« Aucun gouvernement n’a suivi ou devancé avec une telle constance les desiderata du productivisme agricole » | Les Colocs du jardin | Scoop.it
CHRONIQUE. Un canular orchestré par Extinction Rebellion annonçait, fin novembre, la fusion de la FNSEA et du ministère de l’agriculture. Une farce pas si absurde, relève Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

 

Stéphane Foucart

Publié le 11 décembre 2021 - Mis à jour le 12 décembre 2021

 

Une cécité enthousiaste

"Dans le passé récent, aucun gouvernement n’avait, avec une telle ardeur, une telle constance et une si enthousiaste cécité, suivi ou devancé les desiderata et les commandements du productivisme agricole. Mise de la gendarmerie nationale à la disposition de la FNSEA, avec la création de la cellule Demeter [1] (chargée de surveiller les critiques de l’agriculture industrielle), démantèlement des aides au maintien de l’agriculture biologique et projet d’attribuer des subventions « vertes » à l’agriculture conventionnelle, abandon de facto de la lutte contre les nitrates issus de l’élevage intensif, soutien actif à la construction de méga-bassines pour l’irrigation, recul sur la sortie du glyphosate [2], remise en selle des néonicotinoïdes [3], volonté de déréguler les « nouveaux OGM »… La liste est ouverte."

(...)

 

 

 

[1]  Vives critiques contre Déméter, la cellule de gendarmerie surveillant les « atteintes au monde agricole » [Image]

 

L’adjudant-chef s’est présenté cinq minutes pile avant l’heure convenue, le 26 janvier à 14 h 55. « On vient pour Déméter, mais nous ne sommes pas là pour vous surveiller », a assuré le gendarme. Tandis qu’il prépare le café dans sa cuisine à Samonac (Gironde), Henri Plandé sait très bien qu’il ne s’agit pas d’une référence à Déméter, la déesse grecque des moissons, et encore moins à la marque de certification de produits issus de l’« agriculture biodynamique ».

 

Non, la Déméter qui rend cette visite dominicale au président de la petite association Alerte pesticides Haute Gironde, est en fait la « cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole ». Créée le 3 octobre 2019 et pilotée par la gendarmerie nationale, elle a pour objectif de « prévenir la commission d’actes délictueux », précise le dossier de presse du ministère de l’intérieur.

 

 

[2] Glyphosate : le gouvernement renvoie la question de l’interdiction au niveau européen

 

"... un pesticide classé cancérogène, mutagène, reprotoxique ou perturbateur endocrinien, probable ou avéré, ne peut être autorisé en vertu du droit européen. Une contribution française à ce volet de l’expertise – pour trancher la controverse sur la cancérogénicité du glyphosate – était prévue. Mais elle a tourné court.

 

Saisie par le gouvernement en mars 2018 pour commanditer des études susceptibles de faire avancer la connaissance sur le sujet, l’Anses n’a pu réunir un consortium de laboratoires pour travailler sur la question : mi-juin, la révélation de conflits d’intérêts internes à la procédure d’appel d’offres a conduit à l’annulation du projet de recherche.

 

 

[3] Le retour des néonicotinoïdes a été voté à l’Assemblée par une majorité plus que jamais divisée

 

Les betteraves, « les abeilles, les oiseaux et les papillons »

Face à l’opposition d’EDS, de La France insoumise (LFI) et des socialistes, le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, aura tenté, non sans mal, de désamorcer l’idée d’un exécutif à la solde des lobbys ou arbitrant cyniquement entre écologie et économie, tout en martelant l’impératif de souveraineté de la filière. « Ici, nous sommes tous favorables à l’arrêt des néonicotinoïdes », a-t-il lancé, au risque de s’exposer à des railleries.

« S’il y a quelque chose d’enrobé, ce ne sont pas les graines de betteraves, mais bien votre discours », a lancé le député (LFI) du Nord Ugo Bernalicis dans la soirée. « Céder à la pression des plus récalcitrants aux changements ne s’appelle pas du courage mais du conservatisme », a déclaré, pour sa part, Delphine Batho, députée (EDS) des Deux-Sèvres et ancienne ministre de l’écologie, appelant « chaque député à faire le choix de la survie du vivant, à voter pour les abeilles, pour les oiseaux et pour les papillons ».

 

[Image] COLCANOPA