10 injures à piquer à Molière | Think outside the Box | Scoop.it

La peste soit de la grossiéreté et des mots grossiers ! L'œuvre du dramaturge dix-septièmiste foisonne de quolibets hauts en couleur. Des jurons entre nobles et injures provinciales aux insultes animales, parfois poilantes, Le Figaro vous propose de renouer avec les interjections bien salées du maître de la plume et de la pique.

Dieu: c'est «le» mot interdit. De crainte de recevoir la très sévère admonestation du dies irae -établie selon le psaume de l'Exode du Décalogue «Tu n'invoqueras point le nom de l'Éternel, ton Dieu en vain»- les honnêtes gens redoublaient d'inventivité pour jurer en paix. Les animaux, les odeurs fétides, les onomatopées... tout est sujet à devenir juron. Les miaulements de chat se transforment en «maraud» pour désigner avec mépris un homme du peuple, tandis que les interjections «bah», «zest» se font les images de l'indifférence et du «ras-le-bol». «Zeste ma mère», écrira ainsi pour exemple Antoine Oudin dans ses Curiosités françaises (1640).

Molière, n'est pas en reste sur les expressions fleuries de son temps. Le peintre dix-septiémiste maniera d'ailleurs avec brio l'art de la joute verbale en piochant ses expressions dans les parlers provinciaux et paysans tout comme dans les images animales et adjectifs féminins. Les jurons puisant leur force dans le niveau de langage et le sexe de ses acteurs. On ne jure en effet pas de la même manière selon que l'on agresse un personnage féminin ou un campagnard! La bienséance est reine y compris dans la grossièreté.

De cette fureur comique, nous sont restées quelques expressions vieillies. Le Figaro vous propose de redécouvrir ces insultes comiques afin de redonner du piquant à ces sempiternelles litanies de «p*tain» et «m*rde» qui ponctuent à tout bout de champ notre quotidien.

● Parguenne, Morguienne, Jerniguienne, Tétiguienne

Qu'ils s'inscrivent au travers de paysans, domestiques, bergers ou commerçants, valets et obscurs aristocrates... les patois font partie inhérente de l'oeuvre de Molière. Source inépuisable d'expressions et locutions, les parlers régionaux sont de fins moyens pour saler les répliques et pimenter des conversations déjà houleuses.

«Parguenne», juron très usité dans l'ancienne comédie à l'instar de «Mordienne» ou «morbleu» et «jarniguienne» issu du théâtre espagnol, devient une manière provinciale de signifier l'équivalent de notre «M*rde».

Ainsi retrouve-t-on par exemple dans l'Acte II, scène 1 de Dom Juan, le personnage de Pierrot lancer: «Oh! parguienne, sans nous, il en avait pour sa maine de fève», ou le Chevalier de Guise s'exclamer dans Mademoiselle de la Vallière: «Nous sommes comédiens, eh bien! il faut, mordienne,/ Souper, ce soir, chacun avec sa comédienne.»

● Morbleu, Vertubleu, Par la Corbleu!

Les blasphémateurs risquaient de très sévères peines en jurant au nom de Dieu. Pour contourner l'interdit, les Français rivalisaient ainsi de talent. Aussi retrouve-t-on fréquemment dans l'œuvre de Molière les jurons «Corbleu», «Morbleu», «Tête-bleu» prenant leur finale en «-bleu». Un pied de nez fait aux Institutions pour singer, avec l'assonance en «eu», le nom de Dieu.

«Tête-bleu! ce me sont de mortelles blessures, De voir qu'avec le vice on garde des mesures», s'exprime ainsi l'atrabilaire Alceste, dans Le Misanthrope, Acte I, scène 1, pour signifier sa vive humeur teintée d'indignation.

Outre les euphémismes azuréens, on retrouve également des déformations fétides issues des jurons paysans, tels palsembleu ou vertubleu qui définissent ni plus ni moins des gens qui «sentent le gros homme». Très utiles en temps de fortes chaleurs...

● Bah, Baste, Zest !

Aujourd'hui utilisée pour marquer son «dégoût» ou signifier son hésitation, l'expression «bah» était principalement employée du temps de Molière pour faire part de son indifférence, de son dédain ou de son aigreur. Issue de l'italien «Basta», l'exclamation francisée se retrouve ainsi prononcée par Sganarelle dans Le Médecin malgré lui : «Baste, laissons là ce chapitre, il suffit que nous savons ce que nous savons: et que tu fus bien heureuse de me trouver.»

Un siècle après le dramaturge, les écrivains useront également de la locution pour exprimer l'insouciance de leurs personnages. «On vous fera bien voir. / Bah! j'en ai bien vu d'autres», écrira Fabre d'Eglantine. Une parfaite manière de souligner le désinterêt du locuteur faisant peu de cas des paroles d'autrui, en usant du bêlement animal. À utiliser avec précaution néanmoins, il serait de mauvais goût de soi-même céder au comportement bestial.

● Maraud, Godelureau, Pendard, Coquine!

«L'injure joue sur la rupture des codes établis, en répondant elle-même à un code bien établi», expliquait Sylvain Milbach, maître de conférences d'histoire contemporaine, en 2009. La société dix-septiémiste répond à une hiérarchie très réglée, y compris dans sa langue. Molière traduit cette rupture linguistique dans L'école des femmes.

Arnolphe gratifie Horace du terme «godelureau» tandis qu'il traite Agnès, une jeune fille, de «coquine». Un terme qui revêtait au XVIIe diverses acceptions, bien différentes d'aujourd'hui, pour signifier: l'espièglerie, la vilenie ou le caractère libertin d'un individu. Les serviteurs sont quant à eux traités de «lourdaud et pendard». Des adjectifs forts de suffixes péjoratifs pour marquer leur infériorité linguistique et hiérarchique.

Aussi n'est-il pas étonnant d'entendre Alceste lancer à son valet Du Bois: «Ah! Je te casserai la tête assurément. / Si tu ne veux, maraud, t'expliquer autrement.» Un adjectif uniquement employé pour désigner «de façon méprisante un homme du peuple ou d'un rang social inférieur».

Outre ce rangement linguistique suivant les codes de la bienséance, il se peut que, sous l'effet de la colère les registres s'emmêlent. En témoigne par exemple Martine, dans le Médecin malgré lui qui jettera dans l'Acte I, scène 1, une flopée d'insultes, indifféremment paysanne, provinciale ou bourgeoise, au visage de Sganarelle,: «Traître, insolent, trompeur, lâche, couin, pendard, gueux, bélître, fripon, maraud, voleur!»

● Tête de bœuf, Crocodile, Petit serpent!

Au XVIIe siècle les images familières à l'égard de la gent féminine sont on ne peut plus gratinées. Hormis les «friponne», «gourgandine», «butorde» qui leurs est régulièrement assénées, on retrouve des noms d'oiseaux très colorés. La comtesse d'Escarbagnas, comédie-ballet de Molière, multiplie le bestiaire lexical avec, entre autres, les images de «tête de boeuf», «bouvière», «criquet», «oison bridé»...

Se joignent également à cette faune familière des expressions comme «petit serpent» (symbole de la Chute), «maraud» ( mot semble-t-il formé du radical onomatopéique mar(m)- qui imite le miaulement des chats en rut et du suffixe péjoratif -aud), «chienne», «crocodile» ou «dragonne». Des expressions qui n'ont rien à envier à celles de La Fontaine, contemporain de Molière, mais qui n'en restent pas moins exotiques voire... poilantes.

 

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Alice Develey