Accusée de sous-estimer l'inflation, l'Insee répond à Emmanuel Todd | Think outside the Box | Scoop.it

Selon l'essayiste Emmanuel Todd, l'Insee ne dresserait pas un portrait objectif du niveau de vie des Français car elle sous-estimerait le poids du logement. Dans un billet de blog, un administrateur lui répond.

"Les Français connaissent une baisse de niveau de vie sans équivalent depuis l'après-guerre et peut-être même depuis le début de l'ère industrielle." Tel est le propos du démographe Emmanuel Todd dans son dernier livre "Les Luttes de classes en France au XXIe siècle". Et l'essayiste de compléter: "Alors que l'Insee nous dit le contraire."

Et effectivement, l'Insee assure que le niveau de vie n'a baissé depuis la crise des subprimes qu'entre 2009 et 2013. Depuis il est reparti légèrement à la hausse entre 2014 et 2015 (+0,2 et +0,4%) avant d'un peu accélérer à partir de 2016 (+0,9%). "Mais comment se fait-il que cet optimisme ne soit pas partagé par une grande partie de la population?", feint de s'interroger Emmanuel Todd. Si l'essayiste reconnaît que les chiffres ne sont pas falsifiés, il estime toutefois que le mode de calcul des statisticiens de l'institut est biaisé car ils vivraient selon lui sous la contrainte idéologique du pouvoir politique (l'Insee étant un organisme d'Etat).

Et le biais de l'Insee serait, selon Todd, de largement sous-estimer le poids du logement dans le calcul de l'inflation. Il ne compte en effet que pour 6% du budget total dans le calcul de l'indice des prix. Or évidemment, rares sont les Français qui ne dépensent que 6% de leurs revenus pour se loger.

Un chiffre étonnant alors que la part des loyers représentent en moyenne 20% des dépenses de consommation. L'Insee biaiserait-elle ses chiffres pour minimiser les difficultés des Français?

Pourquoi 6% de loyer seulement?

Dans un billet de blog, Benoît Ourliac, un administrateur de l'Institut répond, d'abord, que l'Insee n'est pas aux ordres du gouvernement.

"La suspicion d’interférence exercée par le ministère de l’Économie et des Finances sur l’Insee pour le calcul de l’inflation est ridicule, assure-t-il. Elle témoigne avant tout d’une méconnaissance totale des conditions dans lesquelles la méthodologie de l’IPC (NDLR. l'indice des prix à la consommation) est élaborée."

Avant de clarifier la méthodologie de l'Insee.

"Ce niveau peut légitimement susciter de l’incompréhension, écrit-il. Mais il faut tout d’abord rappeler que le poids des dépenses de consommation en logement au sein de l’indice des prix n’est pas de 6% mais de 14%, en tenant compte des loyers et des charges (eau, gaz, électricité, petits travaux d’entretien, etc.). 6%, c’est ce que représente uniquement la part moyenne des loyers dans les dépenses de consommation de l’ensemble des ménages français."

Mais pourquoi 6%? Parce que l'indice des prix est une moyenne qui concerne tous les Français et qui faut tenir compte de toutes les situations.

Or en France, seuls quatre ménages sur dix sont locataires. Donc, écrit Benoît Ourliac "pour les locataires, la part des loyers dans leurs dépenses de consommation est de l’ordre de 20 %, tandis que les propriétaires ne paient par définition aucun loyer."

Sur l'ensemble des ménages, propriétaires et locataires, l'Insee fait donc une moyenne entre 0% de dépenses pour les propriétaires et 20% pour les locataires en tenant compte en plus de leurs poids respectifs dans la consommation (les locataires ayant en moyenne un niveau de vie plus faible. C'est ainsi qu'elle parvient à une moyenne nationale de 6%.

Mais pourquoi ne pas tenir compte des remboursements de prêts immobiliers qui amputent pourtant bien les revenus des propriétaires accédants? D'abord il faut savoir que les propriétaires n'ayant pas terminé de rembourser leur crédit immobilier ne représentent que deux Français sur dix. Les 80% restants étant pour moitié locataires et pour moitié propriétaires libéré de toute dette sur leur résidence principale.

Les propriétaires se constituent un patrimoine

De plus l'Insee considère que les remboursements de crédits immobiliers sont des investissements et non des dépenses. L'accession à la propriété permettant de se constituer un patrimoine. Il ne s'agit donc pas d'une dépense de consommation.

 
 
 

Oui mais quid des taux d'intérêt qui eux sont versés en pure perte aux banques par les ménages? L'Insee en tient compte dans son calcul. "La partie des remboursements correspondant aux intérêts est directement déduite de leur revenu, et donc bien prise en compte dans la mesure du pouvoir d’achat", explique Benoît Ourliac.

Enfin l'Insee rappelle qu'elle effectue fréquemment des études pour mieux répondre aux demandes de clarté concernant l'inflation des coûts du logement. Dans une étude de 2019 (consultable ici), elle a ainsi distingué les paniers de consommation des propriétaires et des locataires pour mesurer l'impact de la hausse des loyers dans la consommation. Le résultat montre des différences minimes. "Même si l’évolution des loyers a été légèrement supérieure à celle de l’inflation, la différence n’est pas suffisamment importante pour affecter notablement l’indice des prix", assure l'Insee.

Frédéric BIANCHI

Journaliste