Le désarroi de la gauche française n’est pas seulement dû à la faiblesse de ses camps politiques, mais aussi à l’évolution de sa sociologie et, plus largement, de la société, qui ne cesse d’inventer des nouvelles manières de s’émanciper.
ParNicolas Truong
Publié le 04 mars 2022, mis à jour le 06.03.2022 (abonnés)
"... Des électeurs désespérés. Une gauche désespérante. Non pas une défaite, mais une débâcle annoncée. Tel est le sentiment largement partagé au sein du camp progressiste à la veille de l’élection présidentielle. Loin de la Norvège, de l’Allemagne, de l’Espagne ou du Portugal, la social-démocratie française ne parvient pas à coaliser des forces et à nouer des compromis afin d’exercer durablement le pouvoir. Après de notables percées, notamment lors des « mouvements des places » des années 2010 (d’Occupy Wall Street à Nuit debout), le populisme de gauche semble s’essouffler. Une forme de socialisme paraît achever un cycle historique avec le déclin du parti issu du congrès d’Epinay (1971).
Le communisme institutionnel séduit davantage par sa défense de l’industrie nucléaire et de la francité que par ses mesures pour l’égalité. L’écologisme, qui pourrait porter le grand récit émancipateur à l’heure du réchauffement climatique, n’a pas encore de base sociale constituée et peine à intégrer les révolutions de la nouvelle pensée du vivant. (...)"
"... Une gauche écologique et sociale a, malgré tout, émergé. Pourtant, elle n’est pas parvenue à politiser le virus, alors que « le premier confinement induit par la pandémie de Covid-19 laissait augurer une sortie de crise à gauche, observe Rémi Lefebvre. Fin du productivisme, démondialisation, relocalisation de la vie économique : l’imagination était à gauche », rappelle le politiste. Or, il semblerait ne plus y avoir de « monde d’après », même à Saint-Germain-des-Prés, pourrait-on avancer avec Juliette Gréco. Nombre de Français ont applaudi chaque soir les soignants, salué « les premiers de corvée » et redécouvert un principe inscrit dans l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » –, capable de renverser les hiérarchies sociales. Ce qui n’a pas évité un retour à la normale.
Cependant, tempère Rémi Lefebvre, « la gauche a trouvé un nouveau récit, l’écologie ». Tel l’horizon indépassable de notre temps, « l’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes », affirme le sociologue Bruno Latour, coauteur, avec Nikolaj Schultz, d’un Mémo sur la nouvelle classe écologique (La Découverte, 96 pages, 14 euros). Mais il lui faut, pour cela, « sortir du XXe siècle », rompre avec le productivisme et l’extractivisme qui furent des matrices du socialisme et du communisme. La critique écologique de l’économie politique permet de « se réapproprier un progressisme social détaché des illusions de la croissance » et devient un moyen de « poser une coalition sociopolitique qui intègre les classes populaires à la demande de justice écologique », explique le philosophe Pierre Charbonnier (Politique de l’écologie, AOC, 40 pages, 8 euros)."
Nicolas Truong