Démocratie ouverte : le sommet mondial cher à Hollande débute sur un gros clash | Think outside the Box | Scoop.it
François Hollande a mis les petits plats dans les grands pour le sommet 2016, qu'il voudrait aussi important pour la démocratie que la COP 21 l'an dernier pour l'environnement. Mais les principales associations de la société civile dénoncent une opération de "communication" et dressent un bilan au vitriol de la France dans ce domaine.

 

La tension monte alors que s’ouvre, à partir de mercredi 7 décembre, le sommet mondial annuel du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), qui s’apparente à la COP21 de la démocratie. Alors que la France se pose en exemple mondial en matière de transparence de la vie publique, onze associations dénoncent "l’affichage" du gouvernement. Certaines boycotteront même l’événement. Axelle Lemaire leur a vertement répondu.

Mardi 6 décembre, 10h45. Venue soutenir le lancement du tout premier incubateur de Civic Tech en France, Axelle Lemaire ne cache pas son agacement. Le communiqué lapidaire, signé par onze associations de terrain dédiées à la transparence de l'action publique, lui est resté en travers de la gorge. "Je suis très déçue par ce communiqué rempli d'argument non-fondés et de positions dogmatiques", a taclé très fermement la secrétaire d'Etat au Numérique et à l'Innovation. On n'avait pas vu pareille verve de sa part depuis le moment où elle avait dézingué son ancien ministre de tutelle, Emmanuel Macron, après son départ du gouvernement.

Il faut dire que le timing n'aurait pas pu plus mal tomber. D'abord parce que ces onze associations et collectifs représentent la crème de la crème des acteurs pro-transparence de la société civile. Parmi les signataires figurent Anticor, La Ligue des Droits de l'Homme, Regards citoyens, La Quadrature du Net, April ou encore DemocracyOS France. Autrement dit, leur parole est prise au sérieux. Ensuite parce que le communiqué dresse un portrait au vitriol de l'action gouvernementale en matière de transparence de la vie publique, alors même que la France tente de se poser en exemple mondial dans ce domaine et que François Hollande inaugure ce mercredi le sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO).

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Qu'est-ce que le sommet du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) ?

Depuis septembre dernier, la France a pris la co-présidence, pour un an, du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO), une organisation internationale créée en 2011 pour pousser les gouvernements du monde entier à se montrer plus transparents, plus ouverts aux citoyens, à combattre la corruption et à adopter les nouvelles technologies pour améliorer la gouvernance. Fondé par le Brésil, l'Indonésie, le Mexique, la Norvège, les Philippines, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, le PGO compte aujourd'hui 70 membres, dont la France depuis avril 2014, sous l'impulsion de François Hollande. Le pays a publié en juillet 2015 son plan d'action national.

Tous les ans, le PGO organise un sommet mondial, dont l'importance et la portée médiatique varient selon le pays organisateur. Cette année, c'est la France, qui est également co-présidente de PGO avec l'association américaine World Resource Institute (WRI), qui l'organise. Le sommet se tient à Paris pendant trois jours, du mercredi 7 au vendredi 9 décembre.

 

Pourquoi ce sommet est-il important pour la France ? (et pour François Hollande)

La France a mis les petits plats dans les grands pour le sommet 2016, qu'elle voudrait aussi important pour la démocratie que la COP 21 l'an dernier pour l'environnement. Avec des délégations des 70 pays membres ainsi qu'une pléthore d'ONG, d'associations et de militants attendus, le niveau de représentation devrait être le plus élevé de l'histoire du sommet. Environ 5.000 personnes devraient participer aux conférences et ateliers éparpillés dans six lieux emblématiques parisiens (dont l'Assemblée nationale, le Sénat, le palais de Tokyo et l'Hôtel de Ville).

Comme pour la COP21, la France veut se poser en exemple à suivre en matière de démocratie ouverte. En septembre dernier, François Hollande a présenté sa feuille de route pour la co-présidence de la France. Avec trois "priorités" : transparence, intégrité et lutte contre la corruption ; climat et développement durable ; construction de biens communs numériques.

En fin de mandat et en quête d'une stature internationale pour construire sa postérité, le chef de l'Etat voudrait que le sommet se passe sans anicroche et aboutisse à des engagements forts de la part des pays membres. D'après l'Elysée, des « efforts diplomatiques intenses » sont menés depuis quelques mois pour recruter de nouveaux pays membres. Ainsi, l'Allemagne pourrait annoncer son intégration au PGO pendant le sommet, ainsi que plusieurs pays francophones. "Je veux dix nouveaux pays membres en plus" a déclaré François Hollande en septembre.

Le président mise aussi beaucoup sur la déclaration finale, qu'il prononcera vendredi 9 décembre. L'objectif : donner un nouvel élan au PGO et obtenir des engagements fermes pour transformer les belles paroles en actes. Un Agenda des Solutions, similaire à celui de la COP21, pourrait être annoncé. Il comporterait une vingtaine de "bonnes pratiques" et d'actions concrètes que les pays devront s'engager à réaliser.

 

Mais la France a-t-elle des leçons à donner en matière de démocratie ouverte ?
 

C'est tout le problème, et la raison de la tension actuelle. Le gouvernement estime que les réalisations de la France dans le domaine de la transparence et de la démocratie ouverte sont majeures et méritent d'être soulignées. La création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, la sanctuarisation de l'open data (ouverture des données publiques) avec la mission Etalab et les lois Valter et Lemaire (service public de la donnée), la loi Sapin sur la transparence de la vie publique, la loi Egalité et Citoyenneté de Patrick Kanner, les consultations citoyennes autour de plusieurs projets de lois (dont les lois Lemaire et Kanner), engagements dans la lutte contre la corruption et l'évasion fiscale, la déclaration de patrimoine des ministres... Autant d'initiatives qui n'existaient pas avant, et qui mettent effectivement la France sur le chemin de davantage de transparence et d'ouverture.

Mais le compte n'y est pas, selon les onze associations signataires du communiqué. Pour elles, "le gouvernement ouvert à la française" est "un leurre", comme elles l'écrivent d'entrée de jeu dans le communiqué :

"Le discours des autorités publiques sur l'importance de la participation de la société civile, confronté à leurs actes, conduit à la désillusion et à l'écœurement des citoyens"

S'en suivent neuf pages d'analyse de l'action gouvernementale, sur le même ton offensif. "Derrière un apparent dialogue avec la société civile, la France est loin d'être une démocratie exemplaire", taclent les associations. Et de noter les « contradictions » d'un Etat qui promeut l'open data et les consultations publiques sur certaines lois (loi Numérique d'Axelle Lemaire, loi Kanner), mais qui laisse de côté la société civile sur tous les sujets régaliens - les plus importants.

Les associations pointent notamment du doigt la loi Renseignement qui instaure une surveillance de masse, le méga-fichier TES, adopté en catimini un week-end de Toussaint, l'état d'urgence sans fin qui restreint les libertés publiques, les attaques envers la liberté d'expression sur internet et la liberté de la presse...  Les associations dénoncent également "la communication" autour de la consultation citoyenne sur la loi Lemaire, jugée à minima en raison du fait que seuls cinq articles "citoyens" ont été intégrés à la loi. Les mesures sur la transparence et l'anti-corruption sont aussi jugées "en-deçà des enjeux".

En réaction, plusieurs de ces associations (l'association de défense des libertés La Quadrature du Net, le collectif dédié à la défense des biens communs SavoirsCom1) ont décidé de boycotter le sommet.

 

"Il faut voir d'où on vient"

Cette attaque en règle a énervé Axelle Lemaire :

"Ils ne mesurent absolument pas d'où on vient. Il y a eu des vrais progrès sous ce quinquennat, et rejeter l'ensemble du bilan révèle une attitude idéologue et nombriliste à l'heure où il faut promouvoir les nouvelles pratiques démocratiques. Ce sommet n'est pas franco-français. J'appelle à une certaine tolérance dans le propos et à une volonté de faire plutôt que de dénoncer".

Une position également défendue par le collectif Démocratie Ouverte, qui a annoncé mardi 6 décembre l'ouverture du premier incubateur dédié à la Civic Tech. "Il y a dans le gouvernement et dans les institutions des acteurs qui cherchent à faire avancer les choses. Il est important que certaines associations dans la société civile soient dans une logique de critique pour aller encore plus loin, mais il faut aussi acter les progrès et favoriser le changement de l'intérieur", estime Armel Le Coz, le délégué général du collectif.

Quoi qu'il en soit, la belle unité rêvée par François Hollande pour la "COP21 de la démocratie" a d'ores et déjà volé en éclats avant même l'ouverture du sommet.

 

@SylvRolland