À l’occasion de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), la France s’est armée d’une ambitieuse feuille de route pour lutter contre le changement climatique. La « Stratégie Nationale Bas Carbone » (SNBC) a pour ambition d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, et définit à cette fin une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce contexte, le gouvernement a, dans le cadre du Conseil national de l’industrie (CNI), demandé aux comités des filières les plus émettrices de gaz à effet de serre, de proposer des feuilles de route pour respecter les objectifs de réduction fixés par la SNBC. Les filières industrielles de la chimie, du ciment, de la métallurgie et de l’agroalimentaire ont ainsi proposé d’agir sur des leviers d’action qui diffèrent en fonction des échéances.
Pour respecter les objectifs de 2030, les propositions d’actions se sont concentrées, entre autres, sur « l’efficacité énergétique [de la] substitution de combustibles fossiles par de la biomasse ou des combustibles solides de récupération, l’utilisation de la chaleur fatale [et] l’augmentation du taux de recyclage (1) ».
En revanche, pour atteindre les objectifs 2050, ces filières proposent de mettre en œuvre des technologies qui nécessitent encore d’être affinées par le temps et la recherche, telles que l’hydrogène ou le captage-stockage-utilisation du CO2 (2).
Avec les transports (29,7 %) et l’agriculture (19 %), l’industrie (18 %) représente une des sources majeures d’émissions de gaz à effet de serre. En France, si le secteur industriel a considérablement diminué ses émissions de CO2 depuis une vingtaine d’années, il contribue néanmoins encore à 20 % des émissions nationales. Surtout, la réduction des émissions issues de l’industrie s’explique en partie par la désindustrialisation massive qu’a connue la France ces trois dernières décennies.
Trop souvent négligé, décarboner notre industrie s’avère pourtant être tout autant nécessaire que la décarbonation du logement ou du transport si l’on veut pouvoir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. De surcroît, face à la complexité et à la relative inefficacité du système d’échange des quotas de gaz à effet de serre (SEQUE), la décarbonation de l’industrie, et surtout de l’industrie lourde, est un enjeu crucial dont le gouvernement ne s’est saisi que très récemment à travers les plans « France Relance » et « France 2030 ».
PLAN RELANCE ET DÉCARBONATION DE L’INDUSTRIE
Le plan « France Relance » est présenté comme « une feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays ». Pour ce faire, le plan est doté de 100 milliards d’euros sur deux ans dont 30 milliards sont affectés à la transition écologique et répartis entre la rénovation énergétique, la lutte contre l’artificialisation des sols, l’économie circulaire et les circuits courts, la mer, les infrastructures et la mobilité verte, les technologies vertes et la décarbonation de l’industrie.
Le plan de relance prévoit une aide ambitieuse de 1,2 milliard d’euros à la décarbonation de l’industrie sur la période 2020-2022. Cette décarbonation du secteur industriel repose sur deux axes principaux de réductions : d’une part, le soutien à l’investissement industriel pour une meilleure efficacité énergétique et l’évolution des procédés industriels, d’autre part, le soutien à la décarbonation de la chaleur industrielle.
Soutien à l’investissement pour l’efficacité énergétique
En premier lieu, un dispositif d’appel à projets conduit par l’Agence de la transition écologique (ADEME), IndusEE, désormais clos, a été lancé en 2020 pour soutenir l’investissement dans les projets d’envergure, améliorant l’efficacité énergétique d’une activité industrielle. Face à son succès, un appel à projets unique (DECARB IND) a été renouvelé en 2021 avec un champ d’application plus large. Désormais, en plus de l’amélioration de l’efficacité énergétique, tous les projets visant à la transformation des procédés industriels qui concourent « significativement à la décarbonation de l’industrie » sont désormais éligibles.
Par ailleurs, le plan de relance a prévu la mise en place d’un guichet de soutien à l’investissement pour les projets d’amélioration de l’efficacité énergétique, qui doit permettre aux entreprises d’obtenir des subventions pour leurs projets d’efficacité énergétique d’une valeur de moins de 3 millions d’euros, et ce jusqu’au 31 décembre 2022. Ce dispositif est encadré par le décret n° 2020-1361 du 7 novembre 2020 et par l’arrêté pris le même jour et modifié par un arrêté du 28 mai 2021. Ainsi, une subvention peut être versée aux entreprises « qui réalisent un investissement dans un bien acquis à l’état neuf […] affecté à une activité industrielle manufacturière sur le territoire français, lorsque ce bien permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’activité par la mise en place de mesures d’efficacité énergétique ». Elle vise notamment les biens de récupération de force ou de chaleur et les biens destinés à l’amélioration du rendement énergétique d’appareils ou d’installations.
Soutien à la chaleur bas carbone
En premier lieu, un appel à projets a été institué en 2020 pour la production de chaleur à partir de biomasse pour un usage industriel qui apporte à l’entreprise lauréate une aide à l’investissement ainsi qu’une aide au fonctionnement. Au regard de l’engouement suscité par le dispositif, celui-ci a été reconduit du 11 mars au 14 octobre 2021. Il concerne notamment les projets d’installation de nouveaux équipements et la conversion à la biomasse d’installations existantes utilisant des combustions fossiles. Par ailleurs, un appel à projets, lancé le 20 octobre et conduit par l’ADEME, prévoit un soutien au fonctionnement pour la chaleur industrielle issue de Combustibles Solides de Récupération.
Si la combustion de la biomasse émet moins de carbone que la combustion fossile, il convient de rappeler que celle-ci, et notamment la combustion du bois, rejette dans l’air des particules fines néfastes pour la santé humaine. Une étude parue en 2020 dans la revue Nature (3) affirme que « les particules issues de la combustion de la biomasse, par leur potentiel oxydant, c’est-à-dire leur capacité à attaquer les cellules, seraient même plus toxiques que celles issues des gaz d’échappement des vieux véhicules diesels et essence (4). »
UN VERROU TECHNOLOGIQUE À LA DECARBONATION DE L’INDUSTRIE
Pour décarboner l’industrie, et notamment l’industrie lourde, les solutions actuellement disponibles dites « matures » demeurent insuffisantes pour atteindre les objectifs de la SNBC. Face à ce « verrou technologique », « des innovations de rupture sont absolument nécessaires (5) ».
C’est dans cette projection que l’ADEME travaille, grâce au projet Finance ClimAct, à élaborer des plans de transition sur neuf secteurs industriels énergo-intensifs (acier, aluminium, ciment, ammoniac, chlore, ethylène, papier-carton, sucre et verre). Il s’agit de construire des feuilles de route pour permettre aux industriels un changement de procédés afin de se conformer aux objectifs de neutralité carbone.
Pour le secteur du ciment par exemple, la réflexion entreprise avec l’ADEME sur l’impact et le coût des différents leviers d’amélioration a fait émerger plusieurs solutions : la baisse du taux de clinker dans les compositions ou encore la mise en place de technologies de captage et stockage de CO2, etc.
Or, alors que les analyses montrent qu’un investissement de 3,5 à 4,5 milliards d’euros sur les technologies « matures » serait nécessaire pour réduire de 40 à 55 % les émissions de gaz à effet de serre du parc cimentier français (6), les « investissements corporels bruts moyens » sur la période 2013-2017 du secteur ne se sont élevés qu’à 172 millions d’euros par an. Les investissements paraissent encore trop insuffisants pour atteindre l’objectif de réduction de 81 % des émissions du secteur industriel.
LA STRATÉGIE « FRANCE 2030 »
Dévoilé le 12 octobre, le nouveau plan d’investissement « France 2030 » prévoit, entre autres, un investissement de 500 millions d’euros pour qu’à terme, puisse émerger en France « au moins deux Gigafactory d’électrolyseurs » et pour « produire massivement de l’hydrogène et l’ensemble des technologies utiles à son utilisation ».
De plus, toujours en continuité du plan de relance, l’objectif de décarbonation de l’industrie devra bénéficier d’un nouvel investissement, avec pour objectif de réduire de 35 % les émissions du secteur d’ici à 2030.
Parmi les arguments permettant de justifier les investissements massifs dans la filière de l’hydrogène, le gouvernement avance que le développement de l’hydrogène décarboné est primordial pour remplir les objectifs de décarbonation de l’industrie en France. En effet, le secteur est de loin le premier consommateur d’hydrogène, et notamment la métallurgie, la chimie et le ciment.
LE PARI D’UNE FILIÈRE FRANÇAISE DE L’HYDROGÈNE DÉCARBONÉ
Aujourd’hui, la France donne une place importante dans ses politiques publiques à l’hydrogène pour la décarbonation de l’industrie. La stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France, institué par le plan de relance en septembre 2020, vise à soutenir la R&D afin de permettre le développement de technologies plus performantes pour l’ensemble des usages de l’hydrogène. L’objectif derrière le développement de l’hydrogène est bien de décarboner l’industrie grâce à l’émergence d’une filière française de l’électrolyse.
La production d’hydrogène actuelle (hydrogène gris) est particulièrement émettrice de CO2. Pour produire de l’hydrogène décarboné, il est soit possible de capter-stocker le CO2 émis lors de la production (hydrogène bleu), soit de le produire par électrolyse de l’eau (hydrogène vert) à partir de l’énergie renouvelable. Il existe également un hydrogène rose bas carbone produit à partir d’une électricité nucléaire, mais cet hydrogène peut être qualifié de vert.
Néanmoins, la production d’hydrogène bleu et vert est encore pour l’instant bien plus coûteuse que ne l’est l’hydrogène gris. En effet, la production d’hydrogène décarboné, et surtout d’hydrogène vert, consomme une quantité importante d’électricité. En effet, si l’industrie française substituait en totalité l’hydrogène gris par de l’hydrogène vert, « il faudrait augmenter la production actuelle d’électricité française de 15 % », ce qui « montre que l’hydrogène vert peut difficilement être la seule solution de décarbonation de la sidérurgie, et de substitution de l’hydrogène gris par du vert dans la chimie (7). »
L’hydrogène constitue par conséquent une solution de long terme, qui, toutefois, pourrait, à moyen terme, alléger l’impact de la sidérurgie en tant que substitut au charbon. Néanmoins, plusieurs défis restent à relever. En premier lieu, le coût de production de l’hydrogène décarboné ne permet pas d’inciter les industriels à verdir les quelque 900 000 tonnes consommées chaque année par le secteur. De plus, le rendement et la longévité des électrolyseurs doivent être améliorés. Là encore, les investissements R&D du secteur industriel devront être massifs, afin d’améliorer le rendement des électrolyseurs comme de l’éolien terrestre et du solaire qui permettront d’alimenter les premiers en électricité (8).
Enfin, et c’est là l’un des points clés, la question du stockage de l’hydrogène doit faire l’objet d’une réflexion accrue. En effet, le stockage massif de l’hydrogène dans des réservoirs de 700 bars cause trop de pertes énergétiques (9).
Pour finir, on regrettera le manque de vision et d’ambition pour adjoindre à la décarbonation de l’industrie un volet économie circulaire. En effet, outre l’amélioration de l’efficacité énergétique des procédés de production, l’enjeu de la réduction des matières premières utilisées dans l’industrie ne doit pas être négligé. Le développement de l’économie circulaire, « par l’amélioration de la qualité du tri et de la collecte, ainsi que le déploiement de solutions de recyclage pour la production de matériaux secondaires (10) » est un vecteur critique de la décarbonation du secteur.
Par ailleurs, la captation et le stockage de CO2 sont incontournables et devraient contribuer à hauteur de 15 % aux réductions des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 (11). Le captage-stockage du CO2 est à l’heure actuelle une technique complexe et toujours en cours de développement. Selon une étude de l’Ademe (12), environ 51 mégatonnes des 65 mégatonnes de CO2 rejetées par l’industrie sont « captables ». Le bénéfice est par conséquent non négligeable. Cependant, cette technologie présente encore de nombreuses limites. D’une part, elle est extrêmement énergivore. D’autre part, l’acceptabilité sociale de ce genre de projet est particulièrement difficile à obtenir, au même titre que les projets éoliens et solaires. Or, comme l’affirme à juste titre la physicienne Florence Delprat-Jannaud, « tout l’intérêt de cette technologie est d’être déployée en parallèle des énergies renouvelables ».
1) Conseil général de l’économie, « La décarbonation des entreprises en France », Rapport, févr. 2021.
2) Ibid.
3) K. R. Daellenbach, G. Uzu et al., « Sources of Particule-Matter Air Pollution and Its Oxydative Potential in Europe », Nature, 587, Nov. 2020.
4) S. Mandard, « Le chauffage au bois, première source d’émission de particules fines », Le Monde, 4 juin 2021.
5) T. Gourdon, S. Padilla, « Comment décarboner l’industrie lourde », Transitions & Énergies, 19 févr. 2021.
6) Ibid.
7) Conseil général de l’économie, « La décarbonation des entreprises en France », Rapport, févr. 2021.
8) H. Leroux, « Transport, industrie, énergie… : faut-il croire à la révolution hydrogène ? », Sciences & Vie, 15 déc. 2020.
9) Ibid.
10) https://reseauactionclimat.org/thematiques/industrie-lourde/
11) E. Disdero, « “France 2030” : capter et stocker le CO2 pour décarboner l’industrie, est-ce vraiment une bonne idée ? », Libération, 14 oct. 2021.
12) https://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2020/07/captage-stockage-geologique-co2_csc_avis-technique_2020.pdf.
Corinne Lepage,
Avocate à la Cour,
Huglo Lepage Avocats
Nathan Pillet,
Élève-avocat