Les toc de l'époque : les paparazzis de l'assiette | Think outside the Box | Scoop.it

L'HOMME EST ENTRÉ DANS LE RESTAURANT, l'iPad à bout de bras, telle une pancarte d'auto-stoppeur. Il a fait le tour des lieux, filmant tout sur son passage : le décor, les clients, les assiettes. Bertrand Grébaut, le chef du Septime, dans le 11e arrondissement de Paris, s'en souvient encore. Il le classe dans la catégorie des obsessionnels. Ils sont une minorité. Les autres sortent leur smartphone discrètement. Ils prennent les photos en souvenir pour les poster sur Facebook ou les montrer à des amis. Je connais même un couple qui s'envoie les images de ce qu'ils mangent au déjeuner. Des ris de veau, c'est tellement romantique... En cuisine, on se gratte la tête. Voilà les restaurants confrontés au même dilemme que les églises quand elles ont vu arriver les caméscopes pour les communions. Faut-il refuser que ça gâche l'ambiance ou s'adapter pour garder ses clients ? Chez Ko, un resto new-yorkais branché, un blogueur qui demandait pourquoi il n'avait pas le droit de prendre son assiette en photo s'est entendu répondre : "C'est là pour être mangé." Le commentaire brûle la langue de nombreux chefs. "Ils ne sont pas dans l'instant, ils sont dans le "regardez-moi vivre"", désapprouve Alexandre Gauthier, le chef de La Grenouillère à La Madelaine-sous-Montreuil, dans le Pas-de-Calais, à propos de ces paparazzis des assiettes. "Ils ne sont chez moi que pour la résonance que cela aura sur Twitter ou Facebook. Ils passent leur repas à répondre aux commentaires. Ils n'écoutent pas le serveur. La table est morte..." Si vous pensiez que c'était une question de génération, sachez qu'Alexandre Gauthier, qui a repris le restaurant de son père, a 33 ans. "La vraie solution serait de pouvoir mettre un brouilleur de réseau dans la salle." Sans aller jusque-là, il a apposé sur sa carte le dessin d'un appareil photo barré. Pas pour les bannir totalement ("même les musées ne peuvent plus interdire les photos"), mais pour faire réfléchir. "On les protège d'eux-mêmes pour qu'ils profitent pleinement du moment."

 

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