Rencontre avec Romain Julliard, Professeur au Muséum national d'Histoire naturelle, qui vient de mettre sur pied Mosaic, une unité entièrement dédiée à l’accompagnement de projets participatifs. Un projet qui doit permettre d'accélérer la transition environnementale.
Par Hugo Struna, 05.06.2020
[...]
"On a beaucoup reproché aux tenants des sciences participatives de faire des bénévoles de simples collecteurs de données, en somme de pallier les manques de moyens de la recherche académique par la mobilisation d’une nouvelle « armée de réserve »... Pourtant, grâce au numérique, le rapport de force tend à s’inverser…
Cette idée provient dans une large mesure d’un malentendu. La forme classique de la recherche est ce qu’on appelle « hypothético-déductive ». Celle-ci revient à poser une question – après une revue de la bibliographie existante -, établir un protocole, collecter les données, analyser et répondre à la question initiale. La partie « noble » de la recherche se trouve implicitement en amont et en aval de la collecte de données. Avec le recul, les sciences participatives telles que nous les pratiquons s’inscrivent plutôt dans une démarche inductive : des questions émergent de la base de données après coup, alors même que la question initiale est encore très floue. Prenons l’exemple de l’observatoire SPIPOLL [Suivi photographique des insectes pollinisateurs, protocole de Vigie-Nature, ndlr], consistant à photographier les insectes qui se posent sur une fleur pendant 20 minutes : le protocole est très standardisé mais l’observation laisse une part de liberté. On peut prendre des photos quand on veut, où l’on veut et recommencer au rythme que l’on souhaite. Nous, chercheurs, allons ainsi dépendre de la manière dont les contributeurs collectent les données pour faire nos analyses. Les participants orientent ainsi implicitement les questions que l’on se pose, ce dont ils ont probablement conscience et qui devient de plus en plus explicite avec l’expérience.
Dans le SPIPOLL et dans les programmes que nous déployons, nous donnons aux participants la possibilité d’échanger autour des données produites via des forums de discussion. Ils construisent ainsi eux-mêmes une partie du contrôle qualité des données. Certains ont fait la recommandation d’ordonner leurs photos en les regroupant par ordre : les hyménoptères, puis les lépidoptères, les coléoptères, etc. Par imitation et encouragement, tout le monde a adopté cette organisation. Autre exemple : de plus en plus de contributeurs photographient des araignées sur les fleurs, comme suggéré dans le protocole. Au départ elles étaient plutôt rares dans la base de données. Quelques-uns ont commencé à publier des photos d’araignées, s’en est suivie une augmentation très forte. C’est devenu une norme, sans qu’on délibère là-dessus. De la même façon, nous avons vu apparaître des collections crépusculaires au flash, ce qui en revanche n’était pas prévu dans le protocole.
« Dans une certaine mesure, on peut dire que les contributeurs instrumentalisent les chercheurs pour valoriser leurs données »
Nous avons ainsi plein d’indices qui montrent qu’à l’échelle individuelle et surtout collective les contributeurs, à travers leurs échanges, animent pour partie eux-mêmes le projet. On peut presque inverser l’image d’Épinal des chercheurs qui « exploitent » les contributeurs : je dirais même que, dans une certaine mesure, les contributeurs nous instrumentalisent pour valoriser leurs données. C’est un partenariat entre chercheur et contributeur, chacun devinant l’intention de l’autre en essayant de faire au mieux."
(...)
→ 'science participative' in EntomoScience
https://www.scoop.it/topic/membracides/?&tag=science+participative
(32 scoops)
→ 'SPIPOLL' in EntomoScience
https://www.scoop.it/topic/membracides/?&tag=SPIPOLL
(8 scoops)