Peut-on déjà parler d’une société de l’information et de la communication, bien que la majorité de la population fût encore analphabète ? Je pense que oui. J’entends presque tous les jours que nous vivons aujourd’hui dans une société d’information. Mais chaque société a été une société d’information, selon les médias de l’époque. Au XVIIIe siècle, quand la majorité des Français étaient analphabètes, la communication se faisait essentiellement de bouche à oreille. Malheureusement, ces messages oraux n’ont laissé que peu de traces. En découvrant par hasard l’Affaire des Quatorze aux archives de la Bastille, j’ai été absolument ravi et enthousiasmé d’avoir la possibilité de cerner les chemins de cette communication orale.
Cette communication se faisait beaucoup par les chansons, dont certaines ont pu être littéralement exhumées grâce à vos recherches.
Ça, c’était une grande aventure. J’ai lu plusieurs centaines de chansons de rue, notamment à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Ces textes étaient rassemblés dans des albums qu’on appelait à l’époque des « chansonniers ». On y trouve toujours des indications du type « chanté sur l’air de ». Sur l’air de La Béquille du père Barnabas par exemple, un des airs favoris de cette époque. Je n’avais jamais entendu parler de cet air. J’ai finalement trouvé la notation musicale au département de musicologie à la BnF, et Hélène Delavault, qui est une amie, a accepté d’enregistrer une douzaine de chansons avec un guitariste. Ce cabaret électronique est disponible sur la Toile, le lecteur peut ainsi lire les textes en écoutant la musique. Tout en renforçant le message, la musique avait un pouvoir mnémotechnique. Les rues de Paris étaient baignées de chansons populaires et politiques faciles à mémoriser. On chantait partout, en travaillant, dans les rues… Un véritable feu d’artifice sonore. C’était un médium très important au milieu du XVIIIe siècle. C’est pour cela d’ailleurs que la police, les ministres et le roi lui-même se tenaient informés des chansons les plus récentes.