Sueurs froides pour l’Europe de la santé | Think outside the Box | Scoop.it

Aussi prometteur soit-il, notamment pour la recherche, l’European Health Data Space demandera encore de nombreux arbitrages technologiques et politiques.

 

La Commission européenne a présenté mardi son projet pour donner naissance à un «espace européen de santé pour les personnes et pour la science». Une initiative louable qui ne manquera pas de donner des sueurs froides à ceux qui devront la mettre en œuvre concrètement.

Les médecins luxembourgeois peuvent accéder aux données de santé de leurs patients venus de République tchèque, de Malte, du Portugal et de Croatie. Comme la France. Cela fait de ces deux pays, deux des pays parmi les plus avancés en matière d’intégration européenne du «marché» de la santé. Seuls la Croatie et le Portugal jouent même sur deux tableaux, celui de la circulation des dossiers médicaux et celui de la prescription de médicaments.

Avec le projet de règlement présenté mardi par la Commission européenne, l’Europe de la santé pourrait connaître un grand bond en avant… à condition que tout le monde s’entende sur l’interopérabilité des systèmes déployés dans chaque État membre, sur la protection des données personnelles, GDPR oblige, sur la protection des données contre les cyberattaques, sur le contrôle par chaque Européen de ses données et sur l’accès à ces précieuses données de santé par le monde de la recherche, public ou privé et ce n’est pas la même chose.

 
«Ces données, accessibles dans le cadre de solides garanties de sécurité et de confidentialité, seront également un trésor pour les scientifiques, les chercheurs, les innovateurs et les décideurs politiques travaillant sur le prochain traitement salvateur.

La commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire, Stella Kyriakides

Et que le dispositif matche avec les envies des citoyens européens eux-mêmes: 89% sont favorables à un dispositif pour aider la recherche, 88% pour avoir le contrôle de leurs données et 83% pour faciliter les soins des personnes en mobilité, soit professionnelle, soit personnelle, soit de loisir.

Des Big Pharma déjà prêtes

Il suffit de prendre cinq (dix?) minutes dans les 222 pages de l’an dernier sur les règles à mettre en place pour être conforme au GDPR à la lueur des législations nationales pour s’apercevoir du cauchemar à venir. Du travail à accomplir, répondent les plus optimistes. Dans les six pages qui concernent le Luxembourg, on peut lire que rien ne garantit l’interopérabilité du système de Dossier de santé partagé (page 136), ni la sécurité des données ou même leur qualité. Aucun «coordinateur» n’y est même désigné. Elles ne renvoient pas l’image d’un pays aux avant-postes, mais, dans ce champ d’activité, ça bouge.

Alors que l’usage secondaire des données à des fins de recherche est largement plébiscité par les Européens et que le texte de loi ne distingue pas la recherche publique et privée, le Luxembourg est associé, via le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB) de l’Université du Luxembourg, au projet européen du HealthyCloud .

«Une gestion sécurisée et responsable des données est de la plus haute importance. Nous sommes heureux d’apporter notre expertise de longue date dans ces domaines au développement d’un espace européen des données de santé», explique le professeur Reinhard Schneider, chercheur principal du noyau bio-informatique du LCSB et responsable du nœud ELIXIR-Luxembourg, en charge du développement de la conformité ELSI pour la gouvernance de la future plateforme décentralisée HRIC ainsi que la conception de l’architecture du métacatalogue de données de santé basée sur FAIR. Le projet est piloté par deux cas d’utilisation réels sur le cancer et la fibrillation auriculaire.

Les Big Pharma, eux, sont déjà prêts. Éléments de langage et appétit pour l’or bleu de la donnée de santé. «Le covid-19 est tragique, mais un point positif est qu’il a montré le manque évident de données et les problèmes qui en résultent», a ainsi déclaré dès mardi André Trottier, responsable mondial de la politique de soins de santé personnalisés du Laboratoire Roche dans un post très détaillé . «Notre réponse mondiale à la pandémie a été complètement étouffée par des questions de partage des données – la disponibilité de celui-ci, que ce soit de bonne qualité, et même des tests et des diagnostics. Les gouvernements ne peuvent plus ignorer cet écart. Du côté positif, la crise a été un catalyseur pour une plus grande acceptation de la construction de cette infrastructure de données et une accélération de l’acceptation des outils numériques. Cette infrastructure de données nécessitera un investissement gouvernemental. Il y a un coût, mais il y a tellement de potentiel pour un bien meilleur bénéfice pour le patient, ce qui en fin de compte réduit les coûts. Une population en meilleure santé est une population moins coûteuse.»

Une dizaine de milliards d’euros d’investissement

Pas question d’utiliser les données pour des décisions préjudiciables aux citoyens, telles que la conception de produits ou de services nuisibles ou l’augmentation d’une prime d’assurance, martèle la Commission européenne dans sa communication, qui prévoit non pas une base de données de santé, mais deux, une pour les soins et l’autre pour la recherche ou les usages secondaires. Un nouveau comité européen de l’espace des données de santé sera créé, composé des représentants des autorités de santé numérique et des nouvelles instances d’accès aux données de santé de tous les États membres, de la Commission et d’observateurs.

«Ces données, accessibles dans le cadre de solides garanties de sécurité et de confidentialité, seront également un trésor pour les scientifiques, les chercheurs, les innovateurs et les décideurs politiques travaillant sur le prochain traitement salvateur. L’UE franchit une étape véritablement historique vers les soins de santé numériques en l’UE», s’enthousiasme la commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire, Stella Kyriakides.

L’EHDS devrait permettre à l’UE d’économiser environ 11 milliards d’euros sur dix ans: 5,5 milliards d’euros seront économisés grâce à un meilleur accès et un meilleur échange des données de santé dans le domaine de la santé et 5,4 milliards d’euros supplémentaires seront économisés grâce à une meilleure utilisation des données de santé pour la recherche, l’innovation et l’élaboration des politiques. Plus de 13 milliards d’euros pourraient être mobilisés dans le cadre des projets de santé numérique.

En coulisses, les petites mains en charge de coudre la robe ont déjà des sueurs froides.