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La décarbonation de l’industrie et ses limites

La décarbonation de l’industrie et ses limites | Think outside the Box | Scoop.it

À l’occasion de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), la France s’est armée d’une ambitieuse feuille de route pour lutter contre le changement climatique. La « Stratégie Nationale Bas Carbone » (SNBC) a pour ambition d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, et définit à cette fin une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dans ce contexte, le gouvernement a, dans le cadre du Conseil national de l’industrie (CNI), demandé aux comités des filières les plus émettrices de gaz à effet de serre, de proposer des feuilles de route pour respecter les objectifs de réduction fixés par la SNBC. Les filières industrielles de la chimie, du ciment, de la métallurgie et de l’agroalimentaire ont ainsi proposé d’agir sur des leviers d’action qui diffèrent en fonction des échéances.

Pour respecter les objectifs de 2030, les propositions d’actions se sont concentrées, entre autres, sur « l’efficacité énergétique [de la] substitution de combustibles fossiles par de la biomasse ou des combustibles solides de récupération, l’utilisation de la chaleur fatale [et] l’augmentation du taux de recyclage (1) ».

En revanche, pour atteindre les objectifs 2050, ces filières proposent de mettre en œuvre des technologies qui nécessitent encore d’être affinées par le temps et la recherche, telles que l’hydrogène ou le captage-stockage-utilisation du CO2 (2).

Avec les transports (29,7 %) et l’agriculture (19 %), l’industrie (18 %) représente une des sources majeures d’émissions de gaz à effet de serre. En France, si le secteur industriel a considérablement diminué ses émissions de CO2 depuis une vingtaine d’années, il contribue néanmoins encore à 20 % des émissions nationales. Surtout, la réduction des émissions issues de l’industrie s’explique en partie par la désindustrialisation massive qu’a connue la France ces trois dernières décennies.

Trop souvent négligé, décarboner notre industrie s’avère pourtant être tout autant nécessaire que la décarbonation du logement ou du transport si l’on veut pouvoir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. De surcroît, face à la complexité et à la relative inefficacité du système d’échange des quotas de gaz à effet de serre (SEQUE), la décarbonation de l’industrie, et surtout de l’industrie lourde, est un enjeu crucial dont le gouvernement ne s’est saisi que très récemment à travers les plans « France Relance » et « France 2030 ».





PLAN RELANCE ET DÉCARBONATION DE L’INDUSTRIE

Le plan « France Relance » est présenté comme « une feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays ». Pour ce faire, le plan est doté de 100 milliards d’euros sur deux ans dont 30 milliards sont affectés à la transition écologique et répartis entre la rénovation énergétique, la lutte contre l’artificialisation des sols, l’économie circulaire et les circuits courts, la mer, les infrastructures et la mobilité verte, les technologies vertes et la décarbonation de l’industrie.

Le plan de relance prévoit une aide ambitieuse de 1,2 milliard d’euros à la décarbonation de l’industrie sur la période 2020-2022. Cette décarbonation du secteur industriel repose sur deux axes principaux de réductions : d’une part, le soutien à l’investissement industriel pour une meilleure efficacité énergétique et l’évolution des procédés industriels, d’autre part, le soutien à la décarbonation de la chaleur industrielle.



Soutien à l’investissement pour l’efficacité énergétique

En premier lieu, un dispositif d’appel à projets conduit par l’Agence de la transition écologique (ADEME), IndusEE, désormais clos, a été lancé en 2020 pour soutenir l’investissement dans les projets d’envergure, améliorant l’efficacité énergétique d’une activité industrielle. Face à son succès, un appel à projets unique (DECARB IND) a été renouvelé en 2021 avec un champ d’application plus large. Désormais, en plus de l’amélioration de l’efficacité énergétique, tous les projets visant à la transformation des procédés industriels qui concourent « significativement à la décarbonation de l’industrie » sont désormais éligibles.

Par ailleurs, le plan de relance a prévu la mise en place d’un guichet de soutien à l’investissement pour les projets d’amélioration de l’efficacité énergétique, qui doit permettre aux entreprises d’obtenir des subventions pour leurs projets d’efficacité énergétique d’une valeur de moins de 3 millions d’euros, et ce jusqu’au 31 décembre 2022. Ce dispositif est encadré par le décret n° 2020-1361 du 7 novembre 2020 et par l’arrêté pris le même jour et modifié par un arrêté du 28 mai 2021. Ainsi, une subvention peut être versée aux entreprises « qui réalisent un investissement dans un bien acquis à l’état neuf […] affecté à une activité industrielle manufacturière sur le territoire français, lorsque ce bien permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’activité par la mise en place de mesures d’efficacité énergétique ». Elle vise notamment les biens de récupération de force ou de chaleur et les biens destinés à l’amélioration du rendement énergétique d’appareils ou d’installations.



Soutien à la chaleur bas carbone

En premier lieu, un appel à projets a été institué en 2020 pour la production de chaleur à partir de biomasse pour un usage industriel qui apporte à l’entreprise lauréate une aide à l’investissement ainsi qu’une aide au fonctionnement. Au regard de l’engouement suscité par le dispositif, celui-ci a été reconduit du 11 mars au 14 octobre 2021. Il concerne notamment les projets d’installation de nouveaux équipements et la conversion à la biomasse d’installations existantes utilisant des combustions fossiles. Par ailleurs, un appel à projets, lancé le 20 octobre et conduit par l’ADEME, prévoit un soutien au fonctionnement pour la chaleur industrielle issue de Combustibles Solides de Récupération.

Si la combustion de la biomasse émet moins de carbone que la combustion fossile, il convient de rappeler que celle-ci, et notamment la combustion du bois, rejette dans l’air des particules fines néfastes pour la santé humaine. Une étude parue en 2020 dans la revue Nature (3) affirme que « les particules issues de la combustion de la biomasse, par leur potentiel oxydant, c’est-à-dire leur capacité à attaquer les cellules, seraient même plus toxiques que celles issues des gaz d’échappement des vieux véhicules diesels et essence (4). »












UN VERROU TECHNOLOGIQUE À LA DECARBONATION DE L’INDUSTRIE

Pour décarboner l’industrie, et notamment l’industrie lourde, les solutions actuellement disponibles dites « matures » demeurent insuffisantes pour atteindre les objectifs de la SNBC. Face à ce « verrou technologique », « des innovations de rupture sont absolument nécessaires (5) ».

C’est dans cette projection que l’ADEME travaille, grâce au projet Finance ClimAct, à élaborer des plans de transition sur neuf secteurs industriels énergo-intensifs (acier, aluminium, ciment, ammoniac, chlore, ethylène, papier-carton, sucre et verre). Il s’agit de construire des feuilles de route pour permettre aux industriels un changement de procédés afin de se conformer aux objectifs de neutralité carbone.

Pour le secteur du ciment par exemple, la réflexion entreprise avec l’ADEME sur l’impact et le coût des différents leviers d’amélioration a fait émerger plusieurs solutions : la baisse du taux de clinker dans les compositions ou encore la mise en place de technologies de captage et stockage de CO2, etc.

Or, alors que les analyses montrent qu’un investissement de 3,5 à 4,5 milliards d’euros sur les technologies « matures » serait nécessaire pour réduire de 40 à 55 % les émissions de gaz à effet de serre du parc cimentier français (6), les « investissements corporels bruts moyens » sur la période 2013-2017 du secteur ne se sont élevés qu’à 172 millions d’euros par an. Les investissements paraissent encore trop insuffisants pour atteindre l’objectif de réduction de 81 % des émissions du secteur industriel.




LA STRATÉGIE « FRANCE 2030 »

Dévoilé le 12 octobre, le nouveau plan d’investissement « France 2030 » prévoit, entre autres, un investissement de 500 millions d’euros pour qu’à terme, puisse émerger en France « au moins deux Gigafactory d’électrolyseurs » et pour « produire massivement de l’hydrogène et l’ensemble des technologies utiles à son utilisation ».

De plus, toujours en continuité du plan de relance, l’objectif de décarbonation de l’industrie devra bénéficier d’un nouvel investissement, avec pour objectif de réduire de 35 % les émissions du secteur d’ici à 2030.

Parmi les arguments permettant de justifier les investissements massifs dans la filière de l’hydrogène, le gouvernement avance que le développement de l’hydrogène décarboné est primordial pour remplir les objectifs de décarbonation de l’industrie en France. En effet, le secteur est de loin le premier consommateur d’hydrogène, et notamment la métallurgie, la chimie et le ciment.





LE PARI D’UNE FILIÈRE FRANÇAISE DE L’HYDROGÈNE DÉCARBONÉ

Aujourd’hui, la France donne une place importante dans ses politiques publiques à l’hydrogène pour la décarbonation de l’industrie. La stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France, institué par le plan de relance en septembre 2020, vise à soutenir la R&D afin de permettre le développement de technologies plus performantes pour l’ensemble des usages de l’hydrogène. L’objectif derrière le développement de l’hydrogène est bien de décarboner l’industrie grâce à l’émergence d’une filière française de l’électrolyse.

La production d’hydrogène actuelle (hydrogène gris) est particulièrement émettrice de CO2. Pour produire de l’hydrogène décarboné, il est soit possible de capter-stocker le CO2 émis lors de la production (hydrogène bleu), soit de le produire par électrolyse de l’eau (hydrogène vert) à partir de l’énergie renouvelable. Il existe également un hydrogène rose bas carbone produit à partir d’une électricité nucléaire, mais cet hydrogène peut être qualifié de vert.

Néanmoins, la production d’hydrogène bleu et vert est encore pour l’instant bien plus coûteuse que ne l’est l’hydrogène gris. En effet, la production d’hydrogène décarboné, et surtout d’hydrogène vert, consomme une quantité importante d’électricité. En effet, si l’industrie française substituait en totalité l’hydrogène gris par de l’hydrogène vert, « il faudrait augmenter la production actuelle d’électricité française de 15 % », ce qui « montre que l’hydrogène vert peut difficilement être la seule solution de décarbonation de la sidérurgie, et de substitution de l’hydrogène gris par du vert dans la chimie (7). »

L’hydrogène constitue par conséquent une solution de long terme, qui, toutefois, pourrait, à moyen terme, alléger l’impact de la sidérurgie en tant que substitut au charbon. Néanmoins, plusieurs défis restent à relever. En premier lieu, le coût de production de l’hydrogène décarboné ne permet pas d’inciter les industriels à verdir les quelque 900 000 tonnes consommées chaque année par le secteur. De plus, le rendement et la longévité des électrolyseurs doivent être améliorés. Là encore, les investissements R&D du secteur industriel devront être massifs, afin d’améliorer le rendement des électrolyseurs comme de l’éolien terrestre et du solaire qui permettront d’alimenter les premiers en électricité (8).

Enfin, et c’est là l’un des points clés, la question du stockage de l’hydrogène doit faire l’objet d’une réflexion accrue. En effet, le stockage massif de l’hydrogène dans des réservoirs de 700 bars cause trop de pertes énergétiques (9).

Pour finir, on regrettera le manque de vision et d’ambition pour adjoindre à la décarbonation de l’industrie un volet économie circulaire. En effet, outre l’amélioration de l’efficacité énergétique des procédés de production, l’enjeu de la réduction des matières premières utilisées dans l’industrie ne doit pas être négligé. Le développement de l’économie circulaire, « par l’amélioration de la qualité du tri et de la collecte, ainsi que le déploiement de solutions de recyclage pour la production de matériaux secondaires (10) » est un vecteur critique de la décarbonation du secteur.

Par ailleurs, la captation et le stockage de CO2 sont incontournables et devraient contribuer à hauteur de 15 % aux réductions des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 (11). Le captage-stockage du CO2 est à l’heure actuelle une technique complexe et toujours en cours de développement. Selon une étude de l’Ademe (12), environ 51 mégatonnes des 65 mégatonnes de CO2 rejetées par l’industrie sont « captables ». Le bénéfice est par conséquent non négligeable. Cependant, cette technologie présente encore de nombreuses limites. D’une part, elle est extrêmement énergivore. D’autre part, l’acceptabilité sociale de ce genre de projet est particulièrement difficile à obtenir, au même titre que les projets éoliens et solaires. Or, comme l’affirme à juste titre la physicienne Florence Delprat-Jannaud, « tout l’intérêt de cette technologie est d’être déployée en parallèle des énergies renouvelables ».



1) Conseil général de l’économie, « La décarbonation des entreprises en France », Rapport, févr. 2021.

2) Ibid.

3) K. R. Daellenbach, G. Uzu et al., « Sources of Particule-Matter Air Pollution and Its Oxydative Potential in Europe », Nature, 587, Nov. 2020.

4) S. Mandard, « Le chauffage au bois, première source d’émission de particules fines », Le Monde, 4 juin 2021.

5) T. Gourdon, S. Padilla, « Comment décarboner l’industrie lourde », Transitions & Énergies, 19 févr. 2021.

6) Ibid.

7) Conseil général de l’économie, « La décarbonation des entreprises en France », Rapport, févr. 2021.

8) H. Leroux, « Transport, industrie, énergie… : faut-il croire à la révolution hydrogène ? », Sciences & Vie, 15 déc. 2020.

9) Ibid.

10) https://reseauactionclimat.org/thematiques/industrie-lourde/

11) E. Disdero, « “France 2030” : capter et stocker le CO2 pour décarboner l’industrie, est-ce vraiment une bonne idée ? », Libération, 14 oct. 2021.

12) https://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2020/07/captage-stockage-geologique-co2_csc_avis-technique_2020.pdf.


Corinne Lepage,

Avocate à la Cour,

Huglo Lepage Avocats



Nathan Pillet,

Élève-avocat

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La troisième révolution industrielle est en marche et nous pouvons tous y participer

La troisième révolution industrielle est en marche et nous pouvons tous y participer | Think outside the Box | Scoop.it

La « troisième révolution industrielle » est une expression popularisée par un récent essai de Jeremy Rifkin. Mais s’il se penche attentivement sur la question de l’énergie, qu’il envisage durable et distribuée, il se montre moins prolixe sur la question de la production.

Or là aussi de profonds bouleversements nous attendent…

Je casse une assiette aujourd’hui. Je prends ma voiture pour aller chez Ikea en acheter une autre (construit en Chine). Je casse une assiette demain. Je vais chercher sur Internet le fichier numérique « assiette », puis je demande à mon imprimante 3D de m’en créer une nouvelle sous mes yeux ébahis.

Et là où ça devient encore plus intéressant c’est quand l’imprimante tout comme le fichier sont libres, m’assurant alors que j’aurais une grande variétés de fichiers « assiette » à télécharger et que je pourrais même les modifier à ma guise avant de les imprimer :)

(...)

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La France va enfin riposter au pillage de ses pépites industrielles. Trop tard?

La France va enfin riposter au pillage de ses pépites industrielles. Trop tard? | Think outside the Box | Scoop.it

Une turbine à gaz en construction, en 2014, à l'usine GE de Belfort. Le ministère de la Justice américaine est soupçonné d’avoir mené une enquête pour corruption à l’encontre d’Alstom pour favoriser la prise de contrôle de la branche Energie de l’entreprise par GE.

 

De la vente controversée d’Alstom à GE au passage de Technip sous la coupe de l’américain FMC, nombreux sont les groupes stratégiques français passés sous pavillon étranger. Face à ce dépeçage, l’exécutif tente de reprendre la main.

 

La liste est longue. On ne compte plus le nombre de fleurons stratégiques et de pépites technologiques qui sont passés, ces dernières années, sous pavillon étranger. Parmi les disparitions les plus notables, il y a celle de Pechiney. Le champion français de l'emballage et de l'aluminium a été racheté en 2003 par le canadien Alcan, lequel s'est fait avaler, en 2007, par le géant minier anglo-australien Rio Tinto. En 2006, c'est Arcelor, le sidérurgiste européen, qui filait, au terme d'une OPA hostile, dans l'escarcelle du géant indien Mittal pour plus de 18 milliards d'euros. En 2016, c'est le fleuron des équipements télécoms Alcatel qui atterrit chez Nokia. Avec cette emplette, le groupe finlandais fait aussi main basse sur Alcatel Submarine Networks, le champion des câbles de communication sous-marins.

Citons enfin Technip, un cador de l'ingénierie pétrolière. Celui-ci est passé en 2017 sous la coupe du texan FMC Technologies, deux fois plus petit que lui. L'opération a été bouclée au terme d'une "fusion entre égaux" qui s'est soldée, dans les faits, par une absorption du champion français. Trois ans plus tard, la nouvelle entité va être scindée en deux. Mais les Américains doivent conserver les stratégiques activités sous-marines, dont l'essentiel provient du groupe français...

L'électrochoc du deal Alstom-GE

Reste qu'un deal, en particulier, a fait figure d'électrochoc : celui du rachat de la branche Énergie d'Alstom par General Electric (GE) pour près de 13 milliards d'euros en 2014. Avec cette emplette, le groupe américain a récupéré des activités précieuses et stratégiques pour la France dans les turbines à gaz et à vapeur, l'éolien en mer et les réseaux électriques. L'opération a suscité de très vives critiques dans la sphère politique, notamment parce qu'elle revient à confier la maintenance des turbines des réacteurs nucléaires français à un acteur étranger.

 
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L'armée et les services de renseignement ont aussi déploré cette vente. En février 2018, Alain Juillet, ex-directeur du renseignement à la DGSE et président de l'Académie de l'intelligence économique, n'a pas caché, lors d'une audition à l'Assemblée nationale, tout le mal qu'il pensait de l'opération : "Dans le cas d'Alstom, nous avons vendu aux Américains la fabrication des turbines des sous-marins nucléaires, de sorte que l'on ne peut plus produire en France de tels sous-marins sans une autorisation américaine, a-t-il fustigé. C'est une perte de souveraineté absolue".

Macron très critiqué

Emmanuel Macron a été très critiqué dans sa gestion du dossier, puisque c'est lui qui a donné le feu vert au deal, le 5 novembre 2014, alors qu'il était ministre de l'Économie. Le député LR Olivier Marleix a même soupçonné un "pacte de corruption" qui aurait pu, dans cette affaire, bénéficier à l'actuel locataire de l'Élysée. Une enquête est aujourd'hui menée par le Parquet national financier (PNF), qui doit lever le voile sur le rôle d'Emmanuel Macron. En outre, le ministère de la Justice américaine (DoJ) est soupçonné d'avoir mené une enquête pour corruption à l'encontre d'Alstom (qui s'est soldée par une amende de 772 millions de dollars) pour favoriser la prise de contrôle de l'entreprise. C'est ce que soutient Frédéric Pierucci, un ancien dirigeant du groupe, qui a passé deux ans en prison aux États-Unis dans le cadre de cette affaire. "Ce n'est pas une conjecture, les preuves matérielles sont là", canardait-il en janvier 2019 dans un entretien à Marianne.

De manière générale, le DoJ est régulièrement accusé, sous couvert de mener des enquêtes anti-corruption, de servir aux États-Unis de bras armé dans leur guerre économique, en particulier lorsqu'ils lorgnent des groupes étrangers. Avant sa vente à FMC, Technip a d'ailleurs fait l'objet d'une offensive du DoJ, laquelle s'est soldée par le paiement d'une amende de 338 millions de dollars en 2010. "Il y a une véritable instrumentalisation de cette procédure au service de l'économie et des entreprises américaines", constate le député Raphaël Gauvain (LREM), auteur d'un rapport sur les lois et mesures à portée extraterritoriale.

Le choix de coller au modèle anglo-saxon

Comment un tel pillage industriel a-t-il pu se produire ? Pourquoi les pouvoirs publics n'ont-ils pas su protéger les intérêts du pays ? Beaucoup fustigent le manque de vision industrielle, depuis les années 1990, de la classe économique et politique. Pour le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, qui a notamment dirigé L'Agefi et La Tribune, le problème est profond. Il découle, selon lui, du choix de "coller au modèle anglo­-saxon", dans le contexte d'une économie qui se financiarisait à toute vitesse. En adoptant ce modèle, "le plus grave est que nous avons pri­vilégié la macroéconomie au détriment de la microéconomie", expliquait-il en décembre 2017, lors d'une audition à l'Assemblée nationale.

Il en veut pour preuve la disparition du ministère de l'Industrie, qui a été absorbé par Bercy au sein du gouvernement Jospin, en 1997. Résultat : "Les services de Bercy, l'Inspection des finances et la direction du Trésor ont pris l'ascendant idéologique sur ceux qui s'occupaient de l'industrie française, constate Jean-Michel Quatrepoint. Cela a eu une conséquence majeure : les compétences industrielles ont disparu du ministère de l'Économie".

Une prise de conscience de l'Etat français?

Aujourd'hui, l'exécutif se dit décidé à réagir et à mettre les moyens pour défendre ses intérêts souverains. "Depuis un an, nous avons renforcé la protection de nos actifs stratégiques", affirme Thomas Courbe, le chef de la Direction générale des entreprises (DGE). Depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron, une nouvelle cartographie des grands groupes, startups et laboratoires de recherche stratégiques a vu le jour, afin de mieux les protéger contre les menaces extérieures. Pour les défendre, une nouvelle organisation interministérielle a aussi été mise en place. "Concernant les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD), nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Armées et la Direction générale de l'armement, précise Thomas Courbe. Nous procédons ainsi avec tous les ministères qui sont en relation avec des sociétés stratégiques, par exemple ceux de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, de la Santé, du Transport et de l'Énergie, ou de l'Agriculture".

En parallèle, le gouvernement renforce, depuis un an, le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Les technologies dites "critiques" - dont la cybersécurité, l'intelligence artificielle, les semi-conducteurs ou le stockage de l'énergie - font l'objet d'une attention particulière des pouvoirs publics. En outre, le gouvernement peut désormais bloquer une acquisition dès lors que la participation envisagée par un investisseur étranger porte sur un minimum de 25% du capital, contre 33% auparavant. Pas sûr, toutefois, que ces initiatives soient suffisantes pour préserver les domaines les plus stratégiques face aux offensives, de plus en plus féroces, des États-Unis ou de la Chine.

 

Par Pierre Manière  

 

Jacques Le Bris's insight:

ENCADRÉS

LATÉCOÈRE, UN NOUVEL ACTIF INDUSTRIEL CROQUÉ PAR UN AMÉRICAIN

Latécoère, ou un gâchis à la française... Une vraie spécialité ces dernières années. À la fin des années 2000, le groupe toulousain devait être le pivot de la consolidation de la filière aérostructure en rachetant les activités d'Airbus sous l'œil bienveillant de l'État français pour créer un groupe de taille mondiale. Mais tout a déraillé en raison notamment de la fragilité financière du moment de Latécoère, Airbus (EADS à l'époque) renonçant en 2008 à lui vendre ses activités, qui, depuis, ont été regroupées au sein de Stelia Aerospace. Plus de dix ans plus tard, l'équipementier toulousain, également spécialisé dans les systèmes d'interconnexion, finit dans les bras d'un fonds d'investissement américain pourtant plutôt spécialisé dans la hightech, Searchlight, un temps lié au puissant fonds KKR. Ce fonds américain détient désormais 65,55 % du capital de Latécoère. Très clairement un semi-échec pour Searchlight, qui souhaitait au départ détenir 100 % de sa proie.

Surtout, Latécoère passe sous la bannière étoilée avec tous les inconvénients que cela suppose pour la souveraineté française d'un groupe qui travaille sur des programmes aussi sensibles que le Rafale, l'A400M, les satellites militaires français (harnais) et, surtout, le missile nucléaire M51. L'ombre de la réglementation américaine Itar pourrait planer une nouvelle fois sur tous ces programmes militaires, dont certains sont des fers de lance de l'industrie française à l'exportation. Sans compter la problématique extrêmement sensible de la confidentialité sur la dissuasion française et de l'avance de Latécoère sur la technologie photonique très prometteuse (aéronautique, défense...) du Li-Fi (Light Fidelity), qui a un débit cent fois plus rapide que les Wi-Fi existants.

Des députés montent au créneau

Et cela se passe mal. Fin novembre, dix-sept députés ont écrit au Premier ministre pour lui demander d'avoir une "approche souveraine" sur les ventes de Photonis et de Latécoère. En vain pour l'équipementier aéronautique. Le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier a jugé excessives les inquiétudes sur Latécoère. "Le risque souveraineté n'existe pas sur Latécoère, il existe en général. Il faut des règles", a-t-il estimé en début d'année. Une déclaration qui va dans le sens de la PDG de Latécoère. Yannick Assouad, qui a un passé très américain (PDG d'Honeywell Aerospace, diplômée de l'Institut technologique de l'Illinois), a expliqué dans une interview à L'Usine nouvelle que "la lettre d'engagement signée par Searchlight, confidentielle", aborde les questions concernant ces programmes de défense. Et de dire que "l'État a bien joué son rôle pour protéger ce qui doit l'être. En tant que dirigeante de Latécoère, je mettrai un point d'honneur à respecter ces engagements".

Mais, selon nos informations, Searchlight traîne déjà les pieds pour remplir certains de ses engagements. Ainsi, l'État a demandé à Searchlight, au titre du contrôle des investissements étrangers en France (procédure IEF), qu'il prenne un chevalier blanc français, qui aura son agrément. Cet investisseur doit détenir au moins 10 % du capital et des droits de vote de Latécoère et sera son œil au conseil d'administration. L'État lui a soufflé le nom de Tikehau Capital. Mais, selon nos sources, Searchlight aurait l'intention d'organiser des enchères pour trouver un partenaire et amortir son investissement. Mais la mère de toutes les batailles sera la sortie de Searchlight, dans cinq ans environ. L'État français a-t-il déjà pris des mesures pour empêcher une vente à un industriel non désiré? Michel Cabirol

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NEXEYA, CLS, PHOTONIS... UNE GESTION AU CAS PAR CAS

A côté d'opérations comme la vente de Morpho à Advent, la cession de la PME HGH à Carlyle ou le rachat de Latécoère par Searchlight, la France a également su prendre des initiatives pour mieux protéger sa base industrielle et technologique de défense (BITD). L'exemple le plus édifiant reste la vente de Nexeya par ses actionnaires historiques au groupe allemand Hensoldt, détenu par le fonds américain KKR. Le ministère des Armées a imposé aux actionnaires de Nexeya d'exclure de la vente l'activité spatiale (Nexeya Space) ainsi que certaines activités de défense liées à la souveraineté française. Soit 36 millions d'euros de chiffre d'affaires (200 salariés). Ces activités considérées comme critiques ont été dans un premier temps distinguées des autres activités de Nexeya, puis rassemblées dans une nouvelle société baptisée Hemeria, principalement spécialisée dans les nanosatellites. 

CLS, un actif qui file en Belgique

La Compagnie nationale à portefeuille (CNP), société d'investissement belge du groupe Frère, qui se propose de racheter une participation majoritaire du capital de la pépite technologique CLS (Collecte Localisation Satellites), a dû déposer, fin novembre, un dossier à la Direction générale des entreprises (DGE) dans le cadre de la procédure des investissements étrangers en France (IEF). Si tout se passe bien, la procédure devrait durer deux mois minimum à compter du dépôt du dossier. L'État français, qui aurait pu imposer un acheteur français - la banque Rothschild était sur les rangs -, a laissé filer cet actif en Belgique. Il faut cependant préciser que le Centre national d'études spatiales (CNES) devrait rester actionnaire à hauteur de 35 % de l'opérateur des célèbres balises Argos.

Après quelques hésitations, l'État français a entrepris par ailleurs de trouver un actionnaire français de référence à Photonis, qui fournit les forces spéciales de tous les pays de l'OTAN. Mis en vente par le fonds Ardian, ce leader mondial de la conception et de la fabrication de tubes d'intensification d'image de pointe pour les militaires intéresse très fortement des groupes américains notamment. Après avoir vainement tenté de convaincre Thales et Safran de racheter Photonis, l'État a récemment sollicité d'autres industriels français. La fin de l'histoire reste à écrire. Ainsi, quand la France veut, elle choisit de s'en donner les moyens. C'est une simple question de volonté politique. Avec le renforcement de la procédure IEF, l'État dispose, via la Direction générale des entreprises, d'une palette d'outils plus large pour préserver ses pépites et ses entreprises stratégiques lors d'une opération de contrôle par un investisseur étranger.

Pas de "Proxy Agreement" français

Mais pas question pour le moment d'envisager une solution de type "Proxy Agreement" à la française, à l'image de ce qu'impose l'administration américaine à des investisseurs étrangers lors d'un rachat d'une société considérée comme stratégique pour les États-Unis. Un dispositif qui limite drastiquement les droits de l'investisseur étranger au sein même de sa société gérée par trois administrateurs américains, qui eux-mêmes désignent les dirigeants de la société. Michel Cabirol

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