La Fondation Louis Vuitton, un musée extraordinaire | Think outside the Box | Scoop.it

Près de 4.000 m2 d’espaces dédiés à l’art contemporain se nichent sous les douze grandes voiles de verre. (Iwan BAAN POUR LA FONDATION LOUIS VUITTON)


 

La Fondation Louis Vuitton ouvre ses portes lundi prochain. Ce monument créé par Frank Gehry à la demande du PDG de LVMH, Bernard Arnault, abritera des collections d’art contemporain.

Visite en avant-première.


Les Parisiens ne mesurent pas leur chance. Leur ville est en train de se doter d'un nouveau chef-d'œuvre. Un "geste", qui ne manquera pas d'attirer les foules du monde entier, à l'instar de la tour Eiffel, Notre-Dame, le Louvre ou le centre Pompidou. Ce futur bâtiment emblématique de la capitale est signé Frank Gehry, souvent considéré comme le plus grand architecte vivant. Le pape américano-canadien du "déconstructivisme" est surtout le concepteur du fameux musée Guggenheim de Bilbao (1997), un édifice extraordinaire qui a changé la destinée de la cité espagnole. À Paris, la Fondation Louis Vuitton, sur le site du Jardin d'Acclimatation au bois de Boulogne, n'a pas cette prétention ; mais elle s'avère tout aussi spectaculaire, sur cette parcelle de 1 hectare qui appartient à la Mairie de Paris. Ce nouveau musée, qui accueillera une collection permanente d'art contemporain et des expositions temporaires, ouvrira ses portes au public le 27 octobre*.

À la demande de Bernard Arnault - patron de LVMH et première fortune française (10e mondiale) -, Frank Gehry, 85 ans, a imaginé un "iceberg" posé sur l'eau, enveloppé de douze immenses voiles de verre, qui semblent gonflées par le vent et jouer avec la lumière et le ciel. Comme toujours chez ce Prix Pritzker 1989 (l'équivalent du Nobel pour l'architecture), tout est courbe, ondulant, insaisissable. Haut de 40 m, son "vaisseau" monumental de 11.000 m2 évoque un mouvement immobile, un envol figé, majestueux. "On dirait une grande caravelle, ou alors un animal qui sortirait de terre, drapé de grandes étoles de verre, très sensuelles. Frank Gehry dit que son musée de Bilbao est un bâtiment masculin et que celui-ci est féminin. En tout cas, c'est une formidable prouesse technique", s'extasie Jean-Paul Claverie, le conseiller spécial de Bernard Arnault qui a supervisé l'opération de bout en bout.

(Crédit : Iwan BAAN POUR LA FONDATION LOUIS VUITTON)

Le milliardaire et l'architecte se sont rencontrés en 2001. Le premier rêvait d'une fondation d'art contemporain dans la capitale, tandis que son rival François Pinault tentait - en vain - d'implanter la sienne sur l'île Seguin, à Boulogne-Billancourt. "Quand Bernard Arnault lui a parlé de ce projet, il a dit "oui'' tout de suite. Il aime beaucoup la France, qu'il connaît bien. C'est un grand admirateur de Proust, Le Corbusier, de Claude Parent [l'inventeur de l'architecture oblique] ou encore de l'art roman", explique Jean-Paul Claverie. Les deux hommes ont réussi à s'entendre, malgré quelques crispations. À trois reprises, Gehry et Arnault se seraient querellés. "Il y a eu quelques moments de tension, qui se sont toujours réglés à l'amiable", confie Jean-Paul Claverie.

Un four spécialement créé

Frank Gehry s'est rendu sur le site pour la première fois en février 2002. Il connaissait l'histoire des lieux, de l'aquarium et des serres du XIXe siècle qui avaient été démolies pour être remplacées par un bowling de 5.000 m2 (bourré d'amiante). La légende veut qu'il ait "tout imaginé" le soir même sur le chemin du retour. "Il n'a pas dormi dans l'avion, il a rempli un carnet de croquis. Tout y était : le bassin, le mouvement, la double peau, l'iceberg, les voiles…", raconte le conseiller spécial. Problème : le coup de crayon génial de l'architecte séduit sur le papier, mais son esquisse aux formes complexes fait fi des lois de la physique : "On n'avait pas la technologie." Qu'importe, Bernard Arnault, sous le charme, a les moyens de concrétiser les utopies de l'artiste. De nombreuses maquettes sont réalisées, scannées, numérisées en 3D, grâce à un logiciel - le Digital Project - développé par Gehry Technologies en partenariat avec Dassault aéronautique.

Les 13.500 m2 de l'enveloppe vitrée sont constitués de panneaux uniques, confectionnés en Italie avec du verre Saint-Gobain. Afin de leur donner la courbure voulue, un four a été spécialement créé. Chacune des 19.000 plaques de béton blanc fibré - du Ductal - qui forment l'"iceberg'' a été "fabriquée à partir d'un moule et d'un gabarit spécifique en fonction de sa place dans l'édifice", précisent les ingénieurs. Quant aux nombreuses poutres de mélèze - "lamellé-collé feuilleté" - qui soutiennent les voiles, elles résultent de nombreuses recherches ad hoc. Pour ce chantier qui "bouleverse les principes de l'architecture", une trentaine de brevets ont été déposés. "Un cas unique au monde", souligne Jean-Paul Claverie. Pour le reste, Gehry a utilisé la pierre de Bourgogne qu'il affectionne particulièrement, ou encore de la céramique noire, pour tapisser le bassin sur lequel semble reposer l'édifice. Celui-ci utilise davantage de métal - pour sa charpente - que la tour Eiffel. C'est dire s'il est bâti pour longtemps.

(Crédit : Martin ARGYROGLO/DIVERGENCE)

En 2062, la Fondation Louis Vuitton deviendra propriété de la Ville de Paris. Car la Mairie et LVMH - Bertrand Delanoë et Bernard Arnault - ont signé une convention d'occupation du domaine public de 55 ans. À l'issue de ce bail emphytéotique, l'édifice deviendra musée municipal. "C'est un cadeau de Bernard Arnault aux Parisiens", indique son conseiller. Un cadeau dont le montant est gardé secret. Le groupe avait annoncé un investissement de 100 millions d'euros au démarrage, mais les innovations techniques et les retards du chantier - dus principalement aux recours d'associations de riverains - ont alourdi la facture.

Onze galeries et un auditorium

Le visiteur pénètre au rez-de-chaussée dans un vaste hall qui s'ouvre sur le restaurant et la librairie. Un bel auditorium modulable de 350 places, recouvert de Corian, offre une vue sur le bassin en escalier ; il accueillera des concerts de musique classique ou électronique. Le reste de la Fondation est consacré à 3.800 m² d'espaces muséographiques. Les onze galeries de tailles différentes, en rez-de-bassin et dans les étages, sont reliées par des escalators, certaines dédiées aux expositions temporaires, d'autres aux collections permanentes**. Toutes sauf une bénéficient de lumière naturelle, grâce à des fenêtres ou des puits de lumière déstructurés. Sur le toit se succèdent plusieurs niveaux de terrasses plantées, partiellement coiffées par des voiles de verre et des enchevêtrements de poutres de métal et de bois. Depuis ces jardins suspendus, le panorama est unique sur Paris, la Défense, le bois de Boulogne, les hêtres et les chênes centenaires du Jardin d'Acclimatation. Selon LVMH, quelque 700.000 visiteurs sont attendus chaque année, pour découvrir - outre l'art contemporain exposé - ce chef-d'œuvre d'architecture.

* La Fondation Louis Vuitton accueillera le public pour trois journées portes ouvertes - entrée gratuite sur réservation - les vendredi 24, samedi 25 et dimanche 26 octobre. Elle sera ensuite ouverte tous les jours sauf le mardi. Métro Sablons ou navette toutes les 15 mn de l'Étoile et de la porte Maillot. Tarif plein : 14 euros ; les billets donnent accès au Jardin d'Acclimatation. fondationlouisvuitton.fr

** Mi-octobre seront présentés les artistes retenus pour les collections permanentes d'art contemporain, ainsi que les premières installations temporaires.