Professeur à l’Université de la Sorbonne nouvelle, Bruno Nassim Aboudrar décrypte pour diptyk une œuvre ou un motif. Ici, il s’attache aux ruines, sujet récurrent de la photographie africaine contemporaine. Dans ces clichés de lieux désolés, les ruines ne sont pas de précieux vestiges soigneusement restaurés mais symbolisent au contraire la volonté de remiser à l’oubli le passé colonial.
La civilisation de l’Europe moderne et contemporaine […] entretient un rapport très particulier aux ruines […] Dès la Renaissance, et c’est même ce qui caractérise celle-ci, la ruine classique – gréco-romaine – est à la fois la preuve de la grandeur passée de l’Europe, l’indice de sa civilité présente et le gage de sa puissance à venir.
Débroussaillées, consolidées, restaurées, muséalisées, les ruines du Forum et de la Via Appia, par exemple, deviennent des monuments : lieux de mémoire adressés au temps présent et à venir. Les Européens y contemplent un peu le passage du temps, un peu les traces de la vigueur des Francs et autres Goths dont pour une part, ils prétendent descendre, et beaucoup l’ancienneté et la solidité d’une culture à l’héritage de laquelle, pour une autre part, ils ont droit. Elles sont braves, ces ruines, et touchantes : éprouvées par le temps et l’histoire, mais vaillantes. Les autres, qui ne sont pas civilisés, n’ont pas de ruines. […]
C’est tout ce schéma, un peu suranné, certes, mais encore très actif, que subvertit la photographie africaine de ruines, en passe de devenir un véritable genre au sein de la photographie contemporaine. […]
[…] les ruines sur lesquelles s’attarde, il n’y a pas d’autre mot, l’objectif de Gosette Lubondo à Gombe Matadi au Congo ; celui de François-Xavier Gbré à Dakar ou de Guillaume Bonn sur la côte est de l’Afrique ne sont pas vernaculaires, mais coloniales. Profonde ironie. Les puissances européennes, celles qui croyaient bâtir une civilisation, apporter l’histoire, la durée, la pérennité, […] laissent en refluant leurs propres ruines.
[…] La ruine à l’européenne était monument, au double sens d’édifice et de lieu de mémoire, la ruine européenne en Afrique est (mauvais) souvenir, abandon, bientôt réminiscence.
…
> Extraits de l’article de Bruno Nassim Aboudrar publié sur diptykmag.com à retrouver en intégralité sur https://bit.ly/39xmxyW