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Il existe peut-être une option : celle qui consiste à saboter cette machine infernale en faisant le choix de ne plus être connecté à rien.

 

Passé les gesticulations autour de la minable affaire Griveaux, les explications qui nous ont été exposées pour justifier la diffusion d’images intimes méritent qu’on s’y attarde. Elles reposent sur un raisonnement très simple selon lequel Internet serait un nouveau pouvoir entre les mains des citoyens, donc plus démocratique, car il échapperait au contrôle des vieux pouvoirs traditionnels à la botte de la caste politicienne et des structures étatiques. Grâce à lui, le peuple détiendrait enfin son propre quatrième pouvoir, celui de diffuser des informations qui éveilleront la conscience des peuples et renverseront les oligarchies politiques.

Il est vrai que le contrôle de l’information est inhérent à tout pouvoir. Celui qui sait est celui qui dirigera. Celui qui ne sait pas est celui qui subira. Le pouvoir ne se partage pas, et l’infor­mation encore moins.

Le pouvoir, c’est l’information, et celui qui contrôle l’information détient le pouvoir.

Ces cinquante dernières années, les tentatives pour créer des médias de gauche et libres furent rares. Au début des années 2000, tous les regards se tournent alors vers Internet. Internet devient la voiture-balai de tous les échecs de la gauche pour créer des médias indépendants. Blogs et sites en tout genre, de qualités variables, se rêvent en alternative aux médias dominants associés au pouvoir en place. Les révélations de Julian Assange, menacé d’extradition vers les États-Unis, ainsi que les documents dévoilés par Snowden sur l’emprise de la NSA sont des tentatives audacieuses pour informer le public de ce qu’on lui cache, avec l’espoir que son esprit enfin éclairé l’entraînera vers les chemins de la révolte. Internet devient un champ de bataille gigantesque, plus grand que le front russe en 1941 ou que l’océan Pacifique en 1944, et les rebelles comme Assange ou Snowden peuvent demander l’asile politique à n’importe quel pays, cela ne leur sera d’aucun secours, car pas un mètre carré de notre planète n’est épargné par cette guerre pour le contrôle d’Internet et de l’information.

 

Peut-on échapper à cet affrontement mondial ? On se doute bien que des agences comme la NSA, la CIA, le FSB cherchent à mettre la main sur ce nouveau pouvoir qu’est Internet. Tout comme ceux qui veulent échapper à l’emprise de ces organisations et qui rêvent aussi de s’approprier Internet pour diffuser les informations qui serviraient leur cause politique. Le pouvoir, c’est l’information, et celui qui contrôle l’information détient le pouvoir.

Quelle que soit l’issue de ce combat homérique, rien ne nous donne la garantie que l’usage que les vainqueurs feront d’Internet sera plus honnête que celui qu’en auraient fait les perdants. La minable affaire Griveaux nous en donne un avant-goût. Vaut-il mieux être surveillé par la NSA ou par un olibrius russe qui diffuse nos vidéos privées ?

Vaut-il mieux être manipulé par des bataillons de hackeurs poutiniens ou suivi à la trace par Amazon grâce à nos achats sur le Net ?

Aucune de ces perspectives n’est vraiment réjouissante. Comme au XXe siècle, où le monde fut écartelé entre deux totalitarismes, il nous faut trouver notre place sur ce champ de bataille impitoyable.

 

Il existe peut-être une autre option. Une autre voie à la portée de tous. Celle qui consiste à saboter cette machine infernale en faisant le choix de ne plus être connecté à rien, de débrancher nos ordinateurs, de jeter nos smartphones à la poubelle, d’écraser nos montres connectées, de broyer nos tablettes et de déconnecter notre maison surveillée par Google. L’acte contestataire ultime ne nous laissera peut-être pas d’autre possibilité que cette solution.

 

Ces nouvelles technologies numériques nous ont été vendues comme de la drogue. Pour déclencher notre dépendance, on a inondé nos vies d’objets connectés de moins en moins chers, comme le font tous les dealers du monde quand ils distribuent à bas prix des doses de drogue pour créer l’addiction chez le consommateur. L’indépendance éditoriale rêvée de tous ne peut faire l’économie d’une réflexion sur notre dépendance aux technologies numériques. Sans quoi, on pourra créer sur le Net tous les médias alternatifs qu’on veut et y publier toutes les informations ultrasecrètes, notre activisme numérique ne fera que nourrir cet ogre jamais rassasié qu’est Internet et le renforcer à l’infini.

 

Riss