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Transformer le monde: Ces six croyances fausses qui nous bloquent

Transformer le monde: Ces six croyances fausses qui nous bloquent | Think outside the Box | Scoop.it

La cage, ce sont nos croyances (Source: Wikipedia)  

 

 

 
 

Jamais notre monde n’a eu autant besoin de se transformer et jamais cette transformation n’a paru aussi difficile que ce soit pour les organisations ou pour la société. L’une des raisons tient aux modèles mentaux que nous avons quant à la nature du changement. En particulier, six croyances fausses sont particulièrement bloquantes, bien qu’elles constituent pour beaucoup des évidences. Une prise de conscience de leur fausseté ouvrira la voie à des approches nouvelles de la transformation.

 

Première croyance : la taille des moyens mis en œuvre doit correspondre à l’ampleur du problème.

Nous croyons que pour résoudre un grand problème, il faut agir en grand. Ça paraît logique. On ne creuse pas le tunnel sous la manche avec une pelle à tarte après tout, n’est-ce pas ? Et pourtant c’est rarement le cas. La « Guerre contre la drogue » aux États-Unis a été lancée en fanfare par le président Richard Nixon en 1970 et cinquante ans après, l’Amérique consomme toujours plus de drogues ; malgré des moyens colossaux, la guerre contre la drogue est un échec abyssal et ses conséquences sociales sont désastreuses. La croyance selon laquelle tout grand problème peut être résolu dès lors qu’on y met les moyens est partiellement vraie pour des problèmes techniques (compliqués) comme le creusement d’un tunnel, mais pas pour des problèmes sociaux (complexes) dans lesquels des moyens importants peuvent créer des effets pervers.

 

Deuxième croyance : Il faut une vision pour résoudre un grand problème

Nous croyons que les leaders doivent avoir une vision claire pour transformer le monde, que la vision est un préalable nécessaire à tout grand projet, et que pourvu que la vision soit bonne, le reste n’est qu’affaire d’exécution. Cette croyance traduit une conception cartésienne distinguant les penseurs des acteurs sans véritable lien entre les deux, et surtout considérant les acteurs comme incapables de penser et d’élaborer la vision collectivement. En situation d’incertitude, avoir une vision peut pourtant être contre-productif. On définit une vision et boum, l’environnement change (Covid!) et il faut tout reprendre à zéro.

De nombreux exemples montrent qu’une vision n’est pas nécessaire pour réussir. Ni Ikea, ni 3M, ni AirBnB, ni Google, ni Facebook n’avaient de vision à leurs débuts. La plupart des entrepreneurs font émerger leur vision chemin-faisant, au travers de petites actions basées sur l’application des principes de l’effectuation. Elon Musk est une exception, mais on mesure les risques qu’il prend… Pas sûr que les entreprises soient nombreuses à vouloir jouer ce jeu… On peut généraliser : il n’est pas nécessaire d’avoir une vision pour réussir une transformation ou même une révolution. Franklin Roosevelt n’avait aucune vision lorsqu’il est devenu président des États-Unis en 1933 pour faire face à la très grave crise économique que l’Amérique connaissait alors. Il l’a d’ailleurs admis d’entrée de jeu dans son discours inaugural : je n’ai pas de solution, nous allons essayer des choses, certaines vont marcher, d’autres vont échouer, nous verrons bien. Ce qu’il propose au pays c’est un principe (ne pas avoir peur et essayer des choses), pas une vision.

 

 

Troisième croyance : résoudre un problème complexe est une question de volonté

Nous croyons qu’il n’y a pas de problème qu’une volonté suffisante ne puisse résoudre. Après tout depuis Descartes, l’homme se veut « maître et possesseur de la nature », et donc tout est résoluble dès lors qu’on le décide et qu’on y met les moyens. « Vouloir c’est pouvoir » dit la maxime populaire, toujours moins sage qu’on ne pense. Cette croyance en suppose une autre : que tout problème a une solution unique qui existe, cachée quelque part, et qu’en cherchant bien on la trouvera. Or souvent, plus on « pousse », plus le système « repousse » avec des effets inattendus.

Et donc la persistance de problèmes complexes suscite l’incompréhension et la frustration des honnêtes gens. La délinquance ne disparaît pas ? Mais que fait le gouvernement ? Des voitures brûlent dans les banlieues et aussitôt le ministre annonce un plan. Le problème quitte la une des journaux sans qu’on sache bien pourquoi pour réapparaître quelque mois ou quelques années plus tard, et le nouveau ministre annonce lui aussi un plan. Les plans « volontaristes » se succèdent et rien ne change.

 

Quatrième croyance : l’ampleur perçue d’un problème est facteur de mobilisation pour le résoudre

Nous croyons que plus la cause est présentée comme importante, plus les gens se mobiliseront. Selon cette croyance, l’action obéit au mécanisme suivant : la gravité et l’ampleur du problème suscitent l’éveil d’un individu, le fait qu’il devienne sensible au problème ; l’éveil entraîne la mobilisation, c’est à dire la décision d’agir, qui à son tour entraîne l’action elle-même. Plus un problème est ressenti comme grave et imminent, plus il suscitera l’éveil, et plus il suscitera l’éveil, plus il fera l’objet d’une mobilisation et donc plus cela déclenchera l’action.

La difficulté c’est que lorsque l’ampleur perçue des problèmes est augmentée dans le but de mobiliser l’action, celle-ci devient au contraire plus difficile, et c’est un effet pervers de la mobilisation : L’échelle massive à laquelle les problèmes sont présentés empêche souvent toute action déterminante parce que les limites de notre rationalité sont rapidement dépassées et que notre éveil est élevé à des niveaux auxquels nous sommes dysfonctionnels. On définit les problèmes sociaux d’une manière qui dépasse notre capacité à faire quoi que ce soit pour y remédier. Il en résulte frustration, colère et impuissance. Plus le problème est présenté comme important et grave, moins nous nous sentons capables d’y faire quoique ce soit. La hauteur de l’enjeu conduit à la paralysie et à la peur, empêchant l’action ou donnant l’impression qu’elle est vaine de toute façon. Si l’effondrement est proche, amusons-nous en attendant la mort et inch Allah !

 

Cinquième croyance : la capacité de résolution d’un problème est liée à la position hiérarchique

Nous croyons que plus le problème est important, plus il faut être haut dans la hiérarchie de la collectivité pour pouvoir le résoudre. C’est pour cela qu’on me dit souvent « à mon niveau je ne peux rien faire », « Voyez avec mon chef, lui il pourra résoudre ce problème » ou « Il faut que le PDG règle ça, seul lui peut le faire ». Mais c’est une croyance largement fausse. Naturellement quelqu’un en situation de pouvoir peut activer des leviers non accessibles au commun des mortels, mais il ne peut souvent pas plus résoudre le grand problème que nous. Un Président peut intervenir pour résoudre une question simple et directe par un acte d’autorité, comme par exemple annuler la fermeture d’un petit hôpital de région, mais pas pour résoudre un problème complexe, comme nous l’avons vu avec le plan de Nixon pour la drogue, car un tel problème n’est pas réductible à une décision d’autorité. À partir d’une certaine taille, la gestion d’un collectif est en effet forcément indirecte. La plupart des problèmes ne peuvent pas être résolus en partant du haut, mais seulement en partant du bas, à petite échelle.

 

Sixième croyance : le changement c’est faire table rase du passé

Nous croyons que pour changer le monde il faut faire table rase du passé. C’est particulièrement vrai en situation de crise, comme on l’a vu avec la Covid-19 où on a beaucoup parlé du « monde d’après ».  C’est évidemment la posture de tous les révolutionnaires de droite comme de gauche, celle de la croyance en un grand soir où tout changerait, un « Grenelle » de ceci ou de cela, et de ceux qui salivent en attendant le grand effondrement. Et donc très souvent, l’activiste pragmatique se trouve coincé entre deux extrêmes : les utopistes qui veulent tout changer, mais ne font rien, et les conservateurs qui ne veulent rien changer (sans parler des extrémistes qui veulent tout casser). Or si la plupart des gens souhaitent sincèrement changer le monde, ils veulent néanmoins garder de nombreux aspects du monde actuel. En ce sens, l’échelle du changement souhaité par le plus grand nombre est modeste, c’est à dire que celui-ci doit selon eux consister en une modification de certains aspects, mais pas de tous, du système. Cette modération, qui correspond à une logique réformiste plutôt que révolutionnaire, suscite naturellement l’opprobre des idéalistes, mais elle est très souvent majoritaire.

 

En conclusion, il n’existe pas de méthode garantie de changement, mais il existe des croyances (modèles mentaux), qui sont de fausses évidences et qui empêchent celui-ci. Particulièrement en période de rupture, un examen systématique de nos croyances est un préalable indispensable pour les rendre explicites et supprimer les blocages en ouvrant de nouveaux possibles.

 

Philippe Silberzahn

Jacques Le Bris's insight:

 

Pour aller plus loin sur la question, lire Les modèles mentaux, outil-clé du stratège face à la crise. Lire également: La course au « monde d’après »: Le festival des lampadaires est ouvert.

 

Sur les modèles mentaux, croyances constitutives de notre identité, sur la base desquels nous prenons nos décisions et sur leur rôle dans la transformation du monde, voir mon ouvrage Stratégie Modèle Mental co-écrit avec Béatrice Rousset.

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Désormais on se lève et on se barre

Désormais on se lève et on se barre | Think outside the Box | Scoop.it

Adèle Haenel a quitté la cérémonie des césars, vendredi salle Pleyel, à l’annonce de la récompense décernée à Roman Polanski.

 

Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture, vous, les puissants, vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, les exactions de votre police, les césars, votre réforme des retraites. En prime, il vous faut le silence de victimes.

 

Tribune. Je vais commencer comme ça : soyez rassurés, les puissants, les boss, les chefs, les gros bonnets : ça fait mal. On a beau le savoir, on a beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal. Tout ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on vous oblige à passer vos lois à coups de 49.3 et qu’on ne vous laisse pas célébrer Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas : on vous entend jouir de ce que vous êtes les vrais patrons, les gros caïds, et le message passe cinq sur cinq : cette notion de consentement, vous ne comptez pas la laisser passer. Où serait le fun d’appartenir au clan des puissants s’il fallait tenir compte du consentement des dominés ? Et je ne suis certainement pas la seule à avoir envie de chialer de rage et d’impuissance depuis votre belle démonstration de force, certainement pas la seule à me sentir salie par le spectacle de votre orgie d’impunité.

Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des césars élise Roman Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est grotesque, c’est insultant, c’est ignoble, mais ce n’est pas surprenant. Quand tu confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour faire un téléfilm, le message est dans le budget. Si la lutte contre la montée de l’antisémitisme intéressait le cinéma français, ça se verrait. Par contre, la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur calvaire, on a compris que ça vous soûlait. Alors quand vous avez entendu parler de cette subtile comparaison entre la problématique d’un cinéaste chahuté par une centaine de féministes devant trois salles de cinéma et Dreyfus, victime de l’antisémitisme français de la fin du siècle dernier, vous avez sauté sur l’occasion. Vingt-cinq millions pour ce parallèle. Superbe. On applaudit les investisseurs, puisque pour rassembler un tel budget il a fallu que tout le monde joue le jeu : Gaumont Distribution, les crédits d’impôts, France 2, France 3, OCS, Canal +, la RAI… la main à la poche, et généreux, pour une fois. Vous serrez les rangs, vous défendez l’un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre, les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes. Les corps qui se taisent, qui ne racontent pas l’histoire de leur point de vue. Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture - marre de se cacher, de simuler la gêne. Vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, ça vaut pour les exactions de votre police, ça vaut pour les césars, ça vaut pour votre réforme des retraites. C’est votre politique : exiger le silence des victimes. Ça fait partie du territoire, et s’il faut nous transmettre le message par la terreur vous ne voyez pas où est le problème. Votre jouissance morbide, avant tout. Et vous ne tolérez autour de vous que les valets les plus dociles. Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’argent qu’on célèbre, dans ces cérémonies, le cinéma on s’en fout. Le public on s’en fout. C’est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. C’est le gros budget que vous lui avez octroyé en signe de soutien que vous saluez - à travers lui c’est votre puissance qu’on doit respecter.

 

A lire aussiL’ancienne académie en feu, par Paul B. Preciado

 

Il serait inutile et déplacé, dans un commentaire sur cette cérémonie, de séparer les corps de cis mecs aux corps de cis meufs. Je ne vois aucune différence de comportements. Il est entendu que les grands prix continuent d’être exclusivement le domaine des hommes, puisque le message de fond est : rien ne doit changer. Les choses sont très bien telles qu’elles sont. Quand Foresti se permet de quitter la fête et de se déclarer «écœurée», elle ne le fait pas en tant que meuf - elle le fait en tant qu’individu qui prend le risque de se mettre la profession à dos. Elle le fait en tant qu’individu qui n’est pas entièrement assujetti à l’industrie cinématographique, parce qu’elle sait que votre pouvoir n’ira pas jusqu’à vider ses salles. Elle est la seule à oser faire une blague sur l’éléphant au milieu de la pièce, tous les autres botteront en touche. Pas un mot sur Polanski, pas un mot sur Adèle Haenel. On dîne tous ensemble, dans ce milieu, on connaît les mots d’ordre : ça fait des mois que vous vous agacez de ce qu’une partie du public se fasse entendre et ça fait des mois que vous souffrez de ce qu’Adèle Haenel ait pris la parole pour raconter son histoire d’enfant actrice, de son point de vue.

Alors tous les corps assis ce soir-là dans la salle sont convoqués dans un seul but : vérifier le pouvoir absolu des puissants. Et les puissants aiment les violeurs. Enfin, ceux qui leur ressemblent, ceux qui sont puissants. On ne les aime pas malgré le viol et parce qu’ils ont du talent. On leur trouve du talent et du style parce qu’ils sont des violeurs. On les aime pour ça. Pour le courage qu’ils ont de réclamer la morbidité de leur plaisir, leur pulsion débile et systématique de destruction de l’autre, de destruction de tout ce qu’ils touchent en vérité. Votre plaisir réside dans la prédation, c’est votre seule compréhension du style. Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski : vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance. C’est cette exigence qui fait que lors de la cérémonie tous les corps sont soumis à une même loi du silence. On accuse le politiquement correct et les réseaux sociaux, comme si cette omerta datait d’hier et que c’était la faute des féministes mais ça fait des décennies que ça se goupille comme ça : pendant les cérémonies de cinéma français, on ne blague jamais avec la susceptibilité des patrons. Alors tout le monde se tait, tout le monde sourit. Si le violeur d’enfant c’était l’homme de ménage alors là pas de quartier : police, prison, déclarations tonitruantes, défense de la victime et condamnation générale. Mais si le violeur est un puissant : respect et solidarité. Ne jamais parler en public de ce qui se passe pendant les castings ni pendant les prépas ni sur les tournages ni pendant les promos. Ça se raconte, ça se sait. Tout le monde sait. C’est toujours la loi du silence qui prévaut. C’est au respect de cette consigne qu’on sélectionne les employés.

Et bien qu’on sache tout ça depuis des années, la vérité c’est qu’on est toujours surpris par l’outrecuidance du pouvoir. C’est ça qui est beau, finalement, c’est que ça marche à tous les coups, vos saletés. Ça reste humiliant de voir les participants se succéder au pupitre, que ce soit pour annoncer ou pour recevoir un prix. On s’identifie forcément - pas seulement moi qui fais partie de ce sérail mais n’importe qui regardant la cérémonie, on s’identifie et on est humilié par procuration. Tant de silence, tant de soumission, tant d’empressement dans la servitude. On se reconnaît. On a envie de crever. Parce qu’à la fin de l’exercice, on sait qu’on est tous les employés de ce grand merdier. On est humilié par procuration quand on les regarde se taire alors qu’ils savent que si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c’est uniquement parce qu’Adèle Haenel a parlé et qu’il s’agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu’elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence. Humilié par procuration que vous ayez osé convoquer deux réalisatrices qui n’ont jamais reçu et ne recevront probablement jamais le prix de la meilleure réalisation pour remettre le prix à Roman fucking Polanski. Himself. Dans nos gueules. Vous n’avez décidément honte de rien. Vingt-cinq millions, c’est-à-dire plus de quatorze fois le budget des Misérables, et le mec n’est même pas foutu de classer son film dans le box-office des cinq films les plus vus dans l’année. Et vous le récompensez. Et vous savez très bien ce que vous faites - que l’humiliation subie par toute une partie du public qui a très bien compris le message s’étendra jusqu’au prix d’après, celui des Misérables, quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent. Les réalisatrices qui décernent le prix de votre impunité, les réalisateurs dont le prix est taché par votre ignominie - même combat. Les uns les autres savent qu’en tant qu’employés de l’industrie du cinéma, s’ils veulent bosser demain, ils doivent se taire. Même pas une blague, même pas une vanne. Ça, c’est le spectacle des césars. Et les hasards du calendrier font que le message vaut sur tous les tableaux : trois mois de grève pour protester contre une réforme des retraites dont on ne veut pas et que vous allez faire passer en force. C’est le même message venu des mêmes milieux adressé au même peuple : «Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss.

 

Alors quand Adèle Haenel s’est levée, c’était le sacrilège en marche. Une employée récidiviste, qui ne se force pas à sourire quand on l’éclabousse en public, qui ne se force pas à applaudir au spectacle de sa propre humiliation. Adèle se lève comme elle s’est déjà levée pour dire voilà comment je la vois votre histoire du réalisateur et son actrice adolescente, voilà comment je l’ai vécue, voilà comment je la porte, voilà comment ça me colle à la peau. Parce que vous pouvez nous la décliner sur tous les tons, votre imbécillité de séparation entre l’homme et l’artiste - toutes les victimes de viol d’artistes savent qu’il n’y a pas de division miraculeuse entre le corps violé et le corps créateur. On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons.

Adèle se lève et elle se casse. Ce soir du 28 février on n’a pas appris grand-chose qu’on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière. Comme on marche sur des talons hauts : comme si on allait démolir le bâtiment entier, comment on avance le dos droit et la nuque raidie de colère et les épaules ouvertes. La plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie - Adèle Haenel quand elle descend les escaliers pour sortir et qu’elle vous applaudit et désormais on sait comment ça marche, quelqu’un qui se casse et vous dit merde. Je donne 80 % de ma bibliothèque féministe pour cette image-là. Cette leçon-là. Adèle je sais pas si je te male gaze ou si je te female gaze mais je te love gaze en boucle sur mon téléphone pour cette sortie-là. Ton corps, tes yeux, ton dos, ta voix, tes gestes tout disait : oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n’a qu’à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l’arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire.

Vous n’aurez pas notre respect.

On se casse. Faites vos conneries entre vous.

Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse.

C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant. C’est la seule réponse possible à vos politiques.

Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule et on vous insulte et même si on est ceux d’en bas, même si on le prend pleine face votre pouvoir de merde, on vous méprise on vous dégueule. Nous n’avons aucun respect pour votre mascarade de respectabilité.

Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’imbéciles funestes.

Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable.

On se lève et on se casse. C’est terminé.

On se lève. On se casse. On gueule.

On vous emmerde.

 

Virginie DESPENTES romancière
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