Les médias face à leur destin

Dans leur livre La gratuité à quel prix ?, Joëlle Farchy, Cécile Méadel, Guillaume Sire dressent un portrait complet des acteurs et modèles économiques présents sur le marché des biens culturels en ligne. Ils pointent par la même occasion le problème crucial du partage de la valeur entre des acteurs comme Google, Apple ou Amazon et les créateurs de contenus, notamment quand la gratuité est la règle. Gratuité illusoire soit dit en passant, car il y a en réalité deux prix à payer: l'omniprésence de la publicité d'une part, la monétisation de vos (de nos) données personnelles - goûts, habitudes, voire opinions politiques, religieuses - d'autre part... sans compter le coût d'un abonnement internet, le prix de l'ordinateur et j'en passe.

Toutefois, les chercheurs ne donnent pas de solutions concrètes à l’inégale répartition des revenus. Et c'est bel et bien sur ce point que le bât blesse pour les groupes de presse "Google dépendants".

La home page n'est plus, loin s'en faut, la vitrine chérie des sites de presse, pure player ou non.

Les référenceurs ont tellement bien fait leur travail que de plus en plus de lecteurs arrivent de la vaste toile. Une bonne chose pour les "clics", mais pas forcément pour le portefeuille.

Qui contrôlera les données fournies (volontairement ou involontairement) par ces lecteurs à l'avenir? De la réponse à cette question pourrait bien dépendre la survie de la presse traditionnelle telle que nous la connaissons aujourd'hui.

Lire aussi : Attention à votre ego sur les réseaux sociaux

CHIFFRES A RETENIR

> 16,1 millions d'euros ont été accordés à 25 médias.

> Parmi les projets financés par ce fonds, cogéré par les éditeurs de presse et Google, les dossiers des pure players (7 projets), de la presse quotidienne régionale (5 projets) et de la presse nationale et les hebdomadaires spécialisés (4 projets chacun) arrivent en tête.

> Comme en 2013, où 15,7 millions d'euros avaient été alloués, la totalité de l'enveloppe de 20 millions d'euros n'a pas été engagée. Ces sommes seront reportées sur la troisième année du fonds, en 2015.

Extrait

Parmi les sites médias, ce sont les sites issus de la presse écrite qui sont les plus visibles en 1ère page Google (plus de 60% des liens), devant les pures players (35%), et les sites de radio et TV (2% et 1%).

Quatre femmes et six hommes; c'est pas encore la parité, mais ça s'en rapproche.  Quoi qu'il en soit, le sujet intéresse aussi les médias compte tenu de leurs immenses archives qui sommeillent dans les moteurs de recherche.

A première vue, la PQR (presse quotidienne régionale) semble avoir raflé la mise avec 6 projets sur 23 soutenus par le fonds Google d'aide à l'innovation numérique dans la presse. Mais Laurent Dupin a raison de faire observer que "ceux qui pèsent le plus touchent le moins". Et pour cause, la PQR a reçu en moyenne 750.000 euros par projet, là où la PQN a reçu 975.000 euros par dossier, alors même que les titres de PQR éligibles à cette aide pesaient en diffusion 2013 quelques 1,61 millions d’exemplaires papiers, quand ceux de la PQN (gonflée du Parisien) pesaient 1,16 millions d’exemplaires.

Loin de moi l'idée de faire de l'anti parisianisme primaire, mais bon!

Le fonds Google a décidé de financer 6 projets de la presse quotidienne régionale, 5 de la PQN,  5 de pure players, 3 de news magazine, 1 mensuel, le site internet d’une chaîne d’informations en continu, un hebdo et un gratuit.

Paywall, data journalisme et vidéo sont mis en avant.

Montant total alloué en 2013 : 16 384 440 euros

Montant moyen alloué : 712 k euros

Il est tout de même intéressant de constater que dans le Top 10 des sites en VU, de Google aux PagesJaunes, ils ont tous baissé.

Très longue interview croisée de Jean-Marie Charon,  sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS d'une part, Frédéric Jutant,  spécialiste du référencement sur les moteurs de recherche à l'agence web Kelcible de l'autre. 

A l'heure où de plus en plus de titres passent au paywall en France, le patron du Guardian estime qu'il est trop tard pour que son journal suive ce chemin. Difficile en effet de ne pas heurter de front des lecteurs qui ont pris l'habitude de la gratuité.

Malgré tout, Andrew Miller ne voit pas les moteurs de recherche comme des ennemis, bien au contraire. Il pense que la presse doit s'adapter au web plutôt que de continuer à protéger son ancien business model. 

Qui a raison? Qui a tort? Le marché ne tardera pas à livrer son verdict.

Cela dit, voici une infographie très instructive pour appuyer le point de vue d'Andrew Miller: http://www.vincentabry.com/le-nouveau-journalisme-passe-par-les-reseaux-sociaux-infographie-34154

Introduction:

"Lagardère Services, l'opérateur Orange et le GIE ePresse ont échoué fin 2013 à se mettre d'accord sur la création d'un kiosque unifié pour la presse numérique en France mais un regroupement face aux géants américains reste toujours d'actualité, selon plusieurs sources du secteur."

Et pour cause,  "la concurrence des acteurs internationaux se renforce. Plusieurs quotidiens, dont Les Echos et Le Monde, ont ainsi rejoint le Newsstand d'Apple fin 2013, tandis que Google a lancé en novembre Play Kiosque, une application qui permet de s'abonner à des publications".

Nina critique avec raison "la paupérisation croissante des contenus".  Et elle nous offre deux très bons liens en prime: un sur une vidéo qui dénonce l'impact de Google et du SEO sur ce même contenu, l'autre qui invite les médias à arrêter de retweeter les cons, car "ça leur fait de la pub". 

LES POINTS PRINCIPAUX DE CET ARTICLE LONG ET RICHE

> Google passe à la vitesse supérieure. On s'achemine vers des algorithmes d’intelligence artificielle sur la base d’informations sémantiques issues des métadonnées, des cartographies, de la robotique, des technos de reconnaissance. Google est en train de passer à l’intelligence à la demande.

> Facebook est devenu pour de nombreux médias, en quelques mois, la principale source de leur audience en ligner Mais ces derniers ignorent tout du fonctionnement, des objectifs, des algorithmes, qui dissocient, fractionnent et réarrangent incessamment l’information. Aujourd’hui, 20% de l’humanité (1,3 milliard de personnes !) est sur Facebook.

> La plupart des contenus sont ignorés. Mais ce qui est retenu se propage très vite par ces réseaux sociaux et les mobiles.

> "En somme, résume Eric Scherer, chez Facebook, qui ne vous montre pas tout, vous n’entendrez pas beaucoup parler de certains de vos amis ; chez Google, vous ne verrez que ce que le moteur de recherche veut bien vous montrer ; et chez Twitter vous en verrez plus que ce que vous souhaitiez !"

> Plus de 50% du trafic du NYT vient des mobiles, via les réseaux sociaux le plus souvent (si bien que Facebook, LinkedIn, YouTube prennent de plus en plus la place du New York Times, de la BBC ou du Monde dans le débat d’idées de la Cité... comme diffuseur. > NDLR: Faut-il alors demander aux réseaux sociaux de reverser une partie de leurs bénéfices aux médias. Il y a des chances qu'ils finissent totalement dématérialisés > Mais alors quelle sera leur indépendance?)

> Au milieu de la surabondance d'info, une idée fait son chemin:  « l’info finira bien par me trouver ». Et si l’info nous trouve, c’est grâce aux algorithmes des réseaux sociaux, capables aujourd’hui de prioriser, classer, associer, filtrer, masquer, notifier. Proclème, ces algorithmes ne sont pas transparents. Et chaque jour Facebook engloutit 500 fois plus de données que Wall Street.

> Quid de la sélection de l'info et de la liberté d'expression.

> Les applis de résumés algorithmiques (Yahoo, Circa, Flipboard) deviennent les nouvelles « homepage » de l’info.

> Avec la pub programmatique en temps réel, l’intelligence artificielle se met aussi au service des annonceurs et profite aux nouveaux distributeurs en ligne au détriment des médias traditionnels en faisant chuter les prix, privant le journalisme d’une partie de son oxygène.

> Les robots-journalistes, atouts ou inconvénients?

> Entre les éditeurs et les algorithmes, pourquoi ne pas essayer d'emprunter une voie hybride, tirant partie du meilleur des deux mondes, via le « push » personnalisé.

> NDLR : les curateurs ont de l'avenir.

Extrait

Les médias visés ont un point commun : ils appartiennent au collectif VG Media – qui compte notamment dans ses rangs le groupe Axel Springer, propriétaire du Bild et du Die Welt – qui avait déposé une plainte contre le géant de Mountain View en juin.

Lire aussi l'article du Figaro "Google passe à l'action contre les médias en Allemagne".  On y apprend que Google apporte plus d'un demi-milliard de clics vers des sites d'information allemands, chaque mois.

N'hésitez pas à cliquer sur les liens pour en savoir plus.

Intéressant, les liens sur la webanalyse et sur YouTube.

Après, il faut savoir que de telles conférences, utiles certes pour les journalistes, ont surtout pour but de permettre à Google de "vendre" ses outils.

Un nouveau poids lourds dans la course... avec quelles retombées pour la presse écrite? A suivre, puisque Google laisse les journaux libres de fixer leur prix.

 Le fonds Google d'aide à l'innovation numérique dans la presse vient de faire 23 heureux. Pour les résultats, il faut encore attendre un peu. 

«Nous avons peur de Google, je dois le dire clairement et honnêtement, car peu de mes collègues osent le faire publiquement», écrit Mathias Döpfner, le patron du groupe de presse Axel Springer, dans une lettre ouverte à Eric Schmidt, président exécutif du conseil d'administration de Google. Problème, Google encaisse outre-Rhin 70 % des recettes publicitaires du Net, tout ça sur le dos de contenus fournis par les titres de presse. « Lorsque la même chose se produira avec les données personnelles des gens (…), la question de savoir à qui elles appartiennent sera l'une des principales questions politiques d'avenir.» estime Mathias Dopfner.

La course au référencement évoquée dans cet article par Jean-Philippe Gronier(son site) existe. Mais je crois que dans l'exemple qu'il prend, le sujet de la cigarette électronique, le problème est ailleurs. Qui est la source? L'AFP. Or, dans des rédactions exsangues, on ne se demande pas ce qui va faire le plus de clics, mais ce qui permettra de faire un journal avec le moins d''efforts humains et financiers. Si cet article est quasiment le même partout, c'est parce qu'il a été écrit par une agence de presse, c'est tout. Et que, faute de moyens, personne ne prend la peine d'enquêter sur le sujet. 

Google est ton ami... si vous avez quelque chose de précis à chercher dans l'océan qu'est internet. Mais si vous êtes un journal...

Dans les années 2000, Google a concentré ses efforts sur le mobile, en lançant le système d'exploitation Android, au succès phénoménal, mais le géant de l'internet a oublié en route d'investir les réseaux sociaux. Google+, lancé en 2011, est donc loin derrière Facebook. Mais Eric Schimdt, le président, pense que la différence se fera sur les Big data et l'intelligence artificielle qui permettront rapidement de proposer des publicités individuelles ciblées via la publicité en ligne. 

Dans la vidéo en ligne à la fin de l'article (2'04"), Eric Schmidt joue les visionnaires, insistant sur les "découvertes phénoménales en matière de traitement des cancers et de diagnostics grâce à la possibilité d'avoir ses propres données génétiques et de rassembler tous les séquençages d'ADN en un endroit". Autant de pouvoirs dans les mêmes mains n'a pas l'air de l'inquiéter. Moi si.

Cet article de Cyrille Frank dans Mediaculture m'avait échappé. Merci Martin. 

Edwy Plenel l'a rappelé lors des Assises du journalisme qui ont été organisées à Metz : le bon journalisme ne peut être gratuit, car il coûte cher à produire.

Seulement voilà, faire du bon journalisme (comprenez du journalisme d'investigation façon Mediapart ou du journalisme long du type de celui que fait la revue XXI) ne suffit pas nous explique en substance Cyrille Frank, alias Cyceron, dans Mediaculture. Il relève trois défauts majeurs du système médiatique: un problème de distribution autant que d'offre, et une aide publique mal répartie. 

L'analyse est pertinente... et malheureusement inquiétante.

Le plus de cet article : Cyceron est fidèle à sa marque personnelle en prolongeant le débat avec sa communauté dans son courrier des lecteurs. Il répond à chacun. Et propose aussi plusieurs liens avec ses archives pour qui veut prolonger la réflexion.