Les Inrocks - Gérard Filoche : "Internet ? C'est merveilleux ce truc-là" | Toulouse networks | Scoop.it

Chaque semaine, nous interrogeons une personnalité sur son rapport au web. Ancien inspecteur du travail, aujourd'hui membre du bureau national du PS, Gérard Filoche n'a pas peur de critiquer durement le gouvernement qu'il a pourtant soutenu. Très prolixe sur Twitter, pédagogue sur son blog, il a fait d'internet un outil central au service de son combat politique.

  

Quel est votre premier grand moment avec internet ?

Gérard Filoche – J’approchais la fin de ma carrière d’inspecteur du travail, c’était en 2004, j’avais eu un litige avec l’entreprise de cosmétique Guinot-Mary Cohr. Une femme avait été mutée dans des conditions discriminatoires à son retour de maternité, alors que le code du travail stipule bien qu’après cette période, un salarié retrouve un contrat de travail identique ou similaire, à celui qu’il avait avant son départ. Je m’étais rendu au CE de l’entreprise, la direction m’a reproché de l’avoir entravé et m’a poursuivi en justice.

Durant le procès, on a lancé une pétition sur internet qui a récolté 62 000 signatures. J’ai reçu des milliers de messages de soutiens. En 2012, le dernier jugement a été rendu. J’ai gagné l’ensemble des procès, 14 à 0. Je les ai gagnés en grande partie grâce à internet. A ce moment-là, je me suis rendu compte de la puissance de cet instrument pour le militantisme.

Avec internet, on peut aussi retrouver des émissions de télé qui ont déjà été diffusées. En 2013 sur LCI, j’étais invité sur le plateau de Michel Field (avec qui j’avais tracté dans les années 1970 d’ailleurs) pour parler de l’Accord national interprofessionnel (ANI). Au dernier moment, le programme change et je dois m’exprimer sur l’affaire Cahuzac. La vidéo a été beaucoup regardée en replay. Le lendemain ma boîte mail était bloquée, je ne comprenais pas pourquoi. J’ai demandé à mon fils d’essayer de regarder, il m’a dit qu’elle était saturée, j’ai dû racheté du stockage. J’avais reçu 25 000 mails, je n’ai évidemment pas pu répondre à tous.


Qu’est-ce qu’internet vous apporte dans votre combat politique ?

J’ai près de 52 ans de militantisme derrière moi. Dans les années 1960, on imprimait des tracts sur une ronéotype Gestetner (ancêtre de l’imprimante, ndlr). On retranscrivait nos textes sur des papiers translucides, des stencils, ensuite on les déposait sur le rouleau encreur, puis ça imprimait les tracts. Au mieux, on faisait 1 000 versions d’un même tract, mais le plus souvent autour de 800, pas plus, sinon la machine pouvait s’abîmer. Si jamais ça se cassait, il fallait tout reprendre. Pour les recto-verso, une fois un côté effectué, on devait retourner la ramette et faire dans l’autre sens. On passait une journée entière pour imprimer un tract de 4 pages. Il fallait des dizaines de centaines d’heures pour s’exprimer et parvenir à toucher un millier d’étudiants. La photocopie est arrivée au début des années 1970, mais c’était cher.

A l’université de Rouen, avec des camarades, on avait imprimé le livre de Wilhelm Reich La lutte sexuelle des jeunes, censuré sous de Gaulle. Il faisait une quarantaine de pages, à reproduire et à assembler. On a mis une quinzaine de jours. Vous comprenez maintenant ma fascination lorsque je vois qu’un tweet peut être relayé 13 000 fois en seulement quelques instants. Ça demandait tellement de travail, on traitait de tous les sujets : de la guerre au Viêt-Nam, de la sélection à l’université, des entreprises en grève avant Mai 68. Il y avait tant de difficultés à l’époque, aujourd’hui on peut réagir en un flash.

Vous vous êtes inscrit sur Twitter en 2009, au même moment que la plupart des personnalités politiques françaises. On vous a conseillé de le faire ?

Oui, des camarades de Démocratie & Socialisme (revue dont il a la rédaction-en-chef, ndlr) m’ont conseillé de m’y inscrire. Sur Facebook aussi, mais j’aime moins, on est limité à 5 000 caractères, je suis brimé (rires). L’avantage de Twitter, c’est la rapidité, et je suis pas mal suivi (27 800 followers, ndlr). Dans les années 1970, lorsqu’on envoyait un communiqué à l’AFP, il était peut-être relayé une fois sur 100. Aujourd’hui on le fait soi-même, en un tweet. D’ailleurs, il arrive que des médias m’invitent au sujet d’un post.

Sur Twitter, je suis traqué par les libertariens, ceux qui veulent une société sans intervention de l’État, autrement dit tuer la sécurité sociale, le système de retraites, etc. Je les appelle les “fachos cro-magnons”, parce qu’ils veulent nous faire retourner à l’âge de pierre. Je réponds à leurs commentaires. Ça me met en jambe. J’apprends à condenser mon propos en 140 signes, c’est un bon exercice pour répondre aux questions des journalistes, quand je suis invité à BFM TV ou à la radio. Le temps imparti est court, les questions sont toujours les mêmes, on peut les anticiper. Avec Twitter, je m’entraine à trouver des slogans, des tournures efficaces. “Ubériser”, “macroniser”, ce sont des expressions que j’ai inventées en tweetant.


Justement en termes de slogans, vous n’y allez pas de main morte… C’est ce qui fait mon charme. Il y a de ça deux étés, j’ai posté un tweet à propos du pape qui a généré beaucoup de réactions.


Puis il y a ce fameux tweet sur la mort de de Margerie, le patron de Total. Je prenais le train pour Paris, j’ai publié ce petit tweet où je disais que c’était “un coup dur pour l’oligarchie”, en une heure c’était le déferlement. Bernard Maris est d’ailleurs le seul à m’avoir soutenu (numéro de Charlie Hebdo du 29 octobre 2014, ndlr). Ciotti (député Les Républicains, ndlr) avait crié au scandale. Tout ça débouche sur Valls qui en début d’après-midi, annonce à l’Assemblé nationale que je ne devrais plus être au bureau national du parti…

J’ai d’ailleurs eu des centaines de tweets lors de la fausse annonce de la mort de Martin Bouygues, des gens qui s’attendaient à une réaction de ma part. Je leur ai répondu que je me réservais pour Serge Dassault (rires).

Ces chose-là, c’est pour le plaisir de provoquer. J’aime mieux les vraies batailles idéologiques. Par exemple ça fait maintenant huit mois que je fais du Macron matin, midi et soir, que je critique son projet de loi indigne qui veut nous ramener au XIXe siècle.


 

On vous fait des reproches à ce sujet au bureau national du PS ?

Je n’ai même pas de remarques. Macron n’est même pas au PS, si ça loi devait être votée au bureau national elle serait minoritaire. Je l’attaque sur des sujets que peu de gens connaissent, en particulier sur le droit du travail. Je fais même des formations au PS sur ces sujets. Je discutais avec un membre de son cabinet la dernière fois, qui ne connaissait même pas l’article 2064 du code civil (article qui renvoie la procédure de gestion des litiges entre salariés et employeurs aux dispositions du code du travail, et que le projet de loi pour la croissance et l’activité vise à modifier), alors que c’est une menace terrifiante, c’est le virus Ebola de la loi Macron.

Un autre exemple, le bulletin de paie. J’ai fait beaucoup de tweets à ce sujet ces derniers jours. On veut faire moins de lignes, on veut nous faire croire que les gens ne savent pas lire, qu’ils n’y comprennent rien. Alors que sur la feuille d’impôts il y en a bien plus et pourtant ça ne gêne personne. C’est juste un moyen de masquer le salaire brut, alors que c’est le plus important, puisqu’il contient les cotisations sociales !

En-dehors du gouvernement, vous n’épargnez pas les dirigeants européens. Vous traitez Jean-Claude Juncker de “corrompu”, accusez Wolfgang Schäuble de “pinochiste” …


Il y a des faits derrière ces réactions. Lorsque je dis que Juncker est un “mafieux”, je parle de Luxleaks, qu’il a encouragé, ça représente 2 400 milliards d’euros d’évasion fiscale ! Avec ça la crise est réglée. Quand on voit que l’Union européenne refuse les propositions de commission d’enquête sur “Luxleaks” et “SwissLeaks”, Junker a certainement cherché à les entraver. Schäuble aussi est un corrompu (impliqué dans l’affaires dîtes des “boîtes noires de la CDU”, concernant le financement illégal du parti dans les années 1990, ndlr), celui qui a fait les lois anti-social, Hartz, pareil il s’est fait épinglé (condamné pour faits de corruption lorsqu’il était DRH de Volkswagen, ndlr). Il faut le dire.

Les corrompus ce ne sont pas les Grecs, les corrompus ils sont à la tête de l’Europe. Après on me dit “trop à gauche”, mais je suis un social démocrate modéré. Quand Schäuble demande que des administrateurs viennent diriger la Grèce à la place du gouvernement, il veut mettre en place une dictature à la Pinochet. A côté de ces gens là, de Macron, Sigmar Gabriel, Martin Shultz, je suis gentil et modéré. Quand j’entends certains dire que le droit du travail est une entrave à l’emploi, je me dis que je suis un pâle social-démocrate.

Entre Twitter, votre blog, le site Démocratie & Socialisme, vous devez passer vos journées devant votre ordinateur…

C’est vrai que j’y passe beaucoup de temps, mais il faut voir les choses comme un enchaînement d’étapes. Twitter c’est de la musculation. Sur Facebook le propos est déjà un peu plus développé, puis je peux ajouter des illustrations. Sur mon blog, là les sujets sont beaucoup plus détaillés, j’essaie de faire de la pédagogie. Sur le site de Démocratie & Socialismeaussi les articles sont plus importants, et on publie des petites vidéos entretien qui font pas mal de vues. On partage aussi les vidéos des émissions dans lesquelles on apparaît en public, notamment celle d’Un soir à la tour Eiffel sur France 2 à laquelle j’ai participé et qui a fait près d’un million de téléspectateurs.

Depuis l’automne dernier, j’ai fait une centaine de meetings à travers la France sur le projet de loi Macron. Je prends beaucoup le train, j’en profite pour tweeter, écrire des articles. C’est un tout. Une fois accumulés tweets, posts facebook, les articles sur mon blog et sur Démocratie & Socialisme, tout ceci s’emboîte est donne un livre. Dans ma vie, j’en ai écrit 31. Depuis 2010, j’en ai publié 5 et en ce moment j’en ai trois en préparation. L’un sur la loi Macron, mais j’attends l’avis que doit rendre le Conseil constitutionnel pour le terminer, l’autre sur l’histoire de la gauche de 1994-2014, le dernier ce sera un polar. Je prévois aussi de publier quelque chose en 2017. Ce ne sera pas seulement la date de la présidentielle, c’est aussi le centenaire de la Révolution russe.

Quand ce n’est pas pour votre activité politique, comment utilisez-vous internet ?

Quand je m’exprime sur Twitter, ce n’est pas uniquement sur des sujets politiques. J’aime beaucoup la littérature américaine, notamment James Ellroy. Je me suis permis un petit commentaire quand j’ai fini Perfidia.



Sur internet, je fais comme tout le monde, je vais voir des trucs qui m’intriguent, ou alors j’y vais pour contacter des personnes qui me manquent. J’ai accumulé des tonnes de brochures, de livres politiques, depuis le début de mon militantisme, ça monte jusqu’au plafond. Mais je ne les consulte plus. Tout est sur internet, en plus complet.

Quand je travaillais comme inspecteur du travail, tous les matins j’avais un tas de revues sur le droit social et je faisais ma revue de presse. Aujourd’hui je ne les reçois plus, mais je continue à les consulter grâce à internet. Je tiens aussi une rubrique dans L’Humanité dimanche intitulée “Au boulot”. Je me sers d’internet pour mes recherches. C’est merveilleux ce truc-là.

Propos recueillis par Jean-Christophe Catalon