Diffamation sur Twitter : à la recherche d’une jurisprudence | Toulouse networks | Scoop.it

llustration Coloranz avec The Noun Project et Twitter.


C’est toujours la même musique : celle de la police de l’Internet qui vient tambouriner à votre porte pour vous demander des comptes. Dernier exemple en date : Dominique Bussereau. Mis en cause dans un récent article du Canard enchaîné pour une sombre histoire de dépenses publiques, le député de Charente-Maritime a menacé de poursuivre en diffamation tous les internautes qui auraient l’outrecuidance de publier des photos de l’article sur Twitter. Le tout en invoquant son avocat comme on tire à la carabine dans une fête foraine.

Plutôt que de mazouter le palmipède en poursuivant le journal satirique devant les tribunaux, l’ancien ministre des transports préfère donc s’en prendre aux relais de l’information, en agitant son gourdin bordé d’hermine : « Twitter implique des responsabilités et de se conformer aux prescriptions légales… même quand on se cache courageusement derrière un pseudo. » La manœuvre n’est pas sans rappeler celle d’un certain Jerôme Cahuzac. En décembre 2012, après les révélations de Médiapart sur son compte en Suisse, l’(encore) ministre du Budget avait mis en joue la twittosphère : « Je n’ai jamais eu de compte en Suisse ou ailleurs. C’est ahurissant. Je poursuivrai tous ceux qui reprendront cette calomnie gravement diffamatoire et qui porte atteinte à mon honneur. Y compris ici ! »

Un an et demi plus tard, de Cahuzac à Bussereau, aucun internaute n’a été condamné par la justice pour diffamation en moins de cent quarante caractères. Jean-François Copé a bien obtenu la condamnation d’un utilisateur de Twitter à 150 euros d’amende avec sursis pour injures publiques, mais rien en ce qui concerne strictement « l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé » (article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

En février dernier, la sénatrice de Seine-Maritime, Catherine Morin-Desailly, a bien essayé de poursuivre une conseillère régionale d’Europe Ecologie-Les Verts pour un micromessage peu amène sur sa santé mentale ; mais la justice a prononcé la nullité de la procédure, ne se positionnant même pas sur le fond de l’affaire. Mais alors, qui sera le patient zéro, celui dont le cas fera jurisprudence ?

Vider l’océan à la fourchette

Selon la jolie expression d’Emmanuel Netter, maître de conférence en droit privé à l’université de Picardie-Jules Verne et cofondateur du blog Un peu de droit, « on ne peut pas vider l’océan à la fourchette ». En rappelant que les juridictions, quel que soit leur degré, n’ont établi aucune jurisprudence en matière de diffamation sur Internet, il rappelle les contours de la loi : « Il existe deux moyens de défense. Le premier, c’est l’exception de vérité [en d’autres termes, l’information que vous relayez est vraie, et vous aurez à le prouver, ndlr]. La seconde, c’est le fait justificatif de bonne foi, selon la loi de 1881 [à savoir "légitimité du but poursuivi, absence d'animosité personnelle, prudence et mesure dans l'expression"]. » En d’autres termes, un tweet sobre tel « Des explications, @DBussereau ? » suivi d’un lien a moins de chances de se faire démonter au tribunal qu’un « ENCORE UN DÉRAPAGE DE CET ESCROC DE @DBUSSEREAU », agrémenté du même lien.

Reste la question de la visibilité. Devant un juge, il faut bien le reconnaître, la taille compte. Emmanuel Netter rappelle que « la Cour européenne des droits de l’homme tend à invoquer l’article 6 de la CEDH – qui garantit la liberté d’expression – quand les messages concernent des personnalités politiques ». Il n’empêche : si vous êtes un gros compte (ou un journaliste, ou les deux), vous risquez de vous retrouver en première ligne devant la justice. En 2012, des internautes britanniques ont pu en faire l’expérience. Accusé à tort de pédophilie dans un documentaire diffusé par la BBC, Lord McAlpine, un ancien conseiller de Margaret Thatcher, a vite contre-attaqué quand la fausse information a été abondamment reprise sur les réseaux sociaux.

Après avoir obtenu de copieux dommages et intérêts de la part des médias, il a poursuivi une poignée de comptes Twitter plus saillants que les autres, parmi lesquels un humoriste, un éditorialiste du Guardian et surtout, la femme du président de la Chambre des communes. Mais ce n’est pas tout : l’avocat de Lord McAlpine a mis sur pied un site permettant aux utilisateurs de Twitter plus anonymes (ceux comptant moins de cinq cents followers) de s’excuser publiquement et de donner quelques livres sterling à une œuvre de charité. Vous voilà prévenus : au royaume des oiseaux qui gazouillent, on pêche surtout les gros poissons.