Jardins, PAYSAGE et génie naturel Par Gilles Clément | URBANmedias | Scoop.it

Parler du jardin ou du paysage dans le cadre du Collège de France, c’est envisager le jardin et le paysage comme un ensemble susceptible d’être enseigné sous la forme de cours. De mon point de vue, le jardin ne s’enseigne pas, il est l’enseignant. Je tiens ce que je sais du temps passé à la pratique et à l’observation du jardin. J’y ajoute les voyages, c’est-à-dire la mise en comparaison des lieux que l’homme habite et dans lesquels il construit à chaque fois un rapport au monde, une cosmologie, un jardin. J’y ajoute encore les rencontres, la diversité des pensées, la surprise, l’ébranlement des certitudes. Ces pratiques de terrain auxquelles je dois tout s’appuient néanmoins sur un alphabet du savoir, ce à quoi chacun de nous devrait avoir accès et que, précisément, on appelle des cours, nécessaires pour accéder à l’expérience.

 

Aussi me suis-je demandé comment on pouvait dispenser un savoir presque tout entier issu de la confrontation avec le terrain sous une autre forme que celle de l’atelier. L’atelier : un assemblage d’énergies croisées où les enseignants, « enseignés » par les étudiants et par le terrain lui-même, se contentent de réajuster les trajectoires de la puissance créative pour renforcer la cohérence et la clarté de la pensée. Aussi je remercie le Collège de France, et plus particulièrement Philippe Descola, de m’avoir invité à un exercice nouveau : faire passer le champ de nos hésitations à ceux qui, venus en étudiants, pourraient, à la fin, se découvrir jardiniers.

 

 

Je parle de jardiniers et non de paysagistes, ou de techniciens de l’environnement, bien que les fonctions correspondant à ces profils soient liées entre elles. En composant le jardin, le jardinier crée un paysage ; en l’accompagnant dans le temps, il fait appel aux techniques de maintenance horticoles et environnementales. Il couvre le champ de la complexité des fonctions assumées séparément par le paysagiste et le technicien, mais avant tout il s’occupe du vivant. Cette charge singulière le démarque de tous les acteurs de l’espace public : les architectes, les urbanistes, les artistes, les aménageurs divers et, bien sûr, les paysagistes. S’il n’est pas nécessaire de faire appel au vivant pour construire un paysage, il est impensable de s’en passer dans un jardin. Pour cette raison, j’utiliserai plus souvent le terme de jardinier que celui de paysagiste. Cela se comprend ainsi : le paysagiste règle l’esthétique changeante du jardin (ou du paysage) ; le jardinier interprète au quotidien les inventions de la vie, c’est un magicien.

 

L’un et l’autre se complètent, mais pour des raisons historiques récentes qui bouleversent le rapport de l’humanité à son habitat, on ne peut concevoir le rôle du paysagiste cantonné à la seule construction formelle ou fonctionnelle de l’espace en faisant abstraction de la dimension biologique, à moins d’en faire un simple designer, ce qu’il n’est pas.


Via François Arnal, Isabelle Mouillard