Nouvelle Donne » Les trois courbes de Gaccio | Think outside the Box | Scoop.it

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Croisant Pierre Larrouturou à France Inter, j’apprends qu’il travaille l’économie avec Bruno Gaccio, le mec des «Guignols»…

Eh oui! Tous deux appartiennent à Nouvelle Donne, un mouvement qui rassemble des gens intéressants pour proposer des choses intéressantes. Le raisonnement repose sur trois courbes inspirées par Larrouturou et présentées par Gaccio dans son livre (1 )

La première est la plus frappante. Elle donne le taux moyen de croissance de 1960 à 2010 par décennie. L’évolution est irrémédiable et catastrophique. On passe de 4,8% pour la décennie 1960-1970 à 0,5% pour la décennie 2000-2010. La décroissance est superbement régulière. Conclusion: la croissance, c’est fini. Il n’y a que les neuneus et les libéraux-socialistes pour y croire encore. Il n’y aura plus de croissance à deux chiffres. La conséquence sur le chômage est considérable: on sait qu’à moins de 1,5 à 2% le chômage ne peut diminuer. Donc il faut partager le travail. Donc les 35 heures sont une bonne réforme. Donc seuls les emplois aidés peuvent résorber le chômage. C’est la politique Hollande: contrats d’insertion (pour les jeunes non qualifiés, près de un million cette année), contrats de génération (à peine 20000 pour l’instant), nouveaux contrats de formation professionnelle (30000). C’est de la dépense publique, donc de la redistribution.

La deuxième courbe est celle de la dette totale des États occidentaux, publique et privée. Elle ne bouge pas de 1960 à 1980, années de forte croissance, après quoi elle explose. Moralité: les États du Nord ont protégé le revenu de leurs citoyens (il vaudrait mieux dire: consommateurs) par un endettement massif. Or tout endettement est un emprunt sur les générations futures. Donc les États ont ruiné les générations futures pour maintenir le niveau de consommation. On comprend bien que, lorsque ces générations «futures» deviendront des générations «actuelles» (elles arrivent!), elles ne seront pas très contentes.

La troisième courbe est celle du partage. C’est la plus connue et la plus ignorée: on la connaît, mais on ne veut rien savoir. Entre 1970 et aujourd’hui, toujours dans ces merveilleuses contrées riches, la part des salaires a été amputée de plus de 10% par rapport à la part des revenus du capital. Sur la période, c’est 150% du PIB mondial qui est passé entre les mains des riches. D’où l’explosion des inégalités; d’où l’impossibilité de payer la dépense publique — car la collecte des impôts se fait sur une base beaucoup plus faible; d’où le délitement des systèmes de Sécurité sociale et de protection, d’où la fin de l’État-providence, qui porte en germe une implosion fasciste.

Question: peut-on inverser ces trois courbes? Pour la première, certainement pas. Le Japon, les États-Unis ont inondé leurs économies de cash, et rien ne repart; l’Allemagne, avec ses extravagants niveaux d’exportation, tourne autour de 0,5% de croissance. Certes, la Chine est à 7 ou 8%. Mais elle ne fait que rattraper le modèle occidental. Les Occidentaux, eux, l’ont déjà, leur modèle de consommation, et ils sont tout simplement saturés. À bout de souffle. Gavés jusqu’à en crever.

La dette? On ne pourra jamais la rembourser. Trop peu de salariés par rapport aux créanciers. Ce sont eux, ces créanciers, baptisés du mot-valise de «marché», qui tiennent les salariés à la gorge.

La part des salaires? Impossible de la faire évoluer également. Pour ça, il faudrait rembourser la dette et ruiner les capitalistes, au moins partiellement. Ils n’en ont pas envie. Ils prêchent des programmes d’austérité pour saigner et saigner encore les salariés.

Les trois courbes de Gaccio forment un triangle incommode, un casse-tête chinois, un nœud indémêlable. L’économie, c’est foutu. Pour ne rien arranger, se profile au-dessus du casse-tête économique une catastrophe écologique qui devrait accélérer les choses. Plus personne ne parle d’écologie aujourd’hui. Tout le monde clame «vive la croissance, vive la croissance!», comme tous ces manifestants qui criaient «Vive la paix!» en 1939. À suivre avec intérêt.

Bernard Maris

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