ou leur mécontentement éventuel à l’égard des instances de L’Ecole, puisque tout y est fait pour l’amour de Lacan. Certains opposent alors le fonctionnement de l’EFP (Ecole freudienne de Paris), du temps de Lacan, à celui de l’ECF: “A l’EFP, le rôle biface de Lacan (le Maître et le Passant) engendrait une division chez ses auditeurs: au lieu topographique qu’était l’Ecole freudienne — où des commentaires de textes instituaient des élèves — s’opposait un lieu topologique, le séminaire, dans lequel Lacan, le Passant, requérait de ses auditeurs qu’ils s’autorisent à entendre en analystes" (A. Didier-Weill). Cette ambivalence de l’Ecole, reflétant la division du sujet de l’inconscient, aurait disparu au profit d’un simple rapport d’obéissance, d’autant plus mesquin qu’il prendrait la forme d’une demande d’amour et de fidélité, non pas envers le nouveau directeur de l’Ecole bien sûr, mais toujours “pour” Lacan. Il est donc demandé d’acquiescer — non à ce que dit le directeur : puisqu’on admet justement une “deuxième classe”, de rebelles ou d’individualistes, se moquant volontiers de l’Ecole et de son directeur, refusant de voir Lacan métaphorisé par l’Ecole —, mais au tout (non critiqué, non problématisé) des énoncés de Lacan. “Lacan est un bloc. Doit être pris comme tel" (id.). On voit bien en effet l’aspect aliénant d’un tel acquiescement, puisqu’il n’y a pas de barre, pas de “pas-tout”, pas même de véritable assentiment (ou confiance) qui ne peut se faire qu’à partir d’un manque — à la fois dans l’Autre (Lacan) et dans le sujet (l’élève). “L’acquiescement articulé par le sujet, quand il parvient à s’autoriser, est ainsi un oui-de-oui dont la structure logique est celle même du sujet divisé. Ce oui-de-oui indique le temps logique par lequel le sujet doit passer pour s’exprimer là où, dans l’Autre, il y a un trou devant lequel le sujet est seul à l’instant angoissant où il doit ré pondre" (id.). Ce oui-de-oui singulier prend le visage grimaçant, à “cause” de l’Ecole, d’une bénédiction : un “oui oui” collectif. Oui à tout, dit le lacanien de l’Ecole… Or il existe une autre façon de prendre et de comprendre “tout Lacan”, qui n’exclut pas l’amour. “Du point de vue analytique, le rapport entre un dire qui dit “tout” le bien (bénir) [l’ECF] et un dire qui dit “tout” le mal (maudire) [l’I.P.A.] instaure un dualisme. Dualisme venant à la place de la division d’un mi-dire qui, seul, peut porter le réel à l’existence" (id.). Reste que ce “mi-dire” peut être interprété à son tour différemment. Les nostalgiques de l’EFP, par exemple, y voient la nécessité d’un tri ou la liberté d’un choix. Ce n’est pas exactement le “tout” Lacan que prône par exemple l’Ecole lacanienne de psychanalyse (ELP), parce qu’elle envisage avec justesse la théorie dans sa globalité subjective, comme une articulation d’RSI.
 
Nous ne souhaitons pas prendre parti pour telle ou telle conception de l'Ecole. De plus les considérations sur l’Ecole de Lacan voire sur le style du personnage échappent rarement à la trivialité. L'important est que la plupart des écoles ou des associations lacaniennes admettent le cartel et la passe (celle-ci est plus contestée), les deux inventions les plus originales de Lacan en matière de transmission. Ces pratiques mettent véritablement à l’épreuve quelque chose comme le “sujet de la psychanalyse”. Il reste qu’un tel sujet, métaphorisé par l’Ecole, ne peut se réaliser ou plutôt s’épuiser que dans la multiplication des écoles et a minima leur libéralisation ; de sorte que, finalement, celles-ci soient réellement utiles pour psychanalyste (et surtout ne deviennent pas des lieux d'asservissement). Vive les Ecoles de psychanalyse - lacaniennes... - affranchies sinon du “sinthome” au moins du “fantôme” de Lacan !
dm
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December 17, 2024 10:07 AM
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Obscénité de l'art

De toutes les conséquences du christianisme, l’art baroque n’est pas la moins remarquable en ce qu’il nous fait toucher, si l’on peut dire, ce que c’est qu’être un corps. La passion du Christ fut d’abord d’être un corps, avant que d’avoir un corps. Corps sacrifié, supplicié, mais exprimant aussi sans la moindre retenue l’obscène jouissance de l’Autre. Ce qui dépasse les canons du goût voire de l’entendement, dans le baroque, c’est cette recherche d’une jouissance située complètement en dehors de la scène phallique, c’est-à-dire de la norme en général. Quête perverse d’une jouissance et d’une souffrance également absolues ; corps boursouflés et tordus comme agités d’une violence (d’un vide) intérieure qui les porterait à une assomption paradoxale ; corps sans âme ou ayant avalé leur âme comme on avale sa langue ; corps mâchant du vide eux-mêmes dévorés par un grand Autre monstrueux, livrés à une pulsion orale sans fin.
 
L’obscénité c’est que cette jouissance absolue de l’Autre n’existe pas ; l’art baroque c’est de le montrer. Lacan peut donc écrire dans Encore : “nulle part comme dans le christianisme, l’œuvre d’art comme telle ne s’avère de façon plus patente pour ce qu’elle est de toujours et partout — obscénité”. Ceci dit l’absence de copulation ne signifie pas un manque phallique, comme le sait très bien Lacan, puisqu’aussi bien ces corps — et leur modèle, le corps christique — sont d’une certaine façon le phallus. Alors pourquoi privilégier autant le christianisme dans cette approche de l’obscène jouissance de l’Autre ? Sans doute parce que l’Autre y apparaît comme Un Autre, lieu de la parole et de la Vérité, suppléant idéal au non-rapport sexuel et possibilité de le dire. Si bien que selon ce schéma l’art serait reconduit à sa fonction expressive, celle d’exprimer la jouissance impossible, la souffrance-jouissance.
dm
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December 14, 2024 10:39 AM
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L'analyste et l'institution

L'expérience psychanalytique ferait difficilement l'économie d'assises institutionnelles, d'abord parce - malgré certaines apparences - elle n'est pas une affaire uniquement "privée" liant deux individus, l'analysant et son analyste ; elle est constitutionnellement une expérience du trois, ou du tiers, et a sans doute pour vocation d'inspirer quelque chose comme un "lien social" nouveau. Nul ne peut nier la singularité du tiers existant entre l'analyste et l'analysant : un espace de parole qui s'appelle association libre, qui s'appelle inconscient. Si l'inconscient constitue le seul tiers pendant l'analyse, qu'en est-il en fin de partie ?
Tout le problème vient du contraste, et même de l'antinomie existant entre l'originalité indéniable de la méthode psychanalytique et l'ancienneté des méthodes de transmission et de formation, régies le plus souvent par le "discours du maître". Faut-il une institution adaptée, conforme à la nouveauté l'analyse ou bien faut-il faire avec l'institution - publique, telle qu'elle existe - vaille que vaille ? On sait que l'I.P.A., l'Association Internationale de Psychanalyse a opté pour la seconde solution : l'institution est supposée savoir quels critères appliquer à la fin d'analyse pour que l'analysant devienne à son tour analyste. Mais comment, concrètement, pourrait-elle avoir un regard quelconque sur le moment où pareil basculement se décide ? En réalité, selon cette conception, l'institution (dont le modèle reste l'Ordre des médecins !) n'est qu'un relais en direction du public qui est le véritable tiers, en l'occurrence, et le seul juge présumé. Il y va d'une nomination qui est identification fondamentale du futur analyste à un Idéal-du-Moi, rien d'autre que l'Analyste, justement, membre de la société des analystes, elle-même au service du public... et comptable devant l'Etat. ll ne faut donc pas venir se plaindre que ce dernier finisse par légiférer sur le droit d'exercer la psychanalyse en institution, et ne menace finalement par l'abolir.
Du point de vue de Lacan et des lacaniens, au contraire, la fin de l'analyse ne saurait promouvoir un nouvel Idéal-du-Moi ; en fait d’institution, il s’agirait plutôt de faire l’expérience d’une destitution qui est entrée dans une solitude partagée avec quelques autres. C'est le sens profond de la formule de Lacan qu'il ne faut pas oublier de citer en entier : "L'analyste ne s'autorise que de lui-même… et de quelques autres" (Proposition de la passe, 7 octobre 1967). C'est-à-dire que l'analyste ne s'autorise que de la loi qui fonde le désir - le désir de l'analyste, en l'occurrence -, et bien sûr il ne tient cette loi que de sa propre analyse de l'inconscient. Mais il y a un savoir à conquérir de cette fréquentation longue et coûteuse, et une mise en commun, une transmission - plutôt qu'une garantie - nécessaire du savoir. Un lieu s'impose donc en guise de tiers, lieu toujours tierce du désir qui ne se confond pourtant pas, ni avec le désir fondateur (l'Autre) lui-même ni avec tel ou tel maître d'école qui s'y montre à l'occasion.
Dans la nébuleuse associative lacanienne, ce qu'on appelle analyse de contrôle, travail en cartel ou témoignage de la passe désigne bien à chaque fois ce lieu qui incarne un principe de formation nouveau, conforme en tout cas à la théorie du désir. La mise en avant d'une ternarité à tous les niveaux de l'expérience analytique - singulièrement la promotion d'un "nouvel imaginaire" par rapport au spéculaire et au narcissique - concordent vers l'affirmation d'une autonomie théorique de la psychanalyse, autonomie qu'elle trouve paradoxalement dans sa pratique. Elle apparaît même comme la seule théorie pouvant se penser et se réaliser intégralement dans la pratique. Celle-ci doit s'entendre au sens large comme un étagement d'expériences et de rencontres à commencer bien sûr par l'analyse personnelle, mais aussi le contrôle, la passe et la formation.
Surtout la formation ? A ce sujet gardons-nous d’une analogie trop facile : si la pédagogie a toujours été une sorte de raison suffisante pour la philosophie (que nous prenons ici comme référence du « discours universel »), au nom d’un lien social oscillant entre la maîtrise et la démocratie (le philosophe voulant former le plus de « petits-maîtres » possibles), il ne faudrait commettre le contre-sens qui nous amènerait à dire que la formation en psychanalyse serait en quelque sorte son "idéal-de-la-pratique" et que la "reproduction" des analystes constituerait la finalité cachée et ultime de la psychanalyse (argument que colportent naturellement les mauvaises langues) ! En réalité le type de lien social promu par la psychanalyse, suspendu au principe de la ternarité, n’est pas directement induit de la formation mais bien de l’analyse elle-même.
En résumé l'institution est toujours requise - à condition qu'elle demeure strictement libérale (d'où plutôt le terme d'"Ecole") -, mais elle ne confère aucun droit, n'impose pas de règles, ne dispense aucun savoir puisqu'elle est le "lieu" où le savoir s'échange, en revanche elle peut reconnaître (sinon autoriser) que telle ou telle pratique relève effectivement de sa formation si cela lui est demandé.
dm
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December 12, 2024 4:28 PM
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Le gai sçavoir du déchiffrage

"L’inconscient, ce n’est pas que l’être pense, comme l’implique pourtant ce qu’on en dit dans la science traditionnelle — l’inconscient, c’est que l’être, en parlant, jouisse, et, j’ajoute, ne veuille rien en savoir de plus." (J. Lacan)
 
Ce que Lacan vise par “science traditionnelle” est principalement l’aristotélisme, soit une pensée où l’être individuel se pense, éventuellement est pensé, à l’intérieur d’une “classe” en vue d’une fin "naturelle". La faute de cette science “est d’impliquer que le pensé est à l’image de la pensée, c’est-à-dire que l’être pense” écrit Lacan. Mais l’être ne pense pas au sens où ça proviendrait, comme cela, naturellement de lui ; en revanche il se sert de la pensée, quand c’est utilisable, comme il se servirait d’un manche. Cette pensée dont on se sert, dans cette nouvelle conception que Lacan développe dans les années 1970, il préfère l’appeler le "savoir". Ainsi l’inconscient ne pense pas, au sens où il produirait des pensées, mais plutôt il pense au sens où il sait et jouit d’un savoir. Un savoir qui n’est pas désiré, précise-t-il : il n’y a pas de désir de savoir. Un savoir dont précisément le sujet ne veut rien savoir de plus, voire rien du tout, moins parce qu’il est inconscient que parce qu’il est jouissance. D’où encore cette vérité fonda-mentale, comme ironise Lacan : “Tout indique — c’est là le sens de l’inconscient — non seulement que l’homme sait déjà tout ce qu’il a à savoir, mais que ce savoir est parfaitement limité à cette jouissance insuffisante que constitue qu’il parle”.
 
Lacan précise sa pensée notamment dans un passage de Télévision : “Ce qu’articule comme processus primaire Freud dans l’inconscient (...) ce n’est pas quelque chose qui se chiffre, mais qui se déchiffre. Je dis : la jouissance elle-même”. La nouveauté, c’est donc que l’inconscient n’est pas ce réservoir de pensées inconscientes qu’il faudrait déchiffrer ou interpréter, mais qu’il est directement déchiffrage — et non d’un désir mais de la jouissance. Ce qui laisse supposer que le chiffre, le chiffrage est antérieur au phénomène de l’inconscient, comme s’il renvoyait à un état premier de la jouissance. Nous verrons qu’il n’y a pas d’état premier de la jouissance, puisqu’ainsi que le dit Lacan il n’y a de jouissance (d’ailleurs inter-dite) que du fait que l’être parle. Mais pour l’instant il est utile de préciser la place de l’inconscient dans le processus d’écoulement de la jouissance, et pour cela il faut distinguer plusieurs phases. Bien entendu nous partons de ce que Freud nomme les "impressions sensibles", qui correspondent chez Lacan à la jouissance comme perdue. Puis il faut nommer le Ça et l'identifier comme le lieu propre du chiffrage, du marquage de la lettre pas encore signifiante. Ensuite l’inconscient ou le processus primaire n'est pas autre chose que le lieu même du déchiffrage, opérant comme on le sait par condensation et déplacement jusqu’à ce que la lettre passe au stade du discours et de la parole adressée à l’Autre. La phase suivante est le domaine du sens, soit le préconscient pour Freud, qui est aussi celui de l’interprétation et de l’intégration dans le lien social. Enfin arrive le “fading” du sujet et la jouissance enfin “récupéré”, disponible, d’abord bien sûr dans le langage.
 
L’ensemble du processus concerne la jouissance ; l’inconscient n’est donc pas le lieu privilégié — sinon le plus visible ou le plus criant, peut-être, à cause des symptômes et autres (é)preuves de déchiffrage. Mais il n’existe pas non plus de jouissance originaire — sinon justement perdue — et pas davantage de récupération totale : jouissance “insuffisante” dit bien Lacan. Cette jouissance, Freud lui avait donné le nom mythique de “libido”, et Lacan celui de “lamelle” : terme qui évoque bien l’indicible, en quelque sorte, d’une chose ou d’une substance qui suinte et entoure le sujet comme une bave et que l’inconscient, par le jeu du déchiffrage, tente de cerner, de contourner, de canaliser, peut-être d’évaporer dans le discours. Mais il y a un reste, un incontournable : c’est le cas de le dire. Cette “lamelle” est donc assez dégoûtante, traumatisante, mais corrélativement fascinante, pour que le sujet ne désire rien en savoir — pas plus d’ailleurs de son vidage ou son passage dans l’inconscient et la parole —, et d’ailleurs il ne le pourrait pas. Le seul désir de savoir remarquable, et encore s’agit-il plus d’une demande acharnée, est celui du névrosé ; mais justement, dans son cas, on peut dire que la jouissance est bloquée au niveau du déchiffrage. L’inconscient du névrosé est un déchiffreur hors paire mais le déchiffrage, c’est-à-dire le symptôme, n’est pas une fin en soi : il a besoin de l’Autre et que le désir de l’Autre lui soit présentifié. Dans le symptôme, la jouissance se sédimente en quelque sorte et ne circule plus, n’accède pas à la parole. La “lalangue” du névrosé (c’est-à-dire son style propre de déchiffrage, prélinguistique et pré-discursif) tourne en rond, ne dit rien qui vaille, ou plutôt dit que rien ne va… Elle se charge de sens et de compréhension, beaucoup trop lourdement. Le névrosé ne connaît que la jouissance du sens, la “jouis-sens” qui ne laisse pas moins échapper l’objet ‘a’ comme reste (et produit de l’articulation signifiante, c’est-à-dire le référent en deçà du signifié), semblant de réel qui devient alors l’obsession du névrosé (ou l’hallucination du psychotique). Mais l’erreur du névrosé c’est d’imaginer la jouissance comme antérieure au langage et par conséquent au déchiffrage. Or la jouissance, que l’on dit successivement perdue, chiffrée, déchiffrée, interprétée et enfin récupérée, n’existe que par et dans la parole. Lacan parle explicitement d’un “jouir du déchiffrage” qui est “rasage du sens”, et c’est seulement cela qui permettrait la récupération de la jouissance perdue.
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December 10, 2024 1:36 PM
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Le mythe d'une perversion homosexuelle féminine

La question de l'homosexualité féminine soulève généralement deux types de problèmes, qui se rejoignent d'ailleurs : le premier concerne le rapport apparemment asymétrique entre les formes masculines et féminines de l'homosexualité, le second est celui de l'existence d'une forme - soi-disant - typiquement féminine de "perversion", se manifestant (entre autres) par des traits spécifiques d'homosexualité. Reste à savoir dans quels cas précisément et selon quelles modalités car il est évident que l'homosexualité en général, pas plus féminine que masculine, ne saurait être rangée dans une quelconque catégorie clinique. L'hypothèse selon laquelle l'homosexualité, en général, relèverait soit d'une forme de perversion soit d'une forme de névrose, est totalement exclue. Lacan soutenait, quant à lui, que l'homosexualité ne pouvait signifier que l'amour du même, c'est-à-dire du sexe universellement masculin symbolisé par le phallus, tandis que l'amour des femmes méritait de quelque forme qu'il se présente le qualificatif d'hétérosexuel, puisque aimer une femme revient toujours à aimer l'autre sexe. De ce point de vue, écartant résolument le critère de l'inversion, il n'y aurait tout simplement pas d'homosexualité féminine, pas plus d'ailleurs que de perversion féminine. Pourtant, si l'on parvient à montrer que le fantasme de certaines femmes incluant une forme particulière de fétichisme relève de la perversion (au sens psychanalytique, c’est-à-dire structural, donc sans aucune connotation normative, morale ou médicale) il faudra bien admettre que leur identification phallique les éloigne radicalement de l'amour des femmes et donc de l'hétérosexualité. 
 
Une chose est sûre, si l'homosexualité féminine semble moins scandaleuse et moins surveillée que l'homosexualité masculine, c'est parce qu'elle ne remet pas fondamentalement en cause la dignité du sacro-saint phallus, symbole de la Loi et de l'ordre dans notre civilisation. En effet on ne peut s'affranchir de l'impression (fausse, en grande partie, comme nous le verrons) que les homosexuelles, quelque soit leur structure, ne peuvent éviter de "faire l'homme" quand bien même elles passeraient leur temps à le défier. Il convient d'abord, au moins à titre heuristique, de repérer une forme d'homosexualité féminine relevant clairement de la structure “hystérique”. La question fondamentale porte sur la nature du désir féminin, via une identification au père imaginaire (comme dans toute névrose). L'hystérique refuse de considérer que ce désir se satisfasse, pour une femme, à accepter le rôle d'objet de jouissance que les hommes leur attribue, plus ou moins systématiquement, dans leur fantasme. Elle pose donc - à une femme d'abord, mais au-delà, à l'homme - la question de savoir comment on aime une femme. Elle ne veut rien savoir du désir masculin, elle ne veut que l'amour ; elle ne veut pas être objet de fantasme, mais objet d'adoration. C'est pourquoi elle a recourt à l'autre femme, aimée ou amante, pour médiatiser son rapport avec les hommes dans l'ordre du désir. Or, cette distinction fondamentale du désir et de l'amour nous amène à considérer que, certaines fois, c'est bien de désir qu'il s'agit entre femmes et non d'amour. Ce qui compte, ce n'est pas seulement le choix d'objet (sans discrimination a priori entre amour et désir), mais l'identification sexuelle, au niveau du fantasme, impliquant cette fois les dimensions du désir et de la jouissance. Certaines femmes, en effet, désirent les femmes exactement comme les hommes peuvent les désirer, c'est-à-dire en les réduisant d'abord à des objets de jouissance, et n'y incluant l'amour qu'après-coup. 
 
Comment une telle différenciation sexuelle, entre femmes… du même sexe, peut-elle se constituer ? C'est ici que la dialectique phallique reprend ses droits, en ce sens que l'identité sexuelle n'est pas biologique mais qualifie un certain rapport symbolique au Phallus (en tant qu'unique symbole sexuel), soit deux types de rapports qui se spécifient grammaticalement sur les modes de l'avoir et de l'être. Avoir le Phallus, ce n'est pas spécialement posséder un pénis, mais signifier à l'autre sexe (donc une femme) que l'on peut, sinon satisfaire, du moins répondre à son désir. Or c'est précisément sur ce mode de l'avoir que l'homosexuelle que l'on qualifie provisoirement de "perverse" (mais uniquement dans son rapport à la première, hystérique), entend rivaliser avec l'homme. En quoi elle est crue d'ailleurs, du moins quelque temps, par l'homosexuelle hystérique (avec laquelle elle peut faire couple) qui a discrédité depuis longtemps le désir masculin, comme incapable de satisfaire son "vrai" désir féminin "au-delà" même du désir, désir transcendant et infini (preuve qu'elle le confond avec la demande et l'amour). Naturellement, presque narcissiquement, elle s'imagine que seule une femme, une "vraie femme", l' "Autre femme" peut satisfaire le vrai désir comme Autre désir. C'est ici qu'elle se leurre, elle qui rêve d'hétérosexualité absolue, car qu'est-ce qu'une vraie femme ? Serait-ce l'homosexuelle “perverse”, qui ne demande qu'à la faire jouir (éventuellement l'aimer) comme un homme le ferait, mais mieux que lui, c'est-à-dire comme un sur-homme ? Se laissera-t-elle berner, abuser même ? Car le désir pervers, lui, ne s'embarrasse pas de question sur l'essence de la féminité, et ne joue pas à repousser la jouissance : il se rabat plutôt sur un impératif de jouissance immédiate. D'autre part l'homosexuelle, en général, n'aime pas les femmes au sens où l'hystérique aime la féminité ; de ce point de vue elle les déteste plutôt. Son identification est double : en tant qu'homosexuelle, elle connaît l'identification "régressive" au Père (comme le dit Freud). Mais en tant que sujet possiblement pervers, elle s'identifie à la mère phallique primordiale qui châtre les hommes et les exclut partiellement de leur univers. Mais pas entièrement : l'homme reste présent dans la vie de cette homosexuelle en tant que châtré précisément, en tant que défié, et s'il s'agit d'un analyste spécialement, en tant que trompé. Perverse elle l'est au sens où la répartition n'est pas seulement du genre : les hommes d'un côté (le mal), les femmes de l'autre (le bien), mais bien plus narcissique : d'une part la femme et sa mère apparaissent non châtrées, d'autre part les autres femmes (les hommes sont laissés tombés comme objets sexuels) sont réduites à des objets potentiels de jouissance et sont châtrées.
 
Cette identification à une maternité primordiale, non sexuée, nous met sur la piste pour reconnaître l'existence d'un fétiche particulier qui ferait de l’homosexuelle un sujet pervers, mais en réalité il vaudrait pour toute femme perverse ! Chez la femme, le fétiche se ramène à sa progéniture, disait Lacan. Quelle fonction ce fétiche pourrait-il avoir ? La même que le fétiche masculin qui est censé masquer et dévoiler en même temps ce que le petit garçon n'a pas vu au niveau du sexe maternel, de sorte que le fétiche représente le phallus imaginaire maintenu à cette place. Il est clair que l'enfant, s'agissant d'un être imaginaire et fantasmé le plus souvent, ou bien plus rarement d'un être réel en position directe d'objet de jouissance (et donc d'objet surprotégé) constitue un phallus idéal pour l'homosexuelle désireuse de prouver aux hommes qu'ils sont à peu près inutiles, tant pour fabriquer des enfants que pour assurer la jouissance sexuelle d'une partenaire féminine. L'enfant fétiche n'a le plus souvent d'existence qu'imaginaire, invisible plutôt que visible, intérieure plutôt qu'extérieure : il est censé appartenir originellement et de plein droit au corps féminin, en commençant par le corps maternel, "gros" depuis toujours d'une telle potentialité de vie et de jouissance. Dans l'analyse célèbre de la "jeune homosexuelle", Freud a montré la position d'enfant-objet auquel se réduisait la jeune fille au moment de son passage à l'acte, en chutant du haut d'un pont de chemin de fer. Elle réalisait par-là ce phallus imaginaire, sur le mode du dépit causé par l'attitude du père, en accouchant potentiellement d'un enfant mort. Mais dans le cas des femmes (homosexuelles déclarées ou non) que l’on a qualifié de perverses, ce stade de l'adresse au père n'est plus de mise : le phallus, elles l'ont, elles ne le sont pas, et elles s'en servent (c'est une puissance). Elles n'ont pas l'intention de devenir mères, et se conduisent plutôt comme des surhommes, fortes de l'enfant-fétiche qu'elles ont en elles imaginairement et qu'elles ne céderont jamais, vu qu'il s'identifie à leur organe sexuel et à sa puissance supérieure à celle de l'homme, comme en constante érection interne.
 
Il reste qu'on ne peut pas réduire l'existence d'un sujet, fût-il pervers, à un rapport simplement autistique avec cet objet de jouissance et de puissance qu'est le fétiche. Relançons au moins la réflexion, et traçons une piste. Loin d'être seulement une sujétion à la mère toute puissante, l’intérêt de l'homosexualité féminine (dans sa version perverse, certes exceptionnelle) ne réside-t-elle pas plutôt dans l'extériorisation et l'utilisation politique du fétiche, et ne faut-il pas reconnaître une dimension émancipatrice à la provocation (perverse) homosexuelle, comme ne manquent pas de l’illustrer certains mouvements féministes radicaux ? Cette question se pose à propos de toute forme de perversion, y compris paradoxalement le donjuanisme, en tant que toute perversion interroge le social sur les contradictions qui le fondent.
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December 8, 2024 1:26 PM
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L’érotomanie entre psychose et perversion

L’érotomanie entre psychose et perversion | Psychanalyse | Scoop.it
Classiquement, l'érotomanie se définit comme un état passionnel de la femme qui semble fort éloigné de l'activisme pervers, essentiellement masculin ; nous verrons cependant qu'elle constitue une alternative à la perversion, autant qu'au déclenchement psychotique. On serait pourtant fondé à parler de "psychose passionnelle" en suivant le descriptif proposé naguère par G. de Clérambault, distinguant un Postulat et trois phases. Le Postulat, c'est que l'objet aimé a commencé : l'amour provient de lui. D'abord, la phase d'espoir se soutient de l'orgueil et de la certitude d'être aimé par un homme "de bien", que suit bientôt la phase de dépit, ou de l'orgueil blessé, tandis que la troisième est celle de la haine ou de la "vindication", plaçant l'objet en position de victime.
 
L'érotomane ne cherche pas un amant mais veut accomplir la vérité de l'amour comme rencontre pure avec la “chose”, au-delà de l'union charnelle et de la jouissance de tout objet partiel. L'amour pur est exclusif de tout "avoir" bien qu'il réhabilite précisément l'objet en tant que manquant, là où celui-ci doit manquer pour accéder à une identification sexuelle. De l'objet, il ne garde que le symbole ou le trait, que Lacan dit "unaire". C'est à ce niveau, celui de l'identification par le trait qui commande directement l'idéal du moi, qu'intervient l'élection de l'objet pour le sujet érotomaniaque : reflétant ce trait de l'idéal du moi, il soutient une forme de symbolisation malgré la forclusion, sous les auspices de l'amour. L'objet aimé, et surtout supposé aimant, donne idéalement ce qu'il ne demande pas sexuellement ; supportant et symbolisant le manque, il fonde ainsi l'objet partiel comme manquant et du coup devient l'unique repère d'une féminité retrouvée. Gare à lui s'il ne sait s'y tenir ! C'est pourquoi la phase de vindication et de désespoir ne fait que renforcer le Postulat en interrogeant l'objet (cette fois violemment) sur son rapport à la chose, ce "rien" qu'il possède, lui, et qui la fait, elle, être femme. La vindication passionnelle l'empêche de sombrer dans le désespoir total, faute d'une structuration phallique du fantasme. Pourquoi le passage à la vindication sinon parce que l'objet exprime ce fantasme phallique, tôt ou tard, qui implique la femme comme objet d'une jouissance castrée ? Le Postulat, c'est que l'amour, et cet objet singulier qui l'incarne, ne sont pas concernés par la castration. Pour l'érotomane, une cure analytique consiste à vérifier cet état de fait, donc à démentir le fantasme de l'analyste qui s'investit lui-même comme objet 'a'.
 
On voit bien le rapport avec la perversion : l'autre ne peut pas être la cause d'un manque. Et en même temps la différence avec la psychose : la cause du désir n'est pas complètement perdue ou à jamais inexistante au champ de l'Autre, mais plutôt s'est trouvée trahie par ceux-là même qui devaient en être les dépositaires. D'un côté, le thème de la trahison se substitue à celui de la transgression, essentiel chez le pervers. De l'autre, le Postulat de l'érotomane confond l'intention bienveillante de l'objet avec la cause réelle, là où le paranoïaque situera la malveillance supposée du persécuteur, et comblera tout manque-à-être par la certitude d'une menace omniprésente. L'érotomanie occupe donc un espace intermédiaire, ou plutôt emprunte un chemin de traverse entre psychose et perversion ; par rapport à ces extrêmes, elle maintient tant bien que mal le statut d'une division subjective, propre à l'état passionnel en général. La division se redouble d'une équivalence intéressante entre fétichisme et narcissisme. Comme le déni pervers, le Postulat érotomaniaque institue un signe visible (le fétiche) comme cause du désir : c'est l'objet "entrevu" colmatant le manque dans l'image de l'Autre, pour le pervers, c'est le geste "entendu" se supposant au silence dans le discours de l'Autre, chez l'érotomane. La cause semble donc extérieure et l'amour postulé de l'objet, fétichisé, colmate tout manque possible. Comme dans la psychose également, le sujet érotomane semble se faire cause - ici, cause de l'amour - ; il sert de fétiche à l'Autre puisqu'il ne saurait manquer d'être précisément ce qui lui manque ! Le narcissisme consiste à s'instituer soi-même comme unique symbole de l'objet perdu. L’érotomanie, sans doute ne constitue pas une alternative réelle à la psychose ou à la perversion, mais nous y voyons néanmoins une psychose alternative, ce qui est un peu différent, sous la forme d'un érotisme platonique faussement sublimatoire. Il s'agit que le sujet puisse se voir comme Autre à la place du fétiche, et pas seulement supporter d'être le fétiche de l'Autre (ce qui ferait de l'érotomanie, sous son mode passionnel extrême, une simple variante du masochisme pervers).
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December 6, 2024 5:27 AM
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Le passage à l'acte de la "jeune homosexuelle" (Freud)

Le passage à l'acte de la "jeune homosexuelle" (Freud) | Psychanalyse | Scoop.it
Le passage à l'acte de la "jeune homosexuelle" (Freud)
 
Le cas de la "jeune homosexuelle" permet à Freud d'illustrer sa thèse, déjà affirmée en 1919, selon laquelle la perversion s'enracine dans l'histoire oedipienne du sujet. C'est l'occasion également de distinguer rigoureusement deux sortes de comportements, l'"acting-out" et le "passage à l'acte", ce dernier étant en l'occurrence analysé par Freud comme "réponse perverse" (en l'espèce une tentative de suicide). On connaît donc l'histoire de cette jeune fille de bonne famille, éprise d'un amour platonique pour une Dame plus âgée, plutôt du genre cocotte mondaine, mais que cette jeune fille idéalise au point de se comporter devant elle en amoureux transis, sur le modèle de l'amour courtois. Aucun symptôme, aucune plainte ne justifie sa présence dans le cabinet du psychanalyste, sinon une démarche du père que cette liaison exaspère, d'autant que visiblement la jeune fille provoque son père en s'exhibant sans retenue en compagnie de la Dame.
 
Freud s'attache ici à justifier le traitement de certains cas de perversion, même s'il n'évoque évidemment pas la perspective d'une guérison. A partir du moment où elle crédite la perversion d'une genèse psychique ancrée sur le drame oedipien, l'analyse peut contribuer à en dévoiler les mécanismes et répondre ainsi à une demande du patient. Dans le cas de cette patiente de Freud, la mise en place d'une "perversion homosexuelle" - concept freudien, certes anachronique, mais là n'est pas la question - n'intervint qu'à l'adolescence, période qui voit une régénération pubertaire du complexe d'oedipe, alors que la mère attendait un quatrième enfant. Cela ne put que raviver le désir inconscient d'avoir un enfant de son père ; mais cet événement, vécu comme une trahison, déplaça l'intérêt pour le père (et les hommes en général) en intérêt pour la mère (pourtant haïe inconsciemment) et les femmes en général (plutôt âgées). Voici donc la jeune homosexuelle défiant ouvertement son père, lui montrant grâce à cette liaison somme toute frustrante la hauteur et la pureté d'un véritable amour. A la limite, comme le dira Lacan, elle aime ce "rien" ou ce manque lui-même, symbolisé par le signifiant "phallus". Mais justement, là où d'habitude le signifiant fait son effet de sens, de métaphorisation du désir, la jeune fille ne peut ici que montrer, théâtraliser, par déplacement métonymique, son désir passionnel. Le fait de se montrer publiquement en compagnie de la Dame relève de l'"acting out" et maintient une adresse à l'Autre. Seulement ce qui finit par se produire, alors justement que le père croise le couple dans la rue et s'en offusque, alors que la Dame s'en inquiète à son tour au point de vouloir faire cesser cette relation, c'est une tentative de suicide de la jeune fille qui se précipite et tombe sur la voie du chemin de fer urbain. Là, nous ne sommes plus dans la logique de l'acting-out, mais dans celle du passage à l'acte.
 
En quoi cet acte précis signe-t-il la voie perverse du désir ? Il serait naïf d'expliquer ce geste comme une réaction désespérée face au courroux du père (courroux ordinairement recherché) ou même au rejet un peu vif de la Dame. Cet acte, si vain qu'il puisse paraître, n'est pas une fuite ou un "appel" mais une réalisation, pas une question angoissée mais une réponse résolument adaptée à la logique du désir pervers : le désir initial et préservé, simplement déplacé, d'avoir un enfant du père. Freud joue sur le double sens, en allemand, du verbe "niederkommen", signifiant "venir bas", "accoucher", mais aussi "tomber"… En tombant sur la voie ferrée, elle revient de son identification au père-amant et devient elle-même l'enfant qu'elle ne put avoir avec lui, elle s'identifie à l'objet chu, sorti du champ symbolique. En outre, Freud voit une composante autopunitive dans cette tentative de suicide, la jeune fille retournant contre elle un désir de vengeance à l'égard de ses parents, tour à tour coupables de trahison. Le passage à l'acte constitue donc une réponse, mais il n'y a pas vraiment de question, pas vraiment de sens… Qu'elle fasse d'abord le père, puis qu'elle fasse l'enfant, ne fait qu'inscrire la jeune homosexuelle sur l'axe imaginaire de la symétrie et de la réciprocité, règne sans partage du narcissisme. L'enjeu est le suivant : passer d'une réponse somme toute imaginaire, encore provocante à l'endroit de l'Autre paternel, à une réponse réelle ou réellement autonome du sujet où celui-ci pourrait répondre de son acte. Car le passage à l'acte pervers, avec ses effets réifiants (comme dans le cas de la jeune homosexuelle), demeure la conséquence d'une question oedipienne (question du sujet sur le désir de l'Autre) laissée en suspens. L'acte subjectif, où le sujet se fait acte, ne saurait être que la réponse du réel à la question du sujet - et non l'inverse, car le réel n'est pas "en question".
 
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