L'Aigle survole le Rossignol | Mémorial 14-18.net | Think outside the Box | Scoop.it
La guerre déclenchée en août est d'une violence inédite.


La force génératrice de la guerre

La chronique de Maurice Barrès du 25 août 1914, dans L’Echo de Paris, retient irrésistiblement l’attention. Barrès y célèbre, dans la plus grande confusion mentale, la force génératrice de la guerre. Curieuse force génératrice, en vérité, qui dévore toute la jeunesse de France depuis quelques jours. Mais cela n’a pas l’air de préoccuper outre mesure l’académicien. La guerre, ce n’est qu’une question de perception après tout, laquelle est toujours confortable quand on ne joue pas sa vie. A l’inquiétude de l’arrière répond la confiance joyeuse du soldat de première ligne.

« La France a toute sa jeunesse aux armes. Le sang le plus pur et le plus chaud de la race. Nul de nous ne peut penser à autre chose qu’à ce trésor en danger. Mais que parlons-nous de danger, quand ils ne veulent voir que l’honneur et la joie du combat ? »

La guerre est cette matrice qui va engendrer un monde nouveau. Elle souligne déjà à quel point l’individu est important. Après le grand sacrifice, notre perception de notre prochain sera inévitablement appelée à changer :

« Demain, il n’y aura plus de place dans aucun esprit pour l’anarchie, mais en revanche il faudra accorder plus de crédit à l’individu. Dès aujourd’hui, nous voyons mille sources jaillir autour de nous que nous n’avions jamais sopuçonnées. »

Et, prophétique, Barrès adresse un appel aussi nébuleux que délirant aux écrivains et aux poètes mobilisés sur le champ de bataille :

« Ecrivains, déchirez la page interrompue ; poètes, abandonnez votre chanson, fût-ce au milieu d’une strophe et, si fort qu’elle ressemble à votre âme. Jetez même un adieu rapide à votre coeur d’hier. En revenant du Rhin, vous serez montés si haut , avec des ailes si fortes, que vous surpasserez tout vos rêves comme l’aigle survole le rossignol. »

La terrible coïncidence

L’image de l’aigle et du rossignol, même appliquée aux écrivains et aux poètes, ne laisse pas d’interroger.

En effet, du 20 au 22 août 1914, l’aigle a effectivement survolé le rossignol, mais pas dans le sens que Barrès prête à la formule. L’aigle (l’Allemagne) a écrasé l’armée française en Lorraine belge, à proximité de la commune de Rossignol.

On est loin, très loin même, de la littérature et de la poésie.

Cela a été un véritable massacre. Dans la seule journée du 22 août 1914, 27 000 soldats français, habillés du fameux pantalon garance, ont été abattus sous la mitraille allemande. La 3e division d’infanterie coloniale commandée par le général Léon Raffenel a été décimée. Les rares survivants ont été faits prisonniers. Quant à l’Allemagne, elle a perdu aux alentours de 13 500 soldats dans les violents combats. C’est donc environ 40 000 hommes qui ont péri en un jour !

Il convient également de signaler un massacre de civils dans la commune belge de Tamines située à 130 km au nord ouest de Rossignol qui a eu lieu du  21 au 23 août 1914. Plusieurs centaines d’innocents ont été tués par les troupes allemandes.

L’allusion de Maurice Barrès à l’Aigle et au Rossignol est donc une terrible coïncidence. Elle témoigne d’une perception complètement décalée du conflit qui s’installe à peine et dont la violence meurtrière est déjà d’une intensité inédite. Elle souligne aussi le rôle nocif joué par certains « intellectuels » qui, bien à l’abri à l’arrière, mettent leur talent de plume au service de la plus vile des propagandes.