Twitter veut dynamiter les réseaux sociaux | Toulouse networks | Scoop.it

 

Twitter va monter une équipe nommée « Bluesky ». Elle développera des standards open source pour créer des médias sociaux décentralisés, afin de mieux traiter la désinformation ou les bulles de filtre. Twitter en sera utilisateur.

 

C'est une petite bombe qu'a lancée mercredi Jack Dorsey, le patron fondateur de Twitter. Dans une série de messages sur le site de microblogging, il décrit un nouveau projet, Bluesky, susceptible de changer fondamentalement la façon dont fonctionnent les réseaux sociaux.

« Twitter finance une petite équipe indépendante de cinq architectes, ingénieurs et designers open source pour développer un standard ouvert et décentralisé pour les médias sociaux, écrit '@jack'. L'objectif est pour Twitter d'être à terme un client de ce standard. »

 

En clair, l'entreprise ne veut plus dicter à elle seule les règles de fonctionnement de sa plate-forme. Demain, grâce à un cadre standardisé dont le code informatique sera public, n'importe qui pourrait créer sa propre version de Twitter. Ces multiples services seraient interopérables, y compris avec celui du groupe californien.

Retour à l'Internet d'avant

Pour expliquer la philosophie de cette évolution radicale, Jack Dorsey cite  un article publié l'été dernier par Mike Masnick , le fondateur du blog Techdirt, qui appelle à la création de protocoles plutôt que de plates-formes.

« Cette approche nous ramènerait à ce qu'Internet était avant. L'Internet des débuts recourrait à de nombreux protocoles - des instructions et des standards que chacun pouvait ensuite utiliser pour construire une interface compatible, peut-on y lire. Les e-mails utilisaient SMTP (Simple Mail Transfer Protocol). Le chat se passait sur IRC (Internet Relay Chat) […] le World Wide Web lui-même était son propre protocole : HyperText Transfer Protocol, ou HTTP. »

Grâce à ces protocoles standards, un utilisateur de Gmail peut envoyer un message sans problème à un utilisateur de Hotmail ou même à quelqu'un ayant son propre serveur de mails. Ce n'est pas le cas dans le monde des réseaux sociaux, où Facebook, Twitter ou TikTok sont autant d'écosystèmes propriétaires fermés. Se doter d'une brique de base pour les réseaux sociaux similaire à ce que SMTP est au mail serait une petite révolution.

 

Dans un tel système, « n'importe qui pourrait créer ses propres règles - y compris quel contenu il ne souhaite pas voir et quel contenu il veut voir promu », écrit Mike Masnick. Et même si tout un chacun ne se lance pas dans l'aventure - comme pour les mails - un certain nombre de fournisseurs tiers se concurrenceront, au bénéfice des utilisateurs.

Le poids de la censure

Jack Dorsey y voit deux intérêts majeurs : cela obligera Twitter à « être bien plus innovant que par le passé ». Et surtout, cela enlèvera de ses épaules le poids de devoir décider quel contenu est autorisé ou non et quel contenu est poussé vers les utilisateurs en priorité. C'est une épine majeure dans le pied des plates-formes. Comme Facebook, Twitter est régulièrement critiqué - à la fois pour son côté permissif - laissant son service être le support de discours de haine ou de fausses informations - et pour son rôle de censeur - trop politique au goût de certains.

« L'application centralisée d'une politique mondiale pour traiter les insultes et la désinformation a peu de chances de passer à l'échelle sur le long terme sans faire peser un fardeau trop lourd sur les gens », écrit Jack Dorsey. Facebook a lancé  un projet de « Cour Suprême » interne pour décider des cas les plus litigieux. Avec Bluesky, Twitter adopte une approche plus singulière.

Trois obstacles majeurs

Celle-ci ne manquera pas de rencontrer de nombreux obstacles. Le directeur technique de Twitter, Parag Agrawal, qui pilotera l'équipe Bluesky, les a listés dans une série de messages mercredi. Le premier sera pour un système décentralisé d'être compétitif en qualité avec les plates-formes privées. Si Facebook a prospéré, c'est grâce à un cercle vertueux : refermé sur lui-même, il a pu réaliser d'énormes profits, investir dans des services extrêmement performants et retenir les utilisateurs…

 

Le deuxième défi d'un système décentralisé sera donc la monétisation. Jack Dorsey ne dit d'ailleurs pas si Twitter devra modifier son business model reposant sur la publicité ciblée, ni comment. Enfin, le troisième défi sera de conserver le rythme d'innovation endiablé du privé. « Malgré ces obstacles, nous croyons qu'il y a le potentiel pour un impact massif sur Twitter et la société », assure Parag Agrawal.

Le précédent Mastodon

Pour atteindre son objectif, son équipe de geeks pourra soit développer de nouveaux standards à partir de zéro, soit utiliser des modèles existants. Jack Dorsey a mentionné la technologie blockchain comme une piste de réflexion.

Mais il existe surtout ActivityPub, un protocole utilisé notamment par Mastodon, un concurrent de Twitter lancé en 2016 et déjà décentralisé. N'importe qui peut monter un serveur Mastodon, dont les utilisateurs pourront échanger entre eux ou avec les autres serveurs Mastodon - à moins d'avoir défini des règles pour exclure certains serveurs.

Quel que soit le chemin choisi, « il faudra des années pour développer un standard décentralisé utilisable, évolutif et sûr » a prévenu Jack Dorsey. Sa proposition est une bombe pour les réseaux sociaux. Mais il en a juste posé l'amorce.

 

Sébastien Dumoulin