Par Marine Bourrier dans Libération - 5 octobre 2022
Depuis l’introduction du frelon asiatique en France il y a près de vingt ans, l’espèce n’a cessé de se développer sur le territoire. En cause: le réchauffement climatique et ses effets en cascade.
Des coureurs hospitalisés en Normandie, une école évacuée dans l’Hérault, des cyclistes attaqués dans la Loire… Si l’adage veut que la petite bête ne mange pas la grosse, le frelon en ferait presque douter. Ces nombreux cas de piqûres – parfois graves –, recensés sur le territoire tout au long de l’été, sont symptomatiques d’une tendance de fond : la prolifération des frelons en France ces dernières années.
Aujourd’hui, trois espèces coexistent dans l’Hexagone : «le frelon d’Europe, le frelon asiatique introduit en 2004 et le frelon oriental apparu l’année dernière à Marseille», liste Quentin Rome, entomologiste chargé d’études scientifiques au Muséum national d’histoire naturelle. Le frelon asiatique, qui a la particularité d’être classé comme invasif contrairement à son cousin européen, a connu une extension fulgurante depuis le Sud-Ouest vers le nord du pays, colonisant «pratiquement tout le territoire» en une vingtaine d’années, détaille le chercheur.
Fortes chaleurs
Face à cette recrudescence, les entreprises de désinsectisation sont mobilisées. François-Nicolas Sudaka, gérant de l’agence francilienne d’Avipur, société de lutte contre les espèces invasives, le constat est sans appel : «En région parisienne, il n’y avait quasiment pas de frelons il y a de ça dix ans. Maintenant, nous intervenons de plus en plus pour des destructions de nids.»
La Corse et le Haut-Rhin sont les deux seuls départements métropolitains où le frelon asiatique n’a pas encore été détecté, en témoigne la carte interactive du portail français d’accès aux données d’observation sur les espèces. Depuis le début des années 2000, les frelons sont fortement présents dans le Sud-Ouest et remontent le long de la côte Atlantique tandis que la partie est du pays reste relativement épargnée. «La densité des populations de frelons varie en fonction des moyennes climatiques. A l’horizon 2100, les densités que l’on observe dans le Sud-Ouest aujourd’hui devraient s’observer sur tout le territoire», projette Quentin Rome.
Les causes de cette prolifération sont à chercher du côté du réchauffement climatique. «Le frelon se développe quand il n’y a pas trop de variations de températures en hiver et au printemps et que le climat est relativement chaud», explique Quentin Rome. Les zones climatiques favorables à son développement s’élargissent à mesure que les températures et les précipitations augmentent. Si les populations de frelons oscillent d’une année sur l’autre, les fortes chaleurs de 2022 ont fortement favorisé la prolifération des frelons, notamment sur la côte littorale au nord de Nantes.
Mortalité élevée des abeilles
Mais le climat n’est pas le seul facteur. Avec la multiplication des épisodes de sécheresse, de nombreux insectes comme les papillons ou les abeilles – dont les frelons se nourrissent – font face à une mortalité plus élevée. Conséquence : «Une colonie de frelons qui n’a pas assez à manger peut attaquer un peu plus», indique Quentin Rome, qui relativise tout de même l’agressivité de l’espèce.
«A la fin août, on comptabilisait 472 interventions de destruction de nids de frelons sur les neuf communes de l’agglomération, contre 236 sur toute l’année 2021, soit déjà plus du double», glisse Anne-Claire Guillou, directrice environnement bâtiment de la communauté d’agglomération. (ANDBZ/ABACA)
A l’approche de l’automne, les interventions de destruction de nids de frelons se multiplient. «Quand les feuilles tombent, les gens voient plus facilement les nids et nous appellent», interprète le gérant d’Avipur, François-Nicolas Sudaka. Mais le dérèglement climatique pousse également les frelons à jouer les prolongations. «Si on a un hiver ou un printemps doux, on peut se retrouver avec des colonies qui s’étalent dans le temps, entre mars et décembre alors qu’elles sont normalement présentes entre avril et novembre», explique le chercheur Quentin Rome.
Danger sanitaire de catégorie 2
Pour faire face à cette présence grandissante, les autorités locales mettent en place des campagnes de destruction de nids, à l’instar de la communauté d’agglomération de Concarneau Cornouaille (Finistère) qui dispose depuis 2016 d’un formulaire en ligne de demande d’intervention. «A la fin août, on comptabilisait 472 interventions de destruction de nids de frelons sur les neuf communes de l’agglomération, contre 236 sur toute l’année 2021, soit déjà plus du double, glisse Anne-Claire Guillou, directrice environnement bâtiment de la communauté d’agglomération. Sans compter que septembre et octobre risquent d’être des gros mois d’intervention.»
L’objectif est de rassurer les habitants, mais pas seulement. «La piqûre n’est pas plus venimeuse qu’une piqûre de guêpe classique, observe Anne-Claire Guillou. Mais l’impact sur la biodiversité est colossal.» Redoutable ennemi des apiculteurs, le frelon asiatique est classé comme danger sanitaire de catégorie 2 pour l’abeille domestique depuis 2012. Les frelons déciment non seulement les abeilles mais affaiblissent également les ruches en occasionnant un stress qui peut mener à une réduction des réserves stockées, voire un arrêt de la ponte pour la reine. Le code rural prévoit qu’il peut «être nécessaire, dans un but d’intérêt collectif, de mettre en œuvre des mesures de prévention, de surveillance ou de lutte». Bérangère Abba, alors secrétaire d’Etat à la Biodiversité, avait présenté en mars un plan de lutte pour la période 2022-2030 contre les espèces exotiques envahissantes, dont fait partie le frelon asiatique. Pour autant, aucune réelle stratégie de lutte nationale contre l’intensification des frelons n’a pour l’heure été adoptée.
Marine Bourrier
[Image] «La densité des populations de frelons varie en fonction des moyennes climatiques. A l’horizon 2100, les densités que l’on observe dans le Sud-Ouest aujourd’hui devraient s’observer sur tout le territoire», projette un entomologiste. (Alain Jocard/AFP)
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